MEDIAS, JEUNESSE ET SOCIETE : DES USAGES ET DES ADULTES
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MEDIAS, JEUNESSE ET SOCIETE : DES USAGES ET DES ADULTES
MEDIAS, JEUNESSE ET SOCIETE : DES USAGES ET DES ADULTES Par Agnès Pecolo : maître de conférence à l’université Bordeaux III INTRODUCTION Les médias parce qu'ils participent à la fois à des processus idéologique et sociologique, de consommation et de socialisation, ne s‘approchent jamais de manière linéaire. Ils interrogent toujours la société dans ses culture et morale mais aussi dans ses rapports à la technique et à l ’ économique. En appliquant leur étude au champ de la jeunesse, c’est, de plus, les images et statuts des enfants et des jeunes qu’on interpelle. On imagine dès lors la complexité de l’entreprise… Face aux médias,la diabolisation est une démarche aussi stérile que fréquente, qui raisonne à coup de victimes passives, de pratiques et contenus indésirables à censurer, de lancée de chiffres aussi terrifiants que médiatisés. Bref une pensée menaçante un peu courte qui oublie les multicausalités et les nuances pour préférer les approches simplistes mais très répandues cependant dès lors que l’ on parle de violence – pornographie –blogs…. Les médias ont, et ce depuis leur naissance, été abordés en priorité sous l'angle de leurs effets. A chaque nouvelle apparition (presse populaire, cinéma, BD, radio, télévision, jeux vidéo, Net, …) on s'inquiète des répercussions sur le public avec une interrogation plus spécifique sur le public "Jeune", supposé plus fragile et particulièrement démuni.La jeunesse est facilement l’objet d’inquiétudes morales mais le label "protection de l'enfance" est aussi bien pratique pour défendre, sous couvert de responsabilité collective, des valeurs, jugements moraux et culturels, bien adultes. Notons que ces "cibles" jeunes reconnues comme imprévisibles et méfiantes par le milieu du Marketing, deviennent souvent, pour le milieu éducatif, des victimes vulnérables : autres champs, autres enjeux, autres représentations… Des médias et des effets : théories et méthodologies Commençons donc par regarder les médias par le petit bout de leurs « effets » Trois écoles traditionnelles cohabitent dès lors qu'il s'agit d'aborder la problématique des effets. Le modèle précurseur, symbolisé par la figure de la "piqûre hypodermique", modèle dit béhavioriste, présuppose un récepteur passif qui intègre directement le message diffusé. On fait abstraction de toute notion environnementale pour analyser "in-vitro" la relation message/ sujet. Cette perception, dominante au début d'un siècle qui découvre inquiet l'arrivée des mass-médias, perdure aujourd'hui lorsque l'on imagine qu'un dessin animé ou un film de cinéma, suffit, par mimétisme, à produire un ème effet direct et puissant. Pourtant ce schéma "mécanique" est bousculé dès la moitié du 20 siècle par l'école empirique qui, en glissant d'une étude des contenus à celle de la réception va mettre en avant l'idée d'effets limités (capacités de résistance et de sélection du public) et indirects (permanence de l'insertion des spectateurs dans des réseaux sociaux d'influence dont les fameux leaders d'opinion,). Cette idée d'une audience médiatique non acquise "a-priori" mais potentiellement actrice, va ouvrir la voie à ce qui constitue aujourd'hui notre quotidien : les études d'audience, seconde/seconde, profil/profil avec un leitmotiv : mieux connaître le public pour mieux le capter. La troisième école dite "critique", initiée par l'école de Frankfort, amène au devant de la scène une critique culturelle et idéologique des médias avec les concepts de manipulation et d'aliénation d'un public à nouveau perçu comme passif, de dissolution d'esprit critique et de nivellement culturel "par le bas". Ils initient une attaque virulente des systèmes médiatiques (production industrielle des biens culturels qui bafoue la culture) et de leurs contenus (endormir le peuple en l'abreuvant de messages séduisants "Barbarie douce"). Cette perception des Médias comme "opium du peuple" persiste aujourd'hui dans des écrits virulents qui attaquent notamment le système publicitaire. On peut conclure à une réelle "théorisation" des effets des Médias mais on peut tout autant retenir l'absence de théorie lumineuse et définitive qui permettrait de répondre sans détour à l'obsédante question : quels effets ? Il suffit en effet de visiter rapidement cette fois-ci les méthodes de recherche, pour comprendre qu'on ne peut mesurer et prévoir un impact une fois pour toute. Trois méthodologies classiques sont à aborder. L'étude en laboratoire qui consiste à diffuser des contenus, par exemple violents, et d'en constater les effets par exemple sur des enfants. Loin des conditions naturelles de réception, ces protocoles de recherche reposent sur une mise en condition, placent l'enfant en situation exceptionnelle et ne permettent en rien de présager l'effet à long terme, pas plus que de généraliser les résultats obtenus Les Analyses de contenu visant à repérer le "violent " ou « l'immoral » se confrontent quant à elles à l'arbitraire et la subjectivité de l'évaluation. Les grilles alors élaborées telle que la signalétique violence, faites par des adultes, ne préservent en rien la confrontation d'un enfant avec l'Image susceptible de le heurter car en écho avec ses histoires et sensibilité, toujours personnelles et bien sûr méconnues des évaluateurs. Là repose les limites de tout système de protection de l'enfance, sachant par ailleurs que les violences les plus visibles ne sont pas forcément les plus nuisibles.La violence d'une image ne peut se décréter a-priori mais a-posteriori. C'est pourquoi seule la perspective éducative (apprendre à l'enfant à se protéger) paraît pertinente. Enfin les études de terrain qui consistent à étudier le jeune dans son milieu (enquêtes familiales), prenant ainsi en compte le fondamental environnement de réception ; elles buttent cependant sur l'impossibilité d'isoler le facteur Média de tous les autres (personnalité, histoire de famille, contexte