CHAPITRE 6 Le contrôle judiciaire de la légalité constitutionnelle
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CHAPITRE 6 Le contrôle judiciaire de la légalité constitutionnelle
PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 CHAPITRE 6 Le contrôle judiciaire de la légalité constitutionnelle TABLE DES MATIÈRES 6.1 INTRODUCTION ......................................................................................................................... 99 6.2 Sources et évolution historique du pouvoir de contrôle et de surveillance .......................................... 99 6.2.1 En droit américain ............................................................................................................... 99 6.2.2 En droit britannique ............................................................................................................101 6.2.3 En droit canadien ...............................................................................................................101 Principales caractéristiques du pouvoir de contrôle et de surveillance des tribunaux en droit canadien ......................................................................................................................101 6.3 6.3.1 Un pouvoir constitutionnel non écrit......................................................................................101 6.3.2 Le contrôle judiciaire est incontournable................................................................................102 6.3.3 Les trois grands types contrôle judicaire par les tribunaux .......................................................102 L’INTERPRÉTATION DES LOIS ..............................................................................................102 1. 6.4 a. Les règles ordinaires de l'interprétation .................................................................................102 b. Le caractère particulier de l'interprétation constitutionnelle : une interprétation à niveaux multiples ................................................................................103 c. Les règles particulières de l'interprétation constitutionnelle......................................................103 2. LE CONTRÔLE DE LA RÉGULARITÉ PROCÉDURALE ..................................................................105 3. LE CONTRÔLE DE LA VALIDITÉ DES LOIS ..............................................................................105 a. Le pouvoir des cours supérieures des provinces. ....................................................................106 b. La sanction de l’inconstitutionnalité. .....................................................................................106 c. Une suspension temporaire de la déclaration d’insconstitutionnalité est possible. .....................................................................................................................107 d. Les caractéristiques du procès constitutionnel. .......................................................................107 LES LIMITES AU POUVOIR DE CONTRÔLE ET DE SURVEILLANCE DES TRIBUNAUX.............................108 6.4.1 La doctrine de la justiciabilité...............................................................................................108 6.4.2 La retenue judiciaire ...........................................................................................................108 6.4.3 La divisibilité de la législation ...............................................................................................109 6.4.4 L’interprétation atténuée .....................................................................................................109 AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 98 - PIERRE MACKAY 6.1 JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 INTRODUCTION Ce sont les tribunaux, qui, dans notre système constitutionnel, sont chargés de faire respecter la conformité à la hiérarchie des normes. Les tribunaux sont chargés de l’application des lois pour trancher des différends, ils ont nécessairement le pouvoir d’apprécier si une norme est valide ou non. En matière constitutionnelle, ils doivent s’assurer que la loi constitutionnelle a préséance sur les autres. En cela ils ont suivi la tradition des tribunaux anglais en particulier la tradition du Comité judiciaire du Conseil privé, qui devait se prononcer sur la conformité des lois des colonies au droit anglais ainsi qu’à conformité à leurs lois constitutives, le British North America Act dans le cas du Canada. Avant 1982, le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois ne portait, pour l’essentiel, que sur le partage des compétences législatives et sur quelques autres dispositions législatives, comme l’article 133 du BNA Act. Avec l’adoption de la Charte, il porte aujourd’hui également sur la conformité des lois aux dispositions de la Charte. Dans cette section nous analyserons : 6.2 • Les sources du contrôle judiciaire • Les caractéristiques du contrôle judiciaire • Les limites au contrôle judiciaire Sources et évolution historique du pouvoir de contrôle et de surveillance L’histoire du pouvoir inhérent de surveillance et l’histoire du pouvoir de contrôle de la constitutionnalité des lois par les Cours supérieures remonte aux origines médiévales de ces tribunaux. En termes généraux, on peut dire que ces pouvoirs prennent leur source dans la volonté du pouvoir royal de s’assurer de la prééminence des lois et ses décrets royaux dans tout le royaume et sur tous ses vassaux. On appelle parfois le Parlement anglais la mère de tous le Parlements, de même on pourrait décrire les institutions judiciaires de Common Law de Westminster comme « la mère de tous les pouvoirs judiciaires de contrôle et de surveillance ». Ces institutions étaient la Court of King’s Bench, la Court of Common Pleas et la Court of Exchequer. Ce sont les ancêtres des Cours supérieurs, des Cours provinciales et des Cours fédérales. Chacun de ces tribunaux jouissait de pouvoirs de contrôle et de surveillance distincts sur les tribunaux inférieurs et sur les tribunaux de la justice seigneuriale, selon des procédures nommées accedas ad curiam1. . 