LE TRAITE DES CINQ ROUES
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LE TRAITE DES CINQ ROUES
LE TRAITE DES CINQ ROUES MIYAMOTO MUSACHI Ma jeunesse fut partagée entre entraînement d’aïkido et découverte de la vie. Je flottais dans le bonheur d’être sur les tatamis et me réjouissais des projets de partir au Japon. Les cours de sabre deux fois par semaine le mardi et le jeudi à 6h00 du matin me forgeaient le cœur et l’esprit sur le chemin de la Voie. Je ne comprenais cette dernière que très partiellement car, être jeune est synonyme aussi d’une certaine désinvolture. Un jour pourtant j’eus entre les mains un ouvrage qui me bouleversa. Je ne saisissais pas le contenu mais je fus touché au cœur par la flèche du BUSHIDO (le code du guerrier). Trente ans plus tard je le reprends et m’émerveille devant tant d’efficacité dans les mots pour faire passer un seul message : suivre la voie. Ce fascicule s’intitule le traité des cinq roues de Miyamoto Musachi aux éditions Albin Michel. Qui était Musachi ? Un samouraï du 16ème siècle qui toute sa vie durant ne perdit aucun combat et mourut de vieillesse. Parcourant son pays de long en large afin de découvrir l’essence de la voie, il livre dans le traité des cinq roues le secret d’une stratégie victorieuse qui transcende la violence et devient un art d’agir et de vivre. Attachons-nous dès à présent à comprendre le titre. Pourquoi cinq roues ? Musachi développe dans l’ordre : la terre, l’eau, le feu, le vent, et…le vide ! Là où notre esprit éduqué à citer le métal comme cinquième roue, se trouve d’un coup projeté dans une incompréhension. Le doute s’immisce et nos certitudes fondent comme neige au soleil. Deux attitudes alors pointent le bout de leur nez. La première qui consiste à dire que l’auteur de ce livre n’a rien compris et ne connaît pas les cinq éléments. La seconde qui, après un court moment de déstabilisation, rentre dans la voie de la connaissance en ayant cassé ses préjugés. Libre est l’homme de son chemin. Il est évident que Musachi eût en sa possession le ‘traité du vide parfait’ du philosophe Lie Tseu. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces notions du vide en son temps. Pour l’heure nous commençons le traité des cinq roues par la Terre. LA TERRE La première roue prend le titre de terre car elle fait référence au sillon droit creusé dans un champ. La voie est, par analogie, droite et symbolise une valeur morale : le Devoir. La droiture est donc le Devoir et la profondeur ou la superficialité du sillon est l’implication que l’on met dans l’étude de la voie. La voie, ici, prend le sens de tactique. Pour bien faire comprendre cette notion de tactique, Musashi fait un parallèle avec le maître charpentier. Celui-ci sait quel bois choisir entre le bois des salles de réceptions (rigide et dense) et celui des échafaudages (souple et creux). Il connaît les défauts et qualités de ses ouvriers. Il ne perd pas de vue l’idée générale et sait où commence l’impossible. La tactique est cet art qui permet la confrontation directe à l’autre. Dans l’exemple classique de la guerre, la stratégie cède la place à la tactique lorsque deux forces opposées se trouvent en contact. Musashi nous explique en quelques mots l’art de la tactique. Connaître contre qui ou avec qui on se bat. Connaître ses qualités utiles à la victoire et ses défauts utiles à la défaite. Ne pas perdre de vue le but fixé et surtout connaître sa valeur intrinsèque afin de ne pas entreprendre un combat perdu d’avance. Nous voyons que cela s’applique à toute relation humaine que cela soit le pouvoir, la communication, les coalitions. Le charpentier ne doit jamais perdre de vue les principes suivants : Précision dans l’exécution, concordance de toutes les parties de l’ouvrage, utilisation parfaite de ses outils, refus du tape-à-l’œil, prévision des déprédations possibles. Ici, Musashi développe très logiquement la stratégie. On doit entendre dans la précision de l’exécution la notion d’obéissance. La concordance signifie que chacun doit être à sa place. L’utilisation parfaite de ses outils est à entendre comme suit : le chef, le stratège doit utiliser tout son savoir, s’engager en totalité sans retenue pour le but qu’il s’est assigné ou ce pour quoi on l’a promu. Le tape-à-l’œil est une énergie perdue car elle ne sert pas la victoire. La prévision des déprédations est importante. C’est évaluer très justement quel sera le coût de l’action entreprise. C’est une redite