socioculturel, situation scolaire etc. ). Quelle part de responsabilité attribuer à la télévision par exemple, face à un comportement enfantin agressif ? Si l'on peut dégager des corrélations, ce ne seront jamais des liens de causalités assurés. On ne sort donc de ce débat qu'avec des "cela dépend" ,de l'enfant, du contenu, du contexte, façon polie de dire que l'on en sait rien, si ce n'est que le sur consommateur de télévision, l’addict aux jeux vidéo ou l'acheteur compulsif, restent des exceptions qui relèvent de troubles du comportement et/ou d'une pathologie familiale, quand bien même les médias "grand public" affectionnent les titres chocs sur le sujet (plus vendeurs). Aussi nous semble-t-il pertinent d’opérer un glissement de l’obsédante problématique des effets (que font les médias aux gens) à une étude des usages (que font les gens des médias), perspective amorcée en Grande Bretagne par ce que l'on nomme les "Cultural Studies" et qui consiste à aborder la réception dans ce qu'elle a d'actif. Les pratiques et représentations variées, les stratégies et schémas culturels familiaux multiples fonctionnent aussi dans le rapport aux médias . Les usages : un regard anthropologique Poser un regard anthropologique sur le quotidien, Ecouter le quotidien, c'est découvrir l'éclectisme des façons de faire et d'être avec les médias, les bricolages médiatiques, c'est réaliser que les débats médiatisés traduisent bien plus les craintes et angoisses d'une société qu'une réalité sociale toujours complexe ,mouvante , variée et en ce sens passionnante à entendre : On découvre alors la TV telle qu'on la parle et non plus seulement telle qu'on "l'audimate", qu'il est irréel aujourd'hui d'opposer schématiquement Mr.ou Mme Voici et Mr ou Mme. Monde diplomatique car émergent ce que B.Lahire nomme des dissonances culturelles.Les usages nous apprennent que les écrans peuvent informer, enrichir un individu curieux et peuvent enfermer et conditionner un individu peu socialisé. Ils sont le plus souvent du côté de la reproduction et de l’amplification de l’existant. Illustrons cette approche avec trois exemples concernant la jeunesse Décryptage d’une génération très très marquée : Nul doute que les adolescents aient les qualités idéales pour l'univers publicitaire et plus loin marchand.Les spécificités du Marketing jeune viennent des spécificités des jeunes qu'il prend soin d'étudier dans leurs comportements, leurs codes, leurs modèles (à commencer par leur prise de distance vis à vis du monde éducatif pour préférer la fusion groupale) avec une première règle : devancer les tendances déjà démodées quand elles arrivent dans les grandes surfaces afin que l'on puisse renouveler, racheter… Le repérage et l'éclairage des consommateurs font émerger des "sociostyles" qui dépassent aujourd'hui les classes sociales pour retenir le critère âge (papy boomers, adonaissantes, adulescents…). Toutes ces études se retrouvent au moins sur un point : les ados (et plus loin, les enfants, les adultes, les humains) ne sont pas de disponibles cerveaux mais donnent au contraire du fil à retordre à toute personne ayant quelque chose à leur communiquer. On peut vouloir vider les cervelles, encore faut-il y parvenir, beaucoup d'entreprises ont voulu toucher cette cible "jeune" et se sont cassées les dents. La classique passivité du récepteur est à évacuer et si l'on se demande encore pourquoi on dépenserait autant d'argent dans la publicité si elle ne marchait pas, on peut objecter une autre question : pourquoi on dépenserait autant d'argent dans l'étude du consommateur si c'était si simple de le séduire. On ne peut qu'entendre bien sûr que les ados sont critiques et exigeants, volages et zappeurs et loin d'être dupes : "je sais que c'est stupide mais l'apparence joue un rôle considérable dans mon collège ». Le succès des jeux vidéos chez les garçons ne s'explique pas que par un bombardement réussi de publicités mais aussi et surtout parce qu'ils y trouvent leur compte, car ils correspondent à ce qu'ils sont (donnent du pouvoir au jeune qui n'en a pas encore - épreuves initiatiques et actes héroïques - agressivité et combat contre le grand méchant –transformations physiques) .Autant de propositions qui ne peuvent que plaire à un adolescent . Par ailleurs, la sphère du Marketing sait qu'il n'existe pas un ado mais des ados qui s'aiment en tribus. Rastas, skaters ou gothiques,on les repère grâce à des panoplies vestimentaires qui vont avec des panoplies culturelles faites de sport , musique et valeurs. Des tribus où l'on s'imite les uns les autres et d'où émergent des leaders et des suiveurs. Dont acte, le Marketing constitue ses viviers d'enfants leaders et d'ados dénicheurs de tendance (entendez dans le vent, experts question mode et désirs/goûts de leurs congénères), repérés par des adultes « chasseurs » qui s'immergent parmi eux. Il ne reste plus qu'à charger les leaders eux-même de promouvoir le produit, l'imitation et le conformisme font le reste. On peut retenir deux grandes orientations dans le marketing jeune. Le Marketing viral qui repose ,tout comme sur Internet, sur la contagion et le marketing tribal qui repose sur la proximité. On plonge parmi eux dans des lieux précis pour distribuer des échantillons (street Marketing), on parraine des manifestations qui les concernent et utilise le sponsoring "people" c'est-àdire l’utilisation de leurs stars comme supports. Les marques ont pris conscience qu'elles doivent être relationnelles,en connivence et communautaires, à l'image de leur cible. Elles puisent dans l'identité des tribus et en retour cultive cette identité car les marques ne représentent plus qu’un logo , mais un univers. Par les apparences, on communique quelque chose sur ses valeurs (reflet de l'âme) le prêt à porter est devenu le symbole de l'appartenance à un clan, le logo fait signe. Choisir sa marque c'est choisir son camp dans une logique de distinction.Le vêtement est vecteur de socialisation (il vient de l'Autre) et de discours (il va vers l'autre). Le Marketing de la mode exploite