Droits de l`homme et dignité humaine à Madagascar
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Droits de l`homme et dignité humaine à Madagascar
Internationales Katholisches Missionswerk e.V. Fachstelle Menschenrechte Pontifical Mission Society Human Rights Office 36 Œuvre Pontificale Missionnaire Secteur « Droits de l’homme » Dr. Otmar Oehring (Hrsg./editor/éditeur) Postfach 10 12 48 D-52012 Aachen Tel.: 0049-241-7507-00 FAX: 0049-241-7507-61-253 E-mail:[email protected] [email protected] [email protected] © missio 2010 ISSN 1618-6222 numéro de commande 600 305 Menschenrechte Human Rights Droits de l’homme Hans Maier Droits de l’homme et dignité humaine à Madagascar Un pays cherche sa voie Le secteur Droits de l’homme a vocation à promouvoir la connaissance de la situation des droits de l’homme dans les pays d’Afrique, d’Asie et d’Océanie. Pour nous rapprocher de cet objectif, nous nous engageons dans des réseaux œuvrant pour les droits de l’homme et nous attachons à promouvoir l’échange des partenaires religieux de missio en Afrique, Asie et Océanie avec des responsables religieux et politiques en République Fédérale d’Allemagne. Dans sa série Droits de l’homme, le secteur Droits de l’homme publie des études consacrées à différents pays, des études thématiques ainsi que les résultats de congrès spécialisés. Le tableau de la situation des droits de l’homme à Madagascar brossé dans cette brochure ne se cantonne pas aux conclusions des rapports officiels fournis par les organisations internationales. Car il existe d’autres formes de violations systématiques des droits de l’homme : moins choquantes parce que quotidiennes, mais tout aussi néfastes à la dignité humaine, dont elles empêchent l’épanouissement. Aussi cette brochure s’intéressera-t-elle également à un certain nombre de maux sociaux qui font durablement obstacle à une vie dans la dignité et constituent, de ce fait, une violation permanente des droits fondamentaux. Elle ne se fera pas plus l’avocat de l’« afro-pessimisme », si courant en Europe, qu’elle ne portera d’accusation. En aidant à mieux cerner les injustices existantes, l’ambition de cette étude sera plutôt d’offrir une vue d’ensemble et d’insuffler suffisamment de force pour agir fermement en faveur du respect et de l’application des droits de l’homme, afin de revenir à la vision d’« île heureuse ». Dans le même temps, cette étude souhaite apporter une contribution à un processus de réflexion et d’orientation de l’Église catholique à Madagascar. 30 Diffamation des religions et droits de l’homme en allemand/en anglais/en français (2008) – Numéro de commande 600 293 31 L’accueil de réfugiés irakiens – Informations de base : La situation des réfugiés non musulmans dans les États riverains de l’Irak en français (2008) – Numéro de commande 600 296 en allemand (2008) – Numéro de commande 600 294 en anglais (2008) – Numéro de commande 600 295 32 Violences envers les chrétiens en Inde – Éléments de réponse Démocratie, laïcité et pluralisme en Inde en allemand/en anglais/en français (2008) – Numéro de commande 600 297 33 Violences envers les chrétiens en Inde – Éléments de réponse Violence religieuse en Orissa – Enjeux, réconciliation, paix et justice en allemand/en anglais/en français (2008) – Numéro de commande 600 298 34 Réflexions sur les causes et les effets de Boko Haram en allemand/en anglais/en français (2008) – Numéro de commande 600 299 35 Le dialogue entre Jakarta et la Papouasie dans la perspective de la Papouasie en français (2009) – Numéro de commande 600 302 en allemand (2008) – Numéro de commande 600 300 en anglais (2008) – Numéro de commande 600 301 36 Menschenrechte und Menschenwürde in Madagaskar – Ein Land sucht seinen Weg en français (2010) – Numéro de commande 600 305 en allemand (2009) – Numéro de commande 600 303 en anglais (2010) – Numéro de commande 600 304 37 Malaisie. Les chrétiens persécutés par des extrémistes politiques : la polémique « Allah » en allemand/en anglais/en français (2010) – Numéro de commande 600 306 38 De la contradiction d’être chrétien Dalit en allemand/en anglais/en français (2010) – Numéro de commande 600 307 39 Atrocités entre castes : les chrétiens Vanniyars contre les chrétiens Dalits Eraiyur, Tamil Nadu, mars 2008 en allemand/en anglais/en français (2010) – Numéro de commande 600 308 40Enquête de terrain en allemand/en anglais/en français (2010) – Numéro de commande 600 309 Hans Maier (* 1937) a travaillé pendant 27 ans pour l’œuvre de bienfaisance épiscopale Misereor, d’abord en tant que responsable pays, puis comme directeur de la division Afrique. Il est à la retraite depuis 2003. Pendant plus de 20 ans, il a rempli ses fonctions de responsable pays en coopération avec des partenaires de projet à Madagascar. Diplômé d’ethnologie, de philosophie, de théologie et de sociologie, il dirige et anime actuellement des cours et séminaires sur l’éthique sociale catholique en Europe et en Afrique. Alle Publikationen sind auch als PDF-Dateien verfügbar: http://www.menschenrechte.missio.de All publications are also available as PDF files: http://www.humanrights.missio.de Toutes les publications sont aussi disponibles comme fichiers PDF: http://www.droitsdelhomme.missio.de 1 Sommaire 2 3 Abréviations Informations générales sur Madagascar 4 Introduction 7 7 12 1. Contexte politique ou « Comment naît la pauvreté ? » 1.1De l’indépendance à la IVe République 1.2Le rôle de l’Église – point de repère ou pion politique ? 15 15 16 17 18 19 20 21 21 23 23 25 26 28 30 2.Droits de l’homme et dignité humaine à Madagascar aujourd’hui 2.1Recensement des violations des droits de l’homme au niveau international 2.1.1 Intégrité de la personne humaine 2.1.2 Libertés du citoyen 2.1.3 Droits politiques 2.1.4 La situation des femmes 2.1.5 La situation des enfants 2.1.6 La situation des personnes handicapées 2.1.7 Droit du travail 2.2Besoins fondamentaux et droits de l’homme 2.2.1 Niveau de vie et couverture des besoins vitaux 2.2.2 Niveau alimentaire, sous-alimentation et malnutrition 2.2.3 Accès à l’éducation de base 2.2.4 Accès aux soins de santé 2.2.5 Accès au travail et à la sécurité sociale 33 33 33 34 35 36 3.Causes et contexte de la situation des droits de l’homme à Madagascar 3.1La pauvreté induite par l’homme dans un pays riche 3.2L’évolution politique – une spirale descendante 3.2.1 Cause n° 1 : la classe politique 3.2.2 Cause n° 2 : le manque de conscience politique 3.2.3 Cause n° 3 : le piège culturel 39 40 42 44 4.Où va Madagascar ? – Perspectives d’avenir 4.1Développer une culture de la participation 4.2L’éducation et la formation, conditions sine qua non d’une conscience politique 4.3Réconciliation entre les ethnies et avec l’histoire 46 5.Signes porteurs d’espoir 50 Notes de bas de page 2 3 Abréviations AREMA Avant-garde de la Révolution malagasy – dénomination de 1975 AREMA Association pour la renaissance de Madagascar – dénomination de 1996 FFKM Fiombanon’ny Fiangonana Kristianina eto Madagasikara (FFKM) Conseil des églises chrétiennes à Madagascar CNOE Comité national pour l’observation des élections HAE Haute Autorité de l’État HAT Haute Autorité de la Transition HCC Haute Cour Constitutionelle TIM Tiako I Madagasikara – J’aime Madagascar BIANCO Informations générales sur Madagascar Emplacement Se situe à 400 km du Mozambique dans l’océan Indien, quatrième île du monde par la taille Nom officiel République de Madagascar Régime République présidentielle, nouvelle constitution en cours d’élaboration Superficie 587 000 km² Population 20,6 millions d’habitants (2009), dont 26,8 % d’urbains. Madagascar compte 18 groupes ethniques, dont les plus importants sont les Merina et Betsileo (Hautes Terres), Betsimisaraka (côte est) et Sakalava (nord de la côte ouest). Densité de population 34 habitants / km² Croissance démographique 2,9 %. La moitié de la population a moins de 20 ans. Langues Malagasy, français Religions Près de 50 % de chrétiens, dont une bonne moitié est catholique ; environ 7 % de musulmans. Le reste de la population respecte des croyances traditionnelles différentes d’une ethnie à l’autre. Grandes villes (2007) Capitale : Antananarivo, 1,6 million d’habitants Ville portuaire de Tamatave, 206 390 habitants Antsirabe, 182 804 habitants Fianarantsoa, 167 240 habitants Bureau International de lutte anti-corruption Espérance de vie 58,4 ans INSTAT Institut National de la Statistique Taux d’alphabétisation 70,7 % (chiffre officiel) CNAPS Caisse Nationale de Prévoyance Sociale Mortalité infantile 74 / 1 000 Données économiques Agriculture : Pêche côtière : Ressources minérales : Industrie : Stade de développement Septembre 2009 riz, manioc, maïs de subsistance, vanille, café, clous de girofle pour l’exportation industrie crevettière et thon pour la consommation nationale et l’exportation graphite, chrome, mica, pierres précieuses et semi-précieuses, entre autres. Extraction récente de pétrole les entreprises des zones franches, essentiellement dans le textile et l’informatique, emploient environ 110 000 personnes. Avec un PIB de 920 $ par personne, Madagascar figure parmi les pays les plus pauvres du monde : en 2009, l’IDH le classait au 145e rang mondial sur 182 pays. 4 5 Introduction « Le samedi 7 février, des membres de la garde présidentielle protégeant le palais d’Ambohitsorohitra, l’un des deux palais présidentiels de la capitale Antananarivo, ont ouvert le feu, à balles réelles, sur une foule de manifestants sans armes qui se dirigeaient vers le bâtiment. Au moins 31 personnes, parmi lesquelles le journaliste Ando Ratovonirina, ont été tuées (et plus de 200 blessées) ; certains bilans font même état de 50 morts1. » Cet événement dramatique marque le paroxysme d’une incessante lutte de pouvoir politique opposant depuis décembre 2008 le président en place, Marc Ravalomanana, à Andry Rajoelina, alors maire de la capitale bénéficiant du soutien d’un fort mouvement contestataire. Avec l’appui de l’armée, ce conflit entraîne la démission en mars 2009 du président en exercice ainsi que l’instauration d’un gouvernement provisoire dirigé par Andry Rajoelina. S’ensuit une course au pouvoir de plusieurs mois opposant les différentes forces politiques du pays pour parvenir à un gouvernement qui soit reconnu par la communauté internationale et pour élaborer la feuille de route de la Haute Autorité de la transition. Grâce à la médiation de l’ONU et de l’Union africaine (UA), un compromis accepté par toutes les parties est trouvé le 6 novembre 2009 à Addis-Abeba, ouvrant la voie à des élections et à une normalisation politique. Aujourd’hui, le gouvernement de transition est toujours à la recherche d’une collaboration avec les différences forces politiques du pays, et toujours en quête d’une reconnaissance politique internationale. Après un premier échec des efforts de médiation de l’ONU et de l’UA à Maputo, la crise politique perdure encore (en octobre 2009). Réagissant à l’enquête menée sur le massacre d’Ambohitsorohitra et aux remarques d’Amnesty International sur le sujet, un commandant de l’armée malgache a tenu les propos suivants : « Amnesty international n’a pas de leçon à nous donner. Il n’y a pas plus respectueux des droits de l’homme que les Malgaches2 ». Dans un pays où, selon les statistiques officielles, près de 70 % de la population vit avec moins d’un dollar US par jour, il est difficile de comprendre de telles déclarations. Les femmes et les enfants qui mendient dans les rues et les décharges de la capitale et des villes de province, les marchandes de rue mal fagotées qui tentent, pour survivre, de gagner quelques ariarys en vendant des fruits, des lunettes de soleil ou tout autre bien vendable, donnent des visages aux statistiques de la pauvreté. Et ces visages reflètent bien peu la dignité qui devrait aller de pair avec la mise en pratique et la garantie de droits identiques pour tous. Le phénomène des « quatre mi » (« miloka » – propension à la violence, « mifoka » – drogue, « misotro » – alcool et « mijanga » – prostitution), formule renvoyant aux enfants des rues et aux sans-abris de la capitale, et qui faisait la une des quotidiens aux jours les plus sombres du gouvernement de Ratsiraka au milieu des années 1980, gagne à nouveau du terrain dans l’ensemble du pays. L’examen approfondi que propose cette brochure sur la situation des droits de l’homme à Madagascar ne se limitera pas aux violations dont font état les rapports des organisations internationales. Car il existe d’autres formes de violations systématiques des droits de l’homme : moins choquantes parce que quotidiennes, elles sont tout aussi néfastes à la dignité humaine, dont elles empêchent l’épanouissement, que toutes les autres déclinaisons plus « spectaculaires », pour le public, du mépris de la vie humaine. Aussi cette publication s’attachera-t-elle à analyser un certain nombre de maux sociaux qui font durablement obstacle à une vie dans la dignité et constituent, de ce fait, une violation permanente des droits fondamentaux. Pauvreté structurelle, lutte pour le pain quotidien, accès limité à l’éducation et aux services de santé, manque cruel d’opportunités de travail et de revenus permettant d’assurer la subsistance de la population, couverture sociale embryonnaire, système judiciaire peu fiable, et exclusion de facto de la population du processus politique décisionnel : si ces éléments sont de puissants indicateurs des conditions de vie indignes que subit une grande partie de la population malgache, ils sont également en totale opposition avec les droits fondamentaux tels qu’ils sont énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que dans l’actuelle Constitution malgache. La présente dénonciation de lacunes graves dans la mise en pratique des droits de l’homme à Madagascar a pour toile de fond une profonde estime pour la Grande Île, pour ses habitants et pour la diversité fascinante et la richesse de leur culture ; elle s’inscrit également dans l’admiration éprouvée pour l’engagement durable de tant de femmes et d’hommes malgaches en faveur d’une société dans laquelle le plus grand nombre, pour ne pas dire tous, vivraient en toute dignité. C’est pourquoi ce rapport ne se fera pas plus l’avocat de l’« afro-pessimisme », si courant en Europe, qu’il ne portera d’accusations. En aidant à mieux cerner les situations d’injustice existantes, l’ambition de cette étude sera plutôt d’offrir une vue d’ensemble et d’insuffler suffisamment de force pour agir fermement en faveur du respect et l’application des droits de l’homme, afin de revenir à la vision d’« île heureuse ». 6 Cette publication donnera à un public intéressé ainsi qu’aux organisations et individus portant un intérêt particulier à Madagascar un aperçu sur la situation actuelle des droits de l’homme dans le pays. Dans le même temps, elle souhaite apporter une contribution à un processus de réflexion et d’orientation de l’Église catholique à Madagascar. En éveillant les consciences, ce processus devra leur permettre de réaliser que la lutte durable contre la pauvreté doit être considérée, sous toutes ses formes, comme un pilier de la défense des droits de l’homme et, par là-même, de l’épanouissement de la dignité humaine, et que « le développe ment humain intégral – développement de tout homme et de tout l’homme, spécialement des plus pauvres et des plus déshérités de la communauté – se situe au cœur même de l’évangélisation3 ». 7 1. Contexte politique ou « Comment naît la pauvreté ? » Pour bien saisir la situation actuelle des droits de l’homme à Madagascar telle qu’elle est présentée dans cette brochure, il est indispensable de revenir brièvement sur l’évolution dramatique du pays depuis son indépendance4. 