Intervention du Docteur KIRITZE-TOPOR

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Intervention du Docteur KIRITZE-TOPOR
Historique du soin et de la prise en charge en alcoologie.
De l'alcoologie à l'addictologie.
Docteur Paul Kiritzé-Topor - 49100 Angers.
1. Introduction
Sans connaissance du passé, il peut être difficile de comprendre le présent. Ce qui se fait aujourd'hui
est le fruit d'une lente évolution des représentations sociales et de la connaissance. C’est à travers
l’histoire des consommateurs d'alcool et de la « prise en charge des alcooliques » que l'on peut
comprendre les diverses tentatives de soin qui se sont succédées jusqu'à aujourd'hui. Il s'agit d'éviter
ainsi des jugements hâtifs sur ce qui s’est construit au fil des siècles, comme celui de l’objectif de
traitement initié il y a près de 200 ans.
Je reprends volontairement cette expression de « prise en charge », car elle est au cœur d'une pensée
historique qui a guidé le traitement des alcooliques, et d'une certaine ambiguïté née de l'expression
récente : « malade alcoolique ». Parle-t-on de « malade tabagique ? ». Pourquoi cette différence ?
Prendre en charge ! Il est bien question de se charger de, de s'occuper de, de prendre la responsabilité
de … de quoi ? et par qui ? et dans quel objectif ?
Sans négliger que le mot charge veut bien dire ce qu'il veut dire, à savoir : fardeau, poids, avec une
conséquence possible d'épuisement.
Comment accepter aujourd’hui cette idée de « prise en charge du malade alcoolique » alors que
l'objectif du traitement devrait être qu'il se prenne en charge, qu'il « se soigne » et non pas qu'il « soit
soigné » !
Mais revenons à l'histoire des hommes et de ce produit naturel de fermentation des fruits. L’alcool,
notamment le vin, occupe une place bien spécifique dans nombre de sociétés humaines et
particulièrement dans notre culture judéo-chrétienne. Dans d'autres cultures, le cannabis, le kat, ou
d'autres, peuvent avoir la même fonction de déconnection du réel, et il faut les appréhender là aussi
au travers de leur histoire. L'histoire de la Chine et de l'opium en est l'illustration.
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La question des produits psychotropes est indissociable et aussi vieille que l'histoire des hommes. Et
qu'il faut relier à la question de l'ivresse, cet « état particulier pendant lequel la conscience de soi et
celle du monde sont plus ou moins modifiées1 ». L'ivresse alcoolique - cas particulier parmi de
nombreuses ivresses possibles - nous montre que ce qui compte ce n'est pas tant le produit que les
effets qu'on en attend. Comme le dit Joliment le dicton: « Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait
l'ivresse ».
Le vin, est associé étroitement à cette question et révèle deux aspects opposables.
D'un côté, le plaisir, le partage, la convivialité, le sacré, quand ce n'est pas le « machisme » pour
signifier la force, la virilité chère aux hommes. Des représentations acceptées, favorisées,
recommandées dans une culture que l'on peut qualifier d’œnophilique.
De l'autre; des transgressions réprouvées, condamnées : mensonge. viol, inceste, meurtre, ou encore
le misérabilisme : spirale de désocialisation, déchéance ... conduisant alors à une culture
œnophobique.
Ces deux aspects se retrouvent dans les cultures Grecque (Dionysos et les fêtes Dionysiaques),
Romaine (Bacchus et les Bacchanales), judéo-chrétienne mais aussi musulmane. Relisez la bible2 : Noé,
Ivre, chassant son fils Cham, coupable d'avoir vu la nudité du patriarche; les filles de Loth enivrant leur
père pour s'accoupler avec lui; Absalom, fils de David, soûlant Amnon pour le tuer. Sans négliger ce qui
est promis aux hommes pieux dans le verset 15 de la Sourate 47 du Coran3, à savoir un paradis où
couleront : « ... des ruisseaux de vin, délice de ceux qui boivent », et aussi les 443 citations sur le vin et
la vigne dans la bible. Et encore dans Le Banquet de Platon, quand Alcibiade, quelque peu éméché,
déclare aux convives et à Socrate: « Dans le vin e c la vérité ».
