Le paysage audiovisuel espagnol

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Le paysage audiovisuel espagnol
INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES EN DROIT DE L'INFORMATION ET DE LA
COMMUNICATION
LE PAYSAGE AUDIOVISUEL ESPAGNOL
Chronique réalisée par Melle RODRIGUEZ Aurélie
Faculté de droit et
Master Recherche « Droit des médias »
de science politique
Aix-en-Provence
Université Paul
d’Aix-Marseille
2006-2007
Cézanne U III
Le paysage audiovisuel espagnol est marqué par de nombreuses spécificités. Sa
principale caractéristique est qu’aux termes de la législation en vigueur, toute émission de
radio ou de télévision (même la télévision par satellite) est officiellement considérée comme
relevant du service public et entre dans le cadre du domaine réservé de l’État. L’État gère
donc les organismes de radio et de télévision de service public directement, au travers de la
RTVE, ou indirectement, en octroyant des licences. Ce système a nui quelque peu à la RTVE
dans la mesure où elle ne s’est jamais vue confier une véritable mission de service public.
Une autre caractéristique est que l’Espagne dispose d’un paysage audiovisuel local et
régional très diversifié qui participe à l’attachement de certaines régions à leurs particularités.
En effet, il existe douze chaînes de télévisions publiques locales (19,3 % du taux d’audience)
diffusées dans huit des dix-sept régions que compte l’Espagne et près de 900 chaînes de
télévisions privées locales. Ces dernières sont peu professionnalisées et disposent de faibles
moyens. De plus, elles émettent souvent sans autorisation, de sorte que les autorités
espagnoles entendent profiter de la mise en œuvre du plan de redistribution des fréquences
pour sanctionner ces radiodiffuseurs « pirates ».
Sur certains aspects, l’audiovisuel espagnol est très différent du paysage
audiovisuel français. Néanmoins, ils se rejoignent sur plusieurs points, notamment sur la
situation respective de leur secteur public. En effet, dans les deux pays, l’audiovisuel public
subit une crise importante. Cependant, les difficultés espagnoles ont nécessité une complète
restructuration des médias audiovisuels espagnols qui a donné naissance à un plan de réforme
adopté le 24 juin 2005 en conseil des ministres. Ce plan est composé de trois projets de lois :
le premier concerne la création d’une autorité indépendante de régulation, un autre prévoit la
réforme de l’audiovisuel public et le dernier intéresse la transition vers la télévision
numérique terrestre. Ce dernier prévoit la fin de l’analogique pour 2010.
Avant d’étudier la réforme de l’audiovisuel espagnol (II), il convient tout d’abord de
décrire le paysage audiovisuel espagnol actuel (I).
I : Un paysage audiovisuel espagnol dualiste
Comme la plupart des pays, l’Espagne possède un paysage audiovisuel dualiste
composé d’un secteur privé peu indépendant (A) et d’un secteur public en crise (B).
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A : Un secteur privé peu indépendant
Le secteur privé de l’audiovisuel espagnol est régi par une loi spécifique : la loi du 3
mai 1988 sur la télévision privée (Ley de televisión privada), plusieurs fois modifiée 1. Cette
loi affirme que la télévision constitue un service public relevant de la compétence de l’État,
mais qu’il peut être concédé à des sociétés privées. Contrairement à la France, les chaînes de
télévision privées espagnoles ne sont pas soumises à autorisation. L’État accorde à ces
sociétés une concession de service public pour une durée de dix ans renouvelable pour la
même période.
Ce secteur comprend trois chaînes : Antenna 3 (19,3 % du taux d’audience),
Telecinco (21,4 %) et la chaîne cryptée payante Canal + España (2,1 %). Ces chaînes ne sont
pas dépendantes du pouvoir politique comme cela devrait être le cas. En effet, Telecinco et
Antenna 3 sont détenus par des intérêts considérés comme proches du parti populaire
espagnol et Canal + España est détenue, depuis la sortie du groupe français Canal + de son
actionnariat, par le groupe PRISA, réputé proche du Parti socialiste. Le trait caractéristique du
secteur des médias espagnols réside dans les prises de position croisée que permet l’absence
de restriction en matière de concentration des médias.
Pourtant, l’Espagne dispose d’un dispositif anti-concentration en matière
audiovisuelle mais celui-ci s’avère insuffisant. Il est fixé par la loi du 3 mai 1988 modifié.
Son préambule précise que l’un des objectifs de ce dispositif est que les télévisions privées se
développent sans porter atteinte aux possibilités du pluralisme de l’information espagnole.
