LA CITÉ DE DIEU
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LA CITÉ DE DIEU
DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 1 LA CITÉ DE DIEU DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 3 CANNES 2002 SÉLECTION OFFICIELLE - HORS COMPÉTITION 02 Filmes, VideoFilmes et StudioCanal présentent LA CITÉ DE DIEU Un film de Fernando MEIRELLES avec Alexandre RODRIGUES Matheus NACHTERGAELE Leandro FIRMINO DA HORA Phelipe HAAGENSEN Seu JORGE Distribution : MARS DISTRIBUTION A Paris : 12, avenue de Messine - 75 008 Paris Tél. : 01 58 56 75 00 - Fax : 01 58 56 75 01 A Cannes : 140, rue d’Antibes - 06 400 Cannes Tél. : 04 93 99 80 30 - Fax : 04 93 99 80 29 Presse : LAURETTE MONCONDUIT JEAN-MARC FEYTOUT A Paris : Tél. : 01 40 24 08 25 - Fax : 01 43 48 01 89 A Cannes : Le Méridien : 1, rue des Frères Pradignac - 06 400 Cannes Tél. : 04 93 39 72 87 et 06 12 37 23 82 DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 5 SYNOPSIS À LA FIN DES ANNÉES SOIXANTE “Fusée” est un gamin de onze ans de la Cidade de Deus, une banlieue de Rio. Frêle et timide, il observe le ballet des jeunes durs de son quartier, leurs chapardages, leurs rixes, leurs heurts quotidiens avec la police. Il sait déjà ce qu’il deviendra, s’il survit à toutes ces violences : photographe… “Petit Dé”, un enfant du même âge, emménage dans la Cité. Il rêve, quant à lui, de devenir le plus grand criminel de Rio, et commence son apprentissage en rendant de menus services à la pègre locale. Il admire “Tignasse” et son gang, qui arraisonnent les camions et cambriolent à tout va. “Tignasse” donne à “Petit Dé” l’occasion de commettre un meurtre, le premier d’une longue série. LES ANNÉES SOIXANTE-DIX “Fusée” poursuit ses études, travaille à l’occasion, se cherche et hésite entre le crime et une vie “respectable”. “Petit Dé”, lui, a choisi : il ne restera pas longtemps un petit gangster, car il a compris que le trafic de coke lui serait infiniment plus profitable que la cambriole. Il monte son propre business, vite florissant. AU DÉBUT DES ANNÉES QUATRE-VINGT Après quelques tentatives de vol à main armée, “Fusée” déniche enfin une caméra et réalise son rêve d’enfance. “Petit Dé” a concrétisé ses ambitions : à 18 ans, il se fait appeler “Petit Zé”, et passe pour être le plus redoutable dealer de la ville. Il fait la loi dans la favela, entouré de ses copains d’enfance et d’une armée de gosses de 9 à 14 ans. Personne ne conteste son pouvoir… jusqu’au jour où “Manu Tombeur” entre en scène. Receveur de bus, ce dernier a vu sa petite amie se faire violer, et décide de faire la peau à “Petit Zé”. Une bande d’enfants se forme en quelques heures, animée des mêmes intentions. La guerre éclate dans la Cidade de Deus… DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 7 PRÉSENTATION LA CITÉ DE DIEU, adapté du roman de Paulo Lins, décrit la montée du crime organisé dans la banlieue “Cidade de Deus” de Rio de Janeiro, de la fin des années soixante au début des années quatre-vingt. L’un des principaux protagonistes du film est ce lieu, connu pour être l’un des plus dangereux de Rio. L’action est commentée par “Fusée”, un jeune noir trop fragile, trop timide, pour faire un hors-la-loi, mais assez doué pour devenir artiste et photographe. C’est à travers ses yeux que nous voyons agir, se battre, aimer et mourir les dizaines de personnages de la Cité dont les destins s’entremêlent au fil de l’histoire et du temps qui passe. Le réalisateur Fernando Meirelles et la coréalisatrice Katia Lund ont réuni pour ce film 110 jeunes acteurs non professionnels, issus de divers quartiers populaires de Rio, qu’ils ont préparés en atelier pendant huit mois, mettant à profit tout au long du tournage leurs expériences personnelles, leur langage, leurs facultés d’improvisation. LA CITÉ DE DIEU a été coproduit par 02 Filmes et VideoFilmes. Le tournage a duré en 9 semaines, de juin à août 2001, doté d’un budget de 3,3 millions de dollars. Le financement a été assuré à 85% par 02 Filmes, et les droits internationaux, vendus en totalité dès la première projection. DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 9 LA CITÉ DE DIEU WALTER SALLES La réalité brésilienne dépasse, de très loin, la plupart des films de fiction