THE PARTY

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THE PARTY
THE PARTY
EDWARDS Blake, USA 1968
Genre : Burlesque
Autour du film
Satire de Hollywood et film comique quasi-expérimental, La
Party fait se rejoindre deux sources qui irriguent l’oeuvre de
Blake Edwards. Après avoir rencontré le succès dans la
comédie mais aussi dans le film policier (Allo, Brigade
spéciale ! ) ou le drame (Le jour du vin et des roses), le
cinéaste avait ouvert une nouvelle voie en collaborant avec
Peter Sellers et en tentant une première " synthèse " du
burlesque, de la comédie et du dessin animé dans La
Grande Course autour du monde (1965). Dédié à Laurel
et Hardy, le film opposait des bons et des méchants
caricaturaux dans une superproduction qui revisitait tous les
grands genres hollywoodiens (du western à une bataille
géante de tartes à la crème en passant par une parodie du
Prisonnier de Zenda). L’insuccès relatif du film poussa
Blake Edwards à choisir une tout autre solution dans La Party, film qui obéit à la très classique règle des trois
unités. La collaboration avec Peter Sellers se poursuivit avec la reprise du rôle de l’inspecteur Clouseau dans
les années 1970 (plusieurs Panthère rose), mais ces bandes, quoique souvent parfaitement désopilantes, ne
sauraient rivaliser avec les aventures nocturnes de Hrundi V. Bakshi. Blake Edwards utilisa remarquablement
Dudley Moore, autre comique britannique, dans Ten (1979), mais c’est avec Victor/Victoria (1981) qu’il
retrouve une originalité et une grâce comparables à La Party en renouvelant le genre de la comédie de
travesti. Blake Edwards reviendra enfin sur le thème du cinéma avec une comédie grinçante (SOB) et un film
policier " élégiaque " : Meurtre à Hollywood.
Grande année contestataire à travers le monde, 1968 constitue aux États-Unis une sorte de tournant : jamais
le Flower power hippie ne sera aussi en vogue qu'à cette date, à mi-chemin entre le premier grand festival
rock (Monterey, 1967) et la grand-messe de Woodstock (1969) ; mais, de l'autre côté, les forces traditionnelles
offrent mieux qu'une simple résistance : 1968 est également l'année de l'assassinat de Robert Kennedy, de
l'élection de Richard Nixon — et de l'intensification de la guerre du Vietnam. L'appel à une liberté totale, à un "
lâchez-tout " (drop out) va très souvent de pair chez les jeunes, et plus particulièrement les étudiants, avec
une mobilisation politique accrue depuis les assassinats de J.F. Kennedy et Martin Luther King. La question des
civil rights (droits civiques) marque le retour à une tradition de désobéissance civile qui est le propre d'un
mode de contestation typiquement américain dans la tradition d'un Emerson ou d'un Thoreau. En dépit de cet
ancrage, le raz-de-marée " pop " dépasse très largement les limites de l'engagement, même s'il en est le plus
puissant vecteur. Sans Francisco est la Mecque du mouvement, et chacun sait, comme le veut la chanson, qu'il
faut s'y rendre avec des fleurs dans les cheveux (" If you’re going to San Francisco Be sure to wear some
flowers in your hair…", paroles du tube San Francisco de Scott McKenzie en 1967). Si Los Angeles n'est qu'à
une heure d'avion de San Francisco, le cinéma hollywoodien n'enregistre qu'indirectement la secousse
sismique. Certaines oeuvres notables du " néo-Hollywood ", comme Le Lauréat (M ; Nichols, 1967) ou
Petulia (R. Lester, 1968), ont su rendre avec justesse les aspirations d'une jeunesse qui préférait cependant
se " connecter " avec des media plus chauds et plus musicaux. Ce décalage fût-il léger voire imperceptible,
avec l'actualité est l'un des atouts du cinéma, ce qui lui confère une force de témoignage – unrendu d'époque
– souvent sans comparaison avec les bandes d'actualité.
Gros Plans > 15
juillet 2008
La Panthère rose, Diamants sur canapé ou encore Victor/Victoria : tous ces films sont le
fruit de l’esprit de Blake Edwards, réalisateur plus sous-estimé que ses films cultes ne le
laisseraient croire. En voici un autre où la fantaisie stylistique et le génie comique du
cinéaste s’allient avec la fine démence de son acteur fétiche Peter Sellers. The Party est
une coupe de Champagne où chaque bulle attend son tour pour revenir discrètement à la
surface, avant d’éclater tels des feux d’artifices dans un palais en croissante euphorie.
