Proposition visant à intégrer le principe de dualité des fautes pénale
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Proposition visant à intégrer le principe de dualité des fautes pénale
ANNEXE Union des Villes et Communes de Wallonie asbl Proposition visant à intégrer le principe de dualité des fautes pénale et civile dans notre droit « Proposition de loi modifiant le titre préliminaire du Code d'instruction criminelle en ce qui concerne l'autorité de chose jugée » Exposé des motifs La théorie de l'unité des fautes pénale et civile, qui domine le droit belge, est une construction jurisprudentielle déjà ancienne. La Cour de cassation a ainsi décidé dans plusieurs arrêts1 que la faute pénale des articles 418 - 420 du Code pénal est identique à la faute civile de l'article 1383 du Code civil. Cette interprétation de la Cour de cassation a pour résultat qu'on est responsable, au pénal comme au civil, de sa faute légère, c'est-à-dire du comportement que n'aurait pas adopté l'homme honnête, diligent et prudent placé dans les mêmes circonstances. Combiné au principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil contenu dans l'article 4 du titre préliminaire du Code d'instruction criminelle, cela a pour conséquence que, si le juge pénal acquitte un individu en estimant qu'il ne mérite pas les stigmates de la sanction pénale pour la faute "légère" commise, il prive par là même la victime d'une réparation civile. Dès lors, le juge pénal se sent généralement "tenu" de punir afin d'offrir une possibilité de réparation à la victime. Ainsi, "l'auteur" d'une infraction non intentionnelle est victime d'une injustice. Là réside tout l’effet pervers de cette unité des fautes. La théorie de l'unité de fautes pénale et civile a fait l'objet de nombreuses critiques en doctrine.2 L'objection principale a toujours été que le droit pénal ne doit sanctionner que les fautes d'une certaine gravité alors qu'en droit civil, la réparation est due en raison de la faute la plus légère qui soit. Une autre objection tient au fait que la faute civile doit être appréciée in abstracto, comparée au "modèle" de l'homme honnête, diligent et prudent placé dans les mêmes circonstances, au contraire de la faute pénale qui doit être appréciée in concreto, c'està-dire compte tenu de toutes les circonstances inhérentes à l'individu et à la cause. 1 Cass., 17.7.1884, Pas., 1884, I, p. 275; Cass., 5.10.1893, Pas., I, p. 328; Cass., 4.3.1894, Pas., 1894, I, p. 132; Cass., 10.2.1949, Pas., 1949, I, p. 168; Cass., 7.1.1952, R.G.A.R., 1952, n° 5.059; Cass., 27.9.1985, Pas., 1986, I, p. 80; Cass., 19.2.1988, Pas., 1988, I, p. 733; Cass., 15.12.1992, Pas., 1992, I, p. 1383. 2 R. O. Dalcq, "Faute civile - faute pénale", Ann. Dr., 1983, pp. 73 et s.; P.H. Delvaux, "La prescription de l'action civile découlant d'une infraction involontaire. Pour un retour à la dualité des fautes pénale et civile", R.G.A.R., 1977, n° 9707; P.H. Delvaux, "Réflexions sur certains effets seconds de la dissociation entre faute pénale et faute civile", Ann. Dr., 1983, pp. 113 et s.; P.H. Delvaux et G. Schamps, "Unité ou dualité des fautes pénale et civile: les enjeux d'une controverse", R.G.A.R., 1991, n° 11795; Y. Hannequart, "Faute civile - faute pénale", Ann. Dr., 1983, pp. 96 et s.; A. Meeus, "Faute pénale et faute civile", R.G.A.R., 1992, n° 11900. -1- Il convient de souligner que la France, pays qui appliquait également le principe de l'unité de fautes pénale et civile, a décidé en 2000 de rompre avec cette théorie. Elle a ainsi modifié son Code de procédure pénale en insérant un article 4-1 qui énonce que "l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du Code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1383 du Code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l'article L-452-1 du Code la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie."3 Par ailleurs, en Belgique, divers projets et propositions de loi ayant pour but d'intégrer le principe de dualité de fautes pénale et civile dans notre droit ont déjà été déposés. 4 La solution apportée par la présente proposition aurait pour conséquence, d'une part, que la faute des articles 418 à 420 du Code pénal ne serait plus la même que celle de l'article 1383 du Code civil et, d'autre part, que le juge pénal ne serait plus "moralement obligé" de condamner le prévenu au pénal pour offrir une réparation civile à la victime alors que la faute commise par le prévenu est dénuée d'intention malveillante. De ce fait, le Code pénal récupérerait son caractère essentiellement réprobateur et la victime serait tout autant indemnisée de son dommage. Ainsi, on arriverait à concilier équité et efficacité: la victime pourrait être dédommagée malgré l'absence de condamnation pénale de l'auteur et l'auteur, de bonne foi, d'une infraction non intentionnelle ne serait plus victime de l'injustice d'une condamnation pénale. De plus, et c’est également un point important pour l’efficience de notre justice pénale, la dualité des fautes pénale et civile permettrait de solutionner l'engorgement des juridictions pénales et des parquets. Commentaires des articles Article 1er Cette disposition vise à rétablir l'appréciation in concreto de la faute pénale, c'est-à-dire compte tenu de toutes les circonstances inhérentes à l'individu et à la cause. Actuellement, la jurisprudence estime que la faute des articles 418-420 du Code pénal est la même que celle de l'article 1383 du Code civil; cela signifie que la faute des articles 418-420 du Code pénal est dans l'état actuel des choses appréciée in abstracto, c'est-à-dire par rapport au "modèle" de l'homme honnête, diligent et prudent placé dans les mêmes circonstances. Article 2 Cette disposition a pour but de permettre que l'acquittement au pénal ne préjudicie aucunement une réparation au civil. Ainsi, la victime pourra être indemnisée même si l'auteur n'a pas été condamné pénalement du fait de l'inexistence d'une faute pénale. Par cette disposition, le juge pénal ne se sentira plus moralement obligé de condamner un individu qui n'a pas commis une faute pénale, sachant que la victime pourra être indemnisée devant le juge civil. 3 L. 10.7.2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (JO n° 159 du 11.7.2000). Doc. Sén., 1-883/2, 1997-1998; Doc., Ch., 1574/1; 1997-1998; Doc., Sén., 1-1085/1, 1997-1998; Doc., Ch., 0363/001, 1999-2000; Doc., Sén., 2-298/1, 1999-2000; Doc., Sén., 3-52/1, 2003. 4 -2- Proposition de loi Article 1er Un article 420ter, rédigé comme suit, est inséré dans le Code pénal: "Au sens des articles 418 et 420 du présent Code, on entend par défaut de prévoyance ou de précaution la faute lourde ou la faute légère habituelle appréciée en tenant compte des possibilités réelles de vigilance et de diligence du prévenu." Article 2 A l'article 4 du titre préliminaire du Code d'instruction criminelle, il est inséré entre l'alinéa 1er et l'alinéa 2 un alinéa nouveau rédigé comme suit: "La décision de la juridiction pénale d'acquitter le prévenu au motif que la faute de ce dernier n'est pas établie ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation du dommage en application des règles de droit civil." -3-