qui ont tenté de la dépeindre. Une décomposition sociale accélérée a fait de la violence un phénomène endémique. Peu de livres ont capté aussi complètement cette situation - l’apartheid brésilien, l’état de “non-droit” des favelas - que “Cidade de Deus” de Paulo Lins. Écrit par un enfant de la favela, ce roman a été le premier à décrire la lutte pour le pouvoir dans les bidonvilles et le développement du trafic de drogue en une véritable économie parallèle. Le film de Fernando Meirelles LA CITÉ DE DIEU est une puissante transposition du livre de Paulo Lins un film coup de poing, viscéral, au traitement moderne, qui repose essentiellement sur les épaules de jeunes amateurs recrutés dans les favelas de Rio. Meirelles et sa coréalisatrice Katia Lund ont préparé ces jeunes en atelier pendant plus de six mois, processus comparable seulement à celui d’Hector Babenco sur PIXOTE. Orchestré par un réalisateur qui connaît parfaitement la grammaire du cinéma, LA CITÉ DE DIEU renouvelle le cinéma brésilien et donne au spectateur l’occasion de comprendre un peu mieux les raisons du chaos social qui affecte aujourd’hui notre pays. FILMOGRAPHIE : 2002 AVRIL BRISÉ 1999 LE PREMIER JOUR 1998 CENTRAL DO BRASIL 1996 TERRES LOINTAINES DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 11 LA CITÉ DE DIEU NAISSANCE DU PROJET Un ami m’avait demandé de lire le roman de Paulo Lins, “Cidade de Deus”, avec l’idée de tirer un film de ce livre de 600 pages. Sur l’instant, je n’ai guère accordé d’intérêt à sa suggestion. Je savais que l’ouvrage traitait des origines du trafic de stupéfiants à Rio de Janeiro ; que cette histoire violente, désespérée, se déroulait tout entière dans une favela. Or je n’ai jamais touché à la cocaïne, le sujet ne m’intéressait pas, je savais peu de chose sur l’organisation des favelas ou du trafic de drogue, et je n’avais nulle envie d’abandonner ma famille à São Paulo pour tourner un film à Rio. Je décidai néanmoins de lire le livre, intrigué par le succès qu’il avait eu. Arrivé à la page 100, je fus bien obligé de reconnaître, comme mon ami, que cette histoire était passionnante. À partir de la page 200, j’ai commencé à souligner une ligne par ci, une ligne par là. En refermant le livre, j’avais en main un relevé complet des décors et des personnages, et me sentais déjà totalement impliqué dans le projet. Je m’aperçois aujourd’hui que je n’ai jamais décidé d’adapter ce roman ; c’est lui qui a pris possession de moi, qui m’a convaincu de l’adapter. présenté par son réalisateur, FERNANDO MEIRELLES DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 13 POURQUOI J’AI FILMÉ LA CITÉ DE DIEU Cette lecture fut une révélation - la découverte d’une facette inconnue de mon pays. Bien sûr, j’avais lu des livres et des articles sur les favelas et le trafic de stupéfiants, je me croyais raisonnablement bien informé de l’apartheid social qui règne au Brésil. Mais ce livre va infiniment plus loin, il bouleverse de fond en comble l’idée que nous nous faisons de cet univers particulier. Son auteur, Paolo Lins, a grandi dans la favela de Cidade de Deus et a vu passer sous ses fenêtres les personnages de son roman. La litanie des vies fauchées en peine jeunesse. La résignation des habitants de ces quartiers face au cycle ininterrompu des morts violentes, est peut-être ce qui m’a le plus frappé dans ce livre, et décidé à le tourner. Un gosse de 16 ans sait aujourd’hui qu’il a derrière lui ses plus belles années, et peut s’estimer heureux de survivre encore trois ou quatre ans. Il se sait condamné à mourir dans la fleur de l’âge, et l’accepte comme une fatalité incontournable. Ce gâchis est le thème central du film. L’ADAPTATION Il n’est pas facile de condenser en deux heures un livre de plus de 600 pages rassemblant quelque 300 personnages. Nous avons rejeté d’emblée l’idée de réduire LA CITÉ DE DIEU à une seule intrigue, car c’est précisément le foisonnement des personnages et des situations qui m’avait impressionné dans le livre. Écartant le principe d’une structure dramatique en “trois actes”, j’ai choisi de diversifier et multiplier les intrigues, dont la juxtaposition permettait de retrouver l’ambiance du livre. Il me semblait également important de commencer