Candide - biblio

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Candide - biblio
Candide
Voltaire
Livret pédagogique
établi par Isabelle de LISLE,
agrégée de Lettres modernes,
Docteur ès lettres
professeur en lycée
HACHETTE
Éducation
Conception graphique
Couverture et intérieur :Médiamax
Mise en page
Maogani
Illustration
Détail d’une gravure de Jean Dambrun
©Hachette Livre
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2002.
43, quai de Grenelle, 75905 PARIS Cedex 15.
ISBN : 2.01.168550.8
www.hachette-education.com
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122.-4 et L.122-5, d’une part, que les
« copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration,
«toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle,faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants
droit ou ayants cause,est illicite».
Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit,sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre
français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
SOMMAIRE
AVA N T - P R O P O S
4
TA B L E
6
D E S CO R P U S
RÉPONSES
AU X Q U E S T I O N S
Bilan de première lecture
.................................................................................................
10
10
Chapitre premier
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16
Chapitre sixième
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Chapitre dix-septième
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Chapitre dix-neuvième
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Chapitre trentième
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
BIBLIOGRAPHIE
CO M P L É M E N TA I R E
64
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux.Pour les mettre en œuvre,
il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents
objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux
techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes,
analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire,
de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi,l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs.Candide,
en l’occurrence,permettra d’étudier le genre de l’apologue,de réfléchir aux
procédés de l’argumentation,de s’initier à la philosophie des Lumières,tout
en s’exerçant à divers travaux d’écriture…
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle
collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois:
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte,
moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires
et quelques repères fondamentaux;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux
travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants:
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément,en bas de page,afin
d’en favoriser la pleine compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre
la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant
donner lieu à une exploitation en classe.
• Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des tableaux
donnent à l’élève les repères indispensables: biographie de l’auteur, contexte
historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à
faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de
couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc),
il comprend:
4
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un
parcours cursif de l’œuvre.Il se compose de questions courtes qui permettent
de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre.
– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits
les plus représentatifs de l’œuvre: l’élève est invité à observer et à analyser
le passage;les notions indispensables sont rappelées et quelques pistes lui sont
proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à construire sa propre
lecture analytique du texte. On pourra procéder en classe à une correction
du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse
du texte.
– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document
iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un
questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse
et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve
écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le
« descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en
rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera,pour vous et vos élèves,
un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.
5
TABLE
DES CORPUS
Composition
du corpus
Corpus
Les ouvertures
d’œuvres au
XVIIIe siècle (p. 33)
Texte A : Extrait du chapitre premier de Candide
de Voltaire (p. 25, ligne 1, à p. 26, ligne 31).
Texte B : Lettre I des Lettres persanes
de Montesquieu (pp. 33-34).
Texte C : Scène 1 de L’Île des esclaves
de Marivaux (pp. 34-37).
Texte D : Incipit de Jacques le Fataliste
de Diderot (pp. 37-38).
Le sacrifice (p. 67)
Texte A : Extrait du chapitre 6 de Candide de Voltaire
(p. 59, ligne 1, à p. 60, ligne 24).
Texte B : «Les Animaux malades de la peste»,
extrait des Fables de Jean de La Fontaine (pp. 67-69).
Texte C : Extrait de la scène 1 de l’acte I d’Iphigénie
de Jean Racine (pp. 69-70).
Texte D : Extrait de Vendredi ou les Limbes du Pacifique
de Michel Tournier (pp. 70-71).
Texte E : Extrait de Je vois Satan tomber comme l’éclair
de René Girard (pp. 71-72).
Des utopies
renversantes (p. 127)
Texte A : Extrait du chapitre 17 de Candide
de Voltaire (p. 118, ligne 20, à p. 119, ligne 64).
Texte B : Extrait du Critias de Platon (p. 128).
Texte C : Extrait du livre II d’Utopie
de Thomas More (p. 129).
Texte D : Extrait du chapitre 57 du Gargantua
de François Rabelais (pp. 129-130).
Texte E : Extrait des États et Empires de la Lune
de Cyrano de Bergerac (pp. 130-131).
6
Objet d’étude
et niveau
Un mouvement
littéraire (Première)
Compléments aux travaux d’écriture
destinés aux séries technologiques
Question préliminaire
De quelle manière les quatre textes répondent-ils
aux questions Où ? et Quand ? que le lecteur est
en droit de se poser au début de toute œuvre
de fiction ?
Commentaire
Vous pourrez étudier les marques de
la désorganisation et les effets de surprise avant
de montrer comment le texte remplit sa fonction
informative.
Persuader et délibérer
(Première)
Question préliminaire
Dans quelle mesure les textes A, B, C et D peuvent-ils
illustrer la théorie présentée dans le texte E ?
Commentaire
Vous montrerez que le récit est aussi une véritable
mise en scène du drame, puis vous dégagerez la partie
argumentative du texte.
Persuader et délibérer
(Première)
Question préliminaire
Relevez et commentez le vocabulaire mélioratif
dans les textes C et E.
Commentaire
Vous pourrez étudier les marques du genre,
puis montrer en quoi le monde découvert est
extraordinaire et en déduire que Voltaire
nous présente une utopie.
7
TABLE
DES CORPUS
Composition
du corpus
Corpus
Crime et
châtiment (p. 153)
Texte A : Extrait du chapitre 19 de Candide de Voltaire
(p. 142, ligne 19, à p. 144, ligne 50).
Texte B : Extrait du Dernier Jour d’un condamné
de Victor Hugo (p. 154).
Texte C : Extrait de Réflexions sur la guillotine
d’Albert Camus (pp. 154-155).
Texte D : Extrait du discours de Robert Badinter
à l’Assemblée nationale (pp. 155-156).
Document : Dessin de Franquin
extrait de ses Idées noires (p. 157).
Les voies
du bonheur (p. 224)
Texte A : Extrait du chapitre 30 de Candide
de Voltaire (p. 217, ligne 111, à p. 219, ligne 147).
Texte B : «Le Philosophe scythe», extrait des
Fables de Jean de La Fontaine (pp. 225-226).
Texte C : Extrait du Discours sur le bonheur
de Madame du Châtelet (pp. 226-227).
Texte D : Extrait d’Antigone
de Jean Anouilh (pp. 227-228).
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Objet d’étude
et niveau
Persuader et délibérer
(Première)
Compléments aux travaux d’écriture
destinés aux séries technologiques
Question préliminaire
Vous indiquerez le genre de chacun des textes
en justifiant votre réponse.
Commentaire
Après avoir montré que le texte a la forme
d’un journal intime, vous étudierez les registres
tragiques et pathétiques, sans perdre de vue la finalité
argumentative du texte.
Persuader et délibérer
(Première)
Question préliminaire
Vous présenterez brièvement les différentes situations
d’énonciation.
Commentaire
Vous montrerez qu’au travers du récit dynamique
d’une rencontre La Fontaine oppose deux idéologies,
puis vous étudierez la conception personnelle
du fabuliste et le projet didactique du texte.
9
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Bilan de première lecture (p. 230)
a L’action se déroule en Vestphalie, une province de l’Allemagne. L’action n’est
pas datée (puisqu’il s’agit d’un apologue),même si certains événements (les allusions
à l’actualité de l’époque) permettraient de situer l’époque entre la fin du XVIIe siècle
(l’allusion au chevalier Raleigh dans le chapitre 18) et la moitié du XVIIIe siècle
(le tremblement de terre de Lisbonne en 1755).
z Candide, héros principal, est un jeune garçon doux que l’on soupçonne d’être
le fils (non reconnu) de la sœur du baron de Thunder-ten-tronck et d’un gentilhomme du voisinage.
e Pangloss est le précepteur des enfants du baron et de Candide. Il enseigne la
métaphysico-théologo-cosmolonigologie.Sa philosophie «optimiste» est héritée de
celle de Leibniz («il n’y a point d’effet sans cause»). Il considère que, «dans ce meilleur
des mondes possibles, […] tout est nécessairement pour la meilleure fin».
r Au début du chapitre 4, Pangloss raconte que Paquette lui a donné la syphilis et
que la baronnie a été détruite par les Abares.
t Cunégonde, âgée de dix-sept ans, est la fille du baron et de la baronne. Haute
en couleur,fraîche et appétissante,elle devient la «raison suffisante» du jeune Candide.
y Un tremblement de terre secoue la ville de Lisbonne; pour prévenir une ruine
totale, les sages du pays font un autodafé qui coûte la vie à un Biscayen, à deux
Portugais et, semble-t-il, à Pangloss.
u La vieille est la fille d’un pape (Urbain X) qui a connu de nombreux malheurs.
i Cacambo est un valet, un quart d’Espagnol né d’un métis dans le Tucuman. Il a
effectué toutes sortes de métiers avant de devenir un laquais.
o Candide retrouve le fils du baron (qui est aussi le frère de Cunégonde).
q L’Eldorado se situe au cœur de l’Amérique du Sud.
s Candide quitte l’Eldorado parce qu’il veut retrouver Cunégonde et profiter de
la fortune qu’il peut emporter hors de l’Eldorado.
d Certains moutons de l’Eldorado meurent en route ; les derniers sont noyés
lors du naufrage du vaisseau du négociant Vanderdendur (chapitre 20); Candide
récupère un mouton à cette occasion.