1.1 De l’indépendance à la IVe République Madagascar accède à l’indépendance en 1960. Philibert Tsiranana, qui dirige le parti social démocrate du pays, est élu président. Son mandat est marqué par une forte influence de la France. En 1972 a lieu le premier reversement politique, amené par la Révolution de mai des étudiants, elle-même relayée par une population enthousiaste. Le peuple exige la malgachisation et l’indépendance vis-à-vis de l’emprise coloniale française. Tsiranana quitte le pouvoir. Après un gouvernement intérimaire assuré par l’armée, le capitaine de frégate Didier Ratsiraka est nommé président en juin 1975 par un directoire militaire. En décembre de la même année, la IIe République voit le jour avec une nouvelle constitution : portée par l’espoir d’une « nouvelle voie malgache », la population élit Didier Ratsiraka à la tête de l’État pour une durée de sept ans. Avec la « Charte nationale de la Révolution malgache » (Boky mena, ou Livre rouge), Madagascar devient « socialiste ». Tandis que le parti AREMA (Avant-garde de la Révolution malagasy) se transforme en parti d’État dominant, le Conseil suprême de la révolution devient la véritable instance décisionnelle, qui comptera la liberté de la presse parmi ses victimes. Nationalisations massives, dirigisme d’État, lourds investissements de prestige et mauvais placements, effondrement de la production agricole et industrielle et inflation galopante entraînent la ruine des structures économiques et sociales (telles que l’éducation et la santé) ainsi qu’un appauvrissement croissant de la population. Après le fiasco économique et social indéniable du « socialisme », Ratsiraka met le cap sur le libéralisme économique au milieu des années 1980, mais adopte également le programme d’ajustement structurel du Fonds monétaire international, qui, dans le contexte national, accentue la pauvreté du pays. Par ailleurs, il maintient en place son régime quasi dictatorial par le biais de la propagande, de la peur et de la répression. À la fin des années 1980, une opposition civile placée sous la protection des Églises, organisées en Conseil de l’Église chrétienne, le FFKM (Fiombanan’ny Fiangonana Kristianina eto Madagasikara), lequel représente le seul espace de 8 liberté publique respecté par Ratsiraka, voit néanmoins le jour avec notamment la mise en place du nouveau CNOE, le Comité national pour l’observation des élections. Le gouvernement ne peut alors empêcher un débat sur une réforme des institutions de l’État. En 1991, l’intransigeance du régime finit par conduire à un mouvement de protestation massif et permanent de centaines de milliers de Malgaches. En juillet, l’appel à la grève générale est lancé, et les « Forces vives » de l’opposition décident de créer un gouvernement parallèle. Le 10 août 1991 marque la fin du régime de Ratsiraka : sa garde ouvre alors le feu sur la foule des manifestants (500 000 personnes) marchant vers le palais présidentiel. Bilan : plus de 100 morts. Au mois d’octobre, les différentes forces de l’opposition s’unissent pour former un gouvernement de transition, la Haute Autorité de l’État (HAE). Sous la présidence d’Albert Zafy, celle-ci mènera 18 mois plus tard à l’avènement de la IIIe République, qui correspondra au deuxième renversement politique. En août 1992, une nouvelle constitution est adoptée par référendum. Elle instaure une démocratie parlementaire et réduit les pouvoirs du président : naît alors la IIIe République. En février 1993, le professeur Albert Zafy est élu à la tête de l’État dans un élan d’espoir et d’enthousiasme. Il hérite d’un pays appauvri et brisé et doit relever un défi de taille : doter la nation d’une nouvelle culture politique et civile et réduire la pauvreté généralisée. Mais les espoirs sont déçus. Les membres du gouvernement se disputent les postes rémunérateurs, d’importants projets de réforme sont repoussés et le président passe son temps à voyager. La situation sociale de la population s’aggrave encore. Le président Zafy réclame lui aussi davantage de pouvoirs, ce qu’il fait approuver par un référendum constitutionnel en septembre 1995. Son premier ministre récemment nommé est destitué par un vote de confiance du Parlement. Le même sort attend Albert Zafy : ses faiblesses notoires en tant que dirigeant et décideur, ainsi que son absence constante, mènent à sa destitution le 26 juillet 1996. Cet événement sonne le glas du gouvernement incompétent des Forces vives et annonce le retour de Didier Ratsiraka, qui remporte en décembre 1996 des élections présidentielles inhabituellement régulières avec 50,7 % des voix (et presque 50 % d’abstention), et proclame une « République humaniste et écologique ». Cependant, le retour d’un « despote de cœur » oblige : il s’accompagne de la mainmise de son nouveau parti, l’AREMA devenue « Association pour la renaissance de Madagascar », sur toutes les positions stratégiques du pays. Les médias publics redeviennent l’instrument de la propagande gouvernementale et l’administration publique est à nouveau politisée. Le référendum de 1998 (30 % d’abstention, 51 % de « oui ») renforce les pouvoirs présidentiels, au détriment de ceux du Parlement, ce qui de fait affaiblit à nouveau la démocratie parlementaire. 9 Le président a désormais le champ libre pour occuper tous les postes politiques clés, en s’appuyant sur un contrôle des médias renforcé ainsi que sur le retour de la tristement célèbre police politique. Durant cette période, le président et sa famille s’enrichissent sans vergogne tandis que le peuple s’enfonce toujours plus dans la misère. Lors des élections présidentielles du 16 décembre 2001, Marc Ravalomanana, homme d’affaires à succès et maire de la capitale Antananarivo, se présente contre l’actuel chef de l’État. Il symbolise la réussite économique et le renouveau, et est en outre vice-président de l’Église réformée. Ravalomanana obtient la majorité des voix au premier tour, devant Ratsiraka, mais pas la majorité absolue nécessaire à ce stade des élections. Sans attendre les résultats définitifs, Ravalomanana se déclare vainqueur et organise le 22 décembre une grande manifestation pour célébrer le « Noël de la victoire ». Le troisième renversement est en marche. Avec une ferveur quasi religieuse, des centaines de milliers de personnes descendent chaque jour dans la rue pour soutenir l’homme sur qui repose tous leurs espoirs, alors que la Haute Cour constitutionnelle (HCC), dont les membres soutiennent Ratsiraka, annonce les résultats officiels des élections (Ravalomanana 46,21 %, Ratsiraka 40,9 %) et décrète l’organisation d’un second tour. Ce sur quoi la foule réplique avec un nouveau cri de ralliement : « Une fois, ça suffit ». Après l’annonce de nouveaux résultats officiels des élections, affichant 52,15 % pour Ravalomanana et 35,67 % pour son rival, Ravalomanana s’autoproclame président le 22 février 2002, prête serment et forme rapidement un gouvernement parallèle au gouvernement de Ratsiraka encore au pouvoir. Le tribunal constitutionnel est à nouveau saisi et confirme la nouvelle version officielle des résultats électoraux. L’Union africaine, les États-Unis et la France condamnent ce procédé, tandis que Ratsiraka déclare l’état d’urgence national. Le 18 avril, Ratsiraka et Ravalomanana signent un accord à Dakar prévoyant la formation d’un « gouvernement de réconciliation » qui ne verra jamais le jour. Le 6 mai, en présence de représentants du corps diplomatique et avec la bénédiction de l’Église, Ravalomanana est officiellement investi dans ses fonctions de président. Ratsiraka joue la carte de l’indépendance des provinces et bloque par les armes – pour ne citer qu’un exemple – l’accès au grand port de Tamatave, sur la côte est. Dans plusieurs provinces, ses alliés entrent en résistance contre le nouveau gouvernement. Mais la guerre civile qui couve est finalement évitée : la France reconnaît le nouveau gouvernement, et Ratsiraka s’exile dans l’Hexagone en juillet. Au mois de décembre, TIM (Tiako I Madagasikara, J’aime Madagascar), le parti de Ravalomanana, remporte 132 sièges sur 160 lors des élections législatives. En 2006, Marc Ravalomanana est réélu président dès le premier tour, avec une large majorité des voix. Partisan d’une économie libre, il privatise certaines 10 entreprises publiques et ouvre le pays aux investissements étrangers. Il gagne la confiance de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de l’UE et des grands pays industrialisés. Dans les premières années de son mandat, nombre de projets d’infrastructure sont menés à bien (construction du réseau routier, rénovation urbaine, expansion des ports, etc.), et le secteur social se développe (par exemple via l’ouverture de nouvelles écoles et de centres médicaux). La croissance économique atteint 4,6 % en 2005, et même 7,1 % en 2008. Parallèlement, le président bâtit tranquillement son propre empire économique dans l’ensemble du pays. La lutte contre la pauvreté ne figure pas parmi les priorités. Ravalomanana supporte de moins en moins la contestation, et fait emprisonner des centaines d’opposants. En 2007, l’élargissement de ses pouvoirs est adopté par référendum. Ravalomanana se sent invulnérable. Toutefois, à mesure que la situation d’une majorité de la population ne fait qu’empirer, la déception et le mécontentement montent. Aux élections législatives de septembre 2007, le taux d’abstention atteint près de 80 %. L’achat d’un nouveau jet présidentiel pour 60 millions de dollars US, l’affermage de 1,3 million d’hectares de surface agricole utile à Daewoo et la fermeture de la chaîne de télévision privée VIVA, gérée par Andry Rajoelina, le jeune maire de la capitale, mettent le feu aux poudres en décembre 2008. En janvier 2009, Andry Rajoelina appelle à la grève générale contre la « dictature de Ravalomanana ». À nouveau, des centaines de milliers de Malgaches descendent dans la rue, cette fois aux côtés d’Andry Rajoelina et contre Ravalomanana. Dans de nombreuses villes, des magasins et des entrepôts appartenant au président sont pillés et saccagés. Des morts et des blessés sont à déplorer. Le quatrième renversement politique est amorcé. Rajoelina réclame la destitution du président ; ce dernier en retour démet le jeune maire de ses fonctions. Comme dix ans auparavant, le 7 février, la garde présidentielle ouvre le feu sur la foule sans défense des manifestants. Se rangeant du côté d’Andry Rajoelina, l’armée oblige le ministre de la défense à démissionner et impose un ultimatum au gouvernement pour sortir de la crise. Le 17 mars, Ravalomanana démissionne, laissant le pouvoir à l’armée qui à son tour le transmet à Andry Rajoelina. Ravalomanana se réfugie en Afrique du Sud. Andry Rajoelina instaure un gouvernement provisoire, la Haute Autorité de la transition, dont la prise de pouvoir n’est pas reconnue par la communauté internationale, qui la considère comme un « coup d’État ». Dans le pays, les partisans de Ravalomanana organisent d’importants mouvements de protestation et, comme les partisans des précédents présidents Ratsiraka et Zafy avant eux, se rassemblent en « mouvances » politiques d’opposition. L’ONU et l’Union africaine (UA) délèguent des médiateurs auprès des différentes parties 11 pour résoudre le conflit, mais sans succès. En vue de préparer les élections et une nouvelle constitution, le gouvernement de transition mène auprès des citoyens, dans l’ensemble du pays, des consultations dont les résultats seront discutés lors d’une conférence nationale. Dans le même temps, l’équipe de médiateurs de l’UA entre en scène et invite Rajoelina avec les trois anciens présidents malgaches, Ratsiraka, Zafy et Ravalomanana, ainsi que des représentants de leurs mouvances respectives à un sommet de médiation à Maputo. La première réunion tenue début août débouche sur un accord concernant l’évolution des structures de transition jusqu’aux prochaines élections. Fin août, la deuxième réunion qui devait décider de l’affectation des postes les plus élevés échoue en raison des intérêts personnels des participants. Andry Rajoelina constitue alors de son côté un nouveau gouvernement de l’« Unité nationale » qui regroupe également des représentants d’autres mouvances ainsi que des personnes indépendantes. Sans grande surprise, cette décision se heurte à une vive contestation de la part des autres mouvances. Le Groupe international de contact (GIC) entreprend alors une nouvelle tentative de conciliation entre les différentes parties. Le 6 octobre se tient à l’Hôtel Carlton d’Antananarivo une rencontre entre les quatre mouvances et une délégation internationale formée de 50 participants de haut rang. Et le miracle se produit : un terrain d’entente est trouvé sur l’occupation des postes clés dans le gouvernement de transition, sous la présidence de Rajoelina. La signature des accords du Carlton et l’affectation des autres postes du gouvernement de transition par les « chefs de file » des mouvances doit se faire en dehors de Madagascar car en vertu de l’accord de Maputo, Ravalomanana est interdit de séjour sur le territoire malgache pour une durée indéterminée. Après un bras de fer politique au sujet du lieu de négociations, le GIC et les quatre mouvances s’accordent sur Addis-Abeba. Malgré quelques échanges tumultueux entre les trois anciens présidents et Andry Rajoelina, le quasi échec des négociations et une journée de prolongation, un compromis est trouvé le 6 novembre sur la composition du gouvernement de transition : Andry Rajoelina reste président, mais dans le cadre d’un Conseil présidentiel tricéphale, auquel siègent un représentant de chaque mouvance, Ravalomanana et Zafy. Les mois à venir diront si ce compromis est viable politiquement. A priori, il ouvre la voie à un processus de transition, reconnu au niveau national et international, vers des élections libres et une « normalité » politique qu’il est urgent de retrouver ; en effet, la majeure partie de la population malgache souffre de plus en plus des conséquences économiques et sociales catastrophiques d’une crise qui perdure5. La pauvreté et la misère s’accentuent chaque jour davantage. 12 13 1.2 Le rôle de l’Église - point de repère ou pion politique ? Comme toutes les Églises chrétiennes, qui rassemblent la moitié de la population malgache, l’Église catholique est un maillon essentiel de l’organisation sociale du pays, dont l’influence s’étend bien au-delà de cette part quantifiable de la population (environ 27 %). L’importance de l’Église dans la société est visible à deux niveaux : d’une part, son engagement considérable dans l’éducation, via des programmes d’alphabétisation, prend la forme d’un vaste réseau d’écoles primaires et d’établissements scolaires de niveaux plus élevés dans la formation professionnelle et l’enseignement supérieur (Institut catholique). La seule école de services sociaux du pays (École pour le service social) est dirigée par l’Église. D’autre part, cette dernière est très active dans le domaine de la santé, ainsi que dans des programmes de développement à l’échelle nationale et urbaine. Avec l’appauvrissement croissant de la population, l’Église est, essentiellement par l’intermédiaire des nombreux ordres religieux présents dans la région, de plus en plus impliquée dans l’aide d’urgence à certains groupes de personnes en marge de la société, tels que les enfants des rues par exemple. Toutefois, comme le montre une enquête réalisée à la fin des années 1980 par l’École pour le service social, l’aide de l’Église est fortement associée à l’idée d’aide d’urgence, et n’a donc que très peu d’influence pour véritablement contribuer à un changement en profondeur de la société. Aux engagements de l’Église précités s’ajoute la remise en question régulière de la société par la Conférence épiscopale6. Dès 1972, avec la parution de son document épiscopal intitulé Église et société, celle-ci affichait une position toujours très actuelle pour un développement axé sur le respect de l’être humain. Après un rapprochement initial avec le socialisme malgache de Ratsiraka et les compromissions avec les dirigeants que cela impliquait, l’Église a pris ses distances avec le régime en place. En 1984, elle s’attaque à toute forme de pouvoir dictatorial en publiant le document épiscopal Le pouvoir au service de la société. Jusqu’à la levée de la censure de la presse en 1989, l’hebdomadaire catholique Lakroa sera le seul journal de l’île à oser critiquer ouvertement le régime et à laisser une place dans ses colonnes aux articles censurés. À cet égard, il faut reconnaître que le régime de Ratsiraka a largement respecté l’Église en sa qualité de dernier espace de libre expression. En avril 1989, la visite du pape conforte la position de l’Église, avec sa fonction d’espace protégé pour les forces du changement, et contribue à la levée de la censure de la presse ; mais elle est également synonyme de soutien au régime de Ratsiraka et ralentit le dynamisme contestataire dans le pays. En 1990, dans la recherche d’une nouvelle constitution, l’Église prend position pour une résistance pacifique contre l’injustice et l’autorité publique avec le document épiscopal Bâtir une civilisation de l’amour, mais souligne en même temps les limites de son engagement politique. En 1991, lorsque le Conseil de l’Église chrétienne (FFKM) dépasse le cadre du simple soutien d’accompagnement au changement sociétal et politique pour s’immiscer activement dans la vie politique, notamment en travaillant à l’élaboration d’une nouvelle constitution accordant des privilèges aux Églises, l’Église catholique s’éloigne radicalement du FFKM. En revanche, après le massacre des manifestants devant le palais présidentiel, ce sera le cardinal d’Antananarivo, et non le FFKM, qui exigera le départ de Ratsiraka. Fonctionnaires et membres de la communauté ecclésiastique soutiendront activement le mouvement de protestation à l’encontre du régime de Ratsiraka et accueilleront favorablement l’arrivée d’Albert Zafy au pouvoir. Pendant le mandat décevant de ce dernier et le nouveau mandat de Ratsiraka qui s’ensuit, la conférence épiscopale maintient sa position en faveur d’un développement social et politique. En 2001-2002, des responsables de l’Église, en particulier le nouveau cardinal-archevêque d’Antananarivo et la communauté ecclésiastique, soutiennent massivement le mouvement de protestation lancé par Ravalomanana, nouvel espoir contre Ratsiraka et homme d’Église. Mais ils soutie nnent également sa prise de pouvoir illégale, à laquelle même l’Église catholique donne sa bénédiction. La proximité à la fois personnelle et politique du cardinal avec Marc Ravalomanana finit d’asseoir l’étroite relation naissante et confiante entre la direction de l’Église et le président en début de mandat, relation que ce dernier entretient par de généreuses donations pécuniaires. Malgré toutes les mesures de développement adoptées par le gouvernement Ravalomanana, aussi louables soient-elles, l’Église constate que la pauvreté ne cesse d’augmenter dans le pays, tout comme les dérives dictatoriales du gouvernement, dont les opposants sont systématiquement réprimés. Elle se détache radicalement du régime. La nomination d’un nouvel archevêque pour la capitale facilite la transition vers une prise de position critique envers le régime. Le président répond au refroidissement des relations entre l’Église et le gouvernement en ordonnant, par exemple, l’expulsion du Père Sylvain Urfer. Depuis 2007, la conférence épiscopale émet des communiqués critiques concernant l’évolution du pays, tout en encourageant ses fidèles et le peuple dans son ensemble à prendre leurs responsabilités et à mettre en œuvre des changements positifs. L’opposition 14 15 2.Droits de l’homme et dignité humaine à Madagascar aujourd’hui épiscopale à la planification du référendum de 2007 et la lettre de carême 2008 incitent à une résistance pacifique contre l’effondrement social et politique du pays. L’Église constitue sans conteste un facteur de poids dans le revirement politique qui mène à la démission du président en mars 2009. Après la prise de pouvoir d’Andry Rajoelina et l’échec des tentatives de médiation de l’archevêque d’Antananarivo entre les adversaires politiques, la conférence épiscopale publie fin mars 2009 une courageuse et novatrice Déclaration à la nation concernant notamment les conditions nécessaires au développement d’une politique de paix et de démocratie. Par ailleurs, l’Église compte des institutions telles que Foi et justice, dont les publications contribuent constamment à sensibiliser le public sur les droits civiques et à communiquer des informations essentielles, par exemple en publiant le texte de la Constitution ou encore des réflexions sur un développement axé sur le respect de l’être humain. En marge de la sphère d’influence de l’Église, des mouvements de la société civile et des initiatives laïques voient également le jour, comme l’Observatoire de la vie publique, le SeFaFi (Sehatra Fanaraha-Maso ny Fiainam-Pirenena) qui, avec ses parutions très théoriques mais aussi pragmatiques, tente d’orienter et d’influencer le développement politique et social de la vie publique. Le recueil À qui appartient l’État ? en est une bonne illustration. Et c’est également en toute logique que le nouvel Institut du travail social, qui dépend de l’Église, joue à la fois le rôle d’hôte et d’organisateur pour cette « société civile » naissante. Avec l’armée, les organisations de la « société civile » ont proposé d’agir en tant qu’intermédiaires entre le gouvernement de transition et les mouvances de l’opposition7. L’Église de Madagascar, qui fait partie de la société malgache, souffre des mêmes maux que cette société : corruption, compromis douteux et léthargie. Malgré tout, dans les tourmentes postcoloniales que le pays a traversées jusqu’à présent, l’Église est devenue un véritable point de repère dans une société de plus en plus désorientée, et est appelée à continuer à jouer ce rôle dans le futur. Dans ce qui suit, l’exposé de la situation actuelle des droits de l’homme à Madagascar donne tout d’abord un panorama représentatif des problématiques recensées par les organisations internationales de défense des droits de l’homme. 