un premier fantasme de l'adolescence : la peur d'être rejeté.Sa recherche de normalité explique déjà son attachement au look. Deuxième exploitation commerciale : le défaut de l'estime de soi, un ado empêtré dans ses complexes et son corps en métamorphose qui va bien sûr donner une grande importance à sa tenue corporelle, à la mise en scène du corps et vivre comme un cauchemar les séances de piscine… Le vêtement est alors une transition entre le corps nu, intime, pas forcément accepté, qu'il cache, et le corps couvert, socialisé, qui donne à voir. La salle de bain (si longuement occupée par les ados) permet le passage de l’état de nature à l’état de culture. Cette mise en carapace de fortune concerne aussi le monde adulte, mais est plus marquée chez l’adolescent en recherche identitaire. Leur changement de look est à l’image de leurs tâtonnements et l’apparence vestimentaire est encore plus essentielle pour les jeunes en infériorité sociale pour qui les marques sont un sésame vital. Elle est enfin plus exacerbée aujourd’hui car l’univers médiatique en appuyant beauté et minceur, est peu aidant pour l’acceptation de soi. Ainsi émerge une certitude : la réalité d’une exploitation marchande des fondements de l’adolescence.Mais attention à ne pas en déduire mécaniquement des effets directs, automatiques et irréversibles sur la « cible » visée,une proposition ne fonctionne que si elle résonne. Génération loft : au delà des contenus, l’échange La relation entre les ados et les médias peut-être également observée non sous l'angle du matraquage/dépendance de contenus jugés futiles et débilisants (Télé-réalité, star'ac ou fun radio) mais sous l'angle des appropriations. Où l'on découvre que les mass-médias sont pris d'abord comme des supports de socialisation. Les objets culturels qui ne procurent aucun profit de sociabilité sont de moins en moins acceptés dans les cultures juvéniles. Le livre pour exemple est un bien faible support de discussion comparé à la TV (très féminine) les jeux-vidéo (très masculins) la radio (pour tous). Si la culture de masse est au cœur de leur culture c'est qu'elle fournit le matériau de l'échange quotidien. Cinéma,musique ou séries, dans le temps court et à fort renouvellement, permettent de s'ancrer dans la sociabilité des pairs car on en parle entre soi. Ils en digèrent les contenus moins par amour et fascination que pour pouvoir en discuter notamment sur le mode de la dérision. L’équation regarder une crétinerie rend crétin est toujours douteuse. Commenter, prendre parti c'est dire avec qui l’on est, on déclare et affiche des préférences culturelles car appartenir à un groupe c'est montrer qu'on en fait partie .Peu importent les goûts réels…des prêts à porter et des prêts à dire n’entraînent pas pour autant des prêts à penser, on peut simplement relever un effacement des individualités qui se taisent « en public ».On peut aimer Mozart ou lire Proust mais il vaut mieux connaître aussi le dernier tube à la mode et avoir vu le film qui fait l’actualité même si on le trouve « débile ». Ainsi émerge une culture juvénile imprégnée de culture de masse, dépassant l'appartenance aux milieux sociaux, une culture générationnelle qui trouve dans les médias matière à commenter et donc là aussi, à choisir son camp.On se doit comme le fait justement remarquer Dominique Pasquier de faire la différence entre la richesse ou la pauvreté d’un contenu et la richesse ou la pauvreté de l’échange qu’il suscite.Les médias comme fonction de reliance. Nous avons évoqué la perspective socialisante (souci d'assimilation et de différenciation) et celle plus psychologique (dans le rapport au corps et image de soi incertaine).Reste à voir celle communicationnelle… Génération blog : culture numérique à la loupe Reines de l'interactivité, les NTIC ne pouvaient que séduire des ados dans une culture du contact. Ces nouvelles formes de communication leur offrent une vie sociale en continu, sorte de prolongement de la cour de récré, on se quitte, mais on s'appelle… On maintient les liens dans la triangulaire jeune « FM-Mobile-Net » que Skyrock a si bien su cerner. Espace libre entre pressions familiale et scolaire, on ne se raconte plus seulement ce qui s’est passé à l’école mais aussi le soir sur le net. Force est de constater l'apparition de ce que Pascal LARDELLIER nomme des "Cyborgs", à savoir des ados branchés, chattant, bloguant, SMSant, téléchargeant et surfant grâce à leurs prothèses technologiques, laissant entrevoir une réelle mutation culturelle tant du côté médiatique (passage de la société Gutenberg /règne de l'écrit à la Galaxie Marconi /règne de l'image pour atterrir aujourd'hui dans la galaxie Gates /règne des TIC) que du côté des acteurs qui développent, en toute jeunesse, des compétences spécifiques (être là sans y être, être là et ailleurs).Une culture numérique, un nouveau rapport aux médias (la télévision devenant ringarde et le livre "lourd") et plus loin une autre façon de penser, d'écrire, de lire se profilent. On les appelle Génération-Média, histoire de bien souligner le décalage avec la génération précédente. Des "aînés" bien plus laborieux, qui développent un rapport sacralisé au livre quand les jeunes sont ,sans complexe ,branchés nouvelles technologies, autodidactes dans une culture du bidouillage. Blogs, Chats, portables, créent un univers parallèle, communautaire et virtuel au service de la conversation. SMS et MSN c'est d'abord les symboles de l’ado communiquant qui a trouvé dans ces techniques de nouveaux supports à leur traditionnelle sociabilité. Et si, en théorie, le Net ouvre la porte sur l'inconnu (communication rendue publique), il débouche le plus souvent dans la pratique sur l'entre soi, bien au chaud dans sa tribu, sur une sociabilité élective MSN participe à une téléphonie tribale et côté Blog, se brancher consiste souvent à faire le tour des Blogs des copains et à enrichir le sien. Les NTIC symbolisent également le passage à l'indépendance, la sortie du giron familial car il va de soi que les parents n'ont pas accès à cette