10
Bilan de première lecture
f Le négociantVanderdendur apparaît au chapitre 19,cité par le nègre de Surinam
qui est son esclave ; c’est le même négociant qui va voler Candide à la fin du
chapitre et qui fera naufrage dans le chapitre 20.
g Le philosophe Martin, choisi par Candide comme compagnon de voyage
(chapitre 19), s’oppose à Pangloss.
h Frère Giroflée est devenu, contre son gré, moine théatin à l’âge de quinze ans;
on le rencontre avec Paquette à Venise.
j Paquette apparaît dès le début du conte, mais elle n’est pas nommée. C’est la
servante avec laquelle Pangloss se livre à une «leçon de physique expérimentale» dans le
chapitre 1.
k Candide retrouve Pangloss après s’être sauvé de chez les Bulgares (chapitre 3);
Pangloss est pendu à la fin du chapitre 6. Candide le croit mort ; il le retrouve,
ainsi que le fils du baron, sur une galère dans le chapitre 27.
l À la fin du chapitre 6,la vieille vient chercher Candide et le conduit chez elle où
il retrouve Cunégonde (chapitre 7). Il est obligé de fuir dans le chapitre 13 et
Cunégonde reste à Buenos Aires. Il la rejoint à nouveau dans le chapitre 29.
m Le dénouement du conte se situe près de Constantinople (Istanbul).
w La métairie rassemble, autour du personnage principal (Candide), Cunégonde,
la vieille, Paquette, Pangloss, Martin et frère Giroflée.
11
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Chapitre premier (pp. 25 à 28)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 29 À 32)
a La première phrase pose le cadre spatio-temporel du récit.Tout d’abord, l’imparfait annonce une histoire passée,révolue,sans qu’il soit possible de la dater précisément. Le titre du chapitre emploie le pronom démonstratif médiéval «icelui» qui
contribue à inscrire l’histoire dans un temps ancien. La lecture du chapitre
entier vient nuancer cette impression initiale: les caractéristiques évoquées – qu’il
s’agisse de la chasse, de la religion, du rôle de Pangloss – ne sont pas exclusivement
médiévales,elles peuvent tout aussi bien se rapporter à l’époque deVoltaire.Le temps
du récit semble posé comme une sorte de hors-temps qui autorise tout rapprochement avec le présent de l’écriture.
Deux indications de lieu tracent le cadre spatial : le château et la Vestphalie. Le
décor est ambigu puisque ces deux références appartiennent à la fois au registre
réaliste et à celui de la fiction (le château du conte de fées, le pays étranger).
z Voltaire présente successivement Candide, le baron, la baronne, Cunégonde, le
fils du baron et Pangloss. Les passages consacrés à Candide et à Pangloss sont particulièrement développés. Pour certains personnages (Cunégonde, la baronne), le
portrait se réduit à des caractéristiques physiques. Seul celui de Candide allie le
portrait physique au portrait moral: «Sa physionomie annonçait son âme» (l. 3). On
peut remarquer que les deux personnages présentés au début et à la fin du
chapitre occupent de la même manière une position extérieure dans la baronnie.
En effet, le noyau central et moteur est constitué par la famille du baron, alors que
Candide n’a pas d’identité familiale reconnue et que Pangloss est le précepteur.
Le statut de Candide dans la baronnie : Candide est défini comme « un jeune
garçon» (l. 2), alors que Cunégonde est présentée par sa position dans la famille («sa
fille Cunégonde»,l.22).On a de même «le fils du baron» (l.23).Pourtant,Candide fait
partie de la famille puisqu’il serait le fils non reconnu de la sœur du baron.Ce double
statut explique à la fois que Candide puisse faire partie du petit monde de la
baronnie mais aussi qu’il puisse en être chassé.
Le statut de Pangloss : Pangloss est présenté au travers de sa fonction ; il est le
« précepteur ». D’autres expressions, tout au long du chapitre, vont dans ce sens :
«ses leçons» (l.25),«enseignait» (l.27), «écoutait attentivement» (l.44),«maître Pangloss»
(l. 49), «le plus grand philosophe de la province» (l. 50), «le docteur Pangloss» (l. 54).
e La situation initiale est close et figée. En effet, la baronnie, centrée sur le personnage du baron (« ils riaient quand il faisait des contes », l. 17), n’a pas de relation avec
l’extérieur. Le paysage se définit entièrement par rapport au château : « le vicaire du
12
Chapitre premier
village était son grand aumônier» (l. 16). La géographie est en somme concentrique et le
centre définit des règles immuables concernant les relations des personnages entre eux:
la sœur du baron ne pourra pas épouser le «bon et honnête gentilhomme du voisinage» (l.7)
et le jeune Candide doit écouter avec une confiance aveugle son précepteur.
r L’indice temporel « Un jour » (l. 52) introduit une rupture dans le chapitre. La
première partie est statique et consiste en la présentation d’un monde figé;le temps
dominant est l’imparfait. Avec cet indice, la temporalité entre dans le récit ; une
nouveauté – la découverte de la sensualité par Cunégonde puis par Candide –
brise l’unité du petit «paradis terrestre» de la baronnie. Le désir est source d’action:
c’est la fin de l’éden.L’introduction du temps se traduit par le passage au passé simple.
Ainsi,la première partie du chapitre décrit un équilibre figé présenté comme idéal,
alors que la seconde partie, beaucoup plus brève, introduit un déséquilibre, une
rupture qui va jeter le personnage en dehors de la baronnie, en dehors du
chapitre, dans un monde à découvrir et à comprendre.
t La cadre spatio-temporel (voir question 1), défini dans la première phrase, peut
être celui d’un conte: le pays lointain, le château, le temps passé indéfini. De plus,
l’emploi de l’imparfait et de la tournure impersonnelle «Il y avait…» rappelle sans
aucun doute le «Il était une fois…» du conte traditionnel.
y Le superlatif relatif (« le meilleur », « le plus beau »…) est récurrent dans le
chapitre. Cette construction appartient au langage des contes et souligne le caractère idéal du monde présenté. Mais l’accumulation relève de la parodie du genre
et devient un instrument au service de la dévalorisation de l’univers aristocratique.
u Le monde évoqué est clos et figé; avant le «Un jour», il fonctionne en autarcie
en respectant les règles imposées.Ainsi, on voit que Candide est un élève modèle:
« Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment » (l. 44). On verra de même
Cunégonde fascinée par Pangloss donnant une «leçon de physique expérimentale» (l.54)
et «toute remplie du désir d’être savante» (l. 60).
La baronnie est un monde heureux,le «meilleur des mondes possibles» (l.29).Les termes
mélioratifs sont très nombreux tout au long de la première partie du conte:«douces»
(l. 3), « bon et honnête » (l. 7), « admirablement » (l. 28), « extrêmement belle » (l. 45),
«bonheur» (l.47)… Les personnages vivent en harmonie,et on peut dépasser le simple
respect des règles liées à la relation maître/élève en évoquant le plaisir éprouvé par
les habitants lorsque le baron «faisait des contes»,ainsi que le caractère hospitalier du
château («faisait les honneurs de la maison», l. 20).
L’autre ressemblance avec l’épisode biblique est sa situation initiale dans le récit.Candide,
de même qu’Adam et Ève, en est chassé, et la baronnie restera toujours pour Candide
la référence en matière de bonheur. En effet, au début du chapitre 2, un groupe
13
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
participial (« Candide, chassé du paradis terrestre », l. 1) résume en très peu de mots les
deux étapes de l’incipit. La baronnie est bel et bien un paradis qui servira de point de
comparaison à Candide au cours de ses diverses aventures et découvertes.
i Dans le premier paragraphe,Voltaire critique les règles strictes et vides de
l’aristocratie au travers de l’épisode des «soixante et onze quartiers» (l. 9) de noblesse.
En effet, la rigidité du système porte atteinte au mérite puisque la jeune fille ne
pourra épouser le « bon et honnête gentilhomme du voisinage » (l. 7). Ce n’est pas le
système qui est en cause ici (il est question d’un gentilhomme pourvu d’un arbre
généalogique respectable), mais l’absurdité d’un code qui ne peut s’adapter aux
situations particulières.
o L’article indéfini rapporté au baron souligne l’unicité du baron et donc sa
puissance, alors que les deux autres articles ont au contraire une connotation de
pauvreté. Dans ce second cas, la singularité n’est pas synonyme de supériorité mais
d’infériorité. Le glissement d’une valeur à une autre souligne la critique deVoltaire
à l’encontre de l’aristocratie.
q La puissance du baron repose paradoxalement sur des éléments très ordinaires:
«une porte et des fenêtres» (l. 13), «une tapisserie» (l. 14), «basses-cours» (l. 15), «palefreniers» (l. 16), «vicaire du village» (l. 16). Après avoir posé la puissance du personnage
au début du paragraphe,Voltaire relève des éléments des plus communs.La puissance
du baron ne s’appuie que sur la tradition suggérée par le titre: «ils l’appelaient tous
Monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes» (l. 17). Dans cette phrase qui achève
le paragraphe,le et prend une valeur logique forte,de sorte que le lecteur comprend
bien que l’admiration dont est l’objet le baron ne repose que sur un titre et non
sur des qualités réelles.
On retrouve le même procédé avec la baronne dans le troisième paragraphe :
« Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une
très grande considération» (l. 19).
s On retrouve dans le discours de Pangloss les marques du raisonnement philosophique: les connecteurs logiques (« tout étant […] tout est nécessairement », l. 33;
«et», l. 38; «aussi», l. 38; «Par conséquent», l. 41), le vocabulaire de la démonstration
(« prouvait », l. 28 ; « il est démontré », l. 32 ; « ceux qui ont avancé que », l. 41),
le vocabulaire philosophique («effet», l. 28; «cause», l. 28; «fin», l. 34).
