Devenir parents selon des pères et des mères ivoiriens
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Devenir parents selon des pères et des mères ivoiriens
DEVENIR PARENTS SELON DES PÈRES ET DES MÈRES IVOIRIENS 201 5. DEVENIR PARENTS SELON DES PERES ET DES MERES IVOIRIENS KOFFI Kouakou Adjéï,1 [email protected] RESUME Cette étude visait à comprendre la conception, le rôle et la préparation reçue afin d’assumer le statut des parents (père et mère). L’enquête a été menée auprès de 60 parents et 20 responsables de communautés à partir d’un entretien semistructuré. Les résultats font ressortir que la conception de la famille va de la famille nucléaire à la famille élargie. Certains inclus dans la famille, les voisins si les relations sont de très bonne qualité. Une famille est aussi perçue comme une équipe dont les membres doivent s’entendre sur les principes éducatifs concernant les enfants. Aux pères et aux mères, il revient le rôle de pourvoir à la nourriture, la scolarisation et à l’insertion professionnel des enfants. Ils doivent aussi donner des conseils, initier aux tâches domestiques et veiller de façon générale à l’éducation. Cependant, les parents ne reçoivent pas systématiquement une formation qui les prépare à jouer pleinement le rôle qu’on leur reconnait. Les actions de formation que reçoivent certains sont plutôt tournées vers le couple. Les thèmes abordés concernent : l’indissolubilité du mariage, l’amour, le pardon réciproque, l’éthique des conjoints, la fidélité des conjoints, l’organisation de sa vie, la soumission de la femme à l’homme, l’obéissance des enfants aux parents, l’unité dans le couple. Il ressort un manque de préparation quant à l’éducation des enfants. Mots-clés : Parents, famille, pratiques éducatives, enfants, formation, Côte d’Ivoire. INTRODUCTION ET CONTEXTE Les familles sont confrontées à de nombreux problèmes notamment ceux de leurs enfants. Ces problèmes ont pris des dimensions particulières dans le contexte ivoirien en cette période de crise sociopolitique qui a vu les comportements agressifs, la violence verbale et physique s’amplifier, les vols, la cybercriminalité s’accroitre, etc. Parmi les questions que soulève cette situation, figure celle relative à la création des familles mais surtout celle de savoir si les parents sont préparés à assumer leur rôle. Ainsi, une étude exploratoire a été conduite 1 Enseignant et chercheur, Ecole Normale Supérieure d’Abidjan © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 202 KOFFI Kouakou Adjéï auprès de parents (pères et mères) et visait à identifier leur conception de la famille, les caractéristiques d’un bon parent et les actions concourant à la préparation à la vie familiale. Une recherche a pris comme point de départ des études sur la famille, sur le type de soutien attendu des parents et sur les pratiques éducatives au sein des familles. La littérature sur les capacités des familles à assumer l’éducation des enfants est assez rare en Côte d’Ivoire. On recense quelques monographies sur les échanges parents-enfants dans l’éducation traditionnelle, échanges fondés sur le respect des aînés et des anciens. Quelques travaux récents dont «Famille et éducation en Côte d’Ivoire » (Dédy et Tapé, 1995) révèlent la fragilité du cadre familial due à une multitude de facteurs: urbanisation, exode rural, crise économique, brassage des cultures, pauvreté, etc. Tous ces facteurs contraignent les parents à assumer de moins en moins leur mission d’éducateur. Des études démographiques ont montrée que ce sont les mères les mieux éduquées qui multiplient les échanges avec les enfants, s’occupent mieux de leur santé, de leur éducation et de la nutrition, toutes choses en rapport avec le développement physique et cognitif de l’enfant. Dans cette perspective, Cochrane (1979), observe que des taux de scolarisation élevés sont associés à des taux de fécondités faibles dans les pays industrialisés et dans les zones urbaines. En définitive, les personnes bien éduquées sont plus armées que les autres pour améliorer la situation sociale des enfants, (Jejeebhoy, 1996). L’étude sur les déterminants familiaux de la scolarisation des filles (Dédy Bih, Koné, 1997) relève les indicateurs qui définissent un parent dévoué pour la scolarisation de l’enfant : il achète la nourriture (84,2% ; il suit le travail des enfants (71%) ; il rencontre les maîtres (43,6%) ; il nourrit bien les enfants (42,3%) ; il participe aux réunions des parents d’élèves (22,3%) ; il réduit les tâches domestiques des enfants (17,8%). En dehors des travaux empiriques, la psychanalyse (Freud, 1905, 1972) considère les parents comme des objets d’amour, objet permettant à l’enfant de structurer son affectivité. Pour Wallon, (1963) et Gesell, (1930) l’enfant construit sa personnalité par l’intermédiaire des échanges avec l’entourage humain dans les premiers moments de la vie. A la naissance, le comportement du nourrisson entre 0 et 2 mois est dominé par l’impulsivité motrice. C’est une période de « non-être psychologique » (Zazzo, 1962) qui succède au stade fœtal caractérisé par une dépendance biologique de l’enfant. Lors du passage de la période d’impulsivité motrice à la période émotionnelle, c’est-à-dire du psychologique, le facteur humain, notamment la famille, joue un rôle © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 DEVENIR PARENTS SELON DES PÈRES ET DES MÈRES IVOIRIENS 203 fondamental au début de la scolarisation de l’enfant en tant que modèle identificatoire. Les travaux de Spitz (1968) sur la pathologie des relations objectales sont instructifs à cet égard. Lorsque les relations parents-enfants sont satisfaisantes, c’est-à-dire lorsque ceux-ci offrent une relation normale (alimentation agréable, provisions libidinales…), le développement psychologique se déroule normalement. Par contre, lorsque les relations sont insatisfaisantes, on assiste à l’apparition de deux groupes de troubles psychologiques: les affections psychotoxiques de l’enfant et les carences affectives. Quant aux carences affectives, elles dépendent d’un facteur quantitatif et caractérisent l’enfant privé de relation avec ses parents par suite de maladie, d’absence prolongée ou de décès. L’insuffisance de la relation parents-enfants entraîne des troubles psychologiques graves (pleurs, amaigrissement, retard du quotient de développement, etc.), pouvant déboucher sur le marasme et la mort si l’objet d’amour n’est rendu à l’enfant. La théorie constructiviste de Piaget (1975) réserve une part importante au rôle des parents dans le développement cognitif de l’enfant. Les parents peuvent favoriser ce développement par les pratiques éducatives qu’ils mettent en œuvre pour élever celui-ci. Pour ce faire, l’environnement familial doit répondre aux implications théoriques du processus d’équilibration qui considère l’activité de l’enfant comme le moyen par lequel il résout les problèmes pour retrouver son équilibre cognitif. Ces implications qui déterminent les caractéristiques d’un environnement favorable au développement, sont au nombre de deux (Lautrey, 1980) : - être source de perturbations ou de problèmes ; - réunir les conditions nécessaires aux rééquilibrations, donc à la résolution des problèmes. Les environnements les plus favorables au développement cognitif de l’enfant seront à la fois ceux qui suscitent des problèmes pour l’enfant et lui apportent l’aide nécessaire pour les résoudre. Dans ces environnements, l’enfant est capable d’accroître le niveau de ses connaissances et développer son intelligence. Par rapport à ces deux implications ou conditions on peut distinguer chez les parents trois types de pratiques éducatives familiales : © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 204 KOFFI Kouakou Adjéï - les pratiques éducatives familiales faibles ; - les pratiques éducatives familiales rigides ; - les pratiques éducatives souples. Les pratiques éducatives sont dites faibles lorsque l’environnement familial est dominé par les perturbations. Les pratiques éducatives sont dites rigides lorsque l’environnement familial de l’enfant est dominé par les solutions toutes faites qui ne permettent pas à l’enfant de réfléchir par lui même en vue de l’autonomie de sa pensée. Ce comportement parental favorise la dépendance de l’enfant. Les pratiques éducatives souples sont celles qui caractérisent les familles où les parents proposent des problèmes à l’enfant et lui offrent l’encadrement nécessaire pour qu’il les résolve par sa propre activité. Le dialogue parent-enfant est permanent et l’enfant tire profit de cet échange pour développer une pensée autonome. Les