Discours chiraquien sur l`histoire

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Discours chiraquien sur l`histoire
Le discours « chiraquien » sur l’histoire
Partisan, consensuel, fédérateur ou utilitariste ? De droite, de gauche,
du centre ou de nulle part ?
La fonction d’un président de la République n’est pas de disserter sur l’histoire,
mais en tant que représentant de la nation et garant de son unité et de ses valeurs
fondamentales, il lui arrive de souligner l’ancrage historique de ces valeurs qu’on
ne supposera pratiquement jamais constituer des données transcendantes allant
de soi ; ce type de discours est particulièrement utilisé dans tous les actes de
commémoration (anniversaires, panthéonisations, remises de décoration appelant
un retour sur la vie du promu, etc.) Dans un contexte assez différent, les rappels
historiques peuvent intervenir lorsque le président s’adresse à un public étranger
(journalistes, parlementaires) qui soit peut avoir en commun un passé conflictuel
avec la France, conflit qu’il s’agit d’évoquer pour l’exorciser sans l’occulter, soit
observer de l’extérieur un processus qui concerne la France pour en tirer des enseignements (cas de publics extra-européens contemplant la construction de
l’Union). Dans tous ces cas, le président n’est ni un érudit, ni même vraiment un
pédagogue. Le but est de mobiliser des « faits historiques » pour des desseins qui
peuvent être le renforcement de la communauté nationale autour de valeurs ou de
figures, l’apaisement de conflits, la réappropriation de notions supposées porter
encore aujourd'hui une valeur opératoire réactualisée, mais rarement, voire jamais, le débat politicien1.
Pour tenter d’analyser précisément l’usage que fait le président Jacques Chirac
de l’histoire en ces circonstances2, nous avons réuni trente-trois discours, interviews, allocutions, tous prononcés ou tenus entre mai 1995 et juin 2003. Ce corpus représente quelque 160 pages : le choix, pourra-t-on dire, est arbitraire. Pas
tant que cela : à partir du site Internet présidentiel3, où tous les discours, communiqués, interviews, sont accessibles en texte intégral, nous avons inventorié tous
les textes d’une ampleur dépassant quelques lignes et où l’histoire nous semblait
occuper une place significative. Reste qu’il demeure dans ce choix une part de
subjectivité. Il est difficile de séparer complètement les discours ou conférences
de presse « historiques » de celles qui ne le sont que partiellement. Telle conférence de presse4, tel entretien accordé à un journal étranger5 ne portent pas
spécifiquement sur l’histoire en tant que telle, mais peuvent comporter de allusions
1
« La prise en charge au présent du temps est marquée d'une double dynamique [...] Toutes deux [la
définition de régimes d’historicité spécifiques et l’utilisation des objets historiques pour de nouveaux
emplois] supposent la conscience d'une distance, une pratique d'appropriation, une réinterprétation imparfaite fondatrice d'un nouveau sens. » (Bernard Lepetit, « Le présent de l’histoire », in B.Lepetit [dir.], Les
formes de l’expérience, Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, pp.296-297).
2
De l’histoire. Nous n’avons pas la prétention d’analyser globalement le langage présidentiel, n’en
ayant ni le temps, ni les compétences. Sur ce thème, voir par exemple Dominique Labbé, Le vocabulaire
de François Mitterrand, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1990. Notre
démarche demeurera empirique, ce qui ne veut pas dire que nous n’avons pas la prétention de dégager
quelques conclusions.
3
http://www.elysee.fr/. Le moteur de recherches est assez performant.
4
Conférence de presse de monsieur Jacques Chirac président de la République française au palais
des nations, Alger lundi 3 mars 2003. [ci-dessous : Alger]
1
cifiquement sur l’histoire en tant que telle, mais peuvent comporter de allusions ou
des références appuyées. Toutefois, il existe des interventions dans lesquelles la
dimension historique est ou majeure ou très significative : « panthéonisations »
(Malraux, Dumas), anniversaires de fondations ou de grands événements (création de la Ligue des droits de l’homme, libération d’Orléans par Jeanne d’Arc, Édit
de Nantes), inauguration d’une plaque ou d’un lieu de mémoire (Musée de
l’Armée, Clairière « des Justes »). Ce sont évidemment les plus riches dans le cadre de nos investigations – encore qu’une brève allusion échappée au locuteur
puisse ailleurs en dire beaucoup.
Une précision un peu laborieuse
Si l’on prend les discours les plus « historiques », ceux qui, commémorant un
grand événement ou célébrant une personne, doivent, sous peine de nullité quant
au but recherché, énumérer un certain nombre de faits, on remarquera en premier
lieu la caractère méthodique, précis, et il faut bien le dire assez convenu des références utilisées et du récit construit.
Les ouvrages anglais ceinturent la ville. 10.000 hommes défendent Orléans et 10.000
Anglais campent sous ses murs. Le siège s'enlise. Orléans s'épuise. L'hiver, la famine, les
épidémies minent peu à peu la résistance des habitants et de leurs défenseurs, parmi lesquels Dunois, La Hire, Xaintrailles, tous ces noms qui font chanter notre mémoire. [...] Le 4
mai, la bastille de Saint-Loup est enlevée. L'étau se desserre. Le 6, c'est le fort des Augustins. Puis, le 7, le fort des Tourelles pourtant défendu par une garnison d'élite. Le 8 mai,
les deux armées se font face et s'observent. Sans même livrer bataille, les Anglais choisissent de se retirer6.
Ou encore :
Ce fut la paix d'Amboise en 1563. Sept ans plus tard, ce fut la paix de Saint-Germain,
rompue dans le sang de la Saint-Barthélémy. La violence et l'horreur culminèrent en cette
nuit du 23 au 24 août 1572, au cours de laquelle 3 000 protestants à Paris, 10 000 dans
toute la France, furent sauvagement assassinés sur l'ordre du roi Charles IX. Le pays en
état de choc, tout devint plus difficile : le dialogue, les compromis, la paix. À leur tour, l'Édit
de Beaulieu, de 1576, l'Édit de tolérance de Poitiers l'année suivante, puis celui de Nérac,
enfin la Paix du Fleix conclue en 1580, furent des échecs. Néanmoins, ils annonçaient
l'Édit
de
Nantes7.
Ou, sur une période beaucoup plus récente :
Il y a là les représentants des organisations combattantes : Charles Laurent de
« Libération-Nord », Pascal Copeau de « Libération-Sud », Eugène Claudius-Petit pour
5
Interview du président de la République a l'Asahi Shimbun, le samedi 16 novembre 1996. [cidessous : Asahi]
6
Allocution prononcée par monsieur Jacques Chirac, Président de la République, à l'occasion des
cérémonies commémorant la libération d'Orléans par Jeanne d'Arc, mercredi 8 mai 1996.[ci-dessous :
Jeanne]
7
Discours prononcé par monsieur Jacques Chirac, Président de la République lors du colloque organisé à l'occasion du 400e anniversaire de l'édit de Nantes. Palais de l'UNESCO – Paris, mercredi 18
Février 1998.[ci-dessous : Nantes]
2
« Franc-Tireur », Claude Bourdet de « Combat », Pierre Villon pour « Front National »,
Jacques-Henri Simon de l' « Organisation Civile et Militaire », Roger Coquoin pour « Ceux
de la Libération » et Jacques Lecompte-Boinet de « Ceux de la Résistance ». Parce que
l'effort est d'abord militaire, il faut coordonner les actions, répartir les moyens et préparer le
terrain, recenser les objectifs, tisser les réseaux, constituer les caches, pour soutenir, le
moment venu, les opérations alliées lancées sur le sol de France8.