l’histoire dans les années soixante et d’aller jusqu’aux années quatre-vingt pour donner au film l’ampleur d’une saga et illustrer le développement du business de la drogue à Rio. Bien qu’il n’y ait pas de personnage central dans le livre, le scénariste Bráulio Mantovani et moi avons tout de suite pensé que le protagoniste du film devait être “Fusée”, qui est un peu l’alter ego de Paulo Lins. “Fusée” est un observateur/narrateur qui n’intervient pas directement dans l’action, mais en est partie prenante. Le plus difficile, dans cette adaptation, ne fut pas de créer des situations, mais d’en éliminer, encore et encore, de supprimer certains développements, d’enlever des personnages ou de fondre deux ou trois de ces personnages en un. À la quatrième mouture, il m’a semblé que notre scénario était pratiquement au point. Nous avons alors entamé la préproduction. Durant les douze mois de préproduction, nous avons fini par écrire huit nouveaux traitements. Katia Lund se joignit à nous, et son concours nous fut des plus précieux car elle connaît intimement ce monde. Notre chef opérateur, César Charlone, apporta également sa contribution, et nos acteurs ne cessèrent de modifier les dialogues et de créer de nouvelles situations à chaque répétition. Paulo Lins nous servit de “consultant” chaque fois que nous doutions de l’authenticité d’un personnage, d’une expression, voire d’un simple vêtement. Bráulio dut intégrer en permanence toutes ces données à son script. C’est finalement la douzième mouture que nous avons filmée, en y introduisant toutefois encore quantité de modifications en cours de tournage. J’avais tellement travaillé à l’écriture, j’avais fait tant de répétitions, que je ne me suis pas inquiété de perdre mon exemplaire personnel du scénario au cours de la deuxième semaine. Je n’ai même pas cherché à en avoir un autre : j’avais tout le film en tête. DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 15 LA DISTRIBUTION Je souhaitais que le spectateur ait un rapport direct avec les personnages, qu’il les perçoive sans le “filtrage” qu’impose un acteur de métier. Je ne voulais pas qu’il assiste à une “grande interprétation” de “Petit Zé”, mais qu’il en vienne à connaître réellement celui-ci. Nous sommes donc partis de l’idée d’utiliser des inconnus. Je savais que mon plus gros problème serait de réunir la distribution - une centaine de garçons de 12 à 19 ans, avec une majorité de mulâtres et de noirs, sensibles, charismatiques, intelligents, généreux et disponibles. Cela demanderait une année entière ; il était exclu de lancer la préproduction avant d’avoir obtenu toute satisfaction sur ce point. Ce n’est pas simple, pour un représentant de la moyenne bourgeoisie de São Paulo, d’aller recruter des candidats dans les favelas de Rio de Janeiro. J’avais besoin qu’on m’ouvre des portes. Ma première clé fut Katia Lund. Katia avait réalisé plusieurs films dans les favelas de Rio. Elle y a des amis et de bon contacts, elle connaît le code des dealers. Originaire de São Paulo, de parents américains, rousse à la peau blanche, elle faisait figure d’extraterrestre dans ces quartiers, mais elle y évolue comme un poisson dans l’eau. Elle s’est tout de suite investie corps et âme dans le projet auquel elle a énormément apporté. Ma deuxième clé fut l’acteur Guti Fraga qui a réussi, à force d’obstination, à monter et à diriger une troupe de comédiens dans la favela de Vidigal. Il est parvenu, quasiment sans aide extérieure, à construire un atelier, un théâtre, à enrôler trois cents jeunes dans un programme d’études très varié : art dramatique, littérature, danse, musique, cinéma… Il était l’homme de la situation. Nous l’avons invité à se joindre à nous, sans penser un instant qu’il s’impliquerait personnellement. Erreur ! Il a lu le script, l’a aimé, et a décidé de se consacrer au film en dépit d’un emploi du temps passablement chargé. Je savais dès lors que nous étions sur la bonne voie. LA SÉLECTION DES ACTEURS La “Fundição Progresso”, un vaste centre culturel de Rio, nous a ouvert un espace de travail où nous avons établi nos bureaux. Six collaborateurs étaient chargés, chaque jour de visiter en tandem les nombreuses banlieues populaires de la ville : Rocinha, Cantagalo, Chapéu Mangueira, Cidade de Deus, Dona Marta, Vidigal, etc. Ils se bornaient à informer les associations de quartiers de leur désir de recruter de jeunes candidats à une école d’art dramatique, mais ne faisaient pas mention du film. Au jour dit, plusieurs centaines de personnes se présentèrent pour auditionner, et furent filmés. L’équipe visita aussi des cours de théâtre amateurs et diverses institutions de soutien à la jeunesse. Quarante jours plus tard, nous disposions de quelques 2000 interviews. Nous nous sommes alors réunis pour sélectionner 400 de ces jeunes, selon des critères hautement subjectifs : “Ce gars a une bonne bouille”, “Celui-ci a l’air triste”, “Celui-là est agressif, il me plaît”, etc. Chacun proposait ses propres candidats, sans droit de veto sur les autres. Nous avons ensuite rappelé ces 400 jeunes deux semaines de suite. Guti Fraga leur a fait faire des exercices, puis une improvisation collective. Nous avons filmé ce travail, tout en prenant des notes. Ensuite, nous avons visionné ces enregistrements et avons retenu les 200 jeunes qui travailleraient en atelier avec Guti. Ces 200 jeunes furent répartis en 8 groupes, en fonction de leur âge et de leur disponibilité. Ils viendraient s’entraîner chez nous deux fois par semaine, repas et transports étant à notre charge. Chaque jour se tenaient ainsi, 11 heures de cours, assurées par 4 équipes. Guti dirigeait le travail, entouré de deux de ses assistants habituels, ainsi que de Katia et de moi. Les jeunes n’avaient pas été informés que nous réaliserions le film. Nous voyant assis en tailleur parmi eux, ils nous acceptèrent spontanément. Lorsqu’ils découvrirent nos attributions, ils étaient déjà pleinement à l’aise face à nous, et se sentaient libres d’apporter leurs suggestions ou de contester telle ou telle scène. Au bout de deux mois, nous avons commencé à donner seuls certains cours. L’enthousiasme collectif nous a permis d’unifier le groupe et de contrôler cette remuante assemblée. DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 17 LES COURS D’INTERPRÉTATION Les premiers cours se limitèrent à des exercices, propres, selon Guti Fraga, à susciter un climat de compréhension mutuelle, à rendre solidaires ces jeunes de diverses origines. La caméra fut omniprésente dès la première séance, afin qu’ils s’habituent à elle. Peu de temps après, nous avons entamé des improvisations libres, puis des improvisations tirées de scènes du film. Nous avons alors fractionné les classes en sous-groupes, lesquels préparaient les scènes proposées, puis les jouaient devant l’ensemble de la classe, face à la caméra. Les remarques des jeunes étaient toujours focalisées sur la “vérité”. Ils ne demandaient pas à leurs copains d’interpréter, mais de réagir de façon authentique. Au terme de ce cycle, chaque étudiant a livré son bilan. La majorité a jugé l’expérience enrichissante. Beaucoup ont pensé que ce processus leur avait appris discipline et concentration. La suite du casting fut des plus classiques. Les rôles secondaires, les personnages adultes ou jouissant d’une meilleure position sociale furent attribués à des acteurs professionnels, mais peu connus du grand public. L’APPORT DES COMÉDIENS En atelier, chaque scène du film fit l’objet de multiples répétitions au sein des différents groupes. Chaque fois, nous avons ajouté ou coupé des répliques, des réactions ou des plaisanteries, et précisé certaines intentions. Le scénariste Bráulio Mantovani incorpora ces changements dans de nouvelles moutures, qui furent ensuite redistribuées aux acteurs. Il vint également nous rendre visite pour assister aux improvisations et se familiariser avec le langage des jeunes. Mais les acteurs nous apportèrent encore plus. Lorsqu’une situation ou un dialogue ne rencontrait aucun écho en eux, ne faisait manifestement pas partie de leur univers, nous les coupions. Il aurait été inutile d’insister. C’est en transcrivant les dialogues pour les sous-titreurs que j’ai réalisé à quel point les gosses y avaient contribué. Ils s’expriment par des phrases très brèves, de style télégraphique, qu’ils répètent deux ou trois fois et parsèment d’interjections ou de jurons. Un scénariste peinerait à élaborer une telle syntaxe