texte A_ Zambon - Histoire culturelle et sociale de l`art
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texte A_ Zambon - Histoire culturelle et sociale de l`art
Alessia Zambon (Post-doctoral Fellow au Getty Research Institute) « Des statues étrusques et des vases phéniciens » La découverte de la sculpture archaïque et de la céramique géométrique en Grèce à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle ______________________________________ Depuis la Renaissance, la tradition antiquaire a grandement évolué et a peu à peu réservé une place spécifique aux antiquités grecques dans les cabinets de curiosités, dans les publications et bientôt dans l’histoire de l’art. De ce point de vue, la pensée d’un Winckelmann ou d’un Caylus représente l’aboutissement des recherches menées à partir des antiquités découvertes en Italie. Une étape ultérieure fut la confrontation de ces théories aux objets découverts en Grèce. Rappelons par exemple que les vases grecs mis au jour dans les tombes d’Étrurie furent considérés pendant près de deux siècles comme des productions étrusques. Il faut attendre le début du XIXe siècle pour que l’idée d’une provenance grecque de ces céramiques s’affirme définitivement en Europe à la faveur des découvertes effectuées en Grèce même. Rappelons aussi que l’idée d’une sculpture et d’une architecture grecques polychromes ne s’imposa en France que très progressivement au fil du XIXe siècle grâce aux témoignages des voyageurs et aux œuvres arrivées de Grèce. Cette étape essentielle de la réflexion scientifique sur l’art grec est ce que R. Étienne a appelé la « révolution des originaux ». Parmi les voyageurs qui ont contribué à ce renouveau de l’art grec, je me concentrerai aujourd’hui sur la figure de Louis François Sébastien Fauvel (fig. 1). Peintre d’histoire formé à l’Académie royale de peinture et sculpture, Fauvel (1753-1838) se rendit en Grèce pour la première fois en 1780 au service du comte de Choiseul-Gouffier et il y retourna deux ans plus tard lorsque le comte fut nommé ambassadeur à Constantinople. À partir de 1786, Fauvel s’installa à Athènes devenant en 1804 le vice-consul de France de la ville. Au total, il passa près de 50 ans dans l’Empire ottoman, en explorant et en fouillant le sol grec. Nommé membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres en 1796, il partageait avec les membres de l’institut ses découvertes et ses observations sur l’art grec. Barbié du Bocage, Mongez, Quatremère de Quincy et bien d’autres échangèrent avec lui une correspondance suivie où les antiquités occupent la première place. Pendant son long séjour en Grèce, Fauvel eut l’occasion d’observer et de découvrir des formes d’art jusqu’alors inconnues. Il en va ainsi de ce que nous appelons aujourd’hui la sculpture archaïque et la céramique géométrique, qu’il essaya l’une et l’autre de comprendre et d’interpréter en les comparant à d’autres typologies connues. Malheureusement, les cadres heuristiques de l’art grec au début du e XIX siècle ne lui permirent pas d’aboutir à une solution définitive. Si certaines de ses réflexions sont aujourd’hui tenues pour fausses ou farfelues, elles doivent néanmoins être comparées aux connaissances de l’époque. Je vous proposerai ici quelques objets découverts par Fauvel et la manière dont ils furent interprétés par le peintre et ses contemporains. Les céramiques protoattiques et géométriques : des productions inconnues Plusieurs céramiques géométriques furent découvertes par Fauvel lors de ses fouilles à l’emplacement du Dipylon dès la fin du XVIIIe siècle. Disons d’emblée que Fauvel ne dessinait pas systématiquement ses antiquités. Pour avoir un aperçu de ses trouvailles, il faut souvent chercher dans les portefeuilles des voyageurs passés par sa maison plus que dans ses propres papiers. Les images présentées ici (fig. 2) nous montrent quelques