2.1 Recensement des violations des droits de l’homme au niveau international Cette partie s’appuie en grande partie sur le rapport Human Rights Report Madagascar 2008 du Bureau américain de la démocratie, des droits de l’homme et du travail8, et est complétée par des données tirées du rapport 2007 du Comité de l’ONU pour les droits de l’homme civils et politiques9. Les organisations Human Rights Watch et Amnesty International n’ont pas publié de rapports annuels sur Madagascar. Amnesty International a seulement réalisé une enquête ponctuelle à la suite du massacre qui a eu lieu devant le palais présidentiel le 7 février 2009. Quant à la Commission nationale malgache pour les droits de l’homme créée en 1996, elle n’a jamais véritablement fonctionné. Dans cette première partie du présent chapitre, l’auteur s’inspirera également d’un certain nombre d’éléments et d’informations récoltés lors d’un récent séjour à Madagascar14. Dans sa deuxième partie, le présent chapitre abordera des problématiques sociétales telles que la pauvreté et la faim, l’accès restreint à l’éducation et aux services de santé, le chômage et l’absence de sécurité sociale, qui sont autant de dénis et de violations graves des droits humains. Les données statistiques de cette partie proviennent avant tout du Rapport intermédiaire de 2007 sur la mise en œuvre des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) de l’ONU10 présenté par le ministère de l’intérieur malgache, du document Madagascar aujourd’hui, un pays ouvert sur l’avenir11, du Rapport sur le développement dans le monde (RDM) 2007 / 200812 et du Rapport sur le développement humain (RDH) 2007 / 200913. Les commentaires et observations concernant chacun des domaines abordés sont quant à eux essentiellement tirés des comptes rendus d’entretiens qui ont eu lieu en août et septembre 2009 avec les responsables de programmes d’action sociale de l’Église à Antananarivo, Ambositra, Antsiranana et Tamatave14. Dans son rapport intermédiaire sur les objectifs du millénaire, le ministère de l’intérieur malgache fournit des précisions utiles pour aborder de manière réaliste les données statistiques concernant Madagascar : « Les données statistiques sont incohérentes et insuffisantes, elles ne couvrent pas tout le territoire. Il n’y a pas de 16 normes de procédures communes ni pour la récolte, le traitement et l’évaluation des données, ni pour la définition des indicateurs. Il n’y a pas de ‘culture de recensement statistique’ et de leur valorisation pour la planification10. » 2.1.1 Intégrité de la personne humaine Garanti par écrit, le droit à l’intégrité de la personne humaine est constamment bafoué à Madagascar, en particulier dans le domaine de la justice comme en témoignent nombre de violations. Exécutions arbitraires et illégales : partout dans le pays, les forces de police et de gendarmerie emploient une violence illégale et meurtrière lors de leurs poursuites et de leurs arrestations, sans être jamais poursuivies en justice pour leurs homicides. En témoigne par exemple le massacre des manifestants par la garde présidentielle le 7 février 2009, comme nous l’avons évoqué plus haut. Tortures et autres traitements ou châtiments inhumains et dégradants : dans les prisons malgaches, les détenus font l’objet de maltraitances et de viols avérés. Arrestations et détentions arbitraires : sur l’ensemble du territoire, nombre d’arrestations se font sans présomption fondée et les suspects peuvent subir de longues détentions sans jugement. Longue détention préventive infondée : alors que d’après le ministère de la justice, quelque 50 % des détenus seraient en détention provisoire sans avoir subi de condamnation exécutoire, l’Aumônerie catholique des prisons affirme que ce taux est bien plus élevé. Inefficaces et corrompues, les structures juridiques en sous-effectif sont à l’origine de cette situation. Ainsi, de nombreux prisonniers passent plus de temps derrière les barreaux que ne le prévoit la peine applicable à leur délit, quand ils ne meurent pas avant d’avoir été jugés. Conditions de détention : mettant en danger la vie des prisonniers, les conditions de détention sont dures et dangereuses, notamment en raison du surpeuplement quasi généralisé des prisons. D’après les chiffres officiels, pas moins de 16 555 détenus s’entasseraient dans les 82 centres carcéraux du pays, alors que ces derniers été conçus pour accueillir seulement un tiers de ces effectifs. Deux-tiers des prisonniers souffrent de sous-alimentation chronique, certains meurent même de faim. Alors que le ministère de la justice recense 48 cas de détenus morts de faim en 2008, l’Aumônerie des prisons en compte bien plus. Du fait de la sousalimentation chronique et de conditions d’hygiène déplorables, que ce soit dans 17 les latrines ou aux points d’eau, les détenus sont particulièrement sujets aux maladies et aux épidémies – sur fond de suivi médical quasiment inexistant. Par ailleurs, les représentants des Églises et autres organisations non gouvernementales (ONG) font état de viols fréquents, mais aussi de prostitution à des fins alimentaires. Les détenus peuvent également être contraints au travail forcé. Cependant, le gouvernement autorise la réalisation d’enquêtes et de rapports indépendants sur les conditions de détention, notamment par la Croix-Rouge et des ONG telles que l’Aumônerie catholique des prisons. Les correspondants de toutes les régions visitées sont unanimes : il n’existe aucune justice équitable à Madagascar. Contrairement à ce que prévoient la Constitution et la loi, le pouvoir exécutif interfère sur la justice à tous les niveaux, ce qui a pour effet de favoriser la corruption. L’assistance légale, qui est un droit inscrit dans la loi, est très peu connue et demeure inaccessible aux accusés démunis. La justice malgache est donc une véritable justice de classes : les pauvres vont en prison, tandis que les riches s’en sortent généralement sans dommage. Prisonniers politiques : bien qu’il n’existe aucune donnée fiable sur ce sujet sensible, il est de notoriété publique que sous le gouvernement de Ravalomanana, nombre d’opposants politiques très connus ont été emprisonnés. Si la plupart ont été « amnistiés » par le gouvernement transitoire, de nouveaux prisonniers politiques ont été condamnés depuis lors. 2.1.2 Libertés du citoyen Liberté d’opinion et de presse : la Constitution et la législation garantissent la liberté d’opinion et de presse. Si le pays a toujours compté une grande diversité de médias relativement libres, parmi lesquels 13 journaux privés, 258 stations radios et 39 chaînes télévisées, seules la chaîne radio et la chaîne télévisée privées du président pouvaient, par le passé, émettre sur l’ensemble du territoire. Le gouvernement s’est toujours efforcé d’étouffer toute opinion critique à son égard : dans ses tentatives d’intimidation des médias, il pouvait par exemple suspendre des stations de radio ou encore interdire des émissions critiques. En décembre 2008, la fermeture forcée de la chaîne de télévision privée VIVA de l’ancien maire de la capitale, Andry Rajoelina, a suscité de vifs mouvements de protestation et a provoqué la démission du président. Liberté de réunion : garantie par la Constitution et la législation, cette liberté a généralement été respectée. En 2008, toutefois, des rassemblements de l’opposition ont été interdits à Antananarivo, Fianarantsoa et Tamatave pour des raisons cousues de fil blanc. Lorsque les responsables de ces rassemblements ont fait fi 18 de l’interdiction, ils ont été incarcérés. Par ailleurs, lorsque la garde présidentielle a ouvert le feu sur les manifestants le 7 février 2009, le régime a clairement cessé de respecter ce droit de l’homme. Liberté de religion : cette liberté est elle aussi généralement garantie. En avril 2007, le référendum constitutionnel a supprimé la séparation explicite de l’Église et de l’État, tout en maintenant la protection légale en faveur des religions. Quant à l’expulsion du jésuite Sylvain Urfer citée plus haut, il est clair qu’elle a marqué, entre autres choses, une mise en garde à l’attention de l’Église catholique qui, depuis la nomination du nouvel archevêque de la capitale, prend ses distances avec le gouvernement. 2.1.3 Droits politiques Élections libres et participation politique : les élections sénatoriales, municipales et parlementaires de 2007 (seulement 46 % de participation) ont toutes débouché sur une majorité absolue pour le parti au pouvoir. Les critiques des observateurs locaux et extérieurs relatives à la préparation et au déroulement des élections n’ont eu aucune suite légale ou politique. Cela étant dit, les problèmes véritables de l’ensemble des élections sont d’ordre structurel. Madagascar ne dispose d’aucune loi électorale transparente qui soit adaptée à la population, ni d’aucune commission électorale indépendante. Corruption et transparence en matière de gouvernance : utilisés dans le monde entier, les indicateurs de bonne gouvernance de la Banque mondiale ont signalé dès le début comme problème à prendre au sérieux la corruption et l’impunité du gouvernement de Ravalomanana. En réponse à ces accusations, le gouvernement malgache a créé une Agence contre le blanchiment d’argent et un Bureau international de lutte anti-corruption (BIANCO). Cependant, l’indépendance de BIANCO n’est que très relative : son directeur est nommé par le président et BIANCO est placé sous la surveillance du comité pour le maintien de l’intégrité qui est mis en place par le président. En dépit de cela, BIANCO a su mener un précieux travail de lutte contre la corruption en installant des boîtes à plaintes publiques dans 111 districts. En 2008, le bureau a reçu plus de 9 500 plaintes dont 1 095 ont été retenues et ont donné lieu à l’ouverture d’enquêtes publiques ayant abouti à des condamnations. Les organisations non gouvernementales et les médias font toutefois remarquer que la lutte contre la corruption se catonne essentiellement aux sphères inférieures de la société. 19 2.1.4 La situation des femmes Dans la Constitution actuelle, femmes et hommes sont égaux devant la loi. Les femmes malgaches sont donc libres de choisir le domicile de leur famille et ont droit à la moitié du patrimoine conjugal en cas de divorce. En cas de décès du mari, les veuves avec enfants peuvent prétendre à la moitié de l’héritage. Cependant, ces droits sont loin d’être respectés, surtout dans les zones rurales, où les traditions sont fortement ancrées, et dans certaines zones urbaines. Dans ce contexte, le comité des droits de l’homme de l’ONU en vient à la conclusion suivante : « Le Comité est préoccupé par les usages et les coutumes qui font obstacle à l’égalité entre hommes et femmes et entravent les efforts visant à la promotion de la femme et à sa protection9. » Il n’existe aucun organisme gouvernemental chargé de faire respecter les droits des femmes. La discrimination sociale des femmes est moins marquée dans les zones urbaines. Pouvant occuper des postes importants en entreprise privée comme publique, les femmes malgaches exercent également de plus en plus de responsabilités politiques, même si les pourcentages sont encore très faibles. Cependant, à travail égal, les femmes gagnent systématiquement moins que les hommes. Fortement influencés par les traditions locales, les modes de pensée et les comportements des zones rurales, qui regroupent plus de 70 % de la population, cantonnent généralement les femmes à des rôles traditionnels et les placent en position d’infériorité par rapport aux hommes. Punissant le viol, la loi ne se réfère toutefois pas au viol conjugal. Elle sanctionne les viols d’enfants et les viols de femmes enceintes par des peines de travaux forcés. Pour l’ensemble du pays, la police des mœurs et de protection des mineurs fait état de 10 à 12 plaintes quotidiennes pour viol. En 2008, Antananarivo a enregistré 217 plaintes pour viol. Interdite par la loi, la violence conjugale envers les femmes constitue un grand problème. L’Institut national de santé publique et communautaire estime qu’en 2007, environ 55 % des femmes ont été victimes de violences conjugales. D’une étude conjointe du ministère de la santé et de deux organisations non gouvernementales, il ressort que sur 400 femmes interrogées à Antananarivo, 45 % ont subi des violences psychiques et 35 % des violences physiques. En augmentation dans les régions touristiques touchées par le tourisme sexuel, la prostitution n’est pas sanctionnée par la loi. En revanche, les lois interdisant l’exploitation sexuelle des enfants, le tourisme sexuel sur mineurs, la pornographie pédophile et le trafic d’êtres humains ont été renforcées en 2007. Enfin, le harcèlement sexuel, bien que contraire à la loi, est largement répandu, notamment dans les entreprises des zones franches où le harcèlement concernerait 50 % des femmes actives. 20 2.1.5 La situation des enfants Si la situation des enfants est essentiellement du ressort des ministères de l’éducation et de la santé, la protection et la promotion des mineurs restent les oubliées de l’assistance publique, essentiellement pour des raisons budgétaires. En outre, peu de statistiques fiables sont disponibles. Pour preuve : Madagascar ne dispose d’aucun système uniforme d’enregistrement des naissances et les enfants sans acte de naissance ne peuvent ni être admis dans les écoles publiques, ni bénéficier des services de santé. L’Institut national de la statistique (INSTAT) estime à partir d’une enquête réalisée en 2003/2004 que 25 % des enfants de moins de cinq ans ne sont pas enregistrés. Concernant le droit de l’enfant à l’éducation de base, la Constitution malgache stipule que cette éducation est gratuite et obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans. Selon les statistiques du gouvernement, le taux effectif de scolarisation serait de 80 à 96 %. Pourtant, comme cela sera démontré plus loin dans le présent rapport (point 2.2.3, Accès à l’éducation de base), ces chiffres ne sont que pur trompe-l’œil. La maltraitance des enfants représentant un problème sérieux dans l’ensemble du pays, le gouvernement a élaboré en 2007 un plan d’action contre la violence envers les enfants, le travail des enfants, l’exploitation sexuelle et le trafic d’enfants. En partenariat avec l’UNICEF, le ministère de la santé gère sur l’ensemble du territoire un réseau contre la maltraitance et l’exploitation des enfants. Les mariages d’enfants sont répandus dans tout le pays, et plus particulièrement dans les régions rurales. Environ 33 % des jeunes filles âgées de 13 à 19 ans sont mariées conformément à la tradition. Depuis avril 2007, l’âge minimum légal pour le mariage des jeunes gens, garçons et filles, sans autorisation parentale, a été fixé à 18 ans. La prostitution des enfants est l’une des formes d’exploitation des enfants les plus répandues. L’UNICEF a constaté que dans la ville portuaire de Tamatave et sur l’île de Nosy Bé, entre 30 et 50 % des prostitués ont moins de 18 ans. L’abandon des enfants est contraire à la loi, mais fréquemment pratiqué en raison de la pauvreté ou d’un manque de soutien familial. À ce sujet, aucune statistique fiable n’est disponible. Dans le sud-ouest de l’île, les jumeaux sont traditionnelle- 21 ment considérés comme une malédiction pour la famille. Les deux enfants ou du moins l’un des deux sont donc généralement abandonnés. Après une enquête in extenso sur cette pratique à Mananzary, une campagne visant à mettre fin à cette croyance a été menée auprès de la population. Dans la plupart des cas, les enfants abandonnés sont pris en charge par des programmes d’assistance des Églises. Interdite par la loi depuis 2007, la traite humaine continue d’être pratiquée et concerne essentiellement des enfants et des jeunes filles issus de régions rurales. Enfants et femmes sont vendus à des fins de prostitution (tourisme sexuel), de travail forcé, par exemple comme domestiques, et de commerce de rue. La loi contre le trafic d’êtres humains, et notamment contre le trafic d’enfants, qui a été adoptée en 2007 n’est guère appliquée. 