Devenir parents selon des pères et des mères ivoiriens

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Devenir parents selon des pères et des mères ivoiriens
DEVENIR PARENTS SELON DES PÈRES ET DES MÈRES IVOIRIENS
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5. DEVENIR PARENTS SELON DES PERES
ET DES MERES IVOIRIENS
KOFFI Kouakou Adjéï,1 [email protected]
RESUME
Cette étude visait à comprendre la conception, le rôle et la préparation reçue
afin d’assumer le statut des parents (père et mère). L’enquête a été menée auprès
de 60 parents et 20 responsables de communautés à partir d’un entretien semistructuré.
Les résultats font ressortir que la conception de la famille va de la famille
nucléaire à la famille élargie. Certains inclus dans la famille, les voisins si les
relations sont de très bonne qualité. Une famille est aussi perçue comme une
équipe dont les membres doivent s’entendre sur les principes éducatifs concernant
les enfants. Aux pères et aux mères, il revient le rôle de pourvoir à la nourriture,
la scolarisation et à l’insertion professionnel des enfants. Ils doivent aussi
donner des conseils, initier aux tâches domestiques et veiller de façon générale
à l’éducation.
Cependant, les parents ne reçoivent pas systématiquement une formation qui les
prépare à jouer pleinement le rôle qu’on leur reconnait. Les actions de formation que
reçoivent certains sont plutôt tournées vers le couple. Les thèmes abordés concernent :
l’indissolubilité du mariage, l’amour, le pardon réciproque, l’éthique des conjoints, la fidélité
des conjoints, l’organisation de sa vie, la soumission de la femme à l’homme, l’obéissance
des enfants aux parents, l’unité dans le couple. Il ressort un manque de préparation quant
à l’éducation des enfants.
Mots-clés : Parents, famille, pratiques éducatives, enfants, formation, Côte
d’Ivoire.
INTRODUCTION ET CONTEXTE
Les familles sont confrontées à de nombreux problèmes notamment
ceux de leurs enfants. Ces problèmes ont pris des dimensions particulières
dans le contexte ivoirien en cette période de crise sociopolitique qui a vu
les comportements agressifs, la violence verbale et physique s’amplifier,
les vols, la cybercriminalité s’accroitre, etc.
Parmi les questions que soulève cette situation, figure celle relative
à la création des familles mais surtout celle de savoir si les parents sont
préparés à assumer leur rôle. Ainsi, une étude exploratoire a été conduite
1
Enseignant et chercheur, Ecole Normale Supérieure d’Abidjan
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auprès de parents (pères et mères) et visait à identifier leur conception de
la famille, les caractéristiques d’un bon parent et les actions concourant
à la préparation à la vie familiale. Une recherche a pris comme point de
départ des études sur la famille, sur le type de soutien attendu des parents
et sur les pratiques éducatives au sein des familles.
La littérature sur les capacités des familles à assumer l’éducation des
enfants est assez rare en Côte d’Ivoire. On recense quelques monographies
sur les échanges parents-enfants dans l’éducation traditionnelle, échanges
fondés sur le respect des aînés et des anciens. Quelques travaux récents
dont «Famille et éducation en Côte d’Ivoire » (Dédy et Tapé, 1995) révèlent
la fragilité du cadre familial due à une multitude de facteurs: urbanisation,
exode rural, crise économique, brassage des cultures, pauvreté, etc. Tous
ces facteurs contraignent les parents à assumer de moins en moins leur
mission d’éducateur.
Des études démographiques ont montrée que ce sont les mères les
mieux éduquées qui multiplient les échanges avec les enfants, s’occupent
mieux de leur santé, de leur éducation et de la nutrition, toutes choses
en rapport avec le développement physique et cognitif de l’enfant. Dans
cette perspective, Cochrane (1979), observe que des taux de scolarisation
élevés sont associés à des taux de fécondités faibles dans les pays
industrialisés et dans les zones urbaines. En définitive, les personnes
bien éduquées sont plus armées que les autres pour améliorer la situation
sociale des enfants, (Jejeebhoy, 1996).
