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CONSOMMATION COLLABORATIVE :
QUELS ENJEUX ET QUELLES LIMITES POUR LES CONSOMMATEURS ?
Colloque INC 7 novembre 2014 - Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique
SYNTHESE DES TRAVAUX
C AROLE AUBERT DE VINCELLES, PROFESSEUR DE DROIT PRIV E À L 'U NIVERSITE DE
C ERGY -P ONTOISE , AGREGE DES FACULTES DE DROIT ET SECRETAIRE GENERALE DU RESEAU
T RANS E UROPE E XPERTS
Révolution ou effet de mode ? La réponse à cette question dépendra du comportement à venir des
consommateurs et du succès de ce nouveau mode de consommation que constitue la consommation
collaborative.
Car il s’agit incontestablement d’un nouveau mode de consommation, voire même d’un mode
révolutionnaire, fondé sur le partage, l’échange, la convivialité et la confiance.
Mode de consommation que Time magazine a classé comme l’une des « 10 idées qui changent le
monde », il cède la place de l’individu à la collectivité, celle de l’individualisme à la solidarité. Si
l’amplification du phénomène est récente, en ce qu’elle a moins d’une dizaine d’années, sa
dynamique est réelle, comme en témoigne l’enquête Mediaprism : 91 % des sondés l’ont déjà
pratiqué au moins une fois et près de 70 % de manière régulière.
Ce mode de consommation suscite déjà un vif intérêt chez les économistes, les sociologues ou les
chercheurs, dont la figure emblématique est aujourd’hui incarnée par Rachel Botsman qui parcourt
le monde pour expliquer ce nouveau phénomène1. Cette nouvelle approche est née de la rencontre
de deux grands facteurs contemporains2 : l’épuisement de nos ressources naturelles et notre
connexion au monde grâce à internet. Les définitions sont diverses : « consommer autrement et
ensemble » nous a dit Mme Allaume-Bobe, ou « l’acquisition d’un bien ou la réalisation d’une
prestation par un consommateur et auprès d’un autre consommateur » a proposé M. Amand, ou
encore « une manière traditionnelle de partager, d'échanger, de prêter, de louer et d'offrir repensée
à la faveur de la technologie moderne et des communautés" pour le Comité économique et social
européen3.
Le contenu n'est donc pas nouveau, mais les outils et les vecteurs qu'il utilise le sont et finissent par
le renouveler. L’offre et la demande dépassent désormais les frontières commerciales pour
s’introduire dans le quotidien voire l’intimité de chacun d’entre nous : échanger, partager, prêter,
sous-louer, revendre, participer, sont les modes de cette nouvelle consommation.
Cette matinée, riche en interventions, fait émerger deux questions principales : que recouvre
véritablement la consommation collaborative et qu’a-t-elle de nouveau ? Comment ce phénomène
est-il encadré juridiquement et nécessite-t-il des modifications ou des adaptations de notre droit ?
Quelle réalité ? Quel encadrement existant et à venir ? Telles sont les deux questions auxquelles il
nous faut répondre.
1
R. Botsman et R. Rogers, What’s Mine is Yours : The Rise of Collaborative Consumption, Hardcover, 2010.
Rachel Botsman en répertorie quatre : le sentiment d’appartenance à une communauté, les réseaux sociaux
peer to peer, l’impasse environnemental et la récession économique.
3
« La consommation collaborative ou participative : un modèle de développement durable pour le XXIe
siècle », 21 janvier 2014 (INT/686).
2
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I. QUELLE(S) REALITE(S) ?
La question est difficile car il s’agit d’abord d’un phénomène pluriel aux contours mouvants, ou
« chahutés » pour reprendre la jolie expression de M. Amand. Il est néanmoins possible de relever les
deux éléments communs qui les animent : de nouvelles valeurs fondatrices (A) et un mode original
de consommation (B).
A / DE NOUVELLES VALEURS FONDATRICES
Trois valeurs principales sont à l’honneur dans la consommation collaborative : des valeurs sociales
(1), environnementales (2) et économiques (3).