2.1.6 La situation des personnes handicapées En théorie, la loi interdit la discrimination des personnes handicapées. Les droits des handicapés sont bien définis et des commissions nationales sont chargées de les faire respecter. Dans la pratique, il en va fort différemment : en 2005, Handicap International a constaté que les handicapés n’ont qu’exceptionnellement accès aux services de santé, à l’éducation de base, à l’emploi et aux services qui leur sont spécifiquement destinés. En 2007, la signature que le président a apposée à la convention internationale sur les droits des personnes handicapées n’a rien changé à la situation. 2.1.7 Droit du travail Les employés du secteur public et du secteur privé ont le droit de s’associer. Il leur est donc permis de se syndiquer ou de créer des syndicats sans autorisation préalable de leur employeur, sachant que les discriminations à l’égard des personnes syndiquées sont illégales. Toutefois, l’affiliation syndicale est entravée par la peur de représailles de la part de l’employeur ou par la crainte de perdre son emploi. Selon le ministère du service public et du travail, 14 % des employés des entreprises en zones franches et 10 % de l’ensemble de la population active sont syndiqués. Depuis quelque temps, les entreprises des zones franches ont une convention particulière qui diffère du droit du travail local concernant les contrats de travail, leur durée, le travail nocturne des femmes et les heures supplémentaires. D’après les précisions de mes interlocuteurs, les syndicats locaux et les médecins du travail reçoivent fréquemment des pots de vin de la part des employeurs afin d’agir dans l’intérêt de l’entreprise. 22 Le code du travail interdit le travail des enfants et fixe l’âge minimum légal à 15 ans pour les personnes en contrat d’apprentissage. Pourtant, d’après une étude menée en 2007 par l’Organisation internationale du travail (OIT), environ 28 % des enfants et des jeunes de 5 à 17 ans travaillent à temps partiel ou à temps plein à Madagascar, soit 1,8 million de mineurs, dont 438 000 dans des conditions dangereuses. En milieu rural, les enfants sont avant tout employés dans l’agriculture, la pêche et l’élevage, tandis qu’en milieu urbain, ils sont domestiques, assurent le transport de personnes et de biens (en pousse-pousse), travaillent dans les marchés de rue, les réseaux de prostitution, les carrières et les bars ou font la mendicité. « Le travail des enfants et avant tout des fillettes employées comme aides ménagères doit être la plupart du temps considéré comme de l’esclavage9 », a déclaré le comité des droits de l’homme. Les enfants sont également exploités pour la production de sel marin, pour la plongée sous-marine et dans l’industrie crevettière. Le ministère chargé de l’inspection du travail souffrant d’un important sous-effectif, aucun contrôle véritable n’est possible. Des efforts de mobilisation visant à lutter contre ce problème sont toutefois à souligner, notamment la campagne « Carton rouge au travail des enfants », relayée par la Fédération malgache de football. Le ministère du service public et du travail est également chargé de faire respecter des conditions de travail acceptables et un salaire minimum, tels qu’ils sont fixés par le code du travail. En 2008, le salaire mensuel minimum était de 70 025 ariarys (soit environ 27 €) pour les employés hors secteur agricole et de 71 000 ariarys (soit environ 28 €) pour les ouvriers agricoles. À partir de là, et en supposant que l’éducation de base et les soins médicaux soient effectivement gratuits, il faut savoir que les Malgaches ont besoin d’au moins 300 000 ariarys mensuels pour faire vivre une famille moyenne (de 4,5 enfants). Le salaire minimum malgache, qui de surcroît n’est pas toujours respecté, ne suffit donc pas pour subvenir aux besoins d’une famille. Mais dans un contexte de chômage massif et de pauvreté croissante, les personnes en recherche d’emploi n’ont d’autre choix que d’accepter du travail mal payé. 23 2.2 Besoins fondamentaux et droits de l’homme À côté de précisions statistiques incontournables, cette partie donnera essentiellement la parole à mes interlocuteurs malgaches afin de profiter de leurs expériences concrètes, de faire valoir leurs analyses sur les causes incriminées et d’entendre leurs idées pour remédier aux problèmes du pays. Issus de quatre régions très différentes, ces témoignages ne prétendent aucunement établir des généralités valables pour le pays tout entier. Mais dans la mesure où ils sont extrêmement analogues, ils reflètent fort bien la réalité actuelle du pays et ce, d’autant plus que mes interlocuteurs sont parfaitement représentatifs du travail d’action sociale et de développement de l’Église. Les témoignages relatifs à chaque domaine étudié ne suivent pas de schéma prédéfini ; il s’agit plutôt de récits spontanés d’expériences concrètes et de réflexions personnelles. L’intégralité des observations et commentaires de ce chapitre a été formulée en connaissance et au regard des droits fondamentaux formulés comme suit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » (Art. 1) « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. » Art. 216 2.2.1 Niveau de vie et couverture des besoins vitaux « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habille ment, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires [...]. » Art. 2516 Faits et statistiques10 « La pauvreté est un grand problème à Madagascar. » En 2005, 67,5 % de la population malgache, soit près de 14 millions de personnes, vivaient en dessous du seuil de pauvreté avec moins d’un dollar par jour. Entretemps, ce chiffre a certainement continué de progresser. Si la pauvreté est surtout présente dans les campagnes (73,5 à 80 %), elle prend également de l’ampleur en ville et touche de plus en plus les femmes. On observe par ailleurs de fortes disparités régionales : sur la côte est et dans le sud de l’île, le taux de pauvreté est d’environ 80 %. Sur les 22 régions du pays, huit se situent en dessous du seuil de pauvreté moyen. 24 Observations et commentaires14 Mes interlocuteurs malgaches décrivent les indicateurs et les visages de la pauvreté, qu’ils côtoient quotidiennement, de la manière suivante : la pauvreté pousse les gens à mendier. Les pauvres sont mal vêtus, sales (en raison du manque d’hygiène), sous-alimentés et malades, ils fouillent les poubelles, vivent dans des habitations insalubres sans eau ni électricité et survivent en se prostituant. La pauvreté oblige à se battre continuellement pour survivre et ce combat ne laisse de place à rien d’autre. Elle pousse également les gens au désespoir, ce qui a pour effet de les plonger dans l’alcool et la drogue (par exemple le khat à Antsiranana) ou les incite à s’adonner à une criminalité de subsistance. Aux stigmates extérieures de la pauvreté s’ajoutent des troubles psycho-comportementaux typiques : agressivité, disparition des valeurs, perte de l’estime de soi, léthargie, jalousies et querelles entre semblables, perte de toute empathie envers les autres avec l’égoïsme pur et dur qui peut en découler. « Une dignité perdue » sur toute la ligne. Mais la pauvreté fait aussi naître des forces et des stratégies de survie. Ainsi, lorsque dans la capitale les prix de l’huile d’assaisonnement et de la farine d’importation ont baissé, les marchands ambulants de marchandises frites se sont rapidement multipliés. Causes de la pauvreté et solutions pour en sortir14 D’après mes interlocuteurs, les causes de cette extrême pauvreté sont essen tiellement d’origine structurelle avec, notamment, d’un côté un taux élevé de chômage et de l’autre, un salaire minimum inférieur au niveau de vie. À cela s’ajoutent le manque considérable d’éducation (les femmes avec lesquelles travaille le programme d’aide aux femmes Toko Vato sur l’ensemble du territoire sont toutes analphabètes), les prix extrêmement bas versés aux producteurs de denrées agricoles et une insécurité effrayante. Pas un jour ne passe sans une attaque à main armée. À cela est venu se greffer la « crise », qui a renforcé la pauvreté déjà existante. À Antsiranana, les restaurants et autres établissements touristiques ont dû licencier leurs employés en raison du manque de vacanciers. Autour d’Antananarivo, 100 000 employés de la zone franche se trouvent en situation de chômage technique sans allocation chômage et vivent avec la menace permanente de perdre leur emploi. Par chance, cette année, aucun cyclone important n’a frappé Madagascar, même si le sud du pays est touché par la sécheresse. Récurrents, ces deux derniers facteurs sont également à l’origine de la pauvreté. Les programmes locaux de solidarité, d’alphabétisation et d’éducation sanitaire, le soutien des initiatives d’entraide, notamment pour les jeunes, en milieu urbain comme en milieu rural, les campagnes d’amélioration de la productivité agricole, l’assistance juridique et l’aide à la survie offerte aux prisonniers font 25 partie des actions de lutte contre la pauvreté les plus connues menées par l’Église. Toutefois, ces initiatives sont trop marginales pour parvenir à sortir durablement le pays de la pauvreté. Il est clair que l’Église doit davantage politiser son combat contre la pauvreté, surtout dans sa contribution au développement et à l’élargissement d’une société civile qui pourra, à terme, exiger la mise en place d’actions de lutte contre la pauvreté aux niveaux local et national. Dans le cadre de l’augmentation des budgets prévue par le gouvernement pour les services sociaux, une telle société civile pourrait par exemple réclamer le renforcement de la santé, de l’éducation, du système juridique et de la sécurité sociale. 2.2.2 Niveau alimentaire, sous-alimentation et malnutrition « Toute personne a droit à […] l’alimentation […] » Art. 2516 Faits et statistiques10 « L’insécurité alimentaire, sous-alimentation et alimentation déséquilibrée constituent un poids insupportable pour Madagascar et un facteur essentiel de risques de maladies. » 42 % des enfants de moins de cinq ans souffrent d’insuffisance pondérale et la tendance est à l’augmentation. Dans 50 % des cas, la mortalité infantile est due à la sous-alimentation ou à la malnutrition. 65 % des ménages ne savent pas comment vivre, soit parce qu’ils ne trouvent pas de denrées alimentaires en quantités suffisantes, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens de se procurer des aliments de base. Les premières victimes de cette situation sont généralement les enfants des familles pauvres, et avant tout rurales, les femmes enceintes et allaitantes dont l’alimentation est déséquilibrée et les populations des régions régulièrement touchées par la sécheresse et les cyclones, à savoir la côte est, le sud-est et le sud du pays. Jean Ziegler, rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur le droit à l’alimentation, tient les propos suivants : « Un enfant manquant d’aliments adéquats en quantité suffisante, de sa naissance à l’âge de 5 ans, en supportera les séquelles à vie. Au moyen de thérapies délicates pratiquées sous surveillance médicale, on peut faire revenir à une existence normale un adulte qui a été temporairement sous-alimenté. Mais un enfant de moins de 5 ans, c’est impossible. Privées de nourriture, ses cellules cérébrales auront subi des dommages irréparables15. » Observations et commentaires14 De nombreux Malgaches ne peuvent s’offrir une alimentation en quantité suffisante et équilibrée, et nombre d’entre eux souffrent par conséquent de malnutrition et de sous-alimentation. La sous-alimentation peut tout aussi bien être quantitative que qualitative : « Nous mangeons suffisamment quantitative- 26 ment parlant (sensation de satiété), mais manquons d’aliments de qualité sur le plan nutritionnel ». Si le riz est encore abordable, les aliments essentiels à une alimentation équilibrée (légumes, viande, poisson) ne le sont pas. Par ailleurs, la population ne dispose pas des connaissances suffisantes pour élaborer une alimentation équilibrée. Malnutris et sous-alimentés, les enfants sont incapables de se concentrer à l’école. Parmi les enfants participant au programme d’éducation de base Vozama, cinq à dix meurent chaque année de sous-nutrition et de maladies associées. Causes de l’insécurité alimentaire14 Le chômage et la pauvreté entraînent une perte du pouvoir d’achat. De plus, le secteur agricole suit un mode d’exploitation traditionnel et s’avère peu rentable, notamment en raison du manque de moyens et d’équipements, de la culture sur brûlis et de l’appauvrissement des sols. Les zones rurales sont désertées, surtout par les hommes jeunes, et les surfaces cultivables, dont les rendements continuent à chuter, n’augmentent pas malgré la croissance démographique. Par ailleurs, les denrées alimentaires disponibles sont mal gérées : les stocks vitaux sont vendus, ce qui plonge les familles dans la famine avant la récolte suivante. À ce jour, aucune politique durable n’a été mise en œuvre pour développer l’agriculture et pour lutter contre la corruption. Enfin, certaines règles culturelles contribuent au déséquilibre alimentaire : dans la région de Manankara, par exemple, la culture des haricots est taboue. Solutions pour sortir de la misère alimentaire14 En milieu urbain, il est nécessaire de créer des opportunités de travail et de revenus ainsi que des programmes alimentaires pour les enfants en bas âge et les enfants scolarisés. Des programmes de développement rural ciblés visant à augmenter la productivité tout en respectant l’environnement doivent être mis en place, à l’instar du SRI (système de riziculture intensif), qui a permis d’accroître les rendements de riz. En outre, les produits locaux doivent être privilégiés et les importations de denrées alimentaires contrôlées. La commercialisation des denrées doit également être mieux organisée et des cours d’éducation alimentaire devraient être dispensés dans les écoles ainsi que par le biais de programmes mères-enfants. Enfin, les tabous liés à l’alimentation doivent être levés. 2.2.3 Accès à l’éducation de base « Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. » Art. 2616 27 Faits et statistiques10 D’après le ministère de l’intérieur malgache, le taux de scolarisation est passé de 71 % en 1997 à 96 % en 2006, les filles et les garçons étant représentés à parts égales. Il existe cependant de fortes disparités régionales, notamment en milieu rural. Par ailleurs, l’enseignement élémentaire est marqué par un très fort taux d’absentéisme. D’une région à l’autre, seuls 30 à 47 % (maximum) des enfants terminent le cycle d’enseignement primaire et sur l’ensemble du territoire, moins d’un enfant sur deux achève ce cursus. À ces chiffres s’ajoute un taux élevé de redoublement, dû en partie à des classes surpeuplées (de 60 à 80 élèves par classe) et aux absences fréquentes des enseignants. D’après le ministère, le taux national d’alphabétisation, qui s’élèverait à plus de 70 %, se serait amélioré. Observations et commentaires10, 14 Malgré les efforts louables du gouvernement de Ravalomanana, comme la construction d’un certain nombre d’écoles, la suppression officielle des frais de scolarité et la distribution du matériel nécessaire en début de scolarité, le taux de 96 % de scolarisation avancé par le gouvernement est difficile à concevoir. D’après mes interlocuteurs et les enquêtes régionales existantes, ce taux se situerait plutôt entre 50 et 70 % pour l’ensemble du territoire. Dans un quartier défavorisé de la capitale, le taux d’enfants scolarisés n’est que de 25 % ; il est de 30 % en milieu rural. De ce fait, il semble plus réaliste de considérer qu’à l’heure actuelle, une moyenne d’environ 65 %, seulement, des enfants malgaches bénéficie du droit à l’éducation de base. En d’autres termes, cela signifie que pour au moins un tiers des enfants malgaches, l’avenir et l’épanouissement de leur personne se résument à un grand point d’interrogation. Le pays manque de structures scolaires et d’enseignants : « Lorsqu’il y a une école, il n’y a pas d’enseignant et lorsqu’il y a des enseignants, il n’y a pas d’école ! ». La pauvreté règne en milieu urbain comme en milieu rural et la scolarisation est freinée par l’augmentation, contraire aux décisions gouvernementales, des frais de scolarité ; à cela s’ajoute l’éloignement des écoles par rapport aux lieux d’habitation. De plus, lorsqu’un enfant ne possède pas d’acte de naissance, sa scolarisation est impossible. Les écoles ne sont ouvertes que par intermittence, surtout dans les régions rurales où les enseignants doivent aller chercher leur salaire en ville et sont absents la moitié du temps. Comme nous l’avons souligné plus haut, la sous-alimentation affaiblit les capacités d’apprentissage des enfants. Enfin, les écoles publiques ne font l’objet d’aucune inspection et le niveau d’enseignement est en chute constante. 