L’étude sur les déterminants familiaux de la scolarisation des filles
(Dédy Bih, Koné, 1997) relève les indicateurs qui définissent un parent
dévoué pour la scolarisation de l’enfant : il achète la nourriture (84,2% ; il
suit le travail des enfants (71%) ; il rencontre les maîtres (43,6%) ; il nourrit
bien les enfants (42,3%) ; il participe aux réunions des parents d’élèves
(22,3%) ; il réduit les tâches domestiques des enfants (17,8%).
En dehors des travaux empiriques, la psychanalyse (Freud, 1905,
1972) considère les parents comme des objets d’amour, objet permettant à
l’enfant de structurer son affectivité. Pour Wallon, (1963) et Gesell, (1930)
l’enfant construit sa personnalité par l’intermédiaire des échanges avec
l’entourage humain dans les premiers moments de la vie.
A la naissance, le comportement du nourrisson entre 0 et 2 mois
est dominé par l’impulsivité motrice. C’est une période de « non-être
psychologique » (Zazzo, 1962) qui succède au stade fœtal caractérisé
par une dépendance biologique de l’enfant. Lors du passage de la
période d’impulsivité motrice à la période émotionnelle, c’est-à-dire du
psychologique, le facteur humain, notamment la famille, joue un rôle
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fondamental au début de la scolarisation de l’enfant en tant que modèle
identificatoire.
Les travaux de Spitz (1968) sur la pathologie des relations objectales
sont instructifs à cet égard. Lorsque les relations parents-enfants sont
satisfaisantes, c’est-à-dire lorsque ceux-ci offrent une relation normale
(alimentation agréable, provisions libidinales…), le développement
psychologique se déroule normalement. Par contre, lorsque les relations
sont insatisfaisantes, on assiste à l’apparition de deux groupes de troubles
psychologiques: les affections psychotoxiques de l’enfant et les carences
affectives.
Quant aux carences affectives, elles dépendent d’un facteur quantitatif
et caractérisent l’enfant privé de relation avec ses parents par suite de
maladie, d’absence prolongée ou de décès. L’insuffisance de la relation
parents-enfants entraîne des troubles psychologiques graves (pleurs,
amaigrissement, retard du quotient de développement, etc.), pouvant
déboucher sur le marasme et la mort si l’objet d’amour n’est rendu à
l’enfant.
La théorie constructiviste de Piaget (1975) réserve une part
importante au rôle des parents dans le développement cognitif
de l’enfant. Les parents peuvent favoriser ce développement par
les pratiques éducatives qu’ils mettent en œuvre pour élever
celui-ci. Pour ce faire, l’environnement familial doit répondre aux
implications théoriques du processus d’équilibration qui considère
l’activité de l’enfant comme le moyen par lequel il résout les
problèmes pour retrouver son équilibre cognitif. Ces implications
qui déterminent les caractéristiques d’un environnement favorable
au développement, sont au nombre de deux (Lautrey, 1980) :
- être source de perturbations ou de problèmes ;
- réunir les conditions nécessaires aux rééquilibrations, donc à
la résolution des problèmes.
Les environnements les plus favorables au développement cognitif
de l’enfant seront à la fois ceux qui suscitent des problèmes pour
l’enfant et lui apportent l’aide nécessaire pour les résoudre. Dans
ces environnements, l’enfant est capable d’accroître le niveau de
ses connaissances et développer son intelligence. Par rapport à
ces deux implications ou conditions on peut distinguer chez les
parents trois types de pratiques éducatives familiales :
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- les pratiques éducatives familiales faibles ;
- les pratiques éducatives familiales rigides ;
- les pratiques éducatives souples.