objets géométriques de la 1 collection de Fauvel : le premier est un dessin du peintre, tandis que les autres sont des dessins de Cockerell et de von Stackelberg. Enfin, le fragment d’oenochoé en bas à droite a été découvert par les fouilleurs de l’Agora d’Athènes sur l’emplacement de la maison de Fauvel, fouillée par les Américains à partir de 1935. La localisation des autres vases n’est pas connue. Ils furent probablement détruits dans l’écroulement de la maison du peintre en 1825 pendant la guerre d’indépendance grecque. Ces dessins offrent ainsi le dernier souvenir d’objets aujourd’hui perdus ou détruits. L’un des premiers problèmes qui se posèrent à Fauvel, comme à tout historien de l’art, face à ces antiquités fut la datation. Comment dater ces objets d’un genre totalement inconnu à l’époque ? L’observation du sol fournit à Fauvel un premier système de classement chronologique à travers l’esquisse d’une pensée stratigraphique par la distinction des couches. Le peintre avait en effet remarqué une correspondance entre le style des vases et leur niveau d’enfouissement dans le sol. Il avait ainsi proposé une chronologie relative des productions. Dans ce système, notons aussi que les diverses origines étrangères qu’il prête à ces productions traduisent également pour lui une plus ou moins grande ancienneté. À propos des céramiques d’époque géométrique trouvées dans ses fouilles, Fauvel parle de vases « qui paroissent phéniciens », « d’un genre phénicien » ou encore « dans le goût phénicien ». Il remarque surtout que ce genre de vases, remplis de cendres ou d’ossements, se trouvent toujours dans les niveaux les plus profonds, « dans une terre vierge argileuse » et à une profondeur allant de 8 à 10 mètres selon les endroits. Il en déduit que ces urnes sont plus anciennes que les « vases grecs ». « Dans les fouilles que j'ai faites près de la porte Dipylon j'ai trouvé des tombeaux les uns sur les autres et de plusieurs âges », observe-t-il. Il s’aperçoit ainsi que les tombes les plus proches de la surface sont d’époque romaine ; suivent les tombes grecques et enfin, dans une couche renfermant aussi des inscriptions en écriture sinistroverse, les vases « phéniciens ». Il s’agit là d’une intuition sur la chronologie relative, mais Fauvel n’en tirera pas pour autant une méthode systématique de datation. Ajoutons aussi que son classement ne se traduit pas, chez lui, par une chronologie absolue exprimée en siècles permettant une concordance avec les systèmes modernes de datation. À une époque où plusieurs savants tenaient encore pour étrusques les céramiques attiques, il n’est pas étonnant de voir que face à des productions moins connues, comme la céramique géométrique ou protoattique, Fauvel ait lui-même émis l’idée qu’il devait s’agir de productions étrangères à l’art grec ou influencées par l’art oriental. Qu’en est-il de ses contemporains ? Étant donné le nombre restreint de pièces connues à l’époque, il n’est pas facile de trouver des échos sur leur réception auprès des collectionneurs et des érudits en Europe. Des archives manuscrites et les catalogues de vente du XIXe siècle fournissent néanmoins quelques indices précieux pour mener l’enquête. Les archives du marchand et collectionneur Thomas Burgon conservées à Oxford contiennent les aquarelles des différentes pièces de sa collection d’antiquités (fig. 3). Parmi ces dessins – réalisés entre 1809 et 1815 – on trouve quelques vases géométriques. Ils sont considérés comme étant « of the most remote antiquity and of the most ancient kind of earthenware » et sont appelés « phoenician vases » 1 . Dans la mesure où Burgon avait acheté ces vases à Fauvel, il est probable qu’il ait repris du peintre cette définition. D’autres vases géométriques découverts par Fauvel furent achetés par le collectionneur français Edme Durand vers 1825. À la mort de Durand, la collection fut vendue aux enchères. Le catalogue de vente, rédigé par Jean De Witte en 1836, classe ces vases dans la « manière 1 Ashmolean Museum, dessins de Burgon, f. 237. 