existence parallèle et quand bien même, ils n'y comprendraient rien car écrire court et vite a généré une orthographe barbare qui facilite aussi l'exclusion adulte. L'appropriation immédiate par les ados du portable, véritable bijou précieux, et de ses textos, traduit bien l'émancipation qu'il représente par rapport au téléphone fixe sous contrôle des parents qui le prennent quant à eux pour un cordon ombilical rassurant. Génération mobile, ipod et podcasting vissés aux oreilles, on maintient la musique, la radio, les images. Quand ces pratiques sont solitaires, en lien avec la culture de la chambre, de la retraite ado ,elles visent toujours une compétence discutée avec les pairs et reconnue par les pairs. Notons que l’on retrouve dans ce champ des médias notamment à travers les pseudo, les coques et sonneries personnalisées, cette volonté de donner à voir de soi ainsi que l'existence de codes d'utilisation Tel portable, tel maître. Enfin la communication à distance, c'est la revanche des timides et des expressions intimes si contraintes dans le groupe, sous le regard des autres. Le virtuel permet les déclarations, autorise la confidence (très féminine au départ) inimaginable au collège. C'est toute l'intimité qui trouve sa place sans craindre d'être la risée des copains. Les Blogs, dans un mélange d'exhibitionnisme et de narcissisme, ne se révèlent que dans l'échange qu'ils suscitent. Les Blogs ado ne sont pas du côté du contenu mais de la relation. Ce que l'on attend, c'est le commentaire car évidemment le regard de l'autre est primordial à cet âge où l’on passe des heures à contempler son image fragile. Ainsi, le succès peut s'expliquer par une extrême adaptation de ces modes de communication aux métamorphoses de l'adolescence, une rencontre entre deux mutations (une technique et une humaine). Très à l'aise, ils jonglent entre les divers outils à leur disposition en fonction de la nature de la communication et du contenu, du statut de l'interlocuteur .Ils symbolisent l’impertinente émergence du métissage médiatique, de la co-production, d’une fréquentation à la carte et nomade. Culture de réseaux, elle préfigure les métamorphoses en cours, quand les sites et blogs, nouveaux forums romains, prennent le relais des débats démocratiques en lieu et place des mass-médias, élites et politique traditionnels. Ils sont à ce titre un véritable laboratoire des usages, des prescripteurs-conseils auprès des adultes démunis qui tirent (classiquement) la sonnette d'alarme quand ils ne maîtrisent pas. La fracture numérique semble en France être plus générationnelle que sociale. Pendant que l’on critique la forme de cette parole adolescente (crudité et pauvreté linguistique), on ne voit pas que circulent des mots à en saouler qui ne sont pas que des potacheries mais aussi des craintes, emballements et poésies. Qui a dit qu’ils n’avaient rien à dire ? Leur parole existe, même si elle est moins "cultivée". Si les cultures de masse et numérique ne sont parlées que dans la culture des pairs c'est aussi parce qu'elle n'est pas légitime pour la génération précédente, effrayée par l'image, empreinte des cultures classique et scientifique, crispée sur la lecture "noble" et aveugle à ce qui apparaît subrepticement : une désacralisation de l'écrit. Car ils lisent mais autrement, autre chose. Bernard LAHIRE pointe d'ailleurs une baisse de la foi en la culture littéraire. Ainsi dire que les jeunes sont "accros" aux médias ne renvoie pas à leur victimisation mais à leur adhésion à une autre culture des médias. Pour eux, moins soucieux de « bonne tenue » culturelle , ils ne sont pas "péchés", ils sont naturels, routiniers et pluriels et leur aptitude à la virtualité ne remplace aucunement leur attachement aux réseaux sociaux en chair et en os. Le but ultime est toujours la rencontre physique. On peut tout à la fois constater que l'univers de la réception est capable de recul et de défiance, de détournement et de perspicacité et dans le même temps critiquer des politiques et contenus médiatiques jugés orientés et formatés. L’approche critique : politiques et systèmes Pointer sans relâche les questions des sous représentations des minorités, des dessins animés manichéens ou des jeux vidéo dont le seul but est de tuer, de l'obsession du corps ou de l'hyper compétitivité comme norme… est une approche critique salvatrice mais qu’il est préférable d’assumer au nom de son éthique et non d’effets supposés. Refuser les représentations caricaturales (les banlieues abordées comme des zoos), l'élimination de tout ce qui ne correspond pas au conformisme du moment (évalué par les fameuses études quantitatives et qualitatives d'audience) relève d’une vision politique et citoyenne plus que d’une position scientifique. Les chercheurs critiques pointent depuis longtemps dans leurs officines ce que EX-monsieur TF1 a dit ouvertement, publiquement, cyniquement et avec excès : la connexion entre le champ de la culture et le monde économique. Marketing et culture : les liaisons dangereuses Une logique marketing appliquée aux produits culturels et plus loin à l'information dite « marchandise ». Une politique à court terme non pas au service d'une mission culturelle, d'un éclectisme revigorant mais de l'enfermement dans un toujours pareil, à savoir : ce qui marche. Le risque est devenu un gros mot, les objectifs prioritaires sont commerciaux (faire des millions) et non culturels, l'obsession : la rentabilité dans un cadre concurrentiel et publicitaire. L'interaction offre/demande n'en est plus une : il est clair que l'Audience est reine, la relation au public est de l'ordre de la séduction et non de l'éducation, la culture prend la couleur de la standardisation et l'écran violent tant débattu, l'est d'abord car l'écran est marchand. Best-sellers, tubes et block-busters, c'est ce que l'on nomme l'industrialisation de la culture, annoncée brillamment par E.Morin dans les années 60 et exacerbée aujourd’hui quand un film devient une excuse pour vendre du pop-corn bien plus rémunérateur. Notre société est dite de