un projet social pour le quartier des pyramides

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un projet social pour le quartier des pyramides
UN PROJET SOCIAL
POUR LE QUARTIER DES PYRAMIDES
QUEL ÉQUIVALENT EN MATIÈRE SOCIALE DE LA
POLITIQUE DE RÉNOVATION URBAINE ?
Muriel Chetaille
Janvier 2005
Cycle d’urbanisme de Sciences-Po
Mémoire de fin d’études
Un projet social pour le quartier des Pyramides
Quel équivalent en matière sociale de la politique
de rénovation urbaine ?
Muriel Chetaille
Janvier 2005
Sommaire
Introduction _______________________________________________________ 1
Première partie : L’opportunité d’une démarche de projet social : répondre aux
problèmes sociaux spécifiques dans les quartiers dits sensibles ___________ 3
1. Retour sur les origines du « mal des banlieues » : le social et l’urbain, des
facteurs cumulés de la crise des quartiers d’habitat social_______________________ 3
La naissance des « quartiers » comme enjeu de politique publique ________________________
Les Pyramides, ancien quartier modèle _____________________________________________
Les villes nouvelles : enseignements sur les quartiers en difficulté _________________________
Ségrégation socio-spatiale et peuplement des quartiers _________________________________
3
4
7
8
2. Les réponses des politiques publiques : de la politique de la ville au programme
national de rénovation urbaine, entre discrimination positive et idéal de mixité
sociale. ________________________________________________________________ 10
La politique de la ville : une politique dérogatoire fondée sur la discrimination territoriale_______
Le rêve de mixité sociale : un mythe inaccessible ? ___________________________________
La diversité de l’environnement social : quels bénéfices pour les plus pauvres ? _____________
La possibilité de choisir sa mobilité ________________________________________________
10
11
12
13
Deuxième partie : Les modalités de l’application d’une démarche de projet au
champ social : propositions pour le projet social du quartier des Pyramides_ 16
1. Les transformations des politiques d’action sociale, entre décentralisation et
restrictions financières ___________________________________________________ 17
Les évolutions de la question sociale et des politiques publiques d’intervention sociale au cours
des dernières décennies ________________________________________________________ 17
Une redéfinition douloureuse des pratiques professionnelle des intervenants sociaux _________ 18
Action sociale et politique de la ville : quelle territorialisation des politiques sociales ?_________ 19
2. Une démarche de projet en matière sociale à l’échelle d’un territoire : des
difficultés à surmonter____________________________________________________ 22
Un projet social : l’importation d’une méthode________________________________________
Le diagnostic, un outil pour connaître les besoins du territoire : une méthode difficile à établir___
La construction du projet : mettre en place un partenariat entre les acteurs du champ social____
Quelle place dans la démarche de projet pour les habitants et les usagers de l’action sociale ? _
22
22
25
26
3. Un PST pour les Pyramides ? ____________________________________________ 29
Les principaux éléments du diagnostic _____________________________________________ 29
Que faire ? Esquisse d’un projet social utopique… ____________________________________ 32
Les obstacles à un projet social ambitieux : des moyens limités, des compétences floues, des
politiques frileux_______________________________________________________________ 35
Conclusion _______________________________________________________ 38
Bibliographie _____________________________________________________ 39
Liste des sigles ___________________________________________________ 40
Annexes : le projet urbain du quartier des Pyramides ____________________ 41
Remerciements
Je tiens à remercier toutes les personnes que j’ai rencontrées dans le cadre de la préparation du
diagnostic social des Pyramides.
Merci plus particulièrement à Nicolas Buchoud pour son aide précieuse, et à Dominique Chartier.
Introduction
J’ai fait un stage de 8 mois en tant que chargée de mission au sein du GIP Centre Essonne.
Ce Groupement d’intérêt public s’occupe du Contrat de ville du Centre Essonne et du Grand Projet de
Ville des quartiers des Pyramides et des Tarterêts. J’ai été chargée d’un travail préalable à
l’élaboration d’un Projet social de territoire pour le quartier des Pyramides à Evry. L’action du GIP aux
Pyramides comprend d’une part un projet urbain, concrétisé en 2004 par un dossier déposé à
l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine, et d’autre part un projet de gestion de services,
comprenant la gestion urbaine de proximité et la requalification des parkings. Un projet social devrait
venir compléter les dispositifs mis en place dans le but de modifier sensiblement l’image du quartier
vis-à-vis de ses habitants et de l’extérieur.
La réalisation d’un diagnostic social de ce quartier et la constitution d’un partenariat autour
d’une démarche de projet social ont constitué mes principales missions. J’ai été confrontée à des
difficultés méthodologiques et culturelles liées à la transposition dans le champ social d’une méthode
de travail plus couramment utilisée dans le champ urbain. Le choix de cette problématique comme
sujet de mémoire s’est imposé comme une volonté de prendre du recul par rapport à la démarche
entreprise aux Pyramides et au travail réalisé, et de mener une réflexion plus théorique et personnelle
sur les éléments observés. Il s’agit de s’éloigner des réalités qui contraignent le travail au quotidien
(situation sociale locale, système d’acteurs…), et de mettre en perspective l’idée d’un projet social, en
élargissant l’échelle conceptuelle de temps et de lieu.
L’idée de construire des projets sociaux territorialisés pour traiter les problèmes spécifiques de
1
certains quartiers sensibles est apparue dans le rapport Brévan-Picard , qui affirmait qu’un
mouvement de territorialisation de l’action sociale était inévitable et devait permettre de renforcer
l’intégration des professions sociales à la politique de la ville. Une des conclusions du rapport était
donc que des expériences de décloisonnement territorial des interventions sociales devaient être
tentées. La Délégation Interministérielle à la Ville a lancé, en 2002, une expérimentation nationale
consacrée aux Projets sociaux de territoire (PST), soutenue par l’Assemblée des Départements de
France, la Caisse Nationale d’Allocations Familiales, la Direction Générale de l’Action Sociale et le
Conseil Supérieur du Travail Social. La méthodologie proposée pour ces Projets sociaux de territoire
repose sur un partenariat renforcé entre les acteurs sociaux locaux, la mise en cohérence de leurs
interventions et la recherche de transversalité, ainsi que la participation des habitants et l’amélioration
de l’adéquation des réponses institutionnelles aux besoins des publics. Elle comporte à la fois un
enjeu de réorganisation des formes traditionnelles d’action sociale et un objectif de développement
social grâce à des méthodes innovantes. Les PST ne sont pas destinés à être un dispositif se
superposant à ceux qui existent déjà dans le champ de la politique de la ville ou de l’action sociale,
mais une démarche qui utilise et fédère les ressources et les potentialités existantes autour d’objectifs
de projet pour un quartier. Le quartier des Pyramides à Evry ne fait pas partie des vingt sites retenus
dans le cadre de l’expérimentation de la DIV. Cependant, les acteurs locaux du champ social, à
l’initiative du GIP, ont souhaité s’engager dans une démarche de projet social territorialisé s’inspirant
de la méthode des PST.
Au vu de l’exposé de la méthode, relativement abstraite, proposée pour les PST, un certain
nombre de questions se posent : elles portent d’une part sur les justifications conceptuelles d’une
démarche de projet social et son intérêt pour les quartiers concernés, et d’autre part sur les modalités
d’adaptation de la démarche de projet aux spécificités du champ social. Comment délimiter le champ
1
Une nouvelle ambition pour les villes, de nouvelles frontières pour les métiers, Rapport remis à Claude Bartolone
par Mme Claude Brévan et M. Claude Picard, septembre 2000.
1
social dans le contexte spécifique des quartiers dits sensibles, et donc quels acteurs mobiliser dans le
cadre d’un partenariat « à caractère social » ? Quels présupposés légitiment une action sociale
spécifique dans les quartiers ? Quelles sont les grandes options qui s’offrent à la puissance publique
dans sa recherche d’une amélioration des conditions de vie des habitants des quartiers repérés
comme sensibles ? Comment l’action sociale traditionnelle peut s’adapter aux spécificités d’une
population ? Quels objectifs doit poursuivre un projet social territorialisé ? Quelle méthode employer
pour l’élaborer ?
Le mode de réflexion choisi pour tenter de répondre à ces questions est un aller-retour entre
le général (l’histoire des politiques publiques, les concepts qui les déterminent) et le particulier, en
l’occurrence au cas du quartier des Pyramides. Les éléments théoriques et de contexte serviront à
éclairer la situation des Pyramides, en mettant en relief ses points communs et ses spécificités.
Dans la première partie, on tentera d’analyser la nature des causes de la situation de crise
(urbaine ? sociale ?) constatée dans certains quartiers, pour voir en quoi ces éléments légitiment le
développement de l’action sociale territorialisée et quels objectifs ils lui assignent.
Dans la deuxième partie, on réfléchira aux modalités concrètes de mise en oeuvre d’un projet
social territorialisé répondant aux objectifs envisagés, en terme de méthodologie pertinente et
d’actions qui peuvent en découler.
2
Première partie
L’opportunité d’une démarche de projet social : répondre aux
problèmes sociaux spécifiques dans les quartiers dits sensibles
La décision d’élaborer un projet social pour un quartier cumulant un certain nombre de
handicaps peut émaner d’une volonté politique, ou répondre à un besoin ressenti par les techniciens
travaillant autour du développement du quartier. Les démarches de projet social s’inscrivent dans la
lignée des politiques menées dans les quartiers sensibles depuis qu’ils ont été identifiés comme
nécessitant des politiques publiques spécifiques. Elle s’appuie donc sur une analyse partagée des
causes des problèmes rencontrés.
Il est nécessaire d’expliciter les arguments qui sous-tendent l’intervention dans les quartiers
ciblés par la politique de la ville depuis une vingtaine d’années, en particulier sur le champ social, et
de s’interroger sur leur évolution et sur leur pertinence. L’opportunité d’élaborer aujourd’hui des projets
sociaux dans les quartiers dits sensibles doit être discutée, à travers une analyse des représentations
des causes de la crise urbaine identifiée comme un sujet nécessitant une intervention publique (1), et
un retour sur l’histoire de la construction des politiques publiques adressées aux quartiers en difficulté,
et de ses hésitations sur le mode de traitement de phénomènes générant une certaine peur dans
l’opinion publique (2).
1. Retour sur les origines du « mal des banlieues » : le social et l’urbain, des
facteurs cumulés de la crise des quartiers d’habitat social
La naissance des « quartiers » comme enjeu de politique publique
La prise de conscience des enjeux sociaux particuliers de certains quartiers d’habitat social
périphériques des grandes villes françaises date de la fin des années 1970. L’émergence d’une
catégorie de pensée dans l’opinion publique (les « cités », « banlieues » ou « quartiers chauds »),
principalement liée au retentissement médiatique de quelques épisodes de violences urbaines, a eu
lieu parallèlement à la création d’une catégorie de l’action publique (« quartiers prioritaires de la
2
politique de la ville », Zones Urbaines Sensibles). Philippe Genestier et Gérard Baudin ont analysé la
fabrication des représentations souvent stéréotypiques de ces quartiers. Ils y voient un glissement de
la question sociale pensée par les intellectuels d’inspiration marxiste jusqu’aux années 1970 en terme
d’inégalités entre les classes sociales, vers une question urbaine comprise en terme de ruptures
spatiales. Le résultat est une délimitation territoriale des problèmes sociaux issus de la crise
économique, durable depuis 1973, tels que le chômage de masse, la précarisation des emplois…
Pour l’ensemble des citoyens, le fait de circonscrire spatialement des phénomènes sociaux
inquiétants permet de mieux s’en différencier ; pour les concepteurs de politiques publiques cela
permet de proposer des solutions basées sur l’échelle du quartier. En effet, Genestier et Baudin
2
Banlieues à problèmes, la construction d’un problème social et d’un thème d’action publique, Philippe Genestier,
Gérard Baudin (dir.), La documentation française, 2003
3
affirment que « la formation d’une catégorie de pensée n’est pas un processus conscient et délibéré,
mais reflète la façon dont la société se conçoit elle-même et envisage de traiter ce qu’elle considère
comme ses marges ».
La définition de ces quartiers dans l’imaginaire collectif lie plusieurs constantes : insécurité,
immigration, grand ensemble. La conséquence est l’établissement d’un lien de causalité fort entre
la forme urbaine (le grand ensemble, éventuellement sur dalle) et les dérèglements sociaux
constatés. Cela résulte du fait que les habitants des grands ensembles d’habitat social, construits
dans les années 1950 et 1960, ont été touchés de plein fouet par la crise du système fordiste de
production. Les ouvriers, dont la part dans la population active est passée de 40% à moins de 30%
entre l’après-guerre et 1990, étaient sur-représentés dans ces quartiers, et le taux de chômage a donc
fortement augmenté. De fait, la figure architecturale aujourd’hui évoquée par le mot banlieue est le
grand ensemble d’habitat social, et non le lotissement pavillonnaire. La réduction du terme banlieue à
l’évocation d’une situation particulière, à l’image sociale très dégradée, charge le mot d’une
connotation négative dans l’imaginaire collectif.
Des mouvements de pensée critiquant l’architecture issue du mouvement moderne ont
contribué à valider ce lien entre une forme urbaine spécifique et une réalité sociale faite de
chômage, de précarité, d’immigration et d’insécurité, auprès de l’opinion publique comme des
professionnels. C’est en particulier le cas de la très médiatique mission Banlieues 89, menée par
Roland Castro et Michel Cantal-Dupart durant les années 1980, qui a mis l’accent sur les projets
urbains destinés à remodeler en profondeur les grands ensembles et à valoriser symboliquement les
espaces de banlieue, jusqu’à intituler ses assises de 1990 « Pour en finir avec les grands
3
ensembles » . Si les professionnels sont partagés sur l’héritage de Banlieues 89, l’opinion publique
rejette massivement la forme urbaine associée aux « maux des banlieues » (principalement la
concentration de problèmes sociaux et l’insécurité), et cela explique en partie la popularité générale
de la politique de rénovation urbaine engagée depuis 2003.
Cependant, une comparaison internationale rapide montre que dans les autres pays
européens, les quartiers de type grand ensemble ne sont pas nécessairement identifiés
comme des lieux de difficulté sociale. D’autres types de quartiers accueillent les populations en
difficulté, par exemple les centres-villes anciens ou les faubourgs. Ainsi, sur les 114 sites retenus pour
le programme PIC Urban entre 1994 et 1999, 12 seulement étaient des grands ensembles, dont 6
situés en France. Malgré ces différences dans la morphologie des quartiers en difficulté, les idées de
renouvellement urbain et d’approches intégrées de développement urbain se retrouvent dans de
nombreux pays européens.
De plus, l’analyse du quartier des Pyramides à Evry incite à la prudence quand aux causes
urbaines des difficultés rencontrées par les quartiers d’habitat social déqualifié.
Les Pyramides, ancien quartier modèle
L’analyse des problèmes rencontrés par le quartier des Pyramides est inséparable du
contexte particulier lié à sa localisation au cœur de la ville nouvelle d’Evry. Plus généralement, la
réflexion sur l’exemple des villes nouvelles de la région parisienne invite à nuancer l’affirmation d’un
lien de causalité fort entre la forme urbaine et le peuplement par des ménages touchés par des
problèmes sociaux.
3
Dossier « De Banlieues 89 à Jean-Louis Borloo », revue Urbanisme n°332, septembre-octobre 2003
4
La décision de créer des villes nouvelles en Ile-de-France a été actée en 1965, dans le
Schéma d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne (SDAURP). Les villes nouvelles ont
été conçues, dès leur origine, en réaction contre les problèmes grandissants observés à
l’époque dans les grands ensembles. Ainsi, la volonté de créer de la centralité, des
équipements, de la mixité fonctionnelle et résidentielle constitue le fondement du modèle des
villes nouvelles.
Evry est la première ville nouvelle à
s’être développée en Ile-de-France. L e
schéma général de la ville nouvelle d’Evry
a été rendu public en 1969. La trame bâtie
s’organise selon 4 axes disposés en X
autour du centre administratif et commercial.
La ZAC Evry 1, qui deviendra le quartier des
Pyramides, est le premier des quatre
quartiers qui devaient constituer la zone
4
centrale de la ville nouvelle .
