Jeunes terroristes au profil révélateur.

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Jeunes terroristes au profil révélateur.
Jeunes terroristes au profil révélateur.
La surprise est de taille. Alors que toute l'attention des services de sécurité français était
braquée sur les jeunes recrues françaises enrôlées en Syrie par les organisations jihadistes, ce
sont des jeunes Français, radicalisés et encadrés par cette mouvance depuis plus de 10 ans en
France même, qui sont passés à l'acte du 7 au 9 janvier en décimant la rédaction du journal
Charlie Hebdo et en tuant deux policiers dont un de confession musulmane ainsi que 4 otages
juifs dans un hypermarché casher. L'émotion intense suscitée par ces attentats d'une nature
inédite a donné lieu à un sursaut de solidarité et d'unité exceptionnel. Cependant les questions
se font nombreuses quant aux failles qui auraient permis de tels actes. Questions qui seront de
plus en plus difficiles à éluder dans ce nouveau contexte et qui mettent toutes les composantes
politiques, religieuses et sociétales face à leurs responsabilités.
Particularité des derniers attentats.
La particularité des derniers attentats est à souligner. En effet les attentats commis durant les
années 80 et 90 étaient commis par des éléments venus du Moyen Orient ou d'Algérie. Il en fut
ainsi des attentats à la bombe à Orly et dans le TGV marseillais en 1983 (13 morts) et à Paris,
rue de Rennes en 1986 (7 morts). Ils furent attribués à des groupes venus du Moyen Orient
(Abou Nidal, Carlos et Hezbollah). Depuis mars 2012, il y eut l'apparition d'attentats commis par
des jeunes Français radicalisés par le jihadisme. Ce fut tout d'abord Mohamed Merah qui du 11
au 19 mars 2012 tua 3 militaires (dont un de confession musulmane) à Toulouse et Montauban
puis 3 enfants et un enseignant dans une école juive à Toulouse. On sait l'émoi qu'avaient
suscité ces meurtres et les interrogations sur les dérives des jeunes marginaux, proies de la
radicalisation par des réseaux jihadistes. Les derniers attentats à Paris en ce début janvier
2015 ont été encore plus impressionnants par leur violence, leur caractère ciblé et leur lien avec
les organisations terroristes en Syrie, en Irak et au Yemen. Ils posent de façon plus inquiétante
la question du terrorisme « interne » commis par des jeunes Français embrigadés par
l'islamisme radical.
Leurs trois auteurs, les deux frères Chérif et Said Kouachi et Amédy Coulibaly, faisaient partie
depuis des années d'un groupe connu depuis le début des années 2000 comme filière des
Buttes Chaumont dans le 19ème arrondissement. On avait cru ses membres « assagis » après
les poursuites et les condamnations dont ils furent l'objet jusqu'en 2010. Aussi l'attention des
services de sécurité s'était-elle quelque peu relâchée à leur égard. Le débat se trouve
aujourd'hui relancé quant à la nécessité d'être plus vigilant avec tous les éléments ayant eu peu
ou prou un lien avec la mouvance jihadiste. Le parcours des frères Kouachi est très révélateur
de cette nouvelle forme d'embrigadement. Nés respectivement en 1980 et 1982, Said et Chérif
Kouachi ont été très jeunes orphelins et placés dans un foyer en province avec un début de
formation professionnelle. Ils rejoignent aussitôt Paris où Chérif se distingue par sa violence et
son impulsivité et par des vols et trafics de drogue. Ce jeune délinquant est tôt attiré par les
prédicateurs radicaux de la mosquée Adda'wa dans le 19ème arrondissement tout en
s'essayant au rap sans succès. Il finit par être entièrement sous l'influence du prédicateur
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salafiste Farid Benyettou ainsi qu'un certain nombre de jeunes à la dérive socialement. C'est
ainsi que fut formée la cellule dite des Buttes Chaumont, car elle se retrouvait et s'entraînait
dans ce parc, et qui se donna pour mission de recruter des jihadistes pour l'Irak.
L'équipée des frères Kouachi.
Alors que plusieurs membres rejoignirent en effet ce pays en guerre, les frères Kouachi ne sont
pas partis. Chérif fut emprisonné de janvier 2005 à octobre 2006 suite aux poursuites dont la
filière fut l'objet. C'est dans la prison de Fleury Mérogis qu'il fut davantage endoctriné par le
salafiste Djamel Beghal, dit Abou Hamza, qui purgeait une peine de 10 ans suite à son projet
d'attentat contre l'ambassade des Etats Unis à Paris, lui qui avait suivi une formation
paramilitaire en Afghanistan au début des années 2000. Une fois relâché, Chérif se marie et
semble en apparence se ranger, il exerce des boulots d'intérimaire et se rend à La Mecque.
C'est en 2010 qu'il réapparaît à nouveau dans le viseur de la police car il s'est mis à rendre des
visites suivies à son mentor Djemal Beghal qui, hors de prison, était assigné à demeure dans la
région du Cantal. Il effectue avec lui des promenades en compagnie de deux autres salafistes,
un membre de la filière afghane déjà condamné et un membre d'un groupe salafiste algérien.