28 Causes de la misère éducative14 Que ce soit dans les campagnes ou dans les couches pauvres de la population urbaine, le travail des enfants est la première cause de non-scolarisation ou de déscolarisation. Pour les familles concernées, « le travail des enfants vaut mieux que mourir de faim ». D’une manière générale, il existe une carence éducative due à l’éclatement de nombreuses familles, au manque d’implication des familles et à une éducation qui ne transmet aucune valeur. À chaque changement de gouvernement, une nouvelle politique d’enseignement est mise en œuvre, ce qui ne laisse aucune place à la continuité. À cela s’ajoute un manque généralisé de qualification et de motivation chez les enseignants, d’où un enseignement de piètre qualité. Les écoles normales d’instituteurs ont été supprimées. Le constat que la formation scolaire des jeunes « ne sert à rien » et ne donne « ni travail, ni pain », est également à l’origine de leur non-scolarisation. Enfin, lorsque les parents ne sont pas allés à l’école, ils n’y envoient pas leurs enfants. Solutions pour sortir de la misère éducative10, 14 Une augmentation substantielle du budget de l’éducation s’impose. L’allocation de 4 % du PIB à l’éducation montre le peu de valeur qu’accorde la sphère politique à ce sujet. Une sensibilisation des parents doit par ailleurs avoir lieu sur l’ensemble du territoire. Plutôt que d’établir une nouvelle politique d’enseignement à chaque changement gouvernemental, Madagascar devrait revenir à une formation adéquate des enseignants, décentraliser leur encadrement et leur rémunération et ouvrir davantage d’écoles. Pour exercer une véritable influence sur la politique de l’éducation nationale, il serait nécessaire que les écoles privées/confessionnelles se regroupent dans une organisation d’intérêt commun (société civile) mais pour l’heure, les intérêts propres des institutions entravent ces initiatives. 2.2.4 Accès aux soins de santé « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bienêtre et ceux de sa famille, notamment pour […] les soins médicaux […]. » Art. 2516 Faits et statistiques8, 9, 10 À la naissance, les Malgaches ont une espérance de vie moyenne de 57 ans pour les hommes et de 61 ans pour les femmes13. En milieu urbain, 48 % de la population a accès à des services de santé, contre seulement 35 % à la campagne. À l’échelle nationale, seules 4 personnes sur 10 ont accès à l’eau potable avec, ici aussi, une 29 grande disparité entre la ville (77 % de la population) et la campagne (35 % de la population). D’après les informations fournies par le ministère malgache de l’eau, 12 millions de Malgaches n’ont pas d’accès à l’eau potable et 14 millions vivent sans latrines. En matière de soins médicaux, deux chiffres témoignent des disparités régionales : dans la région du Boina, le ratio – certes non représentatif mais réellement existant – est d’un médecin pour 128 000 habitants tandis qu’à Tana, il est d’un médecin pour 8 900 personnes. La moyenne nationale est d’un médecin pour 25 000 habitants. En dépit d’une progression louable des campagnes gratuites de vaccinations préventives qui ont fait chuter la mortalité infantile, les enfants malgaches sont toujours exposés à des risques élevés. À l’heure actuelle, environ 30 enfants sur 1 000 meurent à la naissance ou juste après et 94 pour 1 000 décèdent avant d’avoir atteint l’âge de 6 ans. Les raisons en sont la pauvreté, un accès trop restreint à des soins de santé de qualité (seuls 51 % des accouchements se déroulent avec une prise en charge ou une surveillance médicale) et le manque d’éducation parents / enfant. La mortalité maternelle est élevée. Chaque jour à Madagascar, au moins huit femmes meurent en couches (469 sur 100 000 naissances vivantes). Le problème du VIH / sida s’est amplifié. Bien qu’à ce jour, « seulement » 0,5 % de la population soit concernée (pour les groupes à risques comme les prostituées, le taux est de 1,36 %), le risque de propagation est élevé du fait de l’étendue des maladies sexuellement transmissibles et d’un comportement sexuel généralement à risques. Le taux d’incidence du paludisme semble être en train de diminuer grâce aux campagnes d’information en la matière (avec, notamment, la distribution de moustiquaires). Toujours en hausse (97 / 1000), la tuberculose reste très problématique, tandis que la lèpre est en train de disparaître. Actuellement, le budget pour la santé représente 1,5 % du PIB et 5,7 % du budget national. Bilan : À Madagascar, une large partie de la population ne bénéficie pas du droit fondamental à la médecine préventive et curative. Observations et commentaires14 À la campagne encore plus qu’à la ville, un très grand nombre de personnes ne peuvent ni accéder aux services de santé, ni se les payer. Pour les pauvres, les traitements sont de moindre qualité. En milieu rural plus qu’ailleurs, mais également dans les agglomérations urbaines, les établissements de soins manquent de personnel, d’équipements et de médicaments de base ; sans compter que très fréquemment, les campagnes n’ont ni eau potable, ni électricité. Les services de 30 santé souffrent d’un déficit de confiance auprès de la population. Jadis généralisée (dans le passé, il fallait tout payer à tout le monde), la corruption a diminué, mais elle existe encore. Le recours aux médecines traditionnelles, qu’elles soient sérieuses ou proposées par des charlatans, est très répandu. Doublés d’un manque chronique d’éducation et d’information en matière de santé, les mentalités et les comportements traditionnels font obstacle à un développement durable de la santé. Causes de la précarité sanitaire14 C’est tout d’abord dans la pauvreté généralisée qu’il faut chercher l’une des causes de la précarité sanitaire. Dans ce contexte de pauvreté, les services de santé ne couvrent pas l’intégralité du territoire, surtout en milieu rural. À cela s’ajoutent la mauvaise gestion desdits services et l’absentéisme du personnel – sachant que les salaires continuent d’être versés, même en cas d’absence. Le manque d’éducation en matière de santé est flagrant : « La santé n’est pas la priorité des Malgaches. » À l’instar du budget national pour la santé, les budgets locaux sont trop modestes. À l’hôpital public d’Antsiranana, le budget de fonctionnement ne permet par exemple ni d’effectuer les réparations les plus urgentes, ni d’acheter le matériel nécessaire. Les prises de décisions étant centralisées au niveau du ministère, ni les hôpitaux, ni les régions ne peuvent exercer de responsabilités propres. Solutions pour une amélioration des soins de santé14 Madagascar dispose d’une politique de santé nationale. Les femmes enceintes bénéficient de traitements gratuits et la plupart des actes chirurgicaux sont également gratuits. Au niveau local, il existe non seulement des mutuelles (à Anosibe / Tana, la cotisation mensuelle s’élève à 10 000 ariarys / 2 €), mais aussi des fonds de compensation pour les pauvres. Afin de lutter contre la corruption en milieu hospitalier30, 31, les ambulances et la gestion des médicaments ont été confiées à des associations externes et indépendantes (à l’hôpital d’Antsiranana). Aujourd’hui, il faudrait créer de nouvelles infrastructures, tout en prenant soin de leur affecter le personnel nécessaire. Il conviendrait également d’offrir des salaires équitables et d’assurer une supervision du personnel à tous les niveaux, notamment par le biais d’une augmentation du budget pour la santé. La déontologie dans la formation du personnel de santé gagnerait à être renforcée. Par ailleurs, il ne devrait pas y avoir de services de santé sans programme d’encouragement ni programme d’éducation sanitaire, surtout en faveur des femmes et des enfants. L’éducation sanitaire devrait également faire partie des programmes scolaires et des campagnes d’alphabétisation. Il faudrait veiller à améliorer les médecines traditionnelles. Enfin, il faudrait promouvoir et généraliser les mutuelles locales. 31 2.2.5 Accès au travail et à la sécurité sociale « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. […] Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine […]. » Art. 23 « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale […]. » Art. 2216 Faits et statistiques10 Le marché de l’emploi est très inégalement structuré : 80 % des employés travaillent dans l’agriculture, 12,5 % dans des secteurs de production et de services publics et privés et 7,5 % dans le secteur informel. D’après le rapport sur les objectifs du millénaire pour le développement, en 2006 le chômage n’était que de 2,9 % à l’échelle nationale et touchait avant tout les jeunes adultes en milieu urbain. Parmi les travailleurs agricoles, 45 % sont sous-employés. Pour les employés du secteur privé et de la fonction publique (20 % au total), la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNAPS) fait à la fois office de caisse d’allocations familiales (allocation de maternité, financement de l’accouchement, allocation enfant), de caisse pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, et de caisse de retraite. Selon ses propres sources, la CNAPS couvre 504 000 employés actifs et 24 000 employeurs, verse des allocations enfants à 90 000 parents pour 195 000 enfants et paie une retraite à 53 000 retraités. Observations et commentaires14 Comme dans le cas des statistiques concernant la scolarisation, il est difficile de comprendre les statistiques officielles de l’emploi. D’après la dernière enquête effectuée dans un quartier pauvre de la capitale, tout au plus 15 % de la population de ce quartier en âge de travailler a un emploi régulier et formel, environ 10 % sont des artisans ou des agriculteurs et le reste survit à l’aide d’activités informelles, à commencer par le commerce de rue. Pour ce quartier, les statistiques officielles de l’emploi avancent le chiffre de 5,05 % de chômage, mais aussi celui de près de 70 % de « commerçants » assimilés à des employés, même si la plupart de ces travailleurs vendent n’importe quoi de manière informelle pour pouvoir survivre. À l’échelle nationale, 70 % des salariés « ayant un emploi » travaillent dans le secteur informel ; en ville, ce chiffre s’élève même à 90 %. Il faut également savoir que dans le secteur agricole, 88 % des « employés » ne reçoivent pas de salaire. Sachant cela, toute statistique de l’emploi avançant le chiffre de 2,2 % de chômage est plus que douteuse. 32 Les chiffres de la CNAPS concernant les personnes couvertes par la sécurité sociale confirment les assertions de mes interlocuteurs, qui affirment que seule une minorité infime de la population a accès à une couverture sociale pour la maladie, la vieillesse et toutes les autres situations sociales de besoin. Dans ce contexte, il convient de préciser que même ce nombre restreint de personnes a le plus grand mal à toucher ses droits. Quatre ans après son départ à la retraite, un ancien fonctionnaire devait encore se battre pour toucher sa maigre retraite. Et comme l’écrit Madgascar Midi, nombre de retraités meurent avant d’avoir pu toucher leur retraite17. À cela s’ajoute la corruption avérée du management de la CNAPS18. Le travail est un luxe que l’on n’est jamais certain de pouvoir conserver. Le salaire minimum ne suffit pas pour vivre et le travail n’est pas réparti de manière homogène à l’échelle nationale : alors que les entreprises de la zone franche sont essentiellement installées autour de la capitale, la province est délaissée. À y regarder de près, les petits commerces et le commerce de rue ne sont pas vraiment des emplois générateurs de revenus : le marché informel de l’emploi procure des revenus qui permettent de survivre, mais pas de vivre. En témoigne l’exemple des femmes qui, sous la chaleur suffocante d’Antsiranana, brisent des pierres pour le béton. Avec ce genre de travail, ces femmes sont à bout, ne serait-ce que physiquement, au plus tard à l’âge de 45 ans. À Tana, l’une de mes interlocutrices m’a déclaré : « Nous, les Malgaches, nous ne vivons pas, nous survivons. » Les femmes au foyer (« femmes ménagères ») sont le plus souvent exploitées et ne bénéficient d’aucune couverture sociale. Du fait de l’exode rural, les bataillons de chômeurs ne cessent de grossir dans les villes. Et dans la zone franche, la crise politique menace jusqu’à 100 000 emplois. À Antsiranana, la disparition du tourisme engendre des pertes d’emplois et de revenus. En un mot comme en cent : la sécurité sociale n’existe que sur le papier (dans la loi) et ne s’applique qu’à quelques cas très limités. Sous-payés, nombre d’employés ne sont pas déclarés : ils travaillent quand-même afin de recevoir au moins le maigre revenu qui est le leur. Causes du chômage et de l’insécurité sociale14 Il n’existe aucune politique conséquente de l’emploi. Le code du travail, qui a certes le mérite d’exister, est trop laxiste et inefficace et n’est qu’à peine, ou très peu, mis en pratique. De mauvaise qualité, l’éducation n’apporte pas les qualifications nécessaires à l’exercice d’un emploi. Un manque de professionnalisme se fait sentir, même en milieu rural. Certaines personnes bénéficiant de 33 l’aide de proches établis en Europe n’essaient même pas de trouver du travail. La consommation de drogue est génératrice de léthargie. L’esprit d’entreprise est peu prononcé. On attend tout de l’État. Les taxations et les charges élevées (par exemples pour l’électricité) empêchent la création de petites et moyennes entreprises. Nombre d’employeurs ne proposent aucune couverture sociale et il n’existe aucun contrôle efficace de la sécurité sociale: les inspecteurs du travail sont corrompus et vénaux. Solutions pour plus d’emplois et de sécurité sociale14 La politique déclarée du gouvernement d’une « haute intensité de main d’œuvre » dans les programmes d’investissement publics devrait être mise en pratique de manière conséquente. Il faudra trouver de nouveaux débouchés, par exemple dans le tourisme à Antsiranana. La législation du travail doit être améliorée et le code du travail doit être expliqué aux employeurs comme aux employés. Les syndicats doivent être renforcés. La condition primordiale d’une sécurité sociale digne de ce nom seraient un travail et des revenus qui permettent de vivre. À l’avenir, le défi de la politique sera de construire un réseau complet de sécurité sociale, notamment en milieu rural. D’ici-là, des actions de solidarité locales devront être mises en place. Les mutuelles locales devront être encouragées. La CNAPS doit être décentralisée efficacement, la corruption doit y être mise au grand jour, les coupables doivent être sanctionnés et des contrôles sévères doivent y être mis en place : un cas pour BIANCO. 34 3.Causes et contexte de la situation des droits de l’homme à Madagascar Jusqu’à ce jour, les politiciens de toutes tendances et de tous les gouvernements de Madagascar ont chanté l’hymne des grandes potentialités humaines et économiques du pays. Ils ont raison. Ces potentialités existent. 3.1 La pauvreté induite par l’homme dans un pays riche Il y a d’abord les ressources des superficies cultivables réparties sur une multitude de zones climatiques, avec une production agricole extrêmement diversifiée. Il y a également les ressources halieutiques. Ces deux types de ressources pourraient non seulement permettre une alimentation suffisante et variée de la population, mais également une production de marché et d’exportation créatrice de revenus. Pour ce faire, il faudrait toutefois que les gouvernements à venir finissent par assigner des priorités claires à la politique de développement, tout en s’attelant à la protection des ressources naturelles du pays et à un vaste développement rural, avec toutes ses composantes – dont une exploitation durable des terres. Il faudrait également que des mécanismes efficaces de mise en œuvre soient mis au point. Si à l’heure actuelle, la majorité des Malgaches ne peut vivre dans la dignité, c’est en grande partie en raison de l’absence notoire d’une volonté politique aspirant à élaborer et à réaliser une stratégie globale et réaliste de développement social et économique. Il en va de même pour l’utilisation des richesses minières du pays, comme le chrome, le graphite, le mica, les pierres précieuses et semi-précieuses et même – aujourd’hui, enfin ! – le pétrole. 3.2 L’évolution politique – une spirale descendante Avec une mise à profit économique qui servirait le budget public plutôt que des filières privées ou internationales comme cela a jusqu’à présent été le cas, l’exploitation – écologiquement compatible – de ces riches potentialités pourrait elle aussi être l’un des piliers d’une économie locale durablement saine et ce, en vue d’assurer une évolution humaine équilibrée sur la grande île19. À cette fin, il faudrait une politique fondamentalement différente de celle des gouvernements qui se sont succédé jusqu’à présent. Depuis l’indépendance du pays, le drame politique en plusieurs actes qui s’est déroulé avec des effets de répétition est marqué par trois composantes majeures. 