Source : Vincent Fouchier, 2000 (Cf biblio)
Le concours de conception-réalisation pour la ZAC d’Evry 1 a été lancé en 1971. Le
programme prévoyait 7000 logements, destinés à accueillir 20 à 30 000 habitants. Il comportait
également de nombreux équipements publics ainsi que des bureaux. La recherche de mixités
sociale et fonctionnelle et la volonté d’innovation architecturale étaient présentes dès l’origine du
projet. Les espaces verts étaient généreusement prévus, puisque seulement 82 des 120 ha de la ZAC
étaient constructibles. En revanche, des densités élevées étaient prévues sur les terrains
constructibles, du fait de la proximité des équipements du centre urbain.
A l’issue de la consultation, le groupement UCY, constitué de 10 sociétés immobilières sous
l’égide de l’OCIL, des architectes Andrault, Parat et Sirvin (GARP) et du groupe Bouygues, a été
retenu pour son projet de bâtiments de forme pyramidale, qui devaient donner son nom au
quartier. Le concours a été fortement médiatisé, une maquette étant même exposée en grande pompe
au Grand Palais en 1973. La forme pyramidale des bâtiments, qui permettait à tous les logements de
bénéficier de larges terrasses, avait particulièrement été appréciée par le jury. (cf coupe des bâtiments
prévus par UCY page suivante).
4
Les densités de la ville nouvelle d’Evry, Vincent Fouchier, Anthropos, collection villes, 2000
5
La première tranche du quartier (2500 logements) fut mise en chantier en 1973. Le
rythme de construction a été plus lent que prévu initialement à cause des difficultés de
commercialisation provoquées par le brusque changement de conjoncture économique : 1800
logements seulement étaient achevés en 1978. De plus, les logements non aidés ont été supprimés
du programme des bâtiments les plus récents, les densités ont été augmentées et l’architecture des
bâtiments initiaux a été fortement altérée. Aujourd’hui, le quartier compte environ 3500 logements, et
les plus récemment construits n’ont plus rien de la forme pyramidale d’origine.
Source : Vincent Fouchier, 2000 (Cf biblio)
Source : Vincent Fouchier, 2000 (Cf biblio)
Malgré l’altération du modèle architectural pyramidal au cours de la construction du
quartier, l’architecture et la forme urbaine du quartier demeurent de qualité : les logements sont
grands, bien conçus avec des terrasses, les espaces publics sont généreux, les équipements
nombreux, l’accessibilité par les transports en commun (bus en site propre) est excellente… De plus,
le quartier est situé à proximité directe des fonctions de centralité (administrations, commerces…)
de la ville nouvelle : contrairement à de nombreux grands ensembles, le quartier ne souffre donc ni
d’enclavement, ni d’un manque de services publics.
Malgré les qualités reconnues au quartier à l’époque à sa construction, certains parmi les
concepteurs de la ville nouvelle, parlent aujourd’hui d’échec urbain. Ils glorifient l’époque idéalisée des
« pionniers », et affirment que la situation sociale s’est dégradée rapidement dans les années 1980,
entraînant un accroissement de la délinquance et des phénomènes de violences urbaines
5
caractéristiques des quartiers dits sensibles . En fait, l’image du quartier s’est dégradée suite à
5
Evry ville nouvelle 1960-2003, Jacques Guyard, Espaces sud, 2003
6
l’arrivée durant les différentes phases de construction du quartier, à partir de la fin des années
1970, de ménages en situation précaire, souvent d’origine immigrée, et les indicateurs de fragilité
socio-économique sont aujourd’hui nombreux. La conséquence a été l’inscription du quartier dans les
dispositifs successifs de la politique de la ville : le premier contrat de ville a été signé en 1993, le
quartier a participé au programme « 50 quartiers » en 1997, a été classé en ZUS puis retenu pour être
un site en GPV en 2001. Trois décennies seulement après la construction du cœur du quartier, le
dossier déposé à l’ANRU en 2004 prévoit près de 150 démolitions.
Les Pyramides sont passées en 30 ans d’un quartier modèle, dont le public était invité à
admirer l’organisation et la modernité lors d’une exposition au Grand Palais, à un quartier de
« banlieue » ordinaire. La forme urbaine des Pyramides ne peut pas être comparée aux grands
ensembles et accusée des mêmes maux, même si elle est indubitablement à l’origine de
difficultés de gestion, subies par les bailleurs sociaux, les copropriétés et les collectivités locales :
coût élevé du système de chauffage et de l’entretien, immenses parkings sous dalles mal sécurisés,
imbrication des espaces publics et privés…
Les villes nouvelles : enseignements sur les quartiers en difficulté
Plus généralement, la dégradation de la situation sociale et de l’image de certains quartiers
des villes nouvelles franciliennes a été constatée peu de temps après leur construction : ainsi, dès
6
1990, dans un article du journal le Monde , Daniel Béhar remarque que « les quartiers "historiques"
[des villes nouvelles d’Ile-de-France] donnent des inquiétudes. On y aperçoit les signes avantcoureurs du mal qui touche les grands ensembles : rotation accélérée des locataires, petite
délinquance, mauvaise image des établissements scolaires ». L’analyse montre cependant que, si les
symptômes sont similaires dans les deux cas, les causalités habituellement définies pour expliquer les
difficultés des grands ensembles ne peuvent pas s’appliquer aux quartiers des villes nouvelles. « Les
multiples déficits des premiers (services publics, équipements, commerces, activités et emplois)
s’opposent au regroupement de l’ensemble des fonctions dans les seconds. L’isolement, l’uniformité
7
urbaine et de l’offre de logements ne sont pas plus en cause » . Recherchant les causes des
difficultés socio-spatiales rencontrées par certains quartiers des villes nouvelles, D.Béhar et R.Epstein
identifient d’une part un facteur de fragilité socio-économique de ces quartiers du fait de la
fonction résidentielle de la ville nouvelle dans la métropole, et d’autre part un facteur d’incivilité
lié à la centralité des quartiers concernés dans l’agglomération nouvelle. Enfin, la visibilité des
problèmes, et la difficulté de trouver des solutions appropriées sont accrues du fait de l’intégration
complète des quartiers dans la ville nouvelle, contrairement aux grands ensembles construits en
opposition au tissu urbain dans lequel ils s’inscrivaient. Finalement, « ces quartiers prouvent qu’il n’y a
pas de modèle urbain qui réponde à la question socio-urbaine ».
L’exemple de la crise de certains quartiers des villes nouvelles (les Pyramides, mais aussi le
Bois sauvage et le Canal à Evry et Courcouronnes, La Bastide et Saint Christophe à Cergy-Pontoise,
Champy et Pavé Neuf à Marne-la-Vallée, les Sept mares d’Elancourt à Saint-Quentin-en-Yvelines…)
invite donc à relativiser les causes urbaines des difficultés concentrées par des quartiers, et à
s’interroger sur les mécanismes d’évolution du peuplement qui conduisent à ces situations.
6
Vive les quartiers populaires !, Daniel Béhar, Le Monde, 26/12/1990, disponible sur www.acadie-reflex.org
Exclusions et quartiers en difficulté, ou les aléas de la politique de la ville, Daniel Béhar et Renaud Epstein,
Urbanisme n°301, juillet/août 1998
7
7
Ségrégation socio-spatiale et peuplement des quartiers
L’évolution de la population habitant un quartier doit être analysée en terme de ségrégation ou
d’agrégation de groupes sociaux. Ces phénomènes sont complexes, particulièrement du fait que
plusieurs échelles sont pertinentes pour les analyser : le quartier, l’agglomération, la métropole…
La question sociale qui se pose dans les quartiers est d’abord liée à la concentration de
populations socialement défavorisées et/ou d’origine immigrée. A partir du moment l’où on
observe une concentration spatiale de groupes sociaux ou ethniques, il y a ségrégation sociospatiale. Le rapport de l’observatoire national des ZUS montre clairement que la ségrégation est une
8
réalité, aussi bien sur le plan social que sur le plan ethnique . Ainsi, l’ensemble des ZUS compte par
exemple 18% de population de nationalité étrangère contre 7,5% pour l’ensemble de la France, et
26,5% des ménages résidant en ZUS ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, près de 3 fois
plus que dans le reste de l’espace urbain. La population des ZUS est également plus jeune et plus
frappée par le chômage ; le différentiel entre les taux de chômage est particulièrement élevé pour le
chômage des jeunes de moins de 25 ans, 37% des jeunes habitant en ZUS étaient au chômage en
2003 contre environ 20% de l’ensemble des jeunes. On peut donc parler, à propos de la concentration
de certaines catégories de population dans les 751 ZUS françaises, de ségrégation sociale et
ethnique.
Le manque de mixité des statuts d’occupation dans les grands ensembles est souvent
incriminé. Cependant, il est loin de constituer la seule origine des mécanismes de ségrégation : aux
Pyramides, 40% des logements sont en copropriété, mais leurs occupants connaissent des
problèmes sociaux quasiment similaires à ceux des logements sociaux. Les causes des
mécanismes ségrégatifs sont complexes : on peut distinguer d’une part l’action, plus ou moins
consciente, des bailleurs sociaux, des collectivités locales et de l’Etat, titulaires de droits de
réservation dans le parc social, qui a abouti à la concentration de ménages en difficulté dans certains
quartiers, voire dans certaines cages d’escalier ; et d’autre part, des mécanismes moins aisément
identifiables, liés au fonctionnement du marché foncier et immobilier, à l’aspiration à la maison
individuelle, aux opportunités d’accession aidée à la propriété… Le résultat de ces facteurs cumulés a
été la fuite des classes moyennes hors des quartiers d’habitat social et l’évitement croissant
des zones à la réputation dégradée. Ainsi, Jacques Donzelot analyse la crise urbaine actuelle
comme le résultat d’une « séparation croissante entre une majorité aisée, définie par sa capacité de
valoriser son travail, et une minorité pauvre composée en bonne partie de la population "issue de
l’immigration", portée à puiser une part de ses revenus dans les ressources de l’assistance et des
9
ème
trafics illégaux » . Au contraire de la crise urbaine du 19
siècle qui trouvait son origine dans la
pression massive des populations pauvres sur les centres-villes habités par les bourgeois, la crise
urbaine actuelle est liée à la « désincorporation » de la société urbaine et à la péri-urbanisation
qui s’étend en contournant les banlieues d’habitat social. J.Donzelot souligne que « le risque du conflit
s’efface alors devant la tentation de la séparation ». Les phénomènes urbains de ségrégation sont le
reflet du déclin de la conscience de l’interdépendance sociale et de l’accroissement de
l’individualisme.
Le quartier des Pyramides est trop récent pour avoir connu un phénomène de fuite des
classes moyennes, mais l’équilibre de la population a évolué au fur et à mesure de
l’avancement de la construction du quartier. Nombre des habitants des premiers immeubles des
Pyramides étaient attirés par l’originalité du projet urbain et architectural, doublé d’un idéal social
généreux. Cependant, l’apparition de problèmes techniques et de gestion a rapidement freiné
8
Observatoire national des ZUS, rapport 2004, éditions de la DIV, www.ville.gouv.fr/pdf/editions/observatoirerapport-2004.pdf
9
Faire société, la politique de la ville en France et aux Etats-Unis, Jacques Donzelot avec Catherine Mével et
Anne Wyvekens, Editions du Seuil, 2003
8
l’enthousiasme de ces « pionniers ». Dans le même temps, les bâtiments construits dans le secteur
central du quartier à la fin des années 1970 et dans les années 1980 ont attiré principalement des
ménages issus des classes populaires.
Une analyse des nombreux articles de presse parus dans les médias locaux et nationaux
entre la construction du quartier et les années 2000 renseigne conjointement sur les étapes de
construction de la ville nouvelle et sur celles de l’image du quartier et de la ville nouvelle dans l’opinion
10
publique . Il apparaît que le quartier des Pyramides est dans un premier temps évoqué dans la
presse à travers deux sujets : la singularité urbaine et les malfaçons. A partir des années 1990, les
violences urbaines sont largement couvertes par les médias locaux et nationaux, et ce thème
devient même récurrent avec l’apparition des « zoulous ». On assiste dans ce domaine à une
focalisation progressive sur Evry, puis sur les Pyramides. Dans les années 2000, le nom du quartier
devient dans la presse une métonymie des problèmes de délinquance et de criminalité. Lorsque ce
nom surgit pour l’opinion publique, il évoque des violences urbaines vécues comme massives.
« L’image actuelle des Pyramides résulte de la confrontation entre les cadres mentaux hérités de la
période glorieuse, elle-même fruit d’une reconstruction a posteriori, et les multiples tentatives de lire le
présent, de lui donner un sens, à notre époque où le thème de la crise urbaine rencontre un large
11
succès » . La première manifestation de la focalisation sur le quartier réside dans l’accent mis sur
l’originalité et l’innovation de la forme urbaine, censées inventer une nouvelle sociabilité. L e s
Pyramides représentaient alors le miroir positif de la ville nouvelle. La déception suscitée par
l’évolution sociale de ce « modèle » en a fait la cible d’un second fantasme : celui de
l’insécurité. Les deux thèmes se nourrissent, la déliquescence urbaine étant présentée comme la
base du malaise social. Les conséquences de cette image dégradée sont d’une part le départ de
nombreux habitants issus des classes moyennes, disposant des moyens d’accéder à la propriété ou
de se voir accorder un logement social ailleurs, et d’autre part l’arrivée d’une population en difficulté
sociale, aux très fortes contraintes de localisation ; les bailleurs sociaux ne parviennent pas, malgré
leurs tentatives en réponse aux pressions de la mairie, à attribuer les logements sociaux des
Pyramides à des ménages susceptibles de recréer une certaine mixité sociale. Plus qu’un choix de
localisation des populations d’origine étrangère et disposant de faibles revenus, c’est
l’évitement du quartier à l’image dégradée par les classes moyennes qui est à l’origine des
phénomènes de ségrégation observés.
Sans nier les causes urbaines de certains problèmes des quartiers (y compris les
Pyramides) repérés par l’opinion publique et les responsables politiques comment relevant
d’un traitement spécifique, il faut parallèlement considérer les effets des causes sociales
(crise du système de production fordiste et du plein emploi…). Le résultat est une
ségrégation socio-spatiale, principalement due aux choix de localisation des populations les
plus aisées.
En fait, on observe un effet cumulatif des causes sociales et urbaines de la crise des
quartiers sensibles. La forme urbaine n’est pas un problème en soi, mais deux aspects
posent problème : les dysfonctionnements qui peuvent en découler, et l’image négative qui
conduit à la fuite des gens qui peuvent partir.
10
Ce travail a été mené par Claire Mulonnière en 2003-2004. Voir : Construire et partager une nouvelle image
er
pour les Pyramides, Nicolas Buchoud (dir.), éditions du CERTU, à paraître, 1 trimestre 2005.
11
Claire Mulonnière, op.cit.
9
2. Les réponses des politiques publiques : de la politique de la ville au
programme national de rénovation urbaine, entre discrimination positive et
idéal de mixité sociale.
Si l’on considère que les causes de la crise des banlieues sont à la fois urbaines et sociales,
la réponse en terme de politiques publiques doit se situer dans les deux champs. La politique de la
ville a longtemps privilégié les actions à caractère social au sens large, c’est-à-dire en matière
d’éducation, de médiation, de prévention, de développement social… La loi d’orientation et de
er
programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1 août 2003 marque un infléchissement
significatif de la logique d’action envers les quartiers, avec un recentrage sur les dimensions urbaines
et économiques.
La politique de la ville : une politique dérogatoire fondée sur la discrimination
territoriale
Sans prétendre faire le bilan de la politique de la ville, ce qui constituerait un sujet en soi,
l’analyse des principales étapes de sa mise en place est éclairante sur les évolutions en cours. L’idée
qui sous-tend les politiques de la ville est la discrimination positive territoriale : il s’agit de
dispositifs dérogatoires sur la base d’un zonage territorial, dans des champs tels que le
logement, l’éducation, l’économie, l’action socio-culturelle… La dégradation parallèle des conditions
de vie dans certains quartiers et de leur image conduit à faire le constat de l’insuffisance des
politiques mises en place depuis 20 ans. Alors qu’il est courant de pointer l’inefficacité supposée de la
politique de la ville, en particulier par le biais de rapport successifs, certains ont tendance à répondre
que la situation serait pire si la politique de la ville n’avait pas existé… c’est invérifiable, mais probable.