2 phénicienne ». J’ignore cependant si De Witte avait avancé de manière indépendante un tel jugement ou si Fauvel y est pour quelque chose. Un autre vase similaire, découvert par Fauvel, intégra la collection Durand en 1828. Il s’agit d’une oenochoé protoattique aujourd’hui conservée au musée de Toulouse (fig. 4). Dans ses papiers, le peintre la désigne comme un « vase égyptien » 2 . Avant de rejoindre la collection Durand, ce vase fut vendu aux enchères à Paris en 1828. Dans le catalogue de vente, rédigé par Léon Jean-Joseph Dubois, la description qui en est donnée évite toute interprétation chronologique ou géographique : « Terre jaune. Vase, sur lequel sont peints des ornemens ; sur son col et son piédouche se voient des cigognes et des canards »3 . Dans le catalogue de la vente de la collection Durand en 1836, Jean De Witte classe cette pièce avec les autres vases géométriques sous l’entrée « manière phénicienne » 4 . Ce vase est à nouveau associé à des vases géométriques dans la publication de Otto Magnus von Stackelberg (Die Gräber der Hellenen) parue en 1837, où ces productions sont pour la première fois considérées comme véritablement grecques. Voici la description donnée par l’auteur (fig. 5) : « Trois vases de la plus vieille espèce qui se trouve en Grèce, notamment à Athènes et Corinthe. Par leur argile rougeâtre pâle, par la forme étrange et le type et la distribution du décor ces vases se distinguent des autres genres plus tardifs et s’apparentent aux vases égyptiens. Leur origine grecque, cependant, est prouvée par les inscriptions en grec figurant sur un vase similaire trouvé à Corinthe; il représente une chasse au sanglier et a été publié par Edward Dodwell » 5 . Stackelberg avait mûri son idée en comparant le décor de ces vases avec une pyxide corinthienne inscrite en grec. Même si, d’un point de vue chronologique, ces pièces ne sont pas strictement contemporaines, l’identification qu’il en tirait demeure correcte, puisqu’il s’agit bien de productions grecques. Comme on le sait, il faudra attendre le dernier quart du XIXe siècle, avec les grandes fouilles d’Olympie et du Céramique d’Athènes, pour que la céramique géométrique soit définitivement reconnue comme une production grecque et inscrite comme une étape de l’histoire de l’art grec. En 1877, Alexander Conze est le premier à parler de « geometrischer Stil » 6 pour décrire le décor des vases : le style géométrique est né. Passons maintenant à la sculpture archaïque Lors de ses fouilles et de ses voyages, Fauvel eut l’occasion de découvrir plusieurs sculptures archaïques. Le premier objet archaïque dont le peintre eut connaissance fut la poignée d’un miroir en bronze représentant une figure féminine encadrée par des bêtes sauvages, qu’il interpréta comme Isis 7 (fig. 6). Cet objet datait nécessairement pour Fauvel de la guerre de Troie puisqu’il avait été découvert par les hommes de Choiseul-Gouffier en Troade en 1787 dans un tumulus identifié par le comte comme le tombeau d’Achille. 2 BnF, Estampes, Gb 15 A fol., f. 121 v. L.J.J. DUBOIS, Notice d’antiquités, Paris, 1828, n° 36. 4 J. DE WITTE, Catalogue Durand, Paris, 1836, n° 1122. 5 O.M. von STACKELBERG, Die Gräber der Hellenen, Berlin, 1837, pl. IX,1 et partie II, p. 1-2. 6 A. CONZE, Annali dell'Instituto di corrispondenza archeologica, 49 (1877), p. 385, n. 1. 7 Sur cet objet, cf. L. BESCHI, « Il corredo della cosiddetta tomba di Achille », Μουσείο Μπενάκη 6 (2006), p. 9-22. 