Ce caractère convenu – tels fragments semblent parfois sortir tout droit d’un
dictionnaire – n’est pas fortuit : commémorer est un acte important. L’acte n’a pas
pour but de permettre un rassemblement de notables locaux soucieux de se montrer, mais
Les grandes commémorations servent aussi à cela : nous permettre de mieux comprendre ce que nous sommes, et nous affermir dans nos engagements et dans nos combats9.
Si la commémoration constitue un élément de l’action politique d’aujourd'hui, il
est important de ne pas l’appuyer sur des références fausses ou approximatives :
les enseignements qu’elles portent s’en trouveraient dévalorisés. Il importe aussi
de rappeler à un auditoire peut-être censé manquer de culture historique pourquoi
la commémoration a lieu et ce qu’elle évoque – sa force opératoire dépendant en
partie de la solidité de ses référents. D’où cette précision assez scolaire. Elle implique une préparation méthodique du discours et le refus complet de toute improvisation10. Elle a d’ailleurs la vertu de garder le discours de toute emphase et de
toute exagération qui pourraient justement nuire par leurs excès à
l’instrumentalisation souhaitée : qu’il s’agisse des morts de la Saint-Barthélémy,
de ceux de la bataille de Verdun11 ou des victimes de la rafle du Vél’ d’Hiv, les
chiffres donnés sont toujours les plus proches de la réalité historique telle qu’on
peut aujourd'hui la cerner12. Lorsqu’il s’agit d’évoquer des légendes dont la remise
en cause atteindrait au cœur la vulgate gaulliste, le mieux sera de demeurer très
prudent en utilisant des formules parfaitement creuses : « Ainsi l'Europe pourra
tourner définitivement la page de Yalta »13. On n’en saura pas plus sur ce qu’était
« la page de Yalta ».
Jacques Chirac n’est d’ailleurs pas à une contradiction près : lors de la
« panthéonisation » d’Alexandre Dumas, il semblera louer l’inventivité souvent très
peu soucieuse de la réalité du grand feuilletoniste :
8
Allocution de monsieur Jacques Chirac, Président de la République, lors du 60e anniversaire du
premier Conseil National de la Résistance, Hôtel des Invalides – Paris, mardi 27 mai 2003.[ci-dessous :
CNR]
9
Nantes, loc.cit.
10
« [...] Jacques Chirac, depuis qu’il est à l’Élysée, répugne à improviser, sauf quand, à l’étranger, il
reçoit la communauté française. Ses allocutions en direct sont soigneusement préparées, ses interventions
en différé peuvent donner lieu à une deuxième ou une troisième prise », Jacques-Michel Tondre [rédacteur en chef adjoint de l’A.F.P.], Jacques Chirac dans le texte, Paris, Ramsay, 2000, p.26.
11
« 300 000 hommes disparurent sur le champ de bataille : 162 000 tués du côté français ; 143 000
morts du côté allemand ; des centaines de milliers de blessés de part et d'autre. ». Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, 80ème anniversaire de la bataille de Verdun, dimanche 16 juin
1996. [ci-dessous : Verdun]
12
Il y a quelques exceptions, on va y revenir.
13
Asahi, loc.cit.
3
Certes, il se trouvera toujours des Bouvard et des Pécuchet qui, l'œuvre de Dumas
dans une main et une Chronologie Universelle dans l'autre, viendront traquer l'erreur
historique. Peu importe. Michelet lui-même, le père de l'histoire moderne, leur a par
avance et pour l'éternité donné tort en lui disant un jour : « Vous avez plus appris d'Histoire
au peuple que tous les historiens réunis »14.
Mais nous ne sommes pas ici dans le même contexte. Il importe de tenir le discours qui convient à l’objectif du moment, aucun autre : si celui-ci est de célébrer
la passion qui enseigne par son mouvement, l’exactitude sera balayée d’un verbe
méprisant. Si l’on doit utiliser un grand événement historique précis à des fins politiques, que nous allons examiner, le président n’éprouve aucune gêne à se métamorphoser en Bouvard ou en Pécuchet.
Le gaullisme
Pour un homme politique, le passé peut d’abord servir à justifier et à conforter
sa position et son engagement. Jacques Chirac, en principe, est gaulliste15. Charles de Gaulle est cité 52 fois dans notre corpus. C’est une fréquence haute, encore que, on va le voir, pas la plus haute. Qui est le de Gaulle de Chirac
« historien » ? C’est d’abord et avant tout l’homme du 18 juin, du refus de la capitulation, de l’organisation de la Résistance.
Le choix de ceux qui ont répondu à l'appel du 18 juin était simple : ils ont préféré le refus au renoncement. Le pari était risqué. Il fallait beaucoup de courage et d'obstination,
beaucoup de clairvoyance aussi, pour comprendre que la percée de l'ennemi, la déroute,
l'occupation du sol national ne signifiaient pas la défaite de la France. Des Français ont
néanmoins fait ce pari, en acceptant l'abandon de leur famille, l'éloignement de leurs proches, le ralliement à un général qu'ils ne connaissaient pas et la condamnation par les autorités officielles. Il ne s'agissait pas seulement pour eux de poursuivre la lutte, mais
d'abord de continuer la France, d'assurer sa survie, de défendre son honneur, de relever
ses idéaux, de manifester en un mot qu'il n'y avait pas de France sans liberté16.
A côté, les « autres de Gaulle » font pâle figure : même le de Gaulle de la
Libération ; et encore plus celui du 20 janvier 1946, ignoré ; celui du R.P.F. à
peine moins et en deux occasions uniquement, lors de la panthéonisation de
Malraux et de la remise des insignes de grand officier de la Légion d’honneur à
Jacques Foccart, ce qui était le minimum s’agissant de gaullistes plus
qu’historiques. Quant au de Gaulle de 1958, il n’est évoqué qu’au détour d’une
phrase devant Foccart et celui d’après 1958, plus du tout. Proprement stupéfiant :
les accords d’Evian sont cités une seule fois, en 2003, dans une interview
accordée à deux journaux algériens... par les journalistes eux-mêmes, le président
se gardant bien de réutiliser l’expression17.
14
Discours de monsieur Jacques Chirac, Président de la République, à l’occasion du transfert des
cendres d’Alexandre Dumas au Panthéon, samedi 30 novembre 2002. [ci-dessous : Dumas]
15
Bien que cette référence soit de moins en moins utilisée.
16
Allocution de monsieur Jacques Chirac Président de la République, à l'occasion de l'inauguration
de l'aile « Général de Gaulle, Deuxième guerre mondiale, France libre et France combattante » du Musée de l'Armée, Hôtel des Invalides – Paris, dimanche 18 juin 2000. [ci-dessous : Musée de l’Armée]
17
La raison politique semble évidente : souci de ne pas réintroduire, vis-à-vis de son électorat,
l’image d’un de Gaulle « bradant » l’Algérie, entérinant la fuite des Pieds-noirs et le massacre des harkis.