Jacques Donzelot compare la politique de la ville française aux politiques de traitement des
12
quartiers en difficulté aux Etats-Unis . Il distingue deux approches des problèmes de
concentration de la pauvreté : d’une part le traitement des lieux, par un apport de ressources qui
fasse contrepoids à l’appauvrissement, et d’autre part l’aide aux personnes qui s’y trouvent
confinées, pour qu’elles suivent le chemin des classes moyennes vers des territoires plus favorisés.
Aux Etats-Unis, le dilemme entre les deux logiques est résumé sous l’appellation place versus
people. La similitude des enjeux permet d’analyser le cas français à la lumière du débat américain,
qui a été tranché en faveur de l’option people, c’est-à-dire de politiques favorisant la mobilité des
personnes, à travers le développement communautaire. Ce choix illustre la perception américaine de
la ville en tant que un révélateur des problèmes de la société, matérialisant les limitations au
mouvement (physique et social) des individus vers une amélioration de leur situation sociale. E n
France au contraire, la ville est souvent perçue comme un problème en soi, une cause de
problème sociaux : c’est la déqualification des quartiers d’habitat social qui porte préjudice à
leurs habitants. En conséquence, l’action sur le ville est capable fournir une solution aux problèmes
des gens.
La compréhension des problèmes influence directement les solutions qui leur sont apportées.
Pour la politique de la ville française, il ne s’agit pas tant de lever les obstacles à la mobilité des
habitants que de réparer les défectuosités du territoire pour rendre équivalentes toutes les parties de
12
Faire société, la politique de la ville en France et aux Etats-Unis, Jacques Donzelot avec Catherine Mével et
Anne Wyvekens, Editions du Seuil, 2003
10
la ville. Le rapport de la commission conduite par Hubert Dubedout, suite aux émeutes de la banlieue
lyonnaise de 1981, établit les principes de la politique de Développement Social des Quartiers des
années 1980. Il s’agit d’un compromis entre les options place et people, mettant autant l’accent
sur le développement des potentialités des habitants que sur la réparation des lieux. La conséquence
est la valorisation de l’échelle du quartier (en tant que communauté d’individus autant que lieu) à
laquelle sont menées des actions de développement social. J.Donzelot identifie un tournant au début
des années 1990 avec la Loi d’Orientation pour la Ville (1991), dont les fondements ne seront pas
démentis par la suite : la valorisation des initiatives des habitants perd de l’importance, alors que se
développent des actions de compensation des déficits des territoires en matière de services
publics d’une part et d’emploi d’autre part. La politique de la ville menée à travers les générations
successives de Contrats de ville est une politique de discrimination positive territoriale, répondant à un
zonage de plus en plus objectif des territoires ciblés. C’est une politique de compensation, qui vise à
réduire les effets des handicaps territoriaux dus au fait d’habiter certains quartiers stigmatisés, en
matière d’accès aux services publics, à l’emploi… Petit à petit, s’ajoutent à la politique de la ville en
tant que telle des actions plus urbaines, avec les GPU, puis les GPV et les ORU : il s’agit alors de
désenclaver, de réhabiliter, et parfois de démolir. Enfin, depuis la LOV, les interventions de
discrimination positive territoriale se doublent d’une politique de mixité sociale visant à prévenir les
causes de la concentration de la pauvreté.
Le Programme national de rénovation urbaine (PNRU), appuyé sur la loi d’orientation et de
programmation pour la rénovation urbaine, marque l’aboutissement d’une évolution enclenchée
depuis des années, d’une part vers une logique place très axée sur les actions urbaines et
d’autre part vers une recherche renouvelée de mixité sociale.
Le rêve de mixité sociale : un mythe inaccessible ?
La LOV, en promouvant en 1991 le « droit à la ville », se fixe pour objectif une meilleure
répartition de l’habitat social dans les agglomérations, ainsi qu’une composition plus équilibrée de la
population habitant le parc social. Les moyens mis en œuvre restent modestes comparés aux objectifs
affichés, mais l’idée de rechercher la mixité résidentielle, contre la désintégration sociale des anciens
quartiers ouvriers et l’étalement urbain, a traversé la décennie 1990 pour culminer dans la loi relative à
la Solidarité et au Renouvellement Urbains du 13 décembre 2000.
Concernant les modalités destinées à atteindre la mixité sociale, il est instructif de comparer le
13
très médiatique article 55 de la loi SRU et le PNRU : les deux textes ont pour objectif une répartition
plus homogène des différentes classes sociales dans l’espace urbain, donc une lutte contre la
ségrégation socio-spatiale. Mais alors que la loi SRU cherchait à imposer une présence des
populations défavorisées dans les territoires des classes moyennes et supérieures, le PNRU
fait de l’éclatement des concentrations de pauvres le moyen d’atteindre une plus grande mixité
sociale. Dans la logique du PNRU, la mixité sociale se fait à deux échelles : à l’échelle du quartier
d’une part, la construction de nouveaux logements à la place des immeubles démolis devrait
permettre d’attirer des catégories de population jusque là absentes ou sous-représentées. La mission
de construction de logements locatifs libres dans les quartiers en rénovation urbaine, confiée à la
Foncière Logement, va dans le sens de cette recherche de diversification de la population des
quartiers. A l’échelle de l’agglomération d’autre part, le relogement des ménages habitant dans les
13
L’article 55 de la loi SRU impose aux communes de plus de 3500 habitants (1500 habitants en Ile-de-France),
situées dans des agglomérations de plus de 50 000 habitants, de comporter 20% de logements locatifs sociaux
définis « au sens de la loi SRU ». Les communes ne respectant pas cette obligation devront payer une indemnité,
à moins qu’elles ne mettent en place des actions de rattrapage de construction de logements sociaux.
11
immeubles démolis devrait permettre une répartition plus homogène de la population pauvre. Dans
l’état actuel de pénurie de logement social en région parisienne et dans les grandes métropoles, on
peut douter de l’efficacité d’une politique de mixité sociale basée sur l’éclatement des quartiers
concentrant les pauvres, d’autant plus que l’acceptabilité du logement social dans les communes
aisées ne devrait pas s’accroître avec l’annonce des relogements à venir. Si le taux de 20% de
logement social par commune prévu par la loi SRU n’est pas respecté, la question du logement des
plus démunis sera de plus en plus difficile à résoudre, car la règle affichée de construction d’un
logement neuf de même type pour chaque logement démoli n’est bien souvent qu’un tour de passepasse, intégrant des constructions neuves prévues de toute façon. Il n’est pas impossible que les
catégories de population les plus précaires se retrouvent encore plus concentrées qu’auparavant dans
les immeubles de logement social anciens ou déqualifiés qui échapperont à la démolition, car les
nouvelles constructions produiront des logements sociaux aux loyers supérieurs, qui attireront sans
14
doute les plus solvables des habitants actuels des quartiers dits sensibles .
La diversité de l’environnement social : quels bénéfices pour les plus pauvres ?
La recherche de mixité sociale apparaît parfois comme un objectif totalement consensuel. Il
semble toutefois nécessaire d’examiner les bases et les implications de cette affirmation.
L’idéalisation de la mixité sociale découle de l’idée que le voisinage avec des personnes
d’autres classes sociales est plus favorable aux personnes en situation difficile que la
cohabitation avec des personnes du même milieu social. La question qui se pose est : vaut-il
mieux être précaire parmi les précaires ou dispersé dans un environnement différent ?
Ce sujet, loin de faire consensus, est très discuté. On peut penser que la concentration de la
pauvreté aggrave la situation de ceux qui la vivent, du fait d’une part de la stigmatisation qui en
découle et handicape les individus « étiquetés » en fonction de leur lieu d’habitation, et d’autre part de
l’apparition d’une « culture de la pauvreté ». L’idée que la concentration, en faisant de la pauvreté
une condition normale puisque partagée, réduit la propension des individus à trouver des solutions
15
pour sortir des espaces pauvres, a été très étudiée par la sociologie américaine . De la même façon,
des études ont montré que le contexte de diversité sociale était important, en particulier dans les
écoles pour la réussite des élèves les plus défavorisés.
Cependant, d’autres résultats nuancent l’influence de la mixité de l’environnement
social sur les trajectoires des individus les plus pauvres. Une expérimentation menée par le
16
department of housing and urban development américain a tenté de mettre en évidence les effets
d’un quartier concentrant un très fort taux de pauvreté sur les opportunités de trajectoire sociale
offertes à ses habitants. Le mode opératoire consistait à proposer aux ménages d’un groupe
expérimental une allocation logement élevée s’ils déménageaient dans un quartier avec un faible taux
de pauvreté, ainsi qu’un accompagnement pour les aider à la mobilité. Les ménages d’un deuxième
groupe se voyaient aussi offrir la possibilité de recevoir une allocation, mais aucune obligation d’aller
habiter un quartier « riche ». Enfin, un groupe témoin de ménages résidant initialement dans les
mêmes quartiers pauvres était également observé. Le programme a porté sur plus de 4000 familles
éligibles dans des quartiers très pauvres de plusieurs grandes villes du Nord-est des Etats-Unis. Une
14
C’est un des trois principaux effets pervers des opérations de démolition, pointés dans Effets des projets de
renouvellement urbain sur les parcours résidentiels et les tensions des marchés, Michèle Esposto, DIV,
septembre 2003
15
Faire société, la politique de la ville aux Etats-Unis et en France, Jacques Donezlot avec Catherine Mével et
Anne Wyvekens, éditions du Seuil, 2003
16
Moving to opportunity for fair housing demonstration program, interim impact evaluation, septembre 2003,
disponible sur www.huduser.org
12
première évaluation du programme, 4 à 7 ans après sa mise en place, met en évidence plusieurs
résultats :
- Les ménages qui ont déménagé hors de leur quartier d’origine (environ la moitié de ceux qui en
avaient la possibilité) expriment leur satisfaction sur leur nouveau cadre de vie et le niveau de sécurité
de leur nouvel environnement.
- Les ménages qui ont quitté leur quartier sont en meilleure santé : réduction significative de l’obésité,
moins de cas de stress et de dépression.
- Le déménagement a peu d’effet sur le taux élevé de délinquance parmi les jeunes, sauf pour les
jeunes filles de 15 à 19 ans.
- Le fait de changer d’environnement social n’a que très peu d’incidence sur les résultats scolaires des
enfants. Cependant, on constate que les filles qui ont déménagé ont moins de risques d’arrêter
prématurément leur scolarité.
- Aucune évolution n’est constatée quant aux revenus des ménages, à leur taux de chômage ou à leur
dépendance vis-à-vis des aides publiques.
Cette expérimentation, si ses résultats ne sont bien sûr pas transposables en France, a le
mérite d’avoir été menée à grande échelle, dans des conditions méthodologiques rigoureuses. Même
si l’évaluation finale (après 10 ans) permettra peut-être de dégager des tendances plus marquées, on
constate pour l’instant qu’une part importante des familles n’ont pas souhaité (ou pas pu)
déménager hors de leur quartier malgré les aides considérables qui leur étaient accordées. Pour les
autres, la mobilité a eu des conséquences parfois surprenantes (en matière de santé par
exemple), mais n’a pas permis une amélioration significative de leur situation sociale. La
différence entre les jeunes filles et garçons est cependant notable : les filles voient leur scolarisation
se rallonger et leur taux de délinquance diminuer alors qu’aucun effet similaire n’est constaté pour les
garçons.
Ces résultats tendent à conforter l’analyse menée par certains sociologues qui considèrent les
quartiers en tant que ressource, y compris et surtout pour les populations défavorisées. Pour
les personnes immigrées, la proximité de membres de la famille, du village ou du pays constitue un
avantage indéniable, du fait des solidarités communautaires existantes. Cependant, en France, les
quartiers en difficulté, si certains sont presque exclusivement habités par des personnes étrangères
ou françaises d’origine étrangère, ne sont pas homogènes ethniquement. Les politiques publiques
doivent trouver des moyens de prendre en compte les ressources du lieu, particulièrement en
matière sociale.
La possibilité de choisir sa mobilité
Comment résoudre ce paradigme : d’une part, les politiques publiques ne peuvent pas se
dessaisir de la question des quartiers touchés par la crise urbaine, tant il apparaît évident que la
situation de ségrégation accentuée qu’ils connaissent est contraire aux principes de justice et
d’égalité. Mais d’autre part, la mixité sociale absolue n’existe pas, et surtout sa recherche ne peut pas
constituer une solution en tant que telle aux problèmes des habitants des quartiers.
Une des questions qui se posent est celle de la reconnaissance des spécificités des
quartiers populaires et/ou d’immigration. Daniel Béhar s’interroge : « Quand sera-t-on prêt à
reconnaître l’existence durable de quartiers populaires, à reconnaître les pauvres comme légitimes, en
13
17
tant que groupe social, en tant que territoire dans la ville ? » . La proposition, bien que relativement
abstraite, est intéressante pour une réflexion sur les possibilités d’offrir aux quartiers des politiques
publiques réellement adaptées à leurs spécificités. Mais très logiquement en découle l’enjeu (et la
difficulté) d’éviter de renforcer et de pérenniser la relégation : « Comment gérer des quartiers
populaires, sans se satisfaire des situations d’exclusion ? ». Accepter la spécialisation sociale
des quartiers impliquerait d’en tirer les conséquences en matière de politiques publiques, donc d’offrir
des politiques sociales adaptées, des moyens renforcés pour les services publics et en particulier
l’éducation… Il ne s’agit pas d’accepter comme une fatalité que les habitants de certains quartiers
soient pauvres, mais de considérer que la concentration, si elle est choisie, de personnes
défavorisées dans certains territoires peut leur procurer des ressources supplémentaires. Le but des
politiques de la ville pourrait alors être de créer des situations de réussite sociale et des
trajectoires résidentielles ascendantes, de promouvoir la mobilité dans les quartiers, mais sans
nier leur légitimité à exister.
La logique people, abandonnée en France au profit de la logique place, fournit des arguments
dans le sens d’une promotion de la mobilité résidentielle et sociale. La mobilité ne doit pas être
considérée comme une solution miracle : rechercher à tout prix la mobilité résidentielle des plus
pauvres est contraire à l’affirmation du territoire comme ressource, et des trajectoires sociales
positives se soldant par des départs systématiques du quartier ne participerait pas au développement
local. C’est la possibilité de choix qui est finalement aussi importante que la mobilité en ellemême : « ce qui constitue le ghetto, ce n’est pas le fait de se regrouper, à un moment de son
existence, sur des bases identitaires ou affinitaires, c’est l’impossibilité de sortir du territoire ainsi
18
constitué » . Il s’agit de sortir d’une logique de relégation, et rendre aux habitants des quartiers en
difficulté leur liberté de localisation résidentielle, qui comporte bien entendu certaines contraintes
comme celle des habitants de tous les territoires. Une réelle complémentarité apparaît alors entre
l’intervention sociale dans les quartiers en difficulté et les projets urbains menés en parallèle.
« Le projet social a pour but de donner aux habitants les moyens de partir, le projet urbain de leur
19
donner envie de rester » . Le projet social et le projet urbain doivent bien être conçus en
complémentarité à l’échelle d’un territoire, avec l’objectif de changer l’image du quartier et les
conditions de vie des habitants, sans chercher cependant à remplacer systématiquement la population
actuelle.
17
Vive les quartiers populaires !, Daniel Béhar, Le Monde, 26/12/1990, disponible sur www.acadie-reflex.org
Daniel Béhar, op.cit.
19
Philippe Estèbe, intervention lors de la demi-journée « Projet pédagogique et projet urbain aux Tarterêts », le 8
décembre 2004
18
14
Au moment où une politique de renouvellement urbain de grande envergure est mise en
place, on peut affirmer que des actions sociales aussi ambitieuses sont nécessaires en
parallèle pour atteindre les résultats escomptés. En effet, les risques d’échec d’une politique
de démolition massive sans réflexion sur les causes profondes de la crise des quartiers sont
grands : le but plus ou mois avoué d’une telle politique est la dispersion des populations
pauvres avec l’espoir que la mixité sociale règlera les problèmes sociaux (ou du moins les
rendra moins visibles !). Or à court terme, l’inversion de la tendance d’évitement par les
riches des quartiers pauvres semble très improbable, et c’est bien par une mobilité choisie
de la population des quartiers que certains déséquilibres territoriaux pourront se résoudre.