travaux empiriques (Lautrey, 1994) confirment l’efficacité des pratiques éducatives familiales souples par rapport aux autres formes. Les familles et donc les parents contribuent, dans les premiers moments de la vie, à la mise en place des instruments cognitifs chez l’enfant. Le travail de Vygotski (1934) sur le développement des processus mentaux supérieurs abonde dans le même sens et accorde une place centrale au rôle des parents dans le processus d’éducation et de formation du psychisme enfantin. L’auteur distingue deux formes de fonctionnement mental : les processus mentaux inférieurs et les processus mentaux supérieurs. Les processus mentaux inférieurs proviennent du capital génétique de l’espèce humaine, de la maturation biologique et de l’expérience de l’enfant dans son environnement physique. Quand aux processus mentaux supérieurs, ils dépendent de l’environnement socioculturel et particulièrement de la famille dans laquelle se mettent en place la fonction symbolique et l’acquisition du langage. Vygotski souligne d’abord que le développement ne peut être appréhendé indépendamment des situations éducatives et d’apprentissage dont il résulte ; il est la conséquence des apprentissages auxquels l’enfant est confronté. Ce sont les apprentissages qui fondent ce que l’auteur appel la zone proximale de développement, Comme ces apprentissages commencent en famille, on saisit alors l’importance des parents quant à la formation du psychisme enfantin. Vygotski considère ensuite que la spécificité de l’activité humaine est d’être socialement médiatisée, qu’il s’agisse d’activité extérieur, concernant les rapports de l’homme avec la nature, ou d’activité intérieure, c’est-à-dire l’activité psychique. Ces outils © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 DEVENIR PARENTS SELON DES PÈRES ET DES MÈRES IVOIRIENS 205 sont constitués par le langage et les autres systèmes de signes servant à représenter le réel. Enfin pour Vygotski, c’est dans une relation d’échange avec l’éducateur (parents ou enseignants) que l’enfant construit son propre psychisme par intériorisation/appropriation des acquis socioculturels. Le développement des compétences de l’enfant dépendra alors de la qualité de la tutelle, de la manière dont le tuteur encadre l’apprenant. Comme les premiers tuteurs de l’enfant sont les parents, il va dire qu’un bon apprentissage du métier de parents pourrait aider ceux-ci à prendre conscience de leur rôle et mieux le jouer. Seule l’éducation des parents pourrait garantir la qualité de l’encadrement familial des enfants. Cette préoccupation doit être prise en compte dans les politiques sociales. L’objectif poursuivi par la présente étude est d’identifier et comprendre le processus est mis en place par la communauté pour préparer les parents à leur rôle. De façon spécifique, il s’agira, à partir de cette étude exploratoire : - de comprendre la conception de la famille selon les pères et mères ; - d’identifier les caractéristiques d’un bon parent (d’un bon père ou d’une bonne mère) ; - d’identifier les actions de la communauté visant la préparation aux rôles de parents. MÉTHODE La méthode qualitative a été mise à contribution dans cette étude, afin de réunir une information fiable sur un sujet qui implique personnellement les acteurs interrogés. Elle a utilisé notamment des techniques proprement sociologiques et psychologiques consistant en entretiens individuels. L’étude s’est déroulée dans deux régions aux caractéristiques culturelles, sociales et économiques relativement différentes. Il s’agit de la ville d’Abidjan et de Bouaké. L’étude a utilisé les techniques suivantes : La recherche et l’analyse documentaire dans la construction du contexte et la réalisation de la revue de la littérature. Les entretiens individuels semi-structurés menés avec 60 des adultes (30 pères et 30 mères) et 20 leaders de communauté (ethniques et religieux) ont permis d’obtenir des informations sur la responsabilité de parents et plus particulièrement sur les pratiques en matière de préparation à la vie familiale. Les parents interviewés ont été choisis à partir de certains des jeunes qui ont été, eux impliqués dans des focus group (qui ne sont pas l’objet de cet article). Ce sont les parents de ces jeunes qui ont accepté de répondre © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 206 KOFFI Kouakou Adjéï aux questions qui ont été retenus. Les entretiens se sont déroulés à leur domicile bien souvent en présence de leur épouse ou de leur époux. Cependant, les propos figurant dans le corpus analysé sont ceux du parent de référence, le père ou la mère choisi pour l’interview, propos soutenus par ce parent ou de concert avec son conjoint. Les réponses ont fait l’objet d’une première analyse de contenu selon le genre avant une prise en compte générale. Au cours de l’étude, il est ressorti l’intérêt d’analyser les réponses des pères d’une part, et celle des mères d’autre part. Cette analyse, dans le cadre de cette étude qui se veut exploratoire, visait principalement à faire ressortir la spécificité de la réponse des pères et celles des mères. Ainsi les réponses ont été regroupées selon les points de vue émis. Plusieurs réponses allant dans le même sens ont été regroupées et rapportées avec un exemple permettant d’illustrer ce point de vue. Cette approche a permis de relever la spécificité des réponses données par les parents en ce qui a trait à leur conception de la famille, aux caractéristiques des bons parents et à la « trajectoire » de formation des parents. RÉSULTATS La conception de la famille selon les parents Les adultes pères et mères que nous avons interviewés ont livré leur conception de la famille. Cette conception s’appuie sur le vécu social et part du couple pour s’étendre à d’autres personnes. Les notions de famille nucléaire et de famille élargie sont proposées pour cerner le concept. Par ailleurs, la famille est présentée comme : «la cellule de base constitutive de la société, la communauté de vie». La famille nucléaire est aussi qualifiée de « famille restreinte qui se définit comme l’ensemble des parents (père-mère) et de leurs enfants ». Le qualificatif restreint doit être saisi dans tout son sens. Son utilisation indique que le répondant a connaissance d’une famille qui n’obéit pas au même contour. Dans cette optique, les pères et mères ont précisé que : « une famille, c’est le père, la mère et comme tout bon africain, c’est les autres parents ». D’autres ont une conception plus large de la famille qu’ils livrent dans les termes ci-dessous: « la famille est un ensemble composé du père, de la mère, des enfants, des frères, des sœurs, des cousins, des cousines, des beaux-parents etc. » ; « une famille, c’est tous ceux qui l’entourent comme personnes dans un quartier. Les voisins sont comme des frères et sœurs» © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 DEVENIR PARENTS SELON DES PÈRES ET DES MÈRES IVOIRIENS 207 La famille est aussi perçue soit en fonction du lien qui unit ses membres notamment le mari et l’épouse, soit en rapport avec le rôle qu’on lui reconnaît dans l’éducation des enfants. Les extraits ci-après en font mention : « Une famille c’est un individu marié légalement et qui vit avec son épouse et ses enfants. Une famille c’est aussi tous ceux avec lesquels l’on vit » ; « Une famille c’est une équipe dans laquelle, l’on assoie les principes qui vont diriger la vie de par l’éducation des enfants et de par l’image qu’on donne aux enfants ». Cette diversité de conceptions de la famille met-elle les parents à l’abri des problèmes ? – Les caractéristiques des bons parents selon les pères et mères Les parents interviewés identifient comme bon parent celui qui « soigne, habille, scolarise ses enfants, leur donne des conseils dans le sens d’éviter la compagnie des délinquants, d’éviter les palabres suivies de blessures, qui demande à ses enfants d’obéir aux personnes âgées ». Les parents évoquent généralement les besoins primaires: soins de santé, nourriture, vêtements, scolarité des enfants. Ils spécifient toutefois des actes caractéristiques des mères et des pères. Les actes que doit poser un père, en plus de la satisfaction des besoins élémentaires, pour qu’il soit considéré comme un bon parent tourne autour des points suivants : - « scolariser ses enfants et contrôler leurs travaux scolaires pour y apporter quelques corrections » ; - « aider son enfant diplômé à trouver un emploi » ; - « ne pas accorder une liberté excessive à l’enfant qui se croirait tout permis aussi bien le mal que le bien » ; - « déconseille le vol, le mensonge et conseille l’obéissance