Ce dispositif comprend deux interdictions principales :
- les personnes physiques ou morales détenant, directement ou indirectement,
une participation supérieure ou égale à 5 % du capital ou des droits de vote dans une
société de télévision ne peuvent détenir de participation significative (c’est-à-dire supérieure
au même seuil) dans aucune autre société de télévision ayant la même zone de couverture, à
savoir nationale, régionale ou locale. Cette incompatibilité vaut également pour les détenteurs
d’une participation supérieure ou égale à 5 % du capital ou des droits de vote dans une société
de télévision nationale vis-à-vis de sociétés de télévision à couverture régionale ou locale, dès
1
Les règles applicables au secteur audiovisuel avaient déjà été modifiées en 2002, sous le gouvernement précéde
nt de M. AZNAR, puis à nouveau en décembre 2003 (Ley n° 62/2003), en vue de fixer des limites aux prises de
participation dans les chaînes de télévision locales, régionales et nationales.
3
lors que la population des zones couvertes par les émissions celles-ci dépasse 25 % du total
national;
- les personnes physiques ou morales détentrices d’une participation significative
dans une société de télévision visées par les précédentes limitations ne peuvent
désigner, directement ou indirectement, les membres du conseil d’administration de plus
d’une société de télévision (hormis les sociétés dans lesquelles elles détiennent une
participation autorisée, c’est-à-dire inférieure au seuil des 5 % du capital ou des droits de
vote).
Malgré ces problèmes de dépendance, le secteur privé de l’audiovisuel se porte bien,
contrairement au secteur public qui, comme en France, connaît une crise sérieuse.
B : Un secteur public en crise
Durant de nombreuses années, la TVE (televisión española) a bénéficié d’un quasimonopole. Elle fait partie du groupe audiovisuel public espagnol RTVE (Radio Televisión
Española) qui est le groupe le plus important en Espagne et l’un des plus grand au monde. Il
se compose de deux sociétés publiques : Televisión Española (TVE) et Radio Nacional de
España (RNE), d’une institution musicale Orquesta Sinfónica y Coro de RTVE, d’un institut
d’apprentissage et de formation Instituto Oficial de Radio y Televisión (IORTV) et d’une
maison de disques Editora RTVE Música.
La TVE a été créée le 28 octobre 1956, date qui marque les débuts de la télévision en
Espagne. Le monopole de la RTVE a été supprimé en 1988 avec l’ouverture du secteur de la
télévision à la concurrence. La société TVE est composée de deux chaînes : TVE1 et TVE2.
En 2003, elles se partageaient 30,7 % du taux d’audience.
Ces dernières années TVE subit une crise non seulement financière mais également
institutionnelle. En effet, tout comme les autres chaînes du groupe RTVE, la TVE ne
bénéficie pas d’un financement public. Elle doit donc trouver l’essentielles de ses ressources
sur le marché publicitaire. Le déficit généré avec l’apparition des chaînes privées a dû être
payé avec la souscription de dettes que les banques privées espagnoles ont assumé avec la
garantie de l’État. La subvention d’équilibre versée par l’État qui est de l’ordre de 160
millions d’euros par an ne couvre qu’entre un quart et un tiers du déficit d’exploitation (près
4
de 450 millions). L’Espagne est le seul pays de l’Union Européenne où les citoyens ne payent
pas de redevance pour subventionner la télévision.
Cette crise financière se double d’une crise institutionnelle. En effet, les deux
principales chaînes groupe (TVE1 et TVE2) souffrent d’un manque de crédibilité en matière
d’information. Déjà très critiqués en raison de leur dépendance à l’égard du pouvoir politique,
leur traitement de l’information lors des attentats du 11 mars à Madrid a accentué le manque
de confiance des espagnols en leurs chaînes publiques.
Pour toutes ces raisons, une restructuration des médias publics s’avérait nécessaire.
Dans sa prise de fonction au printemps 2004, l’actuel gouvernement espagnol a annoncé que
le cadre juridique de l’audiovisuel serait réformé.
II : Une réforme du paysage audiovisuel espagnol nécessaire
Adopté le 24 juin 2005 en conseil des ministres, le plan de réforme du secteur
audiovisuel espagnol consiste notamment en la réforme du secteur public (A), et en la
création d’une autorité indépendante de régulation (B)
A : La réforme du secteur public de l’audiovisuel
Le 11 mai 2006, le Parlement espagnol a adopté une nouvelle loi de radiotélévision
publique (Ley de radio y televisión de titularidad estatal) visant tout d’abord à assurer
l’indépendance de la RTVE en transformant notamment son statut. Celui-ci passera
d’établissement public à une société anonyme détenue à 100 % par l’État qui prendra le nom
de Corporation nationale de Radio et Télévision Espagnole (La Corporación de Radio y
Televisión Española). Elle sera composée de deux conseils : Consejo Asesor (« conseil
d’avis ») et Consejo de Informativos (« conseil d’information »). Le premier aura, notamment,
pour mission de « conseiller le conseil d’administration de la corporation RTVE dans ses
orientations générales de la programmation et d’informer sur les propositions des contrats
passés avec l’État » 2. Le deuxième conseil devra, quant à lui, « veiller à l’indépendance des
2
Traduction de l’article 23 de la loi sur la radio et la télévision publique espagnole
5
professionnels de l’information et promouvoir l’indépendance éditoriale de la corporation
RTVE » 3.