1. V ALEURS SOCIALES
Les valeurs sociales, d’abord, constituent le socle de la consommation collaborative, souvent
appréhendée comme un « mode de vie ». Ces valeurs sociales sont le partage, la convivialité et la
solidarité.
Le partage, d'abord, porte tant sur la consommation d'un bien que d'un service. Les biens partagés
n'ont pour limite que celles de l'imagination des consommateurs : partage de lieu d'habitation4, de
bureaux5, de voitures6, de machine à laver7, de livres8 ou d'objets en tout genre9. Quant aux services
partagés, ils vont de la restauration par le partage d'un repas entre personnes ne se connaissant
pas10, à des ateliers de décoration11, en passant par la garde d'animaux12.
De ce partage nait la convivialité, qui est une valeur recherchée en soi pour créer du lien social. Tous
les sites le mettent en exergue pour justifier le recours à ce type de consommation plutôt qu’à la
location classique et individuelle auprès d'un professionnel. Ainsi est générateur de nouvelles
relations et d’aventures humaines le partage d'un véhicule entre personnes ne se connaissant pas
mais allant au même endroit ou le partage d'un diner avec des inconnus pour le temps d'une soirée.
La solidarité, enfin, émane du service rendu à la communauté par la mise en commun de richesses.
Au lieu d'en bénéficier seuls, les participants à la consommation collaborative facilitent l'accès aux
biens et services à ceux qui peuvent en être plus éloignés. Là où la propriété est moins accessible,
parce que trop chère, le partage permet une redistribution des richesses.
4
www.airbnb.fr ; www.couchsurfing.com.
www.bureauxapartager.com.
6
www.blablacar.com.
7
www.lamachineduvoisin.com.
8
www.bookcrossing.com.
9
www. gchangetout.com.
10
www.voulezvousdiner.com.
11
www. talilala.com.
12
www.animal-futé.com.
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2. V ALEURS ENVIRONNEMENT ALES
Les valeurs environnementales constituent l'un des prémisses du développement de la
consommation collaborative. La prise de conscience de la limitation de nos ressources naturelles et
donc de l'importance de les économiser, sans les gaspiller, a conduit à la "consommation durable"
que promeut tant l'Union européenne que les Etats.
Ces valeurs concernent les biens au premier chef afin d'optimiser le produit, et donc de limiter le
gaspillage, lui-même source d'exploitation excessive de ressources naturelles. L'optimisation de
l'usage des biens limite également les déchets néfastes à l'environnement.
Ces valeurs environnementales concernent encore les services, dans la mesure où leur partage réduit
les couts énergétiques nécessaires à leur réalisation.
3. V ALEURS ECONOMIQUES
Enfin, la consommation collaborative promeut des valeurs économiques.
D'abord, elle est source de créations de richesses par les emplois qu'elle génère et ceux qu'elle est à
l'avenir susceptible de créer. Richesses collectives mais également individuelles puisque cette
consommation non seulement produira un complément de rémunération pour le fournisseur du bien
ou du service, mais également abaissera le coût final du bien ou du service pour le client, par rapport
aux modes classiques de consommation.
Mais c'est surtout une mutation économique qu'elle révèle.
La consommation collaborative promeut une économie fondée sur la fonctionnalité des biens et non
plus fondée sur leur propriété. Elle se concentre sur le service que rend le bien et non plus sur le bien
lui-même. La chose et sa fonction sont dissociées pour que seule soit prise en compte et valorisée la
fonction, qui devient l’unique objet de consommation. Le bien n'est plus que le support, le vecteur
d'un service attendu qui concentre à lui seul l'essentiel de sa valeur. Ainsi, la voiture n'a d'intérêt que
pour le déplacement qu'elle nous permet d'accomplir et non pour sa valeur intrinsèque quasi
inexistante, et ce raisonnement peut être tenu pour la plupart des biens. La mise en œuvre d'une
telle approche repose sur différents facteurs, qui eux-mêmes bousculent l'économie traditionnelle.