Mais les hyperboles (« admirablement », l. 28 ; « meilleur des mondes possibles », l. 29 ;
«le plus beau des châteaux»,l.30;«la meilleure des baronnes possibles», l.31; «la meilleure fin»,
l. 34; «un très beau château», l. 38; «le mieux logé», l. 39) rendent le discours ridicule,
tout comme l’absurdité d’un raisonnement pris à l’envers («les nez ont été faits pour
porter des lunettes; aussi avons-nous des lunettes», l. 34) qui permet de transformer un
14
Chapitre premier
malheur (la mauvaise vision) en avantage (les lunettes). À la fin du paragraphe, la
conjonction de coordination et, souvent employée avec une forte valeur logique
dans le discours, permet un rapprochement comique qu’une assonance vient
renforcer: «le plus grand des barons […] et les cochons […]» (l. 39-43). La construction de la dernière phrase, dont la première partie véhicule la pensée critique de
Voltaire («ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise», l. 41), joue sur un
effet de surprise qui contribue à rendre ridicule le discours philosophique.
Le discours rapporté (l. 32 à 43) et notamment le nom de la matière enseignée
dévalorisent, de la même manière que le discours direct, la philosophie par un
détournement parodique du vocabulaire et du raisonnement philosophique. Dans
ce passage rapporté,Voltaire s’en prend également à une philosophie opportuniste
qui met ses compétences au service de qui veut bien la financer.C’est ainsi que l’on
peut comprendre la démonstration de Pangloss: «le château de monseigneur le baron
était le plus beau des châteaux, et madame la meilleure des baronnes possibles» (l. 29).
On retrouve ensuite, tout au long du chapitre, l’emploi d’un vocabulaire philosophique souvent déplacé: «il concluait» (l. 46), «le second degré» (l. 47), «une leçon de
physique expérimentale» (l. 54)…
d On peut relever : « monsieur le baron » (l. 12), « un des plus puissants seigneurs de
Vestphalie» (l. 12), «Monseigneur» (l. 17), «monseigneur le baron» (l. 30), «Monsieur le
baron de Thunder-ten-tronckh».
Au XVIIIe siècle, le titre de baron est dévalorisé; les appellations ci-dessus en paraissent d’autant plus ridicules.
Dans la bouche des habitants du village,le titre de «Monseigneur» s’apparente à de la
flatterie, comme le suggère la proposition coordonnée: «et ils riaient quand il faisait
des contes»;sous la plume deVoltaire,ces désignations font penser tout d’abord à un
style indirect libre (la baronnie est vue par les yeux du jeune Candide). Mais
l’accumulation des titres dans le chapitre a aussi une efficacité dévalorisante.
f Noms propres significatifs ou évocateurs:
– Thunder-ten-tronckh : thunder désigne l’« orage » en anglais ; la consonance
des deux autres termes est plutôt germanique. La sonorité du mot est agressive
(allitérations en dentales) et évoque peut-être un juron.
– Candide: l’adjectif évoque la candeur, la pureté, la sincérité, mais aussi la naïveté,
l’ingénuité. Cette caractérisation définit le rôle du personnage dans la première
moitié du conte (chapitres 1 à 19).
– Pangloss : on peut se référer au grec. Pan signifie « tout » et glossa « la langue ».
Plusieurs lectures sont alors possibles : Pangloss n’est que langue, c’est-à-dire
bavardage; Pangloss ne cesse de parler; Pangloss a un mot à dire sur tout.
– Cunégonde : sainte Cunégonde avait dû se disculper d’une accusation de
15
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
manquement à son vœu de chasteté. Le choix du prénom correspond bien au
destin de la jeune fille et l’allusion à la vie de la sainte est quelque peu irrévérencieuse à l’égard de la religion.
g Le lecteur est surpris par le démonstratif «icelui» qui n’est plus utilisé à l’époque
de Voltaire. On peut tout d’abord penser qu’il s’agit d’une sorte d’effet de réalité:
le conte se situe à une époque sans doute ancienne, comme le suggère la formule
liminaire, et ce terme médiéval semble en accord avec le merveilleux désuet du
genre.Mais après avoir lu le chapitre,le lecteur,s’il revient sur le titre,comprend que
Voltaire a appliqué au monde aristocratique un terme démodé pour dire que ce
monde des nobles est justement lui aussi dépassé. La puissance nobiliaire appartient à la société médiévale dans laquelle elle trouve ses justifications.Au XVIIIe siècle,
selon Voltaire, cette puissance n’est plus qu’un conte ou une illusion.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 33 À 40)
Examen des textes
a On peut relever dans le texte de Montesquieu:
– les indications qui encadrent la lettre proprement dite: locuteur et destinataire,
indices spatio-temporels;
– le dernier alinéa avec l’emploi de l’apostrophe et de tournures qui rappellent les
formules de politesse conventionnelles;
– les marques de l’énonciation: indices personnels, temps du discours;
– la démarche de la lettre: donner des nouvelles et en demander;
– l’emploi du mot lettre («adresse ta lettre»).
z Les indications scéniques constituent les premières marques du genre du texte:
– elles dessinent le cadre de l’action;
– elles précisent un geste;
– elles signalent les répliques chantées;
– plus généralement, elles annoncent le ton de la réplique.
Le texte de théâtre est bien destiné à être mis en scène, un texte donné à voir et à
entendre.Ainsi, on peut relever également les marques de l’oralité:
– les interjections;
– les apostrophes;
– le jeu des questions et des réponses;
– l’importance des impératifs.
Le texte est un dialogue et on peut classer les indices de l’énonciation.
16
Chapitre premier
e La pièce de Marivaux place au cœur de l’intrigue la question des statuts sociaux
et de la hiérarchie. Dès la première scène, la hiérarchie initiale est posée; on peut
en relever les marques:
– le tutoiement et le vouvoiement;
– l’impératif;
– l’ignorance et la connaissance;
– le comique et le tragique.
r Cette question vise à mettre en relief les deux niveaux de l’énonciation
présents dans le texte:le dialogue entre Jacques et son maître et l’adresse de l’auteur
à son lecteur. Un plan d’étude est proposé dans le commentaire.
t Cette question demande de justifier par des références précises au texte l’impression première du lecteur:cette première page est l’inverse de tout ce qu’on peut
attendre.Il est important que les élèves sachent voir dans un texte ce qui a causé leur
surprise ou leur émotion à la première lecture.On trouvera un plan de réponse dans
le commentaire.
y L’ouverture d’une œuvre est toujours un appel à la lecture (ou à l’écoute,dans le
cas du théâtre); elle fonctionne comme une invitation en donnant une image de
l’ensemble de l’œuvre et en séduisant d’emblée le destinataire.Dans les quatre textes,
la surprise est le principal moteur de la séduction:
– la lettre et l’exotisme («le 15 de la lune de Saphar»);
– une île, un personnage de la Grèce antique en compagnie du valet du théâtre
italien, une remise en cause sous-jacente de la société;
– un conte qui s’avère rapidement être une parodie et une critique sociale;
– une ouverture provocante qui ressemble à une anti-exposition.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
On peut attendre que l’élève rappelle, dans un paragraphe introducteur, les
différentes formes de fictions présentes dans le corpus, puis qu’il dégage la place
de la réflexion dans chacun des textes. La conclusion montre l’intérêt de la fiction
comme véhicule d’une argumentation.
1. Le texte de Voltaire se présente nettement comme un conte; de la phrase liminaire à la présentation méliorative, il affiche les archétypes du conte traditionnel.
L’ouverture des Lettres persanes pose le cadre spatio-temporel et définit le genre
épistolaire de l’œuvre. Dans la pièce de Marivaux, le rideau se lève sur un décor de
fiction (une île) et il est difficile de dater précisément l’intrigue (un maître grec, le
valet conventionnel du théâtre italien).
17
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Diderot,au début de Jacques le Fataliste,présente des personnages (Jacques,le maître,
le cabaretier) et un passé fictif (la dispute avec le père…).
2.Voltaire reprend les marques traditionnelles du conte pour mieux les critiquer;
le premier chapitre de Candide est parodique. Il présente également de manière
critique la société aristocratique (voir les réponses aux questions 8, 9, 10, p. 14).
Montesquieu,dès sa première lettre,dépasse la dimension anecdotique en affirmant
une quête philosophique: «pour aller chercher laborieusement la sagesse».
Dans L’Île des esclaves,Marivaux pose la question des relations sociales et de la hiérarchie. Iphicrate est un maître autoritaire qui possède la connaissance.Arlequin ne
fait que lui obéir. Mais, lorsque l’esclave apprend le système en vigueur sur l’île,
on découvre que l’autorité est arbitraire ; elle repose sur le gourdin resté dans la
chaloupe.
Comme le conte de Voltaire Candide ou l’Optimisme, le roman de Diderot affiche sa
dimension philosophique.Dans le contenu de l’incipit comme dans les innovations
formelles, Diderot pose la question de la fatalité et de la liberté.
Commentaire
L’ouverture de Jacques le Fataliste surprend fortement le lecteur, le déroute et lui
donne l’impression que l’auteur se moque de lui. Diderot utilise toute la souplesse
d’une forme non codifiée – le roman – pour exprimer le désordre de l’existence et
réfléchir sur la liberté.
On pourra adopter la démarche suivante:
1. L’incipit de Jacques le Fataliste semble une anti-exposition
A. Le premier paragraphe
• Le lecteur attend des informations et Diderot pose principalement des
questions:
– certaines questions correspondent à celles que le lecteur est en droit de se poser;
– d’autres questions sont vides de sens:«que vous importe ?»,«est-ce que l’on sait où l’on va ?».
• Les réponses avancées sont vides également:
– Diderot refuse de répondre: «Que vous importe ?»;
– la réponse est négative: «ne disait rien»;
– la réponse n’apporte rien: «comme tout le monde», «du lieu le plus prochain».
• L’absence d’information gêne le lecteur:
– cadre spatio-temporel absent;
– personnages mal définis: «ils» (dysfonctionnement de la substitution pronominale);
– catégories larges (« le maître », « son capitaine »), prénom courant sans identité
familiale (Jacques).