face à son ordinateur. DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 19 LE TOURNAGE Le film décrit les premières étapes de la prise en main des favelas par les trafiquants de drogue, au début des années soixante-dix. Ce processus se déroula à l’identique dans la quasi totalité des favelas de Rio. Aujourd’hui, chaque quartier est sous la coupe d’un “propriétaire” qui y fait régner sa loi. Lors de ma première visite à Cidade de Deus, j’avais parqué ma voiture dans une rue très animée et poursuivi à pied, escorté par un jeune complice des dealers, censé m’éviter les ennuis. À peine avais-je fait trente mètres dans la Cité, qu’un garçon me braqua par derrière avec un énorme pistolet. Il aurait fait feu sur le champ si mon accompagnateur ne s’était interposé. Cinq secondes plus tard, le gosse au pistolet s’était évanoui dans la nature. Le cœur battant, j’ai réalisé que Paulo Lins n’avait rien exagéré. À qui vient de l’extérieur, la favela apparaît comme une terre étrangère. L’État en semble absent, les lois ordinaires ne s’y appliquent pas, la police constitue une menace, une source de conflits et de désordres. Les “propriétaires” font aussi fonction de juges, tranchent tous les litiges ou problèmes personnels, familiaux et administratifs de la favela. C’est ainsi que nous avons vu le maire de Cidade de Deus téléphoner au “QG” de la drogue pour obtenir la permission de remplacer les lumières dans le quartier et savoir à quelle date envoyer ses camions. Ce n’est pas la mairie, mais l’organisation de la drogue, qui nous a délivré les autorisations de tournage. Pour filmer dans une favela, vous devez embaucher un directeur de production qui sache comment joindre le “propriétaire” et qui connaisse les codes de conduite appropriés. Le scénario de LA CITÉ DE DIEU parvint, derrière les murs de la prison de haute sécurité de Bangu, à un discret “décideur” qui en autorisa le tournage, en nous recommandant de ne pas copier les films américains et de montrer la réalité telle qu’elle est. L’idée de départ était de tourner dans la Cité même. Par chance, nous y avions réalisé un court métrage six mois plus tôt, et avions compris qu’il était hors de question de s’y attarder. Une cascade de difficultés s’abattit en effet sur nous tout au long de cette courte semaine. Dès le premier jour, des gens se mirent en tête de nous interdire de tourner, sous prétexte que le “propriétaire” jugeait le scénario trop violent. Il estimait en outre qu’il ne fallait pas montrer les dealers au cinéma car cela donnait un mauvais exemple aux jeunes. Nous avons tourné à la va-vite et essayé de résoudre les problèmes sur le tas. Les échos d’innombrables coups de feu, les carences de la police censée nous protéger, l’omniprésence de dealers lourdement armés suffirent à nous convaincre que LA CITÉ DE DIEU ne pouvait être filmé dans son décor originel. La première partie du tournage se déroula dans un lotissement en cours d’achèvement : Nova Sepetiba, dont l’apparence générale était conforme à celle de la Cité des années soixante. Les dealers n’avaient pas encore pris possession du quartier, et ne le feraient qu’en fin de chantier. La deuxième partie s’est déroulée dans un lotissement de l’époque de la Cité, mais situé à l’autre extrémité de la ville. Son “propriétaire” avait la quarantaine et était plus stable que les gamins de 19 ans qui contrôlent d’autres zones. Il demanda à voir le scénario et posa certaines conditions : embaucher dans l’équipe autant de gens du quartier que possible, identifier soigneusement nos véhicules, indiquer leurs heures d’arrivée et de départ. Il fixa également le montant du droit d’utilisation du site et le tarif de la figuration. Le tout à travers une série d’intermédiaires, car ce monsieur occupait alors une cellule de la prison de Bangu. Après cela, nous n’eûmes pas le moindre problème. Les gens nous accueillirent tous à bras ouverts, et s’efforcèrent de nous faciliter la tâche, en évacuant des rues les voitures modernes, en nous louant des garages, en ouvrant leurs maisons pour nous permettre d’y tourner, etc. Personne ne se plaignit du dérangement, et nous n’avons jamais manqué de figurants. Nous n’avons même pas signé le moindre document. Ce n’était