Ainsi, la durabilité des biens devient un enjeu essentiel sans laquelle son usage prolongé est
inévitablement freiné voire empêché.
Cette économie de la fonctionnalité s'inscrit dans un mouvement économique plus global qui intègre
des valeurs sociales ou environnementales, au détriment de la seule recherche du profit. Ainsi
l'émergence de l'économie sociale et solidaire n'est pas sans lien avec la consommation collaborative
dans la mesure où elles véhiculent toutes deux des valeurs sociales, par l'accès à tous aux services
indispensables, par la participation de tous au projet commun, bref où la personne, son bien-être et
sa valeur, est placée au centre de l'économie. De même, l'économie circulaire, par sa prise en
compte de l'environnement, se fonde sur la circulation et la réutilisation permanente des matières
premières. Elle implique que les entreprises s'adaptent dès le départ afin de concevoir des produits
réparables, réutilisables et recyclables qui deviennent alors plus aptes à la consommation
collaborative.
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B / UN MODE ORIGINAL DE CONSOMMATION
La consommation collaborative se caractérise par un mode de consommation original tant par ses
acteurs (1) que par son objet (2).
1. D ES ACTEURS T RIPARTITES
Trois acteurs sont nécessaires à l’existence d’une consommation collaborative massive : deux
particuliers, l’un fournisseur l’autre client, et une plateforme internet.
UNE RELATION P TO P
L’ingrédient primordial est l’existence d’une relation P to P : un fournisseur de bien ou de service
particulier et un client lui-même particulier.
L’originalité principale de la consommation collaborative réside dans la qualité de simple particulier
du fournisseur du bien ou du service, qui ainsi collabore, en tant que particulier consommateur à la
consommation du consommateur final. Là est le cœur de la consommation collaborative : un
particulier propose à un autre un bien à partager, ou un service à effectuer. Certes, deux
professionnels peuvent aussi effectuer des partages de biens, mais l’esprit est tout à fait différent et
se limite finalement à la seule recherche d’une baisse de coûts par la mutualisation de moyens13,
indépendamment de toutes les valeurs propres à la consommation collaborative. On constate que de
nombreux site annoncés comme « collaboratifs » ne font pas la distinction entre professionnels et
particuliers et permettent aux uns comme aux autres de proposer leurs services. Il faut généralement
lire les conditions générales du site pour comprendre que le fournisseur peut être un professionnel14.
La qualité de professionnel du fournisseur altère cependant la dimension collaborative pour ne
laisser place qu’à un très banal contrat de prestation de service par le biais d’un intermédiaire.
Une fois réduite à un vrai peer to peer, la question cruciale est de savoir si le particulier qui fournit un
service contre une rémunération et de façon habituelle ou récurrente peut encore être qualifié de
consommateur. Les chances sont grandes que la réponse soit négative, avec toutes les implications
juridiques que cela implique15 .
Autre originalité de ce fournisseur, ensuite : il est généralement un parfait inconnu pour le client,
dont la réputation est soit inexistante soit rendue incertaine du fait des seuls commentaires
d’internautes inscrits sur le site. Etant par hypothèse un particulier, le client n'a pas accès à
l'éventuelle réputation de son cocontractant, comme on peut l'avoir dans une économie
traditionnelle grâce à la publicité, aux enseignes, aux commerçants de proximité, etc… Un particulier
13
Ainsi, sont connues depuis longtemps, par exemple, les sociétés civiles de moyens qu’utilisent les avocats, ou
encore le partage de locaux des cabinets médicaux.
14
Par ex : cours particuliers par visioconférence sur "livementor" (www.livementor.com) ou les professeurs
peuvent être particuliers ou professionnels, ou encore les services proposés sur le site "youneed"
(www.youneed.com) qui peuvent émaner de professionnels comme de particuliers.