La construction d’un projet social parallèlement au projet urbain est donc capitale pour
rendre aux habitants des quartiers leur liberté de choix, qui passe par la fierté d’habiter leur
quartier.
Il apparaît alors intéressant de promouvoir de véritables projets de développement social
pour les quartiers, prenant en compte leurs spécificités, sans pour autant enfermer les
habitants dans des territoires de relégation. Les modalités de mise en place de ce projet ne
sont cependant pas évidentes.
15
Deuxième partie
Les modalités de l’application d’une démarche de projet au champ
social : propositions pour le projet social du quartier des Pyramides
L’opposition du social à l’urbain ne nécessite pas de définition spécifique, le social concernant
logiquement les habitants alors que l’urbain se réfère à leur cadre de vie. Cependant, pour entrer plus
profondément dans la réflexion sur ce que peut être un projet social, il est nécessaire d’approfondir la
définition du mot social. On peut retenir deux significations, qui ont des implications différentes en
matière de politiques publiques. D’une part, le terme social désigne ce qui est relatif à une catégorie
de personnes, caractérisées par leur manque de ressources financières ou/et d’autres
capacités : c’est dans ce sens qu’est employé le mot social quand on parle de l’action sociale. D’autre
part, l’adjectif social désigne ce qui est relatif à la société dans son ensemble, au corps social. La
polysémie du mot social est importante, car elle permet d’appréhender les différences entre une
action sociale à visée réparatrice et une transformation sociale qui a pour objectif le
développement du lien social et des capacités de l’ensemble des individus de la société.
Le champ de l’action sociale traditionnelle est relativement déterminé : il y a un public cible,
constitué des personnes dépendant d’une façon ou d’une autre de l’assistance des institutions. En
revanche, la notion de lien social au sens large est plus floue, puisqu’elle englobe tout ce qui
transforme la simple cohabitation d’individus au sein d’un territoire (le quartier, la ville, le pays) en une
communauté. Les deux dimensions du social sont présentes dans la volonté de réaliser un
Projet social de territoire, mais le premier sens est souvent dominant, du fait de la présence
d’institutions bien identifiées compétentes en matière d’action sociale : les acteurs publics sont mieux
préparés pour agir dans le champ de l’action sociale que du développement du lien social. Cependant,
les deux dimensions doivent être inséparables pour que le projet social ne se cantonne à une partie
de la population de ce fait stigmatisée.
Avant d’envisager précisément ce que peut être une démarche de projet en matière sociale, il
faut tenter de comprendre les grandes lignes du fonctionnement des institutions sociales en France et
des évolutions en cours (1). La démarche de projet est avant tout une méthode. La question des
modalités de sa transposition du champ urbain au champ social se pose : quels sont les éléments à
réunir pour construire un projet social de territoire (2) ? Enfin, le passage de la théorie à la pratique se
fait à travers l’exemple du quartier des Pyramides à Evry, des possibilités sur le papier aux contraintes
de la réalité (3).
16
1. Les transformations des politiques d’action sociale, entre décentralisation et
restrictions financières
Les évolutions de la question sociale et des politiques publiques d’intervention
sociale au cours des dernières décennies
Depuis les années 1970, la crise économique a entraîné l’apparition et la pérennisation d’un
chômage de masse. La question sociale a alors commencé à être abordée de façon dynamique, non
plus en terme de pauvreté, mais de précarité et d’exclusion sociale. S’il ne faut pas sous-estimer la
dimension économique de ces phénomènes, c’est la rupture des liens sociaux qui caractérise le
mieux le processus d’exclusion : cette désaffiliation sociale est le plus souvent causée par
l’absence d’intégration par le travail et le manque d’insertion dans des réseaux de sociabilité familiale
20
ou locale .
Les modalités de l’intervention sociale traditionnelle se trouvent remises en cause par les
situations de précarité, de désinsertion sociale et par l’urgence des besoins constatés. Les
mécanismes de solidarité nationale reposent sur la mutualisation des risques sociaux à travers le
système des assurances sociales, mais la conception de droits sociaux compensateurs de
dysfonctionnements passagers (maladie, chômage…) s’avère inopérante pour répondre aux
problèmes d’exclusion durable. La crise, financière et idéologique, du système d’Etat providence
issu des trente glorieuses réduit la prise en charge collective de nombreux risques sociaux : il en
résulte une insécurité sociale grandissante, génératrice de ressentiment pour certains groupes
21
sociaux . De ce fait, des politiques de solidarité en direction des plus démunis ont été développées,
parallèlement aux mécanismes assurantiels, dans la lignée des actions d’assistance de la fin du
XIXème siècle : ces actions sont largement décentralisées depuis le début des années 1980, les
Conseils généraux jouant un rôle de chef de file en la matière. Aux politiques purement sociales se
superposent les dispositifs de la politique de la ville : avec une approche globale et transversale des
territoires, ils tentent d’agir sur les différentes dimensions des problèmes sociaux.
Le système institutionnel issu de la décentralisation ne définit pas clairement le rôle
des différents intervenants du champ social : si les départements assurent la gestion de la majorité
des prestations ainsi que les actions vis-à-vis des enfants, des personnes âgées et des handicapés,
les communes conservent un rôle important dans l’aide sociale facultative, l’animation sociale et le
soutien à la vie associative. De plus, l’Etat, malgré son désengagement financier croissant, conserve
un rôle prédominant dans la définition des normes. Ainsi, le Revenu Minimum d’Insertion ou
l’Allocation Personnalisée d’Autonomie sont des prestations gérées par les Conseils généraux, mais
dont le montant et les conditions d’éligibilité sont définis au niveau national. De même, la création de
la CMU a replacé la prise en charge des populations non protégées face à la maladie au sein de la
sécurité sociale, alors que ces populations étaient auparavant aidées par les départements.
La loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004 réaffirme le rôle
majeur des Conseils généraux dans la conduite des politiques d’action sociale, déjà renforcé
er
par le transfert de la gestion du RMI et du RMA à partir du 1 janvier 2004. Ainsi, la loi dispose que
« le département définit et met en œuvre l’action sociale en faveur des personnes âgées » (art. 56),
« une expérimentation de l’extension des compétences des départements en matière de mise en
20
Robert Castel, « De l’indigence à l’exclusion : la désaffiliation », in Donzelot, J. (dir.), Face à l’exclusion, le
modèle français, Paris, 1991. Extrait dans : Le travail social, Problèmes politiques et sociaux, la
Documentation française, n°890, 2003
21
Robert Castel, L’insécurité sociale, qu’est ce qu’être protégé, éditions du Seuil, 2003
17
œuvre des mesures [de protection de la jeunesse] ordonnées par l’autorité judiciaire est ouverte » (art.
59), « le financement du Fonds de Solidarité pour le Logement est assuré par le département » (art.
65), « le département est responsable de la protection sanitaire de la famille et de l’enfance (art 71) ».
Plus généralement, l’intervention sociale évolue dans deux directions. D’une part, le travail
social individuel, hérité d’une logique d’intervention verticale définissant des populations
cibles et des aides à distribuer, organisé sur un mode rationnel-légal, voit sa légitimité remise en
cause par son impuissance à résoudre les problèmes sociaux liés à la crise économique persistante.
D’autre part le travail social avec les groupes, une intervention globalisée, peu prescrite, fondée
sur un idéal de démocratie participative et de coproduction avec l’usager peine à trouver une place
22
institutionnelle et à prouver son efficacité .
Une redéfinition douloureuse des pratiques professionnelle des intervenants sociaux
Les métiers traditionnels du travail social se répartissent en trois grandes familles : les
métiers de l’aide sociale (assistant social, conseiller en économie sociale et familiale), les métiers
de l’éducation spécialisée et les métiers de l’animation socio-culturelle. Aujourd’hui, les
professionnels du travail social doivent s’adapter à l’évolution de leur environnement professionnel et
des problématiques auxquelles ils sont confrontés.
L’insertion économique, sociale et culturelle est la nouvelle priorité des politiques sociales. A
partir du moment où la question sociale est pensée en termes d’exclusion et de déqualification
sociale, il est nécessaire de construire symétriquement la notion de parcours d’insertion. La création
du RMI a fortement contribué à promouvoir le concept d’insertion. Il s’agit de dépasser la logique de
distribution d’aides financières ou en nature et de construire avec chaque bénéficiaire d’aides
un projet d’insertion, individuellement ou collectivement. La mission des travailleurs sociaux a
évolué en conséquence.
La conception traditionnelle du travail social repose sur une espérance de progrès social pour
chaque individu. Une relation dans la durée avec un travailleur social doit permettre à l’individu de
gagner de l’autonomie et des capacités. Depuis les années 1980, les perspectives d’intégration
sociale durable se réduisent. La composante éducative du travail social tend alors à devenir
secondaire. Il s’agit d’abord de restaurer la capacité relationnelle des personnes aidées.
L’accompagnement social se développe, avec un rapprochement entre ceux qui aident et ceux qui
sont aidés. La personne est au cœur de l’intervention sociale, dans une approche globale, et la
23
qualité du service rendu devient essentielle . Les exigences vis-à-vis des travailleurs sociaux
deviennent plus complexes.
Les travailleurs sociaux font face à des situations de paupérisation croissante, et la pression
exercée par les publics en situation de détresse est grande. De plus, le poids croissant des tâches
administratives réduit le temps consacré à l’accompagnement social. Les travailleurs sociaux ont alors
l’impression que leur travail est dévalorisé et réduit au traitement de l’urgence et à la distribution
d’aide, au lieu d’un véritable accompagnement d’une personne ou d’une famille. L’introduction de
logiques managériales dans la gestion des équipes de travailleurs sociaux entraîne parfois un
sentiment de malaise devant une accélération des cadences de travail, une plus grande monotonie
du travail…
22
Jean-Noël Chopart, Les mutations du travail social. Dynamique d’un champ professionnel, Dunod, Paris, 2000.
Extrait dans : Le travail social, Problèmes politiques et sociaux, la Documentation française, n°890, 2003
23
Jaques Ion, Bertrand Ravon, Les travailleurs sociaux, La Découverte, Paris, 2002. Extrait dans : Le travail
social, Problèmes politiques et sociaux, la Documentation française, n°890, 2003
18
Au cœur du travail social, le métier d’assistant social est naturellement touché par ces
bouleversements. La polyvalence de secteur a longtemps été le mode privilégié d’exercice du métier
d’assistant social. Depuis quelques années, le métier évolue vers une plus grande spécialisation, la
sectorisation est remise en cause et parfois supprimée, et la polyvalence souffre d’une image
dégradée auprès des jeunes assistants sociaux. Parallèlement, la participation des assistants sociaux
à des actions de type collectif devient plus fréquente : la relation individuelle d’aide psycho-sociale
perd de l’importance au profit d’un travail social plus participatif. Enfin, les travailleurs sociaux
défendent le secret professionnel sur lequel s’appuie leur pratique : l’utilisation des technologies de
l’information et de la communication implique de redéfinir les modalités du partage de données dans
le respect du secret professionnel.
Action sociale et politique de la ville : quelle territorialisation des politiques sociales ?
Le but de la décentralisation est de rendre les politiques publiques plus efficaces en
rapprochant leur conception des conditions locales et en accroissant la responsabilité politique des
élus. En matière d’action sociale cependant, la décentralisation n’accorde pas de marges de
manœuvre importantes aux collectivités territoriales, car les dispositifs les plus importants
demeurent définis au niveau national, même s’ils sont gérés au niveau local. Le cas du RMI illustre ce
paradoxe : depuis le 1er janvier 2004, Le RMI est complètement géré et financé par les Conseils
généraux, en application de la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation du RMI et création du
RMA. Le montant du RMI et les critères de condition d'accès restent de la compétence nationale,
alors que l'ouverture des droits, les conditions de versement des allocations ou les radiations relèvent
maintenant de la compétence des Conseils généraux. Les départements n’ont donc aucune possibilité
d’influer sur le niveau d’une charge financière dont ils supportent l’intégralité.
Au contraire de l’action sociale, la politique de la ville, qui relève plutôt de la sphère du
développement social, est par nature fortement territorialisée, et les dispositifs sont conçus pour
être pertinents avec la situation des quartiers concernés. On observe une certaine homogénéité des
actions mises en œuvre, mais l’expérimentation est plus courante que dans le champ de l’action
sociale traditionnelle, du fait que les actions concernées sont plus de l’animation au sens large que de
l’action sociale traditionnelle (distribution d’aides financières et accompagnement social).
A partir de la notion de territoire pertinent pour l’action publique, deux approches différentes
24
peuvent être distinguées ;
- la territorialisation d’une action ou d’un projet renvoie à une démarche descendante. C’est une
tentative d’appliquer localement, sur un territoire donné, un projet défini à un échelon territorial
supérieur. On cherche alors le territoire le plus pertinent pour opérationnaliser l’action envisagée, le
plus efficacement possible.
- les projets de territoire renvoient à une démarche ascendante. Il s’agit pour les différents acteurs
mobilisés et impliqués (élus, population, acteurs institutionnels et professionnels) de définir euxmêmes leur territoire et leur projet de développement.
Dans la pratique, un compromis est souvent trouvé entre les deux approches, car il y a une
interface obligée entre les actions définies à l’échelon central et celles construites à l’échelle d’un
territoire. Cependant, au contraire de la politique de la ville qui répond, sur le papier du moins, à une
démarche ascendante, l’action sociale traditionnelle est largement territorialisée de manière
descendante, par exemple à travers le découpage des circonscriptions d’action sociale des Conseils
24
Actes de la journée de lancement de l’expérimentation nationale « Projets sociaux de territoire », 8 octobre
2002, document disponible sur le site de la DIV.
19
généraux et des secteurs de polyvalence. Le découpage territorial est souvent fin, mais il n’entraîne
pas réellement la définition de politiques différenciées en fonction des particularités des
territoires. La logique de l’action sociale est en grande partie celle d’un service public, assuré de
manière relativement homogène à tous les habitants d’un territoire donné. Ainsi, chaque habitant d’un
département est couvert par une circonscription d’action sociale appliquant la même politique définie
par le Conseil général, en fonction de ses compétences et des contraintes légales. Ce système est
un moyen d’assurer une égalité territoriale entre les citoyens, quel que soit leur lieu de
résidence. Cependant, elle ne prend pas en compte les particularités des quartiers en difficulté,
ou alors de manière empirique à travers l’adaptation empirique des méthodes de travail des
intervenants sociaux.
Un Projet social de territoire a pour objectif d’adapter les interventions sociales, y compris
l’action sociale traditionnelle, aux besoins repérés dans le quartier concerné. Quelle action
25
territorialisée peut être pertinente en matière sociale? Le plan de cohésion sociale et la loi de
programmation pour la cohésion sociale, adoptée le 20 décembre 2004 et promulguée le 18
janvier 2005, définissent les orientations de l’Etat en matière sociale autour de trois piliers :
l’emploi, le logement et l’égalité des chances. Un financement de 12,8 milliards d’euros sur 5 ans
est prévu. Le plan de cohésion sociale prend faiblement en compte les disparités territoriales à
travers la mise en œuvre d’actions territorialisées. En effet, la plupart des dispositifs proposés
concernent l’ensemble du territoire national, même si certains programmes dénotent une volonté de
mieux coordonner les actions au niveau d’un territoire pertinent et de plus impliquer les acteurs
locaux, y compris par des financements renforcés. C’est par exemple le cas du programme 1 portant
sur la création des maisons de l’emploi, qui visent à renforcer la coordination locale en matière de
politiques de l’emploi, mais qui pourront être créées dans tous les territoires. De plus, il est prévu, au
sein du programme 18 consacré à la restauration du lien social, la conclusion de chartes territoriales
d’action sociale, qui pourraient constituer un pas en direction d’une contractualisation et d’une
territorialisation accrues des politiques sociales.
