Afrique du Sud

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Afrique du Sud
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AFRIQUE DU SUD
Il pourrait paraitre curieux qu’après une année durant laquelle l’Afrique
du Sud a connu les grèves les plus dures de l’histoire, qu’une réflexion sur
l’évolution du droit du travail et de la sécurité sociale se soit exclusivement
concentrée à la sécurité sociale – et, en particulier à la protection contre le
chômage. Pour autant, ces deux sujets ne sont pas complètement
indépendants. Le puissant mouvement syndical sud-africain est souvent
évoqué comme un facteur du niveau élevé du chômage. Autrement dit, il a
été de tous temps reproché aux syndicats sud-africains, d’être à l’origine
d’une segmentation du marché du travail et de favoriser l’exclusion d’un
grand nombre de travailleurs du fait de la protection (en termes de salaires et
d’avantages sociaux) offerte par les syndicats à leurs membres 1 . Quelles que
soient les raisons du taux élevé du chômage, il reste un des défis majeurs de
la jeune démocratie sud-africaine.
I – Le chômage en Afrique du Sud
Le taux de chômage en Afrique du Sud est l’un des plus élevés au monde,
comparé à celui des pays à revenu moyen 2 . Selon la définition restreinte de
l’OIT 3 , qui correspond à celle officiellement retenue en Afrique du Sud – le
taux de chômage se situe actuellement à 25,3% 4 ; ce taux s’élèverait à 38% 5
si on adoptait une définition large incluant les chercheurs d’emploi
découragés. Bien que le chômage urbain soit très élevé, il est frappant et
inhabituel de constater un taux de chômage encore plus élevé en milieu rural
1
H. Bhorat, « Unemployment in South Africa: Descriptors and Determinants »,
Development Policy Research Unit, University of Cape Town, 2009, p. 23. Disponible
sur le site internet : http://www.commerce.uct.ac.za/Research_Units/DPRU/External_Research.htm
2
H. Bhorat, op. cit., p. 2.
3
L'article 20 de la Convention n°102 de l'OIT concernant la norme minimum de la
sécurité sociale (1952) indique que « L'éventualité couverte doit comprendre la
suspension du gain – telle qu'elle est définie par la législation nationale – due à
l'impossibilité d'obtenir un emploi convenable dans le cas d'une personne protégée
qui est capable de travailler et disponible pour le travail ».
4
Statistics South Africa, Quarterly Labour Force Survey, Quarter 2, 2010, Juillet
2010. Disponible sur le site internet www.statssa.gov.za.
5
Statistics South Africa, op. cit.
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(en particulier dans les anciens « homelands »), beaucoup plus élevé que
nulle part ailleurs dans les « pays en développement » 6 . Il faut également
noter que ce taux de chômage varie considérablement selon le groupe
ethnique et l’âge. Les Africains noirs ont, en 2010, un taux de chômage
(officiel ou restreint) beaucoup plus élevé (29,5%), par rapport aux Métis
(22,5%), aux Indiens (10,1%) et aux Blancs (6,4%) 7 . L’âge est également un
élément déterminant du chômage puisqu’il affecte de manière
disproportionnée les jeunes ; environ 35% des moins de 25 ans sont au
chômage 8 . Il existe également une différence notable entre les sexes ; les
femmes souffrant d’un taux de chômage plus élevé toutes catégories (âge et
groupe ethnique) confondues 9 .
II – Protection contre le chômage en Afrique du Sud
Le système de sécurité sociale en Afrique du Sud est remarquablement
complet pour un « pays en développement » à revenu intermédiaire.
Toutefois, le système, largement axé sur l’emploi formel (en particulier dans
la mesure où les régimes d’assurances sociales et les pensions de retraite
sont concernés) exclut un grand nombre de travailleurs, et repose sur une
approche catégorielle et sous condition de ressources (s’agissant de l’aide
sociale). La protection contre le chômage sera dès lors examinée du point de
vue de l’aide sociale et de l’assurance sociale ; les politiques
macroéconomiques et du marché du travail visant à réduire le chômage
n’étant pas ici retenues pour l’analyse.
