A-2007/N°12

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A-2007/N°12
Siréas
asbl
Service International de Recherche , d’Education et d’Action Sociale
Année 2007
Analyses et études
BURUNDI : AUTORITARISME ET MALVERSATIONS
CARACTERISENT LES 2 ANS DE POUVOIR DU CNDD-FDD
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Burundi : autoritarisme et malversations caractérisent les 2 ans
de pouvoir du CNDD-FDD
Introduction
Deux ans après l’entrée en fonction du nouveau pouvoir issu des élections de 2005, l’avenir
du Burundi est plein d’incertitudes. Le pays est désormais plongé dans une crise politique et
institutionnelle. Sur le plan socio-économique, le pays traverse également une crise
budgétaire, doublée d’une crise humanitaire liée aux réfugiés et aux nombreux déplacements
de la population. Comment en est-on arrivé là ?
Lors des élections organisées entre juin et août 2005, les Burundais ont élu leur premier
gouvernement démocratique depuis 1993. Ceci a marqué la fin du gouvernement de transition
mis en place en 2001 par les Accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi,
signés le 28 août 2000 par 17 partis politiques, le gouvernement de l’époque dirigé par le
major Pierre BUYOYA. Cet acte a été posé sous la haute autorité morale du médiateur, le
Président sud-africain Nelson MANDELA.
Les anciens rebelles du CNDD-FDD, dirigé par Pierre NKURUNZIZA, ont remporté ces
élections et détiennent 58 pour cent des sièges au Parlement et 57 pour cent dans les conseils
communaux ainsi que douze ministères sur vingt au gouvernement. NKURUNZIZA a été
investi Président de la République le 26 août 2005.
Depuis l’arrivée du nouveau gouvernement, nommé en septembre 2005, le climat politique au
Burundi s’est considérablement dégradé. Le gouvernement arrête ses détracteurs, s’efforce de
museler la presse, commet des abus contre les Droits de l’Homme et a renforcé son contrôle
sur l’économie.
Peu après son entrée en fonction, le gouvernement a lancé des opérations militaires contre le
dernier groupe rebelle encore en action, le Palipehutu-FNL, dans le cadre desquelles il a
emprisonné, torturé et même exécuté de nombreuses personnes soupçonnées d’être des
combattants ainsi que des civils accusés de comploter avec les rebelles, souvent avec l’aide du
Service national de renseignement.
L’arrestation de membres influents de l’opposition en juillet 2006, accusés de fomenter un
improbable coup d’État, a été l’événement le plus troublant. La confession de certains détenus
aurait été arrachée sous la torture. Mais ceci n’est qu’un exemple, malheureusement frappant,
de la détérioration des droits humains et du pluralisme politique au Burundi.
Le parti au pouvoir intervient régulièrement dans l’attribution des marchés publics et l’on
craint qu’il ne se serve de sa position au sein de l’État pour alimenter sa propre trésorerie. Des
changements importants parmi le personnel d’entreprises publiques rentables ont provoqué la
rancoeur de certains hommes d’affaires, qui pourraient être tentés de réagir en finançant des
dissidents politiques. L’Union européenne et la Banque mondiale craignent de voir la
corruption croître au sein du gouvernement ; la Banque mondiale a d’ailleurs suspendu une
partie de son aide budgétaire en attendant un audit.
1
Cette dérive autoritaire du gouvernement a été exacerbée par la faiblesse des institutions
censées servir de contrepouvoir face à l’exécutif. Le CNDD-FDD contrôle aussi bien le
Parlement que les tribunaux. Il réprime les critiques au sein de la presse et de la société civile.
Jusqu’à présent, il n’y pas vraiment eu de signes d’une opposition violente. L’intégration des
forces de sécurité a affaibli l’ancien establishment militaire tutsi, qui hésite à agir par peur
d’une réaction violente contre la communauté tutsie.
Toutefois, la récente action gouvernementale a endommagé le tissu politique du pays et
pourrait provoquer des troubles dans un avenir proche. Son comportement pourrait également
gêner la mise en oeuvre de l’accord de cessez-le-feu signé avec les rebelles du FNL le 7
septembre 2006. L’autoritarisme croissant au Burundi est inquiétant après le début prometteur
du processus de paix.
Fausses allégations de coup d’Etat1
Le 31 juillet 2006, les services de sécurité ont commencé à arrêter d’importants hommes
politiques de l’opposition alors que le gouvernement annonçait avoir déjoué un complot,
visant à renverser le gouvernement dans lequel seraient impliquées quinze personnes, dont
l’ancien Président Domitien NDAYIZEYE et l’ancien Vice-Président Alphonse-Marie
KADEGE.
Au total, sept personnes ont été arrêtées pour conspiration contre l’État. Dans ce qui semblait
être une tentative de réduire au silence une éventuelle dissidence, plusieurs militants de la
société civile et membres de premier plan de l’opposition ont également été arrêtés pour
d’autres raisons. Ces arrestations et l’allégation d’un coup d’État ont profondément affecté le
climat politique au Burundi et révélé la fragilité du processus de paix.
Les allégations de coup d’État ont immédiatement ravivé les souvenirs de l’assassinat du
Président Melchior NDADAYE en 1993 par des éléments de l’armée, dirigée par des Tutsis ;
il s’en était suivi plusieurs mois de violence ethnique durant lesquels des dizaines de milliers
de Hutus et de Tutsis sont morts.
Le potentiel coup d’État est le meilleur exemple de la détérioration du climat politique au
Burundi. La détention de politiciens de premier plan sur la base de preuves incertaines a
profondément affecté l’élite politique, dont l’un des membres a déclaré : “Ils ont arrêté
NDAYIZEYE. Ça veut dire que personne n’est hors d’atteinte”.
Si la police et le Service national de Renseignements (SNR) sont désormais contrôlés par le
CNDD-FDD, l’armée est toujours sous le contrôle d’officiers tutsis, en service sous l’ancien
gouvernement.