3 3 Malgré l’identification péremptoire de Choiseul-Gouffier, l’abbé Barthelémy et Ennio Quirino Visconti – qui, il faut bien le souligner, n’avaient jamais vu de sculptures archaïques auparavant – regardaient cet objet « comme appartenant à des temps bien différens de ceux de la guerre de Troie [et] comme étant d’une époque beaucoup plus récente » 8 . Sur leur conseil, Choiseul-Gouffier modifia donc son identification et abaissa la datation du tombeau à l’époque romaine 9 . Fauvel, quant à lui, resta partisan d’une datation « haute » et, par rapprochement, il utilisa cette trouvaille comme terme de comparaison pour situer chronologiquement toute une série d’objets similaires. Il en conclut que toutes les figures ayant le même type de drapé devaient remonter à l’époque de la guerre de Troie et devaient représenter le même personnage : Isis. Dans ses notes, il parle ainsi normalement de « statues d’Isis » pour désigner les korés archaïques ou en général les figures féminines vêtues des habituels chitôn et himation. Une autre expression, qui revient de manière récurrente chez Fauvel, pour désigner ce que nous appelons, nous, des statues archaïques est de les dire « de goût étrusque ». À la fin du e XVIII siècle, l’Étrurie était fouillée depuis longtemps et l’art étrusque était bien documenté, notamment dans les collections des Médicis. Mais rappelons aussi que les vases grecs, et notamment la céramique archaïque à figures noires avec ses représentations féminines, étaient dits « étrusques ». Bien que Fauvel ait contribué à démontrer l’origine grecque des vases étrusques, il s’en tient à l’idée de « goût étrusque » pour désigner les statues féminines archaïques qui ressemblaient à ce qui était connu depuis bien longtemps en Étrurie. Voyons quelques exemples. C’est avec Isis qu’il identifie – au moins dans un premier temps – les deux statues acrotériales du temple d’Athéna Aphaïa à Égine (alors identifié comme le temple de Zeus), qui ne sont autre que des korés. Fauvel utilise le mot « hyperantique » pour souligner que ces statues remontent, dans son système chronologique, à l’époque de la guerre de Troie. En décembre 1811, Fauvel découvre une pyxide à figures rouges figurant un mariage (fig. 7) : la figure de la mariée, vêtue d’un chitôn et d’un himation, représente selon lui une « Junon épousée » et est bientôt utilisée pour de nouveaux rapprochements stylistiques 10 . Cette figure lui rappelle de près l’« Isis » du miroir en bronze du tombeau d’Achille, ainsi que les acrotères d’Égine. À partir de ce moment, dans les notes de Fauvel, ces statues ne sont plus tenues pour des représentations d’Isis mais de « Junon ». Il en va de même pour la statue archaïsante trouvée à Rhamnonte en 1812 par l’architecte anglais John Peter Gandy (17871850) 11 . Fauvel eut connaissance de cette découverte ; il écrivait à propos de la statue : « Elle est du genre le plus antique, en habit de noces, comme les deux petites Junons du temple d’Égine, comme la figure de bronze trouvée par M. de Choiseul-Gouffier au tombeau d’Achille et restaurée par moi » 12 . Le peintre remarque aussi que l’Athéna du fronton ouest du temple d’Égine (fig. 8) présente ce même genre d’habillement : « Il paroît que les plus anciennes statues de femmes étoient vêtues ainsi. La Minerve qui étoit au milieu du fronton du temple d’Égine est vêtue à peu près de même, ce n’est 8 M. G. F. A. de CHOISEUL-GOUFFIER, Voyage pittoresque de la Grèce, II, Paris 1809, p. 324-325. Cf. aussi BnF, Manuscrits, n.a.f. 5967, f. 46-48 (note de Visconti sur des « fragments trouvés dans le tombeau d’Achille »). 9 M. G. F. A. de CHOISEUL-GOUFFIER, Voyage pittoresque de la Grèce, II, Paris 1809, p. 324-325 et pl. 30. 10 Paris, Musée du Louvre, L55. Ce vase représente en réalité le mariage de Pélée et Thétis. 11 Society of Dilettanti, The Unedited Antiquities of Attica, Londres, 1817, chap. VII, pl. 2. La statue est entrée au British Museum en 1820 (Sc 145). 12 BnF, Manuscrits, ms. fr. 22877, I, f. 245 v° (notes archéologiques). Magasin Encyclopédique (1813), t. V, p. 365 (lettre à Barbié du Bocage écrite d’Athènes le 11 mai 1813). 