35 3.2.1 Cause n° 1 : la classe politique La première composante est la « classe politique » du pays. Pour ses représentants, toutes tendances ou mouvances confondues, les deux rencontres de Maputo en août 2009 ont offert un théâtre extraordinaire. En effet, le groupe de médiation de l’UA n’avait pas seulement convié les quatre grands adversaires que sont Didier Ratsiraka, Albert Zafy, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina – dont au moins les trois premiers forment à eux seuls un kaléidoscope représentatif de la « classe politique ». Tous quatre sont restés fidèles à leur réputation : « Ces politiciens sont parfaitement capables de se réconcilier pourvu que soit on ne touche pas à leur nouvelle part du gâteau, soit qu’on leur donne ce qu’ils réclament, soit qu’on augmente un peu leur part20. » Ces hommes étaient accompagnés de leurs partisans, dont le Midi Madagasikara dit avec justesse : « La composition des différentes mouvances au sommet de Maputo est révélatrice de la spécialité de la classe politique malgache, à savoir le retournement de veste. Plus que réversibles, les vestes de certains politiciens sont même à multiples faces. Ils (se) retrouveront aujourd’hui dans la capitale mozambicaine face à leurs anciens patrons et/ou alliés d’hier. Une alliance objective et avec presque les mêmes acteurs, face à l’Amiral en 1991, face à Zafy en 1996, face de nouveau à Ratsiraka en 2002 et dernièrement face à Ramose21. » Témoignant de bien d’autres encore, le quotidien cite dix représentants de cette catégorie. Comment un changement politique sérieux pourrait-il se produire dans un tel contexte ? Et la population, le « peuple » galvaudé par les politiciens ? « [La population] demeurera l’alibi permanent […]. Elle est en réalité le terrain de jeu favori des politiciens. Sur lequel ils jouent et s’exercent aux combats21. » Dans un article relatif au débat télévisé de représentants de quatre mouvances le 12 août 2009, le quotidien La Vérité titre « Aperçu kafkaïen » et écrit : « L’impression générale est un véritable dégoût de la politique [...] Un écœurement grandissant lorsqu’au lieu d’écouter certaines ‘âneries’, on essayait de se rappeler leur passé récent ou non, peu glorieux, voire trouble. Ils étaient là pour se faire voir et leur message était plutôt du genre ‘regardez-moi bien, dans quelques semaines, je serai vicepremier ministre, ministre, haut conseiller, congressiste etc.’ Ces politiciens qui n’arrêtent pas de donner des leçons de changement de mentalité à la population alors qu’ils n’en sont même pas capables, même au bout de plusieurs décennies de (basse) pratique de la politique22. » Il n’est pas étonnant qu’avec une telle « classe politique », l’évolution politique soit une interminable spirale descendante. Dans le cadre de cet article, il ne nous sera pas possible d’analyser quels ont été les différents groupes de la société malgache qui ont soutenu les divers gouvernements et ont profité de chacun 36 d’entre eux. Restent les questions suivantes : pourquoi la « classe politique » estelle ce qu’elle est, où étaient et où sont les autres forces et personnalités politiques positives du pays qui auraient pu empêcher l’effondrement et pourraient sortir le « taxi brousse » de la boue ? 3.2.2 Cause n° 2 : le manque de conscience politique Si la politique et les politiciens ont pu faire ce qu’ils ont fait, c’est parce qu’au cours de l’évolution de la société malgache, « la population » n’a guère, voire pas du tout, développé de conscience politique véritable. Les politiciens ont plus ou moins délibérément maintenu « la population » dans un état d’immaturité politique. « Cette population […] n’est juste qu’un instrument (de jeux pervers) entre les mains de politiciens qui s’en donnent à cœur joie pour la manipuler, pour l’infantiliser et pour l’abêtir20. » S’il en a été et s’il en est encore ainsi, c’est parce que depuis la fin des années 1970 toute conscience et toute mobilisation politiques ont été sapées par l’augmentation constante de la pauvreté, avec l’affaiblissement des structures traditionnelles de solidarité et les stratégies de survie très individualistes qui en résultent, mais aussi par le sentiment d’avoir été oublié par les politiciens. L’ancien archevêque et cardinal d’Antananarivo, Victor Razafimahatratra, le résume ainsi : « Nos problèmes actuels proviennent sans doute moins des structures politiques que des comportements personnels et collectifs devant le pouvoir : l’argent, les responsabilités et la gestion [...]. La population a souvent le sentiment d’être abandonnée, risquant alors de perdre ses repères moraux : la parole n’est plus respectée, la peur paralyse chacun et la jalousie bloque l’émergence de responsables locaux […]23. » À cela s’ajoute l’exemple démotivant de la « classe politique », qui n’incite pas à s’engager dans le domaine politique. Restant imprégnée de modes de pensée et de comportements traditionnels, la mentalité malgache constitue un frein supplémentaire au développement d’une conscience politique. Cette mentalité comprend notamment la perception de l’autorité comme « raya-man-dreny » (c’est-à-dire comme « père et mère ») tant dans la famille et les structures sociales locales qu’au niveau national. Comprise ainsi, l’autorité exige qu’on lui obéisse, sans la remettre en question ; on attend beaucoup d’elle – si ce n’est tout. Depuis la douteuse malgachisation de la politique, les « vertus » malgaches traditionnelles telles que le respect plus ou moins aveugle de l’autorité sont systématiquement propagées. Dans ce contexte, la « fonction publique » investit ses fonctionnaires d’une position de force, du niveau le plus élevé au niveau local. Loin d’inciter à comprendre que la politique doit se faire et doit se justifier de manière intelligible en incluant activement 37 la population, voilà qui n’encourage pas le développement d’un esprit critique et responsable face aux personnes qui sont au pouvoir. Cette constatation est corroborée par l’expérience qu’ont faite l’Église et d’autres organisations non gouvernementales dans leur programmes de formation et de développement : pendant longtemps, ces programmes se sont caractérisés par la transmission directe et peu participative (vulgarisation) de contenus et de techniques, jusqu’à ce que les responsables de ces programmes finissent par comprendre ceci : « On ne peut pas développer l’homme, mais l’homme se développe lui-même. » (Julius Nyerere) Ce n’est donc qu’avec une participation active des personnes concernées qu’un développement humain durable pourra être réalisé. L’idéologisation et la politisation systématiques d’un autre élément fondamental de la pensée et des sentiments malgaches, le « fihavanana », qui est l’expression de la solidarité traditionnelle de la famille et du groupe, le tissu social classique de tous ceux qui appartiennent au même groupe, constitue un frein supplémentaire au développement d’une culture politique. Au-delà de son utilisation propagandiste en vue de conjurer « l’unité de la nation malgache », dans l’Église aussi d’ailleurs, ce concept comprend un autre aspect défavorable au développement de l’esprit critique et de la culture du conflit essentiels à toute conscience politique. Dans le cadre de la grande famille et du groupe d’appartenance, le « fihavanana » interdit de parler ouvertement des problèmes concernant un membre du groupe. Voilà qui empêche, à la base, toute résolution de problème ou de conflit. Cela étant dit, il faut également préciser que la société traditionnelle disposait d’autres mécanismes pour résoudre ses conflits. Pour la « classe politique », l’utilisation éhontée de ce terme vidé de son sens, mais émotionnellement chargé, n’est qu’une tactique supplémentaire pour se soustraire à toute pensée critique ou à la mise en place d’une culture pacifique du conflit. Encore hésitant et complètement insuffisant, le développement d’une société civile responsable, d’un contre-pouvoir et d’un complément politiques ancrés dans la solidarité, est freiné non seulement par le manque de conscience politique au sein de la population, mais également par la majeure partie des responsables de programmes d’action sociale et de développement des Églises et autres organisations non gouvernementales. 3.2.3 Cause n° 3 : le piège culturel L’évocation de la « mentalité », de la structure mentale et affective héréditaire ou acquise de chaque être humain, nous mène à la troisième composante majeure à même d’expliquer les évolutions problématiques de Madagascar. Ici, certains 38 facteurs culturels font obstacle à l’évolution24. L’éthique sociale de l’Église affirme ceci : la culture « a donc droit au respect et jouit [tout comme la personne humaine] d’une certaine inviolabilité, à condition, évidemment, de sauvegarder les droits de la personne et de la société, particulière ou universelle, dans les limites du bien commun25. » Cela vaut pour la culture malgache comme pour toutes les autres cultures. La culture en tant qu’expression d’une identité puisée dans ses propres racines pour permettre l’élaboration d’un amour-propre sain, est un droit propre à toute personne. Pour Madagascar, cela signifie qu’il faut mettre un terme au mythe néfaste (d’origine politique) d’une culture malgache unique. Même la langue malgache s’articule autour de diverses déclinaisons d’une ethnie à l’autre, sans cesser le moins du monde d’être un lien unissant tous les Malgaches. Dans le fond, le mythe de la culture malgache unique n’est rien d’autre qu’une forme de racisme dissimulé qui, en cherchant à nier la diversité culturelle, impose de fait la prédominance d’une seule culture. L’instrumentalisation et l’idéologisation politiques d’un certain nombre de valeurs et concepts culturels centraux déracine ces mêmes valeurs et concepts de leur milieu réel pour produire des mots vides de sens qui pourront néanmoins compter sur l’adhésion affective et idéaliste de nombreux Malgaches et continueront donc, notamment au sein de l’Église, d’être mises à profit à des fins politiques. L’instrumentalisation politique et idéologique des valeurs centrales s’est accompagnée, surtout à partir de 1972, d’une absolutisation insulaire de la culture malgache, faisant naître un intégrisme culturel autosuffisant face à toute idée venant de l’extérieur, et refusant à tout non Malgache la possibilité de comprendre les Malgaches : « Vous ne pouvez pas comprendre parce que vous n’êtes pas Malgache. » Dans certains cas concrets, j’ai moi-même fait l’expérience douloureuse du refus catégorique opposé à des idées intéressantes et à des sollicitations pratiques venant de l’extérieur, par exemple d’Afrique, dans le domaine de la politique du développement – parce qu’elles étaient jugées inutiles : « Nous avons tout cela dans notre culture. » Ce n’est qu’en se familiarisant avec ce contexte qu’il est possible de comprendre la déclaration du commandant de l’armée citée en introduction à propos des droits de l’homme à Madagascar (« Amnesty international n’a pas de leçon à nous donner. Il n’y a pas plus respectueux des droits de l’homme que les Malgaches. ») Au cours de ces dernières années, j’ai cependant pu constater chez nombre de partenaires et de responsables de programmes malgaches une ouverture croissante aux idées et aux expériences issues d’Afrique et d’Europe. 39 Comme toute culture, la culture malgache doit poursuivre son développement. D’un point de vue chrétien, le premier synode africain l’affirme ainsi : « Chaque culture a besoin d’être transformée par les valeurs de l’Évangile à la lumière du mystère de Pâques » et « C’est en considérant le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption que l’on doit opérer le discernement des valeurs et des anti-valeurs des cultures27. » À la lumière de l’évocation constante, chez mes interlocuteurs malgaches, de la « mentalité » locale comme frein au développement et à la mise en pratique des droits de l’homme, à la lumière des « coutumes » susmentionnées telles que l’abandon des jumeaux et à la lumière des discriminations courantes de la femme, il faudrait distinguer les valeurs des anti-valeurs culturelles, prendre conscience du caractère limité de sa propre culture, et s’ouvrir pour laisser la place à des échanges enrichissants avec d’autres cultures et d’autres expériences. Car, comme l’affirme le professeur de philosophie qu’est le Père Christian Alexandre : « Le Malgache n’est pas une île24. » En dernier ressort, il faudra redécouvrir les valeurs sociales authentiques des cultures malgaches comme le « fihavanana », il faudra les libérer du vide idéologique dans lequel elles ont été plongées, et leur donner un sens et une force vitale nouveaux à la lumière des valeurs de l’Évangile et d’une solidarité universelle. À cet égard, Sylvain Urfer cite un proverbe malgache illustrant parfaitement la solidarité de groupe par delà les générations, c’est-à-dire le « fihavanana » : « Le genre humain est comme un unique pied de bananier ; les jeunes feuilles qui s’enroulent en spirale sont le bananier ; les fruits qui pointent vers le ciel sont le bananier ; l’écorce sèche qui se détache est le bananier ; les régimes qui pendent sont le bananier26. » 40 4.Où va Madagascar ? – Perspectives d’avenir Il existe aussi un Madagascar vivant, qui a gardé sa dignité malgré la pauvreté. Même si l’ancien qualificatif d’île heureuse n’est plus tout à fait approprié, Madagascar n’est pas non plus, en dépit de tous ses problèmes, l’île des damnés. Depuis mon dernier séjour, beaucoup de choses ont évolué positivement. Plusieurs routes ont été construites : aujourd’hui, il est possible de se rendre d’Antsiranana, dans le nord de l’île, à Tulear, à l’extrémité sud-ouest, sur des routes correctement goudronnées. De nouveaux magasins de plus ou moins grande taille, de coquets hôtels, des restaurants et des snack-bars ont vu le jour. Les téléphones portables sont omniprésents et les cartes prépayées se vendent à chaque coin de rue. Tout comme les vols européens réservés la plupart du temps jusqu’à la toute dernière place presque exclusivement par des Malgaches, le nombre surprenant d’imposants 4x4 garés dans les rues reflète la relative prospérité de classes moyennes et supérieures qui sont sans doute de petite taille, mais qui existent bel et bien, et sont le signe manifeste d’une certaine vigueur économique. Ces dernières années, de nouvelles écoles et de nouveaux services de santé ont également été construits dans tout le pays, tandis que des campagnes de vaccination destinées aux enfants ont été mises en place dans les communes – avec quelques disparités régionales. Aujourd’hui, même en pleine « crise », nombre de services privés et publics continuent de fonctionner, apportant la preuve de l’existence et de la vitalité d’une infrastructure sociale et économique bien en place. Comme le montrent les articles de journaux locaux que nous avons cités, la liberté d’expression et de presse est suffisamment vaste pour permettre un suivi critique des développements politiques, économiques et sociaux. Encore à l’état de jeune pousse, la société civile malgache affiche une certaine vivacité et commence à se développer. Les communiqués réguliers de l’Observatoire de la vie publique, le SeFaFi, témoignent d’une certaine maturité politique et de la volonté de contribuer à des changements positifs au sein de l’État et de la société. Autre élément essentiel de la réalité malgache : l’étonnante force vitale et la capacité d’adaptation grâce auxquelles une large partie de la population malgache réussit à survivre au moins partiellement dans la dignité, tout en conservant sa gaîté et sa joie de vivre et ce, en dépit des crises, de la corruption et des manigances des puissants. Voilà qui est indubitablement lié à la vigueur d’une philosophie saine de la vie et d’un sens de la communauté qui continuent de s’affirmer en dépit de toutes les mutations sociales. 41 Enfin, les Malgaches ont également réussi à surmonter des troubles et des soulèvements politiques incessants sans accès de violence extrême – ce qui ne garantit toutefois en rien qu’il en sera toujours ainsi. Afin d’éviter tout stéréotype simpliste concernant les hommes et le pays, il est important d’être conscient de ces éléments positifs et encourageants. Le chemin que Madagascar doit encore parcourir est semé d’embûches. Aujourd’hui, le pays se doit de sortir au plus vite de la crise politique pour retrouver la normalité d’un gouvernement et d’une administration publique portés par la majorité de la population. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible d’élaborer puis de mettre en œuvre les stratégies d’un développement à la fois nouveau et durable pour trouver une issue à la misère. À cet égard, il serait souhaitable que la communauté internationale, qui joue un rôle plutôt douteux dans les mutations que traverse actuellement Madagascar, soit à nouveau disposée à coopérer en toute équité. L’invitation, suivie d’une interdiction de prise de parole, d’Andry Rajoelina à l’assemblée plénière des Nations unies n’en fournit pas le meilleur exemple. Ce n’est certainement pas grâce au « développement rapide » promis au début du gouvernement de Ravalomanana que le pays émergera de la pauvreté. Après tant d’années de gabegie, bien trop de choses sont en piteux état. Il reste à espérer que les nouveaux responsables politiques travaillent main dans la main avec la population et avec toutes les forces vives dont le pays dispose réellement. Pour que l’Église puisse faire partie intégrante de ces « forces vives », elle doit être prête, elle aussi, à réviser ses schémas de pensée et ses comportements traditionnels, à rechercher de nouvelles voies et à s’y engager avec son « peuple » afin d’être plus à même d’être « lumière du monde » et « levain dans la pâte » au sein de la société malgache. Piliers de « la voie à suivre », les trois domaines d’action que nous nous proposons d’exposer tiennent particulièrement à cœur d’un grand nombre de mes interlocuteurs malgaches. 