Canadian Tax Journal, Vol. 61, Special Supplement, 2013

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Canadian Tax Journal, Vol. 61, Special Supplement, 2013
canadian tax journal / revue fiscale canadienne (2013) 61 (supp.), 221 - 30
Le rôle du procureur général
dans les litiges fiscaux
Wilfrid Lefebvre*
Précis
En raison des nombreux changements introduits dans la législation fiscale au cours des
25 dernières années, particulièrement l’ajout de plusieurs pénalités ainsi que l’adoption
de pratiques administratives plus ciblées et « agressives », les situations injustes sont
devenues plus fréquentes. L’auteur examine le rôle primordial du procureur général dans
l’administration fiscale et formule des recommandations envisageables pour rectifier les
« dérives » qui peuvent survenir dans un tel contexte.
Mots clés : Litige n règlement n pratiques administratives
S o mm a i r e
Introduction
Changements législatifs
Pratiques administratives
Conclusion
221
222
223
230
Introduc tion
Il y a un peu plus de 25 ans, la Fondation canadienne de fiscalité m’a demandé de
rédiger un article sur le rôle que joue le procureur général du Canada (« PGC »)
dans les litiges en matière d’impôt sur le revenu1. Je travaillais à ce moment-là au
ministère fédéral de la Justice (« M J »).
Je m’étais fortement inspiré, pour rédiger mon article, de ce que le regretté
George W. Ainslie, C.R., avait écrit en 19722. Pour ceux qui ne connaissent
* De Norton Rose Canada S.E.N.C.R.L., Montréal (courriel : [email protected]).
Vincent Dionne, de Norton Rose, et Erika Bergeron-Drolet, étudiante en droit, ont collaboré
de près à la préparation du présent document.
1 Wilfrid Lefebvre, « The Role of the Attorney General of Canada in Income Tax Litigation »,
dans Report of Proceedings of the Thirty-Fifth Tax Conference, 1983 Conference Report (Toronto :
Fondation canadienne de fiscalité, 1984), 1014-18.
2 George Ainslie, « Role of Department of Justice in Tax Appeals », dans Report of Proceedings of
the Twenty-Fourth Tax Conference, 1972 Conference Report (Toronto : Fondation canadienne de
fiscalité, 1973), 524-32.
 221
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pas George W. Ainslie, qu’il suffise de dire qu’il a été un véritable phare, au
Barreau, en droit fiscal jusqu’à son décès prématuré. J’estimais alors que, dans le
contexte civil, la relation entre l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») et son
avocat au M J était somme toute une relation procureur/client. Il y avait cependant
des exceptions à cette règle, au sens où l’avocat du M J avait également l’obligation
inhérente de prévenir l’ARC de :
tout abus de pouvoir,
toute violation des droits et libertés fondamentaux et
n tout contournement ou toute violation des principes généraux de
l’application normale de la loi.
n
n
Je suis toujours d’avis que cette vision est juste et que, de fait, l’application de ces
principes est plus importante que jamais, et ce, pour un certain nombre de raisons.
C h a n g e m e n t s l é g i s l at i f s
Au cours des 25 dernières années, le législateur a adopté un grand nombre de
dispositions axées sur l’administration fiscale pour s’attaquer aux sérieux
problèmes qu’il avait relevés.
Ainsi, il a adopté, à juste titre, les règles sur les abris fiscaux3 afin de réglementer
une « industrie » où certains promoteurs attiraient souvent les investisseurs en
leur faisant miroiter l’efficacité de leur « stratagème ». Du point de vue du
percepteur des impôts, les résultats n’étaient pas entièrement satisfaisants, pour ne
pas dire plus : des délais de prescription ratés parce que ces « stratagèmes » ne
pouvaient être détectés facilement et rapidement, des cotisations d’impôt et
d’intérêts émises à des investisseurs qui, pour se défendre, alléguaient souvent leur
bonne foi et la confiance qu’ils avaient accordée aux promoteurs et, finalement,
l’absence de tout recours (sauf au criminel) que pouvait avoir l’ARC contre les
promoteurs « agressifs » et leurs conseillers. La réponse fut l’adoption des « règles
sur les abris fiscaux », dont la portée était vaste et qui étaient susceptibles
d’entraîner de lourdes conséquences.