Les postes de commandement dans l’armée ont été répartis également entre les anciens
rebelles et les soldats de l’ancien gouvernement mais les officiers du CNDD-FDD n’ont pas
beaucoup d’expérience dans la gestion d’une armée professionnelle, à la différence d’une
grande partie des anciens officiers qui ont reçu une formation dans des académies militaires
locales et à l’étranger.
1
D’après International Crisis Group (ICG) « Burundi : la démocratie et la paix en danger » - Rapport Afrique
N°120 / 30 novembre 2006
2
Le ministre de la Défense et le chef d’état-major des forces armées étaient commandants sous
l’ancien gouvernement mais le parti de NKURUNZIZA les considère, eux et les officiers
tutsis, comme loyaux envers le régime.
En raison de la présence de milliers d’anciens combattants du CNDD-FDD à Bujumbura et
autour de la capitale et, parce que les finances et la logistique de l’armée sont essentiellement
contrôlées par le nouveau gouvernement, il était de toute façon difficile pour ces officiers
d’organiser un coup d’État réussi même s’ils le voulaient. Nombreux sont ceux au sein du
CNDD-FDD qui l’admettent mais ils pensent qu’un petit groupe de dissidents cherche à
semer le chaos et à déstabiliser le pays par des assassinats ciblés.
De fait, les récentes arrestations ont augmenté l’éventualité d’une résistance armée par des
officiers tutsis frustrés. La rébellion FNL autour de Bujumbura représente le plus grand défi
militaire au gouvernement. Les rebelles ont en plusieurs occasions progressé vers la capitale
et contrôlent une bonne partie de ses alentours.
Pendant les élections de 2005, la majeure partie de la population en territoire FNL a voté pour
le FRODEBU, ce qui donne à penser que celui-ci et d’autres partis politiques pourraient
éventuellement former une alliance avec le FNL avant les élections de 2010, notamment s’ils
se sentent injustement exclus du processus politique.
Le gouvernement a signé un cessez-le-feu avec le FNL le 7 septembre mais les termes de cet
accord sont vagues et sa mise en oeuvre ne se fait que lentement.
Le mécontentement populaire qui en découle, de même que la situation sécuritaire fragile du
Congo voisin (RDC) et les milliers d’anciens combattants démobilisés et sans emploi, sont
autant d’éléments qui pourraient être manipulés par des politiciens ou des officiers
mécontents, ce qui rend d’autant plus nécessaire pour le gouvernement d’adopter une
approche plus inclusive envers ses opposants politiques.
Violations des Droits de l’Homme
Le mépris des Droits de l’Homme a caractérisé ces deux premiers années du pouvoir CNDDFDD. Les forces de sécurité ont commis de graves abus, y compris des arrestations arbitraires,
des actes de torture et des exécutions sommaires. Ces exactions ont eu lieu pendant des
opérations menées contre les rebelles du FNL avant la signature du cessez-le-feu. Beaucoup
étaient également dirigés contre les opposants au régime accusés (souvent en l’absence de
preuves substantielles) de collaborer avec les rebelles.
Après son investiture, NKURUNZIZA a promis de mener prioritairement des négociations
avec le FNL. Le 1er octobre 2005, il a lancé un ultimatum aux rebelles, auxquelles il a donné
un mois pour accepter d’entamer des pourparlers.
Lorsque les négociations ont échoué, les services de sécurité ont lancé une offensive et arrêté
des centaines de présumés combattants FNL à Bujumbura et dans les provinces voisines.
Selon une organisation de défense des Droits de l’Homme, quelque 1000 suspects du FNL
sont toujours en prison sans inculpation ni procès.
Plusieurs rapports dignes de confiance font état de torture et d’exécutions illégales. La
mission de l’ONU au Burundi a recensé des cas dans lesquels l’armée est soupçonnée d’avoir
3
exécuté des combattants du FNL. Des centaines de personnes soupçonnées d’être des
combattants ou des partisans des Forces nationales de libération, dont des représentants des
administrations locales et du Front pour la démocratie au Burundi (FRODEBU) ont été
détenus, souvent arbitrairement.2
Des organisations locales des Droits de l’Homme ont rapporté des centaines de cas de torture.
On leur a interdit l’accès aux prisons où sont détenus des suspects FNL dont la plupart ont été
torturés.
Le 15 décembre 2005 et le 2 février 2006, plusieurs centaines d’entre eux ont été exhibés dans
un stade de Bujumbura, dans le but de leur faire honte (ils portaient des insignes décrivant les
crimes dont ils étaient accusés).
Les opérations menées contre le FNL visaient également des membres d’autres partis de
l’opposition qui ont été arrêtés pour leur affiliation politique plutôt que du fait de leurs liens
avec les rebelles.
Selon Human Rights Watch, depuis que le nouveau gouvernement est entré en fonction (en
août 2005), le SNR a pu recourir librement à toutes sortes de méthodes, dont le meurtre et la
torture, pour atteindre ses objectifs. Selon un rapport de l’organisme de défense des Droits de
l’Homme, le SNR serait impliqué dans l’exécution ou la présumée exécution d’au moins 38
personnes depuis octobre 2006. Les opérations du SNR n’étaient pas réglementées jusqu’à
mars 2006 lorsqu’il est passé sous le contrôle direct du Président.3
D’août 2005 à août 2006, les agents du SNR ont été impliqués dans 38 exécutions
extrajudiciaires au moins et dans plus de 200 arrestations arbitraires, dont certaines
accompagnées d’actes de torture. De nombreux cas de torture et d’exécutions extrajudiciaires
impliquant vraisemblablement des agents du SNR n’ont fait l’objet d’aucun traitement par les
autorités gouvernementales.