15
Cf. notamment : Civ.1, 30 sept. 2008, n° 07-16-876, Bull. civ. I, n°216 ; Contrats cons. consom. 2009, comm. 4,
obs. L. Leveneur ; RDC. 2009, p. 111 obs. A. Bénabent (arrêt rendu sur le fondement de la garantie des vices
cachés mais se prononçant sur la qualité générale de professionnel).
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se retrouve alors à acheter un plat à une cuisinière inconnue, à échanger des biens avec un seul nom
mentionné sur un site web sans être certain même de leur existence réelle. La confiance est un
élément clef du fonctionnement de cette économie, qui repose aujourd'hui sur un sentiment fragile
d'appartenance à une même communauté.
LA PLATEFORME INTERNET
La plateforme internet est le troisième acteur indispensable. C'est le catalyseur sans lequel cette
économie ne pourrait pas exister et qui est consubstantiel à la consommation collaborative de masse.
Cette plateforme constitue le lien entre les acteurs principaux, et se présente généralement comme de
simples plateformes de mise en relation, par l'hébergement d'annonces d'offres et de demandes.
Généralement constituées en société, ces hébergeurs sont incontestablement des professionnels au
sens du droit de la consommation.
2. L E SERVICE , OBJET PRINCIPAL DE C ONSOMMATION
En plus d’acteurs tripartites, l’originalité de la consommation collaborative réside dans un objet très
majoritairement centré sur les services. Certes, la propriété fait partie de la consommation
collaborative (revente d’un bien d’occasion, échange), mais là n’est pas le cœur de la consommation
collaborative qui fait davantage appel au partage que permettent les services.
Le service peut être dénué de toute relation à un bien : devenir « jobeur »16 ou devenir « une
abeille »17 (service à domicile), devenir mentor18 (cours particuliers), confectionner un repas pour un
diner, …
Lorsque la consommation porte sur un bien (une voiture, un logement, un outil de bricolage ou de
jardinage, …), le consommateur ne recherche plus la propriété mais la réalisation d’un service qui
prend des formes nouvelles. L'objet de la consommation se focalise sur l'usage de ce bien davantage
que le bien lui-même : proposer l'utilisation momentanée de sa machine à laver, de sa voiture ou de
son logement à ceux qui n'en ont pas.
Dès lors, la frontière entre le bien et le service est suffisamment ténue pour que l'objet essentiel de
la consommation collaborative se résume en réalité à un service rendu portant sur un bien. Le bien
est alors accessoire, et l'essentiel de la relation réside dans un service rendu.
La conséquence est importante sur la qualification des contrats, et donc leur régime. Le contrat de
vente, figure emblématique des contrats, contrat de référence autour duquel les autres se sont
construits, s’efface désormais au profit de contrats portant sur des seuls services.
La consommation collaborative étant définie, comment est-elle aujourd’hui encadrée ?
16
www.youpijob.fr.
www.monabeille.fr.
18
www.livementor.com.
17
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II. QUEL ENCADREMENT ?
Des différentes interventions, on comprend que cet encadrement est insuffisant (A) et qu’il pourrait
donner lieu à des aménagements (B).
A / UN ENCADREMENT INSUFFISANT
Bien qu'existant (1), l'encadrement de la consommation collaborative s'avère limité (2).
1. U N ENCADREMENT EXISTA NT
Parmi les droits potentiellement applicables, on pense évidemment en premier lieu au droit de la
consommation. Cependant, la consommation collaborative y est très peu soumise. En effet, dans les
rapports entre fournisseur et client, tout d'abord, l'application du droit de la consommation
dépendra principalement de la qualité des parties : professionnel ou consommateur. Or, la majorité
des contrats sont conclus entre particuliers. Dès lors, tant que l'on considèrera le fournisseur
particulier comme un consommateur, le droit de la consommation restera sans application19. Il en
serait différemment si l'on considérait qu'une activité habituelle et rémunérée20 confère la qualité de
professionnel21. L'enjeu est de taille puisqu'il s'agit de l'application des obligations d'informations, du
formalisme dû aux contrats à distance ou aux contrats conclus hors établissement, du droit de
rétractation, de la garantie de conformité ou encore de l'application du droit des pratiques
commerciales déloyales. Si le droit de la consommation est très peu applicable, leurs relations ne
sont pas pour autant dénuées de règles puisqu'elles resteront soumises au droit commun des
contrats ou des contrats spéciaux issus du Code civil. Chaque type de consommation collaborative
proposé correspond généralement à un contrat spécial existant et déjà régi par le code civil
(échange, vente, bail, prêt, …), même si cette application peut parfois être insuffisante.