4
Le Charles de Gaulle évoqué est presque uniquement celui qui autour de lui a
su faire l’ « union », l’« unité ». D’abord, l’unité des forces de la France combattante, thème fréquemment réitéré :
Dans un de ses derniers entretiens avec André Malraux, le général de Gaulle répétait
qu'à ses yeux, il n'y avait pas de différence entre « ceux de Bir Hakeim » et « ceux de la
Résistance » : selon ses propres termes, tous avaient « d'abord été des témoins », c'est-àdire trop souvent des martyrs et toujours des exemples. Entre les Français de l'ombre et
les Français de Londres, il y a eu, peu à peu, l'affirmation d'un seul et même combat. Et
dès le mois de mars 1942, grâce à Jean Moulin, tous les mouvements de résistance réalisaient leur unité autour du général de Gaulle, annonçant déjà la formation de la France
combattante18.
Ensuite, et plus tardivement, l’unité des forces politiques, des familles politiques. Ici, apparaît un thème qui semble important aux yeux de l’orateur : le ni
droite, ni gauche. Ce qui ne veut pas dire du tout que le gaullisme se situe au centre, mais qu’il transcende les clivages politiques habituels par la réunion des
hommes de bonne volonté :
Le 16 juin 1946, vous [Foccart] êtes à Bayeux, prêt à reprendre le combat pour sortir le
pays de la crise où il s'enfonce. Vous ferez partie de ceux qui, hommes de droite ou de
gauche19, mais tous résistants et profondément attachés au général de Gaulle, fonderont
ensemble le Rassemblement du Peuple Français.
Et encore :
En réalité, André Malraux, vous incarnez mieux que tout autre le Gaullisme tel que
le voulait le Général, ni de droite ni de gauche, mais de France20.
Il est bien évident qu’on trouverait à d’autres moments, lorsque Jacques Chirac
quitte le domaine de l’histoire, une évocation bien moins transcendante du gaullisme, presque conçu comme un mouvement, une dynamique déconnectée de
toute idée réelle.
Le gaullisme, en réalité, ce n’est pas une fraction de l’histoire, c’est naturellement
l’action de l’homme, mais aussi une exigence, un comportement, et cela doit être quelque
chose de permanent, même si cela s’adapte naturellement aux situations ; c’est une capacité d’avoir une certaine idée, comme le disait le Général, d’ailleurs, de l’homme, de son
pays, de l’ensemble de son environnement. Et, à ce titre, c’est un comportement permanent.
De même, quitte-t-on ces tentatives unanimistes lorsque le président tente de
définir – avec une précision plus que relative qu’il reconnaît lui-même, l’essence
de ce qui sépare la gauche de la droite :
[...] ce sont les différences entre, je dirais, la gauche et la droite. La gauche s'est construite autour d'une idéologie qui a évolué. La droite s'est construite autour d'une culture, ce
qui est différent. Ce qui fait que dans la réaction spontanée de la gauche, il y a l'idée que
la priorité doit être donnée d'une façon ou d'une autre à la réglementation.
18
Musée de l’Armée, loc.cit.
19
C’est nous qui soulignons. Idem pour la citation suivante.
20
Discours de monsieur Jacques Chirac, Président de la République, à l'occasion du transfert des
cendres de monsieur André Malraux au Panthéon, samedi 23 Novembre 1996. [ci-dessous : Malraux]
5
QUESTION - Et dans la culture de la droite ?
LE PRESIDENT - Dans la culture de la droite, la priorité n'est pas donnée à la réglementation, mais à la responsabilité. Tout cela est un peu caricatural21, mais c'est cela la
racine des choses22.
L’union, mère de la grandeur et de la prospérité française
D’ailleurs, en dehors même du gaullisme, le thème de l’union, de l’unité, du
rassemblement nécessaire, semble dans le discours « historique » de Chirac quasiment obsessionnel. Le thème est simple : la France se porte bien, elle est
grande et heureuse quand elle est unie autour d’un thème, ou même d’un chef
(« Après elle [Jeanne d’Arc], d'autres voix s'élèveront aux heures les plus sombres. D’autres chefs nous appelleront à resserrer les rangs face au danger »23).
Elle sombre, succombe, est battue et envahie quand les Français se divisent, ce
qui hélas ! leur est arrivé maintes fois dans l’histoire.
Nos malheurs sont toujours venus de nos divisions et de nos doutes. La France est
forte quand elle est rassemblée. La France est forte quand elle agit, quand elle se bat,
quand elle repousse le pessimisme, l'esprit d'auto-dénigrement qui parfois s'emparent
d'elle et paralysent son énergie24.
Ou encore :
L'Histoire, notre histoire est un long apprentissage de l'art difficile de vivre ensemble.
C'est une longue suite de moments heureux ou malheureux, de succès et d'échecs, de
déchirements et de retrouvailles, qui furent en vérité autant d'étapes vers la France d'aujourd'hui. Au long de ces épreuves, de ces tentatives, une nation s'est forgée et un peuple
s'est rassemblé25.
[...] Par son extraordinaire épopée [Jeanne], elle nous offre une puissante leçon d'espérance, de courage, d'enthousiasme. Elle nous enseigne que vouloir la victoire, c'est
d'abord y croire. Elle nous exhorte au sursaut, au rassemblement, à l'unité sans lesquels
rien de grand ne peut s'accomplir. Elle nous appelle, quand l'essentiel est en jeu, à dépasser nos querelles, nos divisions, nos égoïsmes26.
Ou, évoquant, pour une période beaucoup plus récente
21
C’est nous qui soulignons.
22
Intervention télévisée de M. Jacques Chirac, Président de la République, à l’occasion de la Fête
nationale, 14 juillet 1999, pour ces deux citations. Un Chirac « de droite » encore plus « caricatural » est
celui de la déclaration de politique générale du 9 avril 1986, alors qu’il était premier ministre de François
Mitterrand. Voir Dominique Labbé, « La France et moi », Esprit, n°7, juillet 1986, pp.101-103.
23
Jeanne, loc.cit.
24
Ibid.
25
Nantes, loc.cit.
26
Jeanne, loc.cit.
6
[...] cette Résistance rassemblant dans l'ombre des hommes et des femmes de toutes
les origines, de tous les horizons qui choisirent de se réunir par-delà leurs différences,
sous l'autorité de Jean Moulin et porté par le Chant des Partisans27.
L’unité française, c’est d’abord l’unité populaire. La France, c’est son peuple,
victime ou divisé, parfois, mais irrésistible quand il se retrouve uni :
Avec Jeanne, la France n'est plus seulement celle des preux et des chevaliers. Parce
que la Pucelle a surgi des profondeurs du pays, c'est le peuple qui s'est installé à la table
de l'Histoire28.
Combat repris à cinq siècles de distance par un homme fort éloigné de Jeanne
d’Arc à tous points de vue :
Henri ROL-TANGUY restera aussi l'exemple de ce que peuvent accomplir les efforts
conjugués de tout un peuple qui retrouve par lui-même, grâce à ses combattants de l'ombre et à son armée, sa grandeur et sa dignité ; un peuple enfin réuni qui redonne à la
France, avec sa cohésion, son rang et sa place au sein des nations. Et je veux rendre
hommage, ici, aux Invalides, à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui, dans les
maquis, dans les prisons, dans les camps ou sur les champs de bataille, ont accepté de
sacrifier leur vie à leur idéal, pour la liberté, la dignité de l'homme et la grandeur de la
France29.