Des abus ont été commis par le SNR et par la police, qui sont tous deux dirigés par des
membres du CNDD-FDD. Au cours du 1er semestre 2006, il a été fait état de cas d’exécutions
sommaires, de tortures, de mauvais traitements, de viols, d’arrestations et de détentions
arbitraires ou de disparitions, et d’extorsions et de pillages imputés à la Force de défense
nationale (FDN), à la Police nationale burundaise et au SNR. Les victimes étaient ciblées dans
le contexte de la poursuite des FNL et dans bien des cas ont été accusées d’appartenir aux et
de collaborer avec les FNL.4
Au cours du deuxième semestre 2006, les Droits de l’Homme a continué à être violés par les
FNL, par les militaires, par la police et le SNR, principalement par des exécutions sommaires,
des disparitions forcées, des actes de torture, des sévices infligés aux détenus et des
arrestations et détentions arbitraires. Des éléments des FNL ont continué à s’en prendre aux
civils et à commettre des meurtres, des viols et des vols à main armée.5
2
Sixième rapport du Secrétaire général sur l’Opération des Nations Unies au Burundi – ONU / 14 mars 2006
HRW : « On s’enfuit quand on les voit » - Exactions en toute impunité de la part du Service National des
Renseignements au Burundi - October 2006 Volume 18, No. 9(A)
4
Septième rapport du Secrétaire général sur l’Opération des Nations Unies au Burundi – ONU / 21 juin 2006
5
Huitième rapport du Secrétaire général sur l’Opération des Nations Unies au Burundi – ONU / 25 octobre 2006
3
4
Bien que les nouvelles réglementations leur imposent d’agir sous la direction du procureur de
la République pendant les enquêtes, les agents du SNR procèdent régulièrement à des
arrestations sans mandat et maintiennent les suspects en détention pour des durées plus
longues qu’il n’est autorisé.
L’impression selon laquelle le SNR est devenu un instrument de répression politique a été
renforcée par la façon dont sont traitées les personnes faussement accusées d’avoir fomenté le
coup d’État. En effet l’administrateur général du SNR, le général Adolphe Nshimirimana,
était présent lors de certaines séances de torture et des menaces ont été proférées contre des
membres de la presse.
Des membres du gouvernement admettent que le SNR connaît des problèmes disciplinaires et
que des officiers ont commis des actes de torture. Mais la persistance de ces excès est
symptomatique d’institutions dysfonctionnelles. Ni le Parlement ni le ministère Public n’ont
enquêté sur ces abus. Il existe également des signes forts indiquant que le pouvoir exécutif
empêche les tribunaux locaux d’entamer des procédures à l’encontre de membres du SNR et
de l’armée.
Corruption et clientélisme
L’État et l’économie sont étroitement liés au Burundi, ce qui encourage une violente
compétition pour les postes gouvernementaux. Les réseaux de clientélisme ont pénétré la
plupart des secteurs de l’économie et le versement de pots-de-vin est un élément à part entière
du monde des affaires. Selon certains hommes d’affaires, la “commission” moyenne qu’ils
doivent payer pour un contrat public varie de 25 à 60 % de la valeur du contrat, un taux bien
plus élevé qu’avant la guerre.
Dès son entrée en fonction , le pouvoir issu du CNDD-FDD s’est illustré par la course à
l’enrichissement illicite, la recherche effrénée des pots-de-vins à travers des marchés opaques
et irréguliers, la dilapidation du patrimoine national, la manipulation de la dette extérieure, la
multiplication des missions à grand frais, la liquidation des sociétés nationales par une
privatisation aveugle et anti-nationale, la répartition du budget national destinée à enrichir
l’oligarchie au pouvoir et à marginaliser les secteurs sociaux, la manipulation politicienne de
la politique de revenus tendant à favoriser certains fonctionnaires et à créer un gouffre entre
les salaires des uns et des autres, etc.
De nombreux cas de détournements, de malversations et de corruptions, maintes fois
dénoncés, n’ont jamais été élucidés et les présumés coupables déférés devant les tribunaux. La
procédure d’attribution des marchés publics illustre ce problème.
En 2005, un contrat pour 1500 tonnes de haricots destinés à la police a été attribué à un
homme d’affaires proche du parti au pouvoir CNDD-FDD. Les seules offres en compétition
auraient été celles de parents de celui-ci ; il aurait vendu ces haricots 25 % au-dessus du prix
du marché, réalisant un profit de 200.000 dollars.6
D’autres contrats sont attribués à un soumissionnaire offrant un prix excessivement bas puis
sont modifiés peu de temps après en faveur de celui-ci.
6
Burundi news, le 18 octobre 2005
5
Un avion Présidentiel a été vendu en juin 2006 pour un prix inférieur de 2 millions de dollars
à l’offre la plus élevée. L’appel d’offres a été publié dans le journal officiel seulement deux
jours avant que la vente ne soit conclue alors que la période minimum de publication est de 30
jours.7
Cette affaire a entraîné une controverse dans la presse et dans les milieux d’affaires à
Bujumbura et a poussé la Banque mondiale à suspendre le versement d’une subvention de 60
millions de dollars en attendant les résultats d’un audit de la vente.
L’existence de comptes spéciaux qui échappent au système normal de gestion des finances
publiques entretient cette opacité et favorise la gabegie. L’Union européenne s’est plainte du
détournement d’une partie de ses fonds destinés à des travaux d’infrastructure.
La restructuration du secteur sucrier a bénéficié à des membres du CNDD-FDD. En février
2006, l’État a attribué des licences exclusives pour la vente en gros de sucre à sept hommes
d’affaires, dont quatre étaient des parlementaires du CNDD-FDD. Cet arrangement et
l’inexpérience des marchands a conduit à des problèmes de distribution et à une augmentation
du prix du sucre.
Des employés de l’une des sociétés marchandes ont été surpris par la police en juillet 2006
alors qu’ils essayaient de passer du sucre en contrebande en le faisant passer pour du sel, une
denrée d’une valeur bien inférieure.
Cela fait plusieurs années que le gouvernement parle de privatiser les entreprises publiques et
de libéraliser le secteur agricole mais rien n’a été fait. Les hommes d’affaires se plaignent de
ce que, pour certains produits importants pour l’économie burundaise (qui repose en grande
partie sur l’agriculture) comme les engrais, le gouvernement ne prend même plus la peine de
lancer un appel à soumission mais s’adresse directement à ses fournisseurs favoris.