Il en est différemment, ensuite, dans les rapports entre la plateforme internet et le fournisseur ou le
client. Comme l'a très justement rappelé Mme Desvaux, il ne faut pas oublier que le fournisseur
comme le client contractent avec la plateforme internet puisqu'ils s'y inscrivent pour déposer leur
offre ou leur demande. Il s'agit là d'un contrat généralement entre professionnel et consommateur,
aussi bien avec le client qu’avec le fournisseur tant que le fournisseur particulier est appréhendé
comme un consommateur. Pour les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, le droit
de la consommation s'applique et particulièrement la législation sur les contrats à distance, dont les
obligations d'informations sur l'exactitude du service rendu par la plateforme et son coût, ce qui ne
semble pas toujours respecté actuellement, à la consultation d’un certain nombre de sites.
19
A l'exception de certaines dispositions du code de la consommation qui sont applicables indépendamment
de la qualité des contractants, telles que le délit de fraude et de falsification (C. consom., art. L. 213 s.).
20
Comme un particulier qui propose régulièrement le covoiturage, la vente de repas ou la location de son
appartement, moyennant une rémunération allant au-delà des frais de fonctionnement.
21
Cf. notamment : Civ.1, 30 sept. 2008, n° 07-16-876, Bull. civ. I, n°216 ; Contrats cons. consom. 2009, comm. 4,
obs. L. Leveneur ; RDC. 2009, p. 111 obs. A. Bénabent (arrêt rendu sur le fondement de la garantie des vices
cachés mais se prononçant sur la qualité générale de professionnel).
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2. U N ENCADREMENT LIMITE
Cet encadrement est cependant limité principalement en raison de la protection insuffisante des
acteurs qui ignorent les risques encourus. Cette ignorance concerne aussi bien les fournisseurs que
les clients particuliers. Partant de l'idée conviviale du partage, ils ignorent et obèrent totalement les
risques que leur font courir leur activité.
Ainsi, les fournisseurs ignorent, d’abord, l’existence éventuelle d’une législation impérative qui leur
serait soumise, comme les règles fiscales à respecter par la déclaration des revenus tirés de l'activité,
ou la législation de la mise à disposition de logement susceptible d’imposer une autorisation
préalable, un contrat écrit ou des mentions obligatoires (selon les cas, meublés de tourisme22 ou
chambres d’hôtes23), ou encore la réglementation alimentaire pour la mise à disposition ou la vente
de plats cuisinés. Ensuite, les fournisseurs comme les clients ignorent généralement les
conséquences d’éventuels incidents. Quid en cas de dégradation du bien mis à disposition, dont les
conséquences sont souvent plus lourdes pour le client du fait de la présomption de faute issue du
droit commun du bail24 ou du prêt25 ? Quid en cas de service non rendu ou mal rendu par le
fournisseur26 ? Quid de l’assurance susceptible de couvrir ces incidents ? Comme l’ont très justement
mis en lumière MM. Le Corroller et Vrignaud, l’assurance responsabilité classique est inapplicable et
la couverture dépendra des clauses du contrat souvent inconnues des contractants. Les fournisseurs
et les clients ignorent, enfin, le rôle et la responsabilité de la plateforme intermédiaire. Si le droit
actuel est assez clair sur l'absence de toute responsabilité quant aux informations transmises dès lors
qu'ils se contentent de les héberger sans les connaître ni agir sur elles27, les parties contractantes
peuvent faussement imaginer que la plateforme endosse une certaine responsabilité voire un tri ou
une vérification dans les annonces.
