LE SUJET ALCOOLIQUE et SON ENTOURAGE Quelles souffrances

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LE SUJET ALCOOLIQUE et SON ENTOURAGE Quelles souffrances
Coordination Soins et Recherches en Alcoologie - Addictologie
COSRAA ( association loi 1901 )
Siège social- 148 rte de LORIENT. 35000 RENNES
Tel 02 99 31 33 87
Fax 02 99 59 70 73
LE SUJET ALCOOLIQUE ET SON ENTOURAGE :
QUELLES SOUFFRANCES ?
QUELLES ISSUES THERAPEUTIQUES ?
10 ème Journée d’Etude du 16 Octobre 2001
IRTS 2 rue du Bois Labbé RENNES
SOMMAIRE
LA PROBLEMATIQUE ALCOOL DANS UN SERVICE DE TUTELLE
Jacques ALIX délégué à la tutelle. Rennes APASE association pour l’action sociale et
éducative- service de tutelle adulte
2
LE GROUPE AL-ANON
AL-ANON France
LUCE M. vice présidente nationale
13
TEMOIGNAGE D’UN MEMBRE DES ALCOOLOQUES ANOMYMES
CLAUDE AA Rennes
15
LE POINT DE VUE DES ASSOCIATIONS NEPHALISTES DE RENNES
AA - Amis de la Santé - Alcool Assistance, Croix d'Or - Vie Libre,
Texte lu par CLAUDE AA
18
LE CENTRE de CURE AMBULATOIRE EN ALCOOLOGIE DE PONTIVY
Docteur ODIER, médecin - Madame ALLANIC,animatrice- Madame LE NEAL, secrétaire
Madame LE LAY,psychologue.
20
LE SUJET ALCOOLIQUE, LE MEDECIN ET LE CONJOINT
Dr KERITZE –TOPOR
Beaupreau (49)
26
CODEPENDANCE ET PARENTALITE DANS LE SYSTEME FAMILIAL ALCOOLIQUE
Dr Vanghélis ANASTASSIOU
PARIS
39
PROBLEMES POSES PAR LA GRANDE EXCLUSION
Dr Jacques HASSIN Directeur scientifique, Observatoire du Samu Social de Paris
46
THERAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Dr Yves LECLAIRE Centre thérapeutique en Alcoologie La Baronnais
44342 Bouguenais
55
INTERET DE L’APPROCHE PSYCHOTHERAPIQUE GROUPALE DANS LA PRISE EN
CHARGE DU SUJET ALCOOLIQUE.
Dr Bernard BOISSET Psychiatre coordonnateur du pôle Addictologie-Alcoologie de la
MGEN Ile de France Secrétaire général du CDPA des Hauts de Seine
64
1
LA PROBLEMATIQUE ALCOOL DANS UN SERVICE DE TUTELLE
Jacques ALIX Délégué à la tutelle APASE RENNES
La protection des personnes et de leurs biens ne s’est pas organisée du jour au lendemain.
C’est une lente évolution de la société qui a amené, en fonction des problèmes posés, le
législateur a créé des réponses. En ce qui concerne le service de tutelle, quelque soit son lieu
d’implantation, deux lois principales encadrent l’organisation de celui-ci :
•
la loi du 18 octobre 1966 qui protège les biens de la personne
•
la loi du 3 janvier 1968 qui elle protège la personne.
Qu’est-ce qu’un service de tutelle ?
La définition la plus simple est de dire : un service qui, sur décision de justice, tend à protéger
les biens, la personne.
Qu’est-ce que l’APASE ?
Le sigle signifie l’Association Pour l’Action Sociale et Educative, loi 1901 et est agrée au titre
de l’Aide Sociale et par le ministère de la Justice.
La mission est d’exercer des mandats précis et également de mettre en œuvre toutes formes
d’actions tendant à la sauvegarde et à l’insertion sociale des personnes et des familles (art.
4 des statuts).
Avant de s’appeler l’APASE, cette association s’appelait l’ADTPS (Association
départementale de tutelle aux Prestations sociales) issue d’une fusion entre deux services de
tutelles, CAF et MSA.
Cette association est animée par une Assemblée Générale et un Conseil constitués des
Administrations et Services fondateurs ou partenaires, et de personnes dites qualifiées.∗
Les mots ou expressions qui fondent son existence sont :
la promotion de la personne et de la famille
la protection et la sauvegarde des intérêts de l’enfant dans sa famille
et de l’adulte ayant des handicaps
l’insertion familiale, scolaire, sociale et professionnelle*
La population à qui s’adresse cela est une population sensible, en difficultés psychologiques,
économiques et sociales.
Quels sont les mandats confiés à l’APASE ?
Ceux-ci sont définis et circonscrits par des textes législatifs et précisés par les orientations de
l’institution. Il s’agit de :
•
•
•
•
•
•
•
la mesure de tutelle aux prestations sociales destinées aux enfants
(TPSE) et de tutelle aux prestations sociales aux adultes,
la mesure de protection des majeurs,
la mesure d’action éducative en milieu naturel (administrative),
la mesure d’action éducative en milieu ouvert (judiciaire),
la mesure d’observation en milieu naturel,
l’enquête sociale,
l’accueil familial des adultes.
A ces mesures s’ajoutent des services qui complètent ou renforcent l’exercice des mandats :
•
∗
le point accueil parents/enfants
page 3 du projet pédagogique.
2
•
la mission d’insertion en milieu ordinaire du travail
•
la participation à la mise en place du logement pour les familles et les
personnes suivies.
L’action de l’APASE se limite au département d’Ille-et-Vilaine.
Le nombre de dossiers traités ont amené la direction à répartir en plusieurs sites les différents
intervenants.
L’activité se déroule à partir des différents tribunaux : Rennes, Vitré, Fougères, Montfort,
Redon et St Malo.1
L’enquête qui a été conduite dans un premier temps sur l’ensemble des secteurs enfancefamille et secteur adulte n’a aboutit pour l’instant qu’à un résultat du secteur adulte là où le
problème semblait peut-être se poser d’une façon plus aigue (encore que…).
Nous allons maintenant regarder ce « secteur adulte » d’une manière plus approfondie.
Quelle population concernée ?
Les adultes concernés par ces mesures de protection présentent un handicap dont les
formes sont le plus souvent :
•
une déficience intellectuelle
•
la maladie mentale
•
la marginalité sociale.
Les différents problèmes psychologiques empêchent ces adultes de s’adapter à la vie
sociale. Ces personnes expriment des carences, des insuffisances, des incapacités à gérer
leur situation personnelle.
Elles présentent souvent les symptômes suivants :
•
une santé qui se dégrade au plan physique et mental
•
des périodes critiques qui peuvent mettre leur santé et leurs moyens de
subsistance en danger
•
l’alcoolisme comme mode de résolution de l’angoisse
•
une altération progressive d’une image de soi avec des incapacités
successives qui se mettent en place
•
une dégradation des rapports sociaux
•
une pathologie de la responsabilité
•
une instabilité de comportement
La loi du 3 janvier 1968
L’article 488 de cette loi définit la mesure de protection de la personne.
La majorité est fixée à dix-huit ans accomplis. A cet âge, on est capable de tous les actes de
la vie civile.
Est néanmoins protégé par la loi, soit à l’occasion d’un acte particulier, soit d’une manière
continue, le majeur qu’une altération de ses facultés personnelles met dans l’impossibilité de
pourvoir seul à ses intérêts.
1
A Rennes, rue Alphonse Guérin, les Landelles à Chantepie, pour les secteurs enfance-famille.
Boulevard de Rochester à Rennes pour le secteur adulte et l’accueil familial des majeurs. Enfin, à St Malo se
trouvent les secteurs enfance-famille et adulte.
3
Peut pareillement être protégé le majeur qui par sa prodigalité, son intempérance ou son
oisiveté s’expose à tomber dans le besoin ou compromet l’exécution de ses obligations
familiales.
Le juge des tutelles est le seul qui puisse prononcer une mesure de protection.
Quelles sont les mesures de protection ?
Il existe trois mesures :
- la sauvegarde de justice
- la curatelle
- la tutelle
Le législateur dans cette loi a voulu permettre aux majeurs de conserver leur liberté
individuelle et être respectueux des capacités des personnes.
Pour cela il y a une nécessité à collaborer avec ces personnes pour prendre des décisions
adéquates.
La Sauvegarde de Justice
La personne conserve sa capacité. Cette mesure précède une mesure de curatelle ou de
tutelle.
La curatelle
La personne a une capacité partielle. Elle a besoin d’être conseillée, d’une assistance pour
certains actes de la vie civile.
Très souvent la curatelle est dite « renforcée. » La personne doit être assistée et conseillée
dans les actes de disposition.
La gestion des revenus est confiée au curateur quelles que soient les ressources.
La tutelle
L’incapacité est plus large. La personne doit être « représentée » dans tous les actes de la vie
civile.
La loi du 18 octobre 1966
La tutelle aux prestations sociales (TPSA)
Ce n’est pas une mesure d’incapacité. Elle intervient lorsque les prestations ne sont pas
utilisées dans l’intérêt du bénéficiaire ou lorsque le bénéficiaire vit dans des conditions
d’alimentation, de logement, d’hygiène manifestement défectueuse, en raison de son état
mental ou d’une déficience physique.
Cette tutelle ne peut s’exercer que sur certaines prestations :
-
allocation d’adulte handicapé
-
fond national de solidarité
-
allocation logement à caractère social
-
revenu minimum d’insertion
Cette mesure a une durée fixée par le juge et peut être renouvelée.
La personne perd seulement le droit de percevoir et de gérer directement les prestations
dont elle est bénéficiaire.
4
Voilà donc le cadre, les repères dans lesquels les majeurs protégés vont évoluer.
Cependant, avant d’aborder l’enquête, quelques remarques s’imposent.
A l’origine, ces lois se destinaient aux personnes âgées dépendantes.
largement évolué et dérivé de son cadre initial.
Ce système a
Vont être désormais pris en charge, outre des personnes surendettées, des majeurs
beaucoup plus jeunes qu’auparavant souvent alcooliques ou toxicomanes, marginaux ou
en voie de marginalisation, ayant perdu pied à la suite d’un divorce ou de la perte du
travail.*
Trois facteurs semblent expliquer ce phénomène :
-
le vieillissement de la population souvent seule en incapacité physique
et plus souvent mentale
-
le désinvestissement des familles qui ne peuvent ou ne veulent prendre
une personne fragile
-
l’apparition de nouveaux risques d’exclusion sociale « dans un vaste
marché de la solitude. »**
Comment est née l’idée d’une enquête concernant la problématique alcool ?
Lors de mon entretien d’embauche, il a été clairement abordé mon engagement au sein
d’une association la Cosra (Commission d’organisation de soins et de recherches en
alcoologie). Ce lieu, dans lequel se retrouvent soignants, membres de la justice,
associations néphalistes, travailleurs sociaux, permet la rencontre de gens du terrain qui
côtoient une population en grande difficulté avec l’alcool.
Mon passé professionnel m’avait amené à effectuer des formations et interventions en
alcoologie.
L’APASE est intervenu lors d’un colloque organisé par la Cosra ayant pour thème « Alcool et
Handicap ».
Mon désir de faire une formation plus complète était connue de mes futurs employeurs.
Les mots alcool, alcooliques, malades… sont souvent prononcés par les différents collègues.
Peu à peu, j’ai proposé à la direction de l’APASE de participer au Conseil d’administration
de la Cosra et d’y représenter cette institution. Avec l’accord de ma direction, j’ai pu au fil
des réunions expliquer les difficultés rencontrées par les délégués lors de l’exercice de leur
mandant.
Ces questions intéressaient aussi les partenaires soignants souvent démunis face aux
situations apportées par ces patients.
Un jour la question est venue : « Finalement, ça concerne combien de personnes ? »
Progressivement est née l’idée d’une enquête que nous avons pensé systématique :
connaître le nombre de dossier dans lesquels la problématique « alcool » apparaissaient.
* C. Prieur, le Monde, Société, 28 novembre 1998
**
le Journal de l’action sociale, « Tutelle des majeurs : urgence du changement, »
septembre 1998.
5
A partir d’une même étude, il fallait dégager dans le secteur Adulte le nombre de Majeurs
Protégés concernés.
Construction de l’enquête
Avec une déléguée médicale travaillant pour une laboratoire pharmaceutique et aussi
membre du Conseil d’administration de la Cosra, ce fut le début de la création du
questionnaire.
Dans cette enquête, deux grands parties :
-
une partie concernant huit items de renseignement généraux liés : aux
âge, sexe, nombre d’enfants à charge, secteur géographique, nature
de la mesure de protection, situation matrimoniale, ressources, niveau
d’étude.
A la fin de cette première partie de l’enquête une question à deux choix : est-ce que
l’alcool est présent dans la vie de l’intéressé ? Oui ou non.
Si oui, une série de huit questions s’ensuit. Ces questions ont trait aux conflits, type de buveur,
début de la problématique, motivation, culpabilité, les hospitalisations, le suivi tentative
d’arrêt, les éventuels problèmes avec la justice.
Une fois établi, le questionnaire a été mis en forme avec un collègue de travail intéressé par
l’enquête proprement dite et par le montage technique informatique.
Pour la mise en forme, nous avons choisi des réponses fermées et chiffrées aux questions
posées.
Ce même collègue a établi une base de données pour permettre de quantifier les différents
items, permettant aussi d’établir des tableaux chiffrés.
Méthodologie
Lorsque le questionnaire a été finalisé, l’équipe de direction a été informée du contenu et
en a reçu un exemplaire.
Après avoir reçu l’accord de la direction, nous avons été, et ceci pour chaque équipe,
présenter, distribuer, commenter, expliquer le questionnaire. Nous avons repris chaque
question et précisé le sens des mots.
Déroulement de l’enquête
Afin de préserver l’anonymat de cette enquête, nous avons attribué à chaque délégué un
numéro ; chaque délégué, a, quant à lui, attribué un numéro à chaque personne à
l’intérieur de sa liste. Chaque délégué devrait ensuite photocopier en autant d’exemplaire
qu’il a de dossiers, le questionnaire … ; après avoir mis le numéro que nous lui avons attribué,
il devrait mettre un numéro d’ordre connu de lui seul.
Pour chacun des majeurs protégés, le délégué remplissait une feuille questionnaire.
Les questions concernant les aspects sociaux de la personne sont des questions simples et
précises tangibles.
A l’inverse, celles liées à la problématique alcool sont parfois sujettes à l’appréciation du
délégué. La subjectivité des réponses ne transforme, semble-t-il; en rien les résultats. Ce qui
est important c’est la vision globale, une appréciation générale.
Enfin, nous avons décidé de ne pas prendre en compte les personnes résidant en institution
et ne sortant pas de celle-ci compte tenu de leur âge, leur maladie, leur grave handicap.
Mille trente personnes ont été concernées par l’enquête sur une population adulte au
moment de l’enquête.
6
Quels étaient les objectifs de l’enquête ?
L’objectif général est de mieux connaître l’importance du problème de l'alcoolisation pour
la population adulte confiée à l’APASE afin :
-
d'effectuer un meilleur repérage
-
d'envisager une prise en charge adaptée
-
de mieux répondre aux demandes de soins
Il est important d’identifier le nombre de cas concernés par le problème alcool repérés par
les délégués.
-
Important de cerner les caractéristiques de la population (âge,
ressources, niveau d’étude…)
-
Nécessaire d’avoir une connaissance des réponses déjà apportées.
MODELE DE L'ENQUETE
Délégué
Identifiant
Age
Tribunal d'Instance
1/Rennes
Mesure 1/TPSE 2/TPSA seule
Situation matrimoniale :
Sexe (1=homme-2=femme) :
Nombre d'enfants :
2/Vitré
5/Redon
3/Fougères
3/Curatelle simple
4/Montfort
4/Curatelle renforcée
1 Célibataire
2 Marié
3 Concubin
4 Séparé
5 Divorcé
6 Veuf
Ressources
Niveau d’études :
1 Primaire
2 Collège
3 Lycée
4 Professionnel
5 Supérieur
6 Milieu spécialisé (IME , IMPRO)
Problème d’alcool :
1 OUI
6/Saint-Malo
5/Tutelle
1 AAH
2 Assédic
3 Salaire
4 RMI
5 Invalidité
6 Retraite
7Prestations
familiales
2 NON
Conflits familiaux engendrés par la problématique : 1 OUI 2 NON 3 SANS PLUS
Début de la problématique : 1 JEUNE
Type du buveur :
2 MAJORITE
1 DEPENDANT-EXCESSIF
Motivé pour travail sur la problématique :
Sentiment de culpabilité :
1 OUI
Hospitalisation :
0 NON
Suivi : 1 CCAA
2 GENERALISTE 3 PSY
Tentative d’arrêt seul : 1 OUI
1 CHU
3 TARDIVEMENT
2 OCCASIONNEL
1 OUI
3 REGULIER
2 NON
2 NON
2 CHGR
3 PEU LUI IMPORTE
3 CLINIQUE
4 LIEU SPECIALISE
4 ASSOCIATION
2 NON
Problème de justice en lien avec la problématique :
1 OUI
2 NON
7
RESULTATS
Aujourd’hui, nous avons les résultats du « secteur adulte » 1030 dossiers ayant été traités.
Sachant que la moyenne nationale (hommes, femmes) des personnes ayant un problème
avec l’alcool se situe aux alentours de 10 % , notre moyenne à l’APASE est de 37,5% (47,5
% hommes – 23,5 % femmes).
La tranche d’âge la plus concernée est celle des 45-50 ans pour les hommes et 40-45 ans
pour les femmes. Les hommes ayant un problème d’alcool sont majoritairement célibataires
à 56 % contre 22 % pour les femmes.
Les ressources proviennent essentiellement de l’Allocation d’Adulte Handicapé (AAH) (36 %
hommes, 52,4 % femmes) : peu de salariés mais 19 % des hommes sont en invalidité contre
4,9 % des femmes.
Le niveau d’étude primaire est de 34,5 % hommes contre 41 % femmes. 17,7 % des hommes
et 21,7 % des femmes ont une formation IME, IMPRO.
La mesure de curatelle renforcée est majoritaire pour 75 % hommes et 70 % femmes.
Le début d'alcoolisation se situe (49,5 % femmes, 46,6 % hommes) plutôt jeune et cela
entraîne des conflits chez 63 % des femmes et 53 % hommes.
L’alcoolo-dépendance représente 25 % des cas, la consommation régulière 41 % hommes –
34,6 % femmes.
La motivation et la culpabilité semblent absents de cette situation.
La problématique Alcool est plus de 2 fois plus importante chez l’homme que la femme. Le
plus grand nombre de dossiers se situe entre 40 et 50 ans. Les hommes et les femmes
concernés ont un niveau scolaire primaire et sont majoritairement célibataires. Bénéficiant
d’une mesure de curatelle renforcée et d’une mesure de tutelle aux prestations sociales, ils
perçoivent une allocation d’adulte handicapé. Le début de l’alcoolisation se fait alors qu’ils
sont jeunes et sur un mode régulier entraînant des conflits assez importants.
Le médecin généraliste (38 % hommes – 33,6 % femmes), l’hôpital psychiatrique (18,8 %
hommes – 27,7 % femmes) sont les deux réponses principales à la problématique Alcool. Les
Associations d’Entraide (anciens buveurs), les CCAA (Centre de Cure Ambulatoire
d’Alcoologie) ne sont que peu fréquentés.
Trois qualificatifs reviennent souvent : célibataire, faibles ressources, niveau scolaire faible. Le
délégué, face à cette situation, se heurte le plus souvent au déni, aux répétitions
d’alcoolisation.
La motivation (75 % hommes – 62,3 % femmes) et la culpabilité (60,1 % hommes – 49,5 %
femmes) semblent absents de cette situation.