4 point une draperie de fantaisie, de convention, c’est une copie exacte de la mode du tems, l’habit de cérémonie. […] La description de Junon en habit de noce qui étoit sur le somet du fronton du temple de Jupiter à Égine sert à appuyer l’authenticité du tombeau d’Achille, d’où M. le comte de Choiseul possède une petite statue de bronze. Elle étoit absolument la même, ce qui prouve en même tems que le temple panhellénien a été bâti au retour de l’expédition de Troye et les objets qui y furent trouvés par M. Haller, Foster, Coquerel et Linckh sont effectivement très authentiques, leur antiquité se trouve bien constatée » 13 . En somme, l’habit fait le moine et pour Fauvel le type vestimentaire tient lieu à la fois d’argument chronologique et d’identification. Ailleurs encore, Fauvel considère que le « caractère d’antiquité » des statues d’Égine « nous reporte au temps où Homère ne vivait point encore » 14 . Cependant, il ne précise jamais à quelle époque, à quels siècles, il situait l’aède aveugle ou la guerre de Troie. Toutes ces considérations chronologiques sont en tout cas bien éloignées de nos datations actuelles. N’ayant aucun repère pour situer ces objets au fil des siècles, Fauvel s’ingénie en fait à multiplier les termes de comparaison : outre Homère, il rapproche le style de ces statues de modèles étrangers, comme il le faisait également pour la céramique. Pour Fauvel, nombre de ces statues archaïques féminines sont « étrusques », pour les raisons que j’ai dites plus haut. Pour certains de ses contemporains, elles étaient en revanche « égyptiennes ». C’est le cas de Dubois et de Choiseul-Gouffier. C’est en effet parmi les antiquités égyptiennes que Dubois classe, dans le catalogue de vente de la collection Choiseul-Gouffier, le buste d’une koré découvert par Fauvel à Santorin en 1788 et aujourd’hui perdu 15 . Choiseul-Gouffier s’alignait sur cette conception en considérant que la figure féminine représentée sur la poignée du miroir trouvé en Troade « par rapport à la disposition de sa coiffure, avoit quelqu’analogie avec les figures égyptiennes, et [qu’] elle pouvoit tenir aux travaux des plus anciens temps de la Grèce » 16 . Pour Fauvel en revanche, le style égyptien se rapporte aux figures masculines de l’époque archaïque. Ayant observé plusieurs statues et bas-reliefs égyptiens lors de ses voyages à Alexandrie et au Caire, il s’était persuadé que l’art grec tirait ses origines de l’art égyptien : « Dans les fouilles que je fis aux catacombes [d’Alexandrie] », écrit-il à ses confrères de l’Académie, « j'ouvris de nouvelles chambres où je trouvai des bas reliefs et des figures peintes et des monuments d'architecture qui démontrent le passage du goût égyptien au grec » 17 . Ainsi, les restes de chevelure d’une tête sculptée sur une paroi de la grotte de Pan à Vari18 sont pour Fauvel « dans le goût égyptien », expression fourre-tout qu’il utilise également pour décrire tout ce qui lui paraît très ancien, comme ce que nous appelons depuis Schliemann l’art mycénien, où il voit « l’empreinte de la plus haute antiquité » 19 . « Égyptiennes » sont aussi, 13 BnF, Manuscrits, ms. fr. 22877, I, f. 44 v°-45 v° (brouillon d’une lettre à Barbié du Bocage, sans date). Ph.-E. LEGRAND, RA 30 (1897), p. 394-395 (lettre à Montalivet écrite d’Athènes le 10 mars 1812). 15 L.J.J. DUBOIS, Catalogue Choiseul, Paris, 1818, n° 7. 16 M. G. F. A. de CHOISEUL-GOUFFIER, Voyage pittoresque de la Grèce, II, Paris 1809, p. 324. 17 Athènes, Bibliothèque Gennadios, ms. 133 (3rd part), f. 26 (mémoire écrit en 1802). 18 Ch. HEALD WELLER, « The Cave at Vari. I. Description, Account of Excavation and History », AJA 7 (1903), p. 263-288, partic. p. 275. 19 BnF, Manuscrits, ms. fr. 22877, I, f. 247 v° (notes archéologiques). Ph.-E. LEGRAND, RA 30 (1897), p. 400. Pour l’art mycénien, Fauvel parle aussi de « goût persan » ou « phénicien » ; cf. É. MICHON, REG 26 (1912), p. 178. 