Pour évoquer l'évolution des concepts et des traitements des consommateurs problématiques d'alcool,
il faut donc partir de ce qui, depuis toujours, a guidé les sociétés humaines : il faut boire à condition
de respecter certaines normes sociale, religieuses voire médicales. « Un verre, ça va... », vous
connaissez la suite. Tout porte à inciter chacun à. boire, trinquer, picoler comme tout le monde mais
avec modération bien sûr, nous rabâche-t-on à l’envi dès que le mot alcool est prononcé ! Appelons ça
une culture œnotempérée, une culture de la norme.
Et là nous entrons de plein pied dans le champ nouveau de l'addiction et, on le verra, en particulier du
Baclofène pour l'alcool et de la cigarette électronique en tabacologie.
Mais avant revenons sur :
2. L'Evolution des représentations collectives sur l'alcool et les alcooliques.
Trois grandes périodes vont se succéder :
La première, la plus longue, s'étend de la nuit des temps au début du XIXe siècle.
Pendant des siècles, peu de choses ont bougé. La consommation d'alcool : vin, bière, étendue plus tard
aux produits de la distillation n’est ni courante, ni accessible au plus grand nombre.
1
Nahoum-Grappe Véronique. La culture de l’ivresse. Quai Voltaire. Paris, 1991
Rausky Franklin. Ivresses bibliques. L’alcool dans la tradition juive. Puf. Paris, 2013.
3
Coran Sourate 47, Muhammad, verset 15
2
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SI les boissons alcooliques sont bien présentes, seules quelques classes sociales, notamment
dirigeantes, y ont accès. Si quelques déviants sont repérés, stigmatisés, Ils ne représentent qu'une
infime partie de la population. Ce sont des « ivrognes et point n'est besoin de s'en préoccuper. Ils
n’inspirent que désintérêt ou rejet au nom de leur ivrognerie. Peu d'écrits par exemple sur les excès
d'Alexandre le Grand mort à 36 ans de malaria.
Alcool et débauche hâteront sa fin.
Autrement dit, la méthode de traitement consistait à… ne pas s’en occuper !
A défaut de s’en occuper, on s’intéresse, grâce à la distillation, aux effets « bénéfiques » supposés de
l’alcool dans un usage thérapeutique non pas pour traiter les ivrognes, mais pour, selon les
prescriptions d’un grand médecin de l'époque, Arnaud de Villeneuve et son « eau de vie », pour
soigner, pour : « guérir du venin, prolonger les jours, ranimer le cœur et entretenir la jeunesse'4 ». Cette
approche, reconnaissons-le, a encore de nombreux adeptes aujourd’hui. Ne trinque-t-on par encore
au nom de la santé ?
Ainsi, des siècles durant, le vin et de son distillat, aura trois fonctions :
 sacrée par l'usage rituel des liturgies judéo-chrétiennes,
 médicinale avec l'eau de vie vendue dans les officines des apothicaires,
 et enfin morale vis-à-vis de l'ivrognerie qualifiée de péché.
4
Cité par B. Hillemand in Alcool alcoolisme : repères historiques et nosologiques. Revue Alcoologie, suppl. au
N°4 ; tomme 17 ; décembre 1995
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La seconde période, médicale et scientifique, débute fin du XVIIIe, début XIXe siècle et
s'étend jusqu'au milieu du XXe siècle.
C'est l’apparition de la notion d’« alcoolisme ».
C'est à l’avènement de la société industrielle que la question de l'alcoolisme, océanique sous-produit
d'une alcoolisation de masse, apparaît.
Aux alcoolisations ponctuelles, aux ivresses espacées, intermittentes, réservées aux « élites » s'ajoute
une alcoolisation chronique, populaire, de grande ampleur. Les manières de boire vont changer : de
l’ivresse occasionnelle, on passe à une consommation de haut niveau, accessible au plus grand
nombre.
On passe de J'ivrognerie à l'alcoolisme.
Il faudra cette formidable mutation sociétale où vont se conjuguer : industrialisation, développement
des voies et moyens de communication, exode vers les villes naissantes, misère du monde ouvrier…
pour que cette question prenne une dramatique tournure5 dont les conséquences se mesurent encore
aujourd’hui.