L’enquête met en évidence la nécessité de prendre en compte cette problématique. Des
formations doivent permettre une meilleure approche. La participation à des réseaux de
soins et de recherche en alcoologie s’impose à nous. Mettre en place des stratégies
nouvelles avec des partenaires de la santé devient une nécessité : les soins doivent
s’adapter aux malades.
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POUR PARVENIR A L’ARRET DE L’ALCOOLISATION, VOICI LES ETAPES NECESSAIRES (grille de
Prochaska)
1.
ETAPE DE LA PRECONTEMPLATION
•
•
•
2.
Stade où une personne n’envisage pas de changer
Les motivations déclenchantes sont extérieures (maladie, phase de la vie, changements
physiques)
La pression extérieure exercée est souvent très importante, ce qui oblige à considérer la
possibilité de changement.
ETAPE DE LA CONTEMPLATION
Commence quand on réfléchit
•
•
On a un problème
Possibilité et coût du changement.
La personne envisage de changer dans les 6 mois
Le processus de changement se fait par :
•
•
•
•
3.
Observation des autres
Recherche d’informations
Confrontation ou problème
Prise de conscience.
ETAPE DE LA DECISION
Envisager les actions à promouvoir pour le changement
• Développer la résolution ferme de passer aux actes
• Faire référence aux tentations extérieures.
4.
ETAPE DE L'ACTION
Modification du comportement
Période de 3 à 6 mois : autocontrôle, autodétermination
Agir sans se laisser influencer par l’extérieur joue également l’image
de soi.
5.
ETAPE DU MAINTIEN
On a passé avec succès l’étape de l’action
Organisation de son propre environnement
- Changement d’habitude, de numéro de téléphone, d’appartement, d’amis, de travail,
affirmer ses limites.
6.
ETAPE DE LA RECHUTE
Quand l’ensemble des efforts a échoué, il faut tout recommencer.
Après lecture et compréhension des étapes ,nous constatons , nous les délégués, que les
personnes que nous accompagnons restent souvent dans la première étape.
9
QUELQUES EXEMPLES
GENEVIEVE - 46 ANS
Alcoolisme depuis l'âge de 18 ans. A eu des enfants mais ne les a jamais élevés. La fratrie de
cette femme est touchée par l'alcool aussi. En presque 5 ans, il y a eu 4 H.D.T. et a passé plus
de temps en hôpital que chez elle . Il y a eu des violences physiques exercées sur elle par
des hommes qui lui amenaient à boire. Elle a parlé aussi d'abus sexuels lors des beuveries.
Les différentes hospitalisations n'ont pas pu réellement mettre en place régulièrement l'aide
ménagère. Le portage des repas fonctionne mais nous avons soupçonné une autre
personne de lui procurer de l'alcool contre un peu de nourriture.
Lors d’une courte hospitalisation d'une quinzaine de jours et là, contre toute attente, un
interne a semble t'il "imposé" des jours d'activités dans des maisons décentralisées et
dépendant du CHGR. Ceci n’a jamais été respecté par cette femme
Les violences physiques nous font craindre le pire en sachant qu'elle a dit avoir été menacée
de passer par la fenêtre (elle habite au 5ème étage).
Après plus de 2 ans d'échanges de courriers, nous réussissons à lui obtenir un appartement
au rez-de-chaussée. Le jour de la signature, elle vient dans un état d'ébriété très avancé. Le
directeur d'agence refuse et demande un suivi social par l'assistante sociale de leur
organisme. Puis est venue cette hospitalisation qui a tout arrêté. La situation à encore
perdurée et tenue tant bien que mal jusqu’au jour où une vilaine chute suite à une
alcoolisation massive a eu des conséquences graves . De mars elle est restée hospitalisée
durant 11 mois. Mais durant cette hospitalisation longue ,elle a réussi à sortir le soir pour
s ‘alcooliser dans les bars voisins de la clinique de rééducation …….
Aujourd'hui, le corps médical parle d'une éventualité plus que sérieuse d'une orientation en
foyer de vie. La dernière hospitalisation a duré, suite à une double fracture consécutive à
une grande absorption d’alcool 11 mois .Quand elle a pu sortir avec ses béquilles ,elle
quittait le service dès le départ des soignants vers 21h et allait rejoindre des « copains » dans
les bars du coin de la clinique de rééducation……..
Lorsqu'elle est bien Geneviève parle de ses alcoolisations. Elle ne se sent jamais responsable :
"les autres m'amènent à boire".
PIERRE - 42 ANS
Nie son alcoolisme. Tout dans son corps montre le contraire. Dès que nous abordons ce
problème, nous sentons qu'il fuit.
Des hospitalisations à répétition pour des cicatrices aux jambes qui ne s'arrangent pas et
dont les médecins savent bien qu'il y a un lien avec l'alcool mais le déni est toujours là.
Jusqu'au jour ou, suite à une chute grave, il y a eu une période de coma. Nous en avons
parlé en lui soulignant qu'il revient de loin. C'est la première fois qu'il acquiesce. Nous avons
remarqué une nette amélioration mais le suicide de son frère l’a bouleversé et notre homme
a repris
MARIE-ANNE - 48 ANS
A un handicap mental important. Elle vivait depuis 10 ans avec un ami tétraplégique suite à
un accident de cyclo. Il se plaignait de son amie qui buvait et qui rusait sans arrêt pour
acheter et boire de l'alcool.
En 2 ans, il y a 3 H.D.T. La situation est grave. Son ami est décédé depuis 18 mois. Nous
pensions à toutes les solutions possibles et envisagions une orientation en "foyer de vie".
Pendant 4 mois, elle a refusé de m'ouvrir la porte de chez elle. Les réseaux ont fonctionné et
une gestion à distance s'est faite. Puis, lors de cette situation, nous avons rétabli les liens. Elle
a eu peur de l'hospitalisation puisqu'elle était seule. Depuis, tout va bien. Plus de plaintes des
voisins, une adaptation aux normes sociales existe, plus d'alcool.
Nous faisons des achats d'installation, tout va bien pour elle.
10
JEAN-JACQUES - 46 ANS
20 ans d'alcoolisation, brillant intellectuellement. N'a pas pu prendre la suite de son pèredirecteur d'une entreprise- au décès de celui-ci. Il s'est mis à boire. Il fait de nombreux
établissements de soins éminemment connus.
Un bon discours, une bonne conscience mais donne l'impression de s'enfoncer avec
conscience, de ne plus pouvoir se relever. Rien pour l'instant ne le raccroche à quoique ce
soit et s'étonne d'être tombé si bas.
QUELLES REFLEXIONS ??
SCENARIOS DE VIE (d'après le livre de Jean Cottraux)
Ce que nous constatons dans toutes ces situations :
Souffrance
Complexité de la situation
Constat d'une fatalité ou d'un destin.
Un scénario de vie est une situation piège dans laquelle on se débat sans pouvoir en sortir et
qui se répète. Sensation d'être prisonnier d'évènements qui se répètent. Les faits s'enchaînent
selon un plan défini et bien arrêté. Il s'agit souvent de répétitions d'échecs, de conduites à
risques.
L'analogie avec le cinéma (d'où vient le terme de scénario) ? Il vient de deux perceptions :
Toujours le même film qui repasse
Idée de contrainte et de perte de liberté.
La personne est prise dans une histoire qui n'est pas la sienne et qui pour elle est imposée.
Dans la normale (!!) les personnes sont souvent conscientes d'avoir intériorisé des règles de
fonctionnement qui lui sont néfastes et qu'elles se sentent obligées d'appliquer. Elles se
reconnaissent une part de responsabilité dans leur scénario.
A entendre les histoires des personnes bénéficiant d'une mesure de protection, cette part ne
semble pas s'être appropriée. C'est la part de l'autre, des autres, sauf de soi.
La personne n'est pas consciente qu'elle agit contre elle-même, au contraire, l'image qu'elle
donne est celle d'une personne qui ne comprend pas un mauvais fonctionnement évident
pour
les
autres.
Il vaut mieux dire que cette personne est prise dans un scénario de vie qui la dépasse, dont
elle n'a pas totalement conscience et qui la pousse à agir contre elle-même.
Cela témoigne d'un problème profond qui peut perturber depuis l'enfance ou qui résulte
d'évènements récents face auxquels on n'a pas les ressources d'adaptation nécessaires et
suffisantes.
Un scénario de vie s'inscrit dans un registre dramatique, parfois tragique. On est plus proche
du film noir que de la comédie légère.
Dans ce qu'il y a de plus spécifique, c'est la perception pénible :
De ne pouvoir se réaliser
D'être confronté aux obstacles de la vie, d'être limité
Malaise au niveau du vécu
Perte de la capacité à éprouver du plaisir
Expression de sentiments tristes
Comportements passifs et improductifs accrus
Contacts sociaux rares ou inexistants
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Perte d'estime de soi
Indécision
Famille souvent inexistante
Peu d'argent
Travail inexistant
Santé parfois déficiente.
L'énergie est entièrement mobilisée pour faire face à ces situations. La qualité de vie, notion
récente, est altérée par les scénarios de vie.
Ce que nous pouvons observer dans notre situation tutélaire, c'est un scénario appelé
"intrigue idiote" ou "jeu de cons", personne qui effectue une action illogique, stupide,
invraisemblable. Il témoigne de l'absence de jugement rationnel des personnages.
Au bout du compte, un scénario de vie idiot est un scénario où une personne (sujet) est à
elle-même son propre adversaire (opposant).
Le rôle du délégué à la TUTELLE
Face à ces situations, le délégué est très souvent dans une impasse .En effet il n’est pas
thérapeute, mais doit être considéré comme un accompagnant.
Etre dans l’écoute certes, mais il est impossible de faire comme si les choses n’existaient pas.
Il faut nommer la difficulté.
C’est là que nous devons percevoir l’importance des réseaux , des lieux de soins adaptés.
En effet il semble souhaitable que le délégué puisse présenter différentes solutions. Il y a
tellement de " choses ″ à mettre en place que l’alcool reste parfois secondaire et n’est pas
la priorité.
Il faut aussi se dire que nous devons agir parfois souvent par la contrainte afin de permettre
une juste utilisation de l’argent. Pour certaines personnes cet argent sert à n’acheter que
de l’alcool et c’est au mépris de leur santé. Dans ces cas, il nous faut mettre en place des
crédits alimentaires afin qu’ils puissent se nourrir à peu près correctement. Ces décisions sont
parfois discutées avec la personne, mais parfois non.
Et la dignité de la personne ? Et sa liberté ? Mais nous, délégués, est –il possible de les aider à
se « suicider » plus rapidement ?
Ces situations prennent beaucoup de temps et il nous faut revenir sans arrêt sur de petits
acquis.
Souvent nous pensons que la mesure de protection arrive bien tard mais là aussi bien malin
sera celui qui définira avec certitude le moment « ad hoc ».
La tentation est grande de vouloir à la place des personnes mais là aussi c’est tout le mythe
du travailleur social qui est en cause.
Ce qui est important à regarder c’est le nombre de personnes concernées et le sentiment
d’impuissance que nos ressentons.
12
LE GROUPE AL-ANON
Intervention de Luce M., Vice-Présidente d’Al-Anon France :
Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs les Professionnels de la Santé,
Je remercie la COSRA de son invitation et de l’opportunité qui est ainsi offerte aux
Groupes Familiaux AL-ANON - ALATEEN France de se présenter à vous : Al comme
alcooliques, Anon comme anonymes. Les Alcooliques Anonymes, très connus sous le sigle
AA s’adressent aux alcooliques. Les groupes familiaux Al-Anon s’adressent aux proches
de l’alcoolique. Ils sont indépendants des Alcooliques Anonymes mais coopèrent avec
eux.
J’ai apprécié la qualité des interventions de ce matin et je constate qu’ici vous avez
beaucoup travaillé déjà dans ce domaine d’alcool. Votre démarche semble ainsi
permettre à chacun de trouver sa place en complémentarité des autres et d’apporter sa
spécificité.
Je suis devenue membre des groupes familiaux Al-Anon/Alateen en 1971 parce que
je recherchais de l’aide pour mon conjoint qui buvait. L’éthylisme et l’alcoolisme, j’en
avais certes entendu parler mais je ne connaissais pas. D’ailleurs, prononcer ce mot à
l’époque m’étranglait car il correspondait à l’illustration de l’ivrogne, du clochard, du
vice, du manque de volonté.
Al-Anon n’est pas une société secrète et pourtant si je me permettais de poser à la
salle la question : connaissez-vous Al-Anon ?, peu répondrait précisément. Je vais donc
vous présenter notre association qui fonctionne dans 142 pays du monde en espérant que
ce message démultiplié permettra aux nombreuses personnes qui souffrent encore de
l’alcool d’un parent ou d’un ami d’obtenir de l’espoir, de l’aide, de la compréhension et
du réconfort.
La seule condition requise pour devenir membre des groupes familiaux est d’avoir un
alcoolique parmi ses proches. Les groupes familiaux s’adressent aux adultes avec AlAnon, aux adolescents avec Alateen et aux enfants avec Préteen avec un programme
identique mis adapté à l’âge.
Al-Anon/Alateen, c’est l’histoire d’hommes, de femmes, d’enfants qui se sentent
seuls, honteux, impuissants et perdus à cause de l’alcool d’un être proche. Ils apprennent
au sein des groupes familiaux comment s’aider eux-mêmes.
Ils découvrent que
l’alcoolisme est un mal familial et que l’alcoolique est un malade. Pour beaucoup,
apprendre que l’alcoolisme est un maladie est un facteur de déculpabilisation. Le
malade est souvent un manipulateur qui possède un immense talent de persuasion pour
faire croire que s’il boit, c’est à cause des autres. L’entourage se sent donc responsable
et coupable.
Lorsque l’on pousse la première fois la porte d’Al-Anon pour assister à une réunion,
c’est avec l’espoir d’y découvrir le truc, le remède, la ficelle qui va faire arrêter l’autre de
boire. A notre grande stupéfaction et bien que l’accueil soit toujours chaleureux nous y
entendons que, si nous venons, ce n’est pas pour changer l’alcoolique mais pour nous
changer nous. Nous apprenons à baisser les bras et à ne plus nous épuiser à lutter contre
cette maladie rusée et sournoise. Nous apprenons à nous détacher de l’alcool mais non
de l’alcoolique. Nous apprenons à décider de descendre du carrousel de la négation sur
lequel nous tournions depuis parfois bien longtemps. Nous apprenons à reconnaître notre
impuissance devant l’alcool, c’est la pierre angulaire de notre programme.
Capituler devant l’alcool est insuffisant. Nous devons réapprendre à vivre ou à
revivre. La vie auprès d’un alcoolique a souvent atteint notre personnalité et notre mental
ce que nous avons parfois des difficultés à admettre. Il nous faut abandonner nos
craintes, acquérir de la stabilité émotionnelle, redécouvrir l’espoir et la confiance. Ceci
n’est pas facile, demande des efforts, du courage et de la persévérance.
13
Nous disposons d’un programme de rétablissement basé sur douze étapes et douze
traditions. Ce programme spirituel s’adresse à notre esprit en structurant notre pensée et
en modifiant nos comportements envers nous-mêmes et envers les autres. Ne plus servir
de béquille à l’alcoolique en assumant à sa place les conséquences de ses actes retarde
souvent le moment où il touchera son fond et cherchera le moyen de s’en sortir : ceci
s’apprend aussi.
Les groupes familiaux Al-Anon/Alateen disposent d’outils efficaces :
- les réunions hebdomadaires*
- l’abondante documentation dont ils disposent
- le recours aux partages par téléphone entre membres
* une réunion par mois est dite ouverte, c’est à dire que toute personne intéressée peut y
participer. Je pense que cette précision est susceptible de retenir votre attention.
Nous savons que lorsque l’alcoolique cesse de boire, il se rétablit vite. Nous savons
aussi que si le cours de la maladie peut être stoppé, la maladie reste incurable. Les
proches mettent souvent plus de temps à se remettre. Ils doivent combattre les mauvais
souvenirs, les ressentiments, les doutes, la crainte d’une rechute. Ils doivent aussi
apprendre à refaire confiance à l’alcoolique en lui permettant de redevenir un individu à
part entière et respecté.
En Al-Anon, rien n’est imposé, tout est suggéré. L’anonymat de chacun est respecté.
Le seul point commun qui nous réunit est d’avoir souffert de l’alcool. Aucun jugement
n’est formulé. L’écoute de l’autre dans le plus grand respect aide les membres à trouver
des réponses à leurs interrogations. L’application des slogans fournit une aide précieuse :
un jour à la fois - vivre et laisser vivre - est-ce si important - l’essentiel d’abord - ne pas
compliquer les choses - etc…
Pour votre information personnelle, je vous précise que les groupes familiaux AlAnon/Alateen subviennent à leurs besoins de fonctionnement par les seules contributions
volontaires de leurs membres en refusant toute contribution de l’extérieur.
Je terminerai en vous donnant quelques renseignements pratiques :
- siège d’Al-Anon Alateen France 4, rue Fléchier - 75009 Paris
- Tél/Fax : 01 42 80 17 89.
- E-mail : [email protected]
- Site Internet : http://assoc.wanadoo.fr/al-anon.alateen.France/fr
Je répondrai avec plaisir aux questions que vous souhaiterez formuler et je vous
remercie de votre attention…
14
TEMOIGNAGE D’UN MEMBRE DES ALCOOLOQUES ANOMYMES
CLAUDE AA Rennes
C ‘est maintenant en mon nom propre, que vous ne connaîtrez d’ailleurs pas, pour
respecter notre tradition de l’anonymat, que j’interviens. Mes propos ne sauraient
engager en aucune façon l’Association des AA dont je suis membre depuis 1978 mais
témoigneront seulement de ce que AA, dans son ensemble, m’a apporté en particulier.
D’une façon elliptique, AA aura signifié pour mai Autre Alternative, celle de vivre bien
sans alcool au lieu de crever avec. Je n’en étais pas loin à l’époque où, sans travail, le
plus souvent allongé sur un lit, me lavant que par épisode, en plein désarroi et dépression,
je cohabitais avec mon épouse – de l’époque – et recevais de temps en temps la visite
de mon médecin qui soignait mon mal de vivre par des médicaments « ad hoc », ceux-là
qui font mauvais ménage avec l’alcool dont je ne pouvais me passer mais que je niais de
prendre.
Comment ai-je rencontré les AA ? il m’aura fallu connaître une ultime grande souffrance
durant toute une nuit remplie de l’humiliation et de remords, dans une cellule de
dégrisement d’un commissariat à Versailles pour me souvenir que, quelques semaines
auparavant, des documents concernant AA avaient atterri sur ma table de nuit, près du
lieu où je me tenais le plus souvent. J’avais alors refusé en bloc ce message que me
transmettait, via mon épouse, un AA masseur kinésithérapeute de son métier, que celle-ci
avait rencontré dans l’espoir de messages qui pourraient me débloquer et me rendre la
raison. Ce fut la chance de ma vie, il était le premier à diagnostiquer, à distance, que
j’étais probablement alcoolique, comme lui, en entendant, de la bouche de mon
épouse, la litanie de mon parcours : long chômage, divorce, séparation des enfants,
accidents de voiture, asile psychiatrique, suicide de mon père, dépression permanente.
Cette folle nuit aura été celle de mon déclic.
Le lendemain, j’assistai à ma première réunion pour y diagnostiquer , d’entrée, ma propre
maladie à l’écoute de ceux qui allaient bien sans alcool alors que, moi, j’allais si mal
avec. Ma cure en AA allait commencer et ne pas s’arrêter jusqu’à ce jour.