18
Chapitre premier
• Diderot se montre même provocant:
– le lecteur pose des questions et Diderot se montre réticent à répondre; le ton est
parfois même agressif;
– le dialogue entre l’auteur et le lecteur n’est pas signalé par une ponctuation
spécifique;
– de manière générale, le style est très pauvre, comme en témoignent la répétition
du verbe dire et l’emboîtement lourd des subordonnées.
B. Le jeu des ruptures
L’incipit forme généralement un tout cohérent (style uni,informations progressives)
pour amener le lecteur à entrer dans l’œuvre. Dans le roman de Diderot, on a au
contraire l’impression que tout contribue à chasser le lecteur. Le texte fonctionne
sur le mode de la surprise et de la rupture.
• Forme théâtrale et forme romanesque: le récit alterne avec une forme dialoguée
non insérée dans le récit. Le discours direct est ainsi reproduit de manière théâtrale
ou, parfois, introduit dans le récit au moyen de guillemets. Le lecteur est désorienté:
il ne peut identifier définitivement le genre de l’œuvre.
• Rupture dans le dialogue: le premier fil («mon capitaine», «il») est rompu: «le cabaretier et son cabaret».
• Rupture dans le récit: le verbe «commença» fait place à «s’endormit».
• Syntaxe sommaire:
– parataxe:succession de propositions indépendantes (deuxième réplique de Jacques);
– syntaxe réduite à un présentatif («voilà») suivi d’un participe présent.
C. Les deux niveaux de l’énonciation
La coexistence de deux situations d’énonciation (trois, si l’on pense au dialogue de
Jacques avec son capitaine) rend complexe l’incipit du roman.
• Le dialogue de Jacques et de son maître:
– les marques de la personne: pronoms personnels sujets et compléments, adjectifs
possessifs;
– les temps de l’énonciation: le présent (« emporte », « crois »…), le passé composé
(«avez deviné», «a été»…);
– le jeu des questions-réponses;
– les verbes de parole et d’opinion: «je crois», «as dit».
• Le dialogue de l’auteur et du lecteur:
– les marques de la personne («je», «vous»);
– le présent de l’énonciation: «importe», «vous voyez», «je suis»;
– l’apostrophe: «lecteur».
L’auteur prend directement la parole pour s’adresser à son lecteur ; mais il peut
aussi s’effacer, et le récit semble progresser tout seul.
19
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
2. Par-delà cette désorganisation apparente, l’incipit est cohérent
A. Le principe de rupture (transition)
Ce principe de surprise est tellement systématique qu’il en devient un mode d’écriture et contribue ainsi à donner son unité au texte.
B. Un passage informatif
• Les personnages: Jacques, le maître, le cabaretier, le père de Jacques, l’amour de
Jacques.
• Les relations entre les personnages:
– les relations père/fils: autorité subie;
– les relations de Jacques et de son capitaine: autorité maître/élève;
– les relations de Jacques et de son maître: autorité subie (comme les relations avec
le père).
Le maître:
– celui qui comprend («vous l’avez deviné»);
– celui qui ordonne («commence toujours»);
– celui qui exerce son autorité en se mettant en colère (l. 38).
Le valet:
– spontané (phrases exclamatives, absence de suite dans les propos);
– bavard, dans la tradition du valet de comédie.
La place importante accordée au valet participe au renouvellement du genre: le
récit des amours concerne le valet et non le maître ; c’est lui qui raconte et qui
décide du moment de raconter.
• Le passé de Jacques: cabaret, punition du père, fuite, bataille, blessure, amour.
• Le présent des personnages: Jacques et son maître voyagent (l. 37).
• La question philosophique annoncée par le titre:
– le discours du capitaine (l. 4, 8);
– la question du moment opportun pour commencer l’histoire (l. 33);
– la passivité sous les coups de bâton (l. 39);
– l’image de la gourmette (l. 22).
C. Les éléments de cohérence
• Liens entre la forme romanesque et la forme théâtrale:
– entre le début du dialogue et le premier paragraphe, « c’est un grand mot »
rappelle ce qu’a dit le capitaine;
– entre le dialogue et le paragraphe final, l’injonction «commence toujours» appelle
«commença».
• Le jeu sur les valeurs du présent. Un seul temps exprime plusieurs valeurs et
assure ainsi l’unité du passage:
– Diderot parle au lecteur (présent de l’énonciation);
20
Chapitre premier
– Jacques parle à son maître (présent de l’énonciation);
– Jacques raconte ses aventures (présent de narration);
– les propos sont universellement vrais (présent de vérité générale): lignes 5, 12,
22, 47.
• Le jeu des reprises:
– certains termes sont repris au cours du texte: «capitaine» (l. 4, 7), «diable» (l. 10,
12), « balle » (l. 8, 19), « coup de feu » (l. 20, 21, 23, 27, 28), « amoureux » (l. 23, 25),
«amours» (l. 33, 36, 42);
– Diderot a recours à un jeu de questions au début et à la fin du texte.
• Le lien entre les deux niveaux de l’énonciation:
– la dernière phrase du texte souligne le parallélisme des deux situations;
– la question de la fatalité et de la liberté réunit les deux niveaux : on a en effet
l’impression que Jacques incarne la fatalité, alors que Diderot affiche sa liberté
d’écrivain tout en se montrant comme le marionnettiste de l’univers de Jacques.
Conclusion
• Bilan: désorganisation et cohérence; l’incipit joue en définitive son rôle.
• Le renouvellement du genre romanesque et le plaisir du lecteur.
• Le choix de la fiction séduisante pour soulever des questions philosophiques.
Dissertation
On pourra adopter le plan dialectique suivant:
1. L’exposition est informative («aplanisse l’entrée»)
A. L’exposition du cadre spatio-temporel
• L’incipit situe l’œuvre dans le temps: les costumes au théâtre, l’hésitation résolue
dans L’Île des esclaves, le réalisme des romans de Balzac, la première lettre persane,
la connotation médiévale et merveilleuse de Candide…
• L’incipit situe l’œuvre dans l’espace: Candide entre réalité et conte, le réalisme de
Balzac, l’utopie de L’Île des esclaves…
B. L’exposition des personnages et de l’intrigue
• Le personnage éponyme apparaît dès la première page:Candide,Jacques le Fataliste…
• L’auteur choisit de créer un effet d’attente : Madame Bovary, Dom Juan, Électre
(Giraudoux)…
• L’intrigue est présentée explicitement:la question des amours de Jacques;Anouilh
annonce le dénouement d’Antigone.
• L’intrigue est présentée implicitement : la médiocrité de Charles Bovary et ses
difficultés d’adaptation.
21
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
C. L’exposition du genre
• Les registres du théâtre: les comédies de Molière, L’Île des esclaves.
• Le conte: Candide.
• Le roman et le renouvellement du genre romanesque : Lettres persanes, Jacques
le Fataliste.
2. L’exposition est destinée à séduire
A. Exposition et action
• L’action n’est pas nécessairement «préparée»: on peut entrer directement dans le
vif du sujet.Ainsi Diderot ne prend pas la peine de présenter ses personnages et
refuse de répondre aux questions que le lecteur se pose nécessairement.
L’auteur peut choisir de commencer par une scène d’action afin d’attirer l’attention
de son lecteur: c’est le cas de Madame Bovary, de La Condition humaine…
• Marivaux mêle exposition et action dans L’Île des esclaves puisque l’on assiste à
l’affrontement du maître et de son esclave.
B. Exposition et surprise
• La surprise suscite les interrogations du lecteur et les informations seront distillées progressivement; l’incipit ne cherche pas à «aplanir l’entrée» du sujet mais, au
contraire, à jeter le lecteur dans l’action afin de le surprendre. C’est le cas du jeu
des points de vue dans la première page de La Condition humaine ou de l’ouverture
de Jacques le Fataliste.
• À l’époque de la comédie classique,la surprise est un principe vital.Les conditions
de représentation sont difficiles (salle éclairée,fonction sociale du théâtre…) et il est
important de séduire d’emblée le spectateur: les instruments de musique s’accordent dans Le Bourgeois gentilhomme;Argan compte ses pièces dans Le Malade imaginaire;Sganarelle tient une tabatière et entreprend un éloge du tabac dans Dom Juan;
comme dans une scène finale,tous les personnages (sauf le personnage éponyme ou
presque) sont réunis et courent sur la scène du Tartuffe…
3. L’exposition ne peut se définir que par rapport à l’œuvre
A. Boileau lui-même définit l’exposition par rapport à l’œuvre
• Boileau affirme la place de la fonction informative de l’exposition,mais il ne pose
pas de règles spécifiques et se tourne vers l’œuvre: «l’entrée». L’exposition ne doit
pas être plaquée mais se fondre dans l’ensemble : « dès les premiers vers », « sans
peine», «aplanisse».
• Chaque œuvre a son exposition spécifique.
B. La surprise est elle-même un élément d’informations
• Dans certaines œuvres, l’élément surprenant apporte des informations.Ainsi les
22
Chapitre sixième
reproches adressés par Mme Pernelle aux différents membres de la famille dans Tartuffe
dressent le portrait du personnage éponyme, et le thème de l’hypocrisie est posé
d’emblée dans cette exposition inversée.De même,dans Dom Juan,l’éloge du tabac
annonce l’importance de la vertu et du plaisir dans la pièce. Diderot, en jouant
avec les possibilités de la forme romanesque,exprime la question de la liberté et de
la fatalité beaucoup mieux qu’avec un exposé théorique.
• De manière plus générale, la surprise relève de l’exposition du genre. Le lecteur
ira de surprise en surprise dans Jacques le Fataliste: l’incipit est le reflet de l’œuvre.