Car Jacques Chirac a tendance à accaparer et à fusionner les grands noms
dans une admiration commune, quitte à opérer des raccourcis un peu audacieux.
L’un des plus étonnants accompagne le transfert des cendres d’André Malraux au
Panthéon :
C'est le combat pour la justice, celui de Voltaire dans l'affaire Callas, celui de Zola
quand il accuse les calomniateurs du Capitaine Dreyfus. C'est la dignité de l'homme, toujours à défendre et à conquérir, qui habite René Cassin quand il inspire la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. C'est la passion de la liberté et le refus de l'oppression qui
portent Lazare Carnot et ses soldats de l'An II, comme Jean Moulin et son armée des ombres, et qui donnent à la plume de Victor Hugo sa violence et sa force30.
Dans le Panthéon chiraquien (celui des idées, non celui de pierre), certains
noms ne se trouvent jamais : ni Robespierre, ni Napoléon III, ni Pétain. On conçoit
facilement pourquoi : même si le premier nommé est quasiment présent en filigrane, ils sont les symboles de ces abominables divisions que le discours chiraquien exècre, plus encore qu’ils ne sont répudiés parce que dictateurs ; car les fortes personnalités ne sont pas exclues si leur rôle est à certains égards positif par
les avancées qu’ils ont permises en faveur de l’unité et des « valeurs » de la
France.
Si tant de Français connaissent, aujourd'hui encore, la figure du Cardinal de Richelieu,
ils le doivent moins au pinceau de Philippe de CHAMPAIGNE, qu'à la plume d'Alexandre
27
Hommage funèbre prononcé par monsieur Jacques Chirac, Président de la République, en l'honneur du colonel Henri Rol-Tanguy, Hôtel des Invalides – Paris, jeudi 12 septembre 2002. [ci-dessous :
Rol]
28
Jeanne, loc.cit.
29
Rol, loc.cit.
30
Malraux, loc.cit.
7
DUMAS, dessinant à l'encre noire et rouge la terrible silhouette de l'homme d'État passionné de France31.
Clemenceau, dans notre corpus, fait l’objet d’une unique mention positive.
Quant à Napoléon Ier, il est gratifié d’un satisfecit pour avoir mieux compris le judaïsme qu’aucun autre homme d’État de son époque.
Une condamnation totale des extrémismes
Le discours chiraquien n’est pas naïf : l’appel au rassemblement ne signifie pas
que tous les « bons Français » doivent appartenir à la même famille de pensée,
on l’a vu plus haut. Mais il y a ceux qui vivent et combattent au nom d’idéaux peutêtre discutables, mais estimables et sincères... et les autres. L’enfer n’est pas ici
forcément pavé de bonnes intentions. Il existe dans le discours de Jacques Chirac
une condamnation sans faille, irrévocable, celle des « extrémismes ». Évoquant
Zola, il affirme
[...] notre refus des extrémismes, de tous les extrémismes, des anathèmes et des exclusions, notre confiance dans les valeurs qui nous unissent et notre volonté de bâtir ensemble un monde de progrès, de tolérance et de justice32.
Lors du centenaire de la Ligue des droits de l’homme, il est plus précis,
condamnant aussi bien les extrémismes politiques que les intégrismes religieux :
Je pense aussi à l'extrémisme, de droite ou de gauche, qui gagne du terrain. Il se
nourrit du discrédit du politique et de l'usure des partis traditionnels, mais également de
tous les refus et de toutes les peurs. Je pense enfin aux intégrismes, principalement religieux, qui apportent aux jeunes les moins assimilés, à ceux qui rejettent le plus violemment nos modes de vie et nos valeurs, un « prêt-à-penser » aussi dangereux que sommaire. La France, symbole de l'occident devient le mal, la République, l'ennemi. Tout est
en place pour des dérives communautaristes où l'on fait souvent peu de cas des droits individuels et surtout des droits des femmes. Cela requiert, de notre part à tous, là aussi
fermeté et vigilance33.
Mais, assez curieusement, si l’intégrisme islamique clairement désigné est
condamné sans appel, la condamnation des deux extrémismes « politiques » n’est
pas tout à fait symétrique. Dans l’hommage funèbre au colonel Rol-Tanguy, dans
la panthéonisation de Malraux, on trouve des références connotées positivement
au communisme, et de manière assez appuyée. Telle pour Rol :
À quinze ans, Henri TANGUY est ouvrier métallurgiste à Paris. Deux ans plus tard, il
entre aux usines Renault de Boulogne-Billancourt et adhère aux Jeunesses communistes.
Il restera toute sa vie fidèle à l'engagement de ses dix-sept ans et sera toujours le défenseur d'un humanisme généreux, épris de justice sociale et imprégné des valeurs de la Révolution française34.
31
Dumas, loc.cit.
32
Discours prononcé par monsieur Jacques Chirac, Président de la République, pour le centenaire
de la mort d'Émile Zola, Médan – Yvelines, dimanche 6 octobre 2002. [ci-dessous : Zola]
33
Discours de monsieur Jacques CHIRAC, Président de la République. Centenaire de la Ligue des
Droits de l'Homme, Palais de Chaillot - vendredi 8 Mai 1998. [ci-dessous : Ligue]
34
Rol, loc.cit.
8
Quant à Malraux pour qui « Quand on a écrit ce que j'ai écrit et qu'il y a le fascisme quelque part, on se bat contre le fascisme », Chirac lui reconnaît d’avoir,
dans la lutte contre l’ennemi irréconciliable (le fascisme), entrepris « la recherche
de l'efficacité qui marque votre relation avec le communisme dont vous appréciez
l'organisation et la discipline face au nazisme »35 [sic] !
Car les différentes formes de fascisme sont le mal sans nuances et le nazisme
le mal absolu. Sont évoqués ça et là « l'abjection et la barbarie du nazisme, et le
vrai visage de ceux qui, en France, le soutiennent » (en 1943) ; le « nazisme, horreur du XXème siècle » ; le « long cortège des crimes du nazisme » ou encore,
phrase courte mais très révélatrice : « Le pire, c'est cela. Le nazisme ». La seconde citation est d’ailleurs placée à l’intérieur d’une phrase complexe et très
construite que l’on devra citer entièrement :
L'on croit parfois qu'à la veille de l'an 2000, les grandes doctrines ou les pratiques les
plus attentatoires aux droits et aux libertés ont disparu, ou sont en voie de disparition. Je
pense au nazisme, horreur du XXème siècle. Au colonialisme, qui marque encore de ses
ambiguïtés, de ses rancoeurs, de ses souvenirs nombre de relations internationales. Au
communisme, dont on dresse, à mesure que s'ouvrent les archives, un bilan de plus en
plus terrible. Je pense aussi, alors que nous venons de célébrer le 150ème anniversaire de
l'abolition de l'esclavage, à la servitude qui a été le lot de millions et de millions d'êtres
humains36.