Les pratiques éducatives sont dites faibles lorsque l’environnement
familial est dominé par les perturbations. Les pratiques éducatives sont
dites rigides lorsque l’environnement familial de l’enfant est dominé par
les solutions toutes faites qui ne permettent pas à l’enfant de réfléchir
par lui même en vue de l’autonomie de sa pensée. Ce comportement
parental favorise la dépendance de l’enfant. Les pratiques éducatives
souples sont celles qui caractérisent les familles où les parents proposent
des problèmes à l’enfant et lui offrent l’encadrement nécessaire pour
qu’il les résolve par sa propre activité. Le dialogue parent-enfant est
permanent et l’enfant tire profit de cet échange pour développer une
pensée autonome.
Les travaux empiriques (Lautrey, 1994) confirment l’efficacité des
pratiques éducatives familiales souples par rapport aux autres formes. Les
familles et donc les parents contribuent, dans les premiers moments de la
vie, à la mise en place des instruments cognitifs chez l’enfant. Le travail de
Vygotski (1934) sur le développement des processus mentaux supérieurs
abonde dans le même sens et accorde une place centrale au rôle des
parents dans le processus d’éducation et de formation du psychisme
enfantin. L’auteur distingue deux formes de fonctionnement mental : les
processus mentaux inférieurs et les processus mentaux supérieurs. Les
processus mentaux inférieurs proviennent du capital génétique de l’espèce
humaine, de la maturation biologique et de l’expérience de l’enfant dans
son environnement physique. Quand aux processus mentaux supérieurs,
ils dépendent de l’environnement socioculturel et particulièrement de
la famille dans laquelle se mettent en place la fonction symbolique et
l’acquisition du langage.
Vygotski souligne d’abord que le développement ne peut être
appréhendé indépendamment des situations éducatives et d’apprentissage
dont il résulte ; il est la conséquence des apprentissages auxquels l’enfant
est confronté. Ce sont les apprentissages qui fondent ce que l’auteur
appel la zone proximale de développement, Comme ces apprentissages
commencent en famille, on saisit alors l’importance des parents quant à
la formation du psychisme enfantin.
Vygotski considère ensuite que
la spécificité de l’activité humaine est d’être socialement médiatisée, qu’il
s’agisse d’activité extérieur, concernant les rapports de l’homme avec la
nature, ou d’activité intérieure, c’est-à-dire l’activité psychique. Ces outils
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sont constitués par le langage et les autres systèmes de signes servant à
représenter le réel. Enfin pour Vygotski, c’est dans une relation d’échange
avec l’éducateur (parents ou enseignants) que l’enfant construit son propre
psychisme par intériorisation/appropriation des acquis socioculturels.
Le développement des compétences de l’enfant dépendra alors de la
qualité de la tutelle, de la manière dont le tuteur encadre l’apprenant.
Comme les premiers tuteurs de l’enfant sont les parents, il va dire qu’un
bon apprentissage du métier de parents pourrait aider ceux-ci à prendre
conscience de leur rôle et mieux le jouer. Seule l’éducation des parents
pourrait garantir la qualité de l’encadrement familial des enfants. Cette
préoccupation doit être prise en compte dans les politiques sociales.
L’objectif poursuivi par la présente étude est d’identifier et comprendre
le processus est mis en place par la communauté pour préparer les
parents à leur rôle.
De façon spécifique, il s’agira, à partir de cette étude exploratoire :
- de comprendre la conception de la famille selon les pères et
mères ;
- d’identifier les caractéristiques d’un bon parent (d’un bon père ou
d’une bonne mère) ;
- d’identifier les actions de la communauté visant la préparation aux
rôles de parents.
MÉTHODE
La méthode qualitative a été mise à contribution dans cette étude, afin
de réunir une information fiable sur un sujet qui implique personnellement
les acteurs interrogés. Elle a utilisé notamment des techniques proprement
sociologiques et psychologiques consistant en entretiens individuels.
