Verbeck et le règne animal aux services des Arts

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Verbeck et le règne animal aux services des Arts
Verbeck et le règne animal
aux services des Arts
« Comment le signor Bovinski composa sa grande marche Le désert », Le Rire, 18 juin 1898.
Les lecteurs du Rire de 1898 ont-ils reconnu la signature de
l’auteur de cette histoire indiquée comme provenant du Judge,
publication new-yorkaise ? Rien n’est moins sûr ((A noter que
cette même planche paraît quelques jours après dans Le PêleMêle du 26 juin 1898.))… Pourtant celle-ci est apparue dans la
revue française quelques années auparavant. Gustave Verbeck
(1867-1937), puisque c’est lui, séjourna en effet quelques
années à Paris avant de s’installer définitivement aux EtatsUnis. Il y étudia l’art et participa au foisonnement graphique
de cette fin de siècle. Verbeck s’est ainsi essayé à la bande
dessinée dans les revues parisiennes avant de créer outreAtlantique cette œuvre emblématique du neuvième art qu’est The
Upside-Downs of Lady Lovekins and Old Man Muffaroo ((Cette
série a paru entre le 11 octobre 1903 et le 15 janvier 1905
dans le New York Herald.)). En plus de celles publiées dans Le
Rire entre 1894 et 1895, ses bandes dessinées françaises, la
plupart muettes, se retrouvent dans Le Chat Noir (1893-1894),
La Vie Drôle (1893-1894) et dans Le Polichinelle (vers 1894),
« journal humoristique de la Famille » édité par Flammarion
((Nous avons également trouvé trois planches publiées dans la
revue Cocorico en 1898 et 1899 ; deux sont reprises du Rire et
une du Judge.)).
Entre Satie et Rabier
Dans la planche ci-dessus, Bovinski, un compositeur de piano
trouve en plein désert l’inspiration (puis le succès) à
l’écoute d’autruches qui se régalent de baies tombant sur le
clavier de l’instrument. La fantaisie de l’histoire de ce
pianiste rappelle celle d’un autre, contemporain de Verbeck et
qu’il a peut-être connu : Erik Satie (1866-1925). Ce dernier
commença en effet sa carrière comme second pianiste au cabaret
du Chat noir vers 1888-1891. Rappelons qu’en plus de
participer à la revue montmartroise, Verbeck y donna en 1894
un spectacle d’ombres intitulé Le Malin Kangourou (Drame
australien) ((Sur une musique de Charles de Sivry.)). Ce «
concerto pour autruches goulues » aurait-il dépareillé dans le
répertoire de l’auteur de Trois Morceaux en forme de poire et
des Préludes flasques (pour un chien) ?
L’animal, exotique et sauvage, est souvent le ressort des
scénarios des histoires en images de Verbeck ((Des histoires
en images de Verbeck parues dans la presse américaines à la
fin du XIXe siècle sont visibles dans le livre édité par Peter
Maresca, que je remercie au passage pour son aide, The Upside
Down World of Gustave Verbeek: Complete Sunday Comics
(1903-1905), Sunday Press Books, 2009.)) : s’il n’est pas mis
hors d’état de nuire quand il se fait dangereux, l’animal chez
Verbeck est un gibier bien utile : chassé, piégé, capturé ou
utilisé, il est mis à mal par l’homme, avec plus ou moins de
cruauté.
Gustave Verbeck, « Le tigre critique d’art », Le Rire, 6 juillet 1895. Source : Cibdi
Ces historiettes qui mettent en scène l’homme et ses frères
inférieurs se rapprochent de celles de Benjamin Rabier dont la
carrière débute à la même époque. Le dessinateur français se
fera une spécialité de la farce animalière en bande dessinée
pendant plusieurs décennies
((Camille Filliot et Antoine
Sausverd, « Les bandes disséminées de Benjamin Rabier » in
Benjamin Rabier. Gédéon, La Vache qui Rit et Cie. Ouvrage
collectif sous la direction de Christophe Vital. Somogy /
Musées de Vendée, 2009.)).
Chez les deux dessinateurs, les gags se construisent souvent
autour du détournement ingénieux d’objets du quotidien.
Cependant dans les histoires de Verbeck, l’homme fait la
démonstration de sa supériorité, piégeant l’animal ou le
dupant par un caméléonisme de circonstance. Rabier, lui, prête
davantage aux bêtes une certaine intelligence. En véritable
animalier, il s’évertue à effacer les frontières qui existent
entre la faune et l’humanité.
Le règne animal aux services des Arts
L’animal au secours de l’artiste est un sujet que l’on
retrouve de temps à autres dans les histoires en images du
tournant du XXe siècle. Ainsi ce numéro de cirque mis en
images par Rabier :
Benjamin Rabier, « Le facétieux sculpteur », Le Pêle-Mêle, 30 mars 1902. Source : Gallica.bnf.fr
Après les autruches concertistes et le crocodile sculpteur, «
Azor Paysagiste » est une histoire dessinée par Godefroy dans
La Caricature du 15 novembre 1890 dans laquelle un chien
rectifie à coups de langue gourmande le tableau de son maître
artiste-peintre ((Godefroy reprendra quasiment le même gag
sept ans plus tard dans la même revue… « Un paysage
impressionniste » publiée dans La Caricature du 3 juillet 1897
raille nommément les dernières avancées de la peinture
moderne. La langue du chien est alors remplacée par le plumeau
et la brosse d’un domestique zélé.)).
Godefroy, « Azor Paysagiste », La Caricature, 15 novembre 1890. Source Gallica.bnf.fr
On notera que l’œuvre de ce peintre canin préfigure celle de
son frère, l’âne Boronali : le Coucher de Soleil sur
l’Adriatique fut en effet peint à l’aide d’un pinceau attaché
à sa queue. Exposée au salon des Indépendants de 1910, ce
tableau est une « farce de rapin », un canular monté par
Roland Dorgelès, André Warnod et Jules Dépaquit ((Pour en
savoir
plus
sur
l’âne
Boronali
:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Joachim-Rapha%C3%ABl_Boronali)).
Pour l’humoriste fin-de-siècle, l’animal est moins un artiste
incompris qu’un medium artistique providentiel et diablement
efficace !