Que m’a apporté AA ? Une autre vie insoupçonnable. D’abord AA m’a appris à ne plus
boire, et surtout à continuer à ne plus boire, jour après jour et, le plus important, à me
changer afin que mon abstinence soit durable. Elle a maintenant 23 ans d’âge et ma
sobriété mentale continue à se bonifier.
Vivre un jour à la fois est indispensable au traitement de ma maladie. J’ai fait mienne la
philosophie AA qu’hier s’échappe à jamais de mes mains, avec ses erreurs, ses maux et
ses peines parce que j’ai pleinement intégré et accepté toutes les conséquences de mon
alcoolisme. J’ai admis mon impuissance devant l’alcool et que j’avais perdu la maîtrise de
mes vies avec l’alcool. Je sais que demain est encore à venir avec ses échecs possibles
que j’admettrai parce que tout ne m’appartient pas. Habité progressivement par moins
de peur et de remords, j’ai pu commencé à agir de façon plus lucide et plus adulte, il
était temps !
Changer ma personnalité a été, en effet, l’autre challenge proposé. Il s’agit là d’un
processus à évolution lente mais possible avec l’aide des autres, ceux qui sont passés par
là. Mais, avant de changer, il a fallu savoir qui j’étais, avec mes qualités et mes
déficiences. J’ai reconstitué mon « puzzle » à travers les morceaux des autres, glanés au
hasard de toutes mes réunions. M’étant accepté tel que j’étais, j’ai pu ensuite corriger
progressivement ce qui avait été ou était à l’origine de mon mal être. Je peux certifier
aujourd’hui que mon changement a été effectué de fond en comble. J’ai substitué la
confiance à la peur et à la timidité, la tolérance à l’intolérance, l’honnêteté à la
malhonnêteté – pas facile ! – l’estime de moi et des autres au mépris de moi même et des
autres, l’humilité à l’orgueil, la patience à la hâte et à l’impulsivité, la sobriété d’émotions
positives ou négatives (les plus fréquentes !), à l’excessivité de mes joies et surtout de mes
peines, le calme à l’agressivité et la colère, le sens des responsabilités au sentiment
15
d’inutilité source essentielle d’une dépression passée mais chronique. J’ai accepté mes
limites, elles me satisfont et je ne divague plus en dehors pour éviter des échecs, source
de frustration. Je suis devenu, petit à petit, un autre Claude, en fait le vrai que l’autre,
inhibé d’alcool, avait tenté de détruire au cours d’un long suicide. Acteur d’une lente
destruction, je suis l’auteur d’une lente reconstruction.
Cette reconstruction m’a été rendue possible par le programme de rétablissement des
Alcooliques Anonymes, programme universel comme la maladie qu’il traite, programme
également adapté au traitement des autres dépendances et addictions (Al Anon, OA,
NA, DA, GA) programme spirituel qui m’a parfaitement convenu car c’est bien mon esprit
qui a été atteint.
Mon esprit s’est ouvert. En demandant de l’aide, je l’ai trouvé et j’ai pu en apporter – le
processus était enclenché – et j’ai même découvert un amour possible des autres et de
moi même. Je suis convaincu qu’un déficit d’amour depuis ma tendre enfance, a été à
l’origine de tous mes déboires, donc de ma maladie.
Si vous souhaitez d’autres informations, sachez que dans le monde entier nos réunions
hebdomadaires sont ouvertes au moins une fois par mois au public intéressé, comme vous
aujourd’hui.
Cela peut valoir le coup de nous rendre visite afin de mieux nous comprendre et d’en
aider d’autres à moins souffrir.
respecter notre tradition de l’anonymat, que j’interviens. Mes propos ne sauraient
engager en aucune façon l’Association des AA dont je suis membre depuis 1978 mais
témoigneront seulement de ce que AA, dans son ensemble, m’a apporté en particulier.
D’une façon elliptique, AA aura signifié pour mai Autre Alternative, celle de vivre bien
sans alcool au lieu de crever avec. Je n’en étais pas loin à l’époque où, sans travail, le
plus souvent allongé sur un lit, me lavant que par épisode, en plein désarroi et dépression,
je cohabitais avec mon épouse – de l’époque – et recevais de temps en temps la visite
de mon médecin qui soignait mon mal de vivre par des médicaments « ad hoc », ceux-là
qui font mauvais ménage avec l’alcool dont je ne pouvais me passer mais que je niais de
prendre.
Comment ai-je rencontré les AA ? il m’aura fallu connaître une ultime grande souffrance
durant toute une nuit remplie de l’humiliation et de remords, dans une cellule de
dégrisement d’un commissariat à Versailles pour me souvenir que, quelques semaines
auparavant, des documents concernant AA avaient atterri sur ma table de nuit, près du
lieu où je me tenais le plus souvent. J’avais alors refusé en bloc ce message que me
transmettait, via mon épouse, un AA masseur kinésithérapeute de son métier, que celle-ci
avait rencontré dans l’espoir de messages qui pourraient me débloquer et me rendre la
raison. Ce fut la chance de ma vie, il était le premier à diagnostiquer, à distance, que
j’étais probablement alcoolique, comme lui, en entendant, de la bouche de mon
épouse, la litanie de mon parcours : long chômage, divorce, séparation des enfants,
accidents de voiture, asile psychiatrique, suicide de mon père, dépression permanente.
Cette folle nuit aura été celle de mon déclic.
Le lendemain, j’assistai à ma première réunion pour y diagnostiquer , d’entrée, ma propre
maladie à l’écoute de ceux qui allaient bien sans alcool alors que, moi, j’allais si mal
avec. Ma cure en AA allait commencer et ne pas s’arrêter jusqu’à ce jour.
Que m’a apporté AA ? Une autre vie insoupçonnable. D’abord AA m’a appris à ne plus
boire, et surtout à continuer à ne plus boire, jour après jour et, le plus important, à me
changer afin que mon abstinence soit durable. Elle a maintenant 23 ans d’âge et ma
sobriété mentale continue à se bonifier.
Vivre un jour à la fois est indispensable au traitement de ma maladie. J’ai fait mienne la
philosophie AA qu’hier s’échappe à jamais de mes mains, avec ses erreurs, ses maux et
ses peines parce que j’ai pleinement intégré et accepté toutes les conséquences de mon
alcoolisme. J’ai admis mon impuissance devant l’alcool et que j’avais perdu la maîtrise de
mes vies avec l’alcool. Je sais que demain est encore à venir avec ses échecs possibles
que j’admettrai parce que tout ne m’appartient pas. Habité progressivement par moins
de peur et de remords, j’ai pu commencé à agir de façon plus lucide et plus adulte, il
était temps !
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Changer ma personnalité a été, en effet, l’autre challenge proposé. Il s’agit là d’un
processus à évolution lente mais possible avec l’aide des autres, ceux qui sont passés par
là. Mais, avant de changer, il a fallu savoir qui j’étais, avec mes qualités et mes
déficiences. J’ai reconstitué mon « puzzle » à travers les morceaux des autres, glanés au
hasard de toutes mes réunions. M’étant accepté tel que j’étais, j’ai pu ensuite corriger
progressivement ce qui avait été ou était à l’origine de mon mal être. Je peux certifier
aujourd’hui que mon changement a été effectué de fond en comble. J’ai substitué la
confiance à la peur et à la timidité, la tolérance à l’intolérance, l’honnêteté à la
malhonnêteté – pas facile ! – l’estime de moi et des autres au mépris de moi même et des
autres, l’humilité à l’orgueil, la patience à la hâte et à l’impulsivité, la sobriété d’émotions
positives ou négatives (les plus fréquentes !), à l’excessivité de mes joies et surtout de mes
peines, le calme à l’agressivité et la colère, le sens des responsabilités au sentiment
d’inutilité source essentielle d’une dépression passée mais chronique. J’ai accepté mes
limites, elles me satisfont et je ne divague plus en dehors pour éviter des échecs, source
de frustration. Je suis devenu, petit à petit, un autre Claude, en fait le vrai que l’autre,
inhibé d’alcool, avait tenté de détruire au cours d’un long suicide. Acteur d’une lente
destruction, je suis l’auteur d’une lente reconstruction.
Cette reconstruction m’a été rendue possible par le programme de rétablissement des
Alcooliques Anonymes, programme universel comme la maladie qu’il traite, programme
également adapté au traitement des autres dépendances et addictions (Al Anon, OA,
NA, DA, GA) programme spirituel qui m’a parfaitement convenu car c’est bien mon esprit
qui a été atteint.
Mon esprit s’est ouvert. En demandant de l’aide, je l’ai trouvé et j’ai pu en apporter – le
processus était enclenché – et j’ai même découvert un amour possible des autres et de
moi même. Je suis convaincu qu’un déficit d’amour depuis ma tendre enfance, a été à
l’origine de tous mes déboires, donc de ma maladie.
Si vous souhaitez d’autres informations, sachez que dans le monde entier nos réunions
hebdomadaires sont ouvertes au moins une fois par mois au public intéressé, comme vous
aujourd’hui.
Cela peut valoir le coup de nous rendre visite afin de mieux nous comprendre et d’en
aider d’autres à moins souffrir.
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POINT DE VUE DES ASSOCIATIONS NEPHALISTES
AA - Amis de la Santé - Alcool Assistance, Croix d'Or - Vie Libre,
Texte lu par CLAUDE AA
Je m'appelle Claude. Alcoolo dépendant pendant de nombreuses années, je suis maintenant
abstinent et membre de l'Association des Alcooliques Anonymes. Je suis chargé, ce matin, au
nom de différentes Associations Néphalistes - AA - Amis de la Santé - Alcool Assistance, Croix
d'Or - Vie Libre, de décrire les différentes souffrances à l'alcoolique. Le sujet est complexe et ne
peut être traité de façon exhaustive. Je vais simplement essayer de faire toucher du doigt ce
qui nous semble essentiel et être commun à tous les malades de l'alcoolisme.
En préambule, je rappellerai que l'alcoolisme est une maladie progressive et que par voie de
conséquence la souffrance qu'elle engendre est elle même progressive, l'alcool ne faisant
qu'accroître cette souffrance d'ailleurs. Et même, on peut affirmer que l'alcool pour tous ces
malades a été, au début, source de plaisir et utile à se dépasser, pour faire la fête comme les
autres ou franchir certaines étapes difficiles telles que passer des examens. Au départ, le
plateau de la balance plaisir/déplaisir est plus chargé du côté plaisir. Puis, lentement,
insidieusement, le plateau déplaisir se charge et il ne reste quasiment plus rien dans le plateau
plaisir. La souffrance et la dépendance se sont alors installées.
Il est également essentiel d'affirmer que, dans son ensemble, ce n'est pas l'alcool qui provoque
la souffrance mais bien l'inverse : la souffrance, le mal-vivre amène l'homme (ou la femme, il y
a parité !) à la dépendance si bien qu'il n'est pas suffisant de devenir abstinent pour supprimer
ipso facto cette souffrance et ce mal-vivre. Ceci explique les rechutes chez le malade qui,
faute d'accompagnement approprié, continue à entretenir son mal-vivre et se sent
injustement récompensé de son effort à ne plus boire. Ceci peut même aller jusqu'au suicide.
Enfin, il est bon de souligner que cette souffrance du malade alcoolique est "contagieuse" et
qu'elle se transmet à l'entourage familial, voire professionnel. Là encore, la non-consommation
d'alcool peut très bien n'être pas suffisante à rendre la joie de vivre à l'entourage, soit qu'il a
mal à oublier et pardonner ou qu'il a mal à retrouver confiance.
Quelles sont donc ces souffrances ? Elles se manifestent sous des formes très variées. Tout
d'abord, les souffrances physiques, heureusement non permanentes, qui sont les gueules de
bois, le "mal aux cheveux", les tremblements du matin que l'alcool stoppe, les évacuations
intempestives aux deux extrémités du tube digestif. Malheureusement, il faut évoquer aussi les
souffrances physiques permanentes et parfois mortelles qui provoques cirrhoses, cancers,
maladies cardio-vasculaires. Rappelons que l'alcoolisme est une maladie mortelle.
Les souffrances d'ordre psychique sont, elles, malheureusement à caractère progressif et
permanent. Elles sont aussi souvent cachées, ce qui rend la maladie difficile à diagnostiquer ou
à comprendre par ceux qui n'en sont pas atteints ou qui ne sont pas formés à dialoguer avec
des malades bien spéciaux. Ces souffrances ont, le plus souvent, leur origine dans des émotions
négatives.
Au premier chef, la peur, voire l'angoisse, peur de ce qui a pu se passer la veille, peur de ne
pas être à la hauteur, peur d'être démasqué dans des mensonges où il excelle
Egalement, la jalousie : jalousie de ceux qui ont plus ou apparemment réussissent mieux ou
jalousie de celui ou celle qui tourne autour de l'être cher dont on se croie propriétaire.
Le sentiment d'échec - vrai ou supposé - tant l'alcoolique a un niveau d'exigences élevé pour
lui ou les siens.
Jalousie comme le sentiment d'échec entretiennent le complexe d'infériorité, l'intolérance
envers les autres qui sont "tous des cons" - l'alcoolique voudrait pouvoir les changer, lui
l'expert qu'il croit être à refaire le monde qui ne lui convient pas.
18
Le sentiment progressif d'incompréhension et d'isolement jusqu'à la solitude, ce ver rongeur de
notre énergie, quand il en reste ! Isolement accompagné d'un sentiment d'inutilité qui mène à
la dépression si insupportable au malade et à son entourage, pour peu que les médicaments
"ad hoc" soient jumelés à une consommation d'alcool interdite mais encore impossible.
Le mépris des autres alimenté par un complexe de supériorité qui mène à l'intolérance et
souvent à l'agressivité verbale, la colère ou agressivité physique - plus graves - avec ses
conséquences parfois mortelles. Ayons là une pensée pour les malades alcooliques incarcérés
provisoirement ou définitivement, suite à des crimes sous l'emprise de l'alcool et n'oublions pas
que bon nombre d'enfants maltraités ou de femmes battues le sont par des alcooliques.
Le mépris de soi-même qui peut aller jusqu'à la mutilation ou le suicide.
Bref, l'alcoolique souffre et se suicide lentement, il devient un écorché vif que seul l'alcool lui
semble calmer ses blessures. Les souffrances sont, paradoxalement, augmentés par le
comportement d'un entourage qui, croyant bien faire, exacerbe encore les sentiments de
honte, de culpabilité et d'inutilité.
Même rétabli, l'alcoolique peut encore souffrir après des années d'abstinence. Sa souffrance
est alors parfois engendrée par la trop grande méconnaissance de la maladie dont il a souffert
dans le monde qui l'entoure. Elle réside aussi dans le sentiment qu'il a que son alcoolisme passé
est assorti d'un jugement péjoratif à son égard. En fait, l'alcoolique, parce qu'il en a manqué, a
besoin d'amour et de compassion. C'est en retrouvant, par l'amour, l'estime de soi-même qu'il
retrouve l'estime et l'amour des autres. Alors, il attend la réciproque.
Nous attendons tout ceci de réunions comme celle d'aujourd'hui. Nous vous remercions de
votre attention.
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CENTRE de CURE AMBULATOIRE EN ALCOOLOGIE DE PONTIVY
Docteur ODIER, médecin - Madame ALLANIC,animatrice- Madame LE NEAL, secrétaire
Madame LE LAY,psychologue. 5, rue Marengo - 56300 PONTIVY Tél. 02 97 25 93 78 - Fax 02 97 07 03 18
Dans leur rapport sur l'alcoologie ambulatoire de novembre 1997, les Professeurs PARQUET
ET REYNAUD définissent les missions des CCAA. Nous vous proposons de voir les
applications dans un CCAA de milieu rural à PONTIVY dans le Morbihan. (56).
Une mission globale de prévention, de formation et de ressource: Nous menons des
actions de prévention avec des partenaires sociaux, des établissement scolaires et CLESC
(1), de la semaine de la sécurité routière (Préfecture, Police, Gendarmerie, Mairie,
Lycées), le comité communal de prévention de la délinquance, ainsi que des actions
avec la Mission locale.
Ainsi que des actions de formation à FIRTS (2), au CODES (3) : Il est important d'aider ces
organismes à se maintenir en formation permanente sur leur terrain professionnel.
Le CCAA doit toujours être le moteur, aller vers les structures.
A cela s'ajoute une mission médico sociale en partenariat, en direction
A - Des populations exclues et RMI
- un lien particulier existe avec le médecin du RMI employé par le Conseil
Général du Morbihan,
- des liens plus réguliers avec les éducateurs des mesures ASI (4) de l'ANPE et
avec PALI (5) du RMI.
A' - D'autres CCAA travaillent avec le CHRS ou les lieux d'accueil de jour du
public en précarité sociale et professionnelle,
Dans les mesures et injonctions administratives et judiciaires prononcées par les
tribunaux:
SME (6) - des certificats sont remis à la personne pour le Juge, donnant le
délai du nouveau rendez-vous, ou la fin du suivi,
TIG (7) –ler entretien -ler module d'alcoologie de 3 heures - dernier entretien
médical de la peine.
CEA (8) .
B - Un partenariat en pointillé avec l' ASE (9) et le -médecin de la Projection
Maternelle infantile.
Un travail de liaison avec les travailleurs sociaux commence à se faire au sujet de
situations où les femmes (mères) sont signalées comme mettant en danger leurs enfants
en ayant des conduites et alcoolisations répétées ou chroniques.
(1) Comité local d~éducation à la santé et à la citoyenneté(2) Institut régional des
travailleurs sociaux
(3) Comité départemental d'éducation pour la santé(4) AÀ de spécifique individualisée
(5) Animateur local d'insertion
(6) suivi de mise à l'épreuve
(7) Travaux d'intérêt général
(8) conduite en état alcoolique
(9) aide sociale à l'enfance
20
On peut dire que l'accès à l'entourage familial de la femme alcoolique par les services
sociaux s'ouvre lors de situations d'alcoolisations aiguës, de passage à l'acte (suicidaire)
allant de pair avec des attitudes éducatives familiales carentielles (ce peut être l'école, le
voisinage, qui ont alerté les services sociaux concernés).
Le médecin et la psychologue du CCAA participent ponctuellement -soit à des
commissions d'évaluation, soit à des révisions de situation de l'aide sociale à l'enfance.
Notre rôle est d'apporter l'éclairage alcoologique par rapport aux problèmes pointés, et
de soutenir le programme thérapeutique et d'accompagnement social engagé dans la
durée avec la personne concernée (mère de famille).
C - Un partenariat avec le médecin du travail,
3 -Un autre versant des missions du C.C.A.A. est l'animation du réseau médico psycho
social
Quelle demande ? qui veut ce réseau ? Il n'y a pas de demande de l'extérieur, car le
travail de formalisation du réseau est en cours de réalisation dans les institutions médicales
et sociales de Pontivy.
Par contre, sur le terrain et dans l'équipe, le travail d'accompagnement se fait sur les 3
axes (médico psycho social) pour chaque patient. Donc, nos partenaires se connaissent,
mais, il n'y a rien de formalisé pour l'instant.
Et le réseau d'addictologie ? Pour nous, le travail se fait dans le même lieu avec SPID (1)
qui est le CSST (2) du Morbihan : le secrétariat et l'accueil sont assurés par le CCAA pour le
psychologue de SPID, qui a une permanence d'une demie journée par semaine.
Nous avions en projet d'ouvrir un centre commun d'addictologie entre CCAA, SPID et le
CMPS(3) du CHS de Plouguernevel pour un lieu d'accueil commun.
4 - Le C.C.A.A. est également en prestation de service dans le réseau de soins en
alcoologie
Actuellement, le réseau n'est pas formalisé et est en mutation. (l'hôpital général et
psychiatrique).