L’étude s’est déroulée dans deux régions aux caractéristiques
culturelles, sociales et économiques relativement différentes. Il s’agit de la
ville d’Abidjan et de Bouaké. L’étude a utilisé les techniques suivantes :
La recherche et l’analyse documentaire dans la construction du contexte
et la réalisation de la revue de la littérature. Les entretiens individuels
semi-structurés menés avec 60 des adultes (30 pères et 30 mères) et 20
leaders de communauté (ethniques et religieux) ont permis d’obtenir des
informations sur la responsabilité de parents et plus particulièrement sur
les pratiques en matière de préparation à la vie familiale.
Les parents interviewés ont été choisis à partir de certains des jeunes
qui ont été, eux impliqués dans des focus group (qui ne sont pas l’objet de
cet article). Ce sont les parents de ces jeunes qui ont accepté de répondre
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aux questions qui ont été retenus. Les entretiens se sont déroulés à leur
domicile bien souvent en présence de leur épouse ou de leur époux.
Cependant, les propos figurant dans le corpus analysé sont ceux du parent
de référence, le père ou la mère choisi pour l’interview, propos soutenus
par ce parent ou de concert avec son conjoint.
Les réponses ont fait l’objet d’une première analyse de contenu selon
le genre avant une prise en compte générale. Au cours de l’étude, il est
ressorti l’intérêt d’analyser les réponses des pères d’une part, et celle
des mères d’autre part. Cette analyse, dans le cadre de cette étude qui
se veut exploratoire, visait principalement à faire ressortir la spécificité
de la réponse des pères et celles des mères. Ainsi les réponses ont été
regroupées selon les points de vue émis. Plusieurs réponses allant dans le
même sens ont été regroupées et rapportées avec un exemple permettant
d’illustrer ce point de vue. Cette approche a permis de relever la spécificité
des réponses données par les parents en ce qui a trait à leur conception
de la famille, aux caractéristiques des bons parents et à la « trajectoire »
de formation des parents.
RÉSULTATS
La conception de la famille selon les parents
Les adultes pères et mères que nous avons interviewés ont livré leur
conception de la famille. Cette conception s’appuie sur le vécu social et
part du couple pour s’étendre à d’autres personnes. Les notions de famille
nucléaire et de famille élargie sont proposées pour cerner le concept. Par
ailleurs, la famille est présentée comme : «la cellule de base constitutive
de la société, la communauté de vie».
La famille nucléaire est aussi qualifiée de « famille restreinte qui se
définit comme l’ensemble des parents (père-mère) et de leurs enfants ».
Le qualificatif restreint doit être saisi dans tout son sens. Son utilisation
indique que le répondant a connaissance d’une famille qui n’obéit pas
au même contour.
Dans cette optique, les pères et mères ont précisé que : « une famille,
c’est le père, la mère et comme tout bon africain, c’est les autres parents ».
D’autres ont une conception plus large de la famille qu’ils livrent dans les
termes ci-dessous: « la famille est un ensemble composé du père, de la
mère, des enfants, des frères, des sœurs, des cousins, des cousines,
des beaux-parents etc. » ; « une famille, c’est tous ceux qui l’entourent
comme personnes dans un quartier. Les voisins sont comme des frères
et sœurs»
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La famille est aussi perçue soit en fonction du lien qui unit ses membres
notamment le mari et l’épouse, soit en rapport avec le rôle qu’on lui
reconnaît dans l’éducation des enfants. Les extraits ci-après en font
mention : « Une famille c’est un individu marié légalement et qui vit avec
son épouse et ses enfants. Une famille c’est aussi tous ceux avec lesquels
l’on vit » ; « Une famille c’est une équipe dans laquelle, l’on assoie les
principes qui vont diriger la vie de par l’éducation des enfants et de par
l’image qu’on donne aux enfants ». Cette diversité de conceptions de la
famille met-elle les parents à l’abri des problèmes ?