Le « communisme » dont le bilan est certes terrible37 n’est pas placé sur le
même plan que le nazisme mais entre deux « horreurs » très différentes en nature
et en positionnement chronologique, le colonialisme et l’esclavagisme, le premier
étant sinon absous (il ne l’est pas) du moins fortement nuancé par ses
« ambiguïtés ».
A l’horreur du nazisme se rattache l’abomination de la Shoah, référence constante dans le discours historique chiraquien. Dans notre corpus, le mot « shoah »
est utilisé sept fois, « holocauste », cinq, « génocide » (au sens de celui-ci et pas
un autre), une. Mais quel que soit le vocable, la façon dont la chose est considérée ne varie jamais : « six millions de martyrs », « les heures noires de la Shoah »,
« tous les génocides de l’histoire et d’abord, bien sûr38, la Shoah », « l’horreur
indépassable de l’Holocauste », etc. La condamnation totale implique l’existence
et l’ouverture de musées, lieux de mémoire, plaques et mémoriaux, et bien entendu une place importante dans l’enseignement. A ce propos, le président se dé35
Malraux, loc.cit. Cette formule va plus loin que ce que laisse entendre Patrick Garcia : « Et Jacques
Chirac [...] d’expliquer le compagnonnage avec les communistes par le souci de l’efficacité ». P. Garcia,
“Jacques Chirac au Panthéon – Le transfert des cendres d’André Malraux (23 novembre 1996)” in Société
& Représentations – Dramaturgie du politique, Paris, CREDHESS, n°12, p.218. Ce n’est pas l’alliance
avec les communistes – comme avec qui que ce soit de puissant et d’important – qui donne l’efficacité :
c’est parce que les communistes sont efficaces, bien organisés et antifascistes, et que Malraux les admire
pour cela – ce en quoi Chirac l’approuve – qu’il les rejoint dans la Résistance.
36
Ligue, loc.cit.
37
Mais Jacques Chirac semble admettre qu’il a fallu du temps pour s’en apercevoir – position aussi
dominante qu’elle est, on le sait, fausse. Notons que la construction même de la phrase semble indiquer
que si le nazisme est « l’horreur » du siècle, l’article défini utilisé ne peut permettre de ranger le communisme sur le même plan. Rédaction hâtive ? Cela paraît bien improbable.
38
C’est nous qui soulignons.
9
clare sans indulgence aucune pour le négationnisme qui devra être sévèrement
pourchassé :
C'est dans cet esprit aussi, qu'avec le Gouvernement, j'entends combattre sans répit,
sans faiblesse, sans silence, le négationnisme dont nous connaissons bien toutes les résurgences et toutes les ramifications, tous les masques et tous les artifices. Avec toute la
rigueur des lois, que le Parlement vient encore à juste raison de renforcer, nous pourchasserons et nous sanctionnerons, partout où elle s'exprime, cette haine dont aucune conscience ne peut s'accommoder39.
Il manifeste aussi son inquiétude devant la montée de l’intégrisme islamique
(l’expression n’est pas employée) qui rend difficile voire impossible cet enseignement dans certains établissements. A cette occasion, il affirme, et c’est une autre
de ses items favoris, la nécessité de faire agir l’ « autorité de l’État » pour parer à
ces dérives.
L’État, son autorité, ses manquements
Dans la lutte contre le négationnisme,
Je sais pouvoir compter sur la coopération et sur la vigilance de tous les professeurs
de notre pays. Ils ne doivent pas se sentir seuls dans l'exercice de leur mission. Ils doivent
pouvoir compter pleinement sur l'autorité de l'État pour accomplir, dans la sérénité qui
s'impose, leur devoir de pédagogue au service de la vérité40.
Ce qui nous amène à une question-clé. Jacques Chirac est-il un « libéral » ?
Nombre de ses interventions (davantage sans doute dans la période 1981-1995
que depuis) sembleraient le laisser penser. Mais cela n’est nullement incompatible
avec l’affirmation de la nécessité d’un État fort. Lors de la célébration du quatre
centième anniversaire de l’Édit de Nantes, il donnera une leçon magistrale de
conciliation théorique entre la nécessité de l’autorité normative et les vertus de la
décentralisation :
La deuxième leçon est une leçon d'autorité de l'État. Seul un État fort, juste, rassembleur, pouvait ramener la concorde, garantir à chacun la sécurité, inspirer la confiance.
Avec l'Édit de Nantes, l'État joue son rôle, un État centralisé qui décide pour les provinces,
et assume ses missions essentielles de souveraineté. Un État incarné par le roi Henri IV,
qui contraint l'un après l'autre les parlements rétifs à enregistrer son Édit. Les règles ne
sont pas les mêmes pour toutes les régions de France, mais c'est l'État qui les fixe et qui
engage sa responsabilité. C'est un principe qui conserve toute son actualité41.
Toutefois, un des problèmes liés à l’existence d’un État efficace réside dans le
risque de le voir se tourner à l’occasion vers le mal. Lorsque que cet État est un
État fort ou dictatorial, le risque est encore plus grand. C’est un thème bien connu
du discours historique chiraquien, un des rares qui ait été retenu par les grands
médias : entre 1940 et 1944, l’État français s’est mis au service de l’occupant nazi
39
Discours de monsieur Jacques Chirac, Président de la République, à l'occasion du 60e anniversaire du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, Palais de l'Élysée, jeudi 22 mai 2003.
[ci-dessous, CRIF]
40
Ibid.
41
Nantes, loc.cit. C’est nous qui soulignons.
10
et a redoutablement renforcé l’efficacité des SS et de la Gestapo. C’est une affirmation énoncée lors du célèbre discours du 16 juillet 1995, qui fit quelque bruit,
commémorant la rafle du Vél’ d’Hiv. Il relança le débat sur la place de la « vraie
France » : à Londres avec de Gaulle, ou à Vichy avec Laval et Pétain42 ? Mais,
sauf erreur, les médias de l’époque ne développèrent pas le véritable sens du discours présidentiel, pourtant parfaitement clair : ce que Chirac appelait « l’État », ce
n’est évidemment pas le régime de Vichy qui se baptisait lui-même ainsi, ce n’est
pas non plus, bien sûr, le peuple français, c’est spécifiquement l’appareil d’État,
c'est-à-dire ici, les policiers, les gendarmes, les fonctionnaires. Ce qu’il avait dit en
1995, il le répétera en 2003 pour le 60e anniversaire du CRIF :
Comme j'ai tenu à le rappeler en 1995, les Juifs de France, entre 1940 et 1944, n'ont
pas été persécutés par la seule puissance occupante. Ils ont été pourchassés, traqués
puis déportés avec le concours et la collaboration de l'État français. Ce sont des policiers
français qui ont réveillé au matin du 16 juillet 1942 les treize mille juifs emmenés et gardés,
dans des conditions indignes, au Vélodrome d'Hiver. Ce sont des gendarmes français qui
les ont escortés jusqu'à Drancy. Ce sont des fonctionnaires français qui les ont livrés à
l'occupant et à son entreprise de mort. Le pays où il fut déclaré que les hommes naissent
et demeurent libres et égaux manquait alors à sa parole, à son honneur, à sa grandeur.
De cette faute inexpiable, de ce deuil, la France est à jamais inconsolable. À ses enfants
envoyés à la mort elle devait la reconnaissance de ses fautes. Elle devait aussi réparer ce
qui pouvait l'être43.