de la tactique où il y a nécessité de connaître où commence l’impossible. Si l’on réfléchit bien sur ces principes énoncés, on se rend vite compte que cela s’applique aussi bien au sabre qu’aux arts martiaux, à tout ce qui concerne la recherche du Do (Tao, Dao) à tout groupe humain qui se forme. L’analogie avec le charpentier doit nous interpeller. Le charpentier, en latin, se dit materiarius. Ce mot nous a donné bien évidemment la matière et le matériel. La matière première qui accompagne les hommes depuis leur apparition sur terre, est le bois. Toute action humaine trouvera son analogie dans la sculpture sur bois. Avant de s’attaquer au travail de la matière, il faut prévoir ce que nous souhaitons sculpter. Est-ce à notre portée ? Quel morceau d’arbre prendre (taille et qualité) ? Combien de temps allons-nous y passer ? Et si cela s’avère un échec, quelles conséquences cela aura t’il ? Tout cela s’appelle la stratégie. Puis vient la tactique : Utiliser les bons outils appropriés à la qualité du bois. Savoir changer d’outil en fonction de ce que l’on souhaite réaliser. Ne pas perdre de vue le travail d’ensemble et ne pas s’attarder dans les détails trompe-l’œil qui n’apportent rien de plus à l’œuvre. Pour conclure cette première roue, le Devoir tel que le conçoit Musashi se réalise au travers de la connaissance de la stratégie et de la tactique. C’est évaluer toute action par la réflexion. C’est penser avant d’agir. LE VENT Pourquoi avoir intitulé ce chapitre le vent ? Ici Musashi compare en 9 points l’enseignement de son école et celui d’autres dojo. Le vent est insaisissable et s’infiltre partout. C’est pour cela que ce chapitre se nomme le vent. Il n’y a pas dans l’enseignement de Musashi, de dogme ou de lois rigides. Il n’y a qu’un but. C’est toute la richesse de son message. Agir avec un seul but à l’esprit. Nous sommes dans l’éternel présent. La difficulté de certains dans la société d’aujourd’hui est bien cette incapacité à déterminer la priorité, le but. Tout se mélange dans la tête et l’homme se charge de multiples tâches qui l’envahissent et l’étouffent. Ecoutons les conseils de Myamoto et appliquons les dans notre vie. C’est accéder à sa liberté. 1) Les sabres à grande dimension Un centimètre de longueur en plus, la main est déjà plus efficace. Je considère ce proverbe comme une insulte à la tactique. La tactique englobe le tout. Le sabre grand limite l’action au combat à distance. Qu’arrive t’il dans le combat rapproché ? Nous touchons dans cette première parabole à l’essence même de notre travail quotidien. Chaque jour nous apprenons et pensons savoir. Mais sommes-nous sûrs d’élargir notre connaissance ? Ce que nous croyons apprendre ne vient, peut-être, qu’alimenter nos préjugés. 2) Le sabre fort Lorsque l’on veut gagner un combat en pourfendant l’adversaire, on ne songe pas à le faire fortement ou faiblement. On ne songe uniquement qu’à pourfendre. L’esprit est espiègle. Nous agissons souvent en nous trompant sur le but à atteindre. Cela est tellement difficile à comprendre pour l’esprit ! Prenons un exemple : Je distribue 5 cartes pour un poker et nous jouons à la belote. Impossible n’est-ce pas ? Autre exemple : je décide de demander une augmentation à mon patron. Je vais m’habiller d’une certaine façon et remâcher mon discours afin de plaire dans ce que je suis et dans ce que je dis. Le but n’est plus le même ! Vous pensez sûrement que le but est d’avoir l’augmentation et que tous les outils argumentaires sont bons. Pourtant, non ! Si l’augmentation est méritée, il n’y a pas besoin de dévier le but car l’esprit et le corps sont associés dans le même objectif ! 3) Le sabre court Si, dans le monde en général, les gens ne se préoccupent que de parer les coups, de les éviter, d’y échapper, ils seront toujours victimes de ces habitudes et toujours tiraillés par autrui. La voie de la tactique est droite et juste. Il est donc essentiel de pourchasser les adversaires et de les dominer. Musashi n’y va pas par quatre chemins. Le côté victimisation est une calamité pour l’homme qui cherche sa liberté. Notre société nous invite à réfléchir sur les mots comme culpabilité, empathie, l’autre etc. Le traité des 5 roues est plus direct et sans faux-semblants. Celui qui prend des coups et se plaint, continuera à prendre des coups. Chaque homme doit défendre ce qu’il est dans les limites imposées par le respect d’autrui. Mais si ce dernier ne respecte pas ce code moral, alors il devient un adversaire qu’il me faut combattre. 