En plus de l’ignorance des risques encourus par les acteurs, l’encadrement juridique existant peut
s’avérer limité du fait de règles juridiques inadaptées et du besoin de règles nouvelles. Ainsi, pour
perdurer, la consommation collaborative a besoin d’une certaine stabilité dans la durée de vie des
biens, permettant leur optimisation auprès de différents consommateurs potentiels. Or,
l'obsolescence programmée des biens de consommation a été dénoncée à plusieurs reprises par un
certain nombre d'acteurs28. Plusieurs propositions ont déjà été faites, et certaines ont été reprises
dans la loi Hamon du 17 mars 2014 comme le renforcement de l'obligation d'information sur les
22
C. tourisme, art. L. 324-1 et s.
C. tourisme, art. L. 324-3 et s.
24
C. civil, art. 1730.
25
C. civil, art. 1880.
26
Selon le droit commun, un prestataire de service doit exécuter son obligation « selon les règles de l’art »,
mais de quel art s’agit-il pour un particulier ?
27
Directive 2000/31/CE relative au commerce électronique, art. 6 LCEN.
28
Cf. Rapport du Centre Européen de la Consommation, « L’obsolescence programmée ou les dérives de la
société de consommation », avril 2013 ; Avis du Conseil économique et social européen, « Pour une
consommation plus durable : la durée de vie des produits de l'industrie, et l'information du consommateur
pour une confiance retrouvée », 17 oct. 2013 ; Proposition de loi du 18 mars 2013 visant à lutter contre
l’obsolescence programmée, déposée par M. Jean-Vincent Placé (n°429) ; Communication de la Commission au
Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « Plan
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pièces détachées29, l’allongement de la présomption d'antériorité du défaut de conformité dans la
garantie de conformité30, ou encore l'information relative au prix d'usage31.
B / LES AMENAGEMENTS POSSIBLES
Trois aménagements du droit existant sont envisageables.
1. C LARIFIER LE REGIME A PPLICABLE
Il est possible, d’abord, de clarifier le régime applicable auprès des acteurs. Ainsi est-il possible et
nécessaire de préciser la qualité des parties contractantes et notamment celle qui fournit le bien ou
le service. La loi Hamon s'est focalisée sur la notion de consommateur alors que cette notion était
certainement la mieux connue depuis des décennies et notamment depuis l'arrêt Cape rendu par la
Cour de justice en 200132. En revanche, la notion de professionnel fait défaut, et la définition du droit
européen reste encore insuffisante pour déterminer ce qui caractérise une activité de nature
professionnelle33. Là est certainement le nouvel enjeu de demain. Il est de taille puisqu'il
déterminera l'application ou non du droit de la consommation. Comme l’a suggéré le rapport du
CESE, peut-être serait-il également utile de distinguer les activités rémunérées et les autres de
manière à alourdir les seules obligations pesant sur les contractants rémunérés.
2. I NFORMER LES PARTIES
Ensuite, il faut informer les parties des règles à respecter et des risques encourus. Si l’on considère
les deux parties comme des consommateurs, on pourrait imaginer une obligation d'information
particulière qui pèserait sur les plateformes de mise en relation. Cependant, si cette solution paraît
aujourd'hui la plus opportune, elle se heurte à un obstacle de taille : celui de l'harmonisation totale
d’action pour une consommation et une production durables et pour une politique industrielle durable », 16
juillet 2008, COM(2008) 397 final.
29
C. consom., art. L. 111-3.
30
C. consom., art. L. 211-7.
31
Art. 4, loi n°2014-344 du 17 mars 2014.