Il existe des liens réguliers avec les structures hospitalières en alcoologie où le CCAA est vu
comme un partenaire intéressant pour le patient : soin de proximité et des horaires
adaptés aux consultants, pour le suivi de cure hospitalière , consultations tardives,
délocalisées (à Locminé et le samedi matin).
Il existe peu de contact avec le réseau de soins général
Les médecins généralistes orientent vers les urgences hospitalières les problèmes d'ivresse
aigus, vers la cure hospitalière les malades motivés et décidés pour le soin.
En ce qui concerne les malades dans le déni, ils n'auront pas de proposition.
Comment améliorer cette situation ? Nous adressons des courriers le plus souvent possible
aux médecins généralistes.
Au delà d'une prise en charge individualisée, nous avons également développé des
prestations de groupes :
- groupe d' information avec les primo CEA , en place avec le SPIP (4)
- les groupe de paroles thérapeutiques sont plus délicats à mettre en oeuvre en
milieu rural. (le breton rural est très réservé quant à l'expression en groupe de ses
difficultés.
Nous avons aussi des contacts réguliers avec les associations d'entraide (pas de
convention).
(1) Prévention Information Drogue
(2) Centre spécialisé de soins aux toxicomanes
(3) Centre Médico Psychologique
(4) Service pénitentiaire d'insertion et & probation
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5 - Le soin ambulatoire : Comment se décline t-il ?
A - Par une mission de diagnostic et dévaluation
La démarche de soin vers le CCAA est souvent instrumentée par un -partenaire(service
social, justice, médecins). Elle n'est pas toujours synonyme d'un soin, dans la tête du
consultant.
Le patient ne met pas toujours l'alcool comme étant l'origine des problèmes . (60%
d'orientations justice au CCAA) . Le problème est souvent le gendarme, le permis, le juge,
la prison à éviter...
Au CCAA on essaie toujours de répondre à la problématique que pose le consultant afin
d'établir une relation de confiance et lui donner envie de revenir... et avec le temps,
induire une prise de conscience et une envie de changement de son comportement
d'alcoolisation : il y a recherche de libre adhésion.
Nous leur proposons de réfléchir à leur comportement et de revenir à une modération et
à une prévention des risques annexes : route - travail - famille.
L'entretien d'accueil par l'animatrice du C.C.A.A. est une aide à la préparation de la
consultation médicale. C'est un temps très important avec les nouveaux consultants,
l'ouverture d'un temps de parole.
Cette phase, en amont du soin, explique notre contact avec les consultants alcoolisés, les
"non demandeurs", les buveurs occasionnels.
B - Par une mission de conseils aux buveurs occasionnels
En particulier, pour une réduction des risques, parmis eux se trouvent les routiers. Nous leurs
donnons des informations personnalisées et leur proposons une réévaluation à 3 et 6 mois
en les reconvoquant.
C - Par également une mission de prise en charge ambulatoire
Pour la famille et l'entourage de l'alcoolique : en effet, notre démarche professionnelle est
aussi d'accueillir l'entourage, surtout familial, et quand la demande d'aide est
directement exprimez par le conjoint.
1 - L'aide se matérialise sous forme d'entretiens spécifiques : ce qui est
demandé en premier, par le conjoint de l'alcoolique, c'est que l'autre change (car trop
de désespoir, violence, agressivité, isolement social).
2 - lorsque le patient et l'entourage sont demandeurs (le couple), un
décalage important intervient dans l'évolution de chacun des membres du couple.
3 - Il y a également à prendre en compte l'entourage au sens large , c'est à
dire, la multiplicité des interlocuteurs autour de l'alcoolique: un travail de réseau
s'effectue avec:
- La famille
- Les amis
- Les relations
- Le monde du travail
- Le contexte social
- Les intervenants : sociaux - éducatifs - psychologues - médecins,
22
Ils sont aussi des éléments du système pouvant introduire un changement.
Ces contacts se font le plus souvent par téléphone.
Dans l'accompagnement médico psycho social de l'alcoolique, l'accès à la
parole et à l'expression est à développer obligatoirement.
Dans l'approche psychologique nous constatons le plus souvent, l'inexistence de
l'entourage ou sa réduction, (beaucoup de nos consultants sont célibataires
ruraux, vivant dans leur famille)
- Ce que l'on peut observer également, c'est que si ce sont les hommes
qui font la démarche, on a plus ou moins accès à l'entourage (par exemple, il
sera accompagné le jour de la première consultation par sa femme).
- Quand se sont les femmes, alcoolodépendantes, qui font la démarche,
nous avons moins accès à l'entourage. Elles vivent le plus souvent dans une
solitude affective et morale.
Pour réussir une prise en compte de qualité de l'entourage, cela suppose que
dans l'équipe il y ait la possibilité de différencier les entretiens d'aide pour la
personne alcoolique et le conjoint en demande (soit deux professionnels).
Mais, la priorité nous semble t-il est à donner au malade alcoolique ; car
l'entourage bénéficiera, secondairement, des retombées du soin ambulatoire
de leur malade, surtout dans la mesure où le travail de thérapie est orienté sur la
relation du malade avec son entourage.
D'autre part, une démarche de changement exige, pour celui qui la mène, un
effort particulier dont
il ne peut faire l'économie. Cette attitude de changement est d'elle-même
opérante dans sa relation aux autres.
Il faut peut-être laisser les changements apparaître avant d'intervenir trop vite
sur ce qui, à priori, pourrait se passer. L'entourage a aussi besoin de mener ses
remaniements, à vivre certaines difficultés et poser, à ce moment là, une
demande.
Cela suppose, au préalable, que l'entourage sache qu'une aide peut se mettre
en oeuvre.
D - Préparation au sevrage
Les consultants non motivés sont suivis dans le temps (1 à 3 mois) avec des
essais de sevrage par le médecin, des propositions de suivis biologiques
(gamma GT) et des propositions de soutien médicamenteux.
La psychologue intervient dans des situations de blocage pour aider par
d'autres mots...
"La parole retrouvée":
Quand on parle de langage, de mots, ce n'est pas de la possibilité qu'a une
personne de jouer avec les concepts, intellectuellement, avec plus ou moins
de réussite; on ne parle pas de niveau intellectuel, mais d'une parole juste,
simple, pour tenter d'exprimer une réalité non reconnue par soi, par les autres.
23
Le langage est le fondement d'une d'identité première, du "je".
C'est la possibilité de se différencier des autres ; d'affiner son identité propre.
Chez l'enfant, les premiers mots servent à la conquête des objets. Un objet désigné est
possédé. C'est la constitution de la pensée qui est toute puissante et qui peut modifier
le monde.
Le plus souvent, chez les personnes alcooliques, la parole est refoulée ; ce qui a prévalu
dans la relation aux autres est la mise en actes par la violence verbale et physique.
Le corps est objet de persécution, de sévices, il est irrespecté. Du coup, il est laissé pour
compte, abandonné de soins , alors qu'en réalité, le corps est médiateur de relation
juste avec les autres.
Par les mots, une personne a la possibilité de désinvestir les conflits. La déculpabilisation,
la prise de conscience de soi, sont validés par le psychologue en ces quelques mots
décisifs. La personne est amenée à exprimer et à faire évoluer cette relation du
"montrer-cacher" qui est si importante depuis la petite enfance et qui peut se dissoudre
pendant la rencontre.
Dans l'échange formel du langage, la clé du conflit se détache parfois dans un
dialogue qui est difficile. La porte peut s'ouvrir sur une difficulté enfin acceptable.
Une maturité(ation) se dégage, levant, derrière elle, des comportements et une
activité intellectuelle nouvelle.
Le mot juste, précis se cherche, et permet l'accès à une symbolisation et aux
changements de personnalité. Le sujet s'éprouve lui-même comme pleinement
accepté, quelle que soit la manière dont il parle de ses sentiments et les vit.
Il est vrai qu'au long des entretiens de soutien psychothérapique, les consultants n'ont
pas les mots qui recouvrent leurs émotions, leurs états d'êtres et le fait de trouver un
concept qui synthétise leur vécu, leur redonne un sentiment de revivre, un repère.
Ils sont à la recherche de comprendre ce qu'ils vivent ou ce qu'ils ont vécu et l'objectif
est ce retour à la liberté de parole.
E - Le sevrage hospitalier peut être programmé à partir du CCAA : temps court,
(1 semaine) si sevrage seul, ou avec temps de cure, (2 semaines).
F - Le suivi de postcure peu être effectué au CCAA : cependant, la régularité
des rendez-vous pose souvent le problème du déplacement entre le CCAA et le
domicile des consultants. Quelques demandes ALD (100%) à la CPAM, dans le cadre
de protocole d'examen spécial., permet aussi le - 100% pour les biologies - Problèmes
des vitamines B 1 B6.
G -La réinsertion sociale est également un des obectifs du soin ambulatoire en
alcoologie, ce qui exige une bonne connaissance du tissu socioprofessionnel d'aides :
par les ateliers d'insertion, les entreprises d'insertion, les chantiers CES, CHRS, mesures
ANPE, ALI, FSL(i), TRACE (2)...
24
- L'aide à la réinsertion peut aussi se faire par la récupération du permis de conduire :
Le médecin donne conseil pour la commission médicale des permis de conduire, pour
la prescription biologique, et la connaissance des rouages juridiques et répressifs
autour du permis.
En résumé, il y a une spécificitéé du CCAA dans le soin,
- souvent en amont du soin - par
l'importance de l'accueil - le suivi régulier
avec rappel (convocations).
Au CCAA on n'oublie pas que le temps de suivi peut se faire sur des années, avec
arrêts, avancées, cures, rechutes, arrêts... re -cure, re- suivi, etc .....
Le temps : nous n'avons pas la contrainte des 3 semaines de cure pour aboutir ...
(temps d'une cure hospitalière à l'hôpital général dans les unités d'alcoologie).
En effet. le cheminement de la personne s'inscrit dans la durée qui inclut souvent la
période avant le soin, pendant le soin (en cas de sevrage ambulatoire) ou après le
soin (suivi de cure hospitalière, maintien et consolidation de l'abstinence), en
s'appuyant sur une programme planifié d'aide psychothérapique, qui est très soutenu
au départ ( une rencontre par semaine pendant 1 ou 2 mois, puis espacée en 15 jours,
puis 1 fois par mois ... )
Les actions peuvent se relayer ou se superposer pendant un certain temps entre le
domaine médical, psychologique et social.
- Au delà du problème alçool il y a à activer la réinsertion sociale en sollicitant
les partenaires concernés.
- de plus, l'abstinence n'est pas le but pour tous, ni même le seul moyen.
Voilà un regard général sur le fonctionnement d'un des 4 CCAA du Morbihan.
Cet article a été rédigé à un moment où un partenariat plus formel se dessine sur
Pontivy.
25
LE SUJET ALCOOLIQUE, LE MEDECIN ET LE CONJOINT
Docteur Paul Kiritzé-Topor 49600 Beaupréau
Toute intervention en alcoologie demande une mise au clair préalable de la situation
dès la première rencontre. A fortiori quand le demandeur n’est pas le sujet alcoolique une situation fréquente -, ou quand le consultant désigné-alcoolique, n’est pas le
demandeur - une situation quasi constante en alcoologie. Il s’agit en général d’un
scénario à trois acteurs. Ils peuvent être tous présents : le conjoint, le sujet alcoolique et
le médecin. Le plus souvent il se réduit à deux : un demandeur et le médecin.
Dans toutes les situations où l’alcool est présenté comme étant un problème, que
ce soit par le consommateur lui-même ou par un tiers - le médecin peut être ce tiers -,
un
préalable
est nécessaire
pour
mettre
en
place
un « processus
général
d’accompagnement. » Les caractères spécifiques « alcoologiques » à ce processus
n’apparaîtront que plus tard. Pour cela, il faut prendre du temps, ou, plus exactement,
s’inscrire dans la durée pour éviter le piège d’un agir précoce, d’une réponse dans le
champ de la seule consommation d’alcool.
Ce préalable est fait de questions qu’il faut aborder, auxquelles il faut répondre
pour
créer
le
« cadre
d’accompagnement.
thérapeutique.
dans
thérapeutique »
lequel
s’inscrira
une
démarche
Autrement dit, il ne faut pas chercher initialement à être
Il faut créer les conditions qui permettront secondairement d’être
thérapeutique même s’il est légitime de penser que, dès la première rencontre, se met
possiblement en place un véritable travail thérapeutique.
S’abstenir de tout traitement, notamment médicamenteux, peut même être
parfois nécessaire, voire indispensable.
C’est là un écueil pour tout médecin
accoutumé à répondre quotidiennement sur ce mode.
Trois éléments constituent ce préalable :
-
la question du qui demande quoi ? à qui ? et pour qui ?,
-
le recadrage de la demande dans son contexte historique et présent,
et enfin,
-
la prise en main du système d’intervention.
26
I Qui demande quoi ? à qui ? et pour qui ?
Que ce soit le consommateur d’alcool ou son conjoint qui vient exprimer une
demande auprès d’un médecin, il fait partie d’un système complexe et cohérent ; sa
demande tient compte de ce contexte personnel.
Elle implique les représentations que les consultants ont de chaque professionnel
médico-social. La demande ne peut être la même quand elle s’adresse au médecin
de famille, à l’alcoologie ou à un travailleur social. On ne demande pas n’importe
quoi à n’importe qui et n’importe où !
Elle tient aussi compte du contexte particulier du lieu de la rencontre qui peut être
le cabinet de consultation de médecin ou le domicile du patient (salle à manger,
chambre à coucher ou même cuisine).
Elle tient compte enfin du contexte personnel du médecin, à savoir ses propres
représentations de l’alcool, de l’alcoolisme, voire l’alcoolique en tant que malade.
La prise en compte de ces différents facteurs doit servir au médecin à dessiner les
contours de son intervention : « dans quelle situation je me mets les pieds ! » Elle doit lui
permettre de passer d’une perspective linéaire d’une demande centrée sur l’alcool à
une compréhension globale, circulaire de la situation : qui demande quoi et pour qui ?,
imposant de redéfinir la notion même de « demande. »
Si l’alcoolique supporte lourdement l’idée reçue qu’il n’aurait pas de demande, à
l’opposé, conjoint et médecin en expriment clairement une : « il faut qu’il arrête de
boire ! »
Pourtant, à y regarder de plus près, la non-demande du sujet alcoolique
m’apparaît plus claire que celle de son entourage.
« Pour qu’il y ait demande, il faut et il suffit qu’un sujet soit porteur d’un symptôme
dont il souffre et qu’il allègue pour demander de l’aide. » Cette condition constitutive
de la demande selon R. Neuburger incluse trios éléments indissociables.
-
Le symptôme
Il sert à énoncer le problème ; il désigne l’objet du conflit, ce qui pose le plus de
problème dans l’immédiat.
C’est « il boit » pour le conjoint, et « je bois » pour le désigné-alcoolique qui
s’empresse d’ajouter « comme tout le monde et je ne suis pas un alcoolique. »
Le symptôme reste le plus souvent centré sur le produit.
-
La souffrance
27
C’est ce qui découle du symptôme ; elle désigne celui qui souffre le plus de ce
problème.
-
L’allégation
Elle met en avant la demande d’aide qui s’appuie sur le symptôme et la
souffrance qui en découle ; elle concerne celui qui est le plus préoccupé de la
situation.
C’est le « aidez-moi à l’empêcher de boire ; faite-le désintoxiquer » du conjoint,
contre le « OK, j’arrête » de l’alcoolique qui dissimule derrière cette reddition sa
soumission à la demande des autres.
L’analyse des réponses à ces trois éléments constitutifs de la demande renseigne
sur le mode de relation du sujet alcoolique et de son conjoint.
Mais surtout, elle
confirme sans cesse que la demande, qu’elle soit le fait de l’un ou de l’autre, est
rarement complète. C’est ce qui fait parler de demande éclatée.
Si le sujet alcoolique évoque le symptôme et accepte de dire qu’il boit - attention,
qu’il le dise ne signifie pas qu’il se reconnaît alcoolique -, s’il peut reconnaître une
souffrance - plus celle des autres que la sienne -, il allègue exceptionnellement sa
demande pour lui : « je dois cesser de boire pour les autres. » La demande se situe plus
du côté d’une demande d’aide pour les autres que d’un véritable changement pour
lui.
Si le conjoint vient exprimer sa demande chez le médecin, il met en avant le
symptôme du désigné alcoolique - « il boit » -, sa souffrance de le voir boire - « ce n’est
plus supportable » -, et il allègue de cette souffrance pour demander là encore de
l’aide et non un véritable objectif de changement : « il faut qu’il arrête de boire. » On
peut se demander alors : pour qui ?
Dans les deux situations, on retrouve une rupture entre les trois éléments constitutifs
de la demande, soit entre le symptôme et le couple souffrance-allégation, soit entre le
couple symptôme-souffrance et l’allégation, comme montre le schéma suivant qui
pointe le désaccord entre les demandes.
28
LA DEMANDE
* LE SYMPTOME
Il énonce le problème
Il désigne l’objet du conflit, ce qui pose le plus de problème
dans l’immédiat.
*LA SOUFFRANCE
Elle découle du symptôme
Elle désigne celui qui souffre le plus de ce problème
*L’ALLEGATION
Elle met en avant la demande d’aide
Elle concerne celui qui est le plus préoccupé de la situation
29
Au terme de ce premier travail indispensable sur la demande qui montre bien les
clivages possibles, le rôle du médecin est d’amener le consultant à devenir le sujet de
sa demande, à accepter peu à peu l’idée qu’il va devoir changer pour lui et ne pas
attendre que l’autre change pour lui.
Pour l’y aider, une travail s’impose, c’est le second préalable.
II Resituer la demande dans son contexte historique et présent
Que ce soit le médecin, l’alcoolique ou son conjoint, chacun a son histoire propre,
qui s’est déroulée au fil du temps et dont le moment présent est la résultante.
L’alcoolique a une histoire personnelle, une histoire avec l’alcool, commencée
bien avant la constitution du couple, et enfin une histoire de consommateur « comme
tout le monde » avant celle de la dépendance.
Le conjoint aussi a son histoire personnelle, son histoire avec l’alcool, elle aussi
antérieure à la constitution du couple, et aussi une histoire de consommateur d’alcool.
Le médecin enfin a lui aussi son histoire personnelle, sa propre histoire avec
l’alcool, celle aussi de ses expériences de médecin auprès des consommateurs en
mésusage d’alcool : réussites, échecs…et qui peuvent guider ses attitudes et contreattitudes vis-à-vis d’eux ou de leurs conjoints.
La rencontre se situe à l’intersection de ces trois histoires singulières, imposant de
procéder à une analyse complète, autant que faire se peut, de chacune d’elle pour
comprendre les relations complexes qui se sont nouées entre les acteurs et éviter les
risques d’interprétations simples de type cause à effet.
Il ne s’agit pas d’un simple cumul d’information, si pertinent soit-il, mais d’une
analyse des relations interpersonnelles et de la manière dont le système autour de
l’alcool s’est mis en place et se perpétue. « Qu’est-ce qui peut expliquer que vous
veniez précisément aujourd’hui demander de l’aide alors que cette situation perdure
depuis des années ? Pourquoi pas hier ou demain ? » Cette interrogation permet de
mettre en évidence une soudaine et nouvelle contrainte, sous-jacente à la demande,
un événement nouveau déstabilisant un système jusqu’ici « équilibré. »
30
Cette analyse historique inclut l’inventaire des solutions déjà envisagées, tentées,
réalisées ou non par rapport au problème évoqué. Cela va :
-
du côté du conjoint, du silence initial parfois de longues années durant, à la
démarche présente et toutes les solutions intermédiaires comme la colère, la
révolte, la surveillance, la complicité de médecins ou de tiers, les menaces, les
chantages…
-
du côté de l’alcoolique, de ses expériences, parfois solitaires, d’arrêt ou de
réduction des consommations, à ses tentatives de parler aux autres de sa
souffrance de se sentir alcoolique, et des sentiments de honte et de culpabilité
émergeant des échecs successifs de ces tentatives,
sans omettre,
-
du côté du médecin, de ses expériences passées de tentatives de traitement
des sujets alcooliques confrontées à son « pouvoir de guérir, » à ses propres
représentations du couple, et des sujets alcooliques, et de ses réactions face à
ce que provoque en lui ces patients et ces situations.