À la notion de vice succède celui de maladie mais toujours dans une approche morale.
On passe de l'ivrogne, du pécheur, à celui de victime. Au pauvre type, faible, incapable de décision,
sans volonté, s'additionne celui de victime du « mauvais produit ». Pire, un inéluctable destin guidé
par une hérédité entraînant une dégénérescence de l’individu : « Alcoolique de père en fils ! ».
5
Fouquet Pierre, de Borde Martine. Le roman de l’alcool. Médecine et histoire. Seghers. Paris, 1985.
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Mais aussi une victimisation bien « arrangeante ». C'est l'alcool qui fait l'alcoolique et comme c’est un
faible… C’est la faute à pas de chance ! L’alcool devient le fléau social, le poison.
Les américains, avec la prohibition, s’y sont enivrés, noyés, Al Capone enrichi et Eliot Ness héroïsé.
Des ligues « antialcooliques » – je vous laisse méditer sur ce terme ! – vont naitre. D'abord aux États
Unis; sous l'influence du clergé et de quelques rares médecins, avec dès 1784 des Sociétés de
tempérance, puis en 1895 les Alcooliques Anonymes. Ensuite, en Suisse, avec la Croix Bleue en 1877,
qu’en France vont naitre : La Croix d'Or en 1910, Vie Libre en 1953, puis en 1960 les AA et enfin. en
1978, La Fédération Nationale des amis de la Santé pour ne citer que les principales. Elles ont été les
précurseurs des associations de malades, mais aussi, et surprenant, …. des mouvements féministes6.
Je ne résiste pas au plaisir de vous en montrer une illustration :
6
Nadeau Louise. Vivre avec l’alcool. Les consommations, les effets, les abus. Les Editions de l’homme. Québec.
1990.
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Quoiqu'il en soit, fort de leurs expériences douloureuses, et se sentant abandonnés ou n'intéressant
pas la médecine sauf dans leur approche souvent un peu « barbare » (j'évoquerai plus loin ces
traitement asilaires et aversifs), les malades commencent à s'organiser entre eux. L'objectif
thérapeutique issu de leur expérience impose dès lors le dogme de l’abstinence totale et définitive….
de gré ou de force.
Au concept d'ivrognerie succède donc celui d'alcoolisme dans un modèle encore peu médical mais
toujours très moral et coercitif dont les traces se retrouvent encore de nos jours dans des éléments de
langage comme : abstinence, aveu, volonté, buveur impénitent, cachettes…"
Nous en sommes encore à « l’alcoolique » pas encore à celui de « malade », même si les pathologies
alcooliques commencent à être reconnues.
C'est à cette période aussi qu'autour du mot alcoolisme s'installe un débat dont les traces se retrouvent
encore aujourd'hui. D'un côté rapproche Anglo-saxonne, psychiatrique, au détriment des
complications organiques, et de l'autre l'approche latine, notamment Française, pays très viticole, qui
met en avant une alcoolisation socio-professionnelle, d'habitude, à complications viscérales.
Enfin troisième période, du milieu du XXe siècle à nos jours.
Succédant à ce concept moral, c'est vers le milieu du XXe siècle qu'apparaît une nouvelle approche,
qu'apparaît l'alcoologie, « science au carrefour de la médecine, de Ia psychologie, de la psychiatrie et
de la sociologie » comme l'a défini Pierre Fouquet.
L'alcool reste l'agent pathogène, mais le buveur devient véritablement un « malade ». Cette ouverture
à la maladie, outre qu’elle participe à déculpabiliser l'alcoolique, permet d'envisager un traitement,
mais toujours sur la même base, un double objectif : le sevrage et l'abstinence, sans toutefois répondre
à la question : de quelle maladie souffre-t-il ? et qui doit le prendre en charge, sachant que le dogme
de base, l'abstinence totale et définitive, n'est pas encore remis en question.
C'est en 1973, que le concept d’« accompagnement global » apparaîtra. Ce qui me conduit à évoquer
maintenant la question du traitement des problématiques alcooliques .., jusqu'aux évolutions
récentes.
3. De l'abstinence pure et dure à la notion d'addiction, quels traitements ?
Trois approches se distinguent quand on étudie l'évolution du traitement des alcooliques, et qui vont
parfois se chevaucher.