Seules les actions proposées par le plan de cohésion sociale en matière éducative sont
explicitement centrées sur des territoires en difficultés, en particulier avec la mise en place
d’équipes de réussite éducative dans les zones d’éducation prioritaire (programme 15). L’application
du volet éducatif est d’ailleurs confiée à la Délégation Interministérielle à la Ville, qui se trouve ainsi
recentrée sur le champ de l’égalité des chances, après le transfert des actions urbaines dans le
champ de compétences de l’ANRU. La quasi-absence de mention de la géographie prioritaire de la
politique de la ville dans le plan de cohésion sociale indique le refus d’une politique sociale
dérogatoire, confirmé par la remise en question des Contrats de ville après 2006.
Une politique sociale dérogatoire dans les quartiers en difficulté est-elle nécessaire? La
question mérite d’être posée, d’autant que certains interrogent à l’échelle nationale la particularité de
la population des quartiers dits sensibles. A quel point les problématiques sociales des quartiers sont
26
tellement différentes des problèmes observés ailleurs ? Christophe Guilly et Christophe Noyé ,
esquissent une géographie des classes populaires et affirment que « contrairement aux idées
reçues, les fractures territoriales n’opposent pas les "quartiers difficiles" aux autres territoires,
pas plus qu’elles ne séparent une minorités d’exclus d’une majorité de personnes bien intégrées ». Ils
montrent que les ouvriers et les employés réunis représentent une part constante de la population
depuis l’après-guerre, et que les classes populaires se concentrent de plus en plus dans les
espaces périurbains. La métropolisation des emplois tertiaires supérieurs, la désindustrialisation des
villes et les caractéristiques du marché immobilier sont les principales causes de la gentrification des
centres-villes et des banlieues anciennes, alors que les classes populaires se trouvent reléguées dans
25
disponible sur http://www.cohesionsociale.gouv.fr/DP.PCS.pdf
Atlas des nouvelles fractures sociales en France, Les classes moyennes oubliées et précarisées, Christophe
Guilly et Christophe Noyé, éditions Autrement, 2004
26
20
les périphéries des grandes agglomérations et les interstices du tissu urbain. Les dynamiques
observées sur 3 à 4 périodes intercensitaires ont produit une recomposition sociale des territoires. Les
ZUS apparaissent alors comme « des quartiers sensibles au cœur de métropoles
embourgeoisées », des enclaves dont les caractéristiques sociales s’éloignent de plus en plus de
celles des agglomérations auxquelles elles appartiennent.
Mais les ZUS, si elles ne concentrent à l’évidence pas toutes les personnes connaissant des
difficultés sociales, possèdent une visibilité que n’ont pas les espaces périurbains. On peut à ce sujet
rappeler que les « banlieues » sont devenues un thème d’action publique suite à la médiatisation de
quelques émeutes urbaines des années 1980. Les jeunes des quartiers, souvent issus de
l’immigration, sont parvenus à se faire entendre des médias et donc des responsables politiques, à
travers aussi bien des épisodes violents que des mobilisations citoyennes revendicatrices, de la
Marche des Beurs de 1983 au mouvement Ni putes ni soumises. La concentration de populations
immigrées ou d’origine immigrée est une particularité de la plupart des quartiers d’habitat social
classés en ZUS : s’il est justifié de rappeler que l’habitat des couches populaires précarisées
par la mondialisation ne se situe pas uniquement en ZUS, les particularités des ZUS doivent
également être considérées. En matière d’action sociale, il semble alors légitime de garantir à tous
les habitants, quel que soit leur lieu de résidence, un accès égal aux principaux dispositifs d’aide, tout
en prenant en compte les particularités de la population des ZUS. Des dispositifs dérogatoires sont
acceptables à partir du moment où ils ne remettent pas en cause les garanties accordées par
les dispositifs nationaux, mais où ils apportent des réponses mieux adaptées aux habitants
des quartiers cumulant des handicaps.
Les modes traditionnels de l’action sociale ont été remis en question par les conséquences
de la crise économique depuis les années 1970, et la montée en puissance des interventions
alternatives de développement social. La territorialisation de l’action publique en matière
sociale ne comporte actuellement pas de véritable adaptation aux besoins des quartiers en
difficulté. L’ambition d’un PST est de dépasser le clivage entre action sociale traditionnelle et
politiques de développement social, au service des besoins sociaux d’un territoire. Cet
objectif est loin d’être évident à transposer en une méthode pour une démarche partenariale
de projet dans le champ social.
21
2. Une démarche de projet en matière sociale à l’échelle d’un territoire : des
difficultés à surmonter
Un projet social : l’importation d’une méthode
Par rapport aux interventions sociales existantes (action sociale traditionnelle, politique de la
ville…), quel est l’intérêt d’introduire une démarche de projet dans le champ social ? La construction
d’un projet est une façon d’aborder l’action publique, une méthode fondée sur l’observation partagée
de problèmes, la mise en place d’actions pour tenter d’y remédier, et, dans l’idéal, l’évaluation des
résultats obtenus. Mais au delà de la démarche, jusqu’où pousser le parallèle entre projet urbain et
projet social sur le fond ?
La logique des projets de rénovation urbaine, encouragée par la création de l’ANRU, est
fondée sur la concentration de crédits importants sur des opérations d’envergure destinées à modifier
durablement l’image des quartiers concernés. Il apparaît relativement évident que l e s
investissements nécessaires à une véritable restructuration urbaine sont importants. En
revanche, en matière sociale, la question des investissements est rarement évoquée en ces termes.
Or, pour sortir de la logique de guichet souvent reprochée à l’action sociale, et entrer dans une logique
de projet, on peut tenter de distinguer ce qui relève du fonctionnement et de l’investissement en
matière sociale. Les investissements dans le social, donc l’humain, sont moins facilement
définissables et mesurables que les investissements dans la pierre. Les investissements sociaux
pourraient être de deux ordres : d’une part, les équipements sociaux qui manquent dans certains
quartiers constituent un point de convergence entre projet urbain et projet social ; d’autre part, peuvent
être considérées comme des investissements des actions qui permettent aux individus concernés
de sortir d’une situation de dépendance vis-à-vis des institutions sociales. Ne pourrait-on pas
considérer l’éducation, la formation continue ou l’insertion professionnelle des demandeurs
d’emploi comme des investissements sociaux ? Les implications en terme de politiques publiques ne
sont pas immédiates : il ne s’agit pas d’abandonner les autres domaines d’intervention, mais peut-être
de penser les différentes actions envisagées avec un objectif de qualification des individus, de
recherche d’autonomie et de pérennisation par une dynamique locale.
Sur la forme, le parallèle entre projet urbain et projet social peut paraître plus simple à
envisager : schématiquement, les étapes d’une démarche de projet peuvent être appliquées au
champ social à travers la réalisation d’un diagnostic local, la constitution d’un partenariat entre les
différents acteurs institutionnels concernés, la définition d’objectif partagés et portés politiquement, la
déclinaison d’un programme d’actions et la recherche des financements correspondants,
éventuellement la concertation, puis la mise en œuvre et l’évaluation des résultats. Cependant, ces
étapes sont loin de s’enchaîner avec facilité, d’autant plus que les intervenants sociaux ne possèdent
pas nécessairement une culture du travail partenarial. La méthode doit donc être adaptée aux
spécificités du champ social.
Le diagnostic, un outil pour connaître les besoins du territoire : une méthode difficile
à établir
Pour mener une démarche de projet dans le champ social, il est indispensable de commencer
par une phase de diagnostic : la construction d’un projet doit s’appuyer sur une connaissance fine du
territoire. Une réflexion préalable au diagnostic doit être menée sur la caractérisation sociale
22
d’un territoire : quelle est l’échelle pertinente ? Quels sont les indicateurs sociaux qui offriront la
connaissance la plus fine possible ? Comment collecter et analyser des données qualitatives ?
Avant le lancement de la démarche se pose la question de la définition de l’échelle la plus
pertinente pour mettre en œuvre un projet social. Cela renvoie à la justification et à la cohérence de
l’utilisation du quartier comme échelle territoriale privilégiée de la politique de la ville. Chacune des
institutions du champ social utilise des périmètres de travail différents. La perception des territoires
vécus doit également être prise en compte. Devant l’absence de concordance des périmètres, le
quartier, tel qu’il est défini par la politique de la ville, est souvent l’échelle privilégiée car il est
supposé homogène socialement et il constitue une unité territoriale pour certaines politiques
publiques. Cependant, l’analyse de la réalité vécue correspondant à la notion de quartier devrait être
27
approfondie . Le diagnostic, qui repose sur des données issues de sources différentes, se heurte
souvent à un problème de disponibilité des données à l’échelle choisie.
La réflexion sur l’analyse sociale d’un territoire et sur la compréhension des dynamiques
sociales qui y sont à l’œuvre est nécessairement conditionnée par les sources disponibles. Dans
l’absolu, un diagnostic social pourrait concerner toutes les caractéristiques de la population :
composition familiale, emploi, conditions de logement, revenus, origine ethnique, parcours
résidentiel, implication dans la vie sociale du quartier, aspirations pour l’avenir… Dans la
réalité, il faut dès le début de la phase de diagnostic prendre en compte l’absence de certaines
données, l’imprécision ou l’obsolescence de certaines autres. Les données les plus complètes
proviennent du recensement général de la population : cependant, en attendant que les données
recueillies avec la nouvelle méthode de recensement soient disponibles, ces données sont vites
obsolètes, spécialement quand le taux de rotation est élevé. De plus, dans les quartiers sensibles, les
résultats du RGP sont souvent biaisés : vacance surestimée, population sous-estimée du fait de
l’absence de prise en compte des personnes hébergées… Ces questions méthodologiques sont
importantes car elles conditionnent tout le diagnostic : pour obtenir une connaissance la plus
complète et la plus objective possible de la population habitant un quartier, il convient de s’interroger
sur les différentes sources accessibles et sur les conditions de leur exploitation.
Une analyse quantitative apporte des éléments non négligeables de caractérisation du
quartier, mais ne peut pas prétendre constituer une connaissance exhaustive de sa réalité
sociale. D’une part, le champ couvert par les données chiffrées est inévitablement limité du fait du
mode de constitution des sources statistiques. D’autre part, une connaissance qualitative est
absolument nécessaire pour mieux caractériser les phénomènes observés grâce aux statistiques et
pour dégager les dynamiques à l’œuvre parmi la population.
Pour les Pyramides, les statistiques disponibles permettent de connaître certaines catégories
de population, qui se recoupent en partie :
- Les caractéristiques de l’ensemble de la population de 1999 sont assez bien connues à travers le
RGP, mais la taille et la composition de la population peuvent avoir assez fortement changées en 5
ans, du fait du taux de rotation estimé à 12% par an pour la moyenne du parc social et du parc privé.
- La population allocataire de la CAF, bien connue à travers les données fournies par l’observatoire
social de la CAF, représente une part importante de la population totale (entre 70% et 80%), mais
avec une surreprésentation des familles et des ménages à bas revenus.
- Certaines données sur les locataires en titre d’un logement social sont connues par les
statistiques des bailleurs sociaux, mais elles manquent d’homogénéité à cause de modes de gestion
différents. De plus, elles ne concernent pas la population hébergée et les occupants sans titre. En
27
Par exemple le travail mené par Cédric Demange, Analyse de la notion de quartier à partir des pratiques
quotidiennes d'habitants d'un "quartier sensible" de Lyon et des représentations qu'ils associent au mot "quartier",
disponible sur http://doc-iep.univ-lyon2.fr/Ressources/Documents/Etudiants/Memoires/
23
revanche, malgré la précision d’une étude effectuée par le PACT ARIM, des données similaires
n’existent pas sur les occupants des copropriétés.
- Le nombre de bénéficiaires de la CMU est connu, ce qui permet de déduire des indications sur les
ressources des habitants, mais cette donnée ne comporte aucune précision sur le profil social et
familial des personnes concernées.
- Le nombre d’enfants fréquentant un établissement scolaire dans le quartier apporte une
connaissance complémentaire, mais il n’y a pas de garantie que tous les élèves habitent le quartier,
surtout pour le collège.
- La population fréquentant diverses institutions sociales (CCAS, Maison Départementale des
Solidarités, Mission locale / PLIE, centre social) est connue à travers les statistiques concernant leur
activité. Cela ne fournit cependant pas de renseignement sur les éventuels besoins non pris en charge
par les acteurs institutionnels.
Du fait des sources disponibles, le tableau de la réalité sociale du quartier apparaît donc
pointilliste. Pour avoir une vision globale du quartier, il est nécessaire d’effectuer des recoupements
d’informations portant sur les différentes catégories de population. Au total, une part importante de la
population du quartier est connue par au moins un de ses aspects, sachant que la population la
mieux couverte par les données est plus pauvre et plus familiale que l’ensemble du quartier.
En revanche, la population la plus aisée, composée de personnes isolée ou de couples sans enfant
est beaucoup moins bien connue, et de ce fait souvent ignorée dans les représentations du quartier.
Certaines catégories de population sont mal connues :
- Le nombre des personnes hébergées est difficile à évaluer. Elles sont incluses dans la population
scolaire et celle des bénéficiaires d’aides sociales, mais leur nombre et leurs caractéristiques
particulières ne sont pas connues. Il serait important de trouver des solutions pour mieux connaître
cette population étant donné son poids politique et symbolique dans les discours sur l’action sociale.
- Les occupants sans titre de logements du parc social ou privé sont mal connus : si le nombre de
logements squattés est renseigné par les bailleurs sociaux et l’étude du PACT ARIM sur le parc privé,
on ne dispose d’aucune information sur le nombre et le profil des occupants.
- Le nombre de personnes en situation irrégulière en France est par nature totalement inconnu, en
l’absence de statistiques sur l’aide médicale d’Etat ou les demandes d’asile qui pourraient permettre
une estimation.
- La population jeune est l’objet d’une grande attention, en particulier dans les discours des médias.
Cependant, elle est mal connue, car elle ne constitue pas une catégorie reconnue en tant que telle par
l’action publique : les conditions de vie, d’études ou d’emploi des jeunes, leurs activités et leurs
besoins sont absents des données disponibles.
- Les personnes âgées, relativement peu nombreuses dans le quartier, semblent peu prises en
charge par l’action publique. Leurs problématiques spécifiques sont de ce fait méconnues.
- La population des foyers est incluse dans les bénéficiaires d’aides mais, en l’absence
d’informations spécifiques liées à ce type de logement, ses caractéristiques sont mal connues.
- La population d’origine immigrée n’est pas connue en tant que telle. Il n’est donc pas possible
d’estimer sérieusement la part de la population d’origine immigrée, aucune donnée n’étant recueillie
par le RGP et les autres sources.
D’autre part, les données disponibles sont relativement statiques ; il apparaît difficile
d’analyser les données sociales en terme de flux et de stock, c’est-à-dire de connaître la vitesse
de renouvellement de la population, de qualifier l’évolution entre la population partante et la population
24
arrivante… Quelle part des évolutions sociales observées est imputable au renouvellement de la
population, quelle part à l’évolution de la situation de la population en place ?
La connaissance statistique de la population du quartier doit être complétée par des
données qualitatives. Les précautions méthodologiques doivent être encore plus grandes que pour
le recueil et l’exploitation des données quantitatives. Il faut identifier des personnes situées en position
d’observateur de la vie du quartier, définir le mode de recueil de données (questionnaire, entretien…)
permettant de minimiser la subjectivité des individus, solliciter un nombre de personnes suffisant pour
exploiter correctement les données… Les travailleurs sociaux de secteur, instituteurs ou directeurs
d’école, responsables associatifs et médiateurs socio-culturels, membres du conseil de quartier,
personnels médicaux ou médico-sociaux implantés dans le quartier, personnels de proximité des
bailleurs sociaux constituent des personnes ressources potentielles. Encore faut-il qu’ils travaillent
dans le quartier depuis suffisamment longtemps pour être susceptibles d’avoir perçu des évolutions, et
qu’ils disposent d’un recul nécessaire pour ne pas porter de jugement systématique sur leurs
observations. Les informations qualitatives issues de ces sources peuvent éclairer certaines
données statistiques, attirer l’attention sur un type de problème ou une catégorie de
population, mais le but du diagnostic est plutôt d’apporter une connaissance objective qui manque
aux professionnels de terrain pour mieux orienter leurs actions en confirmant ou en infirmant leur
ressenti.