Au terme de ce lent travail qui peut nécessiter plusieurs entretiens, le médecin
peut envisager d’entrer dans une phase active, le troisième préalable.
III Prise en main du système d’intervention
Elle suppose que le médecin signifie clairement sa prise en main du problème en :
-
mettant au clair l’image que le demandeur a de lui : compétences, pouvoirs
supposés, qui lui sont accordés, pour éviter de se retrouver en situation de défi ;
-
évitant d’entrer dans le « conflit » en recentrant les entretiens sur le consultant
présent ;
-
négociant et déterminant les règles de fonctionnement des entretiens futurs, à
savoir :
·
le cadre des rencontres qui doit être défini : lieu, horaires, comme celui
des inter-rencontres : contacts téléphoniques… ;
·
de qui, de quoi il peut-être question lors des entretiens et surtout, en cas
de contacts téléphoniques, de qui on peut et doit parler ;
·
les règles incontournables du secret des entretiens, des confidences :
« Sincérité absolue, contre discrétion absolue » (S. Freud 1938) ;
31
-
et enfin en donnant le temps au demandeur de se resituer dans ce nouveau
contexte, de redéfinir le problème qu’il veut voir traiter, en un mot que sa
demande soit bien complète.
Tout ce travail préalable permet de définir « le cadre thérapeutique. »
Ne pas se presser à agir fait partie du processus d’accompagnement mis en
place, respectueux aussi du rythme d’évolution du demandeur.
UN EXEMPLE
Je voudrais illustrer ces notions théoriques d’un exemple. Celui de Madame X qui
vient demander au médecin une aide formulée parfois comme ordre : il devra parler à
son mari de ses alcoolisations quand il le verra. Elle veut qu’il arrête de boire parce que
« ce n’est plus possible, » « qu’on court à la catastrophe !, » « que ça ne peut plus
durer. » Il devra lui en parler mais sans lui dire que c’est elle qui a évoqué le problème.
Cette demande contient déjà nombre d’indicateurs sur la nature des relations du
couple et sur ce qu’elle attend, espère du médecin : de la complicité.
Mais je veux seulement reprendre les trois préalables que je viens de développer
et les « matérialiser » dans cette situation.
I Qui demande quoi, pour qui et à qui ?
Les trois éléments constitutifs de la demande peuvent s’explorer au travers de
trios questions simples :
-
pour le symptôme : « Qui, du buveur ou des autres, pose le plus de
problème ? »
-
pour la souffrance : « Qui souffre le plus de l’alcool, de l’alcoolisation ? »
-
pour l’allégation : « Qui se montre le plus préoccupé des conséquences de
l’alcoolisation ? »
Dans cette situation, en supposant que le mari désigné-alcoolique soit bien un
malade alcoolique, s’il porte le symptôme-alcool, s’il pose le problème de ses
conduites d’alcoolisation, la souffrance, elle, est bien du côté de Madame X et elle la
met en avant, au travers de ses peurs, ses craintes pour faire sa demande au médecin.
La demande est bien une demande d’aide.
Elle demande pour elle qu’il arrête de boire.
32
C’est bien le mari buveur qui pose le problème, mais ce n’est pas lui qui demande
de l’aide. Le fait qu’il pose un problème ne peut être confondu avec son problème
personnel d’alcool.
La demande est incomplète, la rupture se situant, comme montre le schéma
suivant, entre le symptôme et le coule souffrance-allégation.
Dès lors, le médecin doit dessiner une carte de sa situation par rapport au
problème qui lui est posé. Qui doit-il aider ? et comment ? La complexité de sa
position tient dans ce qu’il doit intervenir sachant que la femme désire que les
conduites d’alcoolisation cessent, que lui en tant que médecin ne dispose d’aucun
pouvoir « magique » pour faire cesser l’intoxication, qu’il doit aborder (ou ne pas
aborder) le sujet avec le mari sans se rendre ne complice (allié) ni se faire une ennemie
de l’épouse, et qu’il doit entendre la souffrance de cette dernière.
Pour amener Madame X à recentrer sa démarche sur elle, le travail de recadrage
historique passe au premier plan.
II Restituer la demande dans son contexte historique et présent
Comme on l’a vu, il est indispensable, quel que soit le demandeur, de mettre au
clair le ou les événements qui l’ont amené ici, ce jour-là.
Le mari de Madame X a son histoire d’alcool dans son histoire passée et présente,
dans son contexte familial professionnel. Il est absent. Il ne peut pas en parler. Ceci ne
peut se faire sans lui.
Madame X a son histoire à elle, et par rapport à son conjoint, avec l’alcool et les
conduites d’alcoolisations. C’est de cette dernière histoire qu’il doit s’agir. Elle est
présente, cela peut se travailler avec elle, notamment au travers d’une mise à nu du
système relationnel de son couple, et de ses représentations sur le sujet.
De nombreuses questions doivent être abordées avec Madame X pour lui en faire
prendre conscience :
-
Quelles étaient leurs relations avant l’alcool-problème ? Qui a-t-elle épousé ?
un « déjà consommateur » ou un buveur « normal » devenu « trop » buveur ?
-
Quelle est son image de l’alcoolique en général et de son « alcoolique » de
mari en particulier ?
33
-
Qu’a-t-elle tenté jusqu’à ce jour ? Quelles solutions a-t-elle « expérimentées ? »
Les a-t-elle répétées ? En a-t-elle cherché d’autres ? Quelles aides a-t-elle
sollicitées ? Quels effets ont-elles eu sur elle ?
-
Que représentent, pour elle, des mots comme : cure, désintoxication, guérison,
abstinence…
On voit par là que ce travail ne peut être mené sur une seule rencontre. Il faudra
bien se revoir et signifier par là toute l’importance que l’on accorde à cette demande
et prendre en main le système d’intervention.
III La prise en main du système d’intervention
Il s’agit pour le médecin de montrer clairement au consultant que pour pouvoir agir, il
importe d’abord de ne pas renouveler les mêmes solutions antérieures, que si tout a été
mis en œuvre involontairement pour que la situation se pérennise, il n’est pas là pour
l’entretenir, et l’énoncer clairement.
C’est par rapport à la problématique de la consultante que doit se mettre en
place un accompagnement thérapeutique.
Le médecin ne peut répondre à la
demande éclatée de Madame X, à son déni par l’acceptation d’un défi dangereux.
Cela aussi doit être dit clairement.
-
« Je ne peux pas traiter votre mari sans le voir et encore moins le forcer à venir.
Et même si vous me l’envoyiez de force, il y aurait fort à parier que nos relations
ne dureraient pas longtemps.
-
« Si votre mari ne veut pas changer, s’il ne demande rien, on peut malgré tout
faire quelque chose en nous rencontrant pour parler de vous et vous permettre
d’y voir plus clair dans cette situation compliquée. »
-
« Nous allons nous occuper d’abord de vous pour vous aider à comprendre
comment votre comportement intervient sur le système de votre mari. »
-
Et si votre mari cesse de boire, n’y-a-t-il pas de gros risques à voir vos relations
en être profondément bouleversées ? »
-
« Enfin, je vous demanderai d’informer votre mari de votre démarche auprès
de moi, en lui précisant bien qu’elle vous concerne vous et non lui. »
Au terme du travail sur ces trois préliminaires - l’ordre présenté ici est théorique -, il
devient évident que le but est de faire passer Madame X d’une demande éclatée à
une demande pleine, recevable, mettant en avant son propre symptôme, la
souffrance qui en découle pour elle et elle seule.
34
En conclusion, face à une souffrance exprimée vis-à-vis d’un problème-alcool, le
médecin, mais aussi nombre d’intervenants médico-social, doit faire évoluer le
consultant sujet alcoolique, ou son conjoint, d’une demande d’aide apparemment
claire : faire disparaître l’alcool, soit l’extinction du symptôme, à une demande de
changement dont la disparition de l’alcool ne constitue qu’un élément.
Ce travail est parfois difficile. Le déni, tant de l’alcoolique que celui du conjoint,
reste longtemps un système défensif masquant une souffrance reportée sur les seules
conduites d’alcoolisation.
Il y a risque pour tout intervenant.
Et ce n’est pas sans arrière-pensée que dans le titre de mon intervention, j’ai placé
le médecin entre les deux autres. Je voulais souligner par là les risques qu’il encourt
dans ces situations d’être soit écrasé comme la noisette dans un casse-noix, ou expulsé
comme le noyau de cerise entre le pouce et l’index.
35
LES PREALABLES
✓
La question du qui demande quoi ? à qui ? et pour qui ?
✓
Le recadrage de la demande dans son contexte historique et présent
✓ La prise en main du système d’intervention
36
LA DEMANDE
•
LE SYMPTOME
Il énonce le problème
Il désigne l’objet du conflit, ce qui pose le plus de problème dans l’immédiat.
•
LA SOUFFRANCE
Elle découle du symptôme
Elle désigne celui qui souffre le plus de ce problème.
•
L’ALLEGATION
Elle met en avant la demande d’aide
Elle concerne celui qui est le plus préoccupé de la situation.
37
LA DEMANDE EN ALCOOLOGIE
•
POUR LE SYMPTOME
« Qui, du buveur ou des autres, pose le plus de problème ? »
•
POUR LA SOUFFRANCE
« Qui souffre le plus de l’alcool, de l’alcoolisation ? »
•
POUR L’ALLEGATION
« Qui se montre le plus préoccupé des conséquences de l’alcoolisation ? »
38
CODEPENDANCE ET PARENTALITE DANS LE SYSTEME FAMILIAL ALCOOLIQUE
Dr ANASTASIOU
PARIS
Le 16/10/01, j’ai présenté lors de
la journée de la COSRA, à Rennes, ma
problématique, issue de ma pratique de thérapie familiale systémique avec des
familles dont un membre est alcoolique, concernant ce mode relationnel spécifique
que j’appèle « codépendance » et la configuration particulière qui en résulte de la
façon que la parentalité est assumée dans ces familles. Cette problématique
corrobore insidieusement ma conviction d’une transmission transgénérationnelle du
trouble addictif par des mécanismes homéostatiques familiaux..
Mon intervention du 16/10/01 a été conçue sur un support logiciel PowerPoint ; je me
permets de la proposer maintenant sous forme d’un texte, en m’efforçant de préserver
l’organisation de ma présentation en diapositives.
Pour former un couple
Les conditions nécessaires pour la formation d’un nouveau couple, afin d’assumer
socialement le fait d’une attirance réciproque et d’un sentiment amoureux, sont
essentiellement l’autonomisation des futurs partenaires et leurs différenciations par
rapport à leurs familles d’origine. Autonomisation et différenciation de chaque
partenaire doivent être suffisamment importantes et élaborées mentalement pour :
assumer une alliance hors de sa famille d’origine
assurer l’alternance des générations
développer un nouveau cadre de fonctionnement familial (nouvelles règles du
fonctionnement familial, processus stochastiques propres à la nouvelle famille)
se montrer apte à la transmission intersubjective et transgénérationnelle (s’autoriser à
parler à son nom propre, même en ce qui concerne les générations précédentes)
Lors d’un papier précédent, paru en 1995 dans la revue « Thérapie Familiale », j’avais
tenté, en reprenant les idées de Ph. Jamet sur « l’affirmation négative de soi » de
démontrer les messages paradoxaux qui ont lieu à l’adresse de la personne, futur
addictif, dans sa famille, et visent à compromettre, aussi bien son autonomisation que
sa différenciation. Qu’est-ce qu’il impose ce type de dysfonctionnement à la famille du
futur addictif ? Aujourd’hui, il me semble, que l’explication se trouve dans les modalités
relationnelles de la « codépendance ».
De la personne alcoolique au système alcoolique
L’alcoolisme, stigmate, maladie, honte, ou fléau de la société, a toujours été identifié
en tant que conduite idoine de l’alcoolique ; ce serait un trait de personnalité, bien
que, depuis trente ans, les études confirment l’absence d’une structure de personnalité
alcoolique ou addictive. Les thérapeutes systémiques ont opté, depuis les années ’70,
pour un changement de perspective ; dès lors le terme alcoolique ne s’applique plus
sur une personne qui abuse et qui est dépendant des boissons alcoolisées mais, bel et
bien sur un système relationnel et familial qui, déployé dans le temps, est la scène
indissociable à la production de la conduite alcoolique : ce changement de
perspective peut être révélateur de la fonction et de la place de la conduite
39
alcoolique, de la dynamique qui rend le maintien de cette conduite intelligible dans le
fonctionnement du système alcoolique. Ce changement de perspective rend les
questions de causalité de l’alcoolisme d’un intérêt très relatif de point de vue clinique
et thérapeutique ; il ne s’agit plus de comprendre la genèse du phénomène et y
remédier mais plutôt de modifier un système relationnel sans lequel la conduite
alcoolique serait insensée, obsolète et absurde. Ce changement de perspective
appelle à s’intéresser à la place de la conduite alcoolique dans le maillage relationnel
de la famille et dans l’organisation temporelle de la vie familiale.
Le système alcoolique correspond, d’un point de vue systémique, à une organisation
familiale particulière, sur, au moins trois générations ; la conduite alcoolique a une
fonction homéostatique dans ce système, de sorte que la vie familiale et les relations
familiales s’organisent dans le temps autour des conduites alcooliques, au détriment
des rituels familiaux et d’autre fonctions familiales telles la protection, la création d’un
sentiment d’appartenance et d’identité, la transmission transgénérationnelle,
l’épanouissement et l’autonomisation de ses membres.
Quelle est l’origine et la justification de la mise en place de cette fonction
homéostatique concrétisée par la conduite alcoolique ?
L’expérience clinique s’oriente vers l’angoisse de la séparation et la transmission
transgénérationnelle du manque ; dans la pratique systémique, bien entendu, il s’agit
bien plus d’une organisation d’intéractions autour du manque que d’un vécu
intrapsychique du manque et de l’angoisse de la séparation. Notons, toutefois, que la
pratique clinique systémique peut facilement démontrer que l’organisation
intéractionnelle autour du manque, à une génération, ré-apparaît lors de la génération
suivante comme trait de la personne ; de même, une personne hantée par l’angoisse
de la séparation peut transmettre cette angoisse, sous forme de règles et de
transactions familiales de la vie quotidienne aux autres membres de la famille et plus
spécialement à ses descendants.
De la famille d’origine au couple co-dépendant
Avant de présenter les traits de la co-dépendance dans la relation conjugale et les
modalités de la fonction parentale il me semble important de tenter une esquisse d’un
contexte familial transgénérationnel propice à la mise en place du système alcoolique.
I.
La hantise du manque
Nous avons rencontré cette caractéristique intéractionnelle à chaque génération du
système alcoolique ( bien que cela ne semble pas être spécifique au système
alcoolique mais bien plus un trait commun avec les familles de patientes anorexiques
et de toxicomanes ).
La hantise du manque peut prendre plusieurs aspects différents : manque de l’autre,
de l’amour, de notoriété, de respect, d’argent, de sexe, se reconnaissance. La hantise
d’en manquer met en place, au sein de la famille, des mécanismes anticipatoires et
une organisation familiale consécutive. Il est aisé d’y voir la traduction interactionnelle
40
et familialiste d’une faille narcissique ; mais comment ce trait de personnalité devient
une modalité relationnelle familiale transmissible sur quelques générations ? Il me
semble, que cela s’avère possible dans les situations familiales où la hantise du manque
a une dimension existentielle ; qu’elle traduit, en quelque sorte, l’angoisse du temps qui
passe, le manque du temps ; les mécanismes anticipatoires qui en sont la
conséquence visent, dès lors, à la mise en place d’un contexte familial qui « échappe »
au temps, qui se situe hors temporalité, sans historicité.
Un tel contexte fonctionnerait comme une « bulle sollipsiste » imposant le repli sur soi, le
renoncement à toute différenciation et l’évitement de la différence, l’ignorance de
l’altérité de sorte que les mécanismes morphogénétiques soient « endormis » !
I. La dépendance à la famille d’origine
Aussi bien l’alcoolique que son conjoint ne semblent avoir accès ni à l’autonomisation
ni à la différenciation par rapport à leur familles d’origine ; l’alternance des
générations, marqueur de l’écoulement du temps, est mal supportée dans ces
familles ; les frontières entre les générations y sont floues et on y constate couramment
des relations affectives d’allure vaguement incestueuse.
Dès la formation de leur couple, chacun se voit dans un conflit de loyautés entre leur
conjoint et leur famille d’origine ; un sentiment de culpabilité et de dette s’installe à
l’égard de la famille d’origine et plus tard à l’égard de conjoint.
Le plus souvent l’attitude des famille d’origine confirme cet état de fait en adoptant
des conduites envahissantes face au nouveau couple, s’immisçant dans leur vie au
quotidien, ou en ayant des conduites culpabilisantes(« -depuis ton mariage tu nous a
oubliés ! ») , en laissant planer des menaces dissimulées de séparation définitive (« -vu
ton mode de vie et ton choix de partenaire ce n’est plus la peine de se revoir !»), ou en
établissant une reconnaissance conditionnelle de la filiation de l’enfant-adulte (« -tu
n’es plus le/la même, quand tu es avec ton conjoint ; te voyant on n’aurait pas cru que
tu fais parti de notre famille ! »)Pour préserver leur couple ils sont dans la nécessité de
prétextes qui leur autoriseraient eu égard des familles d’origine de vivre leur intimité.
Pour cela faire, il faut organiser sa vie autour d’un facteur tiers considéré comme
principe organisateur de la vie conjugale, puis de la vie familiale : des difficultés socioprofessionnelles, un enfant malade, la souffrance alcoolique peuvent excuser voire
justifier aux yeux des familles d’origine l’alliance et la solidarité du couple du (futur ou
déjà actuel) patient alcoolique.
Notons que le recours à ce tiers, principe organisateur du couple, est compatible et
congruent avec la transmission familiale de la hantise du manque, puisqu’il induit le
repli sur soi, le renoncement à la différenciation et l’évitement de la différence ou de
l’altérité ; ce principe organisateur du couple n’est pas soumis à l’écoulement du
temps et permet l’entretien de l’illusion qu’à l’intérieur de la « bulle sollipsiste » le temps
est suspendu.
