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L’Encéphale (2008) 34, 570—576 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep MÉTHODOLOGIE Évaluation des préoccupations corporelles dans les troubles des conduites alimentaires par le Body Shape Questionnaire Evaluation of perturbed body image in eating disorders using the Body Shape Questionnaire G. Lavoisy ∗, J.-D. Guelfi, L. Vera, R. Dardennes, F. Rouillon Service du professeur Rouillon, clinique des maladies mentales et de l’encéphale, hôpital Sainte-Anne, 100, rue de la Santé, 75674 Paris, France Reçu le 15 juin 2007 ; accepté le 6 novembre 2007 Disponible sur Internet le 2 avril 2008 MOTS CLÉS BSQ ; Image du corps ; Préoccupations corporelles ; Troubles du comportement alimentaire ; Anorexie mentale ; Boulimie ∗ Résumé Les patientes anorexiques et boulimiques ont en commun les mêmes préoccupations exagérées autour de l’image du corps. L’objectif de cette étude était d’évaluer pour la première fois en France les préoccupations corporelles selon le Body Shape Questionnaire (BSQ) dans les troubles des conduites alimentaires. Nous avons comparé dans une population de 45 patientes hospitalisées pour anorexie mentale (sous-type AN-R n = 21 et AN-BN n = 17), et boulimie (n = 7) les scores du BSQ à l’entrée avec ceux de l’échelle Eating Attitudes Test (EAT), de la souséchelle désir de minceur (DM) et insatisfaction corporelle (IC), de l’autoquestionnaire Eating Disorder Inventory (EDI-2) et ceux des impressions cliniques globales (CGI). La sensibilité au changement a également été explorée par comparaison des scores à la sortie. Les scores de l’échelle BSQ étaient élevés et corrélés significativement à l’échelle EAT (r = 0,5 ; p < 0,0004), aux sous-échelles IC (r = 0,55 ; p < 0,0001) et DM (r = 0,58 ; p < 0,0001) de l’EDI-2. L’échelle BSQ n’était pas significativement corrélée à l’échelle CGI. Il n’y avait pas de différence significative des scores à l’échelle BSQ entre les groupes diagnostiques. La sensibilité au changement était significative (t = −6,16 ; p < 0,001). Cette échelle peut être utilisée en pratique clinique pour évaluer les préoccupations corporelles en complément des instruments standardisés dans ce type de population. Sa sensibilité au changement demande à être confirmée. © L’Encéphale, Paris, 2008. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (G. Lavoisy). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2007.11.005 Évaluation des préoccupations corporelles dans les troubles des conduites alimentaires par le BSQ KEYWORDS BSQ; Body image; Body concern; Eating disorders; Anorexia nervosa; Bulimia nervosa 571 Summary Introduction. — Eating disorders are characterized by severe disturbance in eating behavior. A disturbance in perception of body shape and weight is an essential feature of both anorexia nervosa (AN) and bulimia nervosa (BN). Eating disorder patients demonstrate the same characteristic attitude about body image, such as fear of fatness or pursuit of thinness. Background. — Moreover, perturbed body image is a common diagnostic category of anorexia and bulimia (DSM-IV-TR, CIM-10). Cooper et al. [Int J Eat Disord 6 (1987) 485—94] developed a one-dimensional, 34 items questionnaire in order to measure the worries about weight and shape of the body, called the ‘‘Body Shape Questionnaire’’ (BSQ). Its concurrent validity has been shown using the corporal dissatisfaction subscale of the eating disorders inventory (EDI) [Int J Eat Disord 2 (1983) 15—34], the drive for thinness and body dissatisfaction and the Eating Attitude Test (EAT) [Psychol Med 9 (1979) 273—79]. The total score of the BSQ ranges from 34 to 204. Lower scores indicate lower concerns about body shape. The BSQ provides a means of exploring the role of extreme obsession about the body’s appearance in the development, pursuit and treatment of eating disorders. From this point of view, the BSQ is a tool widely used in research on the eating disorders. Recently, It has been validated in a French nonclinical population [Encephale 31 (2005) 161—73]. However, the validity of the BSQ has not been reported in patients with eating disorders in France. This was addressed in the present study. Objectives. — The first aim of this study was to assess perturbed body image with the French version of the BSQ in eating disorder patients. The second aim was to assess the sensitivity to change. Method. — The sample was composed of patients hospitalized for eating disorders (DSM-IV-TR). During their hospitalization, they were submitted to this questionnaire at the beginning and at the end of their care. The BSQ was compared with commonly used heteroquestionnaires such as the body dissatisfaction and drive for thinness subscale of the Eating Disorder Inventory (EDI-2), the Eating Attitude Test (EAT) and the Clinical Global Impression (CGI). Sensitivity to change was assessed by comparing total score at inclusion and at the end of hospitalization. Statistical analyses included Pearson’s correlation coefficients, analysis of variance and t test. As Body Mass Index (BMI) can interfere with the BSQ score, it was included as confounding variables in the model in all analyses. Results. — Forty-five patients were included in the study. There were 21 patients with restricting subtype of AN, 17 patients with purging subtype of AN and seven BN. The mean age was 27.2 ± 6.8 years, the mean length of hospital stay was 3.7 ± 1.4 months, and the mean duration of the disorders was 10.7 ± 6.3 years. The global BSQ score was high in the three groups of patients: 131.6 ± 11.2. There was no significant difference between groups. There was no influence of the BMI on the BSQ scores. Correlation coefficient was significant for all scales with the BSQ except with the CGI. The higher correlation (r) was 0.58 with the drive for thinness subscale of the EDI-2. The change in scores between Day 0 and the end of hospitalization was significant (p < 0.0001). Conclusion. — The French version of the BSQ thus appears to be valid and accurate and should permit the study of perturbed body image in French eating disorder patients. However, sensitivity to change remains to be confirmed to evaluate response to treatment. Studies measuring this variable at different stages of the illness and recovery should be conducted. © L’Encéphale, Paris, 2008. Introduction Les troubles des conduites alimentaires (TCA) englobent l’anorexie mentale (AN), la boulimie (BN), et les formes atypiques diverses comme les troubles du comportement alimentaire non spécifiés. Ces troubles, se caractérisant par des perturbations graves du comportement alimentaire, sont des maladies chroniques qui se révèlent pour l’essentiel à l’adolescence [14]. Les préoccupations obsédantes liées aux formes du corps sont un symptôme que l’on trouve très fréquemment associé aux troubles du comportement alimentaire [10]. Les patientes anorexiques et boulimiques ont, en effet, en commun les mêmes préoccupations exagérées, voire la même obsession autour de l’image du corps associée à l’intrusion d’une idée surinvestie : la peur de grossir. Malgré l’absence de consensus sur une définition précise de ce concept, les critères diagnostiques actuels les plus récents de l’anorexie mentale et de la boulimie du DSM-IVTR [1] et de la CIM-10 [19] impliquent la notion de troubles de l’image du corps dans ces affections. Certains auteurs [7,13] considèrent ces troubles de l’image du corps comme les attitudes envers le poids, et la forme corporelle comme des facteurs de risque importants à prendre en compte. 