De même, dans les comédies, la surprise appartient à l’esthétique du genre; on la
retrouve dans le dernier acte avec le fameux coup de théâtre.
C. L’exposition appartient à l’œuvre
Il est souvent difficile de dire quand s’achève l’exposition.D’ailleurs,Boileau écrit:
« dès les premiers vers », sans donner de limite précise. Exemples : L’Île des esclaves,
Électre de Giraudoux.
On ne peut réduire l’exposition à une fonction informative : elle fonctionne
plutôt comme un miroir séduisant de l’œuvre.
Écriture d’invention
On attend des élèves qu’ils reprennent de Candide les éléments suivants:la forme du
conte, la présentation du cadre spatio-temporel, la présentation des personnages,
le registre parodique, le registre ironique.
On attend des élèves qu’ils reprennent de L’Île des esclaves : les personnages, la
situation initiale, la critique sociale sous-jacente.
Chapitre sixième (pp. 59 et 60)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 62 À 65)
a La première phrase du chapitre évoque un événement qui a été présenté dans le
chapitre 5: le tremblement de terre de Lisbonne. Le «après» qui ouvre le chapitre
définit le lien d’abord chronologique qui unit les deux étapes du récit. De plus, on
retrouve,dans le deuxième paragraphe,Candide et Pangloss,présents dans le chapitre 5.
z Le dernier alinéa marque la charnière entre les chapitres 6 et 7.Tout d’abord,
Voltaire nous dit que l’on va changer de lieu: Candide quitte le lieu de la cérémonie («Il s’en retournait», l. 33). La dernière phrase du chapitre introduit l’épisode au
cours duquel Candide fait connaissance avec la vieille et retrouve Cunégonde ;
l’injonction «prenez courage» (l. 34) annonce sans les exposer des raisons d’espérer.
23
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
e Dans le chapitre 8, de la ligne 50 à la ligne 73, on retrouve un récit de l’autodafé.
Dans le chapitre 6, l’épisode de l’autodafé est raconté par l’auteur en focalisation
zéro,alors que,dans le chapitre 8,c’est Cunégonde,spectatrice de la cérémonie,qui en
fait le récit.Cette reprise renforce la cohésion de l’œuvre,tandis que le glissement d’une
focalisation zéro à une focalisation externe donne davantage de relief à l’épisode.
r La modalité du discours de Candide est exclamative – ce qu’annonçait l’énumération des adjectifs dans la proposition introductrice. La réplique de Candide
exprime donc ses sentiments, ses réactions après les événements qui viennent de
se produire.
Le récapitulatif des malheurs exposés dans le conte permet d’assurer l’unité de l’œuvre
par-delà l’impression de multiplicité; il rattache tous les épisodes évoqués au projet
d’ensemble tel qu’il est annoncé dans le titre.Ainsi,Voltaire a souvent recours
à ces discours récapitulatifs qui donnent au lecteur une vision d’ensemble de la
mosaïque; l’aventure douloureuse est replacée parmi d’autres aventures tout aussi
pénibles ; le chapitre montre qu’il est le maillon d’une chaîne démonstrative, et
l’accumulation des malheurs ne peut que convaincre le lecteur.
t Au début du chapitre, le plus-que-parfait est le temps dominant: il exprime des
actions antérieures. Dans le premier paragraphe, il s’agit des événements liés au
tremblement de terre.PuisVoltaire utilise le plus-que-parfait pour évoquer les crimes
commis par les accusés. De cette façon, le moment de l’emprisonnement et celui
de la cérémonie sont situés dans une perspective temporelle élargie – ce qui assure
le lien avec le chapitre précédent et confère au passage une tonalité réaliste.
y Dans la suite du chapitre, la narration est conduite au passé simple, tandis que
l’imparfait vient ajouter les éléments descriptifs.Les tournures passives sont fréquentes
et traduisent l’état des personnages.
u Les étapes successives du chapitre:
– le premier paragraphe présente la décision des autorités religieuses et le lien avec
le tremblement de terre;
– le deuxième paragraphe est consacré à l’autodafé: les victimes, leurs crimes, leurs
châtiments;
– le troisième paragraphe développe les réactions de Candide et dresse une bilan des
diverses expériences vécues par le personnage;
– le dernier alinéa sert de transition avec le chapitre suivant.
i Deux personnages se détachent nettement : ce sont Candide et Pangloss (le
personnage éponyme et son précepteur), tous deux présents dans le chapitre 1. Ils
sont désignés par leur nom spécifique, alors que les trois autres condamnés sont
davantage présentés comme les représentants d’une communauté ethnique : un
24
Chapitre sixième
Biscayen et deux Portugais. Ces trois personnages sont cependant individualisés
(«un», «deux», leur crime et leur châtiment), alors que «les sages du pays» (l. 2) et
l’«université de Coïmbre» (l.4) rassemblent des personnages indifférenciés.Face aux cinq
condamnés,Voltaire pose une foule sans visage,qu’il s’agisse des autorités religieuses
et intellectuelles ou des acteurs de la cérémonie. Le pronom personnel on à valeur
indéfinie est souvent employé pour représenter ce collectif volontairement estompé:
«On avait […] saisi» (l. 7), «on vint lier» (l. 9), «on orna» (l. 14), «on chantait» (l. 21).
Les constructions passives jouent le même rôle : « tous deux furent menés » (l. 11),
«la mitre et le san-benito de Candide étaient peints» (l. 15), «Candide fut fessé» (l. 20),
«le Biscayen et les deux hommes […] furent brûlés, et Pangloss fut pendu» (l. 21-23).
o Le crime qui leur est reproché réunit Candide et Pangloss puisque le jeune
homme écoutait son maître et semblait l’approuver.Tous les deux échappent au
châtiment infligé aux trois autres hommes, pour des raisons principalement romanesques: Candide ne peut disparaître et Pangloss doit pouvoir réapparaître. C’est
pourquoi Voltaire ne nous annonce pas la mort du philosophe mais nous dit
simplement qu’il «fut pendu»; le lecteur en déduit (à tort) qu’il est mort.
Cependant, leur attitude au moment du crime diffère: Pangloss joue son rôle de
maître (il parle), tandis que Candide manifeste son statut de disciple en écoutant.
Lors des huit jours qui précèdent l’autodafé, ils sont séparés. Et, lors de la cérémonie,leurs costumes sont différents malgré leurs points communs (flammes,diables):
les flammes de Candide sont renversées,alors que celles de Pangloss sont droites;les
diables du philosophe ont des queues et des griffes, ce qui n’est pas le cas pour
Candide. Ces différences annoncent des châtiments différents : Pangloss est
pendu, condamné à disparaître quelque temps du conte; Candide est fessé, il peut
continuer son voyage et assurer l’unité du conte malgré la diversité des aventures.
q Le Biscayen est «convaincu d’avoir épousé sa commère» (l. 7); le mariage entre parrain et marraine d’un même enfant étant interdit,il s’agit d’un crime;mais l’emploi
du participe « convaincu » jette un doute sur la réalité des faits. La construction
passive laisse entendre que l’aveu du crime serait davantage le résultat d’un interrogatoire qu’un acte sincère.
Les deux Portugais sont soupçonnés d’avoir manifesté leur appartenance à
la religion juive.
Pangloss est accusé d’avoir parlé, mais le contenu du discours n’étant pas précisé,
la condamnation paraît absurde.
Quant à Candide, l’Inquisition lui reproche d’avoir «écouté avec un air d’approbation»
(l.11).Son attitude est passive (il ne parle pas comme Pangloss) et son «approbation»
n’a pas été manifeste; elle est plutôt le fait d’un point de vue subjectif, comme le
laisse supposer le modalisateur «d’un air».
25
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Ainsi, tout concourt à réduire la culpabilité des accusés : ils sont jugés pour des
délits d’opinion et surtout sur leur apparence. En revanche, les châtiments sont on
ne peut plus sévères.Après huit jours passés en prison,le Biscayen et les deux Portugais
sont brûlés; Pangloss est pendu; Candide est «fessé en cadence» (l. 20).
Le décalage entre les crimes et les châtiments rend la cérémonie absurde et fait rire
le lecteur tout en l’amenant à faire sienne la critique de Voltaire; il est souligné à la
fin du deuxième paragraphe: «le Biscayen et les deux hommes qui n’avaient point voulu
manger de lard furent brûlés» (l. 21).
s La cérémonie est précédée et suivie d’un tremblement de terre. La dernière
phrase du deuxième paragraphe rappelle la première phrase du chapitre. Elle n’est pas
reliée à l’ensemble du récit de la cérémonie par un quelconque connecteur logique;
le lien affiché est exclusivement temporel : « Le même jour » (l. 23). Mais, si aucun
rapprochement n’est explicitement effectué, le lecteur, mis sur la voie par le parallélisme syntaxique, se rappelle la phrase qui clôt le premier paragraphe. «La terre trembla
de nouveau avec un fracas épouvantable» (l.23) est à lire en écho de «un secret infaillible pour
empêcher la terre de trembler» (l. 6): l’emploi du verbe trembler et le choix d’un adjectif
hyperbolique créent le lien et soulignent l’absurdité de la décision des «sages du pays».
d Le sens de la cérémonie et sa dimension sacrée n’apparaissent pas dans le récit de
Voltaire qui ne présente au contraire que les détails matériels : procession,
musique,costumes.La dimension artificielle est renforcée par les indications concernant les tenues des personnages: «mitres de papier» (l. 15), «peints de flammes» (l. 16).
Le sens de la cérémonie n’est pas donné et les acteurs s’effacent derrière un on
collectif et de nombreuses tournures passives.On a l’impression que seuls subsistent,
sous la plume de Voltaire, des gestes, des mouvements, des sons et des images
dépourvus de signification.
f L’horreur est présentée de manière légère. Le vocabulaire employé est mélioratif («belle musique»,«chantait»,«cadence»…) et ne se rapporte pas au champ lexical
de la torture ou de l’exécution capitale.Ainsi,le bûcher est évoqué avec des termes
de cuisine: «brûlées à petit feu» (l. 5).