4) Les techniques variées Certaines écoles enseignent des techniques variées. C’est la commercialisation de la technique. Dans la tactique de notre école, il faut garder le corps et l’esprit droits, mais faire biaiser et dévier l’adversaire. Puis il est important de remporter la victoire en découvrant quand l’esprit de l’adversaire biaise ou dévie. Il faut d’abord penser à se rectifier soi. Il nous faut constamment être droit dans notre esprit comme notre corps. La vigilance est fondamentale. C’est, par notre attitude que l’autre est obliger de se révéler. Et lorsqu’il le fait, lui-même n’est plus droit. Il est facile de remporter la victoire. 5) La garde dans le sabre. En toutes choses, garde signifie immobilité. Dans le langage courant, le mot garder signifie que l’on demeure fortement immobile malgré l’attaque de l’ennemi. Dans la voie de la tactique, de la victoire ou de la perte, tout revient à essayer de prendre l’initiative. Il faut rejeter la pensée après coup qui existe dans la garde. Notre école recommande d’être sur ses gardes mais sans garde. Magnifique définition de l’attitude vigilante et toujours prête au combat. Ne laissez pas les choses vous échapper par un comportement attentiste. Ce qui est, l’est par vous. Aidez-vous et le ciel vous aidera ! 6) Les yeux fixés Certaines écoles préconisent de fixer, soit les yeux de l’adversaire, soit son sabre. Dans la voie de la tactique, si l’on parvient à saisir la balourdise ou la finesse d’un esprit, alors on parvient à tout voir, Eloignement, rapprochement d’un sabre ou bien lenteur ou rapidité. Les yeux fixés dans la tactique sont des yeux fixés sur la pesée. Il faut voir sans regarder. Nos yeux nous trahissent. Ils nous font voir ce que nous voulons voir ! Peu importe le point à fixer. Ce qui compte c’est de voir avec d’autres sens. C’est de ressentir, d’avoir cette capacité à saisir les tensions, les pressions qui existent au contact d’une autre personne. C’est cela voir réellement. 7) La façon de tenir ses pieds. Certaines écoles appellent les différentes façons de tenir ses pieds : pieds flottants ; pieds bondissants ; pieds de corbeaux. Dans notre enseignement, les mouvements des pieds n’ont rien de différent des mouvements ordinaires. Ils sont comme la marche sur le chemin. Selon le rythme de l’adversaire, les pieds doivent correspondre aux mouvements du corps. Ni trop peu, ni trop. Le pied est un grand révélateur de qui nous sommes. N’oublions pas Héra baignant Achille qui aura sa faiblesse au talon ! Le pied nous trahit. Un pied vif dans un esprit vif. Un pied mou dans un esprit mou ! Regarder la position, l’attitude d’un pied, c’est connaître la position, l’attitude de l’esprit. 8) Préférence pour la rapidité La préférence pour la rapidité dans la tactique, n’est pas la voie. En toutes choses, tant que l’on n'est pas en harmonie avec les rythmes, on tergiverse sur rapidité et lenteur. Ceux qui vont trop vite tombent. Imaginons un débutant en chant et un chanteur confirmé qui s’unissent pour fredonner un air assez lent. Le premier sera inquiet car dans l’attente d’être exactement en même temps que la musique. Le second est en paix car il maîtrise et il donne l’impression de facilité. En fait, être dans le rythme donne l’impression de facilité mais doit nous faire penser immédiatement à tout le travail qu’il y a eu pour arriver à cet état de paix. 9) Profondeur ou superficialité Au sujet de la tactique, que pourrait-on qualifier de profond ? Que pourrait-on qualifier de superficiel ? Dans la tactique de notre école, les principes enseignés sont les suivants : A ceux qui apprennent pour la première fois nous leur enseignons des techniques qui sont à leur portée, et en premier les principes qu’ils peuvent comprendre vite. Puis nous découvrons le moment où leur esprit s’ouvre et ils atteignent ce qui n’était pas à leur portée à l’origine. Le 9ème point soulève la difficulté de l’enseignement. Notre monde qui va si vite oublie ce principe fondamental : il ne sert à rien de tout donner. Chaque chose en son temps. Savoir faire confiance à son professeur qui sait par quoi il faut passer. Entre apprendre et posséder, il faut du temps. C’est cela qui rend le travail de l’apprentissage si dur et en même temps si véridique. LE FEU Dans ce chapitre, Musashi nous donne tous les moyens tactiques de remporter la victoire. Il est fort intéressant de noter qu’à l’instar des 13 articles de