Comme les dirigeants du CNDD-FDD sont prompts à le souligner, la corruption n’est pas un
problème nouveau au Burundi mais cela n’excuse pas le fait que le gouvernement n’arrive pas
à y faire face. Malgré de nombreux rapports établis par des ONG et des organismes d’audit, ni
le ministère de la Bonne gouvernance ni le Parlement ni les tribunaux n’ont réussi à ouvrir
d’enquêtes sur ces abus.
Museler les voix critiques et l’opposition
Les tribunaux et le Parlement, dominés par le CNDD-FDD ont contribué à la dérive
autoritaire du gouvernement. Les mécanismes de contrôle et contre-pouvoirs censés assurer
un équilibre dans une démocratie fonctionnelle (et qui revêtent une importance capitale en
période d’après-guerre) se sont peu à peu érodés.
L’opposition au Parlement se composait à l’origine du seul CNDD de Léonard NYANGOMA
(quatre députés à l’Assemblée nationale). Le FRODEBU l’a rejoint le 25 mars 2006 pour
protester contre les abus divers dont ses membres étaient victimes, selon lui, dans le cadre de
la lutte engagée contre le PALIPEHUTU-FNL. Les ministres FRODEBU ayant refusé de
quitter le gouvernement ont été exclus du parti. Depuis le mois de juillet 2007, l’Union pour
le progrès national (UPRONA) a elle aussi rejoint officiellement l’opposition.
7
@rib News, 18/01/07 – Burundi : Rapport accablant de l’Audit sur la vente du Falcon 50 Présidentiel
6
Le parti au pouvoir CNDD-FDD a ainsi modifié les institutions à son profit, souvent en
violation de la loi. La constitution prévoit que l’attribution des postes ministériels par le
Président devrait refléter la distribution des sièges au Parlement.
Toutefois, NKURUNZIZA n’a donné que trois ministères au FRODEBU au lieu des cinq
auxquels il avait droit et qu’un seul à l’Union pour le progrès national (UPRONA) au lieu de
deux. Bien que seuls les partis qui ont obtenu 5 % des votes aux élections aient droit à l’un
des vingt postes portefeuilles ministériels, trois partis ayant obtenu un score inférieur ont reçu
chacun un ministère. Il s’agit du Parti pour le redressement national (PARENA), du
Mouvement pour la réhabilitation du citoyen (MRC) et d’Inkinzo.
Le parti au pouvoir prétend qu’il a inclus les petits partis dans un souci de discrimination
positive mais, cette redistribution ne s’est faite qu’au détriment de l’UPRONA et du
FRODEBU, tandis que le CNDD-FDD a conservé tous ses portefeuilles.
Le CNDD-FDD a ainsi pu apporter d’importants changements parmi le personnel des
entreprises d’État, dans l’administration locale et dans le système judiciaire en plaçant ses
membres à de nombreux postes. Le gouvernement a remplacé par ses fidèles tous les
dirigeants d’entreprises publiques qui appartenaient au FRODEBU et tous les directeurs
UPRONA sauf un.
La nomination d’un certain nombre de membres du CNDD-FDD dans le système judiciaire
s’est fait au détriment de l’indépendance de la justice. Plusieurs juges nouvellement nommés
à la Cour suprême et qui sont proches du CNDD-FDD ont approuvé la détention des suspects
dans le cadre du faux coup d’État.
Une autre tendance inquiétante est le fait que le gouvernement ait démis de leurs fonctions un
certain nombre d’élus. En juillet 2006, les gouverneurs de la ville de Bujumbura et de
Bujumbura Rural ont licencié trois administrateurs communaux du FRODEBU qu’ils
accusaient de corruption et de désobéissance. Comme le ministre de l’Intérieur l’a expliqué
par la suite, ces licenciements se sont faits en violation de la loi sur l’administration
communale, qui prévoit que les administrateurs sont nommés et remplacés par les conseils
communaux. Néanmoins, des administrateurs du CNDD-FDD ont été nommés pour les
remplacer peu de temps après.
Ces abus ont conduit le FRODEBU à se retirer du gouvernement en mars 2006 et à rejoindre
l’opposition. Bien que certains membres de l’UPRONA aient tenté d’inciter leur parti à faire
de même, les dirigeants ont décidé de conserver leurs postes ministériels.
La police nationale a effectué une descente au siège du CNDD-NYANGOMA à Bujumbura
en septembre 2005 et l’a forcé à fermer ses portes un mois plus tard.
La liberté de la presse bafouée, la société civile menacée
Étant donné le musellement de l’opposition et le statut dominant du CNDD-FDD dans les
institutions publiques, la plus grande opposition au nouveau gouvernement vient de la presse
et de la société civile. À mesure que les critiques se sont accentuées, les autorités sont
devenues de plus en plus hostiles envers les médias. Le parti au pouvoir a attaqué la presse et
la société civile, qui étaient jusqu’à récemment encore des critiques bruyantes et importantes
dans le pays.
7
Plusieurs incidents illustrent la détérioration des relations entre le gouvernement et la presse.
Le 17 avril 2006, lors d’une conférence de presse donnée par le député Mathias BASABOSE,
30 journalistes ont été arrêtés par la police et l’un d’entre eux a été battu. Le 31 mai 2006, le
journaliste Aloys KABURA a été arrêté à Ngozi pour avoir critiqué la façon dont le
gouvernement a réagi à cet incident.8
En août, le gouvernement a fermé l’antenne locale de la Radio publique africaine (RPA) à
Ngozi et, en novembre, trois autres journalistes ont été arrêtés en raison des rapports qu’ils ont
faits de l’allégation de coup d’État.
Certains représentants du CNDD-FDD ont adopté une attitude agressive envers la presse. En
septembre 2006, les stations de radio locales Isanganiro et RPA ont reçu des menaces de mort
et plusieurs journalistes ont fui le pays.
Deux journalistes de la RPA, Serge NIBIZI, rédacteur en chef et de Domitile KIRAMVU
journaliste ont été inculpés et incarcérés à la prison centrale de Bujumbura le 22 novembre
2006. Le directeur de la radio Isanganiro, Mathias MANIRAKIZA, sera incarcéré à son tour
le 29 novembre 2006. 9
Les trois journalistes ont été acquittés ce 3 janvier 2007 par le Tribunal de Grande Instance de
la Mairie de Bujumbura. Domitille KIRAMVU et Serge NIBIZI auront ainsi passés 44 jours
dans la maison de détention de Mpimba, Mathias MANIRAKIZA y aura passé 37 jours.