Les règles sur les prix de transfert représentent un autre exemple4.
Manifestement, le législateur craignait que les multinationales canadiennes et
étrangères ne bénéficient indûment des différences dans les régimes fiscaux en
gonflant les coûts d’acquisition ou en exportant simplement les droits au revenu.
Des règles complexes furent donc mises en place, largement inspirées du modèle de
convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques
3 Article 237.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c. 1 (5e suppl.), telle que modifiée
(ci-après « la Loi »). À moins d’indication contraire, les renvois législatifs dans cet article sont à
la Loi.
4 Ces règles se trouvent à la partie XVI.1 de la Loi.
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(OCDE)5. Encore une fois, des pénalités significatives, tributaires de l’importance
des redressements proposés et de l’existence (ou non) de documentation ponctuelle
à l’appui des prix ou opérations déclarés, furent adoptées. Essentiellement, tout
redressement du capital ou du revenu excédant 5 millions de dollars pouvait être
assujetti à une pénalité de 10 pour cent, non pas sur le montant de l’impôt en
cause, mais plutôt sur le montant brut des redressements.
Mentionnons un dernier exemple, celui de l’instauration des soi-disant
« pénalités administratives aux tiers »6, qui peuvent être imposées aux promoteurs
ou aux spécialistes en déclarations. Celles-ci découlaient d’une recommandation
formulée par le Comité technique de la fiscalité7 des entreprises dans le rapport
Mintz en réponse aux résultats inéquitables obtenus au moyen de nombreux
mécanismes d’abri fiscal et où des investisseurs recevaient une cotisation et
perdaient essentiellement leurs gains économiques, alors que les promoteurs, eux,
n’assumaient aucun risque face au fisc. Là aussi, les pénalités pouvaient être lourdes8.
P r at i q u e s a d m i n i s t r at i v e s
Compte tenu de ces nouvelles munitions, il n’est guère surprenant que
l’administration fiscale ait réagi promptement et parfois avec énergie. Comme
mon collègue Me Du Pont le fait remarquer avec justesse9, les vérificateurs du fisc
disposent de pouvoirs substantiels dont l’exercice peut parfois entraîner des
conséquences fort préjudiciables et inéquitables.
Les techniques de vérification ont considérablement évolué. L’émission de
demandes officielles de documents et de renseignements est dorénavant monnaie
courante et les contribuables ont souvent très peu de temps pour y répondre
rapidement et sans résistance. De plus, les tribunaux appuient fortement les
administrations fiscales dans leurs demandes, parfois insatiables, de renseignements.
Essentiellement, le seul critère à cette fin consiste à déterminer si la demande vise
un objet lié à l’administration de la Loi. Ainsi, dans Saipem Luxembourg SA c.
Canada10, où la demande visait des renseignements se trouvant à l’étranger, la
Cour a ordonné un examen de la documentation même si l’établissement canadien
permanent ne représentait qu’une petite partie de toute l’entreprise commerciale
du contribuable. De même, dans E-Bay Canada Limited et al. c. MNR11, la Cour a
5 L’Organisation de coopération et de développement économiques, Principes de l’OCDE
applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des
administrations fiscales (Paris: OCDE, 1995).
6 Article 163.2.
7 Canada, Rapport du comité technique de la fiscalité des entreprises (Ottawa : ministère des
Finances, avril 1998) (« le rapport Mintz ») à la p. 10.14.
8 Voir la récente décision Guindon c. La Reine, 2012 CCI 287, en appel (A-459-12 FCA).
9 Voir l’article dans ce volume par Guy Du Pont et Michael H. Lubetsky.
10 2005 CAF 218; autorisation de pourvoi en appel refusée, [2005] 3 RCS vii.
11 2008 CAF 348; autorisation de pourvoi en appel refusée, [2008] 3 RCS vii.