14 5 selon Fauvel, les statues des Branchides vues à Didymes par Gell 20 . Enfin, à propos des personnages sculptés sur un relief archaïque de la première moitié du VIe siècle 21 , Fauvel observe que « leurs cheveux forment une espèce de perruque longue, à longues boucles transversales […] Je vois les mêmes cheveux sur des vases très antiques » et il conclut : « Ces figures sont d'un genre qui paroît être le passage du goût Égyptien au goût grec » 22 . C’est là la même idée, le même classement chronologique, qui vaut pour Fauvel, avons-nous vu, pour la céramique. En somme, les remarques de Fauvel sur la sculpture archaïque portent essentiellement sur deux thèmes. D’une part, le peintre s’attarde à décrire le vêtement des korés et des statues féminines du temple d’Égine, qu’il rapproche de la statuaire étrusque. Quatremère de Quincy était persuadé que les « plis réguliers » caractérisant ces statues n’étaient pas dérivés de « l'imitation d'un mode d'habillement social et effectif [mais que] ce genre bizarre et contraint aurait appartenu à la méthode de plis artificiels dont on mannequinait les statues primitives en bois » 23 . Fauvel en tire en revanche l’idée contraire ; il affirme en effet que ce genre de vêtement « n’est point une draperie de fantaisie, de convention, c’est une copie exacte de la mode du tems, l’habit de cérémonie » 24 . Un siècle plus tard, Collignon n’aurait pas d’autre opinion, lui qui voyait dans la diversité vestimentaire des korés attiques le simple reflet de la mode. D’autre part, l’attention de Fauvel se focalise sur les rapports de la sculpture archaïque aux autres cultures. C’était là une démarche heuristique qu’il appliquait également aux vases des hautes époques, qu’il rapproche - nous l’avons vu - du style phénicien ou égyptien. Face aux kouroi, Fauvel eut le sentiment des origines orientales de l’art grec 25 . Fauvel avait lui aussi fait le voyage d’Égypte et avait pu admirer les colosses égyptiens. Il avait également lu les auteurs grecs qui pensaient eux-mêmes que leur civilisation puisait ses racines dans le monde égyptien et levantin. Comme l’a souligné Martin Bernal dans son livre très controversé (Black Athena. Les racines afro-asiatiques de la civilisation classique), ce Modèle Ancien resta en vigueur en Europe jusqu'au XIXe siècle 26 . La suprématie de l’Égypte sur la Grèce fut soutenue en France par de nombreux savants tels Jean-François Champollion (1790-1832) ou Vivant Denon (17471825) 27 . D’une certaine manière, par ses idées sur l’origine phénicienne et égyptienne de la céramique géométrique et de la sculpture archaïque, Fauvel s’inscrit pleinement dans la mentalité de son époque. Il ne s’agit donc jamais de juger Fauvel à l’aune de nos connaissance actuelles (même si ses interprétations peuvent faire sourire aujourd’hui), mais bien de replacer ses idées et sa démarches dans les pratiques de son temps. Et de ce point de vue, l’apport de Fauvel à la réflexion générale sur l’art grec est loin d’avoir été négligeable. 20 BnF, Manuscrits, ms. fr. 22877, I, f. 63 v° (notes archéologiques). Louvre, MA 697. 22 BnF, Manuscrits, ms. fr. 22877, I, f. 89 v° (notes archéologiques). Athènes, Bibliothèque Gennadios, ms. 133 (3rd part), f. 25 (mémoire écrit en 1802). 23 A. Chr. QUATREMERE DE QUINCY, Le Jupiter Olympien, Paris, 1814, p. 19-24. 24 BnF, Manuscrits, ms. fr. 22877, I, f. 44 v°-45 v° (brouillon d’une lettre à Barbié du Bocage, sans date). 25 Ph.-E. LEGRAND, RA 30 (1897), p. 400. 26 M. BERNAL, Black Athena. The Afroasiatic Roots of Classical Civilization, I , New Brunswick, 1987. 27 A. MICHAELIS, Die archäologischen Entdeckungen des neunzehnten Jahrhunderts, Leipzig, 1906, p. 71. D. V. DENON, Voyage dans la basse et la haute Égypte pendant les campagnes du général Bonaparte, Londres, 1802, p. 102 et p. 180-181. 21 6