communication mais est aussi, surtout et encore, une société de consommation.Tous les champs du social sont concernés par la prégnance économique à commencer par celui de l'éducation où l'on peut repérer la montée d’une logique de rentabilité et des perspectives d'efficacité : tant dans l'offre où l'utilitarisme s'impose que dans le public étudiant qui ne vient pas pour un savoir mais pour un diplôme, qui s'abstient des cours où il n'y a pas de contrôle. Résultat , une consommation de l'éducation où la pensée humaniste et la raison positive sont remplacées par le dogme de l'entreprise et la raison instrumentale. Former de bons petits soldats au service de ce qui est et non de ce qui pourrait être. L'émergence du coaching est bien le signe d’une recherche d’une rentabilité comportementale, que l’humain doit lui aussi se modeler selon les exigences du marché. Un contexte hautement performatif dans lequel les parents finissent par être obsédés par des histoires de stratégie et rentabilité scolaires, obnubilés par la précocité de leurs petits, alimentant le marché (privé..) de la rassurance scolaire en pleine explosion ainsi que ,du coup, le secteur de la pédopsychiatrie chargé d’aider ces enfants-bulletins de note en pleines angoisse et blessure de l’échec. Des parents qui se confrontent par ailleurs au quotidien, non pas en pleine démission mais en plein désarroi, au harcèlement de leur progéniture né du harcèlement publicitaire. Il faut du courage pour s'opposer à son ado ou plutôt à la bande de son ado, qui refuse de "faire pitié" et réclame des fringues "trop classes". Il y a ceux qui craquent, à bout de nerfs et ceux qui résistent (j'ai nommé les ronchons/vieux schnocks) et haïssent les parents qui ont cédé, haïssent la société qui ne leur facilite pas la tâche. Face à leurs résistances, émerge tout un système consommatoire, une toile d'araignée d'une agressivité commerciale sans précédent dont on peut développer ici au moins trois aspects. Agressivité commerciale et électrochoc culturel Le premier est la déclinaison, l’univers des produits dérivés. Non content d'avoir des rentrées grâce à un film, on s'aperçoit que la déclinaison de produits annexes (vêtements, cassettes, disques, livres, brosses à dents, chaussettes…) est encore plus rémunératrice. Alors on encercle, c'est la SAGA STAR W AR.Les médias s’auto alimentent, un livre appelle un film, un film un jeu vidéo, la radio renvoie à un site qui conseille un magazine .L’ anneau plurimédiatique. Le deuxième aspect est le renouvellement rapide. Le monde du multimédia est un excellent représentant de cette tendance, quand un ordinateur acheté en janvier est traité d'ordi-dinosaure à Pâques, quand en l'espace de 6 ans on est déjà rendu à la troisième génération de portables, sachant bien sûr que la première, pourtant révolutionnaire à sa sortie, est obsolète. Quand les jeux des X-Box sont bons à passer à la poubelle car la X-Box"2" est sortie et n'est pas compatible…! L'objet désuet sert le gouffre consommatoire et les ados du haut de leur jeunesse sont particulièrement sensibles à la nouveauté, la haute définition, le progrès et la performance techniques. Enfin la segmentation. Après le shampoing Dop, le P't Dop et aujourd’hui le Dop cheveux âgés et demain sûrement le tout petit Dop… c'est-à-dire la segmentation par âge, qui permet la multiplication des produits, ce que l'on appelle dans le monde des médias expert en la matière : la logique de chaînage. Le portable après avoir touché les lycées puis les collèges, vise les primaires et pourquoi pas demain les maternelles en passant par les seniors. Notons par ailleurs la grande vogue du sexe, l’émergence des produits-filles qui finit d’interroger le lien entre segmentation économique et ghettoïsation sociale. Tout cela est moins un scandale "jeune" qu'un processus économique, nous sommes rendus dans une culture de consommation, une société aux objets et contenus éphémères car rapidement consommables, destinés, conçus, produits pour être renouvelés. Et à maux de société, maux de médias, maux scolaires où l'on déplore avec une pointe d’étonnement hypocrite le remplacement d'une culture humaniste sur le temps long, assimilée à un pensum, par une culture zapping, dans l'urgence … Ainsi, si nous sommes clairvoyants, c'est un électrochoc culturel qu’il s’agit d’interroger et non des jeunes dans leurs pratiques dites superficielles.Ne les prenons pour des labels spécifiques en oubliant qu’ils n’ont pas l’exclusivité du port de Nike ou de la délinquance routière et que leur fameuse « déshérence culturelle » est plus que lucrative pour les générations au pouvoir à savoir adultes… Perspectives éducatives Quand l'indice de bonne santé d'une société est "la consommation des ménages" ,quand l'enfant et le jeune sont réduits à un pactole convoité ou un pourcentage de délinquants,quand la pub nous dit qu'avoir une BMW permet de se vanter à l'école…nous pouvons questionner, au delà des jeunes, notre statut d’adulte traditionnellement guide et modèle qui a pour fâcheuse tendance de rejeter ce que les jeunes sont sans se demander ce qu'il est lui-même,d’ignorer superbement leur univers médiatique sans se priver cyniquement de le critiquer,de trouver honteux que tous les cartables soient des Eastpack (culte des marques) mais d’être moins virulents sur le poids scandaleux du dit-sac. L’adulte modèle et guide Dès lors que l'on retourne le projecteur vers soi,, on peut se dire qu'ayant élevé nos enfants dans la consommation dès le berceau, on ne fait que récolter ce que l'on a semé… Dès sa naissance on lui offre le meilleur des baby gros mais quand sa Majesté des couches, écouté, sollicité, pour qui rien n'est trop beau s'est transformé en ado jugé tyrannique qui résiste et parlemente, on grince et l’on a envie de hurler : tais-toi ! On assume fort mal la perte de contrôle et le désir d'indépendance…mais aussi le résultat de nos actes. On alimente la machine bébé et on la critique une fois grand. Ainsi la petite fille est couverte de bijoux et maquillage dès 3 ans, porte un string