6.2.1 En droit américain Ce rôle des tribunaux a été énoncé pour la première fois aux Etats-Unis, dans une affaire célèbre, Marbury c. Madison qui exprime bien la place prépondérante de la Constitution. Les faits et la procédure: William Marbury était un de ces nombreux juges qui avaient été nommés dans les tout derniers jours de l'administration fédéraliste du Président Adams (mars 1801), lequel avait perdu les élections présidentielles et auquel devait succéder le Président républicain Jefferson. Dans une ultime tentative pour garder le contrôle du pouvoir judiciaire, les fédéralistes avaient procédé à des nominations "en fournée". Marbury était un de ceux-là; il avait été nommé juge de paix dans le District de Columbia. Sa nomination avait été confirmée par le Sénat. Dans la précipitation des dernières heures, l'administration Adams n'avait pas pu notifier à tous les intéressés leurs actes de nomination et d'affectation. C'était le cas de Marbury qui n'avait pas reçu son acte d'affectation (commission) et qui, suite au refus du Président Jefferson de notifier leurs affectations aux juges nommés par l'ancien Président Adams, n'avait pas pu prendre ses fonctions. A la fin de l'année 1801, n'ayant toujours rien reçu en dépit de leurs demandes répétées, Marbury et certains de ses collègues décidèrent de porter leur affaire devant la Cour Suprême. En particulier, ils demandèrent à la Cour de prendre une décision d'injonction (mandamus) contre le secrétaire d'État Madison obligeant ce dernier à s'exécuter et lui faisant ordre de donner effet à leurs actes de nomination et de leur envoyer leurs ordres d'affectation. La Cour avertit le secrétaire Madison de la requête dont elle était saisie, enjoignant à celui-ci de lui communiquer les raisons pour lesquelles l'injonction ne devrait pas lui être adressée. Madison ignora purement et simplement la requête de la Cour Suprême. Un an s'écoula sans que la Cour puisse siéger et le 24 février 1803, la Cour rendit sa décision à l'unanimité. 1 Baker, J.H., An Introduction to English Expression latine qui signifie “accès au tribunal” Legal History, London, Butterworths, 1979, 35 AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 99 - PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 Les acteurs de l’affaire Marbury v. Madison 5 U.S. (S.Ct.) 137 (1803). Le juge Le défendeur John Marshall John Marshall était le 4ème juge en chef des États-Unis. En 1789 il avait élu au Congrès et nommé secrétaire d’État du président John Adams. Il avait été nommé juge en chef en 1801. James Madison James Madison, était secrétaire d’État du gouvernement de Jefferson. À ce titre il lui revenait de remettre sa commission à Marbury. Il appuyait la position de Jefferson et refusa lui aussi. C’est à ce titre qu’il fut poursuivi par Marbury devant la Cour Suprême. Le demandeur William Marbury William Marbury avait été nommé juge de paix pour le District de Columbia par le President John Adams en vertu du Judiciary Act de 1800. Quand Thomas Jefferson devint président en 1801, la commission de nomination n’avait pas encore été remise à Marbury et Jefferson refusa qu’elle lui soit remise. Cette affaire a permis à la Cour suprême américaine de décider qu'une loi jugée contraire à la Constitution était nulle. Le Juge en chef Marshall put alors dire : " Il est certain que ceux qui élaborent les constitutions écrites les conçoivent comme devant former le droit fondamental et suprême de la nation, et que, par conséquent, le principe d'un tel gouvernement est qu'un acte législatif contraire à la constitution est nul. Ce principe est consubstantiel à toute constitution écrite et doit, par conséquent, être considéré par cette Cour comme l'un des principes fondamentaux de notre société. Il ne faut donc pas le perdre de vue dans la poursuite de l'examen du sujet. Si un acte du pouvoir législatif, contraire à la constitution, est nul, doit-il, nonobstant sa nullité, être considéré comme liant les juges et oblige-t-il ceux-ci à lui donner effet ? Ou, en d'autres termes, bien qu'il ne soit pas du droit, constitue-t-il une règle qui serait en vigueur comme s'il en était ? Ce serait renverser en fait ce qui est établi en théorie; et cela constituerait, à première vue, une absurdité trop énorme pour qu'on y insistât. Il faut pourtant y consacrer une réflexion plus attentive. C'est par excellence le domaine et le devoir du pouvoir judiciaire de dire ce qu'est le droit. Ceux qui appliquent la règle à des cas particuliers doivent par nécessité expliquer et interpréter cette règle. Lorsque deux lois sont en conflit, le juge doit décider laquelle des deux s'applique. Dans ces conditions, si une loi est en opposition avec la constitution, si la loi et la constitution s'appliquent toutes les deux à un cas particulier; de telle sorte que le juge doit soit décider de l'affaire conformément à la loi et écarter la constitution, soit décider de l'affaire conformément à la constitution et écarter la loi, le juge doit décider laquelle de ces deux règles en conflit gouverne l'affaire. C'est là l'essence même du devoir judiciaire. Si donc les juges doivent tenir compte de la constitution, et si la constitution est supérieure à la loi ordinaire, c'est la constitution, et non pas la loi ordinaire, qui régit l'affaire à laquelle toutes les deux s'appliquent. Ceux qui contestent le principe selon lequel la constitution doit être tenue par le juge comme une loi suprême, en sont réduits à la nécessité de soutenir que les juges doivent ignorer la constitution, et n'appliquer que la loi. Cette doctrine minerait les fondements mêmes de toutes les constitutions écrites. Elle considérerait qu'un acte qui, selon les principes et la théorie de notre gouvernement, est entièrement nul, est néanmoins, en pratique, obligatoire en tous points. Elle admettrait que, si le pouvoir législatif venait à faire ce qui est expressément défendu, cet acte, nonobstant l'interdiction absolue, serait en réalité effectif. Elle donnerait en pratique au pouvoir législatif une omnipotence considérable tout en prétendant restreindre ses pouvoirs dans d'étroites limites. C'est assigner des limites et déclarer dans le même temps que ces limites peuvent être outrepassées à volonté." Ce passage est cité et approuvé par la Cour suprême du Canada dans Law Society of Upper Canada c. Skapinker [1984]1 RCS 357. AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 100 - PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 6.2.2 En droit britannique Il n'existe pas, en Angleterre, de Loi constitutionnelle au-dessus des lois du Parlement. C'est ce qui a permis à un juriste comme Jennings d'écrire que le Parlement et l'exécutif ne sont pas liés par les décisions des tribunaux concernant la légalité de leurs actions et que seule la convention constitutionnelle les oblige à suivre l'avis des tribunaux sur ces questions (voir JENNINGS Ivor, The Law and the Constitution, University of London Press 1964). Ce qui est un des aspects de la souveraineté parlementaire. 