« Maîtriser une langue rare dans la traduction littéraire, c`est un atout »

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« Maîtriser une langue rare dans la traduction littéraire, c`est un atout »
mouvements
/ Métier
Catherine Marin-Pestel,
libraire à Lisieux
Traducteur > Jean-Christophe Salaün
« Maîtriser une langue rare dans la
traduction littéraire, c’est un atout »
© CRLBN
Le 6 septembre 2014,
au moment de l’ouverture
« officielle », une petite foule
se masse devant la nouvelle
librairie de Lisieux, autrefois
« La Joie de connaître », et rebaptisée
« Les Grands Chemins ».
La nouvelle propriétaire, Catherine MarinPestel, a un parcours très riche.
Après avoir occupé un poste à la RMN
(Réunion des musées nationaux) au
département des acquisitions d’œuvres
d’art pendant dix ans, elle a dirigé un
domaine viticole dans le sud de la France
pendant douze ans. Une formation
à l’INFL, plusieurs stages en librairie,
et elle ouvre Les Grands Chemins : 90 m2,
8 000 références, avec deux dominantes
littérature et jeunesse, dans une ambiance
feutrée et chaleureuse. Catherine MarinPestel sera assistée de Mélanie Uleyn,
qui a été libraire à Paris et est native
de Lisieux.
Traducteur indépendant spécialisé en islandais, Jean-Christophe Salaün,
28 ans, exerce sa profession depuis 2012 à Cherbourg.
© Guillaume Kéchichian
L/é : Faut-il essayer de retrouver le style de l’auteur ?
J.-C. S. : Certains traducteurs s’attachent parfois un
peu trop au texte original afin de réaliser une traduction qui soit la plus proche, mais je ne suis pas sûr que
cela soit la meilleure solution. Je n’hésite pas à changer
une structure de phrase si je sens que celle-ci n’est pas
naturelle en français.
L/é : Imposez-vous votre style dans les romans ?
J.-C. S. : Ce serait une erreur de vouloir l’imposer. Avant
d’être traducteurs, nous sommes lecteurs. Le texte
passe par le prisme de notre propre interprétation.
Forcément, une part de nous s’inscrit dans le roman.
C’est pourquoi il est important de préciser qu’il s’agit
d’une traduction. Les éditeurs font d’ailleurs apparaître
le nom du traducteur sur la couverture ou le dos du
livre. Le lecteur doit prendre conscience qu’il ne lit pas
l’auteur directement mais qu’il passe par une personne
intermédiaire.
Pascale Lefebvre, directrice
de Média Normandie
Pascale Lefebvre a pris la
direction du centre régional
de formation aux carrières
des bibliothèques de Caen
en janvier 2014.
Elle a auparavant exercé à l’université
d’Évry puis à l’université de Grenoble,
où elle avait la responsabilité de la
bibliothèque des sciences et de la
formation du personnel du service
commun de documentation. Depuis
mars 2014, le centre est devenu Média
Normandie et va prochainement passer
sous la tutelle de Normandie Université.
Média Normandie organise régulièrement
à Caen, au Havre et à Rouen des stages
de formation continue sur des
thématiques professionnelles ainsi
que des préparations aux concours
des bibliothèques.
En bref
Pour un recensement des
auteurs en Basse-Normandie
Dans le cadre de son service « Vie littéraire
et développement des publics », le Centre
Régional des Lettres réalise en 2014
un recensement des auteurs, illustrateurs
et traducteurs vivant en Basse-Normandie
ou ayant un lien étroit avec la région.
À cet effet, différents acteurs de la chaîne
du livre (éditeurs, organisateurs de
manifestations littéraires, auteurs euxmêmes…) ont été sollicités pour contribuer
à diffuser le questionnaire d’enquête dans
leurs réseaux. Cette étude permettra non
seulement de mettre à jour l’annuaire
des auteurs sur le site Internet du CRLBN
mais aussi de renforcer les dispositifs
de conseil, d’accompagnement et
de formation des auteurs en BasseNormandie. Nous invitons tous les auteurs,
illustrateurs et traducteurs bas-normands
qui n’auraient pas encore été contactés à
se faire connaître auprès de Cindy Mahout,
chargée de cette étude au CRLBN :
[email protected] ou 02 31 15 36 35.
Jean-Christophe Salaün, traducteur de l’islandais.
Livre/échange : Quel est votre parcours ?