Médico-psychiatrique d'abord.
Dès le milieu du XIXe siècle, dans la perspective morale, hygiéniste de l’époque, on cherche les moyens
de dégouter l’alcoolique de son poison mortifère, de le débarrasser de ses « funestes habitudes », de
sa « passion de boire », tout en tentant de prévenir le drame des complications de sevrage, notamment
le redoutable delirium tremens. C'est dans les pays Anglo-saxons, notamment les Etats-Unis et
l’Angleterre, mais aussi la Suisse et l’Allemagne, que se développeront des structures d’internement
prolongé de 6 à 12 mois : des « asiles pour alcooliques ». Pendant ces longs enfermements
s'associaient restauration physique par une alimentation correcte et des exercices musculaires,
traitement moral destiné à « régénérer » l'alcoolique et traitement « psychique », en réalité plutôt
moraliste et religieux.
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Il faudra attendre la fin du XIXe siècle, soit avec 1/2 siècle de retard sur les autres pays, pour qu’en
France, 1894, soit créé – et sera le seul -, à la Ville-Evrard, un asile pour « aliénés mentaux alcooliques »
donc dans un effroyable univers psychiatrique et selon les mêmes méthodes que les pays précurseurs.
Parallèlement, c'est à cette époque que les associations néphalistes ouvrent des lieux de consultation
hors psychiatrie prônant l’abstinence totale et définitive comme seule solution. On est loin encore
d'une idée de prévention qui permettrait un soin précoce, L'alcoolique devient bien un malade, mais
tout compte fait, il faut attendre qu'il soit bien malade et visiblement dépendant pour intervenir !
L’humanisme, même paré des « meilleures intentions du monde pour sauver des âmes en perdition »
n'est pas encore à l’ordre du jour.
Vont se succéder ainsi : les premières cures de dégoût. Imaginez l'apport d’aliments aromatisés à
l’huile empyreumatique – arome de brûlé, de fumé, de vieux cuir – et de liquides rendus nauséabonds
par de l’eau chaude, de l'eau de vie ou de l'Ipéca ..., puis le sevrage avec perfusion d'alcool à doses
dégressives suivi de thérapeutiques vomitives avec de la teinture de noix vomique, de l’émétine… et
j’en passe !
Une fois le sevrage obtenu, l’alcoolique est relâché dans la nature pour…. recommencer à boire,
donnant naissance alors au célèbre et fataliste « Qui a bu boira ».
Il est certain que cette approche a marqué la pensée collective et guidé le traitement des alcooliques
pourtant étiquetés « malades » en le réduisant à la suppression de l'alcool, quels qu'en soient les
moyens, en raison de ses effets toxiques, des complications de sevrage et de la dépendance, tout en
faisant de l’alcoolisme une conséquence du seul produit, et enfin, plus tard, en recherchant une
pathologie psychologique ou psychiatrique dont le traitement pourrait conduire à une disparition de
la problématique alcool.
Il faut attendre 1922 pour que soit créé, à Paris, dans le cadre de l’hôpital psychiatrique Ste Anne, un
premier service ouvert accueillant les alcooliques.
S'il doit être question de maladie, alors mettons ce terme au pluriel, parlons des maladies, des
pathologies organiques (dont le syndrome de sevrage) liées à l’abus prolongé d’alcool, ce que fera
Magnus Huss dès 1852 en parlant d'« alcoolisme », C'est toute la difficulté de ce mot qui peu à peu
devient synonyme de dépendance, créant une confusion sémantique.
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C’est cela qui explique pourquoi l’intervention est et reste encore tardive face aux complications de
l’alcoolisation chronique et à la dépendance évidente. Un récent travail sur l’histoire des
consommateurs montre bien le temps nécessaire pour passer du premier verre à l’acceptation de la
dépendance7:





Age de la première boisson : ----------------- 16 ans (14-18)
Age de la première. Ivresse : ----------------- 17 ans (15-20)
Age de la consommation régulière : -------- 25 ans (30-35)
Age de la perte de contrôle : ----------------- 35 ans (27-41)
Age de la prise de conscience: --------------- 37 ans (30 -45)
Médicamenteuse ensuite.