572 Le Body Shape Questionnaire (BSQ) G. Lavoisy et al. Eating Disorder Inventory (EDI-2) [9] L’EDI-2 est utilisé pour comparer les différents types de TCA, pour évaluer les changements et aussi comme instrument de référence pour les études de validations. L’EDI-2 comporte huit sous-échelles. Deux ont été retenues dans les analyses statistiques de cette étude : « Désir de minceur » (DM) et « Insatisfaction corporelle (IC) ». Cooper et al. [2] ont développé en 1987, un autoquestionnaire unidimensionnel de 34 items permettant de mesurer les préoccupations envers la forme du corps chez les sujets présentant des troubles des conduites alimentaires ou des troubles de l’image du corps. Les auteurs ont obtenu un score moyen dans leur population boulimique de 136,9 (écart type = 22,5), leur sous-groupe témoin a priori sans préoccupation corporelle obtenait un score moyen de 55,9 (écart type = 14,4). Des scores élevés sur cet instrument seraient en relation avec des préoccupations importantes liées à l’image du corps. Cooper et al. ont utilisé dans l’élaboration de cet instrument un ensemble de sensations, de sentiments et de comportements précis et spécifiques liés à l’image du corps, les préoccupations excessives concernant le poids et la silhouette, l’embarras en public, l’interdiction de certaines activités et de l’exposition de son propre corps, les sentiments de grosseur éprouvés après avoir mangé. La version initiale à 34 items a été traduite et validée en français [17]. En France, cet instrument n’a pas encore été utilisé dans une population clinique présentant des TCA. Body Mass Index (BMI) Le BMI ou indice de Quetelet (poids en kg / taille en m2 ) permet dans cette étude, d’évaluer l’influence de l’état nutritionnel sur les scores à l’échelle BSQ. Objectif de l’étude Analyses statistiques L’objectif principal de cette étude était de montrer que les patientes anorexiques ou boulimiques hospitalisées présentaient des préoccupations corporelles selon cet instrument lors de leur admission, de mesurer leur gravité en fonction du type de trouble et d’évaluer ses qualités métrologiques en comparant les scores avec ceux d’instruments de référence. Dans un second temps, nous avons mesuré la sensibilité au changement de cet instrument à titre exploratoire en réévaluant les mêmes paramètres à la fin de l’hospitalisation. L’analyse statistique des données a été réalisée avec le logiciel JPM® . Les tests utilisés ont été pour : Méthodologie Sujets Patientes hospitalisées dans l’unité des troubles des conduites alimentaires à la clinique des maladies mentales et de l’encéphale de novembre 2004 à décembre 2005 et répondant aux critères diagnostiques des TCA selon les critères du DSM-IV-TR. Chronologie de l’étude Évaluations des patientes lors de leur admission et lors de la fin leur hospitalisation. Instruments métrologiques et variables mesurées Body Shape Questionnaire (BSQ) [2] Le BSQ a été utilisé essentiellement sur des échantillons non cliniques, pour évaluer la fréquence des symptômes des troubles de l’image du corps chez des sujets à risques (antécédents de troubles alimentaires, surpoids). Eating Attitude Test (EAT) [8] L’EAT mesure la sévérité des symptômes et est utilisé comme instrument de référence pour les études de validité concourante. Clinical Global Impression (CGI) [5] Dans cette étude, nous avons utilisé les deux premières impressions cliniques globales concernant l’évaluation ponctuelle de la gravité de la maladie et l’évaluation de l’amélioration globale. • comparer les différents scores aux échelles entre les groupes diagnostiques — une analyse de variance à un facteur ; • tester la liaison entre le score à l’échelle BSQ et le BMI — une analyse de régression linéaire avec ajustement sur le diagnostic ; • mesurer la concordance de l’échelle BSQ — coefficient de corrélation r de Pearson. La sensibilité au changement a été évaluée par un test t. Logiciel utilisé : JPM® Résultats Statistiques descriptives Quarante-cinq patientes ont participé à cette étude, 38 patientes (84,44 %) répondaient aux critères d’anorexie mentale et sept patientes (15,55 %) aux critères de boulimie (Bulimia Nervosa, BN). Parmi les 38 patientes anorexiques mentales, 21 patientes (46,66 %) répondaient aux critères d’anorexie mentale de type restrictif (Anorexia Nervosa Restricting Type, AN-R) et 17 patientes (37,77 %) aux critères d’anorexie mentale de type boulimique (Anorexia Nervosa, Binge Eating Type or Purging Type). (Tableau 1) L’âge moyen de l’ensemble des patientes était de 27,22 ans (écart type = 6,83). La durée globale