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autorisé la divulgation de renseignements stockés électroniquement sur des
serveurs situés aux États-Unis.
De plus, le climat et les relations entre le percepteur des impôts et le
contribuable ont indubitablement continué à se détériorer. Alors que le législateur
donnait son aval, d’autres pays entreprenaient d’adopter des mesures semblables.
Ces facteurs, combinés à la perception publique générale selon laquelle l’ARC est
parfaitement justifiée de poursuivre tous les contribuables qui « ne paient pas leur
juste part » — phrase que les politiciens de toutes les allégeances répètent
maintenant couramment —, représentent pour l’ARC une solide incitation à
prendre diverses initiatives en matière de vérification. Dans une large mesure, tout
cela est probablement pour le mieux, puisque personne ne peut se dire en faveur
de l’évasion fiscale, ni prétendre que l’on ne devrait pas mettre un terme aux
échappatoires fiscales.
Mais ces approches « agressives » comportent des dangers. Sans analyser en
profondeur toutes les vérifications effectuées au cours des 10 dernières années, on
peut affirmer, par exemple, que l’absence apparente, sinon réelle, d’une obligation
de rendre compte rattachée à ces initiatives en matière de vérification semble être
une préoccupation récurrente. Dans l’état actuel des choses, du moins au fédéral,
les rajustements d’impôt effectués au stade de la vérification sont « enregistrés » et
entraînent des conséquences administratives. Par exemple, des redressements
suffisants postérieurs à la vérification peuvent entraîner une augmentation du
personnel ou un changement dans la classification de ce dernier. Manifestement,
les équipes de vérification sont jugées, du moins en partie, en fonction des
résultats qu’elles obtiennent.
Quoique de telles pratiques reflètent, dans une certaine mesure, des techniques
de gestion éprouvées, elles comportent cependant, dans divers cas, de sérieuses
lacunes. Voici pourquoi : que se passe-t-il si un « redressement après vérification »
est annulé à la suite du processus d’opposition ou d’une décision du tribunal ?
Dans le régime actuel, cette situation n’entraîne aucune conséquence (exception
faite, évidemment, du remboursement de l’impôt et des intérêts connexes). Bref, il
n’y a aucune conséquence au stade de la vérification. Citons, à titre d’exemple, le
récent arrêt de la Cour suprême du Canada (« CSC »), Canada c. GlaxoSmithKline
Inc.12. Des redressements très importants avaient été effectués après une
vérification en vertu tant de la partie I (refus des coûts d’acquisition du produit à
base de ranitidine par l’entité canadienne) que de la partie XIII de la Loi
(traitement du montant du redressement comme une affectation). La CSC a conclu
que ces redressements étaient erronés et a ordonné aux parties de revenir devant
la Cour canadienne de l’impôt (« CCI ») où, à n’en pas douter, elles s’entendront
sur de nouveaux redressements, à moins que ceux-ci ne soient déterminés par la
Cour. Il est probable que ces nouveaux redressements ne représenteront qu’une
partie de la position originale.
12 2012 CSC 52.
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Dans cette cause, les deux parties pouvaient se permettre d’aller jusqu’en Cour
suprême. Ce n’est évidemment pas ce qui se passe dans tous les cas.
Alors, quelles sont les solutions ? J’ai toujours été en faveur d’une approche
équilibrée et je continue de l’être. Il y a manifestement des cas du type « tout ou
rien », mais ils sont rares. La plupart sont suffisamment complexes et les
circonstances à l’appui, suffisamment souples pour justifier un règlement à l’amiable.
Il est vrai que la jurisprudence canadienne semble limiter la possibilité de
parvenir à un règlement aux seules situations où le résultat juridique obtenu
pourrait recevoir l’aval des tribunaux. Voici l’arrêt faisant autorité sur le sujet :
[…] Le Ministre a l’obligation, aux termes de la Loi, de fixer le montant de l’impôt
exigible d’après les faits qu’il établit et en conformité de son interprétation de la loi13.