pas nécessaire… DP Cité des dieux 10/05/02 12:42 Page 21 FERNANDO MEIRELLES RÉALISATEUR Fernando Meirelles est né en 1955 à São Paulo. Pendants ses études d’architecture à l’Université de São Paulo, il produit avec un groupe d’amis ses premières vidéos expérimentales, qui conduisent à la création de la société de production indépendante “Olhar Electrônico”. Fernando Meirelles et son équipe remportent de nombreux prix dans des festivals brésiliens et s’imposent comme référence en matière de production indépendante. Le groupe passe ensuite à la création télévisuelle, apportant un souffle d’air frais à la télévision brésilienne des années quatre-vingt. Parmi ses nombreuses productions : “Ernesto Varela”, “The Reporter”, “TV Mix” et la série jeunesse “Ra Tim Bum”. À la fin des années quatre-vingt, Fernando Meirelles passe de la vidéo à la pellicule, et réalise des pubs. Au début des années quatre-vingt-dix, il monte avec Paulo Morelli et Andrea Barata Ribeiro la société de production 02 Filmes. Menant de front production télé et publicité, Fernando Meirelles est devenu au cours des dix dernières années l’un des réalisateurs de spots les plus célèbres de son pays. Il a également coréalisé ces cinq dernières années trois longs métrages et deux courts métrages. FILMOGRAPHIE : 1996 O MENINO MALUQUINHO (long métrage), en coréalisation avec Fabrizio Minto 1997 E NO MEIO PASSA UM TREN (court métrage), en coréalisation avec Nando Olival 1999 DOMESTICAS O FILME (long métrage), en coréalisation avec Nando Olival 2000 PALACE II (court métrage), en coréalisation avec Katia Lund 2002 LA CITÉ DE DIEU (long métrage), en coréalisation avec Katia Lund DP Cité des dieux 10/05/02 12:43 Page 23 BRÁULIO MANTOVANI SCÉNARISTE J’ai dénombré 300 personnages dans le roman “Cidade de Deus”, et il est bien possible que j’en ai laissé échapper quelques uns. Le livre regroupe une bonne centaine d’histoires distinctes. Des longues et des brèves, de nombreuses intrigues qui se recoupent, d’autres qui tiennent en quelques lignes. Ces chiffres donnent une petite idée du travail qui m’attendait après avoir accepté, en 1999, d’adapter le roman de Paulo Lins. Fernando Meirelles était pressé : il lui fallait tenir les délais imposés par certains décrets de soutien à l’action culturelle. Je me souviens avoir lu les dialogues et rédigé la première mouture en deux mois. L’important était de livrer le travail à temps. On verrait plus tard pour peaufiner. À ma grande surprise, ce scénario que je considérais comme une ébauche, fut retenu par le “Sundance Rio Film Laboratory” et primé par la “Motion Picture Association” et la “Writers Guild of América”. Il était donc moins bancal que je ne pensais. Ce qui ne nous empêcha pas d’en écrire onze autres versions, de procéder à de nouveaux changements en cours de tournage et de réécrire une partie du commentaire au montage. J’ai écrit ce scénario, mais l’auteur du projet fut, d’entrée de jeu, Fernando Meirelles. Il a suivi attentivement toutes les étapes de l’écriture, il a été mon partenaire et m’a sauvé la mise plus d’une fois. Lorsque la coréalisatrice Katia Lund s’associa au projet, elle s’impliqua elle aussi dans l’écriture et résolut un des problèmes narratifs qui nous hantaient depuis le début. Vinrent ensuite les acteurs, avec leurs improvisations, leurs répliques inventées en atelier ou dans le feu de l’action. Et enfin, Paulo Lins qui apporta sa contribution personnelle à la version définitive du commentaire. Cela fait tant de collaborateurs que j’ai un peu honte d’être seul à signer ce scénario… mais rien qu’un peu, car l’adaptation du roman imposait une “architecture” complexe et audacieuse dont je revendique la paternité. ÉCRITURE DP Cité des dieux 10/05/02 12:43 Page 25 IMAGE CÉSAR CHARLONE DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE Je me suis abondamment entretenu avec Fernando Meirelles sur l’orientation qu’il comptait donner à LA CITÉ DE DIEU. Son souci majeur était, à l’évidence, le respect de l’œuvre originelle. Nous ignorions tout des circonstances qui avaient fait germer le livre de Paulo Lins, mais il nous fallait les reproduire avec un maximum de fidélité. Nous ne savions rien de cette réalité, hormis ce qu’en disait la