6.2.3 En droit canadien Au Canada les juges étaient habitués à appliquer un raisonnement similaire, particulièrement dans le contrôle judiciaire de l'activité réglementaire ou judiciaire de l'administration. Dans l'affaire Succession Woodward c. Ministre des Finances [1973] 2RCS 120, approuvée dans la décision Crevierc. c. P.G. Québec [1981] 2 RCS 220, la Cour suprême a pu dire: "... Si le tribunal a excédé sa compétence dans une décision, cette dernière n'est pas une décision du tout selon la loi qui définit les pouvoirs du tribunal parce que le Parlement ne pouvait pas avoir l'intention de conférer pareil pouvoir d'étendre sa compétence légale au moyen d'une décision erronée quant à l'étendue de ses propres pouvoirs." En reprenant le même raisonnement dans les mêmes termes mais en l'appliquant à un excès de compétence par les Législatures ou par le Parlement à l'encontre de la constitution on obtiendrait l'énoncé suivant: "si les Législatures ou le Parlement ont excédé leur compétence dans une loi cette dernière n'est pas une loi du tout selon la Constitution qui définit les pouvoirs des Législatures ou du Parlement parce que le Constituant ne pouvait pas avoir l'intention de conférer pareil pouvoir d'étendre sa compétence légale au moyen d'une décision erronée quant à l'étendue de ses propres pouvoirs." Dans l'affaire Law Society of Upper Canada c. Skapinker [1984] 1 RCS357, la Cour suprême a clairement affirmé une conception identique de la place de la Loi constitutionnelle au Canada en citant, avec approbation de longs extraits de l'affaire Marbury c. Madison. Dans Operation Dismantle c. La Reine [1985] 1 R.C.S. 441, la Cour a maintenu une position identique en déclarant: "Le législateur a assigné aux tribunaux à titre de responsabilité constitutionnelle la tâche de décider si la décision d'autoriser les essais de missiles de croisière violent les droits des appelants garantis par la Charte. Les exemples précédents montrent pourquoi le législateur a agi ainsi. Il est donc à mon avis non seulement approprié que nous statuions sur la question; nous avons l'obligation constitutionnelle de le faire." La juge Wilson, (p. 473) 6.3 Principales caractéristiques du pouvoir de contrôle et de surveillance des tribunaux en droit canadien 6.3.1 Un pouvoir constitutionnel non écrit La Constitution canadienne ne confère pas explicitement aux tribunaux un pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois, mais ce rôle fut assumé par les tribunaux dans la tradition d’abord des tribunaux anglais, puis, plus tard, selon un modèle s’apparentant au modèle américain. Le contrôle judiciaire ne porte pas uniquement sur la constitutionnalité des lois, mais aussi sur les décisions de toutes sortes que prennent les gouvernements, les administrations publiques et les tribunaux inférieurs. Mais c’est lorsqu’on attaque la constitutionnalité d’une loi que l’exercice de ce pouvoir et donc le pouvoir d’appréciation des tribunaux se confronte directement avec le principe démocratique des choix législatifs exprimée par la législature représentative. Dans de nombreux pays, comme en France ou en Allemagne, le pouvoir de décider de la légalité constitutionnelle d’une loi est confié à une cour spéciale souvent appelée cour constitutionnelle. Ce n’est pas le cas au Canada où le contrôle de la constitutionnalité des lois peut être exercé à partir de la première instance, par toute cour supérieure au Canada. La présente section traitera essentiellement du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois. AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 101 - PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 6.3.2 Le contrôle judiciaire est incontournable Les Parlements au Canada ne peuvent pas soustraire leur législation au contrôle judiciaire de la constitutionnalité. Ils ne peuvent pas non plus limiter ou enlever le droit des justiciables de faire contrôler la constitutionnalité des lois. Enfin, les gouvernements ne peuvent invoquer des prérogatives, privilèges ou immunités pour obtenir avec une loi invalide le même résultat qu’avec une loi valide. 6.3.3 Les trois grands types contrôle judicaire par les tribunaux Le pouvoir de contrôle et de surveillance des tribunaux à l’égard du pouvoir législatif s’exerce de plusieurs façons : 1. 1. par l’interprétation des lois, 2. par le contrôle de la régularité procédurale, et 3. par le contrôle de la validité des lois. L’INTERPRÉTATION DES LOIS Les tribunaux de Common Law ont toujours eus comme fonction d’interpréter les lois du Parlement. La règle d’or (“golden rule”) de l’interprétation repose autour d’une fiction juridique, celle de retrouver la soi-disant “intention du législateur”, mais dans les faits le tribunaux disposent d’une part importante de discrétion dans la détermination et l’application des règles d’interprétation. Les tribunaux ont énoncé toute une série de règles d’interprétation, souvent formulées en termes de présomptions judiciaires, sur le sens qu’ils donneront à une disposition législative, en l’absence d’indication contraire de la part du législateur. Ces règles sont complexes et nombreuses et font l’objet d’ouvrages comme celui Pierre-André Côté2. Une de ces présomptions fondamentales, affirmée par les tribunaux anglais, et appliquée par les tribunaux canadiens, c’est que –en l’absence de disposition au contraire– le législateur entend soumettre les actes de l’Administration publique au contrôle des tribunaux. It has long been accepted that the juridical basis of the Courts’ powers of review is the ultra vires principle. This holds that the judges, in Judicial Review cases, are giving effect to Parliament’s intention that executive power should be subject to legal control. Although these matters are not set out explicitly by Parliament, it is generally accepted that the judges are implementing an implicit