Feu de l`Avent 2013 au Mont

Transcription

Feu de l`Avent 2013 au Mont
Paroisse réformée de la Vallée de Joux
Feu de l’Avent 2013 au Mont-Tendre
Premier dimanche de l’Avent, il est 14 heures 30. En cette après-midi du 1er décembre, une
douzaine de personnes se retrouvent tout près de la petite église des Bioux à la Vallée de Joux. Audessus des visages, dont les sourires reflètent le plaisir de se retrouver, un magnifique ciel bleu. En
contrebas, le long miroir d’une dizaine de kilomètres, éclaté en mille morceaux par une Bise qu’on
dit à décorner les bœufs. Mais à cette époque, même les solides vaches Highlands de la famille
Berney sont rentrées. Tout indique qu’« on va contre ». En langage combier, cela signifie que
l’hiver n’est pas loin.
Et ce dernier se rapproche en effet : la route qui serpente en direction du Mont-Tendre est
saupoudrée de sucre glace. Mais pas question de se calfeutrer autour d’une bonne tasse de thé et
d’un gâteau. Quelques heures plus tard, à dix-huit heures tapantes, le petit groupe devra avoir atteint
une des bosses du Mont-Tendre, le plus haut sommet du Jura suisse. Trois heures de montée à ski,
si tout va bien. Et là-haut, il s’agira d’allumer un feu, un des 150 qui scintilleront un peu partout
dans le Canton, et même en France et au Québec. Mais des rafales à 100 km/h sont annoncées sur
les crêtes. « Ça risque de donner ! » annonce l’un d’entre nous en riant, car pour ces Combiers,
d’origine ou d’adoption, le plaisir passe aussi par l’effort.
La petite équipe, empoignant skis et bâtons, se lance dans la montée. Le soleil, déjà bas audessus du Risoud, renvoie une lumière presque hivernale. Assez rapidement, il s’agit d’ôter la veste.
On est presque étonné d’avoir trop chaud. Mais la forêt coupe le vent dont seul le lac, tout
ébouriffé, rappelle encore la présence non loin. Pourtant, la bande argentée rétrécit peu à peu au fur
et à mesure que l’on grimpe.
---------------------------------------------------------------Comment exprimer ce calme absolu, cette musique intérieure que rythme chaque pas offert au
silence ? Comment dire la présence de Dieu lorsqu’on n’a que nos mots ? Déjà la lumière se fait
d’or et les cristaux blancs s’enflamment à travers le treillis des arbres qui bordent nos traces ;
minuscules ciselures anglées à la main qui révèlent la dextérité de Celui qui a tenu la lime. Les
arbres nus, transcendés par ce soleil d’hiver, nous font oublier qu’ils dorment en attendant le
printemps. Nature et effort incitent à la mesure et au recueillement.
Quelques mots de temps à autre, deux trois paroles, toute simples, souvent chargées de sens :
la joie partagée, l’émerveillement exhalé, un souvenir qui ressurgit ou une réflexion née de cette
disposition de cœur qu’offre le silence.
Et pas après pas, avec une fréquence macroscopique et des frottements insensés dans ce pays
horloger, les âmes laissent entrevoir des trésors que les aléas de l’économie ne peuvent altérer.
---------------------------------------------------------------Le temps a passé, presque sans quand s’en aperçoive. Déjà surgit la cabane de La Pivette,
ancien haut-lieu des Unions chrétiennes de Jeunes Gens, qu’une équipe de passionnés continue de
bichonner avec ferveur. Il s’agit d’être efficace si on veut chauffer le chalet et se ravitailler, avant
d’attaquer la dernière montée, avec les fagots sur le dos.
Aussitôt dit, aussitôt fait. On sent la précision d’une mécanique bien huilée : l’un s’affaire au
fourneau, l’autre prépare du thé, on sort des biscuits et des gâteaux. Entretemps, une petite équipe,
partie du Col du Marchairuz, nous a rejoints. Réfugiés économiques ou climatiques installés entre
Lausanne et Genève, ces expatriés ne rateraient pour rien au monde ce pèlerinage annuel sur la terre
des origines…
Mais il est déjà l’heure de repartir ! Huit fagots de bois à se répartir dans les sacs. Pas bien
lourds, mais quand même ! A pied cette fois, on enfonce dans la poudreuse parfois jusqu’au genou.
Et le vent ! Après quelques lignes, on l’avait presque oublié, celui-là ! On essaie de rester dans les
traces laissées par celui qui nous précède, mais parfois, sans crier gars, une bourrasque nous jette de
côté. On se relève et on repart. Quelle bonne idée d’avoir laissé à la cabane les bâtons avec les skis !
Ici, malgré le rythme encore plus lent qu’avant, la tempête ne nous donne pas l’occasion de méditer
sur le Souffle. Et de toute façon, le nôtre est trop court pour qu’on en parle !
Au sommet, les fagots entassés sont calés pour résister à la gravitation horizontale. Pas facile !
Denis, maître boutefeu, et Stéphane, qui – une fois n’est pas coutume en montagne – l’assiste, ont
quelques sueurs en voyant le paquet d’allumettes qui se vide. Enfin, le feu part. A croire que le bois,
acheminé à La Pivette depuis la Vallée quelques mois auparavant, était assoiffé : on lui donne un
peu à boire, quelques golées d’essence et de pétrole, et le voilà qui se met à chanter, tout ragaillardi
malgré le froid qui glace.
On voudrait bien faire taire le vent. Sa fureur rend impossible autour du feu la petite
méditation prévue par Joël. Mais au fond, pourquoi lutter ? Le Créateur ne se révèle-Il pas aussi
dans la tempête ?
Tirage au maximum, le feu éclaire vivement les visages et redonne vie aux mains qu’on a
dégantées pour faire quelques photos. On profite encore de cet instant particulier, on se tape dans le
dos, heureux de vivre ces moments ensemble. Mais déjà l’ardeur du feu diminue ; autre temps, autre
expérience : Moïse, à l’époque, était pieds nus…
Les enfants qui guettaient la lumière depuis la Vallée, eux, n’ont vu que l’obscurité de la nuit :
un gros nuage noir s’est accroché au sommet au moment où nous l’atteignions. Le lendemain, il
aura fallu tout leur raconter : la montée, le feu, le vent ; et leur rappeler que la flamme qui a brûlé
là-haut, au fond des yeux n’est qu’un pâle reflet de la vraie Lumière, venue dans le Monde il y a
près de 2000 ans, qu’on fête à Noël et que rien ni personne ne peut éteindre.
---------------------------------------------------------------De retour au chalet, dans le crépitement paisible du poêle, Joël nous partage la parole qu’il a
préparée sur l’espérance : cette espérance, ancrée dans le futur, le passé et le présent, ancrée dans
l’Eternité de Celui qui qui a dit un jour à Moïse « je suis Celui qui suis ».
Magnifiques souvenirs que ces heures passées ensemble. On se rappellera aussi longtemps la
fondue qui a suivi et les partages, sans oublier la descente à ski dans la nuit, à la lueur des lampes
frontales.
Micaël Berthoud