à ses enfants » ; - « donner une ligne directrice à ses enfants de sorte à éviter les mauvais comportements comme le vol et la drogue etc. » ; - « conseiller ses enfants ; les écouter en cas de déviation (vol) et les ramener à la raison et les aider à voir l’intérêt des conseils du père » ; - « sélectionner les émissions télévisées, et les films car il y en a qui enseignent de mauvaises choses aux enfants : le mensonge, le banditisme, la tuerie etc. » ; - « faire des sorties avec ses enfants pour leur permettre de découvrir l’extérieur afin que ces derniers aient une connaissance de © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 208 KOFFI Kouakou Adjéï certaines choses de la vie qui ne sont pas dans l’environnement immédiat (…), cela leur permettra de discuter d’égal à égal avec leurs amis sur certains sujets s’y rapportant » ; - « contrôler leur travail scolaire afin qu’ils préparent leur avenir… ». La bonne mère intervient pour guider son enfant au plan moral, dans son travail scolaire, ses relations avec l’extérieur, au plan de l’hygiène vestimentaire et corporelle. Elle doit se conduire comme décrit ci-après: - « exhorte ses enfants à apprendre leurs leçons, veille au respect de leur emploi du temps : réveil, cours, heure de retour des cours » ; - « recommande à l’enfant d’être très présent à la maison de sorte à ne pas indisposer les autres » ; - « celle qui déconseille les nombreuses sorties à ses enfants. Elle leur demande de ne pas s’associer aux groupes de délinquants au risque d’en devenir un » ; - « se faire la deuxième oreille de sa fille, être à l’écoute de celleci ; recevoir les doléances et y apporter, par des conseils, des solutions » ; - « apprendre à sa fille les travaux ménagers » ; - « celle qui donne des conseils s’appuyant sur des enseignements religieux » ; - « repartit des tâches domestiques aux enfants (nettoyage des toilettes de la maison, des fauteuils, serpillière ». Par ailleurs, la mère doit porter une attention particulière à son époux. Les parents estiment qu’elle doit contribuer aux dépenses du foyer. Ils le relèvent à travers les propos suivants: «La femme doit toujours porter une attention particulière à son époux pour subvenir aux dépenses de la maison. Elle doit pouvoir participer à l’achat de certaines denrées alimentaires». – La préparation au rôle de parent selon les pères et mères D’autres affirment qu’ils ont été préparés au rôle de parent soit dans le cadre familial, soit dans le contexte religieux. Les actions ainsi engagées possèdent comme caractéristique commune de rechercher l’harmonie © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 DEVENIR PARENTS SELON DES PÈRES ET DES MÈRES IVOIRIENS 209 dans la famille à fonder. La formation au niveau de la famille prend des formes diverses: conseils donnés par les membres de la famille restreintes ou élargie, épreuves auxquelles les jeunes sont soumis. Par exemple dans certains cas, le maire est intervenu dans la formation des fiancés : « nous avons été préparés au mariage par nos parents au village et par la maire qui a célébré notre mariage. Cette préparation à consisté à nous faire prendre conscience de l’acte que nous poserons». L’un des interviewés raconte ici l’épreuve à laquelle il a été soumis: «au niveau de la coutume, l’on met l’accent sur l’endurance de l’homme, le futur marié. Deux épreuves sont prévues: le futur époux devrait grimper à des palmiers d’une hauteur respectable et défier les courageux. Lorsque le prétendant y arrive et coupe tous les régimes de graines mures, cela prouve qu’il peut se sortir de tous les problèmes qui se poseront à lui et qu’il ne reculera pas devant les problèmes que connaîtra sa femme». La préparation conduite par les églises prend la forme de rencontre avec les jeunes fiancés, de retraites spirituelles, de rencontre avec des couples et d’enseignements reçus. Quand il s’agit du recours aux couples déjà mariés, les interviewés rapportent : «cette préparation a consisté à des rencontres avec des aînés déjà mariés qui nous soutenaient à travers les conseils qu’ils nous donnaient». Les thèmes abordés au cours de cette préparation au rôle de parents portent sur : • l’indissolubilité du mariage chrétien ; • l’amour ; • le pardon réciproque ; • l’éthique des conjoints ; • la fidélité des conjoints ; • la vie ensemble ; • la compréhension, et la tolérance ; • l’organisation de sa vie ; • la soumission de la femme à l’homme ; • l’obéissance des enfants aux parents ; • l’unité dans le couple. Pour les mariages religieux, les parrains et marraines apportent leur contribution à la préparation des fiancés à leurs responsabilités futures. Les thèmes abordés sont plus centrés sur le couple et peu tournés vers les enfants et leur éducation. Parmi les structures qui participent à la © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 210 KOFFI Kouakou Adjéï préparation des membres du couple à leurs responsabilités, figurent des ONG citées par les interviewés : Association Ivoirienne du Bien-Etre Familial (AIBEF) et Association Ivoirienne des Droits de la Femme (AIDF). Au nombre des organisations chrétiennes, l’association famille chrétienne (AFC) et la Communauté du Chemin Neuf à Cocody sont les plus citées. Selon les interviewés de confession musulmane (notamment des imams), il n’y a pas de structure de préparation en tant que telle. L’imam donne des conseils aux conjoints le jour de la cérémonie. DISCUSSION La famille a été clairement identifiée comme la cellule de base de la société et donc comme l’unité sur laquelle la société doit prendre appui. Cette conception renforce tout l’intérêt qu’a la communauté de s’appuyer sur des familles stables et solides. De la qualité de la famille dépendra la force de la société. Le choix du type de famille donne la préférence à la famille élargie malgré les contraintes de la crise économique et sociale. Ce choix marque-t-il le primat de la culture traditionnelle sur la culture moderne ? On aurait pu le penser plus pour les villages caractérisés par une population homogène que pour les villes. Il semble que la crise ait permis de saisir la capacité de solidarité qu’offrent les familles élargies. Cependant, les familles peuvent-elles véritablement suppléer à l’absence d’une véritable structure nationale de solidarité et d’assistance aux citoyens? Le développement des communautés urbaines et le brassage des populations vont assurément favoriser les unions libres, le « célibat «, le concubinage et par conséquent les familles monoparentales. Le concubinage tel que vécu actuellement correspond à un type d’union connu dans certains groupes ethniques (Coulibaly S., 1978). Il s’avère donc intéressant que certains interviewés définissent la famille comme une équipe. Cette conception fait ressortir l’importance de chacun des membres dans l’équilibre familial. C’est à ce prix que la croissance de la famille peut durablement se faire. Dans cette optique, les membres de la famille et notamment les parents doivent disposer de connaissances et de compétences pour jouer leurs rôles. Les rôles reconnus aux parents donnent pratiquement les mêmes responsabilités au père et à la mère. Ceux-ci doivent assurer la survie des membres de la famille en insistant sur les besoins primaires à satisfaire, à savoir la nourriture, le logement les soins de santé, etc. Ces données confirment les observations faites par (Dédy, Bih, Koné, 1997). © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 DEVENIR PARENTS SELON DES PÈRES ET DES MÈRES IVOIRIENS 211 Cette affirmation importante ne s’appuie pas nécessairement sur des connaissances scientifiques. Au delà des connaissances, les parents devront agir conformément aux besoins réels des membres de la famille. La responsabilité des parents quant à la satisfaction des besoins primaires est si récurrente qu’on est en droit de s’interroger sur la capacité actuelle des parents à assurer ces fonctions. Par ailleurs, les parents doivent devenir des modèles pour les enfants en parvenant à résoudre les problèmes qui se posent à eux et menacent l’équilibre de la famille. Cette orientation doit plutôt être élargie dans l’optique d’une formation morale du citoyen (père, mère et enfants). Les actions menées par la société civile à travers les ONG ne sont pas immédiatement perçue comme des activités de préparation au rôle de parent. Elles sont généralement organisées pour les familles déjà constituées et visent à résoudre les problèmes qui se posent. Les programmes de ces dernières années ont permis de faire prendre conscience du problème de la violence dans les familles et dans la société de façon