Les lois relatives à la presse sont vagues quant aux infractions pour lesquelles les journalistes
peuvent être inculpés, ce qui donne une grande marge de manœuvre au gouvernement.
Le gouvernement a également visé certains membres de la société civile. En mai 2006,
Térence NAHIMANA, dirigeant d’une ONG locale, a été arrêté pour menace à la sûreté de
l’État après avoir averti que le gouvernement pourrait aider le Rwanda et l’Ouganda à réenvahir le Congo.
Peu après l’annonce du coup d’État, Gabriel RUFYIRI, Président de l’ONG Observatoire de
lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), qui avait publié de
nombreux rapports critiquant le gouvernement pour détournement de fonds et corruption, a
été arrêté pour diffamation.10
Les autorités ont abusé de leur pouvoir de détention provisoire qui, selon le code pénal,
autorise le pouvoir judiciaire à détenir des suspects de façon indéfinie pour des abus mineurs.
C’est ainsi que NAHIMANA et RUFYIRI ont été détenus. Un expert pénal international
estime que plus de 70 % des prisonniers sont en détention provisoire.
8
Amnesty Internationale AFR 16/010/2006 - BURUNDI : Aloys Kabura (h), journaliste de l’Agence burundaise
de presse (ABP) - Londres, le 27 juin 2006
9
RSF : 29.11.2006 - Le directeur de Radio Isanganiro incarcéré, trois journalistes sont désormais en détention
préventive à la prison de Mpimba
10
Amnesty International - AFR 16/018/2006 – BURUNDI : Gabriel Rufyiri (h) Prisonnier d’opinion / Craintes
de torture ou de mauvais traitements / Harcèlement / Intimidation - 15 novembre 2006
8
Violations de la Constitution
La Constitution du Burundi a été martyrisée, piétinée par le pouvoir CNDD-FDD. Les articles
violés ne se comptent plus, entre autres celui traitant de la laïcité de l’Etat : le chef de l’Etat
proclame à l’envie, qu’il est, non pas l’élu des Burundais, mais celui de Dieu.
La version originale des lois doit être en Kirundi. Or pendant longtemps cette disposition de
l’article 5 a été a été délibérément ignorée.
Le droit à la vie proclamé par l’article 24 a été à maintes reprises piétiné : des tueries ont été
perpétrées par les services de sécurité et restent impunies à ce jour. La torture, prohibée par
l’article 25, a été pratiquée à grande échelle, sur des centaines de personnes arrêtés en vue de
leur arracher des aveux, ou simplement par pure méchanceté.
La liberté d’expression, garantie par l’article 31 a aussi été bafouée : des journalistes, des
personnalités politiques, et même des députés ont été menacés, persécutés, emprisonnés ou
ont subi des agressions armées pour avoir exercé leur droit d’expression.
Les attaques à la grenade synchronisées, la nuit du 19 au 20 août 2007, contre les domiciles
des personnalités ayant adressé une lettre au chef de l’Etat le 17 août 2007, est encore dans
les mémoires.
La liberté de réunion et d’association, consacrée par l’article 32 a également subi de graves
restrictions : les partis de l’opposition, le CNDD et le FRODEBU notamment ont vu
régulièrement leurs réunions interdites ou perturbées par la police ou des gouverneurs sur
instruction expresse de la hiérarchie du parti au pouvoir.
La permanence du CNDD a été cambriolée en présence d’agents de police de la
Documentation en toute impunité. Tout aussi piétinée est l’article 69 qui interdit la corruption
et la dilapidation des biens publics.
Quant à la déclaration écrite des biens et patrimoines de l’exécutif à la cour suprême prescrite
par l’article 94, elle a été délibérément retardée, le temps nécessaire pour certains de garnir
illégalement leurs comptes et d’agrandir leur patrimoine.
En outre, le Président de la République a bien souvent oublié son rôle de garant de l’unité
nationale, de la Constitution et du bon fonctionnement des institutions (article 95), ainsi que
les incompatibilités liées à ses fonctions de Président de la République (article 100) : en
présidant un conseil municipal, en menant une campagne d’évangélisation religieuse, en
entretenant une équipe de football dont il est apparemment le capitaine.
Par ailleurs, l’article 131 prescrit la conduite de la politique nationale par consensus en
Conseil des ministres. Or, le chef de l’Etat prend souvent des décisions qui ne sont ni mûries
ni concertées : suppression de certaines taxes alors que “la définition de l’assiette et du taux
des impôts et taxes” est du domaine de la loi (article 159 alinéa 5), des finances notamment
(article162) ; destitution impromptue de fonctionnaires sans aucune procédure conforme au
code du travail ; promesses d’augmentation de salaires, de construction de barrage ou
d’aéroport, gratuité de la scolarité primaire et des soins de santé de certaines catégories, etc.
9
L’autre disposition constitutionnelle malmenée est celle relative à l’immunité des députés
(article150) : certains d’entre eux ont vu leur immunité levée irrégulièrement, les motivations
d’une telle entorse étant dans l’intolérance politique.
Par ailleurs, le congrès du Parlement, destiné à “Evaluer, tous les six mois, la mise en
application du programme du Gouvernement” (alinéa 5 de l’article 163) a été tout simplement
escamoté, de même que le droit des députés et sénateurs de poser des questions orales ou
écrites au gouvernement (article 202). De connivence avec le gouvernement les bureaux du
Parlement ont mis les ministres à l’abri de questions qui auraient pu éclairer l’opinion et
probablement embarrasser les intéressés.
L’impartialité et l’indépendance du pouvoir judiciaire prescrites par l’article 209 sont
aléatoires. Le parti au pouvoir, les membres du gouvernement, les gouverneurs des province
et même la police Présidentielle sont habitués soit à contrecarrer les décisions de justice, soit à
les téléguider, à brouiller ou invalider les enquêtes judiciaires etc.