Sun Tse, nous pouvons avec avantage ‘coller’ tous les conseils donnés sur l’attitude face à l’autre dans nos rapports parfois conflictuels. Peut-être aussi, et je vous en laisse seul juge, dans nos rapports tout simplement humains. La topographie des lieux : Le choix de la configuration du lieu de combat est important. Il faut choisir un emplacement où on aura le soleil dans le dos. Si les circonstances ne le permettent pas, tâchez de l’avoir sur la droite. Il est difficile d’expliquer cela en peu de mots. On comprend bien le soleil dans le dos afin d’éblouir l’adversaire, mais il n’y a pas que cela. Le dos est comme une armature qui tient droit le corps. Cette armature à besoin de la chaleur du soleil afin de se sentir forte. Observez les personnes qui ont le soleil dans le dos au cours d’un repas et celles qui l’ont sur le ventre ou la poitrine. Ces dernières ont une tendance à la somnolence ! De même, le haut à droite est un point faible de l’organisme. L’homme est composé d’un axe fort qui passe par le bas à droite et la haut à gauche. A l’opposé, son axe faible passe par le bas à gauche et le haut à droite. C’est l’œil droit est celui qui voit le « moins » vite. Pour améliorer cette déficience, il vaut mieux avoir la lumière sur son côté droit. Evitez d’avoir une impasse derrière vous et ayez un espace plus vaste sur le côté gauche. Au-delà de la vision simpliste de dire que pour dégainer un sabre il faut plus d’espace à gauche (c’est même une erreur de le penser car l’école de Musashi est une école des deux sabres), nous allons retrouver les mêmes considérations citées au-dessus. Le côté gauche et derrière sont Yang et ont « besoin » de sentir un espace. Testez vous-même cette sensation au travers du petit exercice suivant : Positionnez-vous debout dans un coin, un mur à votre droite et l’autre devant le ventre. Puis ensuite changez de coin et tenez-vous le mur à votre gauche et l’autre pan dans le dos. Les deux façons de prendre l’initiative : 1) Initiative de provocation. Attaquez extérieurement fort et rapidement mais votre esprit doit rester calme et lent. Avoir la force de la tempête mais le calme de l’étang amène la victoire, car cet antagonisme apparent crée chez l’adversaire une surprise et donc son équilibre mental (voir ci-après). 2) Initiative d’attente. Lorsque votre adversaire passe à l’assaut, demeurez indifférent et semblez faible. S’il se rapproche encore, reculez fort en bondissant en arrière. Quand votre adversaire change de rythme et ralentit, alors attaquez avec engagement. Toute action est difficile à mettre en mouvement et demande de la part de celui qui en est l’acteur, une vigilance accrue. Celle-ci s’émousse si la difficulté rencontrée est faible. C’est par une attitude couarde que l’on trompe l’ennemi. Celui-ci se relâche et laisse alors la porte ouverte à votre riposte. Presser l’oreiller de l’adversaire. Cela signifie l’empêcher de relever la tête. Il faut savoir déceler le petit bourgeon qui germe dans sa tête avant qu’il ne passe à son exécution. S’il s’apprête à porter un « coup », alors pressez la lettre C (du mot coup). S’il veut passer à « l’assaut » alors pressez la lettre A. Il n’y a pas à rajouter d’explications, car tout est dit ! C’est le summum de l’art guerrier. Maître Ueshiba appelait cela le « sen no sen », qui peut se traduire par : initiative sur initiative ! Savoir faire effondrer : En toute chose il y a effondrement. La maison s’effondre, le corps s’effondre et un adversaire s’effondre. Le moment venu, le rythme change et ainsi se produit l’effondrement. Saisir le rythme de son adversaire c’est saisir sa respiration, son débit de parole, ses gestes. Quand ceux-ci changent, alors vous pouvez sur une simple attaque le faire s’effondrer. Devenez votre adversaire : Celui qui est encerclé est comme le faisan et ceux qui donnent l’assaut sont comme les faucons. Dans un combat, dans une joute verbale, dans n’importe quel conflit relationnel, chaque partie soupèse l’autre. Ce qu’il faut avoir comme force, c’est de s’extraire un moment de cette querelle et de se dire : qui est le faisan qui est le faucon ? Vous ne devez pas être faisan ! Il ne faut pas que l’idée germe dans votre esprit une seule seconde. Séparer les quatre mains : Lorsque votre adversaire et vous-même avez les mêmes idées, abandonnez vite votre intention première. Enlevez la victoire par quelque autre moyen efficace. Cela paraît évident, pourtant c’est peu utilisé. Imaginons