32
CJCE, 22 nov. 2001, Cape et Idealservice MN RE, C-541/99 et C-542/99, JCP G 2002, II, 10047, note G. Paisant
; D. 2002, somm., p. 2929, obs. J.-P. Pizzio ; M. Luby : Contrats, conc., consom. 2002, chron. 14 ; RTD civ. 2002,
p. 291, obs. J. Mestre et B. Fages. V. ég. Civ.1, 15 mars 2005, Bull. civ. I, n°135 ; D. 2005, AJ, p. 887, obs. C.R. et
J. ; p. 1948, note A. Boujeka ; Contrats, conc. consom. 2005, comm. 100, obs. G. Raymond ; JCP G 2005, II,
10114, note G. Paisant ; JCP E 2005, 679, note D. Bakouche ; RDC 2005, p. 740, obs. D. Fenouillet.
33
Définition du professionnel, issue de la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs (art. 2,
2) : « toute personne physique ou morale, qu’elle soit publique ou privée, qui agit, y compris par
l’intermédiaire d’une autre personne agissant en son nom ou pour son compte, aux fins qui entrent dans le
cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale en ce qui concerne des contrats relevant
de la présente directive ».
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de l'obligation d'information dans les contrats à distance conclus entre professionnels et
consommateurs à la suite de la directive 2011/83/UE transposée par la loi Hamon34. Logiquement,
aucun Etat membre ne pourrait rajouter d'informations à transmettre ; il faudrait alors une nouvelle
intervention européenne, ce qui est envisageable, mais dans un avenir qui risque de s’avérer lointain.
3. S ECURISER LES TRANSAC TIONS
Enfin, il faut impérativement sécuriser les transactions. Cette sécurisation passe par deux actions :
renforcer la confiance dans les acteurs et contrôler les e-réputations ; assurer un régime équitable et
certain de la répartition des risques inhérents aux activités issues de la consommation collaborative
(défectuosité d'un produit, dégradation d'un produit, inexécution ou mauvaise exécution d'un
service, non-paiement, etc.).
Peut-être serait-il utile dans ce cadre de déplacer la charge de cette sécurisation sur une tierce
personne, autre que les trois acteurs intervenants directement dans l'opération. Ainsi un tiers garant
ou certificateur pourrait prendre en charge, moyennant une rémunération sur les transactions, la
vérification des sites, la fiabilité des informations déposées par les usagers, la fiabilité des acteurs, la
sécurisation des paiements et le règlement des différends. Pourrait également être renforcée
l’implication des assureurs, comme l’ont proposé MM. Le Corroller et Vrignaud, notamment par la
souscription d’une assurance groupe souscrite par la plateforme internet au service de ses membres,
et/ou par des partenariats entre les plateformes et les sociétés d’assurance.
La consommation collaborative réinvente et amplifie un modèle vieux de plus de 2000 ans. Déjà
présent dans l’Évangile selon Saint Jean35, « What’s mine is yours » est aujourd’hui le message
qu’adresse Rachel Botsman, grande prêtresse de la consommation collaborative, aux
consommateurs du monde entier. Laïcisée, cette expression pourrait devenir un mode de
consommation majeur pour la société de demain ; mais pour cela, le droit doit réussir cet exploit de
protéger les particuliers acteurs de cette consommation, sans pour autant freiner ou entraver leur
désir de liberté.
34
Juriscl. Europe, Fasc. 2011, « Intérêts économiques des consommateurs. Contrats spécifiques », n°26 ; C.
Aubert de Vincelles, Adoption, enfin, de la directive sur les droits des consommateurs ! : RDC 2011, p. 1224 ;
RTDE 2011, p. 621 s. ; A. Debet, La directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 : de nouvelles règles européennes
encadrant les contrats à distance : Comm. com. électr. 2012, étude 8 ; G. Paisant, La directive du 25 octobre
2011 relative aux droits des consommateurs : JCP G 2012, 62 ; L. Lestienne-Sauvé, La directive européenne de
2011 sur les droits des consommateurs et le droit européen des contrats : JCP E 2012, 1072 ; G. Raymond,
Directive consommateurs n° 2011/83/UE du 25 oct. 2011 : Contrats, conc., consom. 2012, étude 3.
35
« Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi », Chapitre 17.
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