à 10 ans et l'on traite de vulgaires les lolitas devenues. C'est nous qui en achetant une Barbie à 4 ans et non plus à 8, les privons d'enfance en les tirant toujours plus vite et plus haut, nous qui avons produit les fameux « KGOY » des publicitaires : la performance dès le berceau, le burn out au bureau en passant par l'anxiété au collège. Il est inquiétant de constater la présence du mot « stress » dans toutes les bouches humaines, petites ou grandes !. Par ailleurs il existe le plus souvent une continuité entre les comportements des enfants et ceux des parents. Comment faire pour qu'ils soient des consommateurs avertis si ce n’est en montrant l'exemple et non en attendant de leur part une conscience plus affirmée que la nôtre! Difficile d'être modèle quand on est en permanence au régime et consomme visiblement avec délectation ! Le lien entre consommation et mal être, apparence et estime de soi ne concerne pas que les jeunes et il est facile de déclamer que"l'argent ne fait pas le bonheur" ou "l’habit ne fait pas le moine", quand notre propre rapport à l'argent et au look dit tout autre chose.On touche tout ce que l'éducation a d'implicite et les adultes, tournés vers l'intérieur, voudraient que la jeune génération s'engage dans le collectif… On achète, pour compenser, pour plaire, pour céder, pour intégrer, on branche, mais quels investissement, mobilisation, quelles valeurs transmettons-nous ? Préliminaires à une éducation aux médias L'éducation à la consommation, à la publicité, au marketing, aux médias, aux systèmes et techniques de communication, est moins aisée que de crier à la manipulation, à l'amorphie ou à la déviance (Questions de moyens, de temps et de volonté). Mais l'éducation musicale par exemple,(former l'oreille, pratiquer un instrument) est bien plus efficace pour critiquer la musique en boîte, pur produit commercial, qu'un simple "c'est abominable". Et l'éducation est un enjeu de taille dans notre société des "NTIC" car la disponibilité du savoir ne résout en rien la question du désir de savoir qui est encore affaire d'éducation puisque les besoins culturels ne sont pas "naturels”. Les NTIC, souvent présentées comme le lieu type d’une rétrosocialisation (un savoir qui se transmet « à l ‘envers » ,des petits vers les grands),convoquent une culture technologique dont les grands exclus seraient les parents et plus loin les adultes passé 40 ans…Issus des mass-médias, les « grands » se confrontent avec moins d’aisance on l’a vu et plus de défiance à la révolution des nanos-médias et de l’ego- casting analysée comme une traduction médiatique de la primauté de l’individu sur la masse.Dès lors émerge souvent une question : sommes nous encore crédibles face à nos mutants d’enfants ?C’est pourquoi il semble urgent de rappeller que maîtrise technique ne rime pas forcément avec maîtrise intellectuelle, interactivité technique avec interaction sociale et qu’un soutien à la parentalité médiatique relève moins d'un apprentissage accéléré des NTIC pour être dans le vent et dans le coup, que de soutenir une réhabilitation des limites (savoir dire non).Les petits, même savants, ont besoin de modèles et les grands, même ignorants, peuvent être des guides car il est question ici de valeurs et de pratiques sociales et culturelles et non de seules compétences techniques. Il reste de notre rôle, au-delà de nos handicaps médiatiques, de les initier sans relâche aux systèmes commerciaux redoutables dans lesquels médias et publics sont insérés, aux pressions idéologiques incessantes à la conformité numérique. Et 'éducation est une affaire privée et publique. Au même titre qu'on ne laisse pas les familles se débrouiller avec l'apprentissage de la lecture, en toute inégalité, on ne peut se reposer sur l'éducation privée aux médias (apprendre à s'informer, à naviguer). Ouverture éducative donc en évitant cependant de sombrer dans la tristesse de la "conscience sémiotique" à tout crin, on peut aussi se laisser submerger par les images, se laisser aimer un navet ,sans danger,sans honte et culpabilité… Il semble par ailleurs que décrypter par exemple une publicité ne suffit pas. Encore faut-il pointer avec eux au-delà de l'objet publicitaire (construction d'une pub) le système publicitaire (mécanismes / stratégies marketing) et l'idéologie publicitaire (la couleur des contenus). Ouvrir la réflexion aux enjeux et incidences, c'est prendre une posture systémique qui dépasse le simple travail sur un contenu ou sur un média. Les logiques à l'œuvre sont trans-médiatiques, la dérive notamment mercantile est loin de ne concerner que la télévision ou le réseau. C'est l'ensemble des productions médiatiques que l'on peut aborder comme révélatrices par ailleurs de politiques qui les dépassent. C'est éclairer les plus jeunes (car le recul est tardif, rarement avant 15 ans) sur le soubassement proprement commercial de l'univers des NTIC en décodant avec eux la propagande massive des multinationales qui n'ont qu'un but : imposer l'idée qu'être branché c'est se brancher. Consommer de la communication, en quantité (communication illimitée). La communication est d'abord un marché qui surfe sur la promotion permanente du high-tech, des tuyaux, des branchements, la technique pour la technique, la technique comme fondement et non comme outil. Une frénésie communicationnelle qui rend immonde la simple idée de ne pas être appelé et jouissif celle d'avoir 20 messages en attente. Fébrilité du clignotement incessant. Être chargé d'un programme d'éducation aux médias, c'est ensuite et prioritairement, faire le clair sur ses propres représentations des médias. Ou comment, par exemple, se détacher de l'idée (préconçue) que télévision égale danger et péché, que les jeux vidéos induisent ,plus qu'un livre ,un risque de fuite face à la réalité. Bref rompre avec le passif de l'illégitimité culturelle de l'image dont les adultes sont empreints et qui explique pour beaucoup les effets de manche et les pugilats dès que l'on en parle entre amis, la conflictualité familiale dès lors qu'il est question