– Les caractéristiques des bons parents selon les pères et
mères
Les parents interviewés identifient comme bon parent celui qui
« soigne, habille, scolarise ses enfants, leur donne des conseils dans le
sens d’éviter la compagnie des délinquants, d’éviter les palabres suivies
de blessures, qui demande à ses enfants d’obéir aux personnes âgées ».
Les parents évoquent généralement les besoins primaires: soins de santé,
nourriture, vêtements, scolarité des enfants. Ils spécifient toutefois des
actes caractéristiques des mères et des pères. Les actes que doit poser
un père, en plus de la satisfaction des besoins élémentaires, pour qu’il soit
considéré comme un bon parent tourne autour des points suivants :
- « scolariser ses enfants et contrôler leurs travaux scolaires pour
y apporter quelques corrections » ;
- « aider son enfant diplômé à trouver un emploi » ;
- « ne pas accorder une liberté excessive à l’enfant qui se croirait
tout permis aussi bien le mal que le bien » ;
- « déconseille le vol, le mensonge et conseille l’obéissance à ses
enfants » ;
- « donner une ligne directrice à ses enfants de sorte à éviter les
mauvais comportements comme le vol et la drogue etc. » ;
- « conseiller ses enfants ; les écouter en cas de déviation (vol) et
les ramener à la raison et les aider à voir l’intérêt des conseils
du père » ;
- « sélectionner les émissions télévisées, et les films car il y en a
qui enseignent de mauvaises choses aux enfants : le mensonge,
le banditisme, la tuerie etc. » ;
- « faire des sorties avec ses enfants pour leur permettre de découvrir
l’extérieur afin que ces derniers aient une connaissance de
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certaines choses de la vie qui ne sont pas dans l’environnement
immédiat (…), cela leur permettra de discuter d’égal à égal avec
leurs amis sur certains sujets s’y rapportant » ;
- « contrôler leur travail scolaire afin qu’ils préparent leur
avenir… ».
La bonne mère intervient pour guider son enfant au plan moral, dans
son travail scolaire, ses relations avec l’extérieur, au plan de l’hygiène
vestimentaire et corporelle. Elle doit se conduire comme décrit ci-après:
- « exhorte ses enfants à apprendre leurs leçons, veille au respect
de leur emploi du temps : réveil, cours, heure de retour des
cours » ;
- « recommande à l’enfant d’être très présent à la maison de sorte
à ne pas indisposer les autres » ;
- « celle qui déconseille les nombreuses sorties à ses enfants. Elle
leur demande de ne pas s’associer aux groupes de délinquants
au risque d’en devenir un » ;
- « se faire la deuxième oreille de sa fille, être à l’écoute de celleci ; recevoir les doléances et y apporter, par des conseils, des
solutions » ;
- « apprendre à sa fille les travaux ménagers » ;
- « celle qui donne des conseils s’appuyant sur des enseignements
religieux » ;
- « repartit des tâches domestiques aux enfants (nettoyage des
toilettes de la maison, des fauteuils, serpillière ».
Par ailleurs, la mère doit porter une attention particulière à son époux.
Les parents estiment qu’elle doit contribuer aux dépenses du foyer. Ils
le relèvent à travers les propos suivants: «La femme doit toujours porter
une attention particulière à son époux pour subvenir aux dépenses de
la maison. Elle doit pouvoir participer à l’achat de certaines denrées
alimentaires».
– La préparation au rôle de parent selon les pères et mères
D’autres affirment qu’ils ont été préparés au rôle de parent soit dans le
cadre familial, soit dans le contexte religieux. Les actions ainsi engagées
possèdent comme caractéristique commune de rechercher l’harmonie
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dans la famille à fonder.
La formation au niveau de la famille prend des formes diverses:
conseils donnés par les membres de la famille restreintes ou élargie,
épreuves auxquelles les jeunes sont soumis. Par exemple dans certains
cas, le maire est intervenu dans la formation des fiancés : « nous avons
été préparés au mariage par nos parents au village et par la maire qui a
célébré notre mariage. Cette préparation à consisté à nous faire prendre
conscience de l’acte que nous poserons».