Pour éviter de désigner crûment la réalité de l’emprisonnement,Voltaire a recours
à la périphrase «des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais
incommodé du soleil» (l. 12). Cette périphrase est également un euphémisme.
Si le sermon est «très pathétique» (l.19),on ne peut que remarquer l’absence de tout
appel à l’émotion et de tout jugement de valeur explicite dans le texte. Cette
froideur neutre, en décalage avec la dimension tragique de l’événement, relève
également de l’humour et contribue à susciter l’indignation du lecteur.
26
Chapitre sixième
g On peut relever:«orna» (l.14),«en procession» (l.18),«sermon très pathétique» (l.19),
«belle musique en faux-bourdon» (l. 20), «en cadence, pendant qu’on chantait» (l. 20). Le
vocabulaire est nettement mélioratif, alors que l’on comprend queVoltaire veut au
contraire nous faire partager son indignation face à ce genre de pratique.
h Le principal procédé qui relève de l’ironie est l’antiphrase. Ainsi, le « bel
auto-da-fé» (l. 4) est à prendre à l’envers, tout comme les «sages du pays» (l. 2).
L’ironie est accentuée par le rapprochement de termes contradictoires : « ruine
totale » (l. 3)/« bel auto-da-fé » (l. 4) ; « petit feu » (l. 5)/« grande cérémonie » (l. 5) ; « un
secret infaillible pour empêcher la terre de trembler » (l. 6)/« Le même jour, la terre trembla
de nouveau dans un fracas épouvantable» (l. 23).
Les procédés de décalage (absurde) ou d’atténuation (humour) qui concourent
à renverser l’éloge de l’autodafé en jouant sur l’implicite relèvent également de
l’écriture ironique au sens large.
j L’absurde, l’humour et l’ironie amusent le lecteur et captent ainsi son attention
plus aisément qu’un discours théorique. De plus, ces formes difficilement dissociables dans le texte fonctionnent sur le mode implicite et participent du registre
ironique. Si le lecteur sourit, c’est qu’il a compris qu’il fallait dépasser la stricte
littéralité.Le sens est sous-entendu,et le lecteur est amené à bâtir lui-même sa propre
critique de l’obscurantisme et du fanatisme.
k Le chapitre est centré sur l’épisode de l’autodafé qui, en lui-même, est déjà une
sérieuse atteinte à la théorie de l’optimisme, car les victimes innocentes y sont
nombreuses. En effet,Voltaire ne se contente pas de Candide et de Pangloss, il
présente trois autres condamnés:le Biscayen et les deux Portugais.Mais à ces quatre
morts (si l’on considère que Pangloss est mort) s’ajoutent les victimes des deux tremblements de terre. Le début du chapitre nous rappelle ce qui s’est passé dans le
chapitre 5,et la cérémonie est suivie d’une nouvelle secousse «épouvantable» (l.24).
À la fin du passage,le discours intérieur de Candide rappelle au lecteur d’autres morts
tout aussi abominables: la noyade de Jacques et la mort supposée de Cunégonde.
Le lecteur est d’autant plus choqué que ces deux personnages sont présentés
de manière positive: «le meilleur des hommes» (l. 30), «la perle des filles» (l. 32).
Ainsi,par le biais du retour en arrière et du discours récapitulatif,Voltaire multiplie
le nombre de malheurs et rejette de cette manière la théorie de l’optimisme.
l Dans le premier paragraphe,Voltaire désigne clairement les autorités intellectuelles
et religieuses : « les sages du pays », « l’université de Coïmbre ». Ces autorités sont
incapables de donner une réponse à la question du Mal ; aussi n’ont-elles « pas
trouvé un moyen plus efficace» que le «spectacle» (l.5) de l’autodafé qui rappelle les jeux
27
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
du cirque (munus dare populo). Incompétentes, elles sont prisonnières de leurs rites
(les diables, les flammes, les griffes, la cadence…), à la manière des païens.
Voltaire s’en prend précisément à l’Inquisition mais plus généralement à toutes
les autorités religieuses et intellectuelles (la confusion de l’intellectuel et du
religieux caractérise Coïmbre et inquiète sans doute Voltaire), qui, ne pouvant
résoudre les questions philosophiques d’importance comme celle de l’existence du
Mal, se réfugient dans des dogmes stériles.
m Les troisième et quatrième paragraphes s’ouvrent tous les deux sur une phrase
déroulant une longue énumération d’adjectifs se rapportant à Candide.L’accumulation
a une valeur d’hyperbole;dans le premier cas,l’énumération accentue la détresse de
Candide en additionnant des adjectifs exprimant ce désarroi. L’allitération en t et
p, ainsi que la répétition de «tout» et de la voyelle nasalisée an viennent renforcer
l’hyperbole et inscrire le passage dans le genre de la parodie du roman d’aventures.
La seconde énumération fonctionne de la même manière et relève également de la
parodie du romanesque. Cependant, une critique de la religion vient s’y glisser,
puisque le participe «fessé» est mis sur le même plan que les trois autres participes
qui appartiennent, eux, au langage de la religion. Cette association étonnante discrédite le pardon (« absous », « béni ») en lui associant le châtiment. La religion
catholique s’en trouve privée de toute dimension spirituelle.
w Deux passages dans le chapitre soulignent la place prise par l’apparence aux
dépens du sens véritable.Tout d’abord, on a pu remarquer que les condamnés ont
été jugés sur leur apparence et non sur un fait avéré. Les deux Portugais « en
mangeant un poulet en avaient arraché le lard» (l.8),et rien ne dit que c’était parce qu’ils
ne voulaient pas le manger. Pangloss est accusé d’avoir «parlé» (l. 10), mais l’on ne
sait pas de quoi. Candide s’est montré totalement passif et il est jugé sur son «air
d’approbation» (l.11).Dans ces trois cas,l’apparence a prévalu;on pourra ajouter que
le Biscayen a lui aussi été condamné suite à un aveu qui ne reflétait pas nécessairement la réalité d’un fait.
La cérémonie affiche également le règne des apparences.Voltaire décrit le costume
des personnages sans en donner la signification.Les flammes sont droites ou renversées,
les diables portent ou non des griffes. On ne sait pas ce que cela signifie; on devine
simplement que le costume de Candide signale que son crime est moins grave que
celui de Pangloss. Les rites religieux sont réduits à des signes vides ; la religion est à
l’image des «mitres de papier»: une institution dénuée de signification spirituelle.
28
Chapitre sixième
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 67 À 73)
Examen des textes
a Le dynamisme de la fable repose en partie sur la subtilité du jeu avec les différentes valeurs du présent. On rencontre:
– un présent de l’énonciation (« je crois », « ne nous flattons donc point »…) qui
appartient au dialogue et donne sa dimension théâtrale à la fable ; La Fontaine
s’adresse directement au lecteur («vous» dans la morale et «il faut l’appeler»);
– un présent de vérité générale («répand», «se font»…) qui marque le glissement
du narratif vers le didactique.
z Le contraste entre les deux crimes est souligné par différents procédés:
– la symbolique traditionnelle des animaux;
– le fait que seuls deux personnages s’accusent;
– le crime du lion mis en relief par des hyperboles : la quantité, l’importance du
crime («le berger» occupe un vers à lui tout seul), la gratuité du crime («mes appétits
gloutons», «nulle offense»);
– le crime de l’âne qui est atténué: le singulier et les procédés de réduction («en
passant», «la largeur de ma langue»), la «faim» qui a remplacé les «appétits gloutons».
e L’annonce du sacrifice d’Iphigénie est tout d’abord mise en valeur par la composition du passage. Le premier vers («apprends ce qui le cause») met le spectateur dans
une situation d’attente et le récit des circonstances retarde la révélation.
Deux octosyllabes,après la succession construite des alexandrins,désignent Iphigénie;
cette rupture accentue la tension dramatique; la réplique très courte d’Arcas vient
renforcer cette tension. La diérèse qui allonge « sacrifiez » contribue à mettre en
relief la révélation.
r Le texte est centré sur la cérémonie qui se déroule sous les yeux de Robinson;
on est en focalisation externe: «si bien que Robinson se demandait», «devait prononcer
des malédictions que Robinson n’entendait pas».
Le point de départ du passage, qui constitue le cadre du texte, est une focalisation
omnisciente: Michel Tournier pénètre à l’intérieur de la tête de son personnage,
comme le laisse entendre l’emploi du verbe « devinait » ; plus loin on lit : « se
demandait », « n’entendait pas » ; l’explication du processus du bouc émissaire est à
rapporter à l’auteur: «épidémie ou sécheresse». La narration, le romanesque sont ici
prétextes à une analyse anthropologique.
t On peut relever: «décharnée», «échevelée», «chancelant», «avidement», «soulevée»,
«brusques», «tendait le bras», «grande ouverte», «malédiction», «souffrir», «secoué de grands
frissons», «machette», «voler le tablier»…
29
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Comme l’explique René Girard dans son analyse du processus sacrificiel, le point
de départ est « un état de désordre extrême ». Il emploie les mots de « crise » et de
«communauté» pour poser la double cause des sacrifices.
• Le sacrifice est d’abord un acte social:
– « les sages », la répétition de on constituent autant de marques de la dimension
sociale du sacrifice dans le texte de Voltaire;
– La Fontaine parle des «animaux» et sous-entend la présence autour des principaux protagonistes d’une foule («flatteurs», «chacun»…);
– les pluriels sont nombreux dans la tirade d’Agamemnon: ils signalent la place du
collectif;
– le sacrifice de l’Indien se déroule devant la communauté rassemblée autour de la
sorcière.