d’évolution de la maladie était de 10,75 années (écart type = 6,31) pour l’ensemble des patientes. La durée globale d’hospitalisation était de 3,77 mois (écart type = 1,45) pour l’ensemble des Évaluation des préoccupations corporelles dans les troubles des conduites alimentaires par le BSQ Tableau 1 573 Description des groupes diagnostiques. Anorexie mentale AN-R Effectif (n) Age (en années) m ± ds Durée d’évolution (en années) m ± ds Durée d’hospitalisation (en mois) m ± ds BMI m ± ds (à l’entrée) BMI m ± ds (à la sortie) 21 25,19 9,66 4,07 14,09 18,22 Boulimie AN-BN ± ± ± ± ± 17 30,7 13,58 3,82 15,43 19,26 7,08 6,89 1,53 1,68 2,03 ± ± ± ± ± BN 7 24,85 7,14 2,85 19,61 20,4 6,08 5,75 1,38 1,57 1,47 p ± ± ± ± ± 0,024* 0,038* 0,173 0,001* 0,002* 4,67 1,95 1,21 1,38 1,97 ds = déviation standard. * p < 0,05. Tableau 2 Scores aux échelles à l’entrée. Anorexie mentale Boulimie AN-R (n = 21) AN-BN (n = 17) BN (n = 7) p BSQ m ± ds EAT m ± ds 118,19 ± 8,13 57,71 ± 23 142,7 ± 9,04 65,29 ± 22,18 145,14 ± 14,09 68,85 ± 16,66 0,0882 0,4 EDI-2 DM m ± ds IC m ± ds CGI m ± ds 12,76 ± 6,17 12,19 ± 7,67 5,95 ± 0,97 14,64 ± 7,03 19,58 ± 6,52 5,64 ± 1,11 15,28 ± 5,4 19,14 ± 8,66 5,95 ± 0,97 0,54 0,008* 0,31 ds = déviation standard. * p < 0,05. patientes. Le BMI de l’ensemble des patientes à l’admission dans le service était de 15,42 (écart type 2,76). À la sortie, le BMI de l’ensemble des patientes était de 18,95 (écart type 1,95). Influence du diagnostic et du BMI sur les scores à l’échelle BSQ La comparaison entre les trois groupes diagnostiques sur les scores moyens à l’échelle BSQ n’était pas significative (p = 0,88). L’analyse par régression linéaire permettant de comparer la liaison entre le BMI et le score à l’échelle BSQ ajusté sur le diagnostic, n’était pas significative (p = 0,78) et l’interaction du diagnostic avec le BMI, n’était pas non plus significative (p = 0,57) dans ce modèle. Comparaison entre les groupes diagnostiques des scores aux échelles BSQ, EAT, EDI-2-DM, EDI-2-IC et CGI à l’admission Pour les trois groupes diagnostiques, les scores moyens des échelles étaient élevés. Il n’y avait une différence significative entre les groupes que pour le score à la sous-échelle Insatisfaction corporelle de l’EDI-2 (p = 0,008). Les scores Tableau 3 BSQ * p < 0,05. moyens et écarts types obtenus dans chaque groupe diagnostique aux différentes échelles à l’admission sont détaillés dans le Tableau 2. Étude des corrélations de l’échelle BSQ à l’admission En ce qui concerne l’échelle EAT, l’analyse de corrélation (Tableau 3), révèle que le score de l’échelle BSQ était significativement corrélé avec celui de l’EAT (r = 0,5 ; p = 0,0004). En ce qui concerne l’échelle EDI-2, l’échelle BSQ présentait une corrélation significative avec les deux sous-échelles DM (r = 0,58 ; p = 0,0001) et IC (r = 0,55 ; p = 0,0001). Enfin, l’analyse des corrélations entre les scores à l’échelle BSQ et ceux de l’échelle CGI n’était pas significative (r = −0,0281 ; p = 0,84). Comparaison entre les scores de l’échelle BSQ et ceux des autres échelles EAT, EDI-2-DM, EDI-2-IC et CGI à la fin de l’hospitalisation Il n’y avait une différence significative entre les groupes que pour le score à la sous-échelle IC de l’EDI-2 (p = 0,008). Corrélations entre l’échelle BSQ et les autres échelles et aux BMI à l’entrée (coefficient de Pearson). BMI EAT EDI-2-DM EDI-2-IC CGI 0,19 0,50* 0,58* 0,55* - 0,02 574 G. Lavoisy et al. Tableau 4 Scores aux échelles à la fin de l’hospitalisation. Anorexie mentale Boulimie AN-R (n = 21) AN-BN (n = 17) BN (n = 7) p BSQ m ± ds EAT m ± ds 85,9 ± 42,87 21,68 ± 15,68 111,29 ± 46,15 38 ± 28,09 117,57 ± 34,95 29,85 ± 23,51 0, 255 0, 141 EDI-2 DM m ± ds IC m ± ds CGI m ± ds 3,04 ± 4,6 8,56 ± 7,99 3 ± 1,18 10,94 ± 8,04 15,88 ± 10,65 3,11 ± 0,78 11,71 ± 6,07 16,85 ± 9,22 3,42 ± 1,27 0,0024* 0,054 0,522 ds = déviation standard. * p < 0,05. Tableau 5 Corrélations entre l’échelle BSQ et les autre échelles et aux BMI à la sortie (coefficient de Pearson). BMI BSQ * 0,001 EAT 0,44 EDI-2-DM * 0,66 * EDI-2-IC 0,44 