trois rembrandt pour une tulipe
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trois rembrandt pour une tulipe
les grandes crises financières 1/6 24.07 1973-1975 Choc pétrolier et bulbes de tulipe en Hollande. 07.08 1990 Début de la décennie effondrement de Bretton Woods ▼ perdue du Japon ▼ ▲ ▼ ▲ 17.07 1929 Krach boursier et début 31.07 1987 Krach boursier de la Grande Dépression Tulipomania. Au XVIIe siècle en Hollande, un bulbe de tulipe s’échange contre une maison ou des tableaux de maître. Le krach ruinera notables et petites gens. Jan Bruegel le Jeune (1601-1678) a représenté les marchands de tulipes sous l’apparence de singes. Mieux comprendre es crises financières surviennent dans les phases hautes des cycles économiques», relève Charles Kindleberger dans Histoire mondiale de la spéculation financière, son ouvrage de référence. Et pour cause: «Une crise financière marque l’apogée d’une phase de croissance et annonce un retournement de tendance.» Retournement d’autant plus violent que la spéculation a été intense dans la période d’euphorie. De crise en crise, le piège qui se referme sur les derniers à tenter de réaliser leurs Les moments clés ¬milieu du XVIe siÈcle Les premiers bulbes de tulipe – venant de Constantinople – sont importés aux Pays-Bas. ¬1623 Une variété rare − Semper Augustus − vaut 1000 florins. ¬Début 1637 La «tulipomania» bat son plein: des riches marchands aux rentiers plus modestes, nombreux sont ceux qui spéculent sur les hausses à venir des prix des bulbes. On s’endette pour acheter , et certaines transactions portent sur une portion de bulbe. Au sommet de la bulle, un Semper Augustus s’échange pour 5500 florins, soit 15 fois le salaire annuel d’un artisan. ¬Février 1637 Les cours s’effondrent en quelques jours. ¬1642 Un bulbe de tulipe ne vaut plus qu’un dixième de sa valeur d’avant le krach. phases successives: changement dans l’environnement économique, euphorie spéculative, début de prises de gains par les investisseurs les mieux informés, période de détresse financière pour les acteurs restés sur le marché lorsque les vendeurs sont durablement plus nombreux que les acheteurs – s’applique aussi bien à la spéculation sur les bulbes de tulipe du XVIIe siècle en Hollande qu’aux krachs boursiers plus récents. La spéculation, qui incite à acheter très cher parce qu’on espère vendre rapidement encore plus cher, est peut-être aussi vieille que les marchés. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, les crises financières ont de beaux jours devant elles. La tulipe promue bien de luxe. Venue de Constantinople, la tulipe arrive aux Pays-Bas à la fin du XVIe siècle. Cette simple fleur fera l’objet d’un tel engouement de la part des Hollandais qu’elle sera au cœur de l’une des premières folies spéculatives de l’histoire: la «tulipomania». Cette manie collective s’est développée de 1634 à Johnny Van Haeften ltd., London/the Bridgeman Art Library Nationsality «L plus-values ou – au moins – de récupérer leur mise initiale est le même: la liquidation se fait parfois dans le bon ordre, mais le plus souvent dégénère en panique, «quand on s’aperçoit qu’il n’y a pas suffisamment d’argent en circulation pour permettre à tous de réaliser les plus-values attendues». Une phase étrangement prémonitoire pour le déroulement de la crise boursière en cours, dite des subprimes. Prémonitoire, car la dernière mise à jour, pour sa quatrième édition, du livre de Kindleberger date de l’année 2000… Logique, le modèle d’analyse retenu – celui de Minsky qui recense quatre Indonésie, Malaisie, Corée, Russie, Brésil ironie. Folie spéculative Trois Rembrandt pour une tulipe Geneviève Brunet ▲ 14.08 1997-1998 Crise des pays émergents: Thaïlande, 1637, avec un pic d’euphorie à la fin de l’année 1636. La Hollande du XVIIe siècle est un pays riche, ayant su tirer profit du commerce international et développer sur son territoire des industries de transformation, telles que des chantiers navals, des raffineries de sucre, des savonneries et autres manufactures de tabac. Les intérieurs des