La logique de ce discours est très forte : pourquoi « la France » est-elle coupable, alors même qu’il existait simultanément une « autre France » à Londres, à
Bir Hakeim et dans la Résistance ? Alors surtout que les valeurs de « la » France,
souvent associées à celles de « la République » sont complètement antinomiques
avec ces comportements ? Sur l’ensemble de notre corpus, les mots « France » et
« valeurs » sont associées cinquante-deux fois, et font donc jeu égal avec « de
Gaulle » ; et ces valeurs sont celles de liberté (35 fois), de justice (19 fois), de paix
(60 fois), de tolérance (6 fois)44, d’humanisme, de fraternité, etc. La réponse est
implicite mais évidente : dans tout État, il existe un appareil chargé du maintien de
l’ordre, de l’administration, de la perception des taxes, de la répression nécessaires. Le drame se situe là où l’autorité supérieure elle-même pervertie et tombée
entre les mains des « extrémistes » pervertit à son tour ses serviteurs qui ne savent pas toujours distinguer l’obéissance normale et ordinaire de l’obéissance à
des ordres injustes. Mais comme ils sont eux-mêmes l’État ou en tout cas qu’ils le
représentent à leur niveau, qu’ils agissent en son nom, ils engagent la responsabilité de celui-ci, donc de la nation tant il est vrai qu’il n’existe pas d’État en dehors
de la mission de maintenir et de représenter une nation. La faute inexcusable
commise, tout ce que pourra ensuite faire l’État une fois reconquis par les défenseurs des « vraies valeurs » sera de réparer dans toute la mesure du possible –
mission noble mais impossible à accomplir entièrement.
42
Avec d’étranges affrontements à front renversé : la position chiraquienne étant aussi bien contestée
par quelques vieux gaullistes « historiques » que par... Jack Lang, fidèle à une position mitterrandienne
très « gaullienne » et... Le Pen, pour d’autres raisons évidemment.
43
CRIF, loc.cit.
44
Le total dépasse 52 car d’une part, la « France » peut être associée à plusieurs valeurs et d’autre part
les mots « France » et « paix » par exemple peuvent l’être sans qu’intervienne directement le terme « valeur ». On a compté toutes les occurrences dans lesquels ces termes se situaient à 25 mots de distance au
plus (moins de deux lignes).
11
Les absurdités de la guerre
L’unité de la nation est donc une valeur majeure. Mais si la « nation », le caractère « national » sont souvent cités (71 fois), la « France » plus encore (463 fois,
c’est de très loin le vocable le plus utilisé en langue chiraquienne), le président ne
manque guère l’occasion pour stigmatiser les dérives et les excès du chauvinisme : le mot « nationalisme » est honni (une seule citation). Concrètement, un
événement historique combine en lui les vertus des valeurs de la France et de la
République ET certaines horreurs qu’on souhaite ne jamais revoir. Cet événement, c’est la Première guerre mondiale. Il nous semble qu’on a peu remarqué à
quel point Jacques Chirac regardait cette période avec effroi. Certes, quand il
évoque la bataille de Verdun pour son 80e anniversaire, il ne manque pas de souligner (peut-il faire autrement ?) le courage, les « prodiges de vaillance et
d’héroïsme » des soldats français plongés dans un univers « dantesque » – soldats qui défendent leur pays comme ils défendraient leur famille. Mais c’est pour
davantage mettre en relief le caractère absurde de la lutte, sa vacuité, son absence de sens :
Nous nous sommes battus dans des conditions incroyables. Moi, je pensais, lorsque
j'étais devant le monument où j'ai déposé une gerbe hier aux victimes des guerres et des
tyrannies du XXe siècle, à ces millions de morts, trois millions de soldats allemands et
français, pour la seule guerre de 1914-1918. Et pour quoi faire ? Rien45.
Et ailleurs :
Puisque la France et l'Allemagne sortent pareillement exsangues de cette nouvelle
tentative de domination réciproque, puisqu'elles ont perdu en trois cents jours de combats
incessants presqu'autant d'hommes l'une que l'autre, et qu'au prix de souffrances inimaginables, le front a varié d'un kilomètre tout au plus, une entreprise si cruelle était-elle justifiable ?46
En fait, il y a une énorme différence dans le discours chiraquien entre le statut
de la Première guerre et celui de la Seconde. Dans le deuxième cas, le monstre
nazi devait être abattu coûte que coûte, on ne pouvait transiger avec lui. Dans le
premier, des millions d’hommes sont morts pour des raisons qui n’apparaissent
aujourd'hui plus très claires – et c’est l’horreur et le non-sens qui l’emportent de
loin. C’est si vrai que c’est là que le président, dont les discours sont en général
précis, on l’a vu, commet quelques erreurs majeures, dont le but conscient ou inconscient est d’accentuer l’horreur du conflit. Ainsi la France se voit-elle chargée
d’un bilan de 1,5 million de morts (chiffre un peu haut mais pas absurde) et de 3 à
4 millions d’amputés (on ne sait pas de quoi), nombre fantasmatique. Plus étrange
encore, la qualification de la guerre comme « la plus meurtrière de l'humanité,
celle de 1914-1918 »47 ; sans préjudice d’une discussion sur l’expression « la plus
meurtrière », voilà la Seconde guerre mondiale ramenée au rang de conflit mineur
par rapport à sa devancière. Le lapsus calami, peut-être volontaire, est ici souverainement éclairant.
45
Conférence de presse de monsieur Jacques Chirac, Président de la République, à l'Office fédéral
de presse, Berlin – Allemagne, mardi 27 juin 2000. C’est nous qui soulignons.
46
Verdun, loc.cit.
47
Discours prononcé par monsieur Jacques Chirac, Président de la République, lors de l'inauguration du Centre de la Mémoire, Oradour-sur-Glane – Haute-Vienne, vendredi 16 juillet 1999.
12
D’où l’appel fréquent aux vertus de la réconciliation, de l’entente internationale,
de l’arbitrage, et après 1945 de la construction européenne. Si celle-ci est souvent
invoquée (22 fois), il est curieux de noter que ses apôtres sont très sélectivement
nommés : dans notre corpus, on trouve une fois Jean Monnet mais il n’y a trace
de Schuman (Robert), ni de Spaak (Paul-Henri) ni de Gasperi (Alcide de). On dira
que cela tient à notre sélection arbitraire. Point du tout : si l’on cherche sur le moteur ad hoc qui balaye l’ensemble des interventions présidentielles depuis 1995,
on trouve 10 Schuman48, 7 Monnet, un de Gasperi49, zéro Spaak et... quarante
Adenauer. On conviendra qu’il ne s’agit pas là d’une appréciation fiable des
contributions réelles à la naissance de l’Europe unie. L’explication nous paraît
double : la construction européenne est pour Chirac une conséquence directe et
une solution définitive aux querelles franco-allemandes qui ont ensanglanté le
continent,
Sur les ruines du champ de bataille se confirme l'idée que l'amitié vaut mieux que la
guerre et que la fraternité n'est pas impossible entre deux nations que l'histoire, depuis des
siècles, s'obstine à opposer, sans doute parce qu'elles sont en réalité complémentaires. Il
fallait peut-être une épreuve aussi terrible que la guerre de 14-18 pour faire progresser
cette idée. Il fallait la Société des Nations pour tenter, dès la fin du conflit, de lui donner
forme. Il fallait les efforts d'un homme comme Aristide Briand pour trouver le chemin de la
paix et ébaucher l'unité européenne. Il aura fallu, hélas, le deuxième conflit mondial et le
long cortège des crimes du nazisme pour montrer l'impérieuse nécessité, la naturelle nécessité de l'amitié franco-allemande et, par-delà, celle de l'Union européenne. Incarnée
par deux hommes, le Général de Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer, attestée par
un traité de coopération, la réconciliation entre nos deux pays est chose acquise depuis
plus de trente ans. Tous nos efforts depuis lors ne visent qu'à renforcer cette amitié, cette
amitié vraie pour la rendre plus active et plus efficace. C'est, pour chacun d'entre nous une
obligation ardente et naturelle50.