la scène suivante : conseil d’administration. Vous vous trouvez dans un débat animé et passionné avec votre directeur. Chacun des deux donne son point de vue et les arguments sont équivalents ce qui fait que personne ne peut vaincre. Alors prenez votre verre d’eau, par exemple, et bien « maladroitement » faites-le tomber. Ne perdez pas pour autant votre idée première qui est de vaincre. Cette diversion vous donnera sûrement la victoire ! La transmission : Chaque chose obéit à la transmission, que cela soit un bâillement, ou bien le sommeil. Chaque chose se communique. Méditez bien là-dessus. C’est encore un outil merveilleux du point de vue de la communication que Musashi nous donne là. Nous avons la possibilité de communiquer un certain état à une personne ou à plusieurs. L’hypnose n’a rien inventé ! C’est en cela qu’il est important d’avoir, par exemple, un corps mou et dolent avec un esprit rapide et alerte. Tout combat est un jeu (parfois dangereux) et le maître des jeux est le poker. Tout n’est qu’apparence. Le monde du magicien est le plus redoutable car il crée des illusions dans lesquelles nous pouvons facilement nous égarer. Faire perdre l’équilibre mental : On peut trouver en toute chose ce manque d’équilibre. L’équilibre mental se perd facilement en cas de surprise, de danger, de difficultés. Méditez bien là-dessus. Surprendre pour gagner une victoire ne tient qu’à une surprise qui implique nécessairement un changement de rythme. Observons un flot de voitures s’écouler tranquillement même à grande vitesse. L’accident arrive quand l’une de ces voitures ne « rentre » plus dans le rythme et surprend l’ensemble des véhicules. C’est un exemple qu’il faut élargir à l’ensemble de ce que vous observez. Passer de la montagne à la mer : Cela signifie qu’il est mauvais de répéter les mêmes chose au cours d’un combat. Répéter deux fois la même chose est encore acceptable, mais jamais trois ! Vous avez certainement déjà été confronté à un débat entre deux personnes. Vous pouvez être spectateur ou bien acteur. Vous avez, sans doute, remarqué que chaque partie dispute âprement sa position et que, très souvent, nous répétons inlassablement le même argument. C’est en cela que nous commettons une erreur. Il faut changer totalement le contenu de nos paroles afin que notre idée soit entendue. Difficile à faire et pourtant indispensable si nous souhaitons communiquer. Tête de rat et tête de bovin : Quand votre combat s’enlise, s’éternise, ayez toujours à l’esprit ce proverbe « tête de rat, tête de bovin » et remplacez vos idées petites par des grandes comme si elles passaient d’une tête de rat à celle d’un bovin. Passer du rat au bovin, c’est passer du rapide au fort, du vif au lent, du yang au yin. C’est surprendre l’adversaire car il lutte contre l’inconstant et le « sans forme » ! Il faut s’entraîner à cela régulièrement en pensant comme un rat ou comme un bovin. Vous êtes devant une difficulté ; première question : quelle attitude aurait une personne rusée et rapide (le rat) ? Si cela vous convient alors soyez ce rat. Si cela vous dérange alors soyez le bovin. Cette possibilité merveilleuse de changer d’attitude est l’apanage des hommes en quête de leur liberté. L’EAU Nous allons aborder un chapitre fort intéressant et instructif car il s’agit de la position du corps et de l’esprit dans la pratique du sabre. Nous ne devons pas oublier que la pratique du sabre est la partie d’un ensemble nommé la Voie ; cette dernière est tout simplement l’attitude que l’on doit avoir dans la Vie. La vie est une suite de petits moments infimes et d’espaces différents qui demandent à celui qui les subit, d’être dans une disponibilité du corps et de l’esprit. Cette aptitude à l’adaptation permet au cheminant d’accepter les aléas de l’existence comme de véritables leçons de droiture et de morale. 