Plus récemment, dans CIBC World Markets Inc. c. La Reine14, la Cour d’appel
fédérale (« CAF ») a réaffirmé ces principes.
Cela dit, cependant, il est toujours possible pour les parties de s’entendre sur
des déterminations factuelles qui pourront alors justifier le résultat juridique
approprié. Il est malheureux que notre jurisprudence n’ait pas jugé bon de suivre
le modèle retenu par la Chambre des Lords dans IRC v. Federation of SelfEmployed 15 et qu’elle se soit montrée moins souple à cet égard. Dans cette cause,
l’administration fiscale (« commissioners ») avait conclu un règlement avec des
travailleurs syndiqués (« Fleet Street casuals ») du secteur de l’imprimerie qui
n’avaient pas déclaré leurs revenus de façon adéquate. Ce règlement prévoyait que
les employeurs et les syndicats devaient prendre des mesures pour assurer la
conformité en échange de la renonciation de l’État à de possibles sanctions
criminelles et d’un règlement uniquement prospectif.
La Federation of Small Businesses avait contesté ce règlement qui, en fait,
accordait une amnistie aux travailleurs en cause et avait demandé un bref de
mandamus pour calculer et percevoir l’impôt sur le revenu « selon la loi ». La
Chambre des Lords (Lord Scarman) a analysé la situation comme suit :
[traduction] Mais je n’accepte pas que le principe de l’équité dans le traitement des
affaires des contribuables ne soit qu’une simple question de politique souhaitable ou
d’obligation morale. Pas plus que je n’accepte que l’obligation de percevoir « toute
partie des recettes de l’État » soit exclusivement une obligation envers la Couronne.
Nonobstant la 1972 Treasury Case (supra), je suis convaincu que la jurisprudence
moderne reconnaît que l’administration fiscale a envers l’ensemble des contribuables
13 74 DTC 6355, à la p. 6357 (CAF).
14 2012 CAF 3.
15 [1981] 2 All ER 93 (HL). Voir également Matrix Trilogy — Matrix-Securities Ltd. v. IRC, [1994]
1 All ER 769, à la p. 791 et Preston v. IRC, [1985] 2 All ER 327, [1985] AC 835, et les comparer
à la position plutôt rigide prise dans Ludmer v. Canada, 95 DTC 5311 (CAF), autorisation de
pourvoi en appel refusée, [1995] 4 RCS vii.
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une obligation légale de les traiter de façon équitable; d’utiliser son pouvoir
discrétionnaire de sorte que, sous réserve des exigences d’une saine gestion, il n’y ait
pas de discrimination entre un groupe de contribuables et un autre; d’assurer qu’il
n’y ait ni favoris ni victimes sacrifiées. Cette obligation doit être considérée comme
l’une de plusieurs obligations découlant de l’ensemble inhérent à la gestion et à
l’administration d’un impôt, dont ils ont l’obligation, s’ils sont en mesure de le faire,
de percevoir chaque partie.
[…]
Les appelantes [l’administration fiscale] d’aucune façon ne s’arrogeaient un droit
ni ne soulevaient l’hypothèse de s’arroger à elles-mêmes un droit de ne pas se
conformer à leurs obligations prévues dans les lois que j’ai citées. Au contraire, elles
prétendaient qu’elles en étaient arrivées à un règlement sensé en s’acquittant de leurs
obligations réglementaires relativement à la gestion des impôts, règlement intervenu
dans les meilleurs intérêts de chaque personne directement touchée et, en fait, de
personnes indirectement touchées, comme d’autres contribuables, car le règlement
intervenu mènera probablement en définitive à une perception plus grande de
recettes que si l’entente n’avait pas été conclue ou l’« amnistie », accordée.16
Assurément, deux solutions potentielles méritent, à mon avis, une plus grande
prise en considération.
1. Élargissement de la politique dans l’administration du paragraphe 220(3.1) de
la Loi
Il est bien connu que cette disposition permet à l’ARC de renoncer à tout ou partie
d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par les contribuables en
application de la Loi ou de l’annuler en tout ou en partie.