Jean-Christophe Salaün : J’ai suivi des études de langues, littératures et civilisations étrangères (LLCE),
à l’université de Caen. En licence 3, je suis parti en
Erasmus à l’université d’Islande. Puis, j’ai reçu une
bourse d’études pour continuer une licence d’islandais
à Reykjavik. Enfin, je me suis tourné vers un master de
traductologie, que j’ai obtenu en 2012.
L/é : Pourquoi avoir choisi l’islandais ?
J.-C. S. : J’ai découvert la langue à 16 ans, par le biais
d’une émission de télévision. J’étais très intrigué par la
sonorité. J’ai alors commencé à lire des livres d’auteurs
islandais. J’appréciais tout particulièrement leur côté
sombre et leur humour noir.
L/é : Quelles sont les spécificités de l’islandais ?
J.-C. S. : C’est une langue germanique. L’islandais
contemporain est resté proche de l’islandais médiéval.
L’une des principales particularités, ce sont les mots
composites qui ne peuvent se traduire en français qu’au
moyen de périphrases ou de néologismes. Les déclinaisons composent l’autre difficulté majeure. On en
dénombre quatre, ainsi que trois genres : le masculin,
le féminin et le neutre. Ajoutons à cela que les adjectifs
peuvent prendre une forme faible et une forme forte.
L/é : Pourquoi et comment êtes-vous devenu traducteur ?
J.-C. S. : Passionné d’écriture et de littérature depuis
mon enfance, j’ai été particulièrement marqué par des
auteurs comme Raymond Queneau et Georges Perec.
J’aime les exercices d’écriture.
À la fin de mon master, j’ai appris qu’une maison
d’édition, les Presses de la Cité, recherchait un traducteur d’islandais. J’ai réalisé un essai de traduction.
L’expérience a été concluante. Je traduis aujourd’hui
mon quatrième ouvrage.
L/é : Comment réalisez-vous les traductions ?
J.-C. S. : En général, je commence par lire le livre dans
son entier, pour avoir une vision d’ensemble. Puis, je
travaille seul pendant quelques mois, afin de ne pas me
laisser impressionner. Une fois la traduction terminée,
au cours de la relecture, je prends contact avec l’auteur
et lui pose quelques questions sur son œuvre.
n o vem b re 2014 - Li v re / é chang e 8
L/é : Vous sentez-vous aussi auteur ?
J.-C. S. : En tant que traducteur, j’essaie de m’effacer
le plus possible derrière l’auteur. Certes, la traduction
littéraire repose sur un exercice d’écriture et un travail
de création, mais je ne dirais pas que le traducteur est
auteur. Il peut l’être avec ses propres œuvres. C’est
pour cela qu’en général les traducteurs écrivent aussi
de leur côté. Pour ma part, j’écris des romans mais je
n’ai encore rien publié. Même si j’ai la chance de devenir
écrivain, je ne pense pas arrêter la traduction, car je
souhaiterais garder un lien avec la langue islandaise
pour continuer à promouvoir cette littérature encore
trop méconnue.
L/é : Quelles relations entretenez-vous avec les
auteurs ? Est-il facile d’entrer en contact avec eux ?
J.-C. S. : Les écrivains savent que la traduction est
nécessaire pour se faire connaître à l’étranger. Ils
veulent donc entretenir une relation privilégiée avec
leurs traducteurs. Je n’ai traduit que trois auteurs différents, Hallgrímur Helgason, AuDur Jónsdóttir et Jón
Óttar Ólafsson, mais tous se sont montrés tout à fait
disposés à m’aider dans mon travail.
L/é : Parvenez-vous à vivre de cette seule activité
professionnelle ?
J.-C. S. : J’exerce ce métier à plein temps. C’est une profession très précaire. Toutefois, les contrats s’étalent
sur plusieurs mois, ce qui me permet d’anticiper. Les
éditeurs recherchent des traducteurs islandais mais
nous ne sommes qu’une dizaine en France. Il y a dix
ans, je n’aurais pas pu vivre de la seule traduction de
l’islandais. La littérature islandaise a de plus en plus
de succès et les éditeurs sont prêts à prendre plus de
risques.
L/é : Maîtriser l’islandais est-il devenu un avantage ?
J.-C. S. : Les langues scandinaves n’offrent pas le plus
de débouchés aux étudiants. L’islandais est une langue
parlée par à peine plus de 300 000 personnes. C’est
pour cette raison que j’ai commencé par une licence
d’anglais. Je pensais que j’aurais plus de possibilités
professionnelles. Or, ma spécialité m’a rendu intéressant aux yeux des éditeurs. Maîtriser une langue rare
dans la traduction littéraire a constitué un atout et m’a
donné une place privilégiée.
Propos recu e il l is pa r É li se De l ano ë
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