L’un des interviewés raconte ici l’épreuve à laquelle il a été soumis:
«au niveau de la coutume, l’on met l’accent sur l’endurance de l’homme,
le futur marié. Deux épreuves sont prévues: le futur époux devrait grimper
à des palmiers d’une hauteur respectable et défier les courageux. Lorsque
le prétendant y arrive et coupe tous les régimes de graines mures, cela
prouve qu’il peut se sortir de tous les problèmes qui se poseront à lui et
qu’il ne reculera pas devant les problèmes que connaîtra sa femme».
La préparation conduite par les églises prend la forme de rencontre
avec les jeunes fiancés, de retraites spirituelles, de rencontre avec des
couples et d’enseignements reçus. Quand il s’agit du recours aux couples
déjà mariés, les interviewés rapportent : «cette préparation a consisté à
des rencontres avec des aînés déjà mariés qui nous soutenaient à travers
les conseils qu’ils nous donnaient».
Les thèmes abordés au cours de cette préparation au rôle de parents
portent sur :
• l’indissolubilité du mariage chrétien ;
• l’amour ;
• le pardon réciproque ;
• l’éthique des conjoints ;
• la fidélité des conjoints ;
• la vie ensemble ;
• la compréhension, et la tolérance ;
• l’organisation de sa vie ;
• la soumission de la femme à l’homme ;
• l’obéissance des enfants aux parents ;
• l’unité dans le couple.
Pour les mariages religieux, les parrains et marraines apportent leur
contribution à la préparation des fiancés à leurs responsabilités futures.
Les thèmes abordés sont plus centrés sur le couple et peu tournés vers
les enfants et leur éducation. Parmi les structures qui participent à la
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préparation des membres du couple à leurs responsabilités, figurent
des ONG citées par les interviewés : Association Ivoirienne du Bien-Etre
Familial (AIBEF) et Association Ivoirienne des Droits de la Femme (AIDF).
Au nombre des organisations chrétiennes, l’association famille chrétienne
(AFC) et la Communauté du Chemin Neuf à Cocody sont les plus citées.
Selon les interviewés de confession musulmane (notamment des imams),
il n’y a pas de structure de préparation en tant que telle. L’imam donne
des conseils aux conjoints le jour de la cérémonie.
DISCUSSION
La famille a été clairement identifiée comme la cellule de base de la
société et donc comme l’unité sur laquelle la société doit prendre appui.
Cette conception renforce tout l’intérêt qu’a la communauté de s’appuyer
sur des familles stables et solides. De la qualité de la famille dépendra
la force de la société.
Le choix du type de famille donne la préférence à la famille élargie
malgré les contraintes de la crise économique et sociale. Ce choix
marque-t-il le primat de la culture traditionnelle sur la culture moderne ? On
aurait pu le penser plus pour les villages caractérisés par une population
homogène que pour les villes. Il semble que la crise ait permis de saisir
la capacité de solidarité qu’offrent les familles élargies. Cependant, les
familles peuvent-elles véritablement suppléer à l’absence d’une véritable
structure nationale de solidarité et d’assistance aux citoyens?
Le développement des communautés urbaines et le brassage des
populations vont assurément favoriser les unions libres, le « célibat
«, le concubinage et par conséquent les familles monoparentales. Le
concubinage tel que vécu actuellement correspond à un type d’union
connu dans certains groupes ethniques (Coulibaly S., 1978).
Il s’avère donc intéressant que certains interviewés définissent la
famille comme une équipe. Cette conception fait ressortir l’importance
de chacun des membres dans l’équilibre familial. C’est à ce prix que la
croissance de la famille peut durablement se faire. Dans cette optique,
les membres de la famille et notamment les parents doivent disposer de
connaissances et de compétences pour jouer leurs rôles.