générale. Ainsi, il faut accroître les actions visant la prévention afin de favoriser la constitution de familles fondées sur le respect de soi et de l’autre. A la lumière des propos des parents, toutes les communautés religieuses proclament l’indissolubilité du mariage. Cependant toutes ne mènent pas des actions visant à garantir ce caractère du mariage religieux. Certaines communautés religieuses conduisent des sessions de préparation au mariage et donc à la vie de famille. Cette préparation aux formes et au contenu multiple ne semble pas faire l’objet de la même attention de la part des responsables religieux notamment chrétiens. Les catholiques en ont fait une véritable institution dont la durée ne peut être inférieure à trois mois à raison d’au moins une rencontre hebdomadaire. Les séances qui, au départ, étaient individualisées tendent de plus en plus à prendre la forme de regroupement de plusieurs couples. Par ailleurs, des sessions de formation s’intéressent aux personnes ayant reçu le sacrement du mariage pour améliorer l’harmonie du couple. Cependant, il ressort que les actions de formation n’abordent pas la question importante de l’éducation des enfants. On peut donc affirmer que ces communautés ont initié de véritables écoles des parents. Dans une perspective plus globale et moins doctrinale, ces exemples doivent et peuvent servir de boussole à des actions à conduire dans cette perspective. Les données collectées et le contexte social permettent d’affirmer que les problèmes auxquels les parents et les enfants font face peuvent être sensiblement réduits si les parents reçoivent © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 212 KOFFI Kouakou Adjéï une formation. Les besoins de formation manifestés ou sous-entendus par les difficultés identifiées concernent : - la communication entre conjoints ; - la communication entre les parents et les enfants ; - la gestion des revenus de la famille ; - le planning familial ; - le rôle et la place de la belle famille ; - la violence conjugale ; - l’éducation des enfants ; - la psychologie de l’enfant ; - la grossesse ; - l’entretien des enfants ; - le leadership familial ; etc. Cette liste n’est pas exhaustive mais plutôt indicative. Elle pourra être complétée et enrichie à la lumière de l’expérience, des demandes formulées par les parents et les enfants. Dans un contexte de formation non formelle les projets devront viser à répondre au mieux aux besoins des parents et des jeunes. Ces formations peuvent se dérouler dans différentes structures de la communauté : confession religieuse, organisation à caractère ethnique, dans les écoles à travers l’association des parents, etc. Ces pistes peuvent être explorées avec intérêt. Bibliographie Cochrane, S. H. (1979). Fertility and Education: What Do We Really Know? Baltimore, The Johns Hopkins University Press. Dédy, S ; Bih, E et Koné, R. (1997) Les déterminants familiaux de la scolarisation des filles. Dédy S. et Tapé G. (1995). Famille et éducation en Côte d’Ivoire. Une approche socio-anthropologique. Abidjan, Editions des Lagunes. Freud, S. (1971) Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient (1905). Traduit de l’allemand par Marie Bonaparte et le Dr. M. Nathan en 1930, Paris, Gallimard, 1930. Réimpression: Gallimard, 1971, 378 pp.). Freud, S. (1987) «Trois essais sur la théorie sexuelle» (1905), comprenant «Les aberrations sexuelles», «La sexualité infantile», «Les métamorphoses de la puberté», trad. P. KŒppel, Paris, Gallimard. Freud, S. (1972) Pulsions et destin des pulsions 1915. Métapsychologie, Paris, Gallimard. © EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213 DEVENIR PARENTS SELON DES PÈRES ET DES MÈRES IVOIRIENS 213 Gesell, A. (1980). Les jeunes enfants dans la civilisation moderne. Paris, Presse Universitaire de France. Jejeebhoy, S. (1996). Women’s Education, Autonomy, and Reproductive Behaviour: Experience from Developing Countries, Oxford, Clarendon Press. Lautrey, J. (1980). Classe sociale, milieu familial, intelligence. Paris, PUF. Piaget, J. (1975). L’équilibration des Structures cognitives : problème central du développement. Paris, PUF. Spitz, R. A. (1968). De la naissance à la parole. La première année de la vie. W. Cobliner, - PUF. Vygotsky, L. S. 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