La question de l’utilisation des données issues de l’activité des institutions sociales se
pose également : ces données sont utiles car elles permettent de quantifier certaines réalités sociales,
mais elles reflètent plus la façon dont les politiques publiques et les personnes qui les
appliquent caractérisent et priorisent les questions rencontrées. Les institutions ne répondent
sûrement pas à tous les besoins sociaux En effet, certaines personnes connaissent des situations qui
ne sont pas prises en compte par les circuits d’aide institutionnelle, d’autres peuvent prétendre à des
aides mais ne font pas valoir leurs droits à cause d’un manque d’information ou de difficultés à se
déplacer, à s’exprimer… C’est donc l’activité des institutions qui est mesurée plus que l’état social du
quartier. Cependant, connaître le nombre et le type d’aides accordées à la population d’un quartier
peut être très précieux à titre comparatif : en comparant le quartier à l’ensemble de la ville par
exemple, on repère, à travers la sur-représentation des aides accordées, les problèmes
particulièrement aigus dans le territoire concerné. De plus, la connaissance des actions réalisées par
les différents intervenants sociaux permet d’évaluer la couverture sociale d’un quartier, en terme de
populations et de problématiques couvertes, en terme de moyens humains et financiers affectés… Ce
recensement des actions existantes et la tentative d’évaluation de leur efficacité font partie
intégrante du diagnostic nécessaire préalablement à la mise en place d’un projet social
territorialisé.
La construction du projet : mettre en place un partenariat entre les acteurs du champ
social
A l’issue de la phase de diagnostic, il est nécessaire de mobiliser les partenaires potentiels
autour de la validation des résultats du diagnostic et de la construction des étapes suivantes
du projet. L’identification des partenaires n’est pas compliquée, mais il faut tenter de trouver un
équilibre dans l’implication des différentes institutions, en fonction de leur poids respectif politique,
financier ou institutionnel, de leur volonté… La présence d’un Groupement d’Intérêt Public dédié au
renouvellement urbain peut constituer un atout pour le partenariat : c’est en effet un acteur bien
identifié, qui joue un rôle d’animateur relativement neutre du partenariat, et facilite les relations entre
différents partenaires. Si le GIP a la volonté de profiter de la définition d’un projet de renouvellement
urbain pour construire un Projet social de territoire, ce qui est le cas pour les Pyramides, il peut jouer
25
un rôle moteur dans l’initiative de la démarche. Cependant, la légitimité du GIP à agir en matière
sociale semble plus difficile à établir qu’en matière urbaine, et le GIP reste dépendant pour
l’avancement du projet des institutions qui ont la capacité de faire.
Les acteurs intervenant dans le champ social doivent être associés à la définition des enjeux
et des objectifs du projet : la mise en place de groupes de travail réguliers peut permettre aux acteurs
de sortir des logiques purement internes à leur institution, de mieux connaître l’action des
autres partenaires, et de raisonner avec une culture partenariale qui n’est souvent pas
existante au début de la démarche de projet. Les institutions ont l’habitude de coopérer au quotidien
à travers l’orientation des usagers, la mise en place de partenariats ponctuels pour financer certaines
actions… mais elles n’échangent pas régulièrement d’informations sur les familles suivies dans le
cadre de différents dispositifs, elles ne réfléchissent pas à la complémentarité des actions qu’elles
mènent… Un des objectifs du Projet social de territoire est de modifier la culture de travail des
partenaires, de les amener à partager leurs expériences de travail dans le quartier et à construire un
projet ensemble et non des projets parallèles, parfois convergents, mais ne mutualisant pas
les ressources disponibles. Il est cependant évident que chaque institution va continuer à avoir des
missions spécifiques, des orientations propres, décidées au niveau politique, et une culture et des
méthodes particulières, mais cela n’empêche pas une coordination en amont et la définition d’actions
communes.
Quelle place dans la démarche de projet pour les habitants et les usagers de l’action
sociale ?
La question de la participation des citoyens, en tant qu’habitants du quartier ou qu’usagers de
l’action sociale, à la définition d’un projet social, est cruciale mais difficile : la méthode définie par la
DIV pour l’expérimentation des PST insiste sur l’importance d’obtenir une telle participation, mais
l’observation des résultats sur les 20 sites pilotes note partout un déficit en la matière. Généralement,
les professionnels de l’action publique à caractère social sont méfiants vis-à-vis de la
possibilité d’introduire les habitants dans la démarche de projet social : ils craignent de perdre la
maîtrise du processus, de susciter des demandes et des attentes auxquelles il leur sera impossible de
répondre… Certes, la manière de « canaliser » la concertation doit être étudiée avec soin, mais la
participation des habitants est indispensable si on souhaite véritablement placer le projet dans une
logique d’action ascendante.
Une réflexion sur les finalités de la participation des habitants implique de revenir sur la
définition des objectifs d’un PST. Une première ambition pour un projet social peut être la
territorialisation accrue des politiques d’action sociale et le renforcement des moyens attribués
localement à certains thèmes prioritaires : la démarche peut alors être partenariale et
décloisonnée, mais elle demeure descendante, les institutions appliquant dans le quartier des
solutions élaborées par les professionnels. Il est probable que les actions résultants d’une telle
démarche descendante ne seront pas très différentes des actions existantes : il s’agira alors dans le
meilleur des cas de bénéficier de moyens renforcés. Si l’on considère en revanche que les politiques
sociales conduites depuis des années atteignent leurs limites face à la situation des quartiers dits
sensibles, qu’elles parent au plus pressé en traitant les situations d’urgence mais sont impuissantes à
réaliser un travail de développement avec les habitants, alors il faut inverser la logique descendante
de l’action publique. Il faut permettre aux habitants d’exprimer leurs attentes et leurs
potentialités, et tenter de mettre en œuvre un véritable processus de développement social
territorial. De l’association des habitants à la démarche de projet peuvent émerger des solutions
innovantes, alors que les professionnels ont tendance à penser en terme de réponses institutionnelles
pré-existantes. Le schéma idéal est donc la constitution de groupes d’habitants, à qui on ménage un
26
28
espace de parole libre et ouvert, sans pour autant créer des attentes insensées . Ce modèle n’est
pas évident dans la réalité : il faut mobiliser des personnes volontaires pour donner de leur temps et
représentatives de la population du quartier, il faut mettre en place les conditions d’échanges avec les
institutions non fondés sur la réclamation et l’intérêt personnel, il faut que le projet soit ouvert pour
prendre en compte les demandes et les solutions émergentes. Devant ces difficultés, les
professionnels choisissent souvent d’élaborer le projet social entre eux : c’est la cas dans la plupart
des sites d’expérimentation des PST comme à Evry.
Pour filtrer la demande émanant des habitants, les institutions sociales ont souvent recours à
des relais, des intermédiaires dont le rôle est de retranscrire la demande sociale dans des
termes recevables et directement exploitables par les institutions : il s’agit d’une part des
associations et d’autre part des instances de démocratie participative du type conseil de
quartier. Ces intermédiaires constituent effectivement des outils de mobilisation de la population et de
structuration de l’expression, mais leur représentativité est parfois discutable. Les conseils de quartier
ont des modes de recrutement et de fonctionnement différents suivant les communes. Dans la plupart
des cas cependant, ils réunissent une proportion très limitée de la population du quartier, avec une
forte sous-représentation des jeunes, des personnes d’origine immigrée… Le monde associatif est
particulièrement valorisé dans les quartiers, où ses actions sont subventionnées par les crédits de la
politique de la ville. La plupart des associations sont effectivement nées de la mobilisation
citoyenne de quelques habitants dans le but d’interpeller les pouvoirs publics sur un/des
problème(s) et d’apporter des solutions concrètes. Mais les associations, si elles sont absolument
essentielles pour la vie du quartier à travers les activités sociales, éducatives, de médiation… qu’elles
proposent, s’éloignent souvent de l’expression de besoins, voire de revendications, au fur et à
mesure qu’elles se professionnalisent.
A titre d’exemple, il est possible d’établir une typologie des très nombreuses associations
intervenant dans le quartier des Pyramides, en fonction de leur taille, de leur objet et leurs activités, de
leur dépendance vis-à-vis des subventions publiques… On peut distinguer :
- Les « associations-institutions », qui ont un statut quasiment institutionnel : elles sont largement
financées par des fonds publics, reconnues comme des partenaires dans la mise en œuvre de
politiques publiques, elles ne s’inscrivent pas dans une logique ascendante, à l’initiative d’acteurs de
terrain, mais comptent des institutions parmi les membres de leur conseil d’administration. Elles sont
très professionnalisées (pas de bénévolat), et leur assise territoriale est large. Cette catégorie
regroupe des associations comme l’Union Départementale des Associations Familiales, le Service
d’Action Educative en Milieu Familial, l’épicerie sociale Episode…
- Les associations caritatives sont le plus souvent des associations nationales financées par des
subventions publiques et des dons. Elles s’inscrivent dans une logique d’aide sociale et entretiennent
peu de liens avec leur territoire d’intervention. Elles mobilisent l’action de bénévoles. Les associations
caritatives intervenant à Evry sont le Secours populaire, le Secours catholique, les Restos du cœur, la
Croix rouge française, Emmaüs…
- Les associations locales labellisées politique de la ville, créées par des initiatives locales, sont
fortement territorialisées, souvent à l’échelle du quartier. Elles s’inscrivent à l’origine dans une
démarche militante de mobilisation citoyenne, de service à la population et de participation. Elles sont
reconnues en tant que partenaires des institutions, et sont largement financées par les crédits de la
politique de la ville (subventions annuelles ou appels à projet). On peut citer Génération femmes,
Europe Afrique, le Collectif parents 91. Ces associations ont tendance à se professionnaliser, et
travaillent main dans la main avec les institutions locales, en particulier la mairie. Elles sont souvent
28
Une méthode de participation des habitants dans le champ social est proposée dans Mettre en œuvre le
développement social territorial, Jean-François Bernoux, Dunot, 2002
27
sollicitées en tant que porte-parole des aspirations de la population des quartiers, mais elles tendent à
s’en déconnecter.
- Les associations locales thématiques servent de support à des activités, le plus souvent
culturelles, sportives ou de loisirs. Elles sont plus informelles et souvent financées principalement par
leurs adhérents. Les associations de locataires, relativement peu dynamiques aux Pyramides,
pourraient être classées dans cette catégorie.
- Les associations militantes non institutionnalisées sont très peu nombreuses. Droit au logement,
dont l’antenne essonnienne est située dans un quartier voisin des Pyramides, fait partie de cette
catégorie. L’association adopte une position très revendicative, fortement anti-institutionnelle, permise
par son indépendance financière. On peut également rattacher à cette catégorie l’association Permis
de Vivre la Ville, créée à l’initiative de la fondation Abbé Pierre, qui, bien que financée en grande
partie par des subventions de la politique de la ville, mène une action de développement social hors
des logiques institutionnelles classiques, n’hésitant pas à s’opposer localement aux institutions pour
défendre un objectif de développement basé sur des initiatives et des dynamiques internes au
quartier.
Les relais à travers lesquels solliciter la participation des habitants à la dynamique de projet
social sont donc réduits : à défaut de construire toute la démarche de projet autour de l’implication des
habitants dans le développement de leur quartier, un moyen d’associer les personnes les plus
concernées pourrait être de solliciter la participation des usagers des institutions d’action sociale.
Il n’y a pas une méthode idéale de construction d’un Projet social de territoire, mais certaines
questions de méthode doivent être résolues pour permettre un travail partenarial serein. Il
s’agit des moyens de connaissance de la population et de ses problématiques sociales, du
mode d’organisation du partenariat, et de la structuration de la participation des habitants. En
terme de méthode, l’objectif est de se situer au plus près de la situation concrète sur le
terrain et de garder le champ ouvert pour des propositions d’actions innovantes, susceptibles
d’enclencher une dynamique de développement local.
28
3. Un PST pour les Pyramides ?
Les principaux éléments du diagnostic
Une population jeune et familiale
La population du quartier des Pyramides est jeune, les familles sont nombreuses et ont de
jeunes enfants. Le RGP de 1999 soulignait que les Pyramides étaient un des quartiers les plus jeunes
de l’agglomération (avec 72% des habitants en dessous de 40 ans). Les familles avec des enfants
constituent toujours une part importante de la population, ce qui se traduit par des effectifs scolaires
élevés, surtout pour les jeunes enfants scolarisés en maternelle.
Une partie de la population des Pyramides est assez mobile : il s’agit surtout des jeunes
ménages, qui sont au début de leur parcours résidentiel. Les données concernant le taux de rotation
dans le parc social confirment le fort taux d’emménagement (15% par an) constaté par le RGP en
1999 ; la présence de foyers et les phénomènes d’hébergement renforcent la tendance à la mobilité
de la population du quartier.
Taux de familles monoparentales parmi les
allocataires de la CAF
0,25
0,2
18,3%
18,0%
17,0%
19,7%
18,1%
17,0%
0,15
17,7%
16,5%
14,9%
2001
2002
0,1
2003
0,05
0
Evry
Pyramides
Bois sauvage
Les familles monoparentales sont
de plus en plus nombreuses, et leur
situation est parfois difficile.
Tous les professionnels présents
dans le quartier observent la
présence
croissante
d’une
population au profil spécifique : de
jeunes mères de familles isolées,
souvent hébergées, dont la
situation est très précaire.
Source : Observatoire social de la CAF/ GIP Centre Essonne, 2004
Les conditions de logement sont une question centrale
Les statuts d’occupation des habitants du quartier des Pyramides sont diversifiés : environ
40% du parc est composé de copropriétés, le reste étant des logements sociaux ainsi que plusieurs
foyers importants.
Les questions de l’hébergement et de la suroccupation des logements se posent de manière
importante. Cependant, aucune des données communiquées ne permet d’établir une estimation
sérieuse du nombre de personnes hébergées chez des amis ou de la famille dans le quartier des
Pyramides. Bien que les personnes hébergées occupent une place importante dans les discours
techniques et politiques sur le quartier, leur nombre et leur situation sont très largement méconnus :
quelle part d’entre eux est en situation irrégulière sur le territoire ? Quelle part occupe un emploi ?
Combien d’enfants sont scolarisés ?
29
Il est probable que cet « angle mort » de l’analyse explique pour partie les phénomènes sociaux
ressentis au quotidien par les habitants et les travailleurs sociaux, et influe sur les dynamiques
démographiques et sociales du quartier.
Propriétaires occupants
Locataires parc social
Personnes
hébergées
Squats
Squats
Locataires parc privé
Locataires foyers
Statuts d’occupation de la population du quartier des Pyramides
GIP Centre Essonne
Environ la moitié des locataires bénéficient d’une allocation logement. La proportion est plus
élevée pour les locataires d’un logement social ayant droit à l’APL (53,5%). Malgré les aides
financières versées, les difficultés financières liées au logement sont nombreuses. Les loyers des
logements sociaux des Pyramides sont en effet élevés, du fait de l’âge des bâtiments et de la grande
surface des logements. Une part importante des locataires rencontre des problèmes de paiement de
loyer : les bailleurs sociaux comptent 316 dossiers impayés de moins de 3 mois et 214 dossiers
d’impayés de plus de 3 mois. Dans certaines copropriétés, les impayés de charges sont également
élevés.
Une part croissante de la population avec des revenus faibles, particulièrement des
familles
29
La part des ménages à bas revenus aux Pyramides est très supérieure à l’ensemble d’Evry,
et leur nombre augmente. De plus, la taille de ces ménages augmente, ce qui a pour conséquence
une croissance rapide du nombre de personnes vivant sous le seuil de bas revenu : + 6,4 % entre
2001 et 2003. Les familles monoparentales constituent une part croissante de la population précaire
des Pyramides.
