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dossier
RH et Communication
au cœur du social
Vincent Brulois et Yanita Andonova
Responsables du Master Communication
et RH en formation initiale
Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité
Un Master Communication
et RH : histoire simple
et formation singulière
L’objectif de cette formation1 est aussi explicite que son intitulé : préparer
des étudiants à l’exercice professionnel de la Communication interne et des
Ressources humaines. Sa place dans l’offre de formation comme son évolution
sont originales, même si elles relèvent d’une histoire simple. Ce master se présente résolument comme une formation universitaire en communication, c’està-dire à rebours des nombreuses formations non universitaires, à rebours aussi
d’un apprentissage des RH comme de la communication interne à partir d’une
approche seulement gestionnaire.
S
a forme et sa dénomination actuelles
s’inscrivent à la fois dans une histoire
locale et une histoire universitaire plus
générale. Locale car ce master est la
résultante de formations plus anciennes,
à l’intitulé fluctuant, même si l’aspect professionnel existe depuis l’origine. Cette professionnalisation est d’ailleurs une caractéristique forte
des formations en communication en général.
Dès 1968, une réforme universitaire crée des
formations à vocation professionnelle (les IUT)
pour répondre à une demande économique
et sociale. Parmi les premiers départements,
notons celui des Carrières de l’information et
son option Communication d’entreprise. Dès
lors, la structuration du champ professionnel de
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la communication a été de pair avec la structuration du champ universitaire. N’oublions pas
que c’est à la fin des années 1980 que l’Afci est
constituée, suivie de peu par un premier laboratoire de recherche consacré spécifiquement à la
communication dans les organisations.
De la transformation de l’entreprise à
celle des fonctions RH et Communication
À la fin des années 1980, la communication
devient un mot-clé des entreprises. On comprend
qu’elle ne se réduit pas à une simple mobilisation d’outils, mais qu’elle consiste aussi en une
mise en relation d’individus qui ont leur propre
identité et leur propre histoire. De fait, communiquer devient à la fois un acte banal et complexe.
Plus que relayer des informations, la communication sert aussi et surtout à relier les individus.
Elle est un élément structurant toute organisation,
même si s’opère, à la même époque, la transformation de la fonction Personnel en une fonction RH
qui fait le grand écart entre les relations humaines
et les ressources humaines. Dans un contexte de
montée du chômage, l’entreprise est ré-enchantée,
remise au premier plan comme acteur capable de
sauvegarder l’emploi. On (re)découvre qu’elle n’a
pas qu’un rôle économique, qu’elle est aussi un lieu
de socialisation des individus dans la société. L’entreprise change, devient une institution centrale2
de la société et la fonction communication n’y est
pas étrangère. Le fameux dircom’ est alors chargé
de concevoir et de mettre en œuvre des stratégies
pour « faire penser à des publics cibles ce qu’on
veut qu’ils pensent afin qu’ils fassent ce qu’on veut
qu’ils fassent »3. Cette posture légitime une vision
instrumentale de la communication et une certaine
image de l’entreprise. Dans une telle logique, l’enseignement de la communication peut se limiter à
une approche fonctionnelle, pratique et utilitariste,
dans un souci de maîtrise d’outils, d’adéquation
entre un message, un support et un public.
Aujourd’hui, l’entreprise s’est transformée.
Confrontée à des complexités économiques, financières, organisationnelles, sociales et territoriales
de plus en plus fortes, elle adopte de nouvelles stratégies et de nouvelles organisations, lesquelles se
succèdent à un rythme de plus en plus rapide. Tant
et si bien que les changements prennent la forme
d’un mouvement permanent mobilisant l’ensemble
de l’entreprise. Les salariés n’acceptent plus le
changement sans mot dire : ils ne s’en laissent plus
conter, ils se méfient, ils interrogent, voire n’hésitent plus à défier la moindre action, la moindre
parole de leur entreprise et ce d’autant plus que
les changements ne font plus sens pour eux. La
demande de cohérence envers les entreprises
augmente. Bonne nouvelle en un sens, car cela
oblige les directions à revoir les « règles de la vie
commune au travail »4, à développer des « espaces
de discussion »5 sur le terrain, à « s’expliquer et pas
seulement expliquer »6.
Comprendre pour mieux agir
Dans un tel contexte, le détour par les sciences
humaines et sociales (SHS) apparaît comme une
nécessité pour nos étudiants. Plus que jamais, il s’agit
de les aider à comprendre avant d’agir, à observer
et à analyser avant de mettre en place des outils et
des processus. L’ingénierie de formation du Master
Communication et RH fait donc la part belle aux ensei-
gnements fondamentaux – la théorie – afin de mieux
préparer à la pratique professionnelle, qu’elle soit en
communication interne ou en RH. Sciences de l’information et de la communication, sociologie, psychologie, gestion deviennent des disciplines essentielles
dans la panoplie des savoirs transmis aux étudiants.
Ces savoirs concernent tout autant les enjeux des
RH, du travail et de la communication interne, que les
transformations actuelles des entreprises. Il s’agit
tout à la fois de les initier à une analyse compréhensive et critique des organisations et des situations
de travail et de leur donner les outils nécessaires
à l’exercice averti de leur activité. C’est pourquoi la
formation présente deux niveaux d’enseignements :
un premier visant à rendre l’étudiant opérationnel en
entreprise, un second lui permettant d’acquérir un
salutaire regard distancié sur son activité et son environnement. Ce double regard, porté sur les processus
de communication et la fonction RH, constitue une
offre originale, rare mais pas unique, dans le paysage
national. Nous l’avons vu, il est assurément en
adéquation avec ce qui se passe aujourd’hui dans les
entreprises. Il est aussi en accord avec ce que nous
disent les professionnels avec qui nous travaillons.