• Le sacrifice est censé régler une situation de crise : le tremblement de terre de
Lisbonne, la peste, l’absence de vents favorables, «un mal quelconque» («épidémie ou
sécheresse»).
• La victime choisie est un être faible incapable de se défendre,qui concentre sur lui
la tension collective. La «communauté entière» est «transformée en foule violente»; son
agressivité lui permet de retrouver une unité que la situation de crise lui avait fait
perdre. Le principe du bouc émissaire aide la société à conserver sa cohésion.
Remarque: On pourra également s’appuyer sur l’essai La Violence et le Sacré de René
Girard; mais il est difficile de trouver dans ce livre des passages courts accessibles aux élèves.
Dans Je vois Satan tomber comme l’éclair, le passage consacré à «l’horrible miracle
d’Apollonius de Tyane» éclaire bien également le fonctionnement du rite sacrificiel.
Commentaire
On peut organiser le commentaire de la manière suivante:
1. Une fable
A. Un texte narratif
• Une progression chronologique.
• Le jeu des temps du passé:imparfait pour les actions d’arrière-plan et passé simple
pour les actions de premier plan.
• Le cadre spatio-temporel (le monde des animaux) et les personnages (individualisés ou non).
B. Un texte qui renouvelle la forme poétique traditionnelle
• Une forme traditionnelle: un titre et un texte; des vers et des rimes.
30
Chapitre sixième
• Le renouvellement de la forme donne à la fable sa souplesse et son dynamisme:
– longueur variée des vers et systèmes de rimes différents;
– la longueur du vers souligne le contenu (vers 29).
C. Une finalité didactique
• Les animaux ressemblent à des hommes:maladie,organisation,parole et réflexion…
• Une morale à la fin:
– le système énonciatif;
– les marques de la généralisation : la valeur modale de certitude, l’article défini,
la simplicité frappante de la formule (parallélisme syntaxique).
2. La mise en scène du drame
A. La dimension théâtrale
La parole occupe beaucoup de place dans cette fable.
• Le discours direct:
– les marques de l’oralité;
– l’insertion du discours dans le récit:proposition incise et ponctuation du dialogue.
• Le discours se fond dans le récit:
– discours indirect (vers 56-58);
– discours indirect libre (vers 60);
– forme «narrativisée» du discours (vers 44-48);
B. La situation dramatique
• Le resserrement de l’action: la règle des trois unités est respectée.
• La présence de la mort: elle encadre le texte (la peste, la mort du baudet).
C. L’hyperbole crée la tension dramatique
• La situation initiale (première strophe).
• L’opposition du lion et de l’âne:
– les crimes;
– la considération des autres animaux et le rang social.
3. La visée critique
A. Une parodie de justice
• La procédure judiciaire: aveu, discours, condamnation.
• Les acteurs du tribunal: accusé, procureur, etc.
• Le rôle du collectif: la place et la valeur du pronom indéfini on.
B. La remise en cause du système du bouc émissaire
• La présence de l’idée de sacrifice dans le texte.
• Le champ lexical de la religion.
• Une critique de l’Inquisition ?
31
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
C. La critique du pouvoir absolu
• Un pouvoir criminel: l’accumulation des crimes du lion.
• Un pouvoir hypocrite: le simulacre d’aveu du lion.
• L’originalité de la critique de La Fontaine est qu’elle ne dissocie pas le roi de
la Cour : le lion peut dire sans crainte « je me dévouerai donc » car son autorité est
garantie par les «flatteurs».
La morale insiste sur cette dimension collective: «les jugements de cour».
Dissertation
On peut adopter le plan suivant:
1. Souvent les personnages de fiction sont des victimes
A. Des personnages fragiles
• La fragilité des personnages: Candide et les personnages naïfs, des personnages
sensibles,des personnages faibles,l’Indien et l’âne dans le corpus,l’agneau de la fable
«Le Loup et l’Agneau», Robinson Crusoé seul sur son île…
• Cette fragilité touche le lecteur:le succès deVictor Hugo avec Cosette dépasse les
frontières et traverse les siècles. Le personnage fragile nous touche (pathétique);
le lecteur sensible s’identifie facilement à lui peut-être.
B. Des personnages pris dans des situations difficiles
• Dans certains romans, les malheurs s’accumulent: Fantine dans Les Misérables.
• Le ressort de la tragédie est justement l’emprise du destin sur le personnage; tout
est décidé à l’avance.
C. La place de la société
La fragilité du personnage fait ressortir la cruauté d’une société dans laquelle règne
la loi du plus fort. Ainsi fonctionnent « Le Loup et l’Agneau » et « Les Animaux
malades de la peste». Les romans de Victor Hugo ou de Balzac donnent une place
similaire à la société. À la fin de Madame Bovary, le pharmacien Homais a le
dernier mot.
2. Il existe cependant des héros triomphants
A. Le modèle du héros
• Dans l’Antiquité et dans les romans de chevalerie.
• Dans les romans d’aventures: le héros est plus fort et plus intelligent.
• Et si le héros se trouve confronté à une difficulté, c’est pour mieux révéler ses
qualités.
32
Chapitre sixième
B. Le superlatif
• Des personnages extraordinaires.
• Des situations extraordinaires (par exemple, dans la tragédie).
• Des passions hors du commun.
C. Des héros à la conquête de la société
• Le Père Goriot de Balzac.
• Bel-Ami de Maupassant.
3. Des personnages confrontés à la société
A. Le personnage de fiction se détache
Faible ou fort, le personnage de fiction est nécessairement différent. On pourra
étudier les jeux de contraste qui soulignent la spécificité des personnages (« Les
Animaux malades de la peste»).
B. Le personnage de fiction affronte la société
Qu’il perde ou qu’il triomphe, nous assistons à la même confrontation du singulier
et du collectif.
C. Le personnage de fiction nous représente
Ce que nous cherchons dans le personnage de fiction, c’est une image de nousmêmes, de nos désirs, de nos affrontements et de nos angoisses.
Écriture d’invention
Le discours devra utiliser les procédés rhétoriques du plaidoyer tout en présentant
de manière organisée et approfondie une argumentation.
Quelques suggestions:
– Candide explique que l’accusation est mensongère:la justice n’a pas pris les moyens
de mener une réelle enquête. On ne peut condamner sans preuve.
– On ne peut condamner pour un délit d’opinion. La liberté d’opinion est nécessaire au progrès de la société.
– La religion ne peut se mêler de science.Le principe du bouc émissaire est archaïque
et ne résoudra en rien la question des tremblements de terre comme celle de la
peste.
– La société ne détient pas le droit de vie et de mort.
33
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Chapitre dix-septième (pp. 117 à 121)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 122 À 126)
a L’action se déroule dans un pays inconnu de Candide et de Cacambo, puisque
se pose la question du lieu: «Où sommes-nous ?» (l. 66). Seul le lecteur, parce qu’il a
lu le titre du chapitre,connaît le nom du pays dans lequel se trouvent les deux voyageurs.Cependant,le décor est dessiné:les abords d’un village («la première maison du
village», l. 69), puis une auberge («un cabaret», l. 78; «l’hôtellerie», l. 79). L’impératif
« entrons », à la fin du premier paragraphe, marque le passage de l’extérieur vers
l’intérieur – ce qui constitue une étape importante dans la découverte du pays.
On apprendra dans le discours de l’hôte que le village n’est qu’un «pauvre village»
malgré le luxe extraordinaire des maisons («bâtie comme un palais d’Europe», l. 70).
z La progression du récit est jalonnée par deux marqueurs temporels placés en tête
de paragraphes : un adverbe de temps – « Aussitôt » (l. 79) – et une subordonnée
circonstancielle de temps – « Quand le repas fut fini » (l. 92). On peut également
relever un et à valeur chronologique dans le premier paragraphe («Cacambo s’approcha de la porte, et entendit», l. 73), et un «enfin» dans le dernier paragraphe.
Les passés simples expriment l’enchaînement des actions: «manquèrent», «s’écria»,
«approchèrent», «s’approcha», «servit»…
e Les personnages individualisés: on peut distinguer Candide et Cacambo,dont
les noms sont donnés et que le lecteur connaît déjà, des personnages appartenant à
l’Eldorado et simplement nommés par leur fonction: «deux garçons et deux filles de
l’hôtellerie» (l. 79), «l’hôte et l’hôtesse» (l. 94).
Le collectif: de nombreux personnages, non différenciés, constituent un groupe
de figurants (« Une foule de monde », l. 71 ; « Les convives […] des marchands et
des voituriers », l. 88). L’emploi du pronom personnel indéfini on (« on parlait »,
« on servit ») gomme encore les contours individuels et donne l’impression que
tous ces figurants appartiennent en fait au décor.
r La progression d’ensemble des deux personnages dans ce chapitre comporte trois
étapes: l’observation, l’action et la communication. Le passage délimité marque le
début de l’action. En effet, Candide et Cacambo, après avoir regardé les enfants du
village, se décident à « ramasser l’or, les rubis et les émeraudes » (l. 65). Le verbe
approcher est employé deux fois dans le premier paragraphe afin d’exprimer cette
progression des personnages. À la fin du paragraphe, Cacambo propose à Candide
d’entrer en contact avec les habitants : « Je vous servirai d’interprète » (l. 77). Cette
évolution au cours du premier paragraphe est à l’image de la progression d’ensemble
34
Chapitre dix-septième
du passage, puisque l’on va passer d’un début à dominante narrative à un dernier
paragraphe essentiellement constitué de paroles rapportées.
t Le chapitre 17 s’achève par une réflexion attribuée aux deux voyageurs
(«disaient-ils l’un et l’autre»), mais davantage formulée par Candide («je», la référence à Pangloss et à la Vestphalie). Ce discours joue le rôle d’une conclusion en
replaçant l’épisode dans la perspective du conte.L’allusion à Pangloss et à laVestphalie
rappelle d’autres moments du récit; le chapitre 17 est vu par rapport au chapitre 1;
cette dernière étape du passage marque un élargissement: le récit d’une découverte
particulière, celle d’un pays étrange, débouche sur une réflexion généralisante.