41
II. Modalités de la transmission de la hantise du manque
La hantise de manque me semble transmissible d’une génération à la suivante. Pour
qu’il y ait transmission transgénérationnelle il doit avoir eu lieu, pour au moins une
personne, d’une expérience d’un contexte ou d’une règle intéractionnelle ; une telle
expérience aura valeur de vecteur transgénérationnel. La pratique clinique suggère
trois « vecteurs » possible de cette transmission :
o l’expérience de ne pas avoir été « suffisant » pour ses parents (être un
enfant de « trop », ou être venu « trop tôt », ou ne pas avoir répondu aux
expectatives parentales, ou être considéré à l’origine de leur malaise)
o l’expérience d’une relation de codépendance avec un parent (être « trop
investi » par un des parents dans une relation de codépendance et du fait
être « annexé » voire « réifié » ; l’expérience de ne avoir droit à sa propre
vie)
o l’expérience de la destruction des rituels familiaux (avoir vécu son enfance
dans un contexte familial dépourvu de rituels qui scandent le temps, qui
assurent la continuité, qui confirment l’appartenance, qui organisent le
passage d’un âge à l’autre et assurent l’autonomisation)
Traits d’une configuration intéractionnelle de co-dépendance dans le couple
Entre 1997 et 2001 nous avons mené avec les Drs M.Scweitzer et I.Sokolow, à l’unité
d’alcoologie de l’hôpital de St-Cloud, une expérience de thérapie de groupe des
conjoints de patients alcooliques (ce travail va apparaître en mars ‘02 dans un article
publié dans « Alcoologie et Addictologie »). Cela nous a permis d’identifier des traits
relatifs à une relation de co-dépendance des deux partenaires du couple de
l’alcoolique. Il faut entendre ces traits en termes d’un « jeu intéractionnel » qui définit un
contexte de vie conjugale, puis familiale dans le temps.
un scénario conjugal conçu d’avance. Une relation idéale est bien
plus investie affectivement que le conjoint ; cette relation idéale est
le produit d’un scénario anticipé et mis au point bien avant la mise
en place du couple réel ; dans ce scénario le conjoint est au mieux
dans le rôle de protagoniste mais jamais admis comme co-auteur de
sa vie relationnelle.
l’agressivité relationnelle et l’obsession de maîtriser le conjoint,
conséquences de l’impuissance à le changer (voire l’engendrer). Si
toute relation amoureuse est une aliénation consentie, alors le
couple de l’alcoolique ne s’autorise pas un accès à cette
expérience : l’un aux prises avec son scénario idéal et l’autre avec
l’alcool se montrent d’une part indisponibles pour leurs partenaire et
de l’autre impuissants à le conquérir ; l’agressivité relationnelle
s’avère être le dernier trucage possible pour se rencontrer
le non-amour de soi; la restauration
narcissique paradoxale des
partenaires du couple de l’alcoolique. Une des principales fonctions
de couple « à la manière occidentale » est la restauration
42
narcissique
permanente
des
partenaires
par
un
« jeu »
d’investissement affectif réciproque. Dans le couple alcoolique
chaque partenaire vit dans le non-amour de soi. Chacun réussit sa
restauration narcissique de façon paradoxale car il y arrive en
suscitant l’admiration et la compassion des autres (milieu social,
parents) eu égard de « ce qu’il/elle endure » à cause du
comportement pathologique de l’autre.
trop ou pas assez d’empathie dans la communication intraconjugale amène inexorablement à rendre la communication et
l’expression des affects inutiles : c’est l’apothéose des vertus de la
« boule
sollipsiste »
et
de
l’illusion
concomitante
d’être
« indépendant » (notons la connotation politique du mot par rapport
à la connotation psychologique du mot « autonome »).
L’indépendance ici se mesure à l’échelle sollipsiste et elle confirme
l’absence de toute autonomie psychologique qui n’a de sens
qu’une fois impliqué dans un jeu relationnelle
le corollaire de la co-dépendance : réification et instrumentalisation
du conjoint, qui n’étant plus objet d’amour et de désir, il/elle est
réduit(e) à un rôle ou à une fonction. L’altérité est abolie car la
moindre différence n’est pas tolérée tant elle est menace de
dislocation de ce couple.
l’intolérance au manque de conjoint ; la séparation est
inconcevable et le temps suspendu. Le temps suspendu par le
truchement de la conduite alcoolique semble un remède puissant à
la hantise du manque . Ils se trouvent dans une vie redondante et
prévisible, rassurante et anesthésiante.
perplexité et perte de sens lorsque l’alcool fait défaut ; la mise hors
jeu de principe organisateur du couple précipite les partenaires
dans le temps, la nécessité de l’évolution, la réapparition de l’altérité
qu’il faut inestir, qu’il faut tolérer sans tenter à l’anéantir et accepter
à se voir enrichi donc modifié à sa fréquentation ; et tout ça sous la
barbe de la famille d’origine !
En guise de conclusion nous pouvons avancer que la codépendance dans le couple
alcoolique entraînée par un défaut de différenciation entre les partenaires du couple
et l’autonomisation entravée par rapport aux familles d’origine, confèrent aux
conduites alcooliques la fonction d’un cadre de référence de la vie quotidienne qui
s’empare de l’organisation familiale et qu’ il se substitue à tout contexte de transmission
entre les générations
Du couple co-dépendant à la parentalité dans le système alcoolique
La naissance des enfants impose des impératifs de transmission entre générations et
d’organisation temporelle telle que l’inscription de chacun dans le temps de l’histoire
familiale ou la mise en place de rituels familiaux qui signent un acte important
d’autonomisation eu égard des familles d’origine tout en affirmant la continuité
identitaire et l’appartenance.
Pour le couple de l’alcoolique et les familles d’origine respectifs cette situation est une
épreuve délicate et difficile : elle met en mal leur capacité de « contenance » et elle
sollicite leur aptitude à transmettre des règles (entre autres d’autonomisation) plutôt
43
qu’à imposer des impératifs de conduites conformes aux système familial. La pratique
clinique montre que la famille de l’alcoolique est souvent perçue par les familles
d’origine comme un espace de lutte où chacune tente à se préserver un « domaine
d’influence », alors que l’alcoolique et son conjoint se montrent habituellement
incapables d’assumer un rôle de médiateur et d’affirmer leur filiations.
Une fois de plus le système est menacé par la dislocation, une fois de plus la conduite
alcoolique imposera sa fonction de régulateur des tensions.
Pour quelles raisons l’alcoolique et son conjoint se voient handicapés à être reconnus,
au sein du système familial, comme des parents ?
Conséquences des difficultés de différenciation
Il est difficile de s’établir comme parent lorsque la reconnaissance de sa propre filiation
est subordonnée au renoncement à toute différenciation par rapport à ses propres
parents.
Cela amène à une situation paradoxale : l’alcoolique et son conjoint ne sont pas
habilités à élever leurs enfants car une telle tentative implique la possibilité réelle de se
situer au-delà de sa définition dans sa famille d’origine ; mais en empruntant un
processus de différenciation leurs filiations vont se trouver suspendues; dès lors, ils auront
du mal à s’inscrire dans une transmission transgénérationnelle, face à leurs enfants
La parentification des enfants
L’enfant s’identifie à la position parentale qui fait défaut dans le système familial ; il est,
dès lors, défini par les besoins de l’un ou de l’autre des parents. Il est loyal, hyperresponsable, investi d’un pouvoir de régulation au sein de la famille. Plusieurs enfants
peuvent être concernés.
La parentification est pathogène car elle n’est pas reconnue en tant que telle et elle
ne requiert ni reconnaissance ni remerciements ; elle sera donc vécue comme
violence et transgression par l’enfant parentifié.
La violence de la parentification est en rapport étroit avec le repli narcissique du
couple codépendant et la hantise du manque : les parents ne se rendent pas compte
des services qu’ils réclament à leurs enfants.
L’enfant parentifié, sans cesse sollicité et triangulé, il ne peut prétendre à aucune
autonomisation ; en tant que responsable du narcissisme fragile de ses parents, il ne
peut se permettre aucune différenciation qui serait vécue comme manquement.
L’alliance des grands-parents et des petits-enfants
Grands-parents et petits-enfants nouent cette alliance illégitime, justifiée par le
handicap alcoolique, qui aboutit à l’escamotage de la fonction parentale du couple
de l’alcoolique.
Les enfants sont « cédés », par l’alcoolique et son conjoint à ceux, envers qui, ils croient
avoir une dette; le conflit de loyautés, qui les hante, se trouve partiellement apaisé.
44
Du fait, les grands-parents se trouvent de plus en plus impliqués dans la vie quotidienne
de la famille de l’alcoolique.
Les parents se trouvent « institutionnellement » dessaisis de toute charge parentale ; les
enfants, après être sentis abandonnés, ils ont recours aux grands parents qui se trouvent
rapidement en charge de leur éducation et de la transmission intrafamiliale.
Autrement dit, les parents se voient disqualifiés (ce qui rajoute à leur sentiment de
honte, de manquement, d’insuffisance, et de culpabilité), alors que les enfants
reconnaissent une filiation directe à leur grands parents.
La codépendance, la parentification et l’alliance grands-parents et petits-enfants sont
devenues des principes organisateurs de la famille de l’alcoolique
Cette
« restructuration » familiale va résister, bien évidemment, à toute changement si, par
hasard, l’alcoolique tente à s’abstenir et revendique ses prérogatives de parent et de
conjoint.
45
PROBLEMES POSES PAR LA GRANDE EXCLUSION
Dr Jacques Hassin
Directeur scientifique, Observatoire du Samu Social de Paris, Paris
L’alcoolisme chez les personnes à la rue représente un problème majeur de santé
publique. En effet, en 1996, le Haut Comité de Santé Publique (1) chiffre pour l’année
1994 à 35 000 les décès liés directement ou indirectement à l’alcool dont 23.400 par
alcoolisme chronique (causes hépatiques, neurologiques, cancers et morts violentes).
Par rapport à la population générale, cette addiction chez ces personnes très
désocialisées présente un certain nombre de traits particuliers.
Les données de la bibliographie
On retrouve très peu de données scientifiquement validées sur cette association
alcool et grande exclusion.
Dans les publications internationales, on peut citer ici l’étude ancienne de
Ashley et al. (2) sur ce problème de l’alcoolisme et de la grande exclusion aux EtatsUnis.
Cette question de l’alcool et de la grande exclusion et très souvent incluse dans
des études plus globales comprenant outre l’alcool, la toxicomanie et/ou la pathologie
psychiatrique comme dans les travaux de Sosin (3), d’Orwin (4), de Grella (5), de
Fichter (6) et de Teeson (7).
Ces travaux sont parfois centrés sur la spécificité des femmes à la rue comme
ceux de Nyamathi (8), de Smith (9) ou de Chantarujikapong (10).
Tous ces auteurs et d’autres comme Zlotnick (11) relèvent l’addition de morbidité
liée à cette association de l’alcoolisme et de la grande exclusion plus encore qu’elles
sont associées à des pathologies psychiatriques (dépression en particulier).
Benjaminsen (12) dans son étude réalisée par des psychiatres retrouve une
incidence de 73% de pathologies psychiatriques liées à l’alcoolisme chronique. Borg
(13) note que 80% des personnes admises dans des centres de traitement de
l’alcoolisme sont intoxiquées au moment de l’inscription.
Winkleby (14) sur 1 399 SDF de trois shelters de Californie retrouve un taux
d’incidence de 34,5%. Ces travaux montrent donc l’effet de feed-back positif d’une
co-morbidité somatique et psychique avec les phénomènes de désocialisation menant
à la grande exclusion.
Une revue de la bibliographie sur les taux de prévalences (15) relève des taux
variant de 7 à 86% (contre 7% dans l’ensemble de la population américaine).
46
Le travail de Georges fait à Sheffield (16) retrouve un alcoolisme chronique chez
30% des hommes et 19,5% des femmes.
Mercier (17) donne une incidence de 45,5% d’alcoolisme de la population pour
les hommes et de 15% pour les femmes.
En fait, à partir de la médiane des résultats de l’ensemble des enquêtes, on
arrive à un minimum de 30% de problèmes de consommation d’alcool chez les sansabri, le maximum frisant les 100%.
On est d’ailleurs surpris, alors que tous les auteurs soulignent l’incidence massive
de l’alcoolisme, de ne retrouver que peu de publications spécifiques sur ce sujet.
L’importance des écarts s’explique par la difficulté et la non-spécificité du
recueil. Il s’explique également par le fait que pour un certain nombre de travaux, ce
taux ne reflète pas une recherche de l’intoxication mais les signes indirects par
l’atteinte psychiatrique ou somatique directement liées à l’alcool.
On peut considérer que les chiffres supérieurs à 75% se rapprochent
vraisemblablement de la réalité.
Enfin, on retrouve dans certains travaux des références aux taux de mortalité
aggravés chez des patient alcooliques et désocialisés.
Toutefois, les difficultés et biais méthodologiques donnent à ces mesures un
caractère plus iconographique que scientifique.
Alstrom (18) a revu les dossiers de 6 032 sans-abri en Suède de 1969 à 1971. Il a
dénombré 327 morts. La mortalité observée est quatre fois plus élevée que la mortalité
estimée. La mortalité par accident est 12 fois plus élevée, celle découlant de maladies
digestives ou respiratoires est sept fois plus élevée. La population SDF de moins de 40
ans présente un risque de décès neuf fois plus élevé par rapport à la population
générale.
L’étude d’une équipe d’Atlanta (19) a repris tous les certificats de décès dans
cette cilles pendant six mois. Elle a identifié 40 sans-abri. 22 étaient morts dehors, 48%
des décès étaient accidentels et 40% étaient attribués à des causes naturelles : six à
l’alcool, trois à l’épilepsie, quatre à des maladies cardiaques, trois à des maladies
pulmonaires.
Hibbs (20) a confirmé un taux de mortalité quatre fois plus élevé chez les
personnes itinérantes que dans l’ensemble de la population.
Enfin, Hanzlick (21) a étudié les conditions du décès de 128 personnes. La
première cause retrouvée est le traumatisme accidentel et l’alcool. 98% sont des
hommes, 55% des décès sont survenus dehors, 55% sont dus à des causes naturelles,
42% résultent de traumatismes qui, pour la plupart, sont involontaires. L’âge moyen est
de 46 ans et 80% ont été retrouvés morts. Près de la moitié (47%) sont rapportés à des
conséquences de l’alcoolisme aigu ou chronique. 45% avaient de l’alcool dans le
sang (pour 75% d’entre eux à une concentration supérieure à 1g/l).
47
Pour ce qui concerne les données en langue française, on ne retrouve
également que peu de travaux sur ce thème.
Une ancienne publication de Molimard s’intéressait à l’attitude de patients
alcooliques très désocialisés (22).
Dally traite cette question de l’association alcool, pauvreté et précarité, mais on
peut remarquer que l’essentiel de sa bibliographie touche aux problèmes d’alcool en
général et qu’il ne retrouve, lui aussi, que peu de publications sur cette association
alcoolisme et grande exclusion (30).
Il met l’accent sur les modifications de
comportement expliquant le passage de « l’alcool boisson » à l’alcool « médicament
psychotrope, » à « l’alcool défonce. »
Hassin et al. (24) en 1996 retrouve, dans une consultation médico-sociale
réservée aux personnes sans-abri, sur 276 personnes de très lourds antécédents
familiaux où l’alcoolisme, le paupérisme et la violence représentent des
caractéristiques majeures (88%).
L’alcoolisme et les maladies psychiatriques
représentent près de 53% des antécédents personnels spécifiés. L’alcoolisme aigu ou
chronique représente 33 motifs de consultation (6%).
Comme nous l’avons fait, différents auteurs comme Raynaud (24) associent à
l’alcool des pathologies comme les hypothermies, les lésions traumatiques et les
gastrites. Il est rare que l’alcoolisme aigu soit le motif de la consultation. Les patients
viennent souvent consulter pour d’autres motifs même si la consultation se fait chez un
patient dont l’alcoolémie mesurée à l’éthylomètre avoisine souvent les 3 grammes par
litre. Le diagnostic est fait, bien sûr, mais il n ‘est que rarement spécifié surtout s’il existe
un autre motif ou diagnostic de consultation. 91% disent consommer trop d’alcool
avec une consommation moyenne déclarée autour de 6 litres de vin rouge en général
et/ou pensent que l’alcool a joué un rôle dans leur désocialisation. Six (9%) disent ne
jamais boire. Il est fréquent que l’alcoolisme soit présenté par les sujets comme un
épiphénomène de l’exclusion sociale.
Une connaissance plus approfondie de ces mêmes sujets montre, quasi
systématiquement que l’alcoolisme les a accompagnés tout au long de leur vie et ce,
bien souvent, depuis l’adolescence.
D’autres études montrent la grande banalisation de la consommation de
l’alcool dans ces populations (25, 26).
Dans une enquête en 1997 (27) auprès de 266 personnes sans-abri, on note que
80% des personnes interrogées boivent de l’alcool et 69% tous les jours avec une
consommation moyenne autour de 4 litres (consommation moyenne des Français à 2,8
verres par jour tous les alcools confondus). 30% des personnes pensent que l’alcool est
à l’origine de leurs difficultés actuelles.
Sur ce thème, on peut également citer l’étude Kowess (31).
Enfin, une étude de l’Observatoire du Samu Social de Paris en 1999 (28) dans un
travail transversal, multicentrique et déclaratif, retrouvait que sur 275 personnes sans-
48
abri, 76% consommaient régulièrement de l’alcool (vin 38%, bière 37%, vin et bière 22%,
pastis 1,5%). Les consommations quotidiennes maximales atteignant 12 bouteilles de
vin ou 22 cannettes de bière et une consommation moyenne autour de 3 litres de vin.
Par ailleurs, 82% des personnes fument un paquet (42%) à deux paquets (21%) de
cigarettes par jour. Quelle que soit la durée de l’errance, la plupart des personnes
consommaient avant d’être à la rue. Toutefois, 20% des personnes qui boivent ont
commencé à boire lorsqu’elles se sont retrouvées à la rue et beaucoup disent ne pas
pouvoir « faire la manche » s’ils ne sont pas en état d’ivresse.
Les données de l’expérience clinique auprès d’une
population francilienne de personnes sans domicile très désocialisées
Cette expérience clinique s’exerce, d’une part, en tant que Directeur scientifique
de l’observatoire du SAMU Social de Paris, et, d’autre part, en tant que responsable de
la consultation médico-sociale réservée aux Personnes Sans-Abri du CHAPSA de
Nanterre.
Tous les chiffres et les comportements montrent que l’alcoolisme dans ces
populations représente la « normalité. » L’exception étant la personne ne consommant
pas d’alcool. Cette banalisation entraîne de grandes difficultés méthodologiques dans
le recueil d’information. Dans les dossiers médicaux, par exemple, les antécédents
d’alcoolisme ou la consultation de personnes dont l’éthylomètre nous donne une
alcoolémie supérieure à 2 grammes par litre sont d’une telle banalité, d’une telle
« normalité » qu’ils ne sont jamais signalés dans les dossiers de consultation médicale.
La population accueillie, par définition sans domicile stable, est caractérisée par
l’absence d’hygiène, la malnutrition et l’alcoolo-tabagisme souvent majeur, avec des
consommations courantes de 5 à 6 litres mais qui peuvent atteindre 10 à 12 litres de vin
et d’un à deux paquets de cigarettes par jour.
Patrick Declerck et Patrick Henry ont montré en 1988 que 92% des patients reçus
au CHAPSA étaient alcooliques chroniques et consommaient en moyenne entre 5 et 6
litres de vin par jour (29). L’hygiène est souvent au premier plan et il est vrai que le
premier contact avec le SDF désocialisé est avant tout un contact olfactif. Mais un
certain nombre de personnes socialisées répond à ces critères.
Nous empruntons le concept de réaction thérapeutique négative à Patrick
Declerck. Il fait juste titre de cette conduite un signe pathognomonique de ces
populations : « quand on propose mieux c’est pire. »
C’est une espèce
d’apragmatisme et de jeu pervers dans lequel on jette ses plaies en pâture.
« Regardez ce qu’on m’a fait, mais je ne veux pas de vos soins, votre logique n’est pas
la mienne. » Ceci pourrait être une explication à la quasi-totalité des échecs de
sevrage que l’on constate.
L’errance poursuit chez eux une conduite de l’échec commencée depuis
l’enfance. Que ce soit les formations, les stages, les petits boulots, les cures de
désintoxication, le mariage, la paternité, l’amitié, les sevrages, rien ne marche jamais.
S’agit-il chez le clochard d’une déveine permanente ou bien y-a-t-il autre chose ?
49
Pour Patrick Declerck, « A examiner ces histoires de vie, qui sont toujours
fragmentaires, difficiles à obtenir, parsemées de confusion de dates, on est d’emblée
frappé par la surprenante fréquence d’actes manqués, d’accidents, de catastrophes.