de médias, les tiraillements entre le surmoi collectif qui veut que l'on regarde ARTE et la pratique privée honteuse de TF1 dans les contenus les plus vils… Dépasser ses a-priori et s'attaquer (pour former) à ce qui transcende les médias à savoir la stratégie séductrice à l'œuvre même dans la littérature.. Autre aspect justement à relever, la place accordée au ludique et au populaire dans l'approche adulte des médias. Les adolescents affectionnent une culture du média ludique là où les adultes sont obnubilés par ses orientations pédagogiques. Rupture dommageable qui commence avec PICSOU contre ASTRAPI, ADIBOU contre le jeu de course pour déboucher sur une culture numérique ado empreinte de ludisme, où l'on joue avec la langue, la technique, « on line » où l'on "délire" bien loin du livre jugé rébarbatif et de la télévision passive. Experts en parodies et moqueries, les ados buttent sur le sérieux des adultes qui n'acceptent de donner leurs lettres de noblesse aux portables et MP3 que lorsqu'ils se mettent au service de la révision des cours et de l'apprentissage des langues (on ne les taxe plus alors de prothèses d'autistes…) De la même manière, les contenus (jugés) les plus populaires sont consciencieusement exclus des programmes d'éducation bien que fortement regardés par les premiers concernés. Et pourtant… s'il ne s'agit pas de débattre de la "médiocrité" d'un contenu, il s'agit bien d'aider à découvrir, la médiocrité de la logique dès lors qu ‘elle devient purement commerciale et dans le même temps, l’histoire de la culture de masse qui permet de réaliser qu’.elle s'accompagne toujours d'un réquisitoire alarmiste sur la "mauvaise" culture, chaque nouveau média étant soupçonné d'abaissement de l'art, de démobilisation politique ou d'immoralité. Bref, leur faire prendre de la hauteur en amenant le relativité historique et l’importance, non pas de la qualité, forcément subjective , mais de la diversité culturelle. Préférons peut-être pour finir au terme éducation celui d'expression encadrée c'est-à-dire repensons le statut de l'échange. Nombreux sont ceux qui pointent le besoin d'expression de jeunes qui plutôt que regarder préfèrent discuter, plus que recevoir des leçons, adorent débattre. Quelle place pour leur parole ? Quelle écoute de leurs pratiques qui quittent les contenus imposés (Mass-média) pour en créer (Blog), qui plébiscitent la pratique de la musique, théâtre, photo, médias d'expression par excellence…Des jeunes dont on refuse pourtant d’entendre les nouvelles façons d’être, trop préoccupés à vouloir faire perdurer nos manières de voir la culture et le savoir, à vouloir imposer sans concession Rimbaud, sans voir que ce n’est plus recevable tel quel mais imaginable, avec une remise en question pédagogique : lire, mais Harry Potter, amener Rabelais mais par la fiction, chercher la voie médiane entre démagogie et acte de pouvoir, des enfants qui ne font pas ce qu ‘ils veulent mais veulent ce qu’ils font. Dès lors que l'on arrête de pleurer et de compter le monde (% de délinquants, Nombre d’euros d’argent de poche ….)et que l'on décide de le penser (décrypter le présent, contextualiser avec les leçons du passé mais aussi d’ailleurs), en glissant des clés et des codes, des messages et du sens, c'est prendre le risque de la critique dans notre époque timorée et résignée. Car la pensée vigilante, qui met en débat n'est pas formatée et démagogique, elle a pour racine le doute, dépasse les politiquement psychologiquement, éducativement, culturellement, socialement "correctes" pour oser changer en osant leur donner des armes. "Notre tête est ronde pour permettre à la pensée de changer de direction" disaient les dadaïstes.. On ne séduit plus (attirer à soi) on éduque (conduire loin de soi) en ouvrant sur le futur avec eux, acteurs. Beaucoup pointent l'urgence d'un projet moral et politique, d'une vision de l'homme pour les jeunes générations en demande de sens et de causes nobles, car on veut bien courir mais autant se demander où ? Kant dans ses réflexions sur l'éducation précise qu’”on ne doit pas élever ses enfants d'après l'état présent de l'espèce humaine mais d'après l'idée de l'humanité et de son entière destination, d'après un état meilleur possible dans l'avenir". Où l'on touche du doigt la fondamentale Utopie qui fait défaut. Une question, en lien, semble primordiale aujourd'hui, celle de la transmission. Ouverture intergénérationnelle L’articulation Pairs/pères La contrainte des groupes intra-générationnels (une culture ado horizontale), émergeant clairement dans les années 50 avec la culture yéyé, est aujourd’hui perçue comme se radicalisant, à hauteur de l’affaiblissement de la transmission intergénérationnelle.Si l’on n’est plus communistes de pères en fils (puissance du milieu d’origine) on est skater de pairs en pairs en quelque sorte (affirmation d’une culture générationnelle).Les héritages laisseraient place aux maîtrises des codes de groupes. Mais attention, si les adolescents, au-delà de leurs milieux sociaux, se retrouvent sur un terrain culturel commun, il reste que quand on en sort, les perspectives d'avenir restent différentes selon le milieu d'origine et que même dedans, s'ils jouent tous aux jeux vidéos, il existe un usage de classe, s'ils vont tous sur Internet, certains sont sur des chats privés pendant que d'autres chattent sur des chats de drague – défouloirs, s’ils affectionnent tous le langage des « cités »,seuls certains ont la bonne idée de rester bilingues. Tant au niveau de l'accès médiatique que du jugement porté sur les contenus, on repère la permanence de différenciations socioculturelles et certains enfants n'ont qu’un type de nourriture culturelle.Si l’on est marqué par la marque, on l’est encore et beaucoup par son milieu.La filiation ne disparaît pas sous les tribus. Ceci étant,on constate un durcissement des pressions à la conformité, du contrôle social du groupe d’amis , une tyrannie de la majorité qu’ H.Arendt présentait comme une autorité bien plus effrayante que celle des adultes et plus spécifiquement