Être libre, est-ce s`affranchir de toute autorité ?

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Être libre, est-ce s`affranchir de toute autorité ?
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Introduction
Être libre semble signifier que l’on fait ce que l’on veut, en ce sens être libre
serait ne rencontrer aucun obstacle, n’être limité par aucune autorité extérieure. Cependant, celui qui revendique son indépendance à l’égard de
toute loi, de toute instance dominante, celui-ci ne se condamne-t-il pas à
vivre seul en dehors de tout réseau social ?
De plus, l’autorité peut désigner aussi une forme de puissance liée à un
savoir, et en ce sens respecter une autorité c’est reconnaître les lois de la
nature, c’est donc plutôt une manière de gagner sa liberté en se libérant de
son ignorance. Finalement, être libre est-ce s’affranchir de toute autorité ou
au contraire respecter ce qui fait autorité ? N’est-il pas utopique de vouloir
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se soustraire à toute loi sociale, morale ou naturelle ? Alors comment être
libre ? Ne peut-on pas concilier la liberté et la nécessité ? Il faudra alors
s’interroger sur la possibilité d’être son propre maître en exerçant son autorité sur soi-même et assumer ainsi ses responsabilités.
1. La liberté comme indépendance à l’égard
de toute autorité
A. L’affranchissement de toute autorité comme absence de contrainte
« Être libre c’est faire tout ce qui me plaît » : cette idée reçue renvoie à une
notion de liberté comme possibilité de tout faire sans limite ni contrainte. Or,
n’être déterminé par rien, c’est n’avoir même pas un motif de préférer telle
ou telle chose. Mais cette liberté d’indifférence ne permet pas l’action. En
effet, dans une fable de Buridan, un âne qui se trouvait à égale distance de
deux mêmes picotins d’avoine finit par mourir de faim. L’absence de contrainte ne peut être qu’une condition négative d’une véritable liberté.
La liberté comme sentiment immédiat de faire « tout ce qui me plaît », c’està-dire l’idée d’une volonté absolument indéterminée, s’éprouve dans l’expérience du choix. La possibilité d’agir sans aucune raison plutôt qu’une autre
est à son paroxysme dans l’idée d’acte gratuit. Ainsi, dans Les Caves du
Vatican de Gide, Lafcadio cherche à se prouver l’absolu de sa liberté par un
acte qui ne répond à aucune motivation : il va jeter du train où il se trouve
un vieillard sans défense.
Ainsi revendiquer sa liberté comme affranchissement par rapport à toute
autorité, c’est vouloir poser sa liberté comme infinie et absolue. Mais est-ce
seulement possible ?
B. Une liberté comme absence de contrainte est-elle possible ?
Mais suffit-il pour être libre de le vouloir ? Le désir de se prouver sa liberté
n’est-il pas déjà un premier motif à l’acte de Lafcadio ? Le désir du meurtre
n’est-il pas une raison inavouée ? Finalement, la liberté n’est-elle pas
illusoire ? Le déterminisme est la doctrine métaphysique qui affirme que
l’ensemble du réel est régi par des relations de cause à effet. Chaque phénomène serait déterminé par une cause, qu’elle soit physique, psychologique,
sociale ou autre. Vouloir s’affranchir de toute autorité en résistant aux différents déterminismes par son libre arbitre est-il envisageable ?
Le libre arbitre, comme possibilité de commencer une nouvelle série de
phénomènes, se présente comme un principe irrationnel, un brin d’indétermination dans le monde. L’homme, en se croyant la seule exception qui n’obéit
pas aux lois universelles de la nature, se prend pour « un empire dans un
empire » selon Spinoza. Le libre arbitre ne serait qu’une illusion des
« hommes qui se croient libres par cette seule cause qu’ils sont conscients de
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leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés » (Spinoza,
Éthique, III).
Ainsi, s’affranchir de toute autorité, se poser au-delà de toute loi semble
impossible car, qu’on en ait conscience ou non, on est toujours inscrit dans
une forme de déterminisme. Faut-il en conclure que la liberté est
impossible ?
2. Mais respecter l’autorité de certaines lois est
compatible avec la liberté
A. La liberté éclairée par l’autorité de la raison est
supérieure à la liberté d’indifférence
Pour Descartes, le monde est rationnel, il est dominé par l’autorité de la
raison, et pourtant le libre arbitre existe. La possibilité de choisir, de se
déterminer par sa volonté est possible. L’homme selon Descartes a deux
facultés : la volonté infinie qui peut tout vouloir, et un entendement limité.
Connaître, c’est faire porter la volonté à ce que présente l’entendement.
L’erreur est une précipitation de la volonté qui affirme comme vrai ce qui
n’est pourtant pas clair et distinct.
La liberté a plusieurs degrés. Le plus bas correspond à la liberté d’indifférence, c’est-à-dire une liberté qui n’a aucune raison de faire un choix plutôt
qu’un autre. Le plus haut degré est celui de la liberté éclairée, c’est-à-dire
la possibilité d’agir en connaissance de cause, en ayant des raisons de faire
tel ou tel choix. Par exemple, on choisit plus librement son orientation professionnelle lorsque l’on connaît les différentes filières. Finalement, les
animaux ne sont pas libres car leur « liberté d’indifférence » n’est pas une
véritable liberté.