Le second versant de l’explication est sans doute plus trivial : la mise en exergue d’Adenauer permet de valoriser le couple de Gaulle-Adenauer. J.Chirac
n’ayant, on l’a vu, pas grand-chose à dire sur le général passée l’époque de la
France combattante, il est séant et efficace d’en faire un « père de l’Europe » en
tirant un peu sur les ficelles.
Un discours « opportuniste »51 ?
Au total, et sous réserve de recherches plus approfondies, il nous apparaît que
le Chirac du discours historique n’est pas l’homme de droite qu’il se plaît (parfois)
à incarner, voire à assumer. Le processus historique tel qu’il est décrit – sans être
le moins du monde marxiste – fait la part belle aux élans populaires face à
l’égoïsme des grands et des puissants. C’était vrai du temps de Jeanne d’Arc
comme sous Jules Grévy – et comme sous Chirac (enfin, ici, plutôt sous Jospin...)
Dans la ligne de Germinal, Zola aborde, avec La Terre, les difficultés du monde
paysan, sa rudesse, son âpreté, ses haines ancestrales qui déchirent les familles et les
48
Après élimination des « Fondation Robert Schuman »
49
Dans une interview à la Stampa. C’est bien la moindre des choses.
50
Verdun, loc.cit.
51
Attention au sens du mot. Voir plus loin.
13
conflits avec les grands propriétaires. Alors que la lutte contre les exclusions reste plus
que jamais un devoir et un impératif pour notre pays, l'oeuvre de Zola nous rappelle, avec
une vigueur sans égale, la longue route du combat pour la justice et le progrès social52.
Si « la droite » s’incarne dans une culture, ce n’est pas celle de Mac Mahon et
du duc de Broglie que le président qualifie de
chape de plomb de l'ordre moral. Après Thiers, Mac Mahon ! Après l'Empire, la République des ducs et des pairs, dans l'espoir d'une restauration monarchique53.
Ce qui laisse supposer qu’il n’y a pas de filiation entre cette « droite » là et celle
des années 2000. Sans vouloir magnifier le combat socialiste révolutionnaire54, on
notera que dans le cas de la Commune par exemple, Jacques Chirac ne tient pas
la balance horizontale, évoquant dans le passage indiqué ci-dessus la « brutalité »
de l’insurrection et les « atrocités » de la répression, différence sémantique évidemment voulue.
La France de Chirac est celle des « Lumières » (référence qu’il affectionne) du
« progrès » (avec ses contradictions), des Droits de l’homme. Dans cette galerie
des ancêtres, la filiation chrétienne reste discrète : lors du 15ème centenaire du
baptême de Clovis, le président ne prononcera pas de discours propre et n’y fera
allusion qu’au cours de ses rencontre avec le pape, demeurant d’une grande prudence et tenant un discours mesuré et historiquement peu critiquable :
Enfin, entouré des évêques de France, vous célébrerez à Reims le 1500ème anniversaire du baptême de Clovis. Vous soulignerez ce que la conversion du roi païen allait signifier dans l'Histoire, scellant l'union des peuples franc et gaulois, et tissant des liens
étroits entre l'Église et une France en devenir55.
D’où, donc, ce discours ? Républicain et progressiste, social et tolérant, refusant les extrémismes et l’autoritarisme érigé en système, comment le qualifier ?
« Centriste » est un mot qui ne convient pas, car il s’agit d’un discours engagé et
qui ne se définit pas par sa neutralité. A beaucoup d’égards, refusant certes le socialisme, il se situe mutatis mutandis assez près du discours républicain des années 1880, de celui des pères fondateurs. Chirac opportuniste (au sens historique
du mot) ? En un sens.
52
Zola, loc.cit.
53
Ibid.
54
De Zola, il note « Il se méfie des extrêmes, des ultras, de ceux qu'il appelle les "exaltés". Il n'est ni
un révolutionnaire, ni un violent. Pour lui, le progrès social est une patience. » (Zola, loc.cit.)
55
Allocution de bienvenue prononcée par monsieur Jacques Chirac, Président de la République, a
l'occasion de la venue en France de Sa Sainteté, le pape Jean-Paul II, Tours, jeudi 19 septembre 1996.
Cette formule est très peu différente de celle utilisée par Marceau Long, président du Comité national
pour la commémoration (voir Yves Déloye, « Commémoration et imaginaire national en France (18961996), “France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ?” », in Pierre Birnbaum
[dir.], Sociologie des nationalismes, Paris, P.U.F., 1997, pp.55 sq.
14
Reste que 2000 n’est pas 1900 et que, réemployant des références anciennes,
nous les transformons en instruments nouveaux. L’histoire selon Chirac obéit à
plusieurs fins explicites56 :
–
Rassembler les Français autour du président, garant des valeurs
fondamentales de la nation. Ce rassemblement concerne tout le monde à
l’exception des « extrémistes ». Encore ceux qui sont désignés ainsi se situent-ils surtout à l’extrême droite. D’Alexandre Dumas, il dira :
Fils d'un général bonapartiste trahi et abandonné par Napoléon, ami des Orléans mais
républicain, conservateur mais révolutionnaire, Dumas incarne la France dans ses contradictions les plus intimes. C'est aussi pour cela que les Français l'aiment tant57.
Tant il est vrai que les malheurs du pays sont toujours ou presque venus
de la division de ses citoyens. Il ne s’agit évidemment pas de ressusciter
une « Union sacrée » » à la mode de 1914, ni même peut-être une Union
nationale » politique de type 1936 ou 1934, mais de rassembler l’immense
majorité des citoyens autour de thèmes incontournables pour que subsistent la liberté et la démocratie.
–
Définir des espaces, des champs de mémoire précis, non pour le principe
mais pour entreprendre l’élimination définitive des forces qui ont conduit
aux horreurs du 20e siècle et des siècles précédents (racisme, antisémitisme, dictature, esclavagisme...) et favoriser le dépassement des conflits
dans le cadre, par exemple, de la construction de l’Union européenne ou
de la justice internationale.