legislative intention that public power must be exercised fairly, reasonably, and so on.3 a. Les règles ordinaires de l'interprétation i. La règle d'or : la recherche de l'intention du législateur Où doit-on chercher cette intention? - Dans la loi elle-même ("the four corners of the Act") Titre, préambule, sous-titres, rubriques, annexes : Skapinker Clauses interprétatives, définitions, sens particuliers NON dans les notes marginales - Dans la totalité de la loi - Seuls certains documents extérieurs à la loi sont admissibles (sources extrinsèques) Lois d'interprétation générales Lois "in pari materia" Les précédents judiciaires Les dictionnaires juridiques ou généraux La doctrine NON dans les débats et procédures parlementaires : mais JCPC, dans Parsons, a dit que les déclarations du Parlement sur l'étendue de sa compétence peuvent être regardées sans qu'elles puissent faire autorité. NON dans les circonstances économiques et sociales ii. Principales règles relatives au sens des mots : - Sens habituel et littéral plutôt que sens technique, sauf contexte : droits civils dans Parsons. 2 Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e édition, Montréal, Éditions Thémis, 1999 3 Lord Irvine of Lairg, The Lord Chancellor Principle and Pragmatism: The Development of English Public Law under the Separation of Powers Lecture at the High Court in Hong Kong; September 1998; http://www.open.gov.uk/lcd/speeches/1998/hongkong.htm AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 102 - PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 - Le même mot a le même sens si utilisé plusieurs fois. - Sens que le mot avait à l'époque où la loi a été adoptée : compétence d'une cour supérieur en 1867, dans Sobeys Stores. - Sens dans le contexte. - Expressio unius est exclusio alterius = la mention de l'un implique l'exclusion de l'autre. - Ejusdem generis = du même genre (un terme générique suivant une liste de définitions précises désigne des choses de même nature que celles énumérées). Principales présomptions jurisprudentielles : Énoncées par les tribunaux, ces règles constituent toutes des règles que le législateur est présumé vouloir respecter à moins qu'il ne déclare, expressément ou par implication nécessaire, son intention contraire. - La loi postérieure l'emporte sur la loi antérieure. - La loi particulière l'emporte sur la loi générale. - La loi n'a pas d'effet rétroactif. - Delegatus non potest delegare. - Les mots ont un sens précis. - Les lois ne sont pas absurdes (le législateur ne parle pas pour ne rien dire). - Les lois n'éteignent pas les droits acquis. - Il n'y a pas d'expropriation sans indemnisation. - Les lois ne limitent pas les droits et privilèges de la Couronne. - Les lois se conforment au droit international. - Le législateur connaît le droit existant et n'y déroge qu'expressément. - Le législateur ne fait pas de faute de langage. - Les lois sont présumées valides, le législateur étant présumé connaître les limites de sa compétence. b. Le caractère particulier de l'interprétation constitutionnelle : une interprétation à niveaux multiples "Au Canada, l'autonomie réciproque du fédéral et des provinces est particulièrement dépendante de l'interprétation judiciaire, étant donné les défaillances des règles du fédéralisme contenues dans la Constitution et la rigidité des règles d'amendement constitutionnel. Le fédéralisme canadien découle donc dans une large mesure de la conception que s'en sont faite et que continuent de s'en faire les tribunaux. Il n'est pas rare, en effet, que sous le couvert d'une approche juridique les tribunaux canadiens exercent en réalité une fonction hautement politique en regard du fédéralisme canadien. Il est reconnu que l'interprétation des règles du partage des compétences législatives n'a pas de commune mesure avec l'interprétation des règles statutaires ordinaires et qu'elle comporte une large part d'évaluation politique de la part des juges." (Brun et Tremblay, 2e ed., 391) Dans le cas d’un litige constitutionnel, le tribunal doit interpréter deux types de lois : i. La loi contestée, c'est-à-dire la loi dont on cherche à déterminer la validité constitutionnelle, pour chercher son "pith and substance", (essence et substance) ii. La loi constitutionnelle elle-même, pour déterminer : c. • soit la catégorie de sujets à laquelle correspond la loi en cause (dans le cas d’un litige portant sur le partage des compétences) • soit l’étendue des droits qui sont garantis par une disposition de Charte (dans le cas d’un litige portant sur conformité d’une loi aux dispositions de la Charte). Dans ce cas le tribunal devra aussi analyser et interpréter la portée et le sens des clauses dites dérogatoire (article 33 et article 1 de la Charte) • soit le sens et la portée d’autres dispositions (par exemple le sens et la portée de l’article 133 sur l’usage de l’anglais et du français Les règles particulières de l'interprétation constitutionnelle Le sens de la Constitution ne peut être régi par les lois d’interprétations qu’édictent les parlements. Il est plutôt déterminé par les tribunaux, conformément à des principes généraux qu’ils ont eux-mêmes posés. Les règles ordinaires d'interprétation des lois s'appliquent à l'interprétation des lois constitutionnelles, mais des règles particulières sont venues soit déroger soit ajouter aux règles ordinaires. i. Les clauses interprétatives Il existe dans la Constitution un certain nombre de clauses de nature interprétative, que les tribunaux utilisent régulièrement pour interpréter la Constitution. Ce sont le préambule de la L.C. 1867 et le préambule de la Charte. AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 103 - PIERRE MACKAY ii. JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 Les principes implicites Dans le Renvoi sur la Sécession du Québec, la Cour suprême a énuméré, de manière non limitative, un certain nombre de principes qu’elle a appelés principes implicites de la Constitution et qui peuvent servir de principe d’interprétation de la Constitution: • le fédéralisme, • la démocratie, • le constitutionnalisme et la primauté du droit, • iii. la protection des minorités. Une interprétation large Interpréter un texte de loi signifie recherche l’intention de celui qui l’a écrit. Lorsqu’on interprète la Constitution, comme pour l’interprétation des lois ordinaires, on