L`auto-stoppeuse

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L`auto-stoppeuse
L’AUTO-STOPPEUSE
(elle entre avec un sac à dos et en s’abritant sous un parapluie) (elle a un air maussade)
C’est chouette le stop, hein ?
(elle regarde passer une voiture en levant le pouce) « Abruti ».
J’sais pas ce qu’ils ont aujourd’hui. Ha … En voilà une qui s’arrête.
(elle se penche à la vitre d’une voiture) Il est pas mal, le mec. « Vous voulez un renseignement ?
Hein ? Comment on fait pour aller à Cannes ? Ça tombe bien, beau brun, on y va aussi. On va vous
guider ».
(elle fait semblant d’ouvrir la portière) « Ah bon ? Vous ne prenez jamais de passagers mouillés,
pour ne pas salir la moquette ? »
(elle claque la portière) « Alors t’as qu’à demander à un flic, abruti
». (elle fait un bras d’honneur en regardant la voiture s’éloigner) Là,
avec Charlotte, on va sur la côte d’Azur.
Figurez-vous que cette andouille a gagné à un jeu d’une radio de quartier. Le premier prix, s’il vous
plait. 15 jours à Cannes pour deux au mois de juillet. Oui madame. Pas dans un palace sur la
Croisette, faut pas exagérer non plus, mais au camping municipal, dans l’arrière-arrière pays. Autant
dire que pour venir draguer les milliardaires, faudra prendre le bus.
Y’a vraiment qu’elle pour gagner un prix aussi nullos. Elle devait être la seule auditrice, c’est pas
possible, ou alors les autres se méfiaient. Ils n’ont pas voulu répondre.
(elle soupire) D’habitude, quand je fais du stop ça marche bien. Un corsage échancré, un sourire
enjôleur et en 5 minutes, en avant l’aventure. Mais avec Charlotte … quel boulet. C’est sûr que j’ai
pas mis toutes les chances de mon côté, moi.
(Elle désigne un coin de la scène) Non mais regardez-la en train de faire du stop. Ça fait dix fois que
je lui dis qu’on le fait avec le pouce (stop) … pas avec le majeur (doigt d’honneur). C’est sûr que
comme ça on n’est pas prêt d’arriver. Heureusement qu’on n’a pas croisé de voiture de flics, parce
que les vacances, on les passait au commissariat et pas en galante compagnie, moi, j’vous l’dis.
(Elle s’assoit sur son sac à dos)
Quelle idée de faire du stop avec elle.
Figurez-vous que la semaine dernière, en arrivant au bureau, elle me dit.
(en faisant la voix de Charlotte) « Devine ce que j’ai gagné ? »
« J’sais pas. Une greffe de cerveau ou une teinture en brune ? » Que j’lui réponds.
(voix de Charlotte) « Qu’est-ce que t’es drôle. Non, quinze jours de vacances à Cannes. Qu’est-ce
que tu fais, toi ? »
« Ben j’avais prévu d’aller dans la Creuse chez mes cousins ».
(voix de Charlotte) « Tu vas t’emmerder là bas. Tu viens avec moi ? »
Tu parles. Passer quinze jours dans un palace, sur la croisette, à draguer des milliardaires plutôt que
de les passer au cul des vaches, comment que j’ai accepté. J’pouvais pas deviner que ce n’était pas
vraiment un palace et que ce n’était pas non plus la Croisette.
« Tu as les billets ? » que je lui demande.
(voix de Charlotte) « Ils font pas partie du prix ».
« Je m’disais aussi qu’il y avait un piège. Tu les achètes ? »
(voix de Charlotte) « Tu rigoles. On y va en stop » qu’elle me répond. « C’est plus sympa ». C’est
comme ça que je me retrouve sur l’autoroute du soleil … sous la pluie, avec Charlotte, en train
d’essayer d’apitoyer des demeurés pour nous emmener sur la côte d’Azur. (elle se lève) « Attends
Charlotte. Je vais te montrer comment on fait du stop. ».
(elle lève le pouce) « Et voilà, y’en a un qui s’arrête, pas plus difficile que ça. Je t’ai dit que le stop,
ça se fait comme ça (stop) et pas comme ça (doigt d’honneur) ».
Merde … Mais il repart … Attendez … C’est pas pour vous, J’montrais à Charlotte.
(elle crie) « Enfoiré ».
(à Charlotte) « Oui bon, ça va. Je vais en trouver un autre ».
« Ha … j’en vois une qui ralentit … C’est bon signe ».
(elle regarde ses chaussures. elle crie) « Dis-donc le taré. Il pourrait pas vider son cendrier ailleurs
que sur mes pompes ? »
(elle regarde la voiture s’éloigner).
« Et il m’a éclaboussé en plus »
(elle crie en lui faisant un doigt d’honneur) « Pauv’con »
(d’un ton agacé) « Bon, Charlotte. Va te planquer derrière un arbre et laisse-moi faire ».
(elle dégrafe son corsage, relève sa jupe, met sa jambe en avant et tend le pouce) (Quelques
secondes)
Et voilà le boulot … Une 2 CV, d’accord, mais c’est déjà ça.
(elle crie) « Charlotte … viens … le carrosse est avancé ».
(elle se penche à la vitre)
« On va à Cannes »
« Quoi ? Pour niquer on n’est pas obligé d’aller si loin ? »
(elle se tourne vers le public) Quelque chose me dit qu’il-y-a un malentendu.
(elle regarde par la vitre) « Non on ne fait pas de réduction pour les chômeurs, et non on ne pratique
pas la brouette de Zanzibar. On se contente de faire du stop ».
« Ah ? Vous m’aviez prise pour une pute ? Y’en a beaucoup sur cette route ? »
Mais je vais lui casser la gueule.
(Elle donne un coup de pied dans la portière) « Va te faire foutre, saligaud ».
(elle se tourne vers Charlotte)
« Bon … Ben, ras-le-bol du stop. ».
(quelques secondes)
« C’est ça, Charlotte. Continue à faire des doigts d’honneur. Moi je préfère prendre le train à la gare
d’Austerlitz pour aller dans la Creuse ».
(elle fait quelques pas et se retourne) Ouahhhhh, une décapotable qui s’arrête et Charlotte qui monte
dedans.
(elle court vers le centre de la scène) « Attendez … J’arrive ».
« Quoi ? Vous ne voulez pas ? Vous prenez pas les moches ? ».
Mais je vais le défoncer, ce fumier.
« Descends, Charlotte … descends … Et ne me fais pas de doigt d’honneur … D’ailleurs un doigt
d’honneur ça se fait pas comme ça (stop) mais comme ça (majeur : doigt d’honneur) … (elle crie)
Bande d’enfoirés ».
Bordel … Y’a une voiture de flics qui s’arrête.
(elle se penche à une portière) « Moi ? Je vous ai fait un doigt d’honneur en vous traitant d’enfoirés
? (elle rit jaune) C’est un malheureux concours de circonstances, j’vous assure … J’adore la police
… Oui, oui … Je vais vous l’expliquer au commissariat ».
(elle marche, les deux mains en avant, comme si elle était menottée) « Et après, vous pourriez pas
me déposer à la gare d’Austerlitz ? J’vais dans la Creuse ».