29
La CAF définit un seuil de bas revenus par unité de consommation par la demi-médiane des revenus
disponibles, calculée par l’INSEE à partir de l’enquête « Budget des familles ». Pour l’année 2003, le seuil de bas
revenus mensuels est de 718,97 € par unité de consommation. A titre de comparaison, le seuil de pauvreté est
de 608€ par unité de consommation et par mois.
30
Proportion de ménages allocataires sous le seuil de
bas revenus
36%
34%
Evry
32%
Pyramides
30%
Bois
sauvage
28%
26%
24%
2001
2002
2003
En 2003, les revenus
d’environ
10%
de
la
population des Pyramides
proviennent de minima
sociaux (RMI, API et AAH),
contre 7% de l’ensemble de la
population d’Evry. Le nombre
de ménages bénéficiant du
RMI augmente très fortement
depuis quelques années : la
tendance de hausse observée
au niveau national est donc
plus marquée dans le quartier.
Source : Observatoire social de la CAF/ GIP Centre Essonne, 2004
La représentation des groupes de population dont les revenus sont connus met en évidence
que, si les personnes touchées par la pauvreté sont nombreuses, près de la moitié de la population ne
bénéficie d’aucune aide sociale, car ses revenus sont supérieurs aux seuils d’accès aux différentes
aides. De plus, un groupe intermédiaire se dégage, constitué de personnes ayant une activité, mais
dont les revenus faibles ou irréguliers ne permettent pas de vivre sans recourir à des prestations
sociales. Les professionnels ont apprécié cette lecture « en creux » des phénomènes de pauvreté, qui
confirmait certaines de leurs intuitions et contredisait les représentations dominantes catastrophistes
du quartier.
Personnes hébergées
Nombre ?
Quartier des Pyramides
3038 ménages
9418 personnes
Minima sociaux
500 ménages
968 personnes
Bénéficiaires CMU
1703 personnes
Bénéficiaires allocation
logement
1847 ménages
4672 personnes
Seuil de bas revenus
882 ménages
2320 personnes
Représentation de la population des Pyramides en fonction de ses revenus
GIP Centre Essonne
31
A la suite de l’exposé des principaux éléments de diagnostic social, on peut conclure qu’une
part importante de la population des Pyramides connaît une situation économique difficile,
mais que les tendances ne sont pas aisées à cerner objectivement. Parallèlement, l’étude des
actions menées par différentes institutions et par les associations en matière sociale (au sens large)
montre que l’offre sociale est importante dans le quartier et dans la ville, et qu’aucun besoin de la
population n’est complètement ignoré par l’action publique. Cependant, du fait de ses caractéristiques
(jeunesse, origine immigrée récente, mobilité…), une part de la population n’a certainement pas accès
aux structures d’accompagnement social, sauf dans les situations d’urgence (rupture d’hébergement,
enfant en danger…).
Que faire ? Esquisse d’un projet social utopique…
A partir du travail de diagnostic, des enjeux se dégagent pour le quartier des Pyramides, et
des thèmes de travail prioritaires en découlent.
- La jeunesse de la population tout d’abord constitue un enjeu pour l’avenir. Cela implique de
considérer la réussite des enfants et des jeunes comme un objectif prioritaire. Plusieurs
domaines sont concernés : l’école et l’éducation bien sûr, mais aussi la santé, la parentalité et la
famille, la prévention précoce… Dans tous les domaines, on peut envisager de concentrer une partie
de l’action sociale sur les enfants et les jeunes.
- Les origines ethniques diverses, souvent récentes, de la population constituent un autre défi à
relever. Il s’agit de raisonner en évitant deux écueils : d’une part l’absence de prise en
considération des origines des personnes immigrées, qui confine à l’assimilationnisme, et d’autre
part l’encouragement d’un communautarisme dégradant et excluant. Les institutions ont
longtemps hésité entre ces deux attitudes : les services sociaux classiques sont relativement
indifférents à la question des origines ; l’Education nationale, après une phase d’expérimentations
pédagogiques basées sur l’origine des élèves, adopte une posture très républicaine. Toutes les
institutions doivent aujourd’hui trouver une voie médiane entre ces deux positions, c’est-à-dire prendre
en compte les origines des personnes comme une ressource potentielle, tout en ne les y enfermant
pas. Les implications concrètes ne sont pas évidentes, et peuvent aller à l’encontre de la tradition
française de neutralité des institutions. Dans tous les cas, les questions de l’intégration et de la lutte
contre les discriminations méritent d’être au centre d’une réflexion collective dans le cadre d’un
projet social, d’autant plus qu’elles sont transversales à de nombreux thèmes.
- Les conditions de logement et le cadre de vie sont un sujet en soi, puisqu’ils constituent le
principal point commun des habitants du quartier. L’enjeu dans ce domaine est l’articulation entre le
projet social et le projet urbain, et même en un sens la réussite du projet urbain. En effet, pour que
les effets des actions urbaines engagées (135 démolitions, 100 constructions neuves, 697
réhabilitations et résidentialisations, 1500 places de parkings réhabilitées et sécurisées…) soient
durables sur le cadre de vie des habitants, il faudrait profiter de l’occasion ainsi créée pour favoriser
l’adéquation des logements aux besoins des habitants, l’appropriation des espaces privés, l’utilisation
respectueuse des espaces publics… Une réflexion sur l’habitat dans ses dimensions variées mérite
d’être menée, car c’est du lien entre les habitants et le territoire que part toute la démarche de projet
social.
- L’enjeu de la mobilité et de l’évolution du peuplement du quartier dépasse le champ du PST, et
relève plutôt du PLH actuellement à l’étude à l’échelle de l’agglomération ou même de la Conférence
Intercommunale du Logement, existante pour un bassin d’habitat de 32 communes, mais
complètement inactive. Cependant, la cohérence entre les différentes échelles doit être recherchée, et
32
la question qui se pose est celle du projet politique pour le peuplement du quartier. La diversification
de la population doit-elle être recherchée par l’arrivée de nouveaux habitants plus favorisés, ou par la
fixation des habitants actuels et leur progression sociale ? La question est elle plutôt : comment
faire rester ceux qui ont les moyens de partir ? Ou comment attirer ceux qui ne veulent pas
venir ? Ces questions méritent des réponses politiques claires, qui auront nécessairement des
conséquences sur les objectifs du PST du quartier.
- Enfin, même s’il dépasse le cadre du PST, l’enjeu du développement économique du quartier est
crucial pour son avenir. Le classement en Zone Franche Urbaine en 2004 ne semble pour l’instant
donner lieu à aucune dynamique locale : il est vrai que l’espace manque pour l’implantation
d’entreprises importantes, mais il y a certainement des pistes du côté de la création d’entreprises par
des habitants sans emploi. Là encore, il s’agit de rechercher une cohérence, une synergie entre projet
social et projet de développement économique.
Les thèmes de travail possibles sont multiples, à l’image de la réalité du quartier. Les
différents partenaires du projet sont plus ou moins intéressés par les différents sujets. Cependant, il
n’est pas impossible de les synthétiser en quatre domaines : la famille, l’enfance et la parentalité,
l’intégration et la lutte contre les discriminations, l’habitat et le cadre de vie, l’insertion professionnelle
et l’emploi. Le passage d’une démarche de réflexion partenariale destinée à faire émerger des thèmes
prioritaires à la mise en oeuvre d’actions concrètes n’est pas évident. Au moment de l’écriture de ce
mémoire, il est envisagé de recourir à l’assistance méthodologique et technique d’un cabinet de
conseil pour décliner les axes de travail en programme d’actions.
En l’absence des multiples contraintes extérieures existantes, on peut tenter d’imaginer les
types actions qui pourraient être menées dans les différents domaines identifiés.
- Tout d’abord, certains dispositifs existants ne répondent pas quantitativement à la demande
potentielle : c’est le cas le plus simple, qui pourrait se résoudre par une augmentation des moyens.
Par exemple, le centre social et culturel et différentes associations qui mènent des actions
d’accompagnement à la scolarité ne parviennent pas à offrir des places à toutes les familles
demandeuses d’un accompagnement scolaire pour leurs enfants : une augmentation des subventions,
voire la création de nouvelles structures permettraient de mieux répondre aux besoins. D’autres types
d’actions existantes pourraient être développées : la médiation sociale et scolaire, les cours de
Français et l’alphabétisation, la prévention des violences chez les jeunes…
- D’autre part, certains investissements pourraient être programmés. Le quartier ne manque
certes pas d’équipements divers ni de services publics. Pourtant, des besoins existent et sont
exprimés par les habitants : un bureau de Poste, des lieux de sociabilité, pour permettre aux habitants
de se rencontrer, par exemple une salle polyvalente pour organiser des fêtes, des lieux de réunion
pour les jeunes… Ces investissements sont considérables, et nécessitent également de prévoir les
moyens nécessaires au fonctionnement par la suite. Les équipements créés devraient répondre à un
véritable projet, porté par des institutions et par les habitants, à travers le Conseil de quartier par
exemple. En effet, l’attribution de moyens de fonctionnement à un équipement, ainsi que son
appropriation par ses utilisateurs sont essentiels : à cet égard, l’exemple d’un équipement
numérique (cyber-base) créé aux Pyramides et actuellement extrêmement sous-utilisé à cause de
problèmes de gestion inter-institutionnelle doit servir d’exemple à ne pas répéter.
- Des actions de formation et de mise en réseau des professionnels de terrain pourraient être
menées dans le cadre du projet social. Il s’agit d’une part d’apporter aux professionnels une
connaissance plus fine des réalités du quartier, en particulier des contextes culturels dans lesquels
évoluent les habitants, et de leur fournir des outils pour répondre aux situations qu’ils rencontrent dans
33
leur pratique et auxquelles ils ne sont pas nécessairement préparés par leur formation ou leur
expérience dans d’autres types de quartier. De plus, la création d’un espace inter-institutionnel
d’expression, d’échange d’expériences et de débat sur les pratiques et les difficultés rencontrées
pourrait remplir un objectif de réduction du turn over, important parmi les travailleurs sociaux. Cet
espace pourrait prendre la forme de groupes de réflexion, mais aussi éventuellement d’un site internet
et d’un forum. Etant donnée la charge de travail des acteurs sociaux et le cloisonnement des
institutions, la création d’un véritable réseau n’est pas évidente, malgré les besoins latents.
- La mise en place de nouvelles actions bénéficiant de moyens supplémentaires, en particulier de
moyens humains, peut être envisagée. Cependant, étant donnée la variété des actions sociales
existantes dans le quartier et la ville, de nouvelles actions devront répondre à des besoins
identifiés et non satisfaits. Dans les différents domaines prioritaires du PST, les idées ne manquent
pas, même si peu d’actions sont réellement d’un type nouveau. Les actions envisagées sont
d’importance variable, avec un impact plus ou moins considérable sur le quartier : par exemple, dans
le domaine de l’habitat, on peut envisager des actions simples comme des ateliers de décoration des
logements, la mise à disposition de matériel de bricolage, et d’un autre coté des actions de grande
envergure pour traiter la question de l’hébergement et de la sur-occupation à travers la sensibilisation
des hébergeants, la recherche de solutions de relogement pour les hébergés, la traque des pratiques
mafieuses… De plus, des actions pourraient être ciblées sur l’accueil des familles emménageant dans
le quartier, la forte mobilité de la population ayant été identifiée comme un facteur de fragilité. Enfin,
les nouvelles actions mises en place devraient s’inscrire dans les dispositifs locaux ou nationaux
existants ou en cours de mise en œuvre.
- Un autre type de projet envisageable est la communication sur les actions existantes et leur
valorisation, aussi bien vis-à-vis des habitants du quartier que des différents partenaires, des élus…
Un des aspects est la mise en valeur des initiatives, par exemple celles des associations, par la mise
à disposition de moyens de communication interne et externe (journal, manifestations…). Cela
permettrait d’une part de compléter le bouche-à-oreille pour faire connaître les actions des institutions
sociales et des associations, et d’autre part de motiver les professionnels en offrant une visibilité
valorisante à leur travail. De plus, la communication doit aussi être développée entre les partenaires,
en particulier à propos de cas individuels : dans le respect des règles de confidentialité et de secret
professionnel, le développement d’instances de concertation sur les dossiers traités et les familles
suivies, comme les commissions de prévention des impayés, peut permettre d’offrir les réponses
partenariales les mieux adaptées aux situations individuelles.
- Une démarche ambitieuse de développement social fondée sur l’implication des habitants
dans la construction de l’avenir de leur quartier est plus difficile à envisager concrètement, à l’échelle
d’un quartier de 10 000 habitants. Cependant, des pistes peuvent être trouvées dans les démarches
de développement mises en place dans les pays du Sud, en Amérique latine par exemple. Le projet
30
« Quartiers du monde » , auquel Evry participe depuis plusieurs années, vise à créer des
dynamiques de développement local fondées sur la prise de parole des habitants des quartiers les
plus pauvres, la résolution des problèmes rencontrés par la communauté, la production de politiques
urbaines participatives, la consolidation du lien social… Les problèmes rencontrés lors de la tentative
de concrétisation de ce projet à Evry traduisent bien les difficultés inhérentes à une démarche de
développement intégré et participatif dans les pays du Nord, au cadre institutionnel très structuré et à
l’espace de parole politique très contrôlé. On peut cependant penser que le développement des
potentialités des individus habitant un quartier en difficulté à partir des ressources locales doit
demeurer un objectif du Projet social de territoire, même si son application concrète n’est pas
évidente sans bouleverser les cadres de l’action publique. Une telle démarche a pour intérêt de
rappeler qu’il ne s’agit pas de faire pour les habitants des quartiers, mais de faire avec eux, voire de
leur donner la possibilité et de les encourager à faire eux-même.
34
- Enfin, des actions sur le peuplement du quartier peuvent éventuellement être mises en place,
avec précaution et en répondant à des objectifs bien identifiés. En s’appuyant sur l’opération de
démolition-reconstruction en cours, il s’agit d’éviter les concentrations sociales les plus
problématiques, et de permettre à chacun d’habiter dans un logement correspondant à ses attentes,
en accroissant la mobilité résidentielle des habitants. Dans un premier temps, la mise en place d’un
outil d’observation de l’occupation du parc social et privé et de son évolution, comme il existait
avec le Protocole d’occupation du parc social (POPS) permettrait de mesurer plus précisément les
phénomènes de ségrégation. Une politique d’attribution concertée et équilibrée conduirait petit à
petit à atteindre un objectif de meilleure adéquation entre l’offre et la demande, sans accroître la
spécialisation sociale ni pénaliser les plus pauvres. Par exemple, une priorité pourrait être accordée
aux demandes de mutation des habitants du parc social du quartier.
Les obstacles à un projet social ambitieux : des moyens limités, des compétences
floues, des politiques frileux
Les moyens de l’intervention sociale, qu’il s’agisse de l’intervention sociale classique, des
démarches de développement social ou des services relevant de la vie sociale, bien que non
directement sociaux, comme par exemple l’éducation nationale, sont en stagnation voire en
diminution. Les partenaires du PST des Pyramides ne sont pas épargnés par des conditions
financières difficiles, alors que les besoins auxquels ils sont confrontés sont en augmentation
régulière.
- Le budget du CCAS de la ville d’Evry est en baisse depuis plusieurs années consécutives (-2%
dans le budget prévisionnel 2005 par rapport à l’exercice 2004). La plus grande partie des moyens du
CCAS est statique, car affectée aux dépenses de personnel. De manière plus générale, la santé
financière de la ville d’Evry est extrêmement précaire, en particulier à cause des coûts de gestion des
nombreux équipements issus de la période de construction de la ville nouvelle, et l’endettement de la
Ville est croissant. Les marges de manœuvre sont donc très réduites, même si la Ville devrait profiter
de la réforme de la Dotation de solidarité urbaine mise en place par la loi de Cohésion sociale.
- Les moyens dont dispose la Maison Départementale des Solidarités (service départemental
d’action sociale) ne sont pas directement quantifiés, car c’est un service départemental qui n’a pas de
budget autonome. Les moyens alloués aux diverses aides légales sont suffisants, mais les demandes
d’aides d’urgence (nuits d’hôtel, aides alimentaires…) augmentent rapidement. A peu près tous les
postes sont pourvus et le personnel est stabilisé, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. De
plus, la MDS va disposer prochainement de nouveaux locaux. Cependant, les marges de manœuvre
financières des Conseils généraux sont fortement obérées par des charges nouvelles et croissantes
(APA, RMI, personnels TOS, routes nationales…).