1) Position de l’esprit. Conservez un esprit vaste, droit, sans trop de tension ni de relâchement, évitez qu’il soit unilatéral. Il n’y a pas besoin, ici, de définir les mots. Nous devons réfléchir sur l’essence de l’idée et en obtenir sa propre réflexion et expérience. Notre devoir est de travailler ceci régulièrement, autrement dit d’avoir conscience de l’ouverture de son esprit et de sa droiture. Même si le corps est en position tranquille, l’esprit ne doit pas demeurer tranquille. Même si le corps agit très rapidement, l’esprit, quant à lui, ne doit pas du tout agir rapidement. Prêtez attention à l’esprit mais ne prêtez pas attention au corps. Tous ceux qui possèdent un corps petit doivent avoir en esprit tout ce qui se passe dans un corps grand et inversement. Musashi se détache radicalement de la pensée du 20ème siècle. Aujourd’hui nous parlons aisément de l’association corps esprit. Nous tentons d’harmoniser, d’ajuster le rythme corps esprit. N’est-ce pas là une erreur ? Le taoïsme qui n’est autre que la voie de la nature nous enseigne justement la dualité des choses. L’équilibre est la mort. En identifiant le corps, matière au Yin et l’esprit, énergie au Yang, c’est par l’alternance des deux que l’homme se trouve être dans la vie. Se connaître devient une véritable entreprise d’élévation spirituelle. Si notre corps est lent nous devons cultiver un esprit vif. Si notre corps est rapide nous devons tranquilliser notre esprit. 2) Position du corps. La tête ne doit pas être inclinée ni rejetée en arrière. Les yeux ne doivent pas errer de-ci delà. Eviter le mouvement des pupilles et le battement des paupières. Il faut savoir regarder de côté sans bouger les pupilles. La nuque doit être droite et il faut y concentrer sa force. Le ventre doit être tiré pour ne pas courber les reins. Nous avons là les clés afin de parvenir à un corps martial et à un esprit serein. Attardons-nous un instant dessus car celui qui travaille régulièrement ces exercices se redresse dans son corps et augmente l’agilité de son esprit. D’abord le corps : Toujours avoir la nuque droite. Faites l’expérience par vous-même. Etirer la nuque allonge la colonne vertébrale, ouvre les épaules et augmente la lumière de votre larynx. Le souffle circule alors plus librement. En fait nous faisons une petite erreur éducative lorsque nous disons aux enfants de se tenir droit. Il s’agit au contraire d’insister sur la droiture de la nuque ce qui entraîne immédiatement une attitude verticale et non courbée. Au début, vous pouvez ressentir des douleurs naissantes dans les omoplates ou dans le dos. Relâchez quelques temps la nuque et de nouveau tendez là. Un travail régulier permettra d’avoir un bon placement de nuque sans plus y penser. Avoir la nuque droite, c’est être un homme libre car nul ne peut y mettre de licou. Autre lieu stratégique dans la position du corps : Les reins. Ceux-ci ne doivent pas être courbés. Pour cela nous devons tirer le ventre, c’est à dire ne pas le laisser s’effondrer en avant. La nuque et les reins sont des endroits stratégiques dans les arts martiaux mais aussi dans les relations humaines. Que dire d’une personne à la nuque raide et au ventre tombant ? Où est sa force ? En haut et certainement pas en bas. C’est un triangle avec la pointe en bas donc très instable. Et celui qui possède des reins solides et non courbés et une nuque molle ? Les reins représentent le corps et la nuque l’esprit. Dans ces conditions, nous sommes en présence d’une personne physiquement stable mais dont l’esprit est mou et non discipliné. Musashi nous invite ensuite à travailler sur les yeux. Ne pas les avoir trop mobiles. Ciller le moins possible et avoir un regard qui ‘voit’ sur les côtés sans bouger les pupilles. Les yeux représentent la force du cœur. Il est difficile de décrire en un seul mot l’idéogramme Chen. Celui qui me semble le plus propice est : INTENTION. L’exercice des yeux renforce la capacité à mettre toute sa volonté dans l’action. Nulle économie une fois décidé le but. Pour cela vous pouvez aussi rapidement éprouver cet exercice. Fixez devant vous une image accrochée sur un mur. Sans la quitter des yeux et sans bouger ceux-ci, regardez ce qu’il y a sur les côtes. D’abord un côté puis ensuite l’autre et enfin les deux. En faisant cela vous vous rendez compte que l’image devant vous devient floue voire inexistante ! Le but de cet exercice est de continuer à distinguer pleinement l’image et en même temps de voir clairement sur les côtés. L’esprit dans ce cas, traite une multitude d’informations et augmente sa capacité d’action. En conclusion, nous avons eu la terre qui nous expliquait la voie par le biais d’une analogie avec le charpentier. L’eau nous donne la méthode pour discipliner son corps afin d’aborder sereinement les rivages de la technique pure. Je me souviens d’un cours avec Maître Yamagushi qui me dit : « apprends à être droit car c’est le but des arts martiaux. Il n’est pas question de savoir se battre. Ici il y a d’excellents techniciens que le moindre petit virus fait tomber ! » Quand on y réfléchit, un