Évidemment, il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire. À certaines occasions,
la Cour fédérale a indiqué que, dans la mesure où l’ARC respecte les lignes
directrices publiées dans la circulaire IC07-1 (Dispositions d’allégement pour
les contribuables)17 ou s’y conforme, elle n’interviendra pas et ne substituera
pas non plus son jugement à celui de l’ARC18. Ces lignes directrices peuvent
donner ouverture à un allégement quand les délais ne sont pas attribuables
au contribuable, en cas de difficulté financière ou dans des « circonstances
exceptionnelles » (définies de façon très étroite). À mon avis, une approche plus
« libérale » serait justifiée. Prenons le cas, par exemple, d’un contribuable qui s’est
vu établir une cotisation sur 5 points pour des montants totalisant 10 millions de
dollars, incluant les intérêts. Supposons que ces points ont été réglés devant le
tribunal pour un montant d’impôt de 300 000 $, 6 ou 7 ans après l’établissement
de la nouvelle cotisation. Il est évident que le contribuable, quand il a reçu la
cotisation originale, n’était pas en mesure de payer la note. Ne devrait-il pas
16 Federation of Self-Employed, supra, note 15, aux pp. 112 et 119.
17 Circulaire d’information 07-1, « Dispositions d’allègement pour les contribuables », 31 mai 2007.
18 Voir, par exemple, Jenkins c. Canada, 2007 CF 295; Hauser c. Canada (Agence du revenu du
Canada), 2007 CF 113; et K-Bel Holdings Inc. c. Canada (Douanes et du Revenu), 2006 CF 825.
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avoir droit à un allégement des intérêts sur l’impôt à payer maintenant alors que
l’intérêt a été calculé pour 9 ou 10 ans ? Il ne fait aucun doute, selon moi, que le
contribuable devrait avoir droit à cet allégement, car le « règlement » reconnaît
que la cotisation originale était sérieusement erronée. Cependant, selon les lignes
directrices actuelles et l’interprétation qu’en fait l’administration fiscale, il est
douteux que cet allégement soit accordé.
2. Permettre des règlements sur la base des risques de litige
Le rapport Mintz recommandait cette approche19, qui est reconnue et appliquée
aux États-Unis.
L’alinéa 5d) de la Loi sur le ministère de la Justice20 prévoit ce qui suit :
5. Les attributions du procureur général du Canada sont les suivantes :
[…]
d) il est chargé des intérêts de la Couronne et des ministères dans tout litige
où ils sont parties et portant sur des matières de compétence fédérale.
On pourrait penser que cette disposition était suffisamment large pour laisser au
vérificateur général du Canada une grande marge de manœuvre pour régler les
différends en matière d’impôt. Toutefois, compte tenu du courant jurisprudentiel
Galway et du refus des tribunaux de suivre le raisonnement des tribunaux
britanniques, un changement à la Loi qui porterait expressément sur des principes
de règlement est devenu nécessaire. Dans l’état actuel des choses, dans toutes les
situations « noir ou blanc », nous devons composer avec les décisions des
représentants de l’ARC de s’engager dans un litige même si leurs chances d’avoir
gain de cause sont faibles.
Que ces solutions suggérées soient mises en œuvre ou non, l’un des aspects les
plus importants du processus de litige fiscal demeure le rôle de l’avocat du M J.
Mon expérience et mon interaction avec celui-ci au cours des années se sont
généralement avérées excellentes à cet égard.
Qui plus est, les tribunaux ont reconnu que le rôle de l’avocat du M J est
quelque peu différent de celui du praticien qui représente l’intérêt d’une partie à
un litige privé. Certes, l’avocat du M J a une obligation vis-à-vis de la Cour, mais
également envers la communauté en général.
C’est pour cette raison que les tribunaux ont indiqué ce qui suit :
L’avocat représentant le procureur général du Canada n’a pas besoin de l’autorisation
des représentants du fisc ou de l’[ARC] pour régler des questions litigieuses qui sont
visées par l’alinéa 5d ) [de la Loi sur le ministère de la Justice]. Il peut lier le
gouvernement du Canada dans ce genre d’affaires 21.