presse et qui nous choquait dans la quiétude, le confort et la sécurité de nos maisons. Il aurait été facile d’extraire de notre bagage cinématographique quelques-uns des nombreux procédés suceptibles d’enjoliver et d’exploiter la violence, de faire un “beau” film d’action, plein de trucs et d’effets spéciaux. Après avoir relu le livre, il devint clair que notre plus grand défi consisterait à coller de très près à la réalité et à la dépeindre avec un minimum d’interférences. Lorsque j’ai commencé à travailler à ce projet, Fernando avait déjà fait un pas décisif dans cette voie, en choisissant de travailler avec des acteurs issus de ce monde, plutôt qu’avec des professionnels. Cette option pouvait donner d’excellents résultats et conférer au film une grande “vérité”, mais elle présentait aussi quelques risques. Le principal était de traiter le film à la manière d’un documentaire. Nos “acteurs” n’avaient jamais mis les pieds sur un plateau, ils ignoraient tout des marques et des lumières et les plus jeunes d’entre eux avait du mal à distinguer la fiction de la réalité. Inutile, dans ces conditions, de faire des répétitions classiques ou de tracer au sol des marques que nul ne respecterait. Leur implication émotionnelle se renforçait de prise en prise, en même temps qu’ils se créaient leur propre espace et leurs propres repères. C’est sur cette base que s’est élaborée la photo de LA CITÉ DE DIEU. La chance voulut que Fernando soit appelé à tourner un court métrage pour “TV Globo” et qu’il m’invite à l’éclairer pour en faire une sorte de répétition technique de LA CITÉ DE DIEU. C’est ainsi que, durant les quatre jours de tournage de PALACE II, j’ai pu tester 8 types de pellicules 35 mm et 16 mm, différents matériels d’éclairage, différents styles cinématographiques, plus ou moins formels, plus ou moins improvisés. La dernière expérience consista à DP Cité des dieux 10/05/02 12:43 Page 27 LES CHOIX ESTHÉTIQUES DE FERNANDO MEIRELLES tourner sur pellicule, à faire toute la postproduction en vidéo, puis à transférer le résultat sur pellicule, en bénéficiant de tous les avantages de l’électronique : variations de vitesse, d’intensité lumineuse, passages du 35 mm au 16 mm, etc. J’ai su, après cela, que LA CITÉ DE DIEU ne ressemblerait à aucun de mes films précédents, à l’exception de certains documentaires du début des années quatre-vingt, que j’avais tournés caméra à l’épaule, traquant la réalité, lui laissant m’inspirer cadrages et éclairages, comme au temps du néo-réalisme et du Cinema Novo. Lorsque nous avons commencé à discuter du film, Fernando m’a dit qu’il comprendrait trois périodes distinctes : LES ANNÉES SOIXANTE, avec les premiers chapardages. Elles auraient la naïveté d’un western : cadrages traditionnels, travellings, caméras sur pied, etc. LES ANNÉES SOIXANTE-DIX : les hippies, le chrome, l’artifice, le LSD, les psychédéliques. Pellicule : Ektachrome. LES ANNÉES QUATRE-VINGT : le hard rock… Mais ce n’était que des mots, le plus grand challenge consistait à trouver une forme d’expression cinématographique, une image, des lumières qui n’exploitent ni ne travestissent la réalité. Comme si Paulo Lins était derrière la caméra. Fernando appelait cela de la “non photographie”… Le roman comprend trois grandes sections, qui tournent respectivement autour des personnages de “Tignasse”, Bené et “Manu le Tombeur”. Mais il évoque surtout une impressionnante kyrielle de personnages de la Cidade de Deus et leurs rapports au crime. C’est cette lancinante succession d’histoires et l’esprit même du lieu qui ont inspiré l’ambiance du film. On retrouve dans LA CITÉ DE DIEU ce découpage en trois parties, mais destiné cette fois à marquer le passage du temps plutôt que l’entrée en scène de tel ou tel protagoniste. En outre, j’ai décidé de traiter chaque section comme un film en soi, et j’ai communiqué à toute l’équipe une note d’intention précisant clairement nos objectifs. La première partie est l’histoire du “Tendre Trio” des années soixante, rythmée au son de la samba. Elle évoque une certaine forme de criminalité romantique, une certaine innocence juvénile, par le biais d’objectifs traditionnels (du 32 au 65), de cadrages et de compositions assez classiques. La deuxième