Dès lors être libre, ce n’est pas s’affranchir de toute autorité au sens où on
la rejetterait brutalement, mais ce serait comprendre les lois (de la nature)
pour mieux les contrôler. Ce serait ainsi, selon Francis Bacon, « vaincre la
nature en lui obéissant ».
B. La liberté est autonomie, pouvoir de se déterminer soi-même
selon l’autorité de la loi morale
Défendre un déterminisme absolu des choses c’est renoncer à la possibilité
d’agir selon des décisions sciemment choisies, c’est renoncer à la possibilité pour un individu d’être un sujet moral, c’est-à-dire d’être responsable
de ce qu’il fait et non d’obéir à des lois qui lui sont extérieures. L’autorité
peut être celle de la loi morale que je fais mienne à travers la notion d’obligation, qui se distingue ainsi de la contrainte.
Pour Kant, la moralité est ce qui fait la dignité de l’homme et sa supériorité.
L’homme sait qu’il est libre par l’expérience d’une résistance aux penchants
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naturels. Paradoxalement, c’est le devoir qui révèle la liberté humaine. La
liberté comme condition de possibilité de l’exercice du devoir, d’une responsabilité, est dite « transcendantale ». En ce sens la liberté de faire tout ce que
l’on veut est une fausse liberté car elle ne consiste qu’à s’adonner à tous les
déterminismes rencontrés, summum de l’irresponsabilité.
Ainsi, la liberté consiste à faire ce que l’on veut non pas dans le sens de
céder à tous ses désirs, mais d’être capable de se déterminer par sa
volonté et par la connaissance, et donc la maîtrise des déterminismes.
Cependant, si la liberté consiste ainsi à vaincre des déterminismes ou à les
intérioriser, n’est-elle pas plutôt une tâche infinie, un idéal, plutôt qu’un état
acquis ?
3. L’homme libre fait autorité sur lui-même
A. L’homme n’existe que comme projet
Pour l’existentialisme, l’homme a ceci de particulier que son « existence
précède l’essence », ce qui signifie que l’homme existe d’abord et qu’il se
définit ensuite. On ne peut le qualifier définitivement. Sa seule particularité
est d’être indéfinissable.
Exister consiste alors à se choisir, à être libre en dépassant ce qui pourrait
être la définition de son essence. L’homme est un être toujours en projet
dans la mesure où il ne coïncide jamais avec ce qu’il croit être. Ainsi
l’homme n’est pas « libre », mais en perpétuelle « libération ». La liberté
prise dans l’action devient « engagement » dans le sens d’une action à tenir,
à prouver constamment.
S’affranchir de toute autorité serait alors se libérer de tous les déterminismes tout en ne reconnaissant plus qu’une seule autorité : la sienne. Mais
celle-ci serait sans cesse à reconquérir.
B. Mais il a une responsabilité absolue
Renoncer à ce dépassement de soi en s’identifiant à ce que l’on croit être
est ce que Sartre appelle « la mauvaise foi » : cela consiste à dire que l’on
ne peut faire telle ou telle chose parce que l’on « est » ainsi. Or, la seule
liberté possible est de reconnaître que l’on a toujours le choix de faire
autrement : on est « condamné à être libre ». La lâcheté n’a pas d’excuse.
Cette conception de la liberté est très morale car elle engage une responsabilité absolue.
Ainsi le seul obstacle à sa liberté serait de ne pas la reconnaître, de vouloir
y renoncer par lâcheté. Mais alors, ce n’est même pas à la liberté que l’on
renonce (puisqu’on y est condamné), mais à sa jouissance. En ce sens, être
libre serait non pas éviter les obstacles, toute forme d’autorité extérieure,
mais au contraire s’y confronter.
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Conclusion
Être libre, est-ce pouvoir faire tout ce que l’on veut ? Cette conception
répandue de la liberté consiste à assimiler la liberté avec la toute-puissance
de la volonté. Être libre serait alors accomplir tous ses désirs. Or l’expérience la plus quotidienne nous indique que l’homme est toujours soumis à
des contraintes externes (physiques ou sociales) et internes (instincts, habitudes, passions).
Si la liberté est absence d’obstacles, alors elle reste étrangère à la condition humaine. Mais si faire ce que l’on veut signifie que l’on agit
conformément aux décisions que l’on a prises, alors la liberté résulte de
l’engagement du sujet qui veut surmonter ses contraintes. À ce titre, elle ne
peut être infinie, mais elle est cependant effective, possible. Si être libre
c’est être capable de se poser des objectifs et de les atteindre, alors c’est
pouvoir répondre de ses actes, bref être responsable. En ce sens, la liberté
est la condition même de la responsabilité morale et juridique d’un individu.
La liberté n’est pas une absence d’obstacle, mais la possibilité de s’y
confronter. Tout obstacle n’est donc pas aliénant.
Si être libre c’est s’affranchir de toute autorité, alors c’est demeurer dans
une liberté infinie mais indéterminée et ineffective. Les contraintes extérieures doivent être non pas niées, mais comprises et dépassées. La liberté
consiste alors en une libération continue de toute autorité (au sens de ce
qui possède une puissance) qui se voudrait aliénante et réductrice pour
finalement construire sa propre autorité (au sens de ce qui a compétence
de), garante d’une liberté responsable.
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