La loi modifie également les modalités de désignation de ces instances dirigeantes.
Le conseil d’administration de la RTVE sera composé de douze membres élus par le
parlement, huit par le Congrès des députés et quatre par le Sénat. Ils seront élus pour une
durée de six ans non renouvelable.
Il est aussi prévu que ces relations avec l’État soient contractualisées. Un contrat
devra être signé avec l’État pour une période de neuf ans. Celui-ci déterminera les objectifs de
la RTVE en terme de gestion et d’évolution stratégique du service public de l’audiovisuel,
objectifs ensuite déclinés en contrats de programmes bi-annuels fixant les modalités de
financement, notamment public, du groupe.
De plus, en janvier 2007, le plan de restructuration de RTVE prévoit la suppression
de 4150 employés dont la moitié partira en retraite anticipée.
Enfin, il n’est pas prévu dans le projet de recourir à la redevance pour le financement
du groupe. En revanche, le gouvernement a décidé de mettre en place une autorité
indépendante de régulation.
B : La création d’une autorité de régulation
L’Espagne est le seul pays de l’Union Européenne dont le secteur de l’audiovisuel ne
soit pas sous le contrôle d’une autorité de régulation indépendante. Chaque secteur a son
propre organe de surveillance.
En effet, la loi du 10 janvier 1980 portant statut de la radio et de la télévision
publique a créé, au sein du Congrès des députés, une commission parlementaire permanente
des chaînes publiques de télévision. Pour le secteur privé, la loi du 3 mai de 1988 charge le
ministère des transports, du tourisme et du commerce du contrôle des sociétés privées
concessionnaires de service publique.
Seules trois communautés autonomes ont créé leur propre autorité de régulation. Il
s’agit des communautés de Catalogne, de Madrid et de Navarre.
3
Traduction de l’article 24 de la loi sur la radio et la télévision publique espagnole
6
Le projet de réforme prévoit la création d’une autorité indépendante de régulation : le
Conseil national des médias audiovisuels (Consejo Estatal de los Medios Audiovisuales. Il
n’est pas question de remettre en cause l’existence des autorités régionales, mais de mettre en
place une autorité nationale de régulation. La loi sur le conseil national des médias (Ley de
creación del Consejo Estatal de los Medios Audiovisuales) veut faire de ce conseil, une
autorité indépendante, avec une pleine capacité juridique. Elle aura pour principales missions
de « veiller au respect des droits et libertés dans le secteur audiovisuel, de garantir la
transparence des médias et le pluralisme, de veiller à l’accomplissement des missions de
service public incombant à la radio et télévision publiques et enfin d’empêcher toute forme de
discrimination et de protéger la dignité de la personne et les droits des téléspectateurs et
auditeurs, et en particuliers ceux des enfants et des adolescents, tant dans les programmes que
dans le contenu publicitaire » 4.
Le conseil sera composé d’un président et de six conseillés nommés par décret royal
par le gouvernement sur proposition du Congrès des députés, et ce pour une durée de six ans
non renouvelable.
Il aura pour missions, notamment, « d’émettre des avis sur les projets de lois à
caractère général relatif au secteur de l’audiovisuel, de proposer au gouvernement
l’élaboration de disposition à caractère général régulatrice de l’audiovisuel, ainsi que
d’exercer la fonction d’arbitre ou de médiateur pour résoudre les conflits entre éditeurs
indépendants de chaînes de télévision et les services de diffusion » 5. Contrairement au
Conseil supérieur de l’audiovisuel, il n’a pas de véritables pouvoirs de sanction.
Pour le moment, cette loi n’a pas encore était adoptée par le Parlement. Néanmoins,
la création d’une telle autorité aura pour conséquence de rendre l’audiovisuel espagnol
beaucoup plus transparent et lui permettra peut être de retrouver la confiance des
téléspectateurs espagnols.
***
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Traduction de l’article 2 de la loi sur le conseil national des médias audiovisuels.
5
Traduction de l’article 3 de la loi sur le conseil national des médias audiovisuels (a), d), m))
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