Blocage des négociations avec le PALIPEHUTU-FNL
Le processus de négociation entre le gouvernement démocratiquement élu du Burundi et le
PALIPEHUTU-FNL a été particulièrement difficile à mettre en place.
Alors que dans les derniers mois de la période de transition, les discussions entre le
gouvernement du Président NDAYIZEYE et le PALIPEHUTU-FNL avaient connu quelques
avancées, elles ont été brutalement interrompues après la victoire électorale du CNDD-FDD
et l’arrivée de NKURUNZIZA à la présidence.
Derrière les appels à la discussion, le gouvernement dominé par le CNDD-FDD a opté pour
une solution militaire et cherché à obtenir une reddition sans condition du mouvement rebelle.
Suite à une forte pression de la communauté internationale et de la sous-région, exercée à la
fois sur le gouvernement et sur un PALIPEHUTUFNL affaibli militairement, un accord de
cessez-le-feu a finalement été signé le 7 septembre 2006.
Cet accord, purement technique, s’apparente toutefois plus à un accord de reddition qu’à un
véritable accord de paix. Le cessez-le-feu est globalement respecté mais les dispositions de
l’accord concernant le cantonnement et la démobilisation des éléments des FNL s’avèrent
pratiquement impossibles à mettre en oeuvre. Près d’une année après la signature de l’accord
de cessez-le-feu, la paix, recherchée entre le gouvernement et le PALIPEHUTU-FNL, n’est
toujours pas en vue.
N’ayant rallié que tardivement le processus d’Arusha, le CNDD-FDD ne considère pas que
son gouvernement soit tenu de tout mettre en oeuvre pour amener le dernier mouvement
rebelle à négocier ou encore à maintenir un consensus politique interne. À l’inverse, il affirme
que les élections de 2005 ont conféré une légitimité indiscutable au nouveau pouvoir et
disqualifié, non seulement, les prétentions des partis d’opposition à peser sur l’agenda
politique, mais aussi les demandes du PALIPEHUTU-FNL, en matière d’intégration dans les
corps de défense et de sécurité et les institutions politiques.
Pour le CNDD-FDD, les demandes de garanties écrites exprimées par le PALIPEHUTU-FNL,
en termes de postes à responsabilités politiques et de modalités d’intégration au sein des corps
de défense et de sécurité, ne sont pas recevables. Il n’est pas question de parler de garanties ni
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de s’engager avec le PALIPEHUTU-FNL sur le terrain de négociations politiques, car elles ne
sont, selon lui, pas réclamées par le mouvement rebelle mais par des membres de l’opposition.
Division au sein du CNDD-FDD et crise institutionnelle
Depuis sa création en 1995 par Léonard NYANGOMA, le CNDD a connu de nombreuses
divisions, des purges et des changements des équipes dirigeantes des différentes ailes. C’est
en 1998 qu’une tentative de remplacé Léonard NYANGOMA de la tête du CNDD se solda
par la naissance du CNDD-FDD dirigé par Jean Bosco NDAYIKENGURUKIYE ; Il sera
congédié en 2001 lorsque NKURUNZIZA a pris la tête du parti, mais en réalité c’est Hussein
RADJABU qui a influencé ces changements car il jouissait d’un contrôle considérable sur les
armes et les finances du mouvement.
Au cours de la première année de pouvoir du CNDD-FDD, il a influencé les nominations de
dirigeants d’entreprises publiques, a effectué plusieurs voyages diplomatiques pour le compte
du Président et était considéré par les diplomates et par les autorités burundaises comme
l’une des personnes les plus influentes du pays.
Le parti au pouvoir étouffe de plus en plus un débat constructif au sein même de ses rangs,
empêchant ses membres de corriger les abus. Le 5 septembre 2006, la seconde vice-Présidente
Alice NZOMUKUNDA a démissionné du gouvernement, évoquant des “problèmes de
sécurité, le manque de respect de la loi, des problèmes de justice et dans la gestion des
finances”. Lors d’une conférence de presse, elle a cité RADJABU comme étant le principal
obstacle à la paix et au développement et a demandé son départ.
Il y a également eu des signes de mécontentement parmi ceux qui ont combattu pour le parti
lors de la guerre civile. Des officiers du CNDD-FDD intégrés dans les services de sécurité se
sont plaints de leur condition. Alors que certains de leurs collègues démobilisés ont obtenu
des postes dans l’administration locale et au Parlement, ceux qui sont restés dans l’armée sont
mal payés et se sentent négligés. En mars 2006, un remaniement du cabinet a permis de
promouvoir certains de ces dirigeants et les traitements de l’armée ont été augmentés de façon
significative. Le mécontentement dans l’armée se serait apaisé depuis lors.
Comme à l’époque de la rébellion dont il était le véritable chef politique, RADJABU a été en
effet tout au long des années 2005 et 2006 le véritable chef du gouvernement, en lieu et place
du Président NKURUNZIZA. Jusqu’à son éviction de la tête du parti, le 7 février 2007, c’est
Hussein RADJABU qui impose ses vues sur de nombreux dossiers, décide des nominations et
de l’attribution de marchés publics, donne des ordres au gouvernement par voie de conférence
de presse, engage l’action diplomatique du Burundi et va même jusqu’à présider, avant
chaque conseil des ministres, une réunion préparatoire d’harmonisation entre les ministres du
CNDD-FDD, en présence du NKURUNZIZA.
Le 8 février 2007, le Président NKURUNZIZA démet de ses fonctions Mme Marina
BARAMPAMA, seconde vice-Présidente de la République. Mme BARAMPAMA avait
refusé de participer au congrès de Ngozi. Proche de RADJABU, elle avait été élue à ce poste
au lendemain de la démission de Mme Alice Nzomukunda.
Le 12 février, NKURUNZIZA procède à un remaniement ministériel dont il écarte les
membres réputés proches de RADJABU comme le ministre du plan, Jean BIGIRIMANA et le
ministre de l’Information Karenga Ramadhani. Le 27 février, la vice-Présidente du Sénat,
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Yolande Nzikoruriho, elle aussi proche de RADJABU, est remplacée par Anatole
MANIRAKIZA.