A – Assurances sociales
1. Le système actuel
L’une des trois caisses contributives de sécurité sociale d’Afrique du Sud
est la caisse d’assurance chômage (Unemployment Insurance Fund – UIF),
6
Klasen et Woolard, « Surviving Unemployment Without State Support:
Unemployment and Household Formation in South Africa », Journal of African
Economies Volume 18 n° 1, 2008, p. 2.
7
Statistics South Africa, op. cit.
8
Department of Social Development, Creating Our Future: Strategic Considerations
for a Comprehensive System of Social Security, Discussion Paper, 2008, p. 7.
9
Statistics South Africa, op. cit.
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qui fournit une assurance chômage à court terme aux travailleurs éligibles.
Elle verse des prestations aux cotisants ou à leurs ayants droit en cas de
chômage, maladie, maternité, adoption ou décès.
Le Unemployment Insurance Act (UIA) 10 et le Unemployment Insurance
Contributions Act (UICA) 11 , qui régissent l’octroi des prestations de
l’assurance-chômage et leurs cotisations, excluent de nombreuses catégories
de travailleurs de leur champ d’application. Sont ainsi exclus les
entrepreneurs indépendants, les entrepreneurs dits dépendants et les
travailleurs autonomes ou employés de façon informelle. Il en est de même
des fonctionnaires nationaux et provinciaux, ainsi que des étudiants, et de
certaines catégories de travailleurs migrants 12 . Compte tenu de la situation
vulnérable de ces personnes, l’Afrique du Sud, par principe, devrait élargir la
portée de la protection pour les inclure. Ces exclusions peuvent par ailleurs
être contestées constitutionnellement du point de vue du droit à l’accès à la
sécurité sociale.
En 2003, l’UIA a élargi son champ d’application aux travailleurs
domestiques, aux travailleurs saisonniers et aux salariés à revenu élevé.
L’inclusion des deux premières catégories de travailleurs semble progresser
de manière satisfaisante 13 . Les personnes à hauts revenus ont par la suite été
exclues du champ d’application du précédent UIA dans la mesure où il était
peu probable qu’elles souffrent du chômage et de ses effets. L’actuel UIA
met fin à cette exclusion, assurant un plus grand nombre de bénéficiaires en
cas de chômage et, surtout, renforçant la base financière de l’UIF 14 .
10
Unemployment Insurance Act, 63 de 2001.
Unemployment Insurance Contributions Act, 4 de 2002.
12
MP. Olivier et E. Van Kerken, « Unemployment Insurance » in MP. Olivier, N.
Smit N, ER. Kalula, GCZ. Mhone, Introduction to Social Security (1st ed),
Butterworths, 1993, pp. 436-437.
13
Par exemple, le Department of Labour a signalé en 2006 (3 ans après l'inclusion
des travailleurs domestiques dans le champ d'application de l'UIA) que 657 000
employeurs nationaux avaient été répertoriés sur la base de données de l'UIF et que
plus de 500 000 travailleurs domestiques avaient été enregistrés. Voir Department of
Labour, Even more domestic workers benefit from UIF, Communiqué de presse, le
10 août 2006.
14
MP. Olivier et E. Van Kerken, « Unemployment Insurance », op. cit., p. 435.
11
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Notons que l’UIF ne couvre actuellement qu’environ 10% des chômeurs
en Afrique du Sud 15 . En l’absence de toute subvention sociale pour les
chômeurs 16 , l’extension supplémentaire du niveau d’assurance-chômage
actuel apporterait sans doute une contribution à l’élargissement de l’aide
restreinte dont les chômeurs sud-africains bénéficient actuellement.