CGI * 0,23 p < 0,05. Dans l’ensemble, les scores à ces échelles étaient élevés. Les scores moyens et écarts types obtenus dans chaque groupe diagnostique aux différentes échelles à la fin de l’hospitalisation sont détaillés dans le Tableau 4. Étude des corrélations de l’échelle BSQ en fin d’hospitalisation L’analyse de corrélations (Tableau 5), a mis en évidence des corrélations significatives des scores de l’échelle BSQ avec ceux de l’échelle EAT (r = 0,44 ; p = 0,004), avec ceux de la sous-échelle DM de l’EDI-2 (r = 0,66 ; p = 0,0001) et aussi ceux de la sous-échelle IC de l’EDI-2 (r = 0,44 ; p = 0,004). Il n’y avait pas de corrélation significative avec les scores de l’échelle CGI (r = 0,23 ; p = 0,12). Résultats concernant la sensibilité au changement (Tableau 6) Entre l’entrée et la fin de l’hospitalisation, le score de l’échelle BSQ était descendu de 131,64 (écart type = 38,59) Tableau 6 à 100,42 (écart type = 44,38). Cette baisse moyenne du score −31,22 (écart type = 5,06) était significative (t = −6,16 ; p < 0,001). Le changement des scores des autres échelles était aussi globalement significatif, hormis la sous-échelle EDI2-IC pour laquelle la différence moyenne des scores entre l’entrée et la sortie (−3,05 ; écart type = 1,53) n’était pas significative (t = −1,99 ; p > 0,05). Discussion L’objectif principal de cette étude était d’évaluer les préoccupations corporelles de patientes hospitalisées pour des TCA selon le questionnaire BSQ. Dans l’ensemble, les résultats de cette étude montrent que les patientes hospitalisées pour des TCA présentaient des préoccupations corporelles élevées selon les scores du BSQ. Il n’y avait pas de différence de score significative entre les groupes diagnostiques. La prise en compte de l’interaction du groupe diagnostique avec le BMI n’était pas non plus significative. Les scores à l’échelle BSQ étaient, Évolution des scores de l’entrée (SE ) à la sortie (SF ). Anorexie mentale Boulimie AN-R (n = 21) AN-BN (n = 17) BN (n = 7) p BSQ : score global SF - SE (m ± ds) EAT : score global SF - SE (m ± ds) 32,29 ± 8,32 35,75 ± 5,12 31,41 ± 7,86 27,29 ± 8,23 27,57 ± 10,62 39 ± 9,36 * EDI-2 DM :score global SF - SE (m ± ds) 9,71 ± 1,42 3,7 ± 1,73 3,57 ± 3,3 * IC : score global SF - SE (m ± ds) 2,68 ± 1,99 3,7 ± 2,65 2,28 ± 4,28 0,053 CGI : score global SF - SE (m ± ds) 2,95 ± 0,27 2,52 ± 0,29 1,85 ± 0,4 * ds = déviation standard. * p < 0,05. * 0,0001 0,0001 0,0001 0,0001 Évaluation des préoccupations corporelles dans les troubles des conduites alimentaires par le BSQ par ailleurs, « supérieurs » à ceux obtenus par Rousseau et al. chez des sujets sains [17]. La convergence de cette échelle n’a pu être étudiée qu’à partir du concept voisin de préoccupation corporelle, mesuré à l’EDI-2 par les sous-échelles « désir de minceur » et « insatisfaction corporelle », car il n’existe pas d’autres instruments validés en français évaluant les préoccupations corporelles dans les TCA. Les coefficients de corrélation les plus élevés des scores de l’échelle BSQ lors de l’admission étaient ceux avec les scores des sous-échelles de l’EDI-2 : désir de minceur et insatisfaction corporelle. Ces corrélations indiquent qu’il y a bien une correspondance entre l’échelle BSQ et ces deux sous-échelles, et aussi que cette échelle se comporte comme prévu : c’est-à-dire qu’elle mesure les préoccupations corporelles. La corrélation plus faible de l’échelle BSQ avec la souséchelle insatisfaction corporelle de l’EDI-2, suggère que le concept de préoccupation corporelle selon l’échelle BSQ est plus proche du « désir de minceur » de l’EDI-2, que de l’« insatisfaction corporelle » de l’EDI-2. Les scores de l’échelle BSQ étaient également corrélés, mais dans une moindre mesure, à ceux de l’échelle EAT. Ce résultat était attendu, car ces deux échelles n’explorent pas exactement les mêmes concepts. Dans cette étude, l’échelle CGI était employée pour apprécier la gravité globale des patientes et non exclusivement les préoccupations corporelles ce qui pourrait expliquer l’absence de corrélation