Le 16 mars, la Présidente pro-RADJABU de l’Assemblée nationale, Immaculée NAHAYO,
subit un vote de censure de la part des députés et doit céder la place à Pie
NTAVYOHANYUMA. Le 27 avril, le bureau de l’Assemblée lève l’immunité parlementaire
de RADJABU placé, le jour même, en détention. Il lui est notamment reproché d’entretenir
une milice, d’avoir distribué des armes à la population et de vouloir organiser un coup de
force contre le gouvernement.
Plusieurs membres du CNDD-FDD doivent toute leur carrière ainsi qu’une partie de leurs
ressources financières à Hussein RADJABU. La plupart des avoirs du parti se trouvent à son
nom ou au nom de certains de ses fidèles. Bien que critiques à l’égard de la dérive autoritaire
que connut le parti sous RADJABU, de nombreux membres du CNDD-FDD lui expriment
toujours leur fidélité, nostalgiques notamment de son sens du commandement.
Le CNDD-FDD n’a pas achevé sa mue d’un mouvement de rébellion en un parti politique
démocratique et de gouvernement. Les dirigeants du mouvement ont conservé de l’époque du
maquis des réflexes autoritaires qui ne facilitent pas les progrès dans les négociations. La crise
interne que connaît le CNDD-FDD depuis l’éviction de Hussein RADJABU de la tête du parti
a débouché sur une véritable crise institutionnelle.
Le même état d’esprit, marqué par un manque de pragmatisme et une peur manifestement
excessive de se faire flouer par la partie adverse, inspire la gestion maladroite par la
présidence de la crise ouverte au Parlement. Après la mise à l’écart de RADJABU de la tête
du CNDD-FDD, NKURUNZIZA écarte systématiquement les personnalités connues pour
leur fidélité à l’ancien Président du parti.
Le CNDD-FDD-NKURUNZIZA contrôle aujourd’hui la présidence, le plus grand groupe
parlementaire, l’administration publique et parapublique, l’administration territoriale, la
diplomatie et la plupart des postes de direction dans l’appareil de sécurité.
Ces décisions ont provoqué une crise profonde au sein du parti. À partir du 7 mars 2007, dixneuf députés du CNDD-FDD, fidèle à Hussein RADJABU, décident de se désolidariser du
reste du groupe parlementaire CNDD-FDD et de voter désormais avec les députés de
l’opposition à l’Assemblée nationale.
Même s’il peut encore espérer rallier, par le jeu des alliances, plus de la moitié des voix à
l’Assemblée et au Sénat, NKURUNZIZA se retrouve, en pratique, dans l’incapacité de faire
adopter ses textes.
En effet, en application des mécanismes constitutionnels spécifiques mis en place dans la
suite des accords d’Arusha afin d’éviter qu’une minorité ethnique ou politique ne soit
marginalisée, l’Assemblée nationale et le Sénat ne peuvent délibérer que si les deux tiers de
leurs membres sont présents. Par ailleurs, les lois doivent être votées à la majorité des deux
tiers des députés ou des sénateurs présents ou représentés.
Le FRODEBU, l’UPRONA le CNDD de Léonard NYANGOMA et le CNDD-FDD aile
RADJABU sont ainsi en mesure de bloquer l’adoption des lois ainsi que les nominations aux
plus hautes fonctions de l’État.
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Comme l’y autorise l’article 129 de la Constitution, le FRODEBU, l’UPRONA et le CNDDFDD RADJABU, posent comme condition à leur retour dans l’hémicycle, l’intégration de
leurs membres dans le gouvernement et les différentes administrations.
Plus grave, il semble que certains députés soient prêts à joindre leurs voix pour s’engager
dans une manoeuvre visant, dans un premier temps, à changer le bureau de l’Assemblée
nationale afin d’y placer à la tête un Président opposé au Président de la République, voire
dans un deuxième temps, d’entamer une procédure de destitution du Président pour haute
trahison.
Cette idée a été avancée par plusieurs députés début juin 2007, mais l’engagement d’une
procédure pour haute trahison est toutefois pour l’heure difficile à mettre en oeuvre. Elle
nécessite en effet, en application de l’article 163 de la Constitution, d’obtenir un vote à la
majorité des deux tiers de l’Assemblée nationale et du Sénat, réunis en congrès.
Face à cette situation, certains conseillers du Président caressent l’idée d’une solution
beaucoup plus radicale, visant à aggraver la situation sécuritaire de façon à pouvoir justifier le
recours à des mesures d’exception. L’idée serait de provoquer une paralysie totale du
Parlement et de laisser se multiplier les incidents avec les FNL sur le terrain de façon à
pouvoir, ensuite, justifier la mise en oeuvre de l’article 115 de la Constitution et permettre au
Président de légiférer par décret. NKURUNZIZA serait libre de faire usage de ces pouvoirs
exceptionnels pour une durée indéterminée, aucune instance n’ayant la possibilité de le
contraindre à mettre un terme à cette période d’exception.
Président dépensier
Grand amateur de football et fervent chrétien, le Président NKURUNZIZA se rend
régulièrement sur le terrain, se montre très proche de la population et fait preuve de largesses
lors de ses déplacements. La presse a fait état de libéralités de l’ordre de 750.000.000 Francs
pour des écoles, des hôpitaux, pour son parti.
Par ses campagnes d’évangélisation, ses prières en cours de semaine, ses rencontres
hebdomadaires avec les confessions religieuses suivies de prières, suite à sa déclaration selon
laquelle il n’a pas été élu par les Burundais mais par Dieu, le Président NKURUNZIZA
inquiète en matière de laïcité de l’Etat. Cette inquiétude est redoublée du fait de la prise en
charge des chorales qui chantent au Palais de la république et parce que le chef de l’Etat paie,
avec le budget de l’Etat, les loyers et l’alimentation de ses chorales, ainsi que les frais de
mission lorsqu’elles sont appelées à se déplacer pour des prières.