partie se situe au début des années soixante-dix. C’est l’histoire de “Petit Zé”, le début des bonnes affaires, de la prospérité. Couleurs vives, plus de liberté dans les mouvements d’appareil et dans le montage. Relents de marijuana, échos de pop, samba, funk. La guerre de la drogue occupe la dernière partie du film. C’est l’histoire de Mané Galinha. Monochromatique, froide, percutante. Montage heurté, décadrages, panoramiques filés, images floues, rythme haletant. Et les “mauvaises vibrations” de la cocaïne… DP Cité des dieux 10/05/02 12:43 Page 29 DANIEL REZENDE CHEF MONTEUR Ce film est le premier long métrage que j’ai monté, après une série de spots, clips et mini-vidéos. Je travaillais déjà depuis quatre ans avec Fernando Meirelles lorsqu’il m’invita à monter LA CITÉ DE DIEU. J’ai tout de suite accepté, séduit par la qualité du projet et l’enthousiasme contagieux de Fernando. Le film était solidement structuré dans son esprit. Le scénario se composait de trois histoires, qui seraient traitées comme autant de films distincts. LA PREMIÈRE PARTIE – l’histoire de “Tignasse” –, décrit la montée de la criminalité dans la Cité, au milieu des années soixante. L’ambiance est encore un peu “naïve”, et nous avons opté ici pour un montage plutôt “classique” : coupes et raccords traditionnels, respect des axes, mise en valeur de l’action. LA DEUXIÈME PARTIE – l’histoire de “Petit Zé” –, se situe dans les années soixante-dix. La drogue est devenue la principale source de revenus de la Cité. Le montage se libère, il est moins conceptuel, moins soucieux des raccords. Il en résulte un effet de distanciation, qui prépare le spectateur aux drames à venir. LA TROISIÈME PARTIE – l’histoire de “Manu Tombeur”. Nous sommes maintenant à la fin des années soixante-dix, en pleine guerre de la drogue. L’atmosphère devient lourde et oppressante. Le montage est totalement libre, sans aucun souci des raccords, de la continuité spatio-temporelle et autres “règles”. Les coupes sont ostensibles, étranges, dérangeantes. Elles créent une sensation d’étouffement, de tension, de frénésie. Le spectateur n’a pas le temps de reprendre son souffle. Le montage a représenté cinq mois de travail. Certaines scènes avaient été tournées avec deux ou trois caméras, la majorité des acteurs étaient des amateurs qui ne se privaient pas de changer le dialogue ou de prendre des marques différentes d’une prise sur l’autre. Ils abordaient en fait chaque prise comme une autre scène. Cette spontanéité renforçait la véracité du film, mais compliquait singulièrement la tâche du monteur. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous avons gagné notre pari. LA CITÉ DE DIEU est un film impressionnant, authentique, différent de la plupart de nos productions nationales. Il est passionné, il ne laisse personne indifférent. Je suis content de notre travail. MONTAGE DP Cité des dieux 10/05/02 12:43 Page 31 LISTE ARTISTIQUE Matheus Nachtergaele Seu Jorge Alexandre Rodrigues Leandro Firmino da Hora Phelipe Haagensen Jonathan Haagensen Douglas Silva Roberta Rodriguez Silvia “Carotte” “Manu Tombeur” “Fusée” “Petit Zé” “Bené” “Tignasse” “Petit Dé” “Bérénice” DP Cité des dieux 10/05/02 12:43 Page 33 LISTE TECHNIQUE Réalisateur Co-Réalisateur Scénariste Directeur de la photographie Monteur Directeur artistique 1er assistant réalisateurs Producteurs Co-Producteurs Producteur exécutif Son Musique originale Costumes Maquillage Effets spéciaux Casting Fernando Meirelles Katia Lund Bráulio Mantovani César Charlone, ABC Daniel Rezende Tulé Peake Lamartine Ferreira Andrea Barata Ribeiro et Maurício Andrade Ramos Daniel Filho, Donald K. Ranvaud, Globo Filmes Hank Levine, Juliette Renaud, Marc Beauchamps Vincent Maraval (Wild Bunch/StudioCanal) et Walter Salles Elisa Tolomelli Zeta Audio : Martin Hernández Guilherme Ayrosa Paulo Ricardo Nunes Antônio Pinto et Ed Côrtes Bia Salgado et Inês Salgado Anna van Steen Renato Batata Fátima Toledo Drame / 2h15 / Couleur / 35 mm / 1:1,85 / Dolby SRD www.marsfilms.com DP Cité des dieux Matheus Nachtergaele “Carotte” 10/05/02 12:43 Seu Jorge “Manu Tombeur” Page 35 Alexandre Rodrigues “Fusée” Leandro Firmino da Hora “Petit Zé” Douglas Silva “Petit Dé” Fernando Meirelles et Katia Lund