L’abus d’alcool peut être très bon pour la santé…
Un cascadeur indien, Hrundi V. Bakshi (Peter Sellers), se retrouve par un quiproquo à une soirée chez
le producteur du film dont il vient de catastropher le tournage. Le résumé est bref, probablement à
l’image du scénario qui fut donné par Blake Edwards et ses scénaristes au producteur. En effet, l’idée
du film vint de sa scénographie, une incroyable villa hollywoodienne hyper-sophistiquée, sur laquelle
baser un festival de gags. Il est facile de supposer que le dit producteur refusa la proposition, ce qui
amena le cinéaste à se charger aussi de la production.
Et pour cause, car le décor en valait vraiment la peine. Tout y est : le lac intérieur, la piscine, le comptoir
amovible s’allument, s’éteignent, s’illuminent, glissent, bougent en haut, en bas, à droite, à gauche…
Seulement ce n’est pas la maîtresse de maison qui nous fait visiter les lieux, mais un drôle de guide qui de fait
les découvre avec nous. Dès son entrée, Bakshi peut profiter du lac au-dessus duquel est posée une passerelle
qui le mène au salon, pour rincer sa chaussure blanche qu’il a malencontreusement noyée dans la boue. Mais
la chaussure glisse de son pied, flotte jusqu’à la limite du lac où l’attend une cascade qui la propulse dans un
autre lac au beau milieu du salon où les convives prennent l’apéritif. C’est à l’aide d’une grande plante
exotique que Bakshi va tenter d’attraper la chaussure, avant que la tige ne la catapulte entre les hors d’œuvre
disposés sur le plateau d’un domestique qui passe sous les regards passifs des invités. Au bout de cinq
minutes de périples, la chaussure se présente devant Bakshi qui peut enfin s’en emparer avec soulagement. Si
cette description ne vaut pas le dixième de la scène vue à l’écran, elle donnera au moins le ton de la situation.
Et ce n’est ni la première, ni la dernière des aventures de notre sympathique Indien.
Mais nous allons trop vite en besogne puisque les tout premiers plans nous annoncent autre chose. En effet,
c’est un autre film qui ouvre The Party : on y voit des plaines ensablées, des sortes charges de cavaleries, des
coups de feux. Oui, cela ressemble bien à une sorte de Lawrence d’Arabie, mais non, il s’agit d’une mise en
abyme. « Coupez ! » : crie le réalisateur avant que le producteur ne s’enferme dans la roulotte avec une
blonde pulpeuse pendant la pause déjeuner : « Quarante minutes pour les techniciens ; une heure pour les
acteurs ». C’est Hollywood sous toutes ses coutures. Ici l’envers du décor, là-bas dans les villas de Beverly Hills
les soirées mondaines. En revanche, les gens sont les mêmes et finalement ce sont eux qui font Hollywood.
En costume ou en robe de soirée, avec un accessoire ou avec une coupe de Champagne, les attitudes ne
changent pas. Grand connaisseur, Edwards choisit d’illustrer ce microcosme à travers son passe-temps social
plutôt que par la mise en abyme récurrente. Après tout, la villa est aussi digne d’un décor hollywoodien que
Monument Valley ; les personnages feront le reste. PDG, entrepreneurs, producteurs, stars, starlettes,
bourgeois, tous parlent d’investissements, pétrole, dépression nerveuse, et puis quoi d’autre au juste ?
Rien de spécial qui ait le mérite d’être relevé par le traitement sonore : tout est bruissement, comme si au
fond ces discussions n’étaient pas de grande importance – à part lorsque Mr. Clutterbuck doit sauver du
clutter (trad. désordre) les peintures qui ont de la valeur. Probablement, nos jet-setters préfèrent écouter
nonchalamment la douceur jazzy si propre aux soirées élégantes que se prendre trop au sérieux, puisque la
bande originale ne cesse de couvrir les bavardages. Une invitation de la part du cinéaste à en faire de même
dans la salle et l’on voudrait faire un monument à l’inégalable Henry Mancini, tellement on s’y laisse prendre.