Le Président NKURUNZIZA prend en charge une équipe et école de football. L’équipe se
déplace parfois quand il effectue une mission à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. En mission
au Rwanda, il était accompagné par cette équipe qui a livré un match à Kigali.
Le Président NKURUNZIZA a, au cours du congrès du parti CNDD-FDD tenu à Gitega du
23 au 24 décembre 2006, gratifié sa formation politique d’un montant de 250.000.000 Francs.
D’après le communiqué qui a rapporté cette rencontre, il a affirmé que ce montant provenait
de ses propres économies.
L’éviction de RADJABU de la tête du CNDD-FDD, lors du congrès de Ngozi du 7 février
2007, ne permet toutefois pas d’obtenir un changement de position du gouvernement. En
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effet, sa mise à l’écart crée plutôt un véritable vide de direction politique et rend la situation
beaucoup plus confuse. Cela incite en retour le gouvernement à durcir encore un peu plus ses
positions et à refuser toute nouvelle concession, de peur que ses adversaires politiques ne
puissent en profiter.
L’absence de leadership du Président NKURUNZIZA apparaît, en effet, au grand jour. Le
Président consulte principalement les principaux chefs militaires issus de la rébellion, dont le
soutien a été capital lors de la mise à l’écart de RADJABU.
Il s’agit de Adolphe NSHIMIRIMANA (directeur du SNR), Evariste NDAYISHIMIYE
(ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique), Silas NTIGURIRWA (secrétaire exécutif
du DDR), Godefroid NIYOMBARE (chef d’État-major général adjoint de la force de la
défense nationale) et Guillaume BUNYONI (directeur général de la police nationale).
Du côté des civils, aucun conseiller ne semble avoir l’oreille du Président pour l’amener à
aborder les débats avec les opposants, que ce soit avec les partis de l’opposition ou bien
encore avec le PALIPEHUTU-FNL, dans un esprit de confiance et la recherche d’un intérêt
mutuel bien compris.
Des relations internationales tendues
La communauté internationale a joué un rôle essentiel pour maintenir le processus de paix sur
les rails. Ses relations avec le Burundi se sont cependant détériorées lorsque le gouvernement
a clairement annoncé qu’il n’accepterait pas une “interférence” étrangère dans les affaires
intérieures du pays, même si les bailleurs de fonds fournissent 60 % du budget national.
L’Union européenne et l’ONU sont préoccupées par les actes de torture et les abus des Droits
de l’Homme commis dans le pays et le ministre des Affaires étrangères belge, Karel DE
GUCHT, a averti l’Assemblée générale des Nations unies le 20 septembre 2007 : “la réaction
du gouvernement envers la presse et l’opposition, de même que la gestion des affaires
publiques, mettent en péril l’évolution de la démocratie”.
Des problèmes de gouvernance ont empêché la communauté internationale de verser la plus
grande partie de son aide financière. En janvier 2006, le gouvernement a demandé à
l’Opération des Nations Unies de quitter le pays et à l’ONU de limiter son action au secteur
du développement. En août 2006, il a fait pression sur Nureldin SATTI, chef de l’ONUB par
intérim, pour qu’il parte sous prétexte qu’il avait outrepassé son mandat. L’ONU a refusé de
rappeler Satti et a négocié pour qu’il reste jusqu’en décembre, lorsque les dernières troupes de
l’ONUB partiront. La mission de maintien de la paix s’est alors transformée en un bureau
intégré (BINUB) chargé de coordonner le travail de toutes les agences de l’ONU. Ce bureau
disposera toujours d’une section chargée des affaires politiques mais son mandat portera
surtout sur le développement.
Conclusion
En dépit de progrès notables dans le cadre du processus de paix ces trois dernières années, la
situation politique au Burundi reste fragile. Au cours de ses deux ans de pouvoir, le CNDDFDD a utilisé les institutions publiques (notamment les services de sécurité, les entreprises
publiques et les tribunaux) pour consolider son pouvoir, souvent au mépris de l’État de droit
et des Droits de l’Homme.
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L’attitude conquérante du CNDD-FDD aura des conséquences négatives. Premièrement, elle
compliquera la mise en oeuvre de l’accord de cessez-le-feu signé avec le FNL. Si l’objectif
des rebelles est de devenir un parti politique capable de rivaliser avec le parti au pouvoir lors
des élections de 2010, ils auront besoin d’un certain espace de liberté sur la scène politique.
Deuxièmement, ceux qui ont été exclus du pouvoir économique et politique pourraient être
tentés de recourir à la force pour nuire au gouvernement. Dans un pays pauvre qui compte
presque 50000 miliciens et soldats démobilisés et dans lequel on attend le retour de plus de
500000 réfugiés au cours des prochaines années, un regain de violence est à craindre.
La crise politique dans laquelle se trouve le Burundi tire son origine de la dérive autoritaire
puis de la fracture interne survenue au début 2007 au sein du CNDD-FDD. Les partis
politiques, connaissant les difficultés du parti au pouvoir à négocier des compromis et le
manque de leadership du Président NKURUNZIZA, ont cherché à pousser leur avantage au
maximum et à exploiter les différents scandales de corruption mis à jour, depuis plusieurs
mois, au sommet de l’État.
Leur comportement n’a rien de surprenant en démocratie, notamment dans le contexte d’une
négociation avec un gouvernement qui a perdu sa majorité et qui doit faire des concessions
pour retrouver sa capacité à faire voter les lois au Parlement.
Le gouvernement du CNDD-FDD et certains des généraux les plus influents au sein du parti
doivent admettre que des partis d’opposition comme le FRODEBU, l’UPRONA ou le CNDD
de Léonard NYANGOMA sont pleinement dans leur droit lorsqu’ils refusent de voter
certaines lois – c’est même le propre d’un groupe d’opposition au Parlement – ou encore
lorsqu’ils cherchent à faire entrer les membres qu’ils ont choisi au sein du gouvernement.
Mais si par contre, le parti au pouvoir continue sur cette lancée autoritaire, il risque de
déclencher des troubles violents et de perdre les acquis du processus de paix au Burundi.
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