2. Les propositions de réforme
Les lois sud-africaines continuent donc d’exclure certains groupes et
catégories de personnes de la protection contre le chômage.L’UIF a
récemment annoncé qu’il avait recommandé des modifications législatives
au ministre du Travail. Trois d’entre elles ont trait à l’inclusion de certaines
catégories exclues, tandis que deux autres portent respectivement sur le taux
de remplacement des prestations et la durée des prestations.
Concernant l’inclusion des catégories actuellement exclues, le Fonds a
recommandé que les fonctionnaires, les migrants légaux et les étudiants
soient placés sous son égide. On a rapporté que le ministre avait accepté
l’inclusion des fonctionnaires, ce qui coûterait à l’État environ 3 milliards de
rands (soit environ 318 millions d’euros) chaque année 17 . L’exclusion des
fonctionnaires a toujours été basée sur l’idée que le risque de chômage était
faible pour eux, voire inexistant 18 . Cette hypothèse peut être contestée
juridiquement et factuellement. La sécurité d’emploi accordée aux
fonctionnaires sud-africains n’est pas à la hauteur de ce qu’elle est supposée
être. Le risque de chômage pour les travailleurs du secteur privé n’est en
effet souvent pas plus important que celui des fonctionnaires en Afrique du
Sud 19 . En outre, il est douteux que l’exclusion des fonctionnaires de l’UIF
15
M. Leibbrandt, I. Woolard, H. McEwen et C. Koep, « Employment and Inequality
Outcomes in South Africa », Southern Africa Labour and Development Research
Unit and School of Economics, University of Cape Town. Disponible sur le site
internet : http://www.oecd.org/dataoecd/17/14/45282868.pdf.
16
Voir point B ci-dessous.
17
Cf. Legalbriefs, 14 septembre 2010. Pour infos, 1 Rand ≈ 0,10 Euro.
18
Voir, par exemple, MP. Olivier et E. Van Kerken « Unemployment insurance » in
Olivier MP et al (eds), Social Security: A Legal Analysis LexisNexis Butterworths,
Durban, 2003, p. 438.
19
Il n'y a pas de différence significative entre la protection de l'emploi offerte aux
fonctionnaires et celle offerte aux autres employés dans la mesure où ils sont tous
soumis à la même loi sur le licenciement, Cchapitre VIII du Labour Relation Act, 66
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soit constitutionnellement défendable 20 . La proposition de leur inclusion doit
donc être saluée.
Concernant le taux du revenu de remplacement, actuellement fixé de 38 à
60% du revenu antérieur, bien qu’il s’agisse d’un rare exemple du principe
de « solidarité » du système de sécurité sociale sud-africain 21 , n’est
néanmoins pas conforme à la Convention n° 102 de l’OIT de 1952, qui
prévoit un taux de revenu de remplacement minimum de 45%. La
recommandation de l’UIF, faisant passer ce taux de 38% du salaire mensuel
final à 45%, permettrait d’aligner l’Afrique du Sud sur la jurisprudence
internationale. Encore une fois, les rapports indiquent que cette
recommandation a été acceptée par le ministre du Travail 22 . Enfin, la durée
maximale actuelle de prestation en vertu de l’UIA est de 238 jours. Le
ministre du Travail a accepté la recommandation de l’UIF étendant cette
période à 12 mois.
Notons que ce ne sont que des recommandations qui ont été acceptées, en
principe, par le ministre du Travail. Elles doivent encore suivre le processus
législatif ; ce qui pourrait retarder leur mise en œuvre en 2011, au plus tôt.
B – L’aide sociale
Dans un certain nombre de pays, en cas de poursuite du chômage au-delà
de la date d’expiration des droits à l’assurance chômage, le bénéficiaire peut,
sous condition de ressources, continuer de percevoir le versement de
certaines prestations spécifiques de chômage de longue durée. Cependant, ce
n’est généralement pas le cas dans les « pays en développement », et
l’Afrique du Sud ne fait pas exception à cet égard. La lacune la plus
flagrante du système sud-africain d’aide sociale est l’exclusion de la
structure ou des chômeurs de longue durée de la couverture. Il n’y a pas
d’assistance sociale qui cible particulièrement les personnes qui ont, soit
de 1995. Cf. MP. Olivier et E. Van Kerken, « Unemployment insurance » in Social
Security: A Legal Analysis, op. cit.