doit d’abord rechercher l’intention de ses auteurs. Mais pour la constitution, on doit le faire à partir d’une lecture généreuse des termes utilisés, pris dans leur contexte proprement juridique. iv. Une interprétation évolutive : les mots n'ont pas nécessairement le même sens qu'en 1867 L’interprétation de la Constitution doit aussi être dynamique. Il ne convient pas de s’en tenir strictement à la lettre et à l’intention telle qu’elle existait à l’époque de la rédaction. La constitution doit recevoir une interprétation évolutive. Voir par exemple le sens du mot personne dans l'arrêt Edwards v. PG Canada [1930] AC 124, où le Conseil privé a comparé la Constitution canadienne à un arbre vivant, capable de croître à l’intérieur de ses limites naturelles (living tree). Cette règle d’interprétation a été confirmée dans Law Society of Upper Canada c. Skapinker [1984] 1 RCS 357. Les tribunaux considèrent que la Constitution est destinée à régir la société pendant une longue période de temps. Elle est difficile à modifier et, par conséquent, elle doit s’adapter aux situations nouvelles. Ainsi, il n’est pas important que le législateur n’ait pas envisagé spécifiquement une situation en 1867 ou en 1982. La Constitution doit être en mesure de s’adapter à l’évolution de la société. Cependant, pour interpréter l'art. 96 de la LC 1867, les tribunaux se sont référés aux pouvoirs que détenait une cour supérieure en 1867. Voir PG Québec et Régie du Logement c. Grondin [1983] 2 RCS 364, et Sobeys Stores c. Yeomans [1989] 1 RCS 238. L’affaire EDWARDS Le 18 octobre 1999 marque le 70e anniversaire de l'affaire du mot «personne», une cause très importante dans l'histoire des droits des femmes au Canada. En 1927, cinq femmes, Iren Parlby, Emily Murphy, Nellie MCLung, Henrietta Muir Edwards et Louise McKinney, ont demandé à la Cour suprême du Canada d'interpréter le sens du mot «personne» de l'article 24 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 afin de savoir si les femmes étaient reconnues en tant que personnes, par le British North America Act de 1867, et pouvaient être nommées au Sénat. À la suite du jugement de la Cour suprême du Canada établissant que le terme «personne» n'incluait pas les femmes, les requérantes ont fait appel au Comité judiciaire du Conseil privé à Londres. Le 18 octobre 1929, le Comité judiciaire a renversé la décision de la Cour suprême décidant que la constitution devait recevoir une interprétation large et évolutive et que le terme «personne» de l'article 24 incluait les femmes et qu'elles étaient «admissibles à être appelées par le Sénat canadien et à en devenir membre». v. Des sources extrinsèques peuvent être utilisées • Le juge peut accepter la réception des circonstances économiques et sociales pour interpréter l'intention du législateur. La règle traditionnelle s'y refusant est exposée, entre autres, dans PG Saskatchewan c. PG Canada [1949] AC 110. Elle a été considérablement tempérée, voire renversée dans le cas où il faut analyser la conformité d'une loi à la CCDL, en particulier l'art. 1. Voir R c. Oakes [1986] 1 RCS 103. Voir aussi l’arrêt Sioui. Et même dans des cas plus "classiques" de partage des compétences où de telles preuves ont été reçues. Voir le Renvoi relatif à la loi anti-inflation [1976] 2 RCS 373, et le Renvoi relatif au rapatriement de la constitution • Le droit étranger, autre qu'anglais, en particulier le droit américain, est reçu, in pari materia, comme source extrinsèque. Voir Law Society of Upper Canada c. Skapinker [1984] 1 RCS 357. • Les « travaux préparatoires » de la Constitution, soit les Résolutions de Québec de 1864, les Résolutions de Londres de 1866 et les débats préconfédératifs. Dans la mesure où les débats préconfédératifs contiennent des ébauches de dispositions, ils s’apparentant à un historique législatif et peuvent nous donner une idée des choix ayant été pris par les rédacteurs de la Constitution et des raisons justifiant ces choix. • Dans le cas de la Loi constitutionnelle de 1982, la Cour suprême a déclaré admissibles pour l’interprétation de la Charte les textes suivants : les procès-verbaux et témoignage du comité mixte spécial du Sénat et des Communes qui a siégé en 1980 et 1981. AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 104 - PIERRE MACKAY vi. JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 La présomption de validité des lois est mitigée lorsque la conformité à la CCDL est en cause. Voir PG Manitoba c. Metropolitan Stores Ltd. [1987] 1 RCS 110. vii. Les lois partiellement inconstitutionnelles sont divisibles. Mais dans le cas d'articles indissociables, l'inconstitutionnalité de l'un entraînera celle des autres voir Libman c. Québec (Procureur général) 1997 R.C.S. 2. LE CONTRÔLE DE LA RÉGULARITÉ PROCÉDURALE Une assemblée législative est, par définition, un corps composé de plusieurs membres. Afin d'accomplir ses fonctions, l'assemblée doit être régie par un ensemble de règles procédurales qui déterminent la façon dont une loi doit être adoptée, la composition de l'assemblée, son quorum, la manière dont les voix sont comptées, etc... Le but de ces règles est d'assurer que les lois adoptées sont vraiment ceux de cette assemblée, légalement réunie, que les membres ont été légalement convoqués et les voix ont été légalement comptées. Si ces règles ne sont pas correctement suivies, alors on peut dire que l'assemblée n'a pas été correctement formée et que les mesures adoptées, dans ces circonstances, ne sont pas l’expression légale de l'assemblée. De tels cas ne se produisent pas tous les jours. Mais quand ils se produisent, c’est généralement à l’occasion d’un ensemble de circonstances exceptionnelles qui rendent nécessaire l’existence d’un mécanisme pour sanctionner ces irrégularités. Dans des pays de Common law, le pouvoir inhérent des cours supérieures est l’outil de contrôle de la régularité procédurale de l’adoption des lois. En Australie, quand l'assemblée législative de la Nouvelle-Galles du Sud a voulu supprimer le Conseil législatif par un procédé contraire à la Loi constitutionnelle de 1855, les tribunaux ont déclaré cette tentative illégale et nulle. La Loi constitutionnelle édictait que le Conseil législatif pourrait être supprimé seulement par un amendement constitutionnel, ratifié par un référendum, et que la condition d'un référendum ne