Aux poubelles la marijuana artisanale thérapeutique

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Aux poubelles la marijuana artisanale thérapeutique
Aux poubelles la marijuana artisanale
thérapeutique
Santé Canada menace de dénoncer à la police les malades qui
n’auront pas détruit leur production le 1er mai
18 mars 2014 | Hélène Buzzetti | Canada
Ottawa — Les malades chroniques titulaires d’une licence
d’Ottawa pour posséder ou faire pousser de la marijuana
médicale pourraient bien se retrouver dans la mire de la justice
d’ici un mois. Santé Canada s’arroge le droit, à compter du
1er mai prochain, de transmettre des informations personnelles
les concernant aux forces policières s’ils ne certifient pas avoir
détruit leur marijuana artisanale pour passer au cannabis
commercial.
L’an dernier, le gouvernement conservateur a modifié en
profondeur le régime d’accès à la marijuana prescrite à des fins
médicales. À compter du 1er avril, il ne sera plus permis de faire
pousser soi-même sa marijuana thérapeutique. Les malades
devront obligatoirement se la procurer auprès de fournisseurs
accrédités par Ottawa. Mais voilà : ceux qui seraient tentés
d’épuiser leurs stocks personnels avant de commencer à acheter
le cannabis « légal », qui coûte beaucoup plus cher, devraient y
penser à deux fois, car cela est explicitement interdit. Toute
marijuana qui a été produite ou obtenue sous l’ancien régime
réglementaire doit être détruite à cette date. Les malades
doivent s’y engager par écrit.
Vendredi soir, en catimini, Santé Canada a diffusé un avis
rappelant aux malades cette obligation et expliquant comment
procéder : il faut mélanger la matière avec de l’eau puis avec de
la litière à chat « afin d’en masquer l’odeur. Le tout peut ensuite
être mis à la poubelle ». Santé Canada rappelle surtout aux
malades qu’ils ont 30 jours pour remplir, signer et retourner un
formulaire dans lequel ils certifient ne plus posséder de
marijuana et précisent le nombre de grammes ou de plants qu’ils
ont détruits.
« Si les participants ne se conforment pas à l’exigence de
détruire leur marijuana et d’en aviser Santé Canada, le Ministère
échangera les renseignements pertinents, y compris les noms et
adresses, avec la police. Le Ministère continuera également de
collaborer avec la police et de fournir les renseignements
nécessaires afin d’assurer la sécurité publique, selon le
cas », est-il écrit sur le site Internet de Santé Canada.
Selon Adam Greenblatt, directeur général de la Société pour
l’accès au cannabis médical, cette directive « démontre l’esprit
coercitif du nouveau règlement. Ça nuira à son respect parce
qu’en partant, on instaure de la méfiance entre les
consommateurs et les nouveaux fournisseurs. » Selon lui, « c’est
la preuve que le nouveau règlement est une politique de
criminalisation déguisée en politique de santé ».
Déjà, il prédit que les gens ne s’y plieront pas. « C’est sûr que
tout le monde va mentir », affirme-t-il sans hésitation. « Je sais
que certains vont commander un peu de marijuana des
fournisseurs officiels pour obtenir leurs bouteilles et cacher leur
stock dedans. »
Affaire de prix
Mike Sandev est épileptique et la marijuana qu’il cultive lui
permet, dit-il, de vivre et de travailler normalement. Il déplore le
fait de devoir se débarrasser de ses stocks, d’autant plus qu’il
avait investi dans de l’équipement de culture. « C’est le chaos. Ils
veulent que je me débarrasse de mes médicaments pour aller sur
Internet contacter les entreprises, alors qu’il n’y en a pas une
seule qui affiche en français, pas une qui dit que la substance est
disponible, et ça va me coûter quatre à cinq fois plus
cher »,lance-t-il au Devoir.
Va-t-il se plier à la consigne et signer le formulaire ? « Je suis
musicien, j’ai besoin de voyager, alors je vais me plier à leur
demande, mais avec beaucoup de réticence. »
L’argent est au coeur de cette histoire. Les malades qui
consomment de la marijuana thérapeutique en consomment
généralement beaucoup, parfois plusieurs dizaines de grammes
par mois. Faire pousser de la marijuana à la maison était non
seulement facile, mais abordable. En s’approvisionnant auprès
d’un des dix fournisseurs reconnus par Ottawa (leur nombre
pourrait croître), la facture sera salée. Whistler Medical
Marijuana, par exemple, offre son produit à 10 $ le gramme.
Peace Naturals, à 6 $. Tweed offre une variété à faible taux de
THC (la molécule active de cette herbe) à 5 $ le gramme.
Metrum le propose à 7,60 $, mais offrira 30 % de rabais sur les
30 premiers grammes par mois qu’un consommateur à faible
revenu commandera. Cela représentera quand même une facture
minimale mensuelle de 160 $.
Ottawa fait valoir que ce resserrement était rendu nécessaire
pour éviter que la marijuana médicale n’alimente la contrebande.
Le nombre d’usagers de cannabis thérapeutique est passé de 500
à environ 30 000 depuis 2001 et on comptait dans les rangs au
moins un agent de la GRC.

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