Les rôles reconnus aux parents donnent pratiquement les mêmes
responsabilités au père et à la mère. Ceux-ci doivent assurer la survie des
membres de la famille en insistant sur les besoins primaires à satisfaire,
à savoir la nourriture, le logement les soins de santé, etc. Ces données
confirment les observations faites par (Dédy, Bih, Koné, 1997).
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Cette affirmation importante ne s’appuie pas nécessairement sur des
connaissances scientifiques. Au delà des connaissances, les parents
devront agir conformément aux besoins réels des membres de la famille.
La responsabilité des parents quant à la satisfaction des besoins primaires
est si récurrente qu’on est en droit de s’interroger sur la capacité actuelle
des parents à assurer ces fonctions.
Par ailleurs, les parents doivent devenir des modèles pour les enfants
en parvenant à résoudre les problèmes qui se posent à eux et menacent
l’équilibre de la famille. Cette orientation doit plutôt être élargie dans
l’optique d’une formation morale du citoyen (père, mère et enfants).
Les actions menées par la société civile à travers les ONG ne sont
pas immédiatement perçue comme des activités de préparation au rôle
de parent. Elles sont généralement organisées pour les familles déjà
constituées et visent à résoudre les problèmes qui se posent.
Les programmes de ces dernières années ont permis de faire prendre
conscience du problème de la violence dans les familles et dans la société
de façon générale. Ainsi, il faut accroître les actions visant la prévention
afin de favoriser la constitution de familles fondées sur le respect de soi
et de l’autre.
A la lumière des propos des parents, toutes les communautés
religieuses proclament l’indissolubilité du mariage. Cependant toutes
ne mènent pas des actions visant à garantir ce caractère du mariage
religieux. Certaines communautés religieuses conduisent des sessions
de préparation au mariage et donc à la vie de famille. Cette préparation
aux formes et au contenu multiple ne semble pas faire l’objet de la même
attention de la part des responsables religieux notamment chrétiens.
Les catholiques en ont fait une véritable institution dont la durée
ne peut être inférieure à trois mois à raison d’au moins une rencontre
hebdomadaire. Les séances qui, au départ, étaient individualisées tendent
de plus en plus à prendre la forme de regroupement de plusieurs couples.
Par ailleurs, des sessions de formation s’intéressent aux personnes
ayant reçu le sacrement du mariage pour améliorer l’harmonie du couple.
Cependant, il ressort que les actions de formation n’abordent pas la
question importante de l’éducation des enfants.
On peut donc affirmer que ces communautés ont initié de véritables
écoles des parents. Dans une perspective plus globale et moins doctrinale,
ces exemples doivent et peuvent servir de boussole à des actions à
conduire dans cette perspective. Les données collectées et le contexte
social permettent d’affirmer que les problèmes auxquels les parents et les
enfants font face peuvent être sensiblement réduits si les parents reçoivent
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une formation. Les besoins de formation manifestés ou sous-entendus
par les difficultés identifiées concernent :
- la communication entre conjoints ;
- la communication entre les parents et les enfants ;
- la gestion des revenus de la famille ;
- le planning familial ;
- le rôle et la place de la belle famille ;
- la violence conjugale ;
- l’éducation des enfants ;
- la psychologie de l’enfant ;
- la grossesse ;
- l’entretien des enfants ;
- le leadership familial ; etc.
Cette liste n’est pas exhaustive mais plutôt indicative. Elle pourra
être complétée et enrichie à la lumière de l’expérience, des demandes
formulées par les parents et les enfants. Dans un contexte de formation
non formelle les projets devront viser à répondre au mieux aux besoins des
parents et des jeunes. Ces formations peuvent se dérouler dans différentes
structures de la communauté : confession religieuse, organisation à
caractère ethnique, dans les écoles à travers l’association des parents,
etc. Ces pistes peuvent être explorées avec intérêt.
Bibliographie
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© EDUCI/ROCARE. Afr educ dev issues,N°2, 2010, Special JRECI 2006 & 2009, pp.201-213