4.1 Développer une culture de la participation « Terrain de jeu favori des politiciens. Sur lequel ils jouent et s’exercent aux combats20 » depuis fort longtemps, maintenant, le « peuple » galvaudé doit rapidement se voir restituer son rôle « souverain ». L’un des premiers pas à effectuer dans ce sens seraient des élections libres et équitables pour le Parlement et pour un nouveau président. D’après ceux de mes interlocuteurs qui y ont participé, les conférences sur l’avenir du pays proposées par le gouvernement de transition dans toutes les régions ont constitué, en dépit de toutes leurs insuffisances organisationnelles, une étape importante vers une réelle participation des citoyens. 42 Un certain nombre d’organisations de la société civile telles que l’Observatoire de la vie publique, le SeFaFi, ont soumis des propositions très constructives pour assurer la transparence et l’équité des prochaines élections28. Il serait notamment nécessaire de refondre la loi électorale et d’adapter les listes électorales à l’état actuel de la population en droit de voter. Pour garantir des élections équitables, il serait également décisif d’instaurer une commission électorale nationale indépendante qui assure un dépouillement exact des résultats des votes. Dans leur « Déclaration des Évêques à la Nation » en date du 24 mars 2009, les évêques reprennent les suggestions de la société civile : « L’Église n’a pas de programme politique à présenter pour diriger le pays ; elle ne soutient personne ni aucun parti politique. […] Au nombre des améliorations indispensables, qu’il nous soit permis de citer, entre autres : le rétablissement de la Haute Cour de Justice, […] la liberté d’expression et de manifestation, l’accès de tous à tous les médias, des élections libres et sans fraude, la transparence dans le financement des partis et des campagnes électorales, un statut sur les partis politiques à Madagascar, la transparence dans l’utilisation de l’argent et des biens publics […]. Ces dispositions devront être garanties par la Constitution, et ne devront plus pouvoir être remises en cause29. » Il reste à espérer que ces voix de la société civile seront entendues par les responsables politiques. Lorsque nous parlons de société civile dans le présent article, nous avons pleinement conscience qu’à Madagascar, cette société civile n’est encore qu’à peine développée, à l’échelle nationale, et qu’il ne s’agit que d’un nombre restreint d’organisations qui portent un regard critique sur la politique et la société malgache ou qui se définissent, en leur qualité d’ONG, comme éléments de la société civile. Il est étonnant et réjouissant à la fois que cette société civile s’implique avec une telle résolution et un tel courage dans le développement politique. Sa proposition de rechercher et de trouver un consensus avec l’armée comme média teur entre les forces politiques adverses, comme nous l’avons exposé plus haut, pourrait être un moyen de mettre un terme aux dangereuses luttes de pouvoir. Aujourd’hui, il n’existe pas, pour ainsi dire, de société civile active et organisée à l’échelle nationale, qui soit une plateforme de groupements d’intérêts, d’unions professionnelles, de syndicats, d’organisations non gouvernementales et d’églises, qui jouisse d’une reconnaissance d’égal à égal face aux instances étatiques et qui soit à même de représenter les intérêts de la population. Pourtant, une telle société civile serait nécessaire à la mise en place d’une participation représentative de la population aux évolutions de la société et à la réalisation d’une politique adaptée à cette même population. Voilà le défi lancé aux groupements susmentionnés. Voilà également le défi lancé à l’Église. Car l’Église ne saurait se contenter d’encourager, de structurer et d’observer, par le biais des choix de Justice et Paix, le développement de la com- 43 munauté ou encore des groupes isolés au plan local. Par ailleurs, il faudrait que les organisations et institutions religieuses se définissent comme le point de départ et le pilier de la société civile et mettent sur les rails une société civile efficace, en établissant des réseaux entre elles mais aussi avec d’autres groupes de la société. Il faudrait que cela se fasse avec la bénédiction de l’Église officielle qui pourrait convaincre, de cette manière, que ce qui lui importe n’est pas le pouvoir de son institution, mais la justice, la paix et la dignité humaine pour tous. Le premier synode africain le dit ainsi : « La démocratie authentique, dans le respect du pluralisme est ‘l’une des routes principales sur lesquelles l’Église chemine avec le peuple31’ ». Autant de réflexions peu courantes dans les rencontres et les débats menés avec des représentants de programmes sociaux, d’organisations et de fédérations de l’Église. 4.2 L’éducation et la formation, conditions sine qua non d’une conscience politique L’éducation et la formation sont toujours au cœur du développement de chaque individu et de chaque société et ce, tout particulièrement lorsqu’une société subit de profondes mutations, passant d’un modèle de société traditionnel avec ses propres schémas de pensée et ses propres comportements à une conception nouvelle de la vie et de la société. Voilà la réalité vécue, consciemment ou non, par la plupart des Malgaches. Or, cette situation lance le défi d’un système global et adapté d’une éducation de base et de formations pour tous. Une éducation ajustée aux besoins locaux, surtout dans le domaine de l’éducation de base, pourrait permettre aux Malgaches de s’adapter plus facilement aux exigences d’une société nouvelle et moderne et poser le socle d’une société offrant les mêmes chances au plus grand nombre. C’est là tout d’abord la tâche de l’État. Dans leurs réflexions sur la situation de l’éducation de base, mes interlocuteurs malgaches citent les domaines d’action qui s’imposent, s’accordant notamment sur le fait qu’il est nécessaire de consacrer une plus grande part du budget de l’État à l’éducation et à la formation. Ils insis tent également sur la refonte des programmes d’enseignement dans le sens d’une malgachisation, c’est-à-dire d’une adaptation des contenus et de la pédagogie à la réalité vécue. Ils exigent par ailleurs une formation des enseignants, non seulement dans les différentes matières, mais aussi (encore une fois) en pédagogie ; la création d’infrastructures suffisantes avec des équipements adéquats, un libre accès à l’éducation de base, l’implication des parents et une supervision efficace de l’enseignement. Il faudrait absolument qu’un nouveau gouvernement établisse 44 un plan sérieux et réaliste stipulant de quelle manière aborder et réaliser, à moyen et long terme, ces points et tous les autres défis d’un système d’enseignement global. Avec sa contribution substantielle, à tous les niveaux, à l’enseignement, l’Église joue un rôle capital dans ce processus. En espérant que l’enseignement fera l’objet d’un programme public de réforme, il sera crucial que l’Église y participe activement, tout en faisant part de ses expériences et des problèmes rencontrés. Le critère de crédibilité du travail d’éducation et de formation de l’Église réside dans sa qualité académique et pédagogique ainsi que dans l’accessibilité à tout un chacun de ses institutions. Mais pour l’impact du travail d’éducation et de formation de l’Église sur la société, il sera également décisif qu’elle transmette, par-delà la qualité académique et pédagogique offerte, une valeur ajoutée – à savoir des valeurs chrétiennes conformes à son éthique sociale, une compétence sociale et un développement équilibré de la personnalité. Il y a là une demande à l’égard des pratiques d’enseignement de l’Église. Il faut également noter qu’en sus de son engagement considérable dans le domaine formel de l’éducation, l’Église propose dans les domaines de l’action sociale et du développement de nombreux programmes qui comportent quasiment tous une dimension éducative. Qu’ils portent sur le développement rural ou urbain, qu’ils soient centrés sur les femmes ou sur des métiers particuliers, ces programmes ne manquent jamais de véhiculer des contenus et des méthodes. À cet égard, on peut se demander si ces programmes doivent transmettre leur savoir en enseignant face à leur public (travail de vulgarisation) ou si les responsables desdits programmes ne devraient pas partir, dans une démarche commune avec les personnes concernées, à la découverte des valeurs et des techniques à transmettre (animation). Seule cette deuxième démarche permettra d’engendrer un changement durable. Cela vaut d’ailleurs également pour la catéchèse et la prédication qui, comme on le sait, ont elles aussi une action formatrice sur l’homme et ont pour ambition de faire naître une foi à même de changer le monde. Pour apporter une contribution spécifique au développement et à la promotion d’une compétence sociale, tout travail d’éducation et de formation de l’Église devrait s’inspirer de l’éthique sociale de cette même Église. Avec ses messages intemporels et ses positions sur le respect de la dignité humaine, sur l’édification d’une communauté solidaire et sur la préservation de la Création, la doctrine sociale de l’Église pourrait intégrer durablement la dimension humaine et sociale à son propre travail d’éducation et de formation. Cela signifierait toutefois que la doctrine sociale de l’Église fasse partie intégrante, comme l’exigent de nombreuses encycliques sociales et les documents du premier synode africain, de tous les programmes de formation destinés au personnel de l’Église, y compris les prêtres. 45 4.3 Réconciliation entre les ethnies et avec l’histoire Si une appréhension commune de l’histoire est l’un des piliers d’un sentiment national commun, alors il manque ce pilier à la nation malgache. Officiellement, c’est la soumission en partie violente et en partie contractuelle de la grande majorité des peuples malgaches à l’autorité du royaume merina des hautes terres, au XVIIIe siècle, qui marque l’heure de naissance de la nation malgache. Les ethnies « unifiées » de la sorte voient les choses différemment. Un prêtre et auteur de livres de l’ethnie des Betsimisaraka (littoral oriental de l’île) appelle cette phase de fondation de la nation « la première colonisation31 ». En d’autres termes, le pilier unificateur d’une appréhension commune de l’histoire faisant défaut à la nation malgache, il manque à l’édifice commun de la nation un élément stabilisateur clé. Les Malgaches auraient peut-être pu s’en accommoder si la région des hautes terres entourant la capitale Antananarivo, l’ancien territoire principal des Merina, n’avait pas été constamment privilégiée sur le plan politique, culturel (éducation) et économique et ce, de l’époque du royaume merina à nos jours – en passant par la période coloniale française et ses missions. À Madagascar, chacun sait que de par le passé comme aujourd’hui, une certaine bourgeoisie de la capitale tire largement, de régime en régime, les ficelles de la politique et de l’économie et forme une partie substantielle de la « classe politique » précitée, même si désormais les côtiers (c’est-à-dire les personnes venant de la périphérie de la région côtière) viennent eux aussi en renforcer les rangs. Aujourd’hui, la concentration en zone franche, autour d’Antananarivo, d’entreprises créatrices d’emplois est un indicateur visible de l’inégalité de traitement des régions. Même si trois des cinq derniers présidents étaient des côtiers, les régions côtières et leurs habitants sont systématiquement négligés sur le plan politique, social et économique, ce qui ajoute une dimension supplémentaire, celle de désavantages constamment vécus et ressentis comme tels, au facteur conflictuel que constituent les diverses appréhensions de l’histoire malgache. Voilà, aujourd’hui comme hier, une dangereuse source de conflits potentiels qui a atteint un apogée provisoire dans la déclaration d’indépendance de certaines provinces bénéficiant du cloisonnement militaire d’unités de l’armée fidèles à Ratsiraka après la prise de pouvoir de Ravalomanana. Les mesures politiques de décentralisation qui ont été menées ont trop manqué de conviction pour pouvoir désamorcer ce terrain miné. Ainsi, pour qu’à l’avenir Madagascar puisse se développer pacifiquement, il sera tout d’abord nécessaire de reconnaître ouvertement sa diversité culturelle, tout comme les tensions nées de son histoire et de son évolution politico-sociale. Ensuite, c’est sur cette base qu’il faudra trouver des pistes de réconciliation. Telle 46 qu’elle est envisagée par « Foi et Justice », la publication de livres d’histoire qui tiendront compte de la diversité des expériences et seront rédigés par des auteurs de différentes origines ethniques est certainement une piste essentielle de réconciliation et ce, d’autant plus que ces livres seront publiés pour l’enseignement scolaire. Aujourd’hui, la formation scolaire a besoin, dans tous les domaines, d’encore bien plus d’initiatives de ce type afin de familiariser les enfants et les jeunes non seulement avec la richesse, mais également avec les limites de leurs cultures locales. Dans le même temps, il sera également nécessaire de procéder à une décentralisation politique et économique qui soit digne de ce nom et confère aux régions la liberté de décision et d’action nécessaire pour initier et accompagner un développement régional adapté à la population et à chaque situation, tout en réussissant à défendre efficacement les intérêts régionaux auprès du gouvernement central. Voilà qui permettrait à Madagascar de s’engager sur la voie d’une compensation nationale et, par là-même, d’une réconciliation nationale. L’Église devrait y voir un élément clé de sa mission pastorale. Il est à espérer que le deuxième synode africain organisé autour du thème « Réconciliation, justice et paix » stimule positivement le travail de paix et de réconciliation de l’Église. Pour ce travail, Madagascar offre un champ d’application idéal. 47 5.Signes porteurs d’espoir J’aimerais clore mes observations sur la réalité et les causes des atteintes aux droits de l’homme à Madagascar ainsi que mes réflexions sur « la voie à suivre » en relatant quelques expériences concrètes et prometteuses de programmes judicieux d’éducation, de formation et de développement émanant de l’Église ou d’organisations proches de l’Église. J’ai déjà mentionné les activités de recherche et de publication de « Foi et Justice », avec notamment la parution prochaine de nouveaux livres d’histoire, ainsi que le travail de politique sociale du SeFaFi. Dans ce qui suit, je m’attacherai à présenter trois autres programmes et initia tives qui apportent chacun à leur façon une contribution à la sensibilisation et à l’organisation de chaque population concernée et permettent, par là-même, de surmonter la résignation et la passivité dans un contexte sociopolitique difficile. La première initiative a été lancée en réaction au taux de scolarisation effroyablement bas des zones rurales entourant la petite ville d’Ambositra dans le centre de Madagascar. Depuis plus de dix ans, une campagne intitulée « Vozama » (« Sauvons les enfants malgaches ») mobilise les communes rurales autour d’un programme d’alphabétisation pour enfants non scolarisés afin de leur permettre d’accéder à l’école primaire formelle. À l’heure actuelle, 690 postes d’alphabétisation installés dans les villages préparent 9 800 enfants à entrer à l’école primaire. L’un des éléments essentiels de ce programme est l’implication active des parents, qui est requise dès le début : les parents doivent procurer les locaux nécessaires au programme, participer au financement du personnel et prendre régulièrement part à des formations continues portant sur des sujets d’intérêt local tels que l’agriculture et la santé. Lorsque ces conditions ne sont pas remplies, le programme n’est pas proposé. Les autres composantes clés de ce programme sont les suivantes : le personnel enseignant, qui se compose de femmes le plus souvent, est recruté dans les villages concernés et formé par « Vozama ». Le programme fait également l’objet d’un accompagnement et de contrôles réguliers de la part des inspecteurs de Vozama. Essentiel, lui aussi, le dialogue entamé avec les parents a donné lieu à de nouvelles activités, comme l’aide apportée à l’obtention d’actes de naissance – ce qui permet désormais à déjà 6 000 enfants d’avoir accès à l’école et aux services de santé. Des programmes de reboisement ont également été mis en place dans les villages. Toutes ces activités sont menées, dans la mesure du possible, en étroite concertation et coopération avec les autorités locales. Dans les villages concernés, le taux de scolarisation a considérablement augmenté. S’il est clair que ce programme est tributaire d’aides financières externes, il n’en est pas moins exemplaire de par 48 la mobilisation étonnante qu’il suscite au sein de la population locale. Si cette population se bat pour que ses enfants puissent avoir accès à une éduction de base, elle est également prête à aller elle-même « à l’école » pour y suivre des formations régulières. Il est à espérer que les gouvernements à venir reconnaîtront ces initiatives de base et réduiront leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur en proposant des aides nationales. Le deuxième exemple de programme se trouve dans le quartier pauvre d’Anosibe, à Antananarivo, et montre que même dans cet environnement urbain difficile, il est possible d’organiser et de réaliser une entraide collective. Il s’agit de l’Association pour le développement d’Anosibe (ADA) qui vu le jour dans la paroisse Saint-Jérôme de ce même quartier. Né de l’organisation de mesures d’entraide locales telles que la création et la gestion d’un fonds de microcrédit