19 Supra, note 7, à la p. 10.9.
20 LRC 1985, c. J-2, telle que modifiée.
21 Jackman c. La Reine, 2000 CanLII 108, au paragraphe 27 (CCI), selon Bowman J.
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De plus
[traduction] La Couronne ne perd jamais une cause et la Couronne ne gagne jamais
une cause22.
Qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Dans le contexte criminel, ce principe a
souvent été cité : au criminel, l’avocat a d’abord et avant tout l’obligation de
chercher à « ce que justice soit rendue » plutôt que de viser à condamner une
personne23. Sans nul doute, les tribunaux ont appliqué les mêmes principes au
devoir de l’avocat au civil.
M. Berenson24 classe fort à propos les « règles de conduite » dans les trois
catégories générales suivantes :
1. Obligation de l’avocat de représenter ses clients avec « zèle » dans les
limites du droit;
2. Obligation de confidentialité; et
3. Conflit d’intérêts.
Pour chacune de ces catégories, on peut et on doit faire des distinctions entre les
obligations professionnelles d’un avocat du M J et celles qui sont imposées au
membre d’un cabinet privé.
Dans le contexte d’un litige civil en matière d’impôt, cela devrait se traduire, au
minimum, par l’application des lignes directrices suivantes :
L’avocat du M J doit toujours agir dans l’intérêt de la justice et la poursuite
de la vérité.
n L’avocat du M J qui est au courant de faits ou de documents favorables à la
position du contribuable (qui n’a peut-être pas lui-même connaissance de
cette information ou n’y a peut-être pas accès) doit les produire sans hésiter25.
n Il découle de la règle de l’« intérêt de la justice » que l’avocat du M J doive
tout faire pour obtenir un résultat juste et adéquat.
n Comme je l’ai indiqué, notre législation fiscale est dorénavant remplie de
dispositions qui prévoient des pénalités potentiellement très sévères qui
risquent de paralyser les entreprises. L’avocat du M J devrait toujours évaluer
si, dans des circonstances données, l’application intégrale de ces dispositions
n
22 E. Nielson v. MNR (1963), 33 Tax ABC 257, à la p. 263, selon le commissaire Fisher.
23 Steven K. Berenson, « The Duty Defined: Specific Obligations That Follow from Civil
Government Lawyers’ General Duty To Serve the Public Interest » (2003) 42:1 Brandeis Law
Journal 13-70; et de la série d’arrêts débutant par celui de Boucher v. The Queen, [1955] SCR 16.
24 Ibid.
25 Voir Brady v. Maryland, 373 US 83 (1963) (Cour suprême des États-Unis dans un contexte
criminel) et Gray Panthers v. Schweiker, 716 F. 2d 23 (DC Cir. 1983) (dans un contexte civil).
le rôle du procureur général dans les litiges fiscaux  n  229
est justifiée. Je pense, par exemple, à la situation dans Guindon c. La Reine26,
où une avocate inexpérimentée s’est vue imposer une pénalité de près de
550 000 $ en vertu de l’article 163.2 de la Loi parce qu’elle avait donné une
opinion erronée pour laquelle elle avait reçu des honoraires de 1 000 $.
Même si l’argument de l’ARC pouvait se justifier sur le plan technique, on
peut se demander si, dans les circonstances, l’imposition d’une pénalité
d’une telle importance était justifiée et servait à atteindre l’objectif véritable
de ces dispositions.
n L’avocat du M J ne devrait pas recourir à des tactiques de litige qui, en
l’espèce, ne sont « pas justes ». L’ARC dispose de ressources et de pouvoirs
substantiels qui, s’ils sont utilisés de façon « inappropriée », peuvent
entraîner un déni de justice. L’émission de multiples demandes dans des
délais serrés, l’adoption de positions rigides et l’imposition, par suite de
l’application des règles bien connues du fardeau de la preuve, de l’obligation
d’établir les faits quand une entente pour procéder au moyen d’une cause
type (ce qui réduit le temps, le nombre de témoins requis et les honoraires)
aurait été raisonnable représentent tous des exemples de situations qui
exigent un jugement éclairé.