virus n’est pas autre chose qu’une attaque au sabre. Savoir la (le) parer c’est se rectifier avant tout dans son corps et son esprit. Musashi nous a livré un trésor. A nous de nous y entraîner ou non en toute liberté. LE VIDE Nous voilà arrivés au dernier chapitre du traité des 5 roues. Et là où nous nous attendions à y lire le Métal en tant que 5ème élément de la suite Eau, Vent, Feu, Terre et Métal, nous trouvons le Vide ! Avant de rentrer dans le texte, cette substitution du Métal pour le Vide doit nous interpeller. Y a t’il paradoxe, antinomie entre ces deux mots ? Pour répondre clairement il nous faut décrire brièvement ce que représente le Métal dans la pensée orientale. - Il engendre deux organes issus du même tissu embryologique : le poumon et les intestins. Ceux-ci sont des organes de « surface » qui augmentent la capacité du corps à prendre les matériaux nécessaires (l’air pour les poumons par le nez, les aliments pour les intestins par la bouche) afin d’être au maximum de ses potentialités. Si ces deux organes fonctionnent correctement, alors l’être humain peut trancher en toute circonstance. Mais quand on dit surface il faut aussi entendre réceptacle de lumière. Plus j’ai de surface plus je reçois d’information. Ce que je reçois ou ressens c’est celui ou celle en face de moi. L’autre est capté, aspiré par ma peau, mon nez (je le sens bien, je l’ai dans le nez) et avalé par mes intestins, ma bouche (il a une dent contre moi, il m’en bouche un coin). Nous pouvons lier ce paragraphe à celui de l’élément Feu. - Il conditionne un état d’être : fondre et changer de forme. Il faut entendre que le Métal peut, comme la terre du potier, prendre de multiples formes mais terre elle est, terre elle restera. De même le Métal peut changer de forme mais Métal il est Métal il restera. Ainsi le Métal représente une voie droite qui peut se parcourir sous différents états, mais cette voie est toujours suivie ce qui évite bien des égarements. Cette partie est à relier sans aucun doute au chapitre sur la Terre. - Il est la mise en mouvement des Yang. Cela signifie que les poumons et intestins sont en contact avec ce que les orientaux appellent le « mystère », la clé de nos origines. Il serait trop long de développer cette partie du Métal, mais une petite indication permettra d’entrevoir le rôle fondamental de ces deux organes : le poumon capte l’énergie de l’air qui vient du Ciel. Les intestins reçoivent les énergies alimentaires (aliment Terre) qui viennent de la Terre. Entre les deux il y a l’homme. Le développement embryonnaire d’un être passe par une première étape : la formation de l’intestin primitif ! Puis survient la deuxième étape : la différenciation en trois tissus. Le tissu ectodermique (le Ciel) qui crée les organes des sens, tout ce qui est relationnel au monde extérieur. Le tissu endodermique (la Terre) qui constitue les organes internes et enfin le tissu mésodermique (l’homme) qui reçoit la fonction de tout ce qui est mouvement (squelette, muscle etc.) !! Une des réponses possibles à la question du pourquoi de notre existence serait : « Mettre en mouvement notre lumière intérieure ». Ce paragraphe est à relier au chapitre Vent. - Il est le gardien d’une entité complexe appelée en psychologie : l’instinct de survie. Mais qu’est-ce que l’instinct de survie, sinon la peur de quitter un monde pour un ailleurs hypothétique ? Que travaille le samouraï, sinon l’aptitude au sacrifice ? Dans le mot sacrifice il y a certes la notion de sacré mais aussi celle du latin secare qui signifie couper et qui nous donne le sexe et la sexualité ! Cette petite mort vécue dans la sexualité, nous habitue au grand passage, à la néantisation. Cette partie là se relie au chapitre Eau - Il est le maître des souffles, c’est à dire qu’il capte les informations contenues dans l’air respiré et en conditionne une conduite à tenir. Exemple : il fait froid, alors l’air respiré est froid et cette qualité engrangée dans le corps engendre une action ; celle de se couvrir. Par ses mouvements d’aspiration et d’expiration, le poumon engendre l’action dans la vie. A la naissance nous prenons notre première aspiration ; à la mort nous donnons notre dernier souffle. Entre prendre et donner, entre aspirer et expirer il n’y a que le vide médian. Cette dernière partie se lie au chapitre vide du traité des 5 roues. Maintenant que nous avons expliqué la vision du Métal, voyons ce que nous dit Musashi à propos du