bourgeois sont cossus et même les simples artisans jouissent d’un niveau de vie bien supérieur à celui de leurs homologues d’autres pays européens. Un environnement de prospérité générale propice au développement d’une «tocade» collective pour un bien de luxe d’un nouveau genre: la tulipe! Nobles et riches bourgeois se devaient d’embellir leurs jardins des corolles de diverses espèces de cette fleur. L’investissement sur la tulipe, ou plutôt le bulbe de tulipe, apL’Hebdo 10 juillet 2008 paraît alors comme un place- Les documents de l’époque garment sûr à de plus en plus de dent trace des acomptes que les gens, y compris parmi les plus acheteurs acceptaient de verser. modestes qui mettent eux Cité par Charles Kindleberger, aussi leurs biens en gage pour l’historien Simon Schama reacheter des bulbes. cense dans The Embarrasment Chaque ville a son marché spé- of Richs, des acomptes aussi cialisé. Les achats ont lieu variés que des parcelles de tertoute l’année pour livraison, à terme, de En quelques jours, bulbes arrivés à maturité. Une sorte d’em- la panique gagne et les bryon des marchés de prix sont divisés par dix. futures à venir se développe ainsi, où le paiement des acomptes, faute rain, une maison, des meubles, de crédit bancaire suffisant, se des récipients en argent ou en fait souvent en nature. La spé- or, des tableaux, un costume, un culation se fixe sur quelques coche et une paire de chevaux variétés rares de fleurs comme gris pommelés… Outre l’effet le Semper Augustus (lire l’enca- de la mode, la fièvre acheteuse dré «Moments clés»), avant de pourrait avoir été alimentée par s’étendre – au plus fort de la une maladie des tulipes, dotant bulle, en novembre, décembre chaque fleur d’une forme et de 1636 et janvier 1637 – à tous les couleurs propres. L’emballetypes de bulbe, même les plus ment du marché incite les procommuns. ducteurs à augmenter les quan10 juillet 2008 L’Hebdo tités proposées à la vente. D’où une pression à la baisse sur les prix. L’histoire n’a pas retenu le vrai signal déclencheur de la brutale diminution de la valeur des bulbes, à l’orée de 1637. Sans doute quelques riches possesseurs d’oignons de tulipe ontils réalisé qu’ils ne valaient décidément pas un à trois tableaux de Rembrandt chacun (lire l’encadré «Vécu»). En février 1637, la panique gagne en quelques jours et les prix sont rapidement divisés par dix. De nombreux notables sont ruinés. Le pays traverse alors ce qu’on appellerait aujourd’hui une récession. Les Hollandais n’en ont pas pour autant renoncé aux charmes de la tulipe: cette fleur, que plus personne n’aurait idée de considérer comme un bien de luxe, reste une de leurs principales exportations.√ Vécu Rembrandt a craqué Rembrandt Harmenszoon van Rijn – le célèbre peintre connu sous le nom de Rembrandt – avait 30 ans en 1636. Après avoir résisté quelque temps à la folie spéculative ambiante sur les bulbes de tulipe, il a – comme nombre de ses contemporains – engagé une partie de ses florins dans l’achat de bulbes. Il y perdit, comme beaucoup de personnages de l’époque, une partie de sa mise. Rembrandt a peut-être fini par craquer le jour où il a constaté qu’un simple bulbe de tulipe s’échangeait pour trois fois le prix d’un de ses tableaux... La «tulipomania» a inspiré plus d’un peintre de l’époque. Un tableau –appartenant au courant dit des «Vanités», peint pendant cette période du XVIIe siècle, mais qui n’est pas du pinceau de Rembrandt – montre ainsi un crâne à côté d’une superbe tulipe. Le crâne rappelant à celui qui le regarde qu’il est mortel et la tulipe – à l’instar d’autres symboles plus usités aujourd’hui – qu’on n’emporte dans la tombe ni la fortune ni les beautés de ce monde.√ Mieux comprendre 10.07 1634-1637 Spéculation sur les Reuters Hypothèques pourries, envol du prix des matières premières, effondrement des bourses, la crise financière que nous traversons est terrible. Mais elle n’est ni unique ni même rare dans l’histoire de la finance. Tout au long de l’été, L’Hebdo décode les mécanismes de ces moments de folie collective. finance∑63