Cet intérêt du monde professionnel pour notre master
se révèle lors des stages et des mémoires réalisés
par les étudiants, deux temps forts de la formation.
Directement lié au stage, le mémoire est l’occasion
pour l’étudiant de montrer ses capacités à analyser
un contexte et une situation de travail sur un terrain
donné à partir des savoirs acquis à l’université. Le
stage, quant à lui, offre le terrain d’étude pour le
mémoire et permet la professionnalisation de l’étudiant. Accessoirement, c’est aussi un moment pour
lui de développer son savoir-être en relation avec
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d’autres et d’exercer ses savoir-faire en situation
professionnelle. La bonne insertion professionnelle
des étudiants nous confirme que notre exigence sur
le stage et le mémoire n’est pas déplacée. Parallèlement, nous encourageons nos étudiants à participer aux différents événements organisés par des
associations telles que l’Afci et l’APSE (Association
des professionnels en sociologie de l’entreprise). De
notre côté, nous aidons les promotions de seconde
année à organiser leur propre événement. Cela se
concrétise par une Journée d’étude, à la fin mai,
faisant dialoguer entre eux des chercheurs, des
enseignants et des praticiens sur des sujets aussi
variés que le sens du travail, la professionnalisation
de la communication interne, l’intimité au travail, la
reconnaissance professionnelle, les situations de
burn-out, ou la question de la sécurité.
L’alliance des savoirs et des savoir-faire
Le Master Communication et RH est ainsi à la
croisée de plusieurs chemins. Il est d’abord une
formation professionnalisante ; mais les savoirfaire présentés – apprendre à agir – n’ont de sens
qu’au regard de savoirs plus théoriques – apprendre
à comprendre. Il se présente ensuite comme une
formation universitaire en communication, mais il
est dans les faits une formation transdisciplinaire
en Sciences humaines et sociales. Il forme enfin
des étudiants à un ensemble de métiers, mais
les aide aussi à comprendre un contexte professionnel et ses acteurs. Comprendre, par exemple,
que le salarié ne peut pas être qu’une cible pour
le communicant ou que la « banalisation » des
terminaux numériques7 ouvre la communication à
tout un ensemble d’acteurs, bien au-delà des seuls
communicants. Comprendre encore que le salarié
ne peut pas être qu’une ressource pour le gestionnaire RH ou que la fonction RH se doit de trouver un
équilibre entre son rôle de business partner et celui
de human partner. En outre, nombre d’étudiants
ne feront pas le même métier tout au long de leur
vie. Il faut en tenir compte dans notre ingénierie de
formation, insister sur leur capacité à comprendre,
à donner du sens et à agir en trouvant la bonne
distance face aux êtres et aux choses de l’existence.
Cette idée de distance est peut-être ce qui relie le
plus ces deux fonctions. L’accroissement de la taille
des entreprises et leur activité mondialisée ont
accru la distance entre décideurs et salariés. Il y a
donc une mise à distance des individus qui modifie
les comportements de ceux qui travaillent dans
l’entreprise et plus encore de ceux qui la dirigent :
la réalité du travail, les préoccupations et les enjeux
ne sont pas les mêmes vus du siège ou vus d’un site
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opérationnel. Si on n’y prend garde, le risque est de
désincarner la communication interne comme les
RH et de ne plus prendre en compte le salarié dans
son environnement local, personnel et professionnel.
Intimement liées dans l’entreprise, la communication
interne et les RH le sont donc aussi dans notre formation. Notre pratique professionnelle, à la fois d’enseignants et de chercheurs en sciences de l’information
et de la communication, nous incite à témoigner
qu’on ne peut plus penser les savoir-faire de ces deux
fonctions en dehors des savoirs qui concernent tant le
rapport de l’entreprise à la société que les relations
entre salariés. Ces derniers sont aujourd’hui plus
informés, mais aussi plus sceptiques et plus critiques.
Cela oblige les communicants comme les gestionnaires RH de demain à décoder les collectifs ancrés
dans une histoire et une culture, les communautés
qui se forment au gré des projets, les environnements
qui se décloisonnent et se recoupent, à identifier ce
qui est continuité ou rupture dans l’entreprise en se
délestant des effets de mode qui semblent consacrer
le présent. Cette capacité de décodage, qui permet
de rendre le social intelligible, pousse alors naturellement vers une utilisation pratique8 des sciences de
l’information et de la communication, de la sociologie,
des SHS en général, afin d’aider nos étudiants à
penser différemment et à agir autrement. C’est ce qui
fait de ce master une formation singulière.
e master est proposé en formation initiale, continue
C
et en alternance.
2
R enaud Sainsaulieu et Denis Segrestin créent la
sociologie de l’entreprise en 1986 : voir « Vers une
théorie sociologique de l’entreprise », revue Sociologie du travail n°3,1986.
3
Philippe Schwebig. Les Communications de l’entreprise, Mc Graw-Hill, 1988.
4
I sabelle Ferreras. Critique politique du travail ,
Sciences Po Les Presses, 2007.
5
M athieu Detchessahar. «  Faire face aux risques
psycho-sociaux : quelques éléments d’un management par la discussion », Négociations 2013/1 (n°19).
6
Vincent Brulois, Jean-Marie Charpentier. Refonder la
communication en entreprise : de l’image au social,
Fyp, 2013.
7
«  Nouvelles formes de visibilité des individus en
entreprise : technologie et temporalité », Communication & Organisation, 2013 (n°44).
8
À noter que des témoignages concernant une telle
utilisation seront présents dans le n°30 de la revue
Sociologies pratiques consacré à la communication
et aux communicants confrontés aux tensions de
l’entreprise (sortie avril 2015).
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