Vide. On entend par « vide » l’anéantissement de toute chose et le domaine de l’inconnu. Naturellement le vide est néant. Par la connaissance des êtres, on connaît le néant, c’est là le vide. En général, l’idée que l’on a sur le vide est fausse. Lorsqu’on ne comprend pas quelque chose on le considère comme vide de sens pour soi, mais ce n’est pas un vrai vide. Cette petite introduction de Musashi est à rapprocher du paragraphe 1 afin de bien comprendre cette notion : par la connaissance des êtres, on connaît le néant. Quant à la dernière phrase, lorsqu’on ne comprend pas quelque chose on le considère comme vide de sens pour soi, elle mérite une explication. Appréhender intellectuellement le vide c’est comprendre que celui-ci représente l’Unité. Tout est un. Tout est manifestation différente d’une seule unité. Entre le livre que vous tenez et vous il n’y a aucune différence ! Si je dis que quelque chose n’a pas de sens pour moi, alors je m’exclue de la totalité puisque je dis pour moi ! Je suis comme tout ce qui m’entoure ni plus ni moins. Le vrai vide s’approche quand je ne suis plus dans la volation spinoziste et le désir d’existence. Dans la voie de la tactique, si les samouraïs ne connaissent pas leur Loi pour suivre leur voie, ils ne sont pas vides. Ils appellent vide ce qui est du domaine de l’impasse sous l’effet d’égarements successifs, mais ce n’est pas le vrai vide. Cette partie se lit parallèlement au deuxième paragraphe intitulé Terre. Musashi met l’accent sur la Loi. Mais de qu’elle loi parle t’il ? Non pas celle des hommes mais bien celle de la Nature. Obéir à la nature c’est être éternel. Nul autre chemin ne conduit à plus de sérénité. Tous les hommes doués de conscience devraient entendre et comprendre ce précepte. L’homme ne doit jamais se relâcher à aucun moment. Polir ces deux vertus : sagesse et volonté et aiguiser ces deux fonctions : voir et regarder. Ainsi il n’aura aucun ombre. Alors les nuages se dissiperont. C’est là le vrai vide. Vous l’aurez compris, ce troisième paragraphe se met en relation avec celui traitant du vent. Sagesse et volonté force l’impétrant à suivre la voie. Certes celle-ci peut parfois sembler longue mais il ne faut pas s’en écarter car quelque soit le chemin emprunté il conduit toujours au sommet de la montagne. Voir et regarder invite tout homme à tourner ses yeux vers l’intérieur. Car c’est dans les profondeurs de son corps que l’âme se découvre. Un petit aparté. Les transes mettent la personne dans un état où les yeux se retournent. On dit qu’il communique alors avec les fantômes. L’acupuncture indique le logis des fantômes : dans les intestins !! Tant que l’on ne connaît pas la voie véritable, chacun croit avancer sur le bon chemin sans s’appuyer sur les lois du ciel et de la terre. Mais lorsque nous regardons avec les yeux de la voie véritable de l’esprit et selon les grandes règles du monde humain, on les voit trahir la voie véritable à cause de leur propre égoïsme et de leur mauvaise vue. Faites du vide la voie et considérez la Voie comme vide. 4ème paragraphe lié à l’Eau. Nous avons vu que la notion de sacrifice est importante. L’égoïsme est l’antithèse du sacrifice. Accéder au vide c’est commencer par se détacher de la matière. Puis ce travail fait c’est accepter la finitude de mon corps. Celui-ci n’est pas éternel mais en lui se trouve caché un joyau éternel. Il ne se dévoile qu’à celui qui ne cherche ni ne veut plus. C’est l’agir dans le non-agir tant prôner par les anciens de toute tradition et de toute culture. Dans le vide il y a le bien et non le mal. L’intelligence est être. Les avantages sont être. Les voies sont être. L’esprit est vide. Nous fermons le traité des 5 roues par le 5ème paragraphe qui traite du vide et qui est à rattacher à celui qui traite du maître des souffles ! La boucle est bouclée. Non que l’Ouroboros se mord la queue mais encore une fois tout est dans tout. Entre l’aspiration et l’expiration il y a le vide. Alors qu’est-ce que le monde qui nous entoure ? Maya, c’est à dire la grande illusion. Rien n’est mais tout existe dans l’unité. Miyamoto nous le dit encore par une parabole déguisée. Dans le vide il y a le bien et non le mal. Le monde manifesté est relatif. Tout ce qui est existe par rapport à son contraire. Mais dans le vide il n’y a que le Bien. L’unité n’a pas de pendant. La réalité est dans le non manifesté ! Jean Motte Directeur du centre Imhotep Ecole de formation en Acupuncture Traditionnelle.