C’est précisément l’accident qui constitue la toile de fond, le chaos fondamental de
toute leur existence, et cela depuis le premier temps. Il semble que rien jamais ne
puisse chez eux aboutir. Le projet n’est là que comme prétexte à la mise en acte d’un
invariable et compulsif échec, paradoxale action qui se mobilise pour mieux
« échouer. » On peut citer les exemples nombreux de patients pour lesquels des
démarches sociales ont été entreprises et qui s’alcoolisent avant le premier entretien
avec un employeur ou sur un lieu de stage, ou de patients pour lesquels on met en
place une hospitalisation d’urgence pour un problème somatique lié a l’alcool et qui
disparaissent entre temps. Le clochard s’apaise dans et par sa souffrance avec
l’alcool. Cette pensée est odieuse, elle est néanmoins centrale à la compréhension de
cette clinique. »
Nous préférons pour cette population le terme d’alcoolomanie à celui
d’alcoolisme car il semble plus adapté.
L’alcool semble pour eux un moyen plutôt qu’une fin. Nous sommes là dans le
cadre de ce que certains appellent l’alcool-médicament. Nous l’avons signalé, mais
pour supporter la honte, l’alcool leur est absolument nécessaire pour faire la manche.
Nous somme en outre assez surpris de voir qu’il s’agit en quelque sorte d’un « cache
misère. »
Ils passent très facilement d’un produit à un autre et on retrouve
fréquemment des personnes qui passent de la toxicomanie intra-veineuse à la
toxicomanie médicamenteuse et à l’alcool. Au fond, on a un peu l’impression que
peu importe le produit pourvu qu’on ait l’ivresse. Les conduites addictives sont
relativement peu spécifiques au produit. Il est très fréquent de rencontrer d’anciens
toxicomanes par voie IV passer souvent pour des raisons financières d’ailleurs au
mésusage médicamenteux et à l’alcoolomanie. Par ailleurs, nous l’avons vu, les
consommations dans la rue sont en matière d’alcool très élevées atteignant de façon
non-exceptionnelle les 10 litres par jour.
Il est assez étonnant de voir que lorsqu’ils rentrent dans un Centre d’accueil ou un
CHRS, leurs consommations diminuent spontanément sans aucune aide psychologique
et en tout cas sans cure de sevrage. Dans ces conditions, leur consommation se
restreint pour devenir acceptable en institution.
Ce phénomène est étudié
spécifiquement dans un travail en cours au Centre d’Accueil du Centre d’Accueil et
de Soins Hospitaliers de Nanterre.
Chez nos patients qui sont indiscutablement de vrais alcooliques chroniques,
cette observation est contradictoire avec toutes les données admises usuellement qui
soutiennent généralement que la désintoxication est un préalable nécessaire à
l’abstinence et que seule l’abstinence radicale préserve de la rechute. Le malade
alcoolique restant un malade toute sa vie en rémission prolongée dans le meilleur des
cas. Là, au contraire, les patients ne guérissent pas par l’abstinence absolue mais par
une diminution de leur consommation qui les rend « institutionnellement » acceptables.
50
Une autre observation repère que les personnes à la rue entrent dans le car de la
Brigade d’Assistance aux Personnes Sans Abri avec leurs affaires et éventuellement leur
alcool. Les plus chanceux vont pouvoir s’alcooliser en sachant que, conduits l’aprèsmidi, ils ne repartiront de Nanterre que le lendemain matin, soit 15 à 20 heures de
sevrage complet, brutal et involontaire. Cette alcoolisation dans le bus peut être
extrêmement violente et dans un bref délai de temps. Par exemple, une demi-bouteille
de rhum ou de vodka en deux heures.
A l’antenne médico-sociale, pour éviter les discussions et les négociations
forcément irrationnelles et injustes, un éthylomètre permet au médecin ou à l’infirmière
de vérifier la probabilité du syndrome de sevrage. Il n’est d’ailleurs pas rare
d’objectiver des signes cliniques patents de sevrage avec une alcoolémie autour de
1g/l. Il est curieux de constater qu’avec des alcoolémies mesurées à 2 voire 3g/l ou
plus, il y a mémorisation et que M. X viendra le lendemain s’excuser de son
comportement agressif ou désagréable, alors même que son alcoolémie mesurée était
à plus de 3g. Ils attribuent des fonctions curatives à l’alcool. C’est bien là l’alcoolmédicament. « J’ai bu pour oublier, c’est comme un médicament. Je bois quand ça
va pas, ça me calme. C’est après que c’est dur. »
On peut donc penser qu’il est nécessaire d’avoir pour ces populations très
désocialisées plus encore un regard pluridisciplinaire au sein d’un accueil ou s’insère
du médical et du social et qui, c’est extrêmement important, sort d’une pratique un
peu sadique et coercitive.
Du médical parce que la première démarche de retour sur le chemin d’une
éventuelle insertion, c’est d’arrêter la situation de divorce d’avec son propre corps et
cela passe par le sevrage et du social, parce que, pour prendre un exemple un peu
simple, on a tenté d’arrêter, une fois, dix fois, 15 fois, sans succès, et un jour, on ne se
sait pas pourquoi, ça marche. Il faut qu’il y ait des travailleurs sociaux parce que dix
fois, 15 fois, la tentative de remonter ne va pas aboutir et peut-être qu’un jour, on ne
sait pas pourquoi, un déclic va se faire chez la personne et à ce moment là, il faut être
là pour lui tendre la main et l’aider efficacement. Il est fondamental que la prise en
charge soit globale et ne sépare pas le médical du social. On évite plus facilement
ainsi les « défausses » des acteurs qui ont parfois tendance à se renvoyer dans un jeu
de « la patate chaude » celui qui devrait être pris en charge. Le travail doit, au
contraire, être mené conjointement et dans un même lieu par une équipe
pluridisciplinaire. Il est vrai que les problèmes de santé de ces populations fait souvent
de médecin ou de l’infirmière le premier contact privilégié de la personne très
désocialisée. Il est tout aussi vrai que la réinsertion, mais encore faudrait-il s’entendre
sur ce terme, ne peut s’envisager sans une prise en compte sociale de la personne.
Sans état de santé suffisant rien n’est possible, mais sans aide et sans référent social rien
n’est possible non plus. C’est bel et bien dans ce travail en équipe que les plus
grandes chances d’efficacité sont offertes à ces grands exclus.
Insistons sur un point particulier, ce sont les pratiques dont ils font encore l’objet
souvent en toute bonne foi dans le secteur sanitaire par exemple. Ainsi, on continue
dans les centres d’hébergements d’urgence ou dans les hôpitaux à interdire toute
consommation d’alcool. On repère bien tout le côté moraliste de la pratique. « C’est
bien pour eux car l’alcool est un produit nocif » pense-t-on. Mais on refuse de voir le
sadisme violent de cette pratique. Lorsque l’on boit jusqu’à 12 litres de vin par jour, un
sevrage brutal, non voulu est horriblement douloureux. Ce sevrage est responsable
51
d’états de pré-délirium tremens extrêmement pénibles. Nous faisons l’expérience dans
nos lits de soins infirmiers de leur donner simplement un quart de vin avant les repas.
Cela suffit souvent à atténuer le manque et à adoucir les souffrances chez la plupart
d’entre eux. De même les vexations, les brimades et les comportements hostiles dont ils
sont souvent l’objet expliquent leur fréquente sortie « contre avis médical » des services
dans une procédure que nous qualifions de divorce par consentement mutuel. Cet
éclairage du « bouc émissaire » est de nature à nous aider à mieux comprendre
l’hostilité, la méfiance ou la peur suscitée par ces clochards.
Enfin, il faut signaler que les véritables demandes de sevrage sont relativement
rares en dehors de demandes fantasmatiques en état d’intoxication alcoolique aiguë.
Les recommandations
L’alcoolisme est une maladie quasi-cosubstantielle de la grande exclusion. Elle
doit être reconnue comme telle et prise en charge comme telle.
Cette prise en charge est un préalable à toute démarche raisonnable de
« réinsertion. » Nous insistons sur le fait que nous parlons de prise en charge et non de
sevrage qui ne saurait être un préalable, faute d’échec quasi constant.
Cette prise en charge doit être pluri-professionnelle, médicale, sanitaire, sociale
et psycho-psychiatrique. Elle doit être coordonnée entre tous ces professionnels
notamment grâce à la mise en place de réseaux opérationnels.
Elle est
particulièrement difficile dans cette population, même si l’apport de groupes
d’entraide et d’un soutien psychothérapique peut représenter une aide précieuse.
La mise en place de structures adaptées à la prise en charge de la maladie
alcoolique des personnes sans domicile fixe peut se discuter. En ce qui nous concerne,
sa justification vient de la particulière spécificité des personnes très désocialisées et de
« l’apprivoisement » particulièrement délicat et pourtant indispensable.
Enfin, il nous faut accepter d’être modeste dans nos objectifs avec cette
population.
Le sevrage complet est bien souvent un objectif trop ambitieux.
L’obtention d’un relatif contrôle avec une diminution de consommation rendant
possible une vie sociale et une vie en collectivité est parfois déjà un objectif et un
résultat apprécié et appréciable. Par collectivité, nous entendons bien sûr les Centres
d’Accueils et CHRS, mais aussi les communautés d’accueil comme Emmaüs, ATD-Quart
Monde, MSF, MDM, Les Petits Frères des Pauvres, etc.
52
Références bibliographiques
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grande exclusion. Observatoire du SAMU Social de Paris, 1999.
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Nanterre [Mémoire du Diplôme d’Université d’alcoologie]. Université Paris V Pierre et
Marie Curie, 1988.
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mentale, Flammarion, Médecine France, 1997 : 121-130.
MOTS CLES
Alcool, Grande Exclusion, Sevrage, Tempérance, Médico-Social, Comorbidité
RESUME
L’alcoolisme chez les personnes à la rue représente un problème majeur de santé
publique. Par rapport à la population générale, cette addiction présente chez des
personnes très désocialisées un certain nombre de traits particuliers. Les données de la
littérature de cette association sont assez pauvres tant au niveau international que
Français. La grande difficulté de la prise en charge après sevrage provient de
l’obligation, outre le problème de sevrage d’alcool, de régler la question de la prise en
charge sociale. En effet, toutes ces personnes nous disent qu’il est impossible de rester
à la rue sans consommer d’alcool. L’intrication de problématiques somatiques,
psychiatriques et sociales rend cette perspective de sevrage réussi d’autant plus
lointaine que la demande de sevrage est très rare dans cette population. Il est possible
qu’au delà du bien incertain sevrage complet, la diminution importante de
l’intoxication rendant possible la vie communautaire représente déjà un succès
appréciable et apprécié. Enfin, la mise en place de structures adaptées à la prise en
charge de patients SDF alcooliques peut se discuter.
54
THERAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES
Dr Yves LECLAIRE La Baronnais Centre thérapeutique en Alcoologie 44342 BOUGUENAIS
Les notions de programme ou de protocole de soins, entrent maintenant de façon
habituelle dans la culture thérapeutique.
Les notions de référence, opposables ou non, mais du moins fondatrices tiennent la
place prépondérante que l’on sait.
Avec notre équipe, nous avons développé depuis plusieurs années un programme de
soins multimodal, pour des patients alcoolo-dépendants, avec des références
théoriques en thérapie comportementale et cognitive.
Cet écrit a pour but de rappeler ce que sont les thérapies comportementales et
cognitives et d’exposer leur application dans le protocole de soins utilisé dans notre
centre thérapeutique.
I - Les définitions
Les thérapies comportementales et cognitives appliquent les apports de
psychologie scientifique expérimentale à la psychothérapie (1). Elles établissent une
méthodologie expérimentale afin de comprendre et de modifier les troubles
psychologiques qui perturbent la vie du patient, et qui suscitent une demande auprès
d’un spécialiste de santé mentale. Elles font référence aux théories de l’apprentissage
(2) et au modèle cognitif (3, 4, 5).
cognitif,
émotionnel.
Les
Nous intervenons sur les axes comportemental,
interventions
s’intègrent
dans
une
conception
environnementaliste ; le milieu façonne les réponses qu’émet l’organisme avec des
relations individu-environnement modelables.
55
Ceci constitue un modèle biopsychosocial (1).
1) Le comportement
Constitué d’un enchaînement ordonné d’actions destinées à adapter l’individu à
une situation telle qu’il la perçoit et l’interprète, il n’est pas conçu comme le signe ou le
symptôme d’un état sous-jacent, mais comme le trouble à part entière. En thérapie, il
ne s’agit pas de supprimer une séquence de comportements, mais d’apprendre une
nouvelle séquence, non pathologique et incompatible avec le trouble présenté. Nous
parlons de comportement problème, qui peuvent être chez l’alcoolo-dépendant la
répétition de la prise d’alcool, les différents modes d’alcoolisation, etc.
2) La cognition
Cela signifie l’acte de connaissance, par l’acquisition, l’organisation et l’utilisation
du savoir sur soi et le monde extérieur.
La psychologie cognitive étudie l’activité
mentale dans ses relations avec la perception, les pensées et l’action. Elle se centre sur
les processus mentaux les plus élaborés tels la pensée, la prise de décision, la
perception ou la mémoire.
Le système cognitif est capable de traiter des informations à l’aide de fonction,
de désignation et de compréhension du monde environnant, appréhendé par chacun
selon les paramètres qui lui sont attribués.
Il s’agit toujours d’un phénomène actif de sélection et d’utilisation de paramètres
disponibles, dont l’élaboration permet d’incorporer à de l’information entrante, de
l’information stockée en mémoire.
56
Dans les systèmes pathologiques, nous parlons de pensées dysfonctionnelles, à
caractère obligatoire. Par exemple, chez l’alcoolo-dépendant, nous pouvons trouver
(6) :
-des non-spécifiques (liste non exhaustive) :
· Mésestime de soi : « je suis nul, je ne vaux rien »
· Obligation d’efficacité personnelle à 100% : « je suis perfectionniste,
je n’ai pas le droit à l’erreur. Si je me trompe, je suis nul »
· Vision du monde en tout ou rien : « Si je ne suis pas parfait, je suis nul »
-des spécifiques (par rapport à l’alcool) :
· Croyances anticipatoires (conséquences positives attendues de la
consommation du produit) : « Il n’y a que cela qui me fait du bien »
· Croyances soulageantes (prévention de l’inconfort anticipé sans
produit) : « jamais sans… »
· Pensées permissives (auto autorisation de récompense au travers du
produit) : « un petit coup, je l’ai bien mérité »
· Vision négative de ses propres capacités à ne pas rechuter dans les
situations à risque ou au contraire surévaluation illusoire (magique) à
gérer des situations d’exposition qu produit :
« je n’y arriverai jamais »
« j’ai tout compris maintenant »
· Fort sentiment d’efficacité personnelle perçu dans le domaine du
contrôle de la prise de produit :
« Il suffit de dire non »
« Un seul petit verre et après je m’arrête »
57
3) Les émotions
Elles sont comprises comme les sensations physiques de plaisir ou de déplaisir
correspondant à des modifications physiologiques, en réponse à des stimuli
environnementaux, internes ou externes.
La perception des événements dépend des expériences antérieures et de l’état
physique au moment précis. Les émotions sont volontiers considérées et indiquées
comme déclencheur de prise de produit.
Aucun type d’émotion en particulier, n’est concerné, mais plutôt la capacité et
la compétence à gérer cette émotion. L’intensité émotionnelle déstabilise, met en
danger, surtout si en plus elle est réputée comme telle (facteurs d’apprentissages, ou
indécente, considérée comme signe de faiblesse, interdiction de montrer ses
sentiments, etc…).
II - Les processus thérapeutiques
Le système cognitif crée le trouble, le système comportemental le met en place,
le système émotionnel le fait vivre et l’environnement le renforce (contingences de
renforcement).
Voici quelques exemples de principes et de technologies de
changement les plus utilisées dans notre champ d’activité :
1) Le contre conditionnement et l’inhibition réciproque :
C’est l’apprentissage d’un comportement incompatible avec une
réponse inadaptée ou non désirée ; ce nouveau comportement élimine la
réponse inadaptée.
2) Le conditionnement opérant :
C’est le façonnement progressif de nouveaux comportements par des
renforcements positifs.
3) L’apprentissage par imitation de modèles :
C’est le façonnement progressif par observation et répétition ; cet
apprentissage est plus économique que celui par essai-échecs ou essairéussite. Le modèle est soit réel soit imaginaire.
58
4) Le principe d’auto-contrôle :
Le sujet change son propre comportement en apprenant à le mesurer,
l’évaluer, se fixer des buts, s’attribuer des récompenses ou des sanctions.
5) Les principes de modifications cognitives :
-
Les changements internes modifient des comportements externes et vise
et versa.
-
Deux éléments fondamentaux servent de moteur à ces principes de
modification : le sentiment d’efficacité personnelle perçue, directement
en lien avec l’estime de soi (2, 7) et l’attente de résultats, ou la croyance
dans la thérapie (2). De multiple techniques plus ou moins standardisées,
sont utilisables en fonction des pathologies (axe I ou II, selon le DSM 4 (8)),
et des niveaux du système cognitif à atteindre, les schémas, les processus
ou les événements (3, 4, 5).
A titre d’exemple nous pouvons citer :
- La résolution de problèmes selon l’enchaînement suivant :
Définir le problème, faire la revue des stratégies possibles, classer les
avantages et les inconvénients de chacune d’entre ces différentes
stratégies possibles, puis choisir la stratégie, la mettre en place,
l’expérimenter et l’évaluer.
- La discussion socratique :
C’est laisser la place systématique à l’avis et la parole du patient, avec
reprise de chaque élément important du discours pour le préciser,
avec des questions ouvertes, une reformalisation et une synthètisation
telle que « qu’en pensez-vous, » « si je vous ai bien compris… , »
référence aux principes de la réalité, qui peuvent ensuite déboucher
sur des raisonnements poussés à l’extrême (projection de l’absurde, ou
les
injonctions
paradoxales,
ou
l’identification
des
pensées
automatiques, avec l’outil classique des trois et cinq colonnes de BECK
(1, 3, 5).
59
III - Les principes fondamentaux des thérapies
Elles reposent sur une formulation en terme cognitif des troubles du patient. Elle
requiert l’alliance thérapeutique, s’appuie sur une collaboration et une participation
active du patient.
Elles se centrent sur des problèmes et sur des objectifs thérapeutiques
prédéterminés. Elle se focalisent essentiellement sur les problèmes présents. Elles se
veulent psychoéducatives, apprenant au patient à être son propre thérapeute ; elles
sont à terme définies, structurées en différentes sessions.
Elles apprennent au patient à identifier, évaluer et répondre à ses pensées et
croyances dysfonctionnelles. Elles utilisent une variété de méthodes pour changer les
pensées, les émotions et les comportements.
L’essentiel est bien de placer qu’il
n’existe pas de changement sans demande et sans motivation du patient.
Ces
thérapies sont actives pour le patient et le thérapeute, avec une méthodologie
scientifique. C’est une relation d’aide, emphatique et congruente, où la régression
n’a pas sa place.
IV - Les éléments de bases d’un programme de soins
Nous venons d’examiner quelques principes fondamentaux des thérapies
comportementales et cognitives. Il nous faut maintenant considérer comment ces
principes participent à la constitution d’un programme de soins multimodal.
Nous
prendrons comme exemple le protocole de soins développé dans notre établissement,
en précisant que d’autres protocoles similaires sont développés pour d’autres
pathologies, comme par exemple les troubles des conduites alimentaires, les
personnalités « état limite, » la dépendance à des produits illicites, etc…
1) Définition du champ d’action
· Définir la cible de l’intervention : nous agissons auprès de patients
alcoolo-dépendants, selon les définitions du DSM 4 (8).