que celle paternelle.C’est la tribu qui occuperait la fonction anthropologique du père dans un contexte où la famille dite contractuelle et démocratique, fusionnelle et consensuelle, se centre sur l’affectif plus que sur la transmission.En mettant au cœur l’autonomie et la liberté d’expression de soi, les injonctions qui balisaient la vie de l’individu s’estompent quelque peu et avec elles, les figures d’autorité classiques. Nombres de sociologues et psychologues s’alarment des parents-copains séducteurs qui se soustraient au pôle d’opposition qu’ils se devraient d’être.Des « ventres mous » comme les nomment M.Ruffo,fuyant les conflits dans une volonté de proximité qui opèrent de fait un vol d’adolescence d’autant plus criant dans une société adolescentrique par ailleurs.Le jeunisme d’adultes refusant de vieillir et voulant ressembler à leurs enfants, inverse dangereusement les modèles identificatoires .L’ adulte dénie dès lors sa qualité d’adulte, quand les adolescents de leur côté,cherchent naturellement à se démarquer ,ne supportant pas d’être singés. Le marquage excessif, les consignes de vie du groupe, répondraient à un défaut de transmission d’adultes incapables de proposer des contenants fermes à des petits qui recherchent, en petit homme marques et limites. La société individualiste en évacuant les carcans du passé symbolisés par un individu psychorigide a effacé les balises pour l’avenir et les guides qui, par peur de « contraindre » s’effacent au profit d’un « sois toi même ».Nouvelle injonction, certes sans contraintes intergénérationnelles mais non dénuée de pression car s’assumer sous-entend briller ,en affirmant son individualité dans un cadre ,rappelons le performatif.Il s’agit, personnellement, en toute solitude d’être à la hauteur de soi ,de ses parents, de son patron, de faire ses preuves.Emergence cette fois-ci de l’individu dépressif… Au final, c’est l’inconsistance adulte sans réel repère à proposer, une société fuyante et plus loin un vide collectif monumental qui alimente en partie une génération dite ludique et consumériste.De fait, sans autre mission historique que le présent à consommer et le portable à brancher, le projet ado va consister à passer du temps ensembles,à affermir leur culture et non à endosser des rôles sociaux car si la société n’a pas omis leurs porte-monnaie, elle leur confère plus difficilement un rôle citoyen. Ne confondons pas en effet sociabilité, très forte chez les jeunes, et socialisation… L’articulation passé/présent/futur Il semble dès lors fondamental de repenser l’intergénérationnel et ce autour au moins de deux réflexions : En premier lieu, la question des représentations réciproques des différents âges de la vie.Quittons les mondes à part, les juniors, les adultes, les seniors, chacun sur leur planète et dans une telle excommunication qu'on en arrive à perdre l'écoute et la compréhension des autres générations. Qu’on en arrive à penser en termes de discriminations or, même positives, elles veulent tout simplement dire qu’il n’y a plus, de façon naturelle, une place pour chacun et tous.Les adultes, si l'on en croit la multitude d’articles sur l'"ado-crise", ne les voient plus que comme "en danger", rappelons qu'un ado normal, ça glande, ça se vautre, ça râle et qu'ils ne sont pas pour autant "en détresse".Rappelons surtout qu’ils sont des personnes avant d’être des adolescents et combien pour eux l’estime de soi est importante pour exister, progresser, s’engager, pour croire que tout est possible pour soi, qu’ils peuvent et doivent se sentir utiles, que des projets ,autres que consommatoires ,sont concevables,. On cohabite, certes sans conflit majeur mais dans l'indifférence et la méconnaissance, ce qui est pire. Ne pas se confronter c’est aussi s’ignorer… Ne pas aller sur le terrain de l'autre, ne serait-ce qu'un peu, pour respecter ce qu'il aime et donc ce qu’il est ,c’est alimenter un mépris réciproque dont il ne ressortira rien de bon si ce n’est des représentations mutuelles stéréotypées et figées du type : jeunes et cons contre vieux et ringards - Skyrock radio hystérique contre France inter radio soporifique- Babar et Tintin culture légitime contre Mangas sous culture- Rock contre Rap –l etc… Deuxième et dernière réflexion : l’articulation passé, présent, futur que je travaille en ce moment qui fait émerger moins une crise de l’ado qu’une crise de l’adulte et de la transmission .On peut en effet faire état d’un présent angoissé et déprimé (rempli de « faillites »)qui ne cherche pas plus loin que la sécurité pour leurs petits, un présent représenté par des adultes issus de la bof-génération dite « désenchantée », travaillés par ce sentiment qu’ils n’ont rien fait et fantasmant sur le passé symbolisé en ce moment par des babyboomers 68art (leurs parents) persuadés quant à eux d’avoir tout fait, tout en livrant à la nouvelle génération (leurs enfants, les fameux 15-25) dite babyloosers, une vision d’un futur noir décliné en crises (écologique, terroriste,nucléaire, des retraites….) Difficile dans ces conditions d’être jeune (entendez précaire et sans avenir) plus facile d’être un senior (entendez plein d’avenir, riche, à l’esprit jeune et au corps en pleine santé, nouveau chouchou du marketing -démographie oblige-). En pleine confusion générationnelle, notre société rend la tâche difficile à cette génération @médias qui se doit pourtant d’inventer un monde meilleur à leur couleur et qui, insistons bien, a seule la légitimité biologique pour symboliser…l’avenir .Du jeunisme au vieillisme il n’y a qu’un pas ,que nous n’avons pas encore franchi car toute personne de plus de 50 ans qui se respecte n’a qu’un rêve : rester jeune ! Références bibliographiques citées dans le texte -LAHIRE BERNARD –la culture des individus-la découverte, 2004 -MORIN EDGAR- l’esprit du temps-grasset,1983 -RUFFO MARCEL-Détache moi ,A.carrère, 2006 -LARDELLIER PASCAL-Le pouce et la souris :enquête sur la culture numérique des ados-Fayard2006 -PASQUIER DOMINIQUE –Les cultures lycéennes : la tyrannie de la majorité-Autrement-2005