1948 : le premier traitement spécifique proposé pour permettre d'accéder à l'interdit définitif de boire
et maintenir l'abstinence, fut Je Disulfiram (commercialisé sous le nom d'Espéral®), un antabuse pris
per os ou sous forme d’implants.
Cette dernière technique, cohérente avec l’idéologie ambiante, renvoyait bien au supposé manque de
volonté de l’alcoolique. L’idée morale persiste et l'approche pavlovienne visant à dégoûter le buveur
de son mauvais objet perdure au travers des « cures de dissuasion » où se succèdent lors d’une
hospitalisation : sevrage, imprégnation au Disulfiram et enfin consommation forcée de vin destinée à
provoquer cette réaction antabuse censée dégouter le buveur de son poison.
En 1965, du Canada, Lainé et Champeau, ramènent la technique « la piqûre chauffante » - injection
rapide de sulfate de magnésium, procédé aujourd’hui abandonné. Le conditionnement pavlovien est
encore présent. Parallèlement, le concept de prise en charge psychothérapique se développe.
7
Présentation des résultats de l’étude Bacloville par le Pr Philippe Jaury, professeur de médecine générale à
l’université de Paris Descartes, addictologue, coordinateur de l’étude Bacloville.
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Puis apparaîtront :
en 1987 l'Acamprosate, en 1996 la Naltrexorie, deux produits destinés à maintenir l'abstinence chez
l'alcoolo-dépendant. D'autres suivront... mais aucun n'est véritablement un traitement de la
dépendance; si tant est que celle-ci soit une maladie ! et laquelle alors ?
Reste la question du Nalméfène, du Baclofène et, pour le tabac, de la cigarette électronique, entraînant
la nécessité de revisiter la question du traitement. Je vais y revenir.
Psycho-médico-sociale enfin avec la notion d'accompagnement global.
C’est vers le milieu du XXe siècle, 1955, à Saint Cloud, grâce notamment au Docteur Haas et des
mouvements d'anciens buveurs, qu'apparaît l'idée d'un traitement psychothérapique et la mise en
œuvre d’une psychothérapie de groupe.
Les notions de cure et de postcure se font jour ensuite, reposant sur 3 piliers : L’accueil du malade, la
psychothérapie, la recherche et le maintien de... l'abstinence. S'y associe la naissance d'un « mythe »
la trompeuse cure de désintoxication qui perdure encore tant dans le public que chez de nombreux
professionnels du soin, trompeuse quand elle réduit la guérison de l’alcoolique à un séjour plus ou
moins long en institution censé renforcer l’abstinence totale et définitive.
Enfin, peu à peu s'affine l'idée que la dépendance alcoolique, que l'addiction n’est pas le fait du
produit, mais qu’elle nait d’une rencontre tripartite, d’une interaction entre : un produit, un sujet et
son environnement.
Je vous ai dit; au début de cet exposé, que 3 grandes périodes se sont succédées, de durée de plus en
plus courtes. En fait une 4e période vient de débuter, un changement d’importance.
4. Naissance de la notion d’addiction
Jusqu’à ces dernières décennies, la conception du soin n’avait changé qu’une fois ; de l’ivrogne
abandonné depuis des siècles, sans soin spécifique, au malade alcoolique condamné, pour cause de
« faiblesse » constitutionnelle face au poison, à l'abstinence totale et définitive, et que la
psychothérapie devrait conduire à accepter « bon gré, mal gré » cet objectif.
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Le monde a changé. Les habitudes de boire et de fumer ont évolué.
D'autres produits sont apparus. L'approche des consommateurs se devait d'évoluer, de s’adapter
notamment aux évolutions sociologiques.
Une première remise en question est apparue, tout au moins partiellement, en 2001 lors de la
Conférence de Consensus de la Société Française d’Alcoologie8, et en accord avec les Associations
d’Aide aux Malades Alcooliques. A la notion d'« abstinence totale et définitive» s'est substituée celle
d'« abstinence durable », ouvrant la porte dès lors à d'autres possibles.
Qui dit abstinence durable implique qu’elle n’est en rien définitive, qu’elle peut permettre une
réflexion, la maturation d’un choix conscient du consommateur adapté à son addiction.