pourraient être abrogée que par un référendum. Le Parlement de la Nouvelle-Galles du Sud, a voulu supprimer le Conseil législatif sans avoir recours à un référendum, croyant que sa souveraineté lui permettait de procéder par un amendement ordinaire. Le plus haut tribunal de la Nouvelle-Galles du Sud déclaré nulle cette tentative, et a confirmé la validité des limites procédurales au pouvoir d’amendement, même à l’encontre du principe de la souveraineté parlementaire4. Un autre cas s'est produit en Afrique du Sud en 1952. L’art. 35 de la constitution sud-africaine de 1909 interdisait la discrimination raciale, et l’art. 152 exigeait un vote des deux-tiers des deux chambres du Parlement sud-africain pour modifier cette disposition. Afin de mettre en place son système d’apartheid, le Parlement sud-africain a tenté d'abroger l’art. 35 par une loi ordinaire, adoptée à des majorités simples. La cour suprême sud-africaine a rejeté la tentative5. Les dispositions de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui ont été reprises mutatis mutandis dans la Loi constitutionnelle de 1871 obligent le parlement fédéral et les législatures du Québec et du Manitoba de faire usage de l’anglais et du français dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, et leurs lois doivent être imprimées et publiées dans ces deux langues. La Cour suprême a statué que les lois du Québec et les lois du Manitoba qui ne respectaient pas ces exigence de forme étaient inconstitutionnelles. 6 3. LE CONTRÔLE DE LA VALIDITÉ DES LOIS Dans le droit anglais, le principe fondamental est celui de la souveraineté du Parlement, dont la suprématie fait en sorte que, en principe, les tribunaux ne peuvent pas mettre en cause la validité des lois adoptées par le Parlement. La citation classique à ce sujet est celle de Blackstone : "The power and jurisdiction of Parliament [...] is so transcendent and absolute, that it cannot be confined, either for causes or persons, within any bounds. [...] It has sovereign and uncontrollable authority in the making, confirming, enlarging, restraining, abrogating, repealing, reviving, and expounding of laws, concerning matters of all possible denominations [...] True it is that what Parliament did, no authority upon earth can undo". 7 Mais dans l’affaire Dr. Bonham's Case, un des juristes anglais les plus influents, Lord Coke a écrit: 4 A.G. of New South Whales v Trethowan [1932] AC 526 (British House of Lords) 5 Harris v. Dönges, (1952) 1 T.L.R. 1245 (South Africa Supreme Court). Le gouvernement d’Afrique du sud a subséquemment mis en place un système d’apartheid en bondant la chambre haute du Parlement de parlementaires favorables à ce système. 6 PG Québec c. Blaikie, [1979] 2 RCS 1016 et Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba [1985] 1 R.C.S. 721 (Cour Suprême du Canada) 7 cited by Dicey, A.V., Introduction to the study of the Law of the Constitution, New York, Macmillan , 1959, 10th ed, 39-43 AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 105 - PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 “In many cases the Common Law will control acts of Parliament and sometimes adjudge them to be utterly void: for when an Act of Parliament is against common right or reason, or repugnant, or impossible to be performed, the Common Law will control it and adjudge such Act to be void." 8. Un historien du droit a écrit que: “[this statement from the Bonham's Case] has been the foundation of the practice of 'Judicial Review' of legislation in America"9 mais que les tribunaux anglais ne lui ont jamais donné de suite véritable. Le pouvoir des tribunaux de déclarer invalides les lois édictées par des législatures souveraines a pris son plein sens dans le cas des constitutions fédérales - États-Unis, Canada, Australie - où le pouvoir législatif est partagé entre un gouvernement central et des gouvernements locaux, et où les tribunaux sont devenues l'arène normale dans laquelle les conflits relatifs aux compétences législatives doivent réglés. Au Canada, depuis 1982, le pouvoir de contrôle judiciaire s’est aussi étendu a la conformité des lois à la Charte canadienne des droits. En vertu de l’art. 52 L.C. 1982, une loi incompatible avec la Constitution doit être déclarée inopérante, c'est-à-dire «of no force or effect», ou invalide. Si les législateurs ou le Parlement ont excédé leur compétence en adoptant une loi, cette dernière n’est pas une loi du tout selon la Constitution qui définit les pouvoirs des législatures ou du parlement parce que le Constituant ne pouvait pas avoir l’intention de conférer pareil pouvoir d’étendre sa compétence légale au moyen d’une décision erronée quant à l’étendue de ses propres pouvoirs. Les prescriptions constitutionnelles sont donc impératives, c'est-à-dire obligatoire et non simplement directives. Voir Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba [1985] 1 R.C.S. 721 Cependant, ce qui est plus important que l'absence de jurisprudence justifiant l'application de la distinction entre ce qui est impératif ou directif aux dispositions constitutionnelles, c'est le tort qui serait causé à la suprématie de la Constitution canadienne si un principe aussi vague était utilisé comme expédient pour l'interpréter. Ce serait une entorse grave à la Constitution que de conclure qu'une disposition en apparence impérative doit être qualifiée de directive pour le motif qu'une conclusion en sens contraire entraînerait des inconvénients ou même le chaos. Lorsqu'il n'y a aucune indication textuelle qu'une disposition constitutionnelle est directive et lorsqu'il ressort clairement de ses termes qu'elle est impérative, il n'y a pas lieu d'interpréter cette disposition comme étant directive. (p. 742) a. Le pouvoir des cours supérieures des provinces. Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 S.C.R. 307 la Cour supreme a eu à se prononcer sur la compétence des Cours supérieures des provinces de trancher des litiges portent sur la constitutionnalité des lois fédérales. Le juge Estey, au nom de la Cour, décrit ainsi les Cours supérieures: Les cours supérieures des provinces ont toujours occupé une position de premier plan à l'intérieur du régime constitutionnel de ce pays. Ces cours de compétence générale sont les descendantes des cours royales de justice. Constituées par les provinces en vertu du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle et présidées par des juges nommés et rémunérés par le gouvernement fédéral (les art. 96 et 100 de la Loi constitutionnelle), elles franchissent, pour ainsi dire, la ligne de partage des compétences fédérale et provinciale. 