n L’avocat du M J doit évaluer la preuve existante à la lumière de ce que, selon
lui, sera la réaction du tribunal. Fréquemment, les vérificateurs de l’ARC ne
sont pas familiers des règles de preuve et il revient donc à l’avocat du M J
de s’assurer que les faits présumés ne sont pas, dans des circonstances
appropriées, fondées sur une interprétation erronée ou incomplète des règles.
Il est vrai que ces règles de conduite ont souvent été examinées dans un
contexte américain27. Cependant, elles visent à mettre en place, du moins dans un
environnement de litige, un processus qui soit équitable et à obtenir un résultat
qui soit juste28. Comme le diraient les Australiens, le gouvernement devrait, dans
un litige, être une partie « modèle29 ». Cela ne signifie pas que « fermeté » et
« équité » sont contradictoires. Comme le souligne Barry Leader :
26 Supra, note 8.
27 Voir Catherine J. Lanctot, « The Duty of Zealous Advocacy and the Ethics of the Federal
Government Lawyer: The Three Hardest Questions » (1991) 64:4 Southern California Law
Review 951-1017; et Bruce A. Green, « Must Government Lawyers ‘Seek Justice’ in Civil
Litigation? » (2000) 9:2 Widener Journal of Public Law 235-80.
28 Dans le contexte canadien, voir Deborah MacNair, « In the Service of the Crown: Are Ethical
Obligations Different for Government Counsel? » (2005) 84, numéro special La Revue du
barreau canadien 501-31; et Adam M. Dodek, « Lawyering at the Intersection of Public Law
and Legal Ethics: Government Lawyers as Custodians of the Rule of Law » (2010) 33:1
Dalhousie Law Journal 1-53.
29 L’honorable juge Jeffrey Spender, « Acting for Government in Criminal and Civil Jurisdictions:
Expectations and Ethical Obligations », papier présenté à la conference de l’Association du
barreau du Queensland, 15-17 février 2008, à la p. 1.
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[traduction] Quant à l’équité, l’État devrait traiter les demandes de façon cohérente et
sans délai, payer les réclamations légitimes et conclure des ententes raisonnables. Il
ne devrait pas chercher à tirer avantage d’un adversaire sans ressources, contester des
questions qu’il sait être justes, invoquer des défenses purement techniques s’il n’a
subi aucun préjudice ni s’engager dans des appels mal fondés. L’État devrait aussi
s’excuser, le cas échéant.
Quant à la fermeté, l’État ne devrait pas s’engager dans des demandes fallacieuses
ou vexatoires ni adopter une approche « timide ». Il devrait plutôt vérifier
toutes les demandes de façon appropriée; respecter le secret professionnel, le cas
échéant; invoquer le privilège de l’intérêt public pour s’opposer à la divulgation de
renseignements; obtenir des garanties pour les dépens quand cela est approprié (dans
une cause, l’État a obtenu une ordonnance de garantie de 4 millions de dollars pour
les dépens); s’opposer à des subpoenas/interrogatoires préalables oppressifs; demander
la radiation de prétentions insoutenables et agir de façon à protéger ses propres
intérêts30.
Co n c l u s i o n
Il ne fait aucun doute que les avocats du M J prennent en matière d’impôt leur rôle
très au sérieux et, dans la plupart des cas, tentent de faire « la bonne chose ». Il est
en fait étonnant que de si nombreux cas passés par les phases de la vérification et
de l’opposition se règlent encore au stade du litige. On peut souhaiter que cette
attitude demeure et que les situations inéquitables deviennent de plus en plus rares.
30 Barry Leader, « The Model Litigant Principle: Can the AGS Stay Competitive? » (Printemps
1998) 73 Reform [Australian Law Reform Commission] 52-55, à la p. 53.

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