60
· Intérêt des références théoriques : choisir de travailler selon des références
théoriques évite la dilution du langage et des actions, établit un cadre
avec des repères pour un travail d’équipe pluridisciplinaire, avec un
langage commun. Il s’agit aussi d’utiliser des techniques où l’on s’y retrouve
bien, avec des possibilités d’évaluation (9).
Ces critères nous semblent
valables autant pour les soignants que pour les soignés.
· Choisir le temps d’intervention : les patients dépendants apparaissent
régulièrement peu motivés ou trop motivés, vis à vis d’un traitement, où
l’arrêtent prématurément. C’est un problème crucial pour les soignants, qui
peut entraîner démotivation, désintérêt, baisse de l’attente de résultats et
de la croyance dans le soins. Il nous semble important de pouvoir se référer
à des modèles, déterminant le temps, les modalités d’intervention en
fonction des différentes étapes possibles du patient.
Nous utilisons
couramment le modèle transthéorique de Prochaska-Di Clémenti (10). A
chaque stade, il y a un passage à respecter, sans étanchéité, pour
proposer des stratégies adaptées.
2) Choix du mode d’intervention
Il s’agit là donc de la mise en place de programmes mulitmodaux,
institutionnels, donc dans un cadre de soins définissant le lieu et le temps, à
l’aide d’une équipe pluridisciplinaire. Cela implique l’intégration de plusieurs
stratégies et plusieurs outils thérapeutiques, en veillant à la non dispersion,
grâce au choix de références théoriques. Cela s’applique dans un modèle
bio-psycho-social, s’adressant à la fois aux conduites (par rapport au
produit), à la personne et aux contingences de renforcement, internes et
externes.
Les actions se font sur les axes comportementaux cognitifs et
émotionnels.
Il est à noter d’ailleurs que les programmes visant des
conduites sont établis pour le moment dans des lieux et avec des équipes
séparées, mais qu’il existe une nette tendance au rapprochement, avec
l’intérêt du concept des addictions.
61
V - Le programme de soins multimodal, pour alcoolo-dépendants type -la Baronnais-
Les références sont clairement faites aux éléments cités ci-dessus, dans un cadre
de temps, de lieu, reposant sur une décision personnelle du patient. Ce programme
s’adresse à des hommes et des femmes qui font le choix de développer des stratégies
de vie autour de l’arrêt de la consommation d’alcool.
Nous travaillons en hospitalisation complète ou en hôpital de jour en développant
une logique d’objectifs personnalisés, mais dans le cadre d’un programme de soins.
Bien évidemment, il existe des contre-indications qui sont évaluées avant l’entrée, en
fonction de l’état physique du patient, son profil psychopathologique, ses capacités
d’apprentissage, et ses attentes de résultats. Nous intervenons en post-sevrage en
ayant développé des outils thérapeutiques originaux qui s’articulent sur l’idée
directrice de l’augmentation de l’estime de soi et des capacités à l’autonomie.
Le temps du patient oscille régulièrement entre une dimension individuelle, lors
par exemple des consultations médicales ou des entretiens psychologiques et des
temps collectifs sur les groupes de thérapie ou autour d’outils spécifiques. Les médias
utilisés recoupent les axes comportementaux cognitifs et émotionnels, autour de la
parole, de la matière (ergothérapie), ou du corps (relaxation, prise en charge
corporelle).
L’apprentissage des repères est progressif, avec l’utilisation systématique d’un
planning d’activités, avec un partie obligatoire, une autre sur indications, mais qui
reste obligatoire et une troisième à gérer individuellement par et avec le patient.
L’investissement se fait dans la durée puisque le programme de base est de trois mois,
avec une possible prolongation en hospitalisation complète ou en service de
consultations.
Les thèmes les plus fréquemment abordés sont les suivants :
-
une augmentation du savoir personnel de l’individu sur sa propre maladie,
-
la découverte ou la redécouverte de ses capacités à l’autonomie, par sa
compréhension de son système psychologique personnel
·
le choix de stratégies de changement et d’adaptation
·
l’évaluation, l’expérimentation et le renforcement positif
·
le travail sur l’impulsivité, le respect des étapes, la reconnaissance
des contingences de renforcement
62
·
la
découverte
des
situations
problèmes
et
des
stratégies
de
changement
·
le travail spécifique sur l’affirmation de soi et les habilités sociales
·
la prise en compte de l’environnement personnel, grâce par
exemple aux entretiens de couple, aux stratégies de résolution de
problème et d’immersion dans la réalité lors des sorties à visées
thérapeutiques.
Ce modèle de soins, rapidement évoqué, met au cœur de son dispositif le malade et
ses préoccupations, et tend à développer une dynamique, autant pour les soignants
que pour les soignés, de construction systématique et dynamique d’un devenir.
Bibliographie
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10- Proschaska JO, Di Clémente CC. Transthorical therapy : Toward a more integratie
model of change. Psychotherapy : Theory, Rechearal and Practice, 1992 ; 19 : 276-288.
63
INTERET DE L’APPROCHE PSYCHOTHERAPIQUE GROUPALE DANS LA PRISE EN
CHARGE DU SUJET ALCOOLIQUE.
Dr B. Boisset,médecin Psychiatre
Coordonnateur du pôle Addictologie-Alcoologie de la MGEN Ile de France
Secrétaire général du CDPA des Hauts de Seine
A - Présentation de la MGEN-Mutuelle Générale de l’Education Nationale
La M.G.E.N. rassemble 90% des personnels des ministères de l’Education Nationale, de
l’Enseignement Supérieur, de la Recherche, de la Jeunesse et des Sports, de la Culture.
La M.G.E.N. assure la gestion du régime obligatoire d’assurance maladie comme un organisme de Sécurité Sociale et/ou du
régime complémentaire comme une mutuelle pour près de 3 millions de personnes.
Elle réalise des actions de prévention et d’éducation à la santé (SEN, ADOSEN), de
protection de l’enfance et de la famille ,des travaux en collaboration avec des
organismes de recherche (INSERM, CNRS…) ou des instances internationales (OMS…)
Elle a créé un Département de Recherches et d’Etudes en Santé Publique (DRESP)
B - Département d’alcoologie de la MGEN
Inscrit au sein des 38 établissements sanitaires et sociaux de la MGEN, il a été mis en
place progressivement depuis 17ans.
Historiquement, il n’a pas été facile de faire admettre l’idée qu’un adhérent de la
MGEN, le plus souvent enseignant, puisse être alcoolique ; le déni concernait toutes les
instances décisionnelles. Les problèmes d’alcool n’étaient appréhendés que dans leurs
conséquences scolaires ou administratives, le plus souvent par la mise à l’écart dans le
cadre de congés dits de longue maladie.
Le problème s’est ensuite et également posé sur le terrain avec les équipes soignantes
guère motivées à s’occuper de patients peu gratifiants.
Il a donc fallu convaincre beaucoup de monde pour mettre en place le dispositif
actuel.
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Le Département d’Alcoologie est une organisation transinstitutionelle qui se distribue sur
3 départements d’Ile de France dans plusieurs structures sanitaires de la MGEN :
✦les unes constituent le DPRIF (Dispositif Psychiatrique Régional d’Ile de France )avec :
• à Paris (75)
le « Centre de Santé Mentale et de Réadaptation » composé d’unités de
consultation, d’hôpitaux de jour et d’un atelier thérapeutique,
• dans les Hauts de Seine (92)
l’ « Etablissement de soins spécialisés et de court séjour » de RueilMalmaison qui comporte des unités d’hospitalisation temps plein(60 lits), de jour
et de consultations,
• dans les Yvelines (78)
l’ « Institut Marcel Rivière » à La Verrière,établissement psychiatrique de 330
lits avec une unité de soins spécialisés centrée sur l’alcoologie, un hôpital de jour
de 45 places et des consultations de psychiatrie générale et spécialisées,
✦l’autre est une structure purement médicale : le Centre de Santé de Paris.
Pressenti par la Direction Médicale pour démarrer l’approche alcoologique il y a
presque 20 ans, j’interviens chaque semaine dans l’ensemble de ces structures où je
coordonne aujourd’hui l’action des différentes équipes.
Chaque équipe est pluridisciplinaire, composée selon les sites, de médecins
(psychiatres, internes, stagiaires) de psychologues, d’infirmiers, tous volontaires pour
participer à ce travail spécifique en alcoologie ; beaucoup d’entres eux ont suivi la
formation du diplôme universitaire spécialisé.
L’ensemble des établissements a la particularité d’être à la fois privé,mutualiste mais
aussi participant, dans le cadre de conventions, au Service Public Hospitalier et donc
accueillant des patients tout venant, dits de proximité .
De ce fait, l’ Agence Régionale de l’Hospitalisation (ARH) d’Ile de France valide nos
projets d’établissement et nous a reconnu l’alcoologie comme pôle de compétence
autorisant même le développement d’un pôle d’addictologie depuis environ 2 ans.
Les patients accueillis sont donc mutualistes ou non, surtout franciliens mais avec aussi
un recrutement national du fait que la MGEN est présente sur l’ensemble du territoire.
C - L’offre de soins
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Un espace thérapeutique spécifique aux patients alcooliques se décline en :
Consultations psychiatriques à orientation alcoologique
Groupes de sensibilisation psychothérapique aux problèmes d’alcool
Groupes psychothérapiques de suivi alcoologique
Il est articulé avec une collaboration avec les mouvements d’entraide.
Pour chaque patient, il est mis au point un programme individualisé, contractualisé
même parfois avec lui.
Des liens privilégiés ont été établis avec des collègues internistes d’autres spécialités et
des unités de médecine voisines permettant l’usage de leurs plateaux techniques pour
des sevrages, des bilans, le traitement d’éventuelles complications somatiques.
Les hospitalisations temps plein permettent aux patients d’accéder à une prise en
charge globale (physique et psychologique) et utilisent également les techniques de
l’ergothérapie et de la psychomotricité.
Les consultations peuvent être de première intention à la demande d’un médecin ou
directement du patient, le plus souvent pour un problème d’alcool déjà identifié
permettant alors un bilan d’évaluation complet (biologique, physique et psychiatrique)
avant la mise en place d’une prise en charge spécifique.
Il existe également des consultations de post-cure pour des suivis individuels de plusieurs
années avec un recul maximum dans ma file active de 17 ans. Elles sont l’occasion de
renouveler ou d’affiner les prescriptions médicamenteuses spécifiques (Aotal, Révia) ou
non (psychotropes) et de faire un travail psychothérapique de soutien.
Le travail groupal a été particulièrement développé avec d’une part des
psychothérapies brèves de groupe et d’autre part des groupes de suivi au long cours.
1 - Les psychothérapies brèves de groupe.(PBG)
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Elles ont été mises en place depuis septembre 1984.
A ce jour,85 modules ont eu lieu qui ont concerné 450 patients.
a) Objectifs :
prise de conscience de la dépendance et mise en place de stratégies de maintien de
l’abstinence.
b) Modalités :
Règles fondatrices :
Ponctualité,
Régularité,
Secret du contenu des séances,
Principe de restitution,
Respect de 3 interdits :
Abstinence vis à vis de l’alcool durant la thérapie,
Absence de relations sexuelles entre membres du groupe,
Pas de tentative de suicide.
(en cas de transgression, celle-ci est évoquée dans le groupe qui
aide à prendre une décision)
Caractéristiques du groupe :
Groupe fermé de 3 à 8 patients, animé par deux soignants
(médecin et infirmier(e)) avec parfois la présence de stagiaires
du D.U. d’alcoologie.
Déroulement :
Entretien préliminaire individuel
Possibilité de participer en étant hospitalisé ou en ambulatoire
16 séances d’une durée fixe de 1h30 au rythme de 3 à 4 rencontres hebdomadaires sur
une durée de 5 semaines.
Des contacts ont lieu avec les groupes d’entraide où les familles peuvent participer.
Un bilan individuel a lieu à l’issue avec les thérapeutes du groupe.
Un contrôle hebdomadaire du travail des thérapeutes est effectué par un psychologue
analyste
Références :
cognitivo-phénoménologiques avec une animation semi-directive
Contre-indications :
Psychopathies, personnalités perverses, pathologies psychotiques mal
stabilisées ou florides, structures paranoïaques.
c) Thèmes abordés (un par séance) :
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S1 Visualisation d’une émission de télévision : « alcool, attention au dérapage » suivie
d’échanges sur le document et présentation des participants.
S2 L’alcoolisme est-il une maladie, si oui, est elle différente des autres affections ?
S3 Plaisir et déplaisir dans l’alcool
S4 Les risques de la maladie alcoolique : physique neurologique,
comportemental
S5 Alcool et dépression
S6 Alcool et corps
S7 Alcool et temporalité
S8 Alcool et contrôle émotionnel
S9 Alcool et vie professionnelle et sociale
S10 Alcool et vie familiale
S11 Alcool et vie sexuelle
S12 Alcool et violence, dangerosité
S13 Alcool et loi
S14 Dynamique de groupe
S15 Retour vers l’extérieur
Visualisation du film : « la femme de ma vie » et participation du
groupe à une réunion ouverte d’un groupe d’entraide
S16A Echanges et bilan interne du groupe
S16B Participation possible des proches autour du film :
« pour l’amour d’une femme » en présence de représentants de groupes d’entraide
de l’entourage
S16C Participation à une séance de groupe de suivi hebdomadaire
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2 - Les psychothérapies ambulatoires de groupe au long cours
Elles ont été mises en place sur les trois sites (Rueil, IMR, CSMRP) depuis 10 ans en
moyenne ;
En 2001, 70 patients différents participent à ces groupes
a) Objectifs :
grâce à la verbalisation, maintien et développement d’un travail psychothérapique
personnel dans le cadre du groupe.
b) Modalités :
Règles fondatrices (les mêmes que pour les PBG en particulier l’abstinence)
Caractéristiques du groupe
S’adresse à des patients ambulatoires
Groupe semi ouvert 2 fois par trimestre de 12 à 25 personnes animé par un binôme
thérapeutique ,parfois présence de stagiaires en alcoologie
Déroulement : entretien préliminaire individuel
les séances sont hebdomadaires d’une durée fixe d’1 h le soir de 19h à 20h
Références : cognitivo- phénoménologiques, animation semi-directive
c)Thèmes :
Ils sont proposés pour servir de support à la réflexion toute une année
1998 L’abstinence, pour quoi faire ?
1999 Se réconcilier avec soi-même pour se réconcilier avec autrui
2000 Inscrire son existence dans la durée, redonner sens au temps
(à titre d’exemple, document de travail joint)
2001 D’une dépendance à l’autre : état des lieux et voies de rétablissement
2002 L’approche de l’autre : changer son regard, reconnaître son visage
préparation)
(en
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D - Quelques chiffres permettent d’approcher les résultats:
Environ 2500 consultations sont assurées par an, 35 patients bénéficient chaque année
de P.B.G.; 1500 séances de groupe de suivi sont comptabilisées ;
•
•
•
34 % des patients maintiennent une abstinence continue à 2 ans (âge moyen
supérieur ou égal à 40 ans)
35 % des patients maintiennent une abstinence imparfaite à 2 ans ; la moitié d’entre
eux vont parvenir à une abstinence continue dans les 3 ans qui suivent (âge moyen
inférieur ou égal à 36 ans)
31 % sont des échecs.
Notre recul de 17 ans nous permet de dire qu’une année d’abstinence continue n’est
pas significative quant aux chances de prolongation de celle-ci mais que
80 % des sujets qui ont deux années d’abstinence complète avec un travail médicopsychologique et l’intégration dans un groupe d’entraide sont alors équipés pour ne
plus déraper à 5 ou 10 ans.
20 % font des rechutes tardives au delà de 2 ans.
Compte tenu de la longueur des observations, on peut retrouver 39,2% de sujets
abstinents à 5 ans.
L’analyse des rechutes précoces permet d’en dégager quelques caractéristiques :
1°) survenue dans les 3 mois qui suivent la sortie de l’hospitalisation.
2°) intense sentiment de culpabilité.
3°) rupture de soins.
4°) conjonction de facteurs favorisants : isolement, absence d’emploi, famille négative
L’analyse
des
rechutes
tardives
permet
également
d’en
dégager
quelques
caractéristiques :
1°) survenue après deux ans d’abstinence.
2°) échec de la réinscription existentielle.
3°) distanciation progressive des soins et des groupes d’entraide
4°) évènements de vie vécus comme non maîtrisables.
5°) banalisation d’une réalcoolisation au départ minime donnant l’illusion d’un contrôle
possible.
Enfin on retiendra que pour les bons résultats (abstinence à plus de 3 ans) :
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1°) L’abstinence est vécue comme libératoire.
2°) Le temps libéré permet la réalisation de nouveaux projets existentiels chargés
de satisfaction intense.
3°) L’insertion socioprofessionnelle est bonne.
4°) La famille est positive.
5°) L’adhésion dans un mouvement d’anciens buveurs (+ 60 % des bons résultats) est
réelle.
6°) Le suivi médico-psychologique est maintenu au long cours.
E - Pour terminer nous voudrions livrer quelques réflexions :
L’abstinence qui est proposée aux patients n’est pas désincarnée, elle n’est pas un
objectif en soi, mais, simple moyen, elle prend en compte de nombreuses variables de
qualité de vie.
La pertinence du travail réalisé se vérifie dans le mieux être existentiel dont les patients
font état et qui se traduit objectivement par de véritables reconstructions tant familiales
que professionnelles.
Les patients sont amenés à réagir en réfléchissant et en intériorisant les notions de
résilience (aptitude à rebondir face à des situations à risque psychologique) et de
préservation et optimisation de leur capital santé.
Il se fait une véritable induction d’un processus psychothérapique réalisant une sorte
de « mise en appétit » qui donne envie de continuer, par exemple dans un groupe de
suivi. Au delà de la conduite symptomatique, les patients découvrent leurs richesses,
leurs limites.
La fréquence des ré-hospitalisations est moindre de même que la durée, par exemple,
des patients qui ont bénéficié d’une PBG et qui ont participé à un groupe de suivi 3 ans
et plus ne sont ré-hospitalisés que dans 10 % des cas tandis que 60 à 70 % des patients
qui n’ont pas intégré ces soins sont ré-hospitalisés ; en cas de ré-hospitalisation, la durée
moyenne de séjour est de 30 jours dans le premier cas et de 90 jours dans le second
cas.
Les patients développent une alliance thérapeutique et redécouvrent le principe
d’altérité ;réguliers dans leurs soins, ils quittent souvent le monde de l’assistance et de
l’invalidité pour retourner dans le monde du travail. Ils deviennent acteurs de leur
rétablissement et en partie de celui des autres dans l’accompagnement qu’ils peuvent
fournir quand eux-mêmes ont intégré un groupe d’entraide depuis quelques années.
Ajoutons également, qu’à l’origine beaucoup de ces soins spécifiques avaient lieu
dans le cadre d’hospitalisations temps plein et qu’à l’heure actuelle à l’occasion de
circonstances conjoncturelles (pénuries de lits en psychiatrie et de personnel
infirmier)les thérapies se sont massivement orientées vers un pole ambulatoire
F - Orientation bibliographique :
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Reynaud M. Parquet Ph-J. Les personnes en difficultés avec l’alcool. Rapport de mission
1998. Ed CFES Paris
Boisset B. Levental J.Y. Utilisation des psychothérapies brèves de groupe chez
l’alcoolodépendant. Revue alcoologie et addictologie 2000 22
Boisset B.Groupes d’entraide : un lien à privilégier. Revue alcoologie et addictologie
2001 23
Boisset B. L’alcoologie :spécificité et non spécificité. Communication au congrès de la
CITPAT 1993. Besançon F. Communiquer avec une victime de l’alcool. Interéditions Paris
1996
72

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