10 Concluant que le Parlement n’a pas le pouvoir de dépouiller les Cours supérieures de leur pouvoir de contrôle sur la validité des lois fédérales, la Cour le juge Estey déclare: La Constitution n'investit pas le Parlement du pouvoir d'adopter pareille disposition. S'il en était autrement, ces organismes judiciaires de base qu'a établis la Constitution de ce pays, notamment les cours supérieures des provinces, seraient dépouillés d'un pouvoir judiciaire fondamental dans un régime fédéral comme celui décrit dans la Loi constitutionnelle. De plus, ces cours supérieures constituées par les provinces se verraient chargées de la tâche peu enviable d'appliquer les lois fédérales et provinciales, …, tout en se trouvant dans l'impossibilité de faire la distinction entre les lois fédérales valides et celles qui sont invalides, de manière à pouvoir refuser d'appliquer ces dernières. 11 b. La sanction de l’inconstitutionnalité. En théorie, une loi déclarée inopérante en vertu de l’article 52 n’a jamais existé, car le Parlement n’a jamais eu le pouvoir de l’adopter. Le fait qu’une loi ne soit pas contestée durant un certain temps, et même durant des décennies, ne l’empêchera pas d’être déclarée nulle et sans effet depuis le début. C’est ce que les juges ont exprimé dans l’arrêt Snider, en déclarant ultra-vires, en 1925, la loi fédérale Loi des enquêtes en matière de différends industriels adoptée en 1907 : C'est toujours à regret que leurs Seigneuries prononcent l'invalidité constitutionnelle d'une loi canadienne que le public respecte depuis des années comme une loi valide, mais le Comité judiciaire a le devoir, en ce moment 8 Dr. Bonham's Case, 8 Co. Rep. 107a, 118a, 77 Eng. Rep. 638, 652 (C.P. 1610) 9 Baker, J.H., An Introduction to English Legal History, London, Butterworths, 1979, 182 10 [1982] 2 R.C.S. 307 at pp. 326-27 11 ibid 328 AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 106 - PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 comme par le passé, d'interpréter l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et de décider si la loi attaquée est de la compétence du Parlement du Dominion en vertu de l'article 91 dudit Acte.12 Mais en pratique, les actes posés de bonne foi sous le régime d’une loi inconstitutionnelle peuvent être protégés. L’adoption et l’application d’une loi plus tard déclarée inconstitutionnelle n’entraînent normalement pas de responsabilité civile. Dans le cas extrême où toutes les lois d’une province ont été déclarées inconstitutionnelle sur une période de 90 ans (Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba), la Cour suprême a statué que les lois manitobaines inconstitutionnelles devaient quand même avoir leur plein effet, par l’application de la doctrine de l’état de nécessité et le principe de la primauté du droit. c. Une suspension temporaire de la déclaration d’inconstitutionnalité est possible. De manière à permettre au législateur de remédier aux effets de l’inconstitutionnalité d’une loi, la Cour suprême peut, parfois, tempérer l’effet normal de l’inconstitutionnalité en retardant l’application du jugement. Par exemple : • Au Manitoba on a donné cinq années au législateur pour traduire les lois et se conformer aux dispositions de la Constitution • Au Québec, récemment, on a suspendu pour douze mois l’application d’un jugement qui déclare inconstitutionnel deux articles de la Loi sur l'assurance-hospitalisation et de la Loi sur l'assurance-maladie du Québec, qui prohibent le recours à l'assurance privée. Les juges ont conclu que ces dispositions contrevenaient à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. 13 • La déclaration d'invalidité du Règlement d'urbanisme de la Ville de Saint-Hyacinthe (déclaré inconstitutionnel parce qu’il limitait le droit garanti par l'al. 2b) de la Charte a été suspendue pour une période de six mois 14 Il appartiendra ensuite au législateur et non aux tribunaux de corriger les lacunes de la législation pour la rendre conforme à la constitution. d. Les caractéristiques du procès constitutionnel. Un procès constitutionnel revêt un caractère particulier. Le chapitre 7 du cours y est consacré. 12 Toronto Electric Commissioners c. Snider, [1925] A.C. 396 13 Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35 (9 juin 2005) 14 R. c. Guignard 2002 CSC 14 AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 107 - PIERRE MACKAY 6.4 JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 LES LIMITES AU POUVOIR DE CONTRÔLE ET DE SURVEILLANCE DES TRIBUNAUX Afin de départager l’intervention judiciaire de l’intervention législative, les tribunaux se sont imposé les limites suivantes : 6.4.1 La doctrine de la justiciabilité Il existe tout un éventail de questions litigieuses exigeant l'exercice d'un jugement judiciaire pour déterminer si elles relèvent à bon droit de la compétence des tribunaux. La justiciabilité est une "doctrine [...] fondée sur une préoccupation à l'égard du rôle approprié des tribunaux en tant que tribune pour résoudre divers genres de différends" Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441. Selon la juge Wilson, une question est non justiciable des tribunaux si elle met en cause "des considérations morales et politiques qu'il n'est pas du ressort des tribunaux d'évaluer" (p. 465). L'examen de la justiciabilité consiste, d'abord et avant tout, en un examen normatif de l'opportunité pour les tribunaux, sur le plan de la politique judiciaire constitutionnelle, de trancher une question donnée ou, au contraire, de la déférer à d'autres instances décisionnelles de l'administration politique. Dans l’arrêt Canada (vérificateur général) c. Canada (ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources) [1989] 2 R.C.S. 49, le juge en chef Dickson au nom de la Cour a écrit : ¶ 50 La notion de justiciabilité la plus fondamentale dans le système juridique canadien est celle, évoquée dans l'arrêt Pickin, précité, qui nous vient du gouvernement unitaire de Westminster, savoir qu'il n'appartient pas aux tribunaux de juger de la validité des lois. Bien sûr, dans le contexte