Mais au-delà de ces buts explicites, et par eux, se dessine une visée implicite
plus essentielle : faire de l’histoire un élément du discours non partisan du président, celui qui s’adresse à tous les partis et par-dessus eux à tous les Français, en
laissant aux groupes de la majorité parlementaire et au gouvernement le soin de
définir une politique plus âpre et de traiter (ou non) les « sujets qui fâchent ». Ou
plutôt et plus complètement, le discours « historien » de Jacques Chirac nous
semble pourvu d’une fonction majeure : nous émettons là une simple hypothèse et
il n’est même pas dit que le locuteur et ses éventuels rédacteurs en aient (ou aient
eu) conscience. Remarquons que les thèmes portés par Jacques Chirac ne sont
en aucune façon des thèmes caractéristiques de la droite « historique » d’avant la
Seconde guerre mondiale – et encore moins d’avant la Première : aucun chauvinisme (on est loin de l’ « Appel de Cochin »), un pacifisme même qu’on dirait parfois emprunté au discours d’un Frédéric Passy, un philosémitisme extrêmement
appuyé, un rejet de toute xénophobie et de tout racisme, un appel même à des valeurs caractéristique de la gauche « historique » telle la laïcité définie par de fortes
formules :
De même, dans notre République laïque, le principe de laïcité est beaucoup plus
qu'une chance. Il est le pilier de notre unité et de notre cohésion, l'expression concrète et
la condition même de la solidarité nationale. La laïcité est une valeur d'une extraordinaire
modernité tant elle exprime cet esprit de tolérance, de respect et de dialogue qui doit plus
56
Explicites : entendons-nous. Il n’y a nulle part d’énoncé méthodologique et/ou épistémologique sur
l’usage de l’histoire dans le discours présidentiel. Mais les formulations sont à plusieurs reprises assez
claires pour qu’on en dégage les items ici affirmés.
57
Dumas, loc.cit. De qui parle-t-il ici ? De Dumas ? ou de Chirac ?
15
que jamais prévaloir. Elle est un principe sur lequel nous ne transigerons pas. Seule une
meilleure connaissance de l'autre, le respect des différences et l'organisation d'un dialogue
confiant peuvent assurer la paix et le progrès58.
Alors ? La clé nous semble résider dans l’usage fait aujourd'hui du terme
« droite » dans le paysage politique français. Ce mot pour désigner le camp qui
s’oppose à la « gauche » est d’usage récent, ou plutôt, contrairement à ce que
d’aucuns pensent, il est réapparu dans son sens actuel après une éclipse de plusieurs dizaines d’années. Jamais, de 1958 à 1981, le camp gaulliste et/ou libéral
ne s’est présenté comme « la droite ». Le terme le plus couramment employé était
« la majorité ». Cette prudence de langage (cette hypocrisie) a été peu à peu, puis
rapidement, abandonnée, après la victoire de François Mitterrand. Or, cette
« droite » peut être au fond porteuse de valeurs pas forcément éloignées de celles
de la tradition, et quelques parlementaires peuvent à l’occasion le rappeler au
souvenir des Français. Mais ils sont alors toujours présentés par leurs propres
leaders comme s’exprimant à titre individuel et non représentatifs. La « droite »,
pour être respectable, doit fonder son discours sur des valeurs aujourd'hui considérées comme seules acceptables et qui n’étaient nullement celles des monarchistes des années 1880-1890, ni des nationalistes de la Belle Époque, ni même
de la Fédération républicaine de l’Entre-deux-guerres59. Une démonstration majeure et décisive en a été administrée en 1998 lorsque la « droite » tout entière
s’est dressée contre Lionel Jospin qui la présentait comme l’héritière des esclavagistes et des antidreyfusards. Cette protestation a été fort mal analysée tant par
les médias que par quelques éminents historiens60. On y a vu une (saine) réaction
contre une erreur factuelle du premier ministre alors que, dans l’ensemble, sa façon de voir était tout à fait pertinente, que – s’agissant de l’affaire Dreyfus par
exemple – ce ne sont pas quelques positions antisémites de Jaurès, vite corrigées, l’indifférence affichée de quelques socialistes ou le dreyfusisme de quelque
hommes « de droite » qui brouillent le paysage réel d’un affrontement massif entre
blocs. Mais si, sur beaucoup de plans, la « droite » de 2003 est l’héritière de celle
de 1903, elle ne peut en aucun cas afficher sa similitude sur des thèmes devenus
discriminants pour un « démocrate », se proclamer raciste, militariste, cléricale.
D’où l’obligation de s’affirmer comme la co-héritière des traditions démocratiques
de la France, l’enfant de la Révolution au même titre que la gauche61. Or, dans le
même temps, la politique quotidienne du gouvernement émanant du président ne
s’exprime guère sur des thèmes « de gauche » très reconnaissables, pour rester
modéré. Le discours « historien » du président pourrait donc, consciemment ou
58
CRIF, loc.cit.
59
Il va de soi que tout ceci mériterait d’être infiniment nuancé et, surtout, daté. En gros, l’opposition
entre les deux cultures ici mentionnées correspond à l’époque 1880-1940, ou si l’on veut à la grille
d’analyse d’André Siegfried. C’est à cette période que peuvent s’appliquer les éventuelles techniques de
récupération du discours historique de Chirac. Encore cette utilisation ne tient-elle pas vraiment compte
de l’existence de multiples courants extrémistes ou inclassables, survivants de la « gauche réactionnaire »
ou de la « droite révolutionnaire », populistes de tous poils, communistes des années 1920-1935. Les références que nous utilisons et qui nous paraissent pertinentes dans le champ considéré sont en gros celles
qui opposent, de Waldeck-Rousseau et de Jules Lemaître à Blum et à Louis Marin, la droite conservatrice
et la gauche démocratique, la plus grande partie des socialistes comprise.
60
Voir « Les historiens contredisent le premier ministre », in Le Monde, 16 janvier 1998. On remarquera au passage cette horripilante habitude d’utiliser une forme de totalisation par l’article défini qui vise
à fermer tout espace à la contradiction : « Les experts établissent que... »
61
Voir plus haut ce qu’il avance à propos de Rol-Tanguy.
16
inconsciemment, constituer l’outil qui refonde la pensée d’une droite républicaine,
démocrate, internationaliste et pacifique, ayant repris au fond à la « gauche » ses
valeurs fondamentales62 et ne laissant à celles-ci que les oripeaux d’une défroque
marxisante, c'est-à-dire pas grand-chose, comme le disait Jacques Chirac un 14
juillet (voir plus haut) en distinguant la « culture » de droite de « l’idéologie » de
gauche. Terrible simplification, mais sans doute en partie efficace et qui a peutêtre constitué un des éléments de la survie politique et des réussites électorales
du personnage sur le long terme.
Jean-François Tanguy, Maître de conférences d’histoire contemporaine
Université de Rennes 2 Haute-Bretagne
CRHISCO (UMR CNRS 6040)
62
La question n’est donc pas du tout ici de savoir si le clivage simpliste gauche/droite est ou non pertinent en soi dans l’analyse de la vie politique française depuis deux siècles. Sur ce point, on se reportera
à Pierre Favre, Naissances de la science politique en France, 1870-1914, Paris, Fayard, 1989, et notamment à l’évocation des critiques adressées par Raymond Aron à Siegfried en 1955 (voir pp.240-242), ainsi
qu’à l’article d’Aron lui-même dans la Revue française de science politique. Mais de constater qu’à certains moments de notre histoire (1870-1910 et 1972-2003 entre autres) ce critère a constitué une grille
d’analyse de la réalité prédominante pour les acteurs et les observateurs. Sa part de réalité sociale est une
autre affaire.
17