significative avec le BSQ. À la fin de l’hospitalisation, les scores dans leur ensemble étaient significativement plus bas qu’à l’admission mais restaient encore élevés par rapport à ceux des populations témoins décrits dans la littérature [2,3]. Ces scores élevés à la suite d’une hospitalisation, sont probablement liés au fait que la guérison de ces patientes est souvent longue et, par ailleurs, difficile à apprécier [12,18]. Concernant la sensibilité au changement, nous avons constaté que les scores à l’échelle BSQ s’amélioraient entre le début et la fin d’hospitalisation. La capacité de cette échelle à objectiver un changement nécessite d’être confirmée par d’autres points de mesures dans le temps. Les résultats globaux de cette étude, sont concordants avec les données de la littérature [2—4,6,16] de cette échelle chez les sujets présentant des TCA et aussi des préoccupations corporelles. Nous ne retrouvons, cependant, pas de corrélation des scores avec le BMI. Le fait que dans notre étude les sujets avaient des BMI plus faibles pourrait expliquer l’absence de corrélation. Pour le sous-groupe de patientes boulimiques, les scores obtenus dans ce type de population paraissent généralisables dans la mesure où l’effectif était certes restreint mais les scores étaient similaires à ceux de la littérature [2]. En ce qui concerne les patientes AN-R et AN-BN, dans la littérature, très peu d’études [4] ont comparé les scores dans ce type de TCA. Nos résultats vont dans le sens de scores élevés dans ce type de population. Les patientes incluses dans cette étude étaient des patientes hospitalisées pour lesquelles la sévérité, et l’ancienneté des troubles sont plus élevées que chez l’ensemble des patientes suivies en ambulatoire. Il faut donc s’attendre à des scores moins élevés chez des patientes suivies en ambulatoire. 575 Dans cette étude, les comorbidités fréquemment associées aux TCA comme les troubles anxieux, les troubles de l’humeur et les troubles de la personnalité [11] n’ont pas été prises en compte. Ces variables pouvant influencer potentiellement le score aux échelles, il paraît important d’en tenir compte dans des études futures. Comme on pouvait le prévoir, il y avait des différences significatives entre les BMI pour les trois groupes diagnostiques ; les BMI étaient plus élevés chez les patientes AN-BN et BN et plus bas dans le groupe des AN-R. Cette échelle paraît intéressante dans la mesure où elle permet d’évaluer les préoccupations corporelles dans ce type de pathologie. Elle n’a cependant pas permis dans cette étude, de distinguer les groupes diagnostiques de façon significative, probablement en raison des petits effectifs dans les sous-groupes diagnostiques. Les résultats sur l’appréciation de la sensibilité au changement restent préliminaires, cependant la capacité de cette échelle à objectiver un changement paraît intéressante. Cette échelle paraît avoir une utilité pour évaluer les actions thérapeutiques lors de la prise en charge de ces troubles. La notion de préoccupation corporelle n’étant pas clairement définie, les critères diagnostiques de la CIM-10 et ceux du DSM-IV-TR laissent une part d’interprétation aux cliniciens. Des instruments standardisés comme l’échelle BSQ pourraient guider l’évaluation de ces préoccupations par les cliniciens. Conclusion Dans l’ensemble des TCA, les préoccupations corporelles constituent une variable intéressante, sur le plan pronostique notamment. En effet, leur accentuation constitue une variable péjorative [15] alors que leur disparition au cours des prises en charge serait elle d’assez bon pronostic [12]. L’échelle BSQ permet de mesurer les préoccupations corporelles chez des patientes présentant des TCA. En recherche, son application comme instrument d’évaluation standardisé des préoccupations corporelles pourrait permettre son utilisation pour apprécier l’impact des prises en charge. Cependant, la détermination plus précise de sa sensibilité au changement demande à être confirmée. 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