Ce concept n'est pas seulement une approche du soin mais un nouveau regard porté sur les addictions
en général et sur l'alcool et le tabac en particulier.
La seconde remise en question est encore plus récente. Le rapport sur la réduction des risques et des
dommages (RdRD) liés aux conduites addictives d’avril 20169 parle de « réduire les conséquences
néfastes [des substances licites (alcool, tabac)] tant au niveau de la santé qu'au niveau socioéconomique sans faire de l'arrêt de la consommation un préalable »
Autrement dit, toute proposition de réduction de la consommation, sans buter sur la question de la
dépendance, peut être envisagée dans un premier temps. Plus l’intervention est précoce, plus la
relation de confiance peut s’installer évitant ainsi le rejet d’une proposition d’abstinence inaudible.
Si la dépendance est comme l’énonçait Fouquet : « La perte de la liberté de s'abstenir d'alcool » - ce
mot d’abstention renvoyant à la pensée morale historique -, ou comme le disait Jean Maisondieu : « La
perte de la capacité de ne pas consommer », tous deux font référence à la question de la liberté, cœur
de l’origine latine du lot addiction. Je rappelle qu’addictus était un citoyen romain de plein droit,
perdant sa liberté pour devenir temporairement esclave pour cause de dette, et redevenant, sa dette
payée, un citoyen libre et de plein droit…. sous condition !
8
Modalités de l’accompagnement du sujet alcoolodépendant après un sevrage. Conférence de Consensus de la
SFA, 2001. Revue Alcoologie et Addictologie.
9
La réduction des risques et des dommages liés aux conduites addictives. Rapport d’orientation et
recommandations de la commission d’audition. Audition publique, 7 et 8 avril 2016. Paris
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Trois produits récents : le Nalméfène et le Baclofène pour l’addiction à l’alcool, et la cigarette
électronique pour les fumeurs sont venus bousculer nos « repères ? »
Ils semblent bien s’inscrire dans cette approche nouvelle non centrée sur le tout ou rien lié au produit,
mais, pour le sujet, dans un premier temps, sur la réduction des risques et des dommages afin de lui
permettre de tester « sa liberté » et en le rendant acteur de son soin, Or, tous les consommateurs
problématiques d’alcool ne sont pas forcément dépendants – ce qui est moins vrai pour le tabac -, et
sont susceptibles de revenir à une consommation « régulée ». De même, tous les consommateurs
dépendants ne sont pas forcément condamnés à vie à ne plus boire - ce qui peut se concevoir aussi
pour les fumeurs. Se pose néanmoins la question de la dépendance et de son diagnostic. Car, de prime
abord, et pour la grande majorité des consommateurs d’alcool, la dépendance est tout sauf évidente,
hormis les grands dépendants repérables au syndrome de sevrage. Enfin, ces concepts d’addiction et
de réduction des risques et des dommages posent la question de la responsabilité du malade dans son
adhésion au traitement. On le nomme « malade alcoolique ». On lui permet, par-là, de se distancier
d’ave la situation morale précédente en lui reconnaissant le statut de malade, de sujet souffrant. On
lui demande d’avoir de la volonté, de se prendre en main, de se « prendre en charge ». En un mot
d'être « maître de son destin ». Comment lui refuser alors d'être maître de son traitement – c’est une
des particularités du Baclofène –, d’en fixer l’objectif et les moyens d’y parvenir ? D’en évaluer luimême les effets ?
Mais un médicament, aussi efficace puisse-t-il être, peut-il suffire pour ce que le alcooliques nomment
une « maladie de l’âme »
S’il n’a pas à « être soigné » - être pris en charge -, s’il doit « se soigner » - être acteur de son soin –
permettons-lui d’exercer son choix et accompagnons-le vers son objectif même s’il ne nous satisfait
pas.
C’est en cela que l’addictologie est un humanisme quand elle permet à tout consommateur d’alcool,
de tabac, ou de tout autre produit ou comportement, d’exercer un choix, le sien.
Car l’homme n’est vraiment libre que s’il est-lui-même. Et pour cela, il doit apprendre à dire non aux
autres et à lui-même.
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