canadien, le rôle constitutionnel du judiciaire relativement à la validité des lois a été grandement modifié par le régime fédéral de partage des compétences, de même que par la consécration de la protection fondamentale accordée à certaines valeurs constitutionnelles dans les différentes Lois constitutionnelles, notamment celle de 1982. Il existe tout un éventail de questions litigieuses exigeant l'exercice d'un jugement judiciaire pour déterminer si elles relèvent à bon droit de la compétence des tribunaux. Finalement, un tel jugement dépend de l'appréciation par le judiciaire de sa propre position dans le système constitutionnel. Les procédures de renvoi, qui permettent au gouvernement de poser des questions directement à la Cour d’appel ou à la Cour suprême, posent parfois des questions à connotation politique. Dans le Renvoi relatif à la Sécession du Québec, la Cour suprême a dit qu’elle pouvait refuser, pour cause de non justiciabilité, de répondre à une question dans les deux cas suivants : • Si, en répondant à la question, la Cour outrepasserait le rôle qui lui revient dans le cadre constitutionnel de notre forme démocratique de gouvernement (légitimité); • Si la Cour ne peut donner une réponse relevant de son champ d’expertise : l’interprétation du droit. 6.4.2 La retenue judiciaire Les tribunaux refusent généralement de se prononcer sur des questions devenues théoriques soit en raison d’un changement législatif, soit en raison de la disparition du litige entre les parties qui avait donné naissance à l’action. La procédure de renvoi est susceptible d’introduire devant les tribunaux des problèmes plus théoriques. Bien que peu fréquent, les tribunaux peuvent refuser de répondre à une question jugée trop imprécise ou si on leur a pas fournir suffisamment d’information pour y répondre correctement. Par exemple, la Cour suprême dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe [2004] 3 R.C.S. 698 a déclaré : ¶ 62. La Cour a rarement exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser de répondre à une question posée dans un renvoi, ce qui témoigne de l’importance qu’elle attache à ses attributions consultatives. La Cour peut néanmoins refuser de répondre à une question posée dans un renvoi lorsqu’elle juge qu’il serait inapproprié d’y répondre, soit parce que sa teneur n’est pas suffisamment juridique (ce qui n’est pas le cas en l’occurrence), soit parce que tenter d’y répondre créerait des problèmes à d’autres égards. Les tribunaux ne se prononcent pas sur les questions constitutionnelles si le litige peut être réglé sur une autre base. Si les tribunaux doivent se prononcer sur la constitutionnalité, ils ne le feront que dans la mesure nécessaire pour solutionner le conflit ou répondre à la question. Les questions de constitutionnalité se décident à la pièce, au cas par cas. Les tribunaux évitent d’élaborer des règles générales susceptibles de s’appliquer d’avance sur diverses affaires. AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 108 - PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 6 6.4.3 La divisibilité de la législation Une loi ou une disposition législative pourra être invalide en partie seulement, les dispositions non touchées resteront valides. Ainsi, lorsque l’ensemble d’une disposition ou d’une loi est mis en cause, les tribunaux ne la déclareront invalide qu’en partie, s’il est possible de séparer la loi en portion et s’il est possible de sauvegarder un ensemble fonctionnel. C’est le cas le plus fréquent en matière de Charte, où seuls les articles contraire à Charte sont déclarés invalides. Par contre si certaines dispositions d’une loi sont inextricablement liées à une disposition qui est jugée inconstitutionnelle, alors ces dispositions tomberont avec elle, et s’il s’agit de dispositions centrales, toute la loi deviendra inopérante. Par exemple, dans l’arrêt Libman c. Québec (Procureur général) [1997] 3 R.C.S. 569, la cour fait l’analyse suivante : Par conséquent, ayant conclu que l'ensemble des dispositions constituaient une atteinte injustifiée à la liberté d'expression et à la liberté d'association, nous déclarons inopérants les art. 402, 403, 404, 406 al. 3, 413, 414, 416 et 417 de la Version spéciale en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Nous sommes conscients que cette conclusion a des impacts majeurs sur les dispositions de la Loi sur la consultation populaire et de la Version spéciale portant sur le contrôle des dépenses référendaires. En effet, pratiquement toutes les dispositions concernant les dépenses référendaires étant fondées sur la notion de «dépenses réglementées», elles deviennent sans objet du fait que les dispositions contestées sont déclarées inopérantes. Il reviendra au législateur de faire les modifications appropriées. 6.4.4 L’interprétation atténuée Il est acquis qu’en présence de deux interprétations possibles, il faut préférer celle qui est conforme à la constitution. Cela permet de préserver, dans une mesure compatible avec la Constitution, l’objectif poursuivi par le législateur en énonçant sa loi. Dans l'arrêt Schachter, le juge en chef Lamer a formulé cette règle d’interprétation de la façon suivante: Un tribunal jouit d'une certaine latitude dans le choix de la mesure à prendre dans le cas d'une violation de la Charte qui ne résiste pas à un examen fondé sur l'article premier. L'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit l'annulation des «dispositions incompatibles» de toute règle de droit. Selon les circonstances, un tribunal peut simplement annuler une disposition, il peut l'annuler et suspendre temporairement l'effet de la déclaration d'invalidité ou il peut appliquer les techniques d'interprétation atténuée ou d'interprétation large. [. . .] Lorsqu'il choisit la façon dont il appliquera l'art. 52 [. . .], un tribunal doit déterminer les mesures qu'il prendra eu égard à la nature de la violation et au contexte de la loi visée.15 Il ne faut cependant pas que cette interprétation transforme le texte de loi au point de constituer une réécriture judiciaire de la Loi. Ainsi, les tribunaux ne peuvent ajouter des éléments à la loi pour la rendre conforme à la Constitution. SUITE au CHAPITRE 7 15 Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, aux pp. 695 et 696 AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission. - 109 -