La grande dictée 2010 - Asnières-sur

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La grande dictée 2010 - Asnières-sur
La Grande Dictée d’Asnières
Samedi 10 avril, au château
L’étroit mousquetaire et les trois coups
Natif du chef-lieu du Bas-Rhin, ce comédien chétif mais haut en couleur s’est installé
depuis quelque vingt ans à Asnières… Soyons rigoureux et précis : à Asnières-sur-Seine,
dans les Hauts-de-Seine ! Nous affinerons notre propos en disant qu’il habite le centre-ville,
où plus d’un se félicite de voir des terre-pleins fleuris de dahlias prospères et d’azalées très
colorées.
Un tantinet original, voire marginal, notre Strasbourgeois décalé ! Jugez-en : quels que
soient la saison et le temps, de peur de se retrouver enchifrené à l’instant d’entrer en scène –
ne serait-ce que pour une saynète constituée d’un seul acte –, il s’emmitoufle, sans la moindre
variante, dans une espèce de chèche rouge ponceau et se coiffe d’une casquette
molletonnée…
Loin d’être un robot, il s’escagasse afin de déceler dans un texte, sans l’aide d’un
mentor, les intentions les plus subtiles d’un auteur. Il se livre donc à de perpétuelles séances
de remue-méninges allant crescendo, et dont il sort épuisé. Alors, il écoute en boucle sur son
baladeur la célèbre Marche turque qui, dit-on, mettait Liszt en boule…
Quoique la comédie historique dont il est, ces jours-ci, un des interprètes n’exige pas
de lui une grande débauche d’efforts physiques, il s’astreint tous les après-midi à une
promenade qui inclut le tour, répété, du bel hôtel de ville ainsi qu’une balade dans le fameux
cimetière animalier, le premier au monde à avoir été créé.
De tous les acteurs qui se sont succédé dans le rôle, il est sans doute le plus malingre,
le plus étriqué… Nobles grotesques et bourgeois ridicules, péronnelles impertinentes et valets
égrillards, tels sont les personnages de cette divertissante farce se déroulant sous le règne du
Roi-Soleil. Seul militaire au sein de ces « pékins » (ou : péquins), il brandit une épée
démesurée en réclamant sans cesse, à cor et à cri, un jaquelin de saint-émilion, pour boire à la
santé du roi.
Si les spectateurs, tout à leur plaisir, ne s’aperçoivent de rien, les camarades de notre
homme se sont rendu compte qu’au fil des tirades sa voix enfle et devient tonitruante, et que
son débit se précipite. Ses yeux s’enfièvrent, et sa carnation vire au rubicond ! Passé la
représentation, il s’esquive avec une grande urbanité, déclinant les invitations aux
sempiternelles agapes nocturnes.
En cinq sec, il rejoint son deux-pièces, revêt une tenue d’intérieur, réchauffe pendant
quelques minutes le plat qu’il a fait mijoter longuement le matin, puis frappe les trois coups
traditionnels, non avec un brigadier, mais avec une claymore rapportée d’Édimbourg. Tel
Stentor, il clame alors d’une voix tonitruante : « Monsieur est servi ! », pose la marmite sur un
dessous-de-plat bleu Nattier… et s’attable face au roboratif baeckeofe (ou : bäckeofe) qui lui
rappelle sa chère Alsace.
© Jean-Pierre Colignon, avril 2010.

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