- La CAF est dans une période de restriction progressive de ses coûts de fonctionnement, en
même temps que ses compétences s’accroissent : les conditions salariales moins intéressantes des
assistantes sociales nouvellement embauchées entraînent une difficulté à recruter, le personnel
administratif est en diminution, et parallèlement, l’intégration à la CAF des allocataires fonctionnaires,
dont les prestations familiales étaient gérées par les ministères, augmente la charge de travail. La
CAF de l’Essonne est plutôt bien dotée en travailleurs sociaux, mais ces postes ne sont pas
prioritaires.
- L’Education nationale risque également d’être touchée par des réductions d’effectifs par le
non-remplacement de certains départs en retraite. Un audit est en cours auprès de l’inspection
30
http://www.quartiersdumonde.org/fra/qdm/presenta.php
35
académique dans le but de réduire les coûts, tandis que des résultats précis sont de plus en plus
demandés aux enseignants et au personnel administratif.
- L’avenir des crédits politique de la ville de l’Etat est incertain, à cause des menaces qui pèsent
sur les contrats de ville. Depuis la mise en place du système de guichet unique de l’ANRU et la
« sanctuarisation » des crédits de la rénovation urbaine, la pérennité des crédits affectés aux actions
de développement social dans les quartiers n’est pas assurée, et dans tous les cas, leur montant ne
sera certainement pas croissant.
- Les crédits du Fonds Social Européen, qui financent en grande partie les actions d’insertion
professionnelle des PLIE, vont probablement diminuer à l’avenir, du fait de l’intégration de nouveaux
pays à l’Union européenne.
Aucun des partenaires du PST n’a de visibilité en terme de programmation des crédits à court
ou moyen terme, et les conditions financières actuelles sont plus ou moins menacées. Dans ce
contexte, est-il possible de faire un PST à moyens constants ? Les actions de coordination
partenariale les moins coûteuses sont elles suffisantes ? Des redéploiements de crédits pourront ils
aboutir à une action significative à l’échelle du quartier ?
A la question des moyens s’ajoute le problème des compétences. Chaque institution agit
dans son champ de compétence, déterminé par la loi, ou éventuellement par le principe de
subsidiarité. Le département joue un rôle de chef de file en matière d’action sociale traditionnelle,
mais les compétences des différents partenaires sont en réalité relativement floues. Par exemple, la
commune peut choisir d’intervenir dans quasiment tous les domaines, au titre des aides sociales
facultatives qu’elle peut accorder. Rien n’est prévu pour assurer la coordination des actions
entreprises.
De plus, les intervenants sociaux locaux se trouvent confrontés à des problèmes
auxquels ils ne peuvent pas apporter de réponses au niveau local. C’est le cas de nombreux
problèmes rencontrés par les habitants des quartiers, mais qui ne peuvent être traités qu’au niveau
régional, national ou international : crise du logement, insuffisance des dispositifs d’hébergement
d’urgence, chômage massif, immigration clandestine… Les acteurs locaux sont dépourvus face à
ces questions, ils ne possèdent pas de moyens d’agir sur les causes, mais doivent se contenter de
trouver des solutions de court terme, dans l’urgence : payer quelques nuits d’hôtels à une famille,
fournir des bons alimentaires… Les situations d’urgence, dépassant la compétence des acteurs
locaux, occupent le temps et l’énergie des travailleurs sociaux, qui ont moins l’occasion de valoriser
leur savoir-faire en matière d’accompagnement social. Les territoires, et particulièrement des quartiers
comme les Pyramides, concentrent des problèmes qui sont les résultats d’une politique (ou d’une
absence de politique) à un niveau supérieur. Les acteurs locaux gèrent des conséquences au
quotidien, mais sont souvent impuissants pour agir sur les causes des problèmes. Un PST, par
essence local, se trouvera nécessairement confronté aux mêmes problèmes insolubles. C’est par
exemple le cas de l’hébergement et de la sur-occupation des logements : ce phénomène, mal connu
et quantifié, ne peut de toute façon pas être traité de manière satisfaisante par les partenaires d’un
PST, car il relève de dynamiques migratoires internationales, de la tradition d’accueil inhérente à la
culture africaine, de la difficulté à obtenir des papiers en France, de la grande pénurie de logements
sociaux en Ile-de-France…
De plus, la légitimité de l’échelle du quartier pour un projet social ambitieux peut être
remise en cause, voire se révéler contre-productive. Si le projet social se traduit par la mise en place
d’actions réellement significatives avec des moyens conséquents, ne risque-t-il pas de provoquer un
afflux de personnes en difficulté et donc une paupérisation du territoire ? C’est un risque inhérent à
toute politique fondée sur un zonage territorial, un effet d’aubaine qui peut être constaté par
exemple dans le cas des zones franches. Pour les institutions ayant des compétences sur un territoire
36
d’une échelle supérieure (ville, agglomération, département…), ce risque peut poser problème, en
particulier sur le plan politique.
Etant donné les difficultés liées à la faiblesse des moyens et à la difficile identification des
compétences, la réussite d’un projet social de territoire implique un volontarisme politique fort.
Or, dans le cas du PST des Pyramides, ce sont plutôt les techniciens qui sont à l’origine du projet et
tentent d’intéresser et de mobiliser les responsables politiques sur ces questions. Etant donné les
caractéristiques du système institutionnel local en France, un portage politique par le Maire est
souvent nécessaire à la réussite des projets ; dans le cas d’un projet à caractère social, on peut
ajouter la nécessité de mobiliser le Conseil général. Or, le Conseil général de l’Essonne et la
municipalité d’Evry, bien que du même bord politique, ont des positions divergentes sur
l’action sociale et le peuplement de quartiers comme les Pyramides : alors que la mairie d’Evry
affiche un double objectif de limitation de l’arrivée de populations précaires sur la ville et en particulier
aux Pyramides, et de traitement social favorable aux habitants, le département de l’Essonne a une
politique sociale généreuse, en particulier envers les familles concernées par l’Aide sociale à l’enfance
(ASE), fussent-elles sans papiers. Alors que de nombreux départements franciliens ont fortement
restreint leur politique d’aide sociale, en particulier pour les cas à la limite de la légalité, les aides plus
généreuses accordées par l’Essonne attirent les populations les plus précaires, et en particulier les
familles sans-papiers (la Seine-Saint-Denis est dans le même cas). Ces familles s’installent
principalement dans des quartiers comme les Pyramides, où des réseaux familiaux et
communautaires permettent de les accueillir, moyennant paiement d’une participation financière. Il y a
donc une contradiction entre la politique départementale et la volonté municipale de lutter fermement
contre l’hébergement et d’attirer une population plus favorisée. Les questions des sans-papiers et de
l’hébergement, très liées, ne concernent bien entendu pas la majorité de la population des Pyramides,
mais elles ont un poids symbolique et politique très lourd. C’est pourquoi les désaccords entre la
Ville et le Conseil général à ce sujet rendent difficile la création d’une dynamique de projet social au
niveau politique. Les questions sociales sont sensibles politiquement, car elles conditionnent les
caractéristiques de la population habitant le quartier et elles mettent en jeu des masses financières
importantes. Pour ces raisons et pour d’autres, l’intérêt politique pour une démarche de projet social
aux Pyramides est faible, et cette carence de portage politique ne laisse pas présager la possibilité de
mettre en place un projet ambitieux.
En prenant en compte les contraintes du contexte local et du système d’acteurs, on peut
s’interroger sur la possibilité de faire aboutir un Projet social de territoire répondant aux
multiples besoins de la population du quartier des Pyramides. Malgré la volonté des
techniciens des institutions sociales locales de travailler ensemble et de construire une
démarche partenariale, les moyens et les compétences limités, ainsi que les difficultés de
mobiliser les politiques sur ce thème pèsent sur les possibilités de mettre en œuvre un projet
ambitieux, à la dimension des enjeux du territoire.
37
Conclusion
Le fait de replacer la démarche de projet social territorialisé en cours aux Pyramides dans un
contexte historique, géographique et conceptuel élargi permet de prouver la grande pertinence de
cette démarche, mais fait aussi ressortir ses limites.
Le traitement des causes sociales de la crise des quartiers n’est pas aujourd’hui à la mode :
une part importante de l’attention publique, de l’énergie des professionnels et des crédits sont dirigés
vers la politique de rénovation urbaine. Chaque équipe travaillant sur un quartier un tant soit peu en
difficulté se doit d’avoir son projet ANRU, son nombre de démolitions… Au delà de l’effet d’opportunité
financière, on peut voir là un changement d’attitude plus profond à l’égard des problèmes regroupés
sous les termes de « crise urbaine » ou de « quartiers sensibles ». On peut distinguer les tendances
qui se dessinent dans les discours politiques : les résultats de vingt années de politique de la ville sont
rejetés sans nuances, la nécessité est avancée de passer à la vitesse supérieure, d’éradiquer le mal à
la racine, de traiter enfin les causes des problèmes… Or sur quelles causes est-il possible d’agir ? Les
politiques publiques sont impuissantes face à la désindustrialisation de la France, provoquée par la
globalisation et entraînant chômage de masse et précarité des conditions de travail, qui causent à leur
tour difficultés d’intégration, violences et incivilités, repli identitaire et religieux…
Le choix a donc été fait d’agir sur la dimension urbaine des problèmes observés, à défaut de
pouvoir en traiter les causes sociales ou plutôt sociologiques. Eclater les concentrations de problèmes
sociaux ne permettra peut-être pas de les résoudre, mais rendra certainement leurs manifestations,
en particulier en terme de violence, moins visibles. Il ne s’agit pas de nier l’intérêt de la politique de
rénovation urbaine engagée, qui devrait conduire, si les ingrédients nécessaires à sa réussite sont
réunis, à une modification substantielle de l’image des quartiers et de ce fait à leur banalisation.
Cependant, on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur les possibilités d’action publique sur
les effets de la crise sociale qui touche les quartiers. Les deux approches sont complémentaires et les
résultats d’un traitement urbain et d’un traitement social peuvent se cumuler pour se renforcer : les
investissements urbains lourds devraient fournir une occasion permettant de mener des actions
sociales ambitieuses, au lieu que le social apparaisse souvent comme un volet du projet urbain,
centré sur la question sensible du relogement.
Lorsque les acteurs locaux ont conscience de l’intérêt de construire un véritable projet social
parallèlement au projet urbain, les difficultés ne sont pas négligeables : d’une part, des résistances
d’ordre culturel freinent la mise en place d’actions partenariales véritablement transversales, d’autre
part les moyens de l’action sociale sont limités face aux besoins toujours croissants, et la justification
d’une politique de discrimination positive territoriale, permettant une concentration des crédits
disponibles, n’est pas aussi claire que sur le plan urbain. Enfin il semble que la difficulté de faire
émerger des besoins nouveaux se traduisant par des actions innovantes ainsi que la relative
abstraction des concepts employés et des solutions proposées rendent problématique la mobilisation
des élus, sans le volontarisme desquels aucun projet d’envergure ne parait envisageable.
L’état actuel de la réflexion sur les questions de territorialisation des politiques sociales et de
développement social intégré des quartiers demeure embryonnaire. Les perspectives ouvertes par le
plan de cohésion sociale ne créent pas réellement de dynamique allant dans ce sens. Pourtant les
habitants des quartiers sont demandeurs de considération en tant qu’individus participant pleinement
à la société, et pas seulement en tant qu’habitants de quartiers à remodeler/remailler/désenclaver,
d’immeubles à réhabiliter/résidentialiser/démolir.
38
Bibliographie
GENERALITES POLITIQUE DE LA VILLE
BEHAR Daniel, Vive les quartiers populaires !, Le Monde, 26/12/1990, disponible sur www.acadiereflex.org
BEHAR Daniel, EPSTEIN Renaud, Exclusions et quartiers en difficulté, ou les aléas de la politique de la
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BREVAN Claude, PICARD Claude, Une nouvelle ambition pour les villes, de nouvelles frontières pour les
métiers, Rapport remis à Claude Bartolone, septembre 2000.
BUCHOUD Nicolas, LANÇON Georges, Ces banlieues qui nous font peur… Une stratégie d’action pour
transformer la gestion des quartiers d’habitat social, L’Harmattan, 2003
DONZELOT Jacques avec MEVEL Catherine et WYVEKENS Anne, Faire société, la politique de la ville en
France et aux Etats-Unis, Editions du Seuil, 2003
GENESTIER Philippe, BAUDIN Gérard (dir.), Banlieues à problèmes, la construction d’un problème social
et d’un thème d’action publique, La documentation française, 2003
GUILLY Christophe, NOYE Christophe, Atlas des nouvelles fractures sociales en France, Les classes
moyennes oubliées et précarisées, éditions Autrement, 2004
Dossier « De Banlieues 89 à Jean-Louis Borloo », revue Urbanisme n°332, septembre-octobre 2003
ACTION SOCIALE
BERNOUX Jean-François, Mettre en œuvre le développement social territorial, Dunot, 2002
CASTEL Robert, L’insécurité sociale, qu’est ce qu’être protégé ?, éditions du Seuil, 2003
ESPOSTO Michelle, Expérimentation nationale des Projets sociaux de territoire, éléments de bilan à miparcours, avril 2003, et les expérimentations PST, avril 2004, disponibles sur : www.ville.gouv.fr
Textes extraits de : Le travail social, Problèmes politiques et sociaux, la Documentation française,
n°890, 2003
Actes de la journée de lancement de l’expérimentation nationale « Projets sociaux de territoire », 8
octobre 2002, DIV, disponibles sur : www.ville.gouv.fr
EVRY ET LES PYRAMIDES
B UCHOUD Nicolas (dir.), Construire et partager une nouvelle image pour les Pyramides, éditions du
er
CERTU, à paraître, 1 trimestre 2005
FOUCHIER Vincent, Les densités de la ville nouvelle d’Evry, Anthropos, collection villes, 2000
GUYARD Jacques, Evry ville nouvelle 1960-2003, Espaces sud, 2003
RESSOURCES INTERNET
Observatoire national des ZUS, rapport 2004, éditions de la DIV, disponible sur :
www.ville.gouv.fr/pdf/editions/observatoire-rapport-2004.pdf
Moving to opportunity for fair housing demonstration program, interim impact evaluation, septembre
2003, disponible sur www.huduser.org
Plan de cohésion sociale : http://www.cohesionsociale.gouv.fr/DP.PCS.pdf
Projet « quartiers du monde » : http://www.quartiersdumonde.org/fra/qdm/presenta.php
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Liste des sigles
AAH
Allocation Adulte Handicapé (minima social)
ANRU
Agence Nationale de Rénovation Urbaine
API
Allocation Parent Isolé (minima social)
APL
Aide Personnalisée au Logement
CAF
Caisse d’Allocations Familiales
CCAS
Centre Communal d’Action Sociale
CMU
Couverture Maladie Universelle
DIV
Délégation Interministérielle à la Ville
DSU
Développement Social Urbain
FSL
Fonds de Solidarité Logement
GIP
Groupement d’Intérêt Public
GPU
Grand Projet Urbain
GPV
Grand Projet de Ville
LOV
Loi d’orientation sur la Ville
MDS
Maison Départementale des Solidarités (Service social départemental
dans l’Essonne)
PLH
Programme Local de l’Habitat
ORU
Opération de Renouvellement Urbain
PLIE
Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi
PNRU
Programme National de Rénovation Urbaine
PST
Projet Social de Territoire
RGP
Recensement Général de la Population
RMA
Revenu Minimum d’Activité
RMI
Revenu Minimum d’Insertion (minima social)
SRU
Solidarité et Renouvellement Urbains
ZAC
Zone d’Aménagement Concerté
ZFU
Zone Franche Urbaine
ZUS
Zone Urbaine Sensible
ZRU
Zone de Redynamisation Urbaine
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Annexes : le projet urbain du quartier des Pyramides
Les objectifs du projet urbain des Pyramides
La mise en œuvre du projet urbain des Pyramides
Source : GIP Centre Essonne
Source : GIP Centre Essonne
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