Pendant ce temps, là sur l’écran, les personnages sont des figurants qui déambulent dans une apathie qui est
à la fois la leur et celle des villas hyper luxueuses où tout est parfait et rien ne dépasse. La caméra peut même
s’immobiliser pour filmer en plan d’ensemble ces drôles de figurines si heureuses de se prêter au tableau de
leur vie magnifique. Aucun effort n’est à fournir : le rose bonbon de la minijupe de mademoiselle et le
diadème sur la choucroute de madame font l’affaire, sans parler du nœud papillon de monsieur. Comme pour
la musique, encore une fois le détail est essentiel car il assimile ces gens et différencie Bakshi, mais surtout il
compose.
Avant même d’entrer, la Mustang déglinguée du protagoniste se gare à côté des Cadillac et autres Chevrolet
luisantes. Ensuite, ce sera au tour de ses souliers blancs comme neige, de son costume jaunâtre et de sa
cravate pourpre. À l’intérieur, la palette des couleurs est parfaitement ajustée, prête à faire rejaillir la moindre
bizarrerie qui sort du décor. Les jaunes, rouges, verts vifs ressemblent aux colorants d’un cocktail survitaminé
dont Bakshi serait la cerise qui se distingue du verre. La séquence avec « Wyoming Bill » Kelso en est la
preuve : accoutré dans sa panoplie de pseudo star de westerns de séries Z, il ne peut s’empêcher de voir en
Bakshi l’indien à abattre. Si la séquence est traitée sous la forme du gag, elle en dit long sur la distance qui
sépare Bakshi des archétypes américains. Le rappel incessant de sa nationalité reste le prix à payer pour
communiquer avec les autres et il est condamné à jouer le différent jusqu’aux moindres particularités. De
même, l’italienne à la longue chevelure rousse est voyante, alors que la jeune française qui attire Bakshi est si
mignonne et discrète. Encore et toujours Hollywood, la terre où les clichés deviennent des rôles.
L’emploi de Bakshi est donc choisi d’emblée : il est l’homme-catastrophe sur le tournage et il le restera tout le
long de la soirée. Cela dit, avec l’aide de son interprète, Blake Edwards parvient à éviter la surcharge
systématique et à toucher ce qu’il y a de plus difficile dans le registre comique : l’élégance. Perdu au milieu de
ce monde figé, il suffit que Peter Sellers bouge subtilement les yeux pour qu’on le remarque. Son comique
n’est pas forcément ostentatoire en ce qu’il est plutôt le reflet d’une innocence embarrassée et mal à l’aise,
mais toujours enthousiaste dans l’isolement. Le tandem formé avec le majordome soûl, dont les gaffes se font
de plus en plus énormes, offre à la fois une complémentarité et une confrontation qui se termine par un
match nul. Une escale de Bakshi aux toilettes, l’arrivée d’une horde de jeunes festifs avec un éléphant et la
maison est inondée par un bain mousseux. Seules deux têtes reviennent à la surface, celles de Bakshi et de sa
charmante demoiselle française flottant au-dessus de tout ce capharnaüm par la simple finesse génuine de
leur bonheur.
Oui, The Party est terminé et la fin est presque romantique. Blake Edwards ne s’est pas contenté de nous
donner envie d’aller à une grande soirée sur les hauteurs d’Hollywood pour y semer la pagaille. Faire le grand
huit dans cette maison Disneyland ne lui a pas suffi. De notre côté, nous sommes songeurs après avoir vibré,
nous sourions après avoir ri. Nous mettons un disque d’Henry Mancini et regardons nos murs, imaginant que
tout à coup s’ouvrent une piscine avec des palmiers, des comptoirs à cocktails d’où nous sortirions une coupe
de champagne pour revivre une autre party.