visant à encourager les entreprises familiales de très petite taille, l’ADA est devenue l’instance locale de réflexion et d’accompagnement pour les mesures destinées à améliorer les conditions de vie de la population du quartier. L’ADA a reçu son baptême du feu en tant que comité de quartier en 2001/2002, pendant la phase de planification des halles de la capitale installées à Anosibe. Avec d’autres organisations, l’ADA avait organisé une participation active de la population et des commerçants concernés et avait apporté son assistance à l’administration municipale. Après le changement de maire en 2002, cette participation exemplaire des citoyens a été étouffée sans commentaire32. Ayant toutefois réussi son baptême du feu, l’ADA continue de travailler d’arrache-pied pour accompagner des mesures d’entraide locales. Ainsi, ce n’est pas un hasard si c’est précisément dans la paroisse d’implantation de l’ADA qu’un fonds scolaire local pour familles démunies a été mis en place afin de permettre à ces familles d’envoyer leurs enfants à l’école. Madagascar dispose effectivement d’un riche potentiel humain pour l’élaboration d’une démocratie à l’écoute des citoyens. Comme troisième exemple, je souhaite présenter le travail du centre de « Coordination diocésaine pour le développement » (CDD) dans la partie nord de l’archidiocèse d’Antsirannana. La CDD ne mène pas de programme de développement avec la population mais coordonne, à la ville comme à la campagne, les programmes de développement et d’action sociale déjà existants de l’archidiocèse, les programmes d’associations religieuses, le travail social de l’organisme diocésain Caritas et l’assistance spirituelle aux prisonniers. La CDD a donc pour tâche d’inciter les différents acteurs et les différentes organisations de travail social religieux à concerter leurs actions et à travailler ensemble, tout en organisant cette concertation et en l’encourageant par le biais des mesures de formation (initiale et continue) qui s’imposent. Son travail consiste également à élaborer avec les différentes organisa- 49 tions concernées un guide commun du travail social religieux, puis à faire connaître ce guide. Le fond du problème étant de venir à bout de l’esprit franc-tireur régnant dans de nombreux diocèses ainsi que de la dispersion des acteurs sociaux de l’Église afin de créer des synergies entre les organisations et les programmes, de donner plus de cohérence interne à l’action sociale religieuse et de lui conférer plus d’efficacité tout en lui permettant de jouir d’une plus grande crédibilité. Pendant mon séjour à Antsiranana, j’ai pu constater sur le terrain ce que peut signifier la coordination et quels peuvent en être les effets. La CDD avait invité des responsables des programmes sociaux du diocèse, des responsables d’associations telles que Caritas et Justice et Paix, des représentants de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et du mouvement ouvrier IRAY AINA, des responsables de l’Aumônerie catholique des prisons, un médecin de l’hôpital, la responsable de la gestion des médicaments ainsi que des représentants des écoles catholiques à participer à un débat sur l’actuelle situation sociale et politique à Madagascar. Grâce à la distribution (par la CDD) et au traitement préliminaire (par les participants) d’un questionnaire, le débat était bien préparé, ce qui a permis de faire un tour impressionnant de la réalité telle qu’elle est actuellement vécue dans cette partie de Madagascar. Ce débat a aussi clairement fait ressortir le souhait d’une coopération accrue qui pourrait permettre d’encourager la progression d’une société civile sur la base de groupements religieux. L’autre composante essentielle du travail de la CDD réside dans la qualification des programmes, des organisations et des associations par le biais de formations régulières du personnel chargé des programmes dans des domaines clés tels que les méthodes de communication participative, la gestion des programmes et du personnel, la supervision et l’analyse. Tout comme les programmes concrets de développement, ce travail supplémentaire de coordination et de qualification des acteurs sociaux de l’Église est à la fois nécessaire et capital pour les retombées et l’importance politique du travail social de l’Église au sein de la société malgache. Il serait souhaitable que ce type de coordination des contenus et des stratégies se fasse également entre les diocèses et à un niveau national. Ici, nous pourrions bien sûr compléter la série d’exemples positifs témoignant d’actions sociales efficaces de l’Église. Mais à eux seuls, les trois exemples susmentionnés sont déjà assez encourageants car ils montrent bien que l’Église peut apporter une contribution très concrète à l’élaboration et à l’évolution de la société malgache. Il faudrait un peu plus d’unité non seulement dans cette action, mais également dans les efforts déployés, pour asseoir l’action sociale de l’Église sur une base commune. Dans le même temps, cette action devra s’adapter constamment à une réalité changeante. En procédant ainsi, l’Église peut et pourra apporter une contribution de taille pour aider Madagascar à « émerger de la pauvreté » et plus encore, pour construire une société tournée vers la dignité humaine et les droits de l’homme. 50 51 Notes de bas de page 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 Tiré du rapport d’étude d’Amnesty International, Document-Madagascar : Investigate Killing by Security Forces Amnesty International, Public Statement, AI Index AFR, 35 / 001 / 2009, 13 février 2009. Quotidien malgache L’Express du 25.06.2009. Tiré du document post-synodal du premier synode africain de 1994 : « Ecclesia in Africa », paragraphe 68. Pour le récit de l’histoire politique du pays depuis l’indépendance ainsi que pour les parties « Le rôle de l’Église », « Causes et contexte » et « Où va Madagascar ? », je me suis largement inspiré de deux recueils du Père Sylvain Urfer, Le doux et l’amer, 2003, et L’espoir et le doute, 2006, publiés par Foi et Justice. Quotidien Madagascar Express, 15.09.2009 : « Développement économique 2009 : 13,5 % d’inflation et seulement 2 % de croissance économique ». Les éditions jésuites Foi et Justice ont rassemblé et publié les communiqués de l’Église concernant le domaine social dans les quatre volumes de Église et société à Madagascar. Quotidien La Vérité, 19.09.2009 : « Sortie de crise – les médiateurs internationaux ‘out’ ? ». 2008 Human Rights Report: Madagascar, Bureau of Democracy, « Human Rights and Labour », 25 février 2009. ONU, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Comité des droits de l’homme, session du 12-30 mars 2007 à New York, Examen des rapports présentés par les États Parties, Madagascar. Rapport national de suivi des OMD-2007, Vision 2015 Madagascar, produit et publié par le ministère malgache de l’intérieur et le coordinateur de l’ONU à Madagascar. Les statistiques présentées concernent essentiellement l’année 2005. Madagascar aujourd’hui, un pays ouvert sur l’avenir, Éditions Ceric Sarl, 2005 World Development Report 2009 : Reshaping Economic Geography, publié le 6 novembre 2008 Human Development Report 2008, Fighting Climate Change, publié pour le Programme des Nations unies pour le développement, novembre 2007 J’ai effectué à Madagascar un voyage à but informatif du 23.08 au 08.09.2009. À Antananarivo, Ambositra, Antsiranana et Tamatave, j’ai mené des entretiens de groupe et des entretiens individuels sur la situation à Madagascar avec 84 personnes impliquées dans des programmes religieux dans le domaine de l’action sociale et du développement, dans des mouvements laïques ou encore dans l’Église. Les opinions et les informations que j’ai tirées de ces entretiens sont reflétées tout au long de cette brochure, mais apparaissent essentiellement au chapitre « Violations des droits de l’homme / besoins fondamentaux ». Régis Debray et Jean Ziegler, « Il s’agit de ne pas se rendre », Paris, Arléa, 1984. ONU, Déclaration universelle des droits de l’homme, Résolution 217 A (III) de l’Assemblée générale du 10 décembre 1948. Midi Madagasikara, 02.07.2009. La Vérité, 20.8.2009 : « CNAPS une affaire louche ». Dans le recueil d’articles publié en 2008 par l’Observatoire de la vie publique (SeFaFi) et intitulé « À qui appartient l’État », l’ONG se pose la question de l’exploitation des terres malgaches (« Comment gérer nos terres ? ») ainsi que celle de l’utilisation des ressources minérales (« Des ressources minières au profit de quels intérêts ? » et « Pour une nouvelle politique minière à Madagascar »). Ce même recueil aborde également la question de l’organisation d’élections plus équitables et plus libres dans le pays. La Vérité, 29.7.09: « Explications en béton ». Midi Madagasikara, 5.8.09 : « Classe politique malgache ». La Vérité, 13.8.09 : « Aperçu kafkaïen ». Tiré de l’ouvrage de Sylvain Urfer L’Espoir et le Doute, p 98. Dans ses deux recueils cités plus haut (cf. note de bas de page n° 4), le prêtre Sylvain Urfer aborde très explicitement les composantes culturelles du développement malgache ainsi que les erreurs commises dans ce domaine. Nous nous cantonnerons ici à quelques-unes 25 26 27 28 29 30 31 32 de ses principales déclarations à ce sujet. Dans les deux journaux publiés par Foi et Justice, Violences malgaches et Le Malgache n’est pas une île, Christian Alexandre s’intéresse également de manière détaillée aux aspects de la culture malgache. Enfin, il est également fait référence aux deux articles « Anthropologie malgache et perception des droits humains », Sylvain Urfer, et « Christianisme et construction de l’identité malgache », Faranirina V. Rajonah, dans le recueil Christianisme et droits de l’homme à Madagascar, éditions Guilio Cipollone, publié en 2008 par Karthala. Concile du Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, 59. Citation de Sylvain Urfer tirée de l’article « Anthropologie malgache et perception des droits Humains » dans Christianisme et droits de l’homme à Madagascar. Ecclesia in Africa, 61 Dans divers communiqués de 2009, le SeFaFi a substantiellement contribué à définir des orientations pour le développement politique de Madagascar : 19.4.09 : « Réussir la transi tion », 16.6.06 : « Retour à la Sagesse Politique », 18.7.09 : « Garder le cap ». En février 2006, l’Observatoire avait d’ores et déjà publié un texte fondamental sur la préparation des élections présidentielles intitulé « Bien préparer les élections présidentielles ». « Déclaration des Évêques à la Nation », 24.3.2009. Ecclesia in Africa, 112. Pascal Lahady, Le culte betsimisaraka et son système symbolique, éditions Ambozontany, 1978. Sylvain Urfer revient en détail sur cet événement dans l’article « Les enjeux de la démocratie locale », recueil Le Doux et l’Amer, 3e partie. 52 Erschienene/Geplante Publikationen – Current/Planned Publications – Publications parues/en préparation 1 La situation des Droits de l’Homme en République populaire de Chine – Liberté religieuse en allemand (2001) – Numéro de commande 600 201 en anglais (2002) – Numéro de commande 600 211 en français (2002) – Numéro de commande 600 221 16 La situation des Droits de l’Homme au Myanmar/Birmanie. L’Église sous la dictature militaire en allemand (2004) – Numéro de commande 600 251 en anglais (2004) – Numéro de commande 600 252 en français (2004) – Numéro de commande 600 253 2 Droits de l’Homme en République Démocratique du Congo : de 1997 à nos jours. Un défi pour les Églises en allemand (2002) – Numéro de commande 600 202 en anglais (2001) – Numéro de commande 600 212 en français (2002) – Numéro de commande 600 222 17 La liberté religieuse au Royaume du Cambodge. en allemand/en anglais/en français (2004) Numéro de commande 600 257 18 Les Droits de l’Homme au Laos. L’Église sous la dictature militaire en allemand/en anglais/en français (2004) Numéro de commande 600 257 3 La situation des Droits de l’Homme en Indonésie. Liberté religieuse et violence en allemand (2001) – Numéro de commande 600 203 en anglais (2002) – Numéro de commande 600 213 en français (2002) – Numéro de commande 600 223 en indonésien (2002) – Numéro de commande 600 209 19 4 La situation des Droits de l’Homme au Timor oriental – La voie ardue de la fondation de l’État en allemand (2001) – Numéro de commande 600 204 en anglais (2002) – Numéro de commande 600 214 en français (2002) – Numéro de commande 600 224 20 La situation des Droits de l’Homme – La Turquie sur la voie de l’Europe. Où en est la liberté religieuse ? en allemand (2004) – Numéro de commande 600 264 en anglais (2004) – Numéro de commande 600 265 en français (2004) – Numéro de commande 600 266 5 La situation des Droits de l’Homme en Turquie. Laïcisme signifie-t-il liberté religieuse ? en allemand (2002) – Numéro de commande 600 205 en anglais (2002) – Numéro de commande 600 215 en français (2002) – Numéro de commande 600 225 21 Possibilités d’une coopération chrétienne-islamique en vue du respect des droits de l’Homme et de la mise en place de sociétés civiles. Congrès technique en comité restreint, 11-14/03/2002, Berlin – Volume 1 en allemand (2004) – Numéro de commande 600 268 en anglais (2004) – Numéro de commande 600 269 en français (2004) – Numéro de commande 600 270 22 23 Possibilités d’une coopération chrétienne-islamique en vue du respect des droits de l’Homme et de la mise en place de sociétés civiles. Congrès technique en comité restreint, 11-14/03/2002, Berlin – Volume 2 en allemand (2005) – Numéro de commande 600 271 en anglais (2005) – Numéro de commande 600 272 en français (2005) – Numéro de commande 600 273 6 Des chrétiens persécutés ? Documentation d’une conférence internationale à Berlin 14/15 septembre 2001 en allemand (2002) – Numéro de commande 600 206 en anglais (2002) – Numéro de commande 600 216 en français (2002) – Numéro de commande 600 226 7 Mutilations sexuelles chez les fillettes et les femmes. Évaluation d’une enquête exécutée auprès de collaborateurs d’institutions de l’Église catholique en Afrique en allemand (2003) – Numéro de commande 600 207 en anglais (2003) – Numéro de commande 600 217 en français (2003) – Numéro de commande 600 227 8 Mutilations sexuelles chez les fillettes et les femmes. Rapport sur l’état de la situation au Soudan en allemand/en anglais/en français (2002) Numéro de commande 600 208 Les Droits de l’Homme en Égypte en allemand (2004) – Numéro de commande 600 260 en anglais (2004) – Numéro de commande 600 261 en français (2004) – Numéro de commande 600 262 La situation des droits de l’Homme au Libéria : un rêve de liberté – L’engagement de l’Église catholique pour la justice et la paix en allemand (2005) – Numéro de commande 600 274 en anglais (2005) – Numéro de commande 600 275 en français (2005) – Numéro de commande 600 276 9 La situation des Droits de l’Homme au Vietnam. Liberté religieuse. en allemand (2002) – Numéro de commande 600 230 en anglais (2003) – Numéro de commande 600 231 en français (2003) – Numéro de commande 600 232 24 La situation des droits de l’Homme en Papouasie (Indonésie) en allemand (2006) – Numéro de commande 600 277 en anglais (2006) – Numéro de commande 600 278 en français (2006) – Numéro de commande 600 279 en indonésien (2006) – Numéro de commande 600 280 10 La situation des Droits de l’Homme au Sri Lanka. Sur l’engagement de l’Église en faveur de la paix et de la dignité humaine en allemand (2002) – Numéro de commande 600 233 en anglais (2002) – Numéro de commande 600 234 en français (2002) – Numéro de commande 600 235 25 11 La situation des Droits de l’Homme au Zimbabwe en allemand (2002) – Numéro de commande 600 236 en anglais (2002) – Numéro de commande 600 237 en français (2002) – Numéro de commande 600 238 12 La situation des Droits de l’Homme en Corée du Sud en allemand (2003) – Numéro de commande 600 239 en anglais (2003) – Numéro de commande 600 240 en français (2003) – Numéro de commande 600 241 13 La situation des Droits de l’Homme au Soudan en allemand (2003) – Numéro de commande 600 242 en anglais (2005) – Numéro de commande 600 243 en français (2005) – Numéro de commande 600 244 14 La situation des Droits de l’Homme au Nigeria en allemand (2003) – Numéro de commande 600 245 en anglais (2003) – Numéro de commande 600 246 en français (2003) – Numéro de commande 600 247 15 La situation des Droits de l’Homme au Rwanda en allemand (2003) – Numéro de commande 600 248 en anglais (2003) – Numéro de commande 600 249 en français (2003) – Numéro de commande 600 250 Le Timor oriental fait face à son histoire : le travail de la Commission d’accueil, de vérité et de réconciliation en allemand (2005) – Numéro de commande 600 281 en anglais (2005) – Numéro de commande 600 282 en français (2005) – Numéro de commande 600 283 en indonésien (2005) – Numéro de commande 600 284 26 L’asile pour les convertis ? La question de l’examen de la crédibilité d’une conversion par le pouvoir exécutif et judiciaire en allemand/en anglais/en français (2007) – Numéro de commande 600 285 27 La situation des droits de l‘Homme en République populaire de Chine – Des changements dans la politique en matière de religion ? en allemand (2005) – Numéro de commande 600 286 en anglais (2005) – Numéro de commande 600 287 en français (2005) – Numéro de commande 600 288 28 La situation des droits de l’Homme au Myanmar/Birmanie. Les premiers pas politiques d’une Église minoritaire en allemand (2008) – Numéro de commande 600 289 en anglais (2008) – Numéro de commande 600 290 en français (2008) – Numéro de commande 600 291 29 Le Zimbabwe : Regarder la vérité en face – Assumer la responsabilité en allemand/en anglais/en français (2008) – Numéro de commande 600 292