20
Cf. Olivier & Van Kerken “Unemployment insurance” in Olivier MP et al (eds),
Social Security: A Legal Analysis, op.cit., sp. pp. 439-440.
21
Les personnes à revenus élevés contribuent plus que les bas salaires (car les
cotisations sont basées sur 1% des revenus) et, inversement, ont droit à niveau de
revenu inférieur aux bas salaires en cas de chômage.
22
Cf. Legalbriefs, 14 septembre 2010.
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épuisé leurs prestations d’assurance-chômage, soit n’ont jamais été
formellement employées et n’ont donc jamais cotisé à l’assurance sociale. La
proposition gouvernementale d’introduire une subvention conditionnelle de
l’aide sociale (conditional social assistance grant) pour les chômeurs de
longue durée a déjà été précédemment évoquée 23 . Rappelons que la valeur
de la subvention proposée aurait été faible et subordonnée à la participation à
des Labour activation programmes (sorte de programmes d’incitation au
travail) tel que les plans de développement des compétences et les projets
particuliers d’emploi. Une commission d’enquête sur la sécurité sociale en
2002 nommée par le Gouvernement a suggéré une intervention similaire,
soulignant que – dans des conditions de chômage de masse tel qu’il en existe
en Afrique du Sud – l’assurance sociale crée ou perpétue des discontinuités
dans le marché du travail renforçant les inégalités existantes. Cette
commission était d’avis que le Gouvernement devait envisager l’introduction
d’une prestation sociale forfaitaire (Basic Income Grant), soutenue par des
politiques actives 24 .
Toutefois, il semblerait que ces propositions n’aient pas trouvé grâce dans
les milieux gouvernementaux, en particulier au sein du National Treasury.
En attendant, les chômeurs de longue durée doivent compter sur des
programmes de travaux publics ainsi que sur d’autres aides sociales (par
exemple, l’allocation vieillesse et l’allocation pour enfant) pour survivre25 . Il
est important de garder à l’esprit qu’aucune de ces subventions n’est destinée
à répondre aux besoins des chômeurs, même si, à travers le processus connu
de dilution des prestations, les chômeurs partagent certainement cette source
de revenu 26 . Ce n’est sûrement pas une situation idéale, car elle maintient,
voire enfonce, de nombreux ménages qui soutiennent des chômeurs dans une
pauvreté encore plus profonde.
23
Cf. Ockert Dupper, « Actualités Juridiques Internationales : Afrique du Sud », Bulletin
de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, Pessac, 2009, pp. 335-340.
24
Cf. Transforming the Present – Protecting the Future, Committee of Inquiry into
a Comprehensive System of Social Security for South Africa, Consolidated Report,
2002, p. 71.
25
Cf. S. Klasen et I. Woolard, « Surviving Unemployment without State Support:
Unemployment and Household Formation in South Africa », Journal of African
Economies, 2008, Oxford University Press, Volume 18, n° 1, pp. 1-51.
26
Cf. C. Meth « Sticking to the Facts: Official and Unofficial Stories about Poverty
and Unemployment in South Africa », Development Policy Research Unit, Working
Paper 07/123, 2007, p. 50.
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La solution à long terme face au chômage se fonde sur des politiques de
création d’emplois durables. Des interventions sont certainement encore
nécessaires afin de réduire la situation actuelle, à laquelle un grand nombre
de chômeurs sont contraints de faire face. Les propositions de réforme du
système d’assurance chômage, en vue d’étendre sa portée et d’améliorer les
prestations, doivent donc être accueillies comme il se doit.
Ockert Dupper
Faculté de droit, Université de Stellenbosch
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