Oscar Duboy, http://www.critikat.com/The-Party.html
LES TONTONS
FLINGUEURS
Autour du film
Film noir français et parodie
La “ Série noire ” – terme typiquement français – est
lancée par les Éditions Gallimard sous la direction de
Marcel Duhamel en 1945. Le lecteur français fait la
connaissance de Peter Cheney, James Hadley Chase et
Raymond Chandler, et bientôt Dashiel Hammett. Puis plus
tard, dans l’éphémère “ Série blême ”, William Irish et
David Goodis. Dans le même temps, le public de cinéma
découvre Humphrey Bogart et les films noirs américains
interdits sous l’Occupation. Pourtant, le cinéma français
n’avait pas attendu l’exemple américain pour apporter au
cinéma sa dose de noirceur, policière ou pas. Certes, le
cinéma muet demeure attaché au “ roman feuilleton ”,
lointainement issu du XIXe siècle dont le modèle reste les
séries de Louis Feuillade, en particulier Fantomas, sans
négliger les nombreuses séries des “ serials ” de Nick
Carter dues le plus souvent à Victorin Jasset. Si les
enquêtes de Rouletabille (héros des romans de Gaston Leroux, Le Mystère de la chambre jaune, Le
Parfum de la femme en noir) demeurent populaires dans les années 30, les premières adaptations de
Simenon avec son commissaire Maigret (Le Chien jaune, de Maurice Tarride, 1932 ; La Nuit du carrefour,
Jean Renoir, 1932 ; La Tête d’un homme, de Julien Duvivier, 1934) s’approchent de l’univers du roman noir
par une atmosphère, souvent reprise des premiers films de gangsters américains, des Nuits de Chicago
(Underworld, 1927) de Josef von Sternberg, à Scarface (1932), en passant par Les Carrefours de la ville
(City Streets, 1931).
On pourrait classer dans cette catégorie, même si le prétexte est très peu policier, les films de Marcel Carné,
de Jenny (1936) et Quai des brumes (1938) au Jour se lève (1939). Il en va de même des films de Julien
Duvivier, où l’on retrouve la figure tragique de Jean Gabin : La Bandera (1935) ou Pépé le Moko (1937)...
En 1934, Maurice Tourneur, qui a travaillé aux États-Unis, signe Justin de Marseille, un film qui soutient la
comparaison avec de nombreux films américains du genre, un des premiers à montrer le “ milieu ” qui
deviendra le cliché du policier des années 50. Comme plus tard dans Borsalino, deux gangs s’affrontent au
cœur de Marseille. Surtout, le film annonce la série des polars parodiques que Les Tontons flingueurs
relancera dans ces mêmes années 50. Le scénariste, Carlo Rio, affirme avoir “ conçu un film tout ensemble
documentaire et parodique sur le milieu. ”
Les années 40 et l’Occupation voient se développer des films policiers adaptés de S.A. Steeman, Pierre Véry et
Georges Simenon, mais le temps n’est pas propice à une trop grande noirceur, même si L’Assassin habite
au 21 (1942), premier long métrage de Henri-Georges Clouzot, d’après Steeman, présente un univers peu
réjouissant, moins grinçant tout de même que ceux à venir du Corbeau (1943) et des Diaboliques (1954).
Le noir le plus profond réapparaît après la guerre, avec Quai des orfèvres (Clouzot, 1947), Panique
(Duvivier, 1946, première adpatation des Fiançailles de Monsieur Hire, de Simenon) ou L’Impasse des
Deux-Anges (M. Tourneur, 1948). Indifférents aux auteurs français, comme Léo Malet – et son héros Nestor
Burma – chichement adapté, les cinéastes français transplantent la série noire populaire américaine avec le
héros des romans de Peter Cheyney, Lemmy Caution, interprété par Eddie Constantine, sous la direction de
Bernard Borderie (La Môme Vert-de-Gris, 1952) ou de l’Américain chassé par le maccarthysme : John Berry
(Je suis un sentimental, 1954 ; Ça va barder, 1955). Mais il faut attendre l’adaptation des premiers vrais
romans noirs français, mêlant milieu, humour et argot, pour que le film noir français trouve pour quelques
années sa forme, ses sujets et son franc succès : Touchez pas au grisbi (1954) de Jacques Becker, d’après
Albert Simonin, Du riffifi chez les hommes (1955) d’un autre exilé politique américain, Jules Dassin, d’après
Auguste Lebreton.
Les années 60 voient se mêler recettes éprouvées (les Maigret avec Gabin) et une plus grande prise de
distance avec le genre, accentuant l’humour déjà souvent parodique insufflé par Simonin ou Lebreton. C’est
sur le refus de glorifier le milieu et ses truands minables (comme les espions de la série des Monocles) que
se retrouvent Georges Lautner et Michel Audiard. “ Rien ne me révolte davantage que la littérature glorifiant
les truands ! ”, affirmait alors le metteur en scène. Et, plus récemment : “ Si j'ai fait du policier comique, c'est
que je n'avais pas d'histoires à raconter avec sincérité et réalisme. ”