En mai 2010, Chérif est à nouveau en garde à vue dans le cadre d'une enquête sur sa
contribution à la préparation de l'évasion d'un autre radical, Smain Ait Ali Belkacem, condamné
à perpétuité pour avoir pris part à l'attentat à la station RER d'Orsay en 1995.
Lors de cette garde à vue Chérif a montré une attitude plus dure et déterminée en refusant de
répondre aux enquêteurs, mais faute de preuves suffisantes il fut relâché. Depuis ce temps il ne
s'est plus manifesté, restant tout à fait à l'ombre, jusqu'à ce jour fatidique du 7 janvier dernier où
avec son frère Said il a surgi pour décimer la rédaction de Charlie Hebdo. Le parcours du frère
aîné Said est encore plus énigmatique car il ne s'est pas particulièrement manifesté durant
cette période où son cadet était dans le collimateur. Ce n'est qu'après les derniers attentats que
les services français apprennent par leurs collègues américains que Said s'était rendu au
Yemen en 2011 et y avait été formé par l'AQPA (Al Qaida en péninsule arabique) au
maniement des armes dans la ville de Sihr. Cette branche très virulente d'Al Qaida anime dans
cette ville sur la mer d'Arabie un centre de formation salafiste où seraient recrutés près de 300
jeunes Français, dont plusieurs convertis. Selon les autorités yéménites, Said aurait même
combattu dans la province d'Abyan où il a été entraîné pour commettre des attaques en France.
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Un des leaders d'AQPA, Harath al Nazari, s'est félicité vendredi dernier des attentats perpétrés
à Paris et a menacé la France de nouvelles attaques.
Coulibaly entre prisons et jihadisme.
Il est évident que tout en se montrant plus discret que son cadet, Said a toujours partagé avec
ce dernier l'appartenance au groupe du 19ème arrondissement et a fait bénéficier son cadet de
la formation au maniement des armes qu'il a obtenue au Yemen. C'est ainsi que, conformément
aux instructions reçues, les frères Kouachi ont fait profil bas durant près de 4 années avant de
passer à l'attaque. C'est dire la capacité des organisations jihadistes à formater et intégrer à
leur propre système des jeunes Français issus de l'immigration mais désintégrés socialement
dans leur pays. Il en est ainsi d'Amédy Coulibaly, âgé de 33 ans et qui a passé la majeure
partie de sa vie en prison avec 8 condamnations pour vols aggravés, trafic de drogue et recel.
Ceci après un essai avorté de formation professionnelle et une existence à la dérive dans la
localité de Grigny, en banlieue de Paris, qualifiée par le député socialiste Malek Boutih de «
quartier avec un taux de chômage de plus de 40%, une situation de misère humaine et sociale
considérable et un niveau de délinquance extrêmement développé
».
Le journal « Le Parisien » avait même repéré Coulibaly en 2009 autour d'une rencontre avec le
président Sarkozy, en visite en banlieue où ce jeune chômeur avait dit : « à la limite si le président peut aider à me faire embaucher...
» ! C'est une année plus tard qu'il est encadré par le groupe de la filière du 19ème dont le
gourou est Djemal Beghal dont on a vu l'influence sur Chérif Kouachi. Coulibaly et sa
compagne, une jeune radicalisée portant le niqâb intégral, rendaient aussi visite à Beghal dans
le Cantal où ils s'exerçaient au tir à l'arbalète. Coulibaly est de même soupçonné par les
services de sécurité de participation au projet d'évasion de Belkacem, le condamné à perpétuité
déjà évoqué ci dessus, et il est condamné à 4 années de prison. Les séjours en prison
constituent, on l'a vu, des phases de radicalisation encore plus poussée sous l'influence de
personnages chevronnés en la matière. Une année à peine après sa libération, Coulibaly vient
de passer à l'acte en tuant une policière municipale et 4 otages juifs dans l'hypermarché casher
du quartier Vincennes. Sa compagne Hayat Boumedienne avait quitté la France le 2 janvier
pour rejoindre la Syrie par la Turquie et sans doute Daech dont lui même s'était réclamé lors de
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la prise d'otages.
Autant de parcours et de profils tout à fait révélateurs du processus de récupération par les
groupes salafistes radicaux de ces jeunes en échec social et humain dans leur pays natal et qui
passent de la délinquance à l'embrigadement qui les destine au terrorisme. C'est sans doute là
un des aspects les plus inquiétants de l'échec de l'intégration et un phénomène qui n'est plus
aussi marginal, compte tenu du fait que l'on compte désormais plus d'un millier de ces jeunes
partis en Syrie ou au Yemen pour servir dans les rangs de Daech ou d'Al Qaida. Le phénomène
est sans doute plus complexe puisque un grand nombre de jeunes convertis qui ne sont pas
issus de l'immigration sont aussi impliqués dans cette mouvance. Ce qui rend plus impérieux le
devoir de cerner ce problème et d'y apporter des réponses plus justes.
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