Dans le cours du dernier paragraphe, le jeu des temps annonce cette ouverture.
« Cacambo expliquait à Candide » (l. 105) : le passé simple fait place à un imparfait
que l’on voit encore dans la proposition incise «disaient-ils l’un et l’autre» (l. 108); le
temps minuté a disparu et le récit marque une pause qui annonce la fin du chapitre.
La même progression caractérise le discours direct.Les présents de l’énonciation des
premières phrases cèdent le pas à un présent de vérité générale, puis à un passé
composé («je me suis souvent aperçu», l. 112) qui marque un regard rétrospectif et
inscrit l’expérience présente dans le contexte du conte.
Le «pays où tout va bien» (l.110) est opposé à un monde où «tout allait mal» (l.112).
Cette ouverture finale donne son sens à l’Eldorado:il est une étape dans l’évolution
de Candide, il présente des valeurs modèles mais véhicule également une
critique du réel.
y Le passé simple du récit est occasionnellement relayé par un présent de narration
(« invitent ») qui donne plus de vie à l’épisode en le rapprochant du lecteur. On
rencontre des présents de l’énonciation dans les paroles des personnages («sommes»,
« entrons », « voyons », « pardonnez »…), mais aussi des présents de vérité générale
(« apprend », « sont payées »…) qui permettent de dégager les valeurs spécifiques à
l’Eldorado. L’imparfait occupe une place importante dans le passage, soit pour
exprimer un arrière-plan de l’action principale («on parlait péruvien»,l.74),soit pour
permettre la description («pesait deux cents livres», l. 82).
La multiplicité des temps et de leurs valeurs témoigne de la multiplicité des formes
de discours dans le passage: récit, parole des personnages, réflexion généralisante,
description. La découverte de l’Eldorado se fait de différentes manières et Voltaire
ne cesse de varier les modes d’écriture afin de rendre le passage dynamique. Ce
qui pourrait être l’évocation statique d’un univers idéal s’anime et s’enrichit de
dialogues et de réflexions. Le pays est vu en focalisation zéro (la description du
repas) ou par le regard de Candide; il est présenté au travers du récit mais aussi des
descriptions et des discours (celui de l’hôte) ; enfin, il est l’objet d’une réflexion
qui en donne la signification.
35
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
u Deux voyageurs pénètrent dans ce pays fermé qu’est l’Eldorado, mettant ainsi
en contact deux univers radicalement différents. La surprise qui caractérise cette
rencontre est double. D’une part, Candide et Cacambo sont étonnés de ce qu’ils
voient et multiplient les interrogations (« Où sommes-nous ? », l. 66 ; « Quel est
donc ce pays », l. 107). Le champ lexical de la surprise est présent dans le texte :
« surpris », « admiration », « égarement ». D’autre part, le regard étonné existe également du côté des habitants de l’Eldorado, et les expressions qui soulignent la
surprise des hôtes sont nombreuses et fortes: « éclatèrent de rire » (l. 94), « se tinrent
longtemps les côtés» (l.95),«se remirent» (l.95),«nous ne sommes pas accoutumés» (l.97),
«nous nous sommes mis à rire» (l. 98). Cette surprise à double sens donne du relief
à la découverte de l’Eldorado et vient s’ajouter aux procédés sur lesquels repose le
dynamisme de l’extrait.
i Les animaux servis lors du repas (perroquet,condor,singe,colibri,oiseau-mouche)
ainsi que les «liqueurs faites de canne de sucre» (l. 87) appartiennent au champ lexical
de l’exotisme.Les récits de voyages ont mis les pays lointains au goût du jour.C’était
déjà le cas avec la Turquie au temps de Molière; on le voit dans les Lettres persanes
de Montesquieu, mais aussi, quoique d’une autre manière, dans L’Île des esclaves
de Marivaux. Bougainville connaît également un grand succès. Cette présence
marquée de l’exotisme dans le texte de Voltaire paraît même suspecte et on peut y
voir une sorte de parodie des récits de voyages à la mode.
On peut relever les termes qui désignent des matières précieuses telles que «l’or, les
rubis et les émeraudes» (l.65),les vêtements «de drap d’or» (l.80),la vaisselle qui semble
plus précieuse encore que le «cristal de roche» (l. 86).
Les marques de l’abondance peuvent exprimer de même la richesse, qu’il s’agisse
des nombres dans le deuxième paragraphe («quatre potages»,l.81;«deux cents livres»,
l.82; «trois cents colibris»,l.83; «six cents oiseaux-mouches»,l.84) ou du simple emploi
du pluriel («plusieurs liqueurs», l. 87; «Les convives», l. 88).
o L’harmonie sous toutes ses formes semble définir l’Eldorado. Dans le premier
paragraphe, c’est tout d’abord l’accord harmonieux entre la «musique très agréable»
(l. 72) et l’«odeur délicieuse» (l. 73) qu’exprime le parallélisme syntaxique: «une […]
se faisait entendre»/«une […] se faisait sentir».
L’harmonie règne surtout entre les habitants. On remarque, au début du deuxième
paragraphe, l’attention des « deux garçons et des deux filles de l’hôtellerie » (l. 79) qui
invitent Candide et Cacambo à s’asseoir à la « table de l’hôte », celle où, pour une
somme modique, on peut être servi à volonté. L’hôte et l’hôtesse se montrent
également très accueillants dans le dernier paragraphe:«Messieurs»,«pardonnez-nous»,
«pauvre village», «mauvaise chère»…
Non seulement l’accueil des hôtes est agréable, mais l’attitude des convives est
36
Chapitre dix-septième
faite d’un équilibre subtil entre curiosité («quelques questions», l. 89) et «discrétion»
(l. 90), questions et réponses. Le tout est résumé par une expression qui pourrait se
rapporter à tous les personnages rencontrés par nos deux voyageurs: «une politesse
extrême » (l. 89). Il n’est pas jusqu’au gouvernement qui ne participe à cette
harmonie de principe en favorisant le commerce grâce à la gratuité des auberges.
q Les énumérations, au début du premier paragraphe ou lors de la description du
repas,créent un effet d’accumulation qui relève de l’hyperbole,tout comme l’abondance du lexique mélioratif et la présence des superlatifs (« très agréable », « la plus
circonspecte»).
L’hyperbole est soulignée par le discours de l’hôte : on y apprend que les pierres
précieuses ramassées par Candide et Cacambo ne sont en fait que «les cailloux [des] grands
chemins » (l. 99) et que le village où ils ont été si bien accueillis n’est qu’« un pauvre
village» (l. 103) dans lequel on fait «mauvaise chère» (l. 103). L’hyperbole consiste ici à
amener le lecteur à se demander ce que peut être la richesse dans un pays où la moindre
hôtellerie vous sert des repas dignes des «palais d’Europe» (l. 70).
Ces formes de l’hyperbole sont des marques archétypales du merveilleux et du conte;
elles montrent que l’Eldorado ne peut être qu’une fiction. Le monde « où tout
va bien» ne saurait être réel.Il ne nous reste donc que le monde «où tout [va] mal»…
On peut aussi voir dans l’hyperbole une marque de la parodie.Voltaire, en en
exagérant les traits, se moque des utopies à la mode et des récits de voyages dans
lesquels fleurit le mythe du «bon sauvage».
s Les «larges pièces d’or» ne sont que les «cailloux de nos grands chemins» (l. 99): ce
passage reprend le thème,récurrent dans le chapitre,de l’inversion des valeurs.Dans
le monde de l’Eldorado, la misère n’existe pas et tout le monde (« Une foule de
monde»,l.71) peut faire un festin dans la plus modeste des hôtelleries.Les étrangers
sont bien accueillis et la politique du royaume est de favoriser le commerce.Ajoutons
que le monde évoqué dans cette scène s’oppose radicalement à celui présenté
dans les chapitres précédents. En effet, Candide n’est plus chassé mais accueilli ;
il n’est plus battu mais somptueusement nourri.
La place accordée au repas dans le passage appartient également au monde de
l’inversion carnavalesque tel qu’on le rencontre chez Rabelais (Mikhail Bakhtine,
L’Œuvre de François Rabelais et la Culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance,
Gallimard, 1970).
d Candide commence à prendre ses distances vis-à-vis de son précepteur Pangloss,
ainsi que le montre la tournure adversative «quoi qu’en dît maître Pangloss» (l. 111).
Il constate l’originalité de l’Eldorado, ce pays « où toute la nature est d’une espèce si
différente de la nôtre » (l. 109), et, de ce fait, il remet en cause la vision méliorative
de Pangloss sur le reste du monde. Le « je me suis souvent aperçu » (l. 112) est
37
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
également un constat,mais plus élargi cette fois-ci.Cependant,le lien avec la philosophie optimiste n’est pas totalement rompu,puisque Candide a recours à un raisonnement à la manière de son maître:«C’est probablement le pays où tout va bien: car il
faut absolument qu’il y en ait un de cette espèce»(l.109-111).Candide continue donc de
raisonner et de supposer exacte la vision du «meilleur des mondes possibles». Il devra
encore parcourir du chemin pour se débarrasser de ces deux facettes de l’héritage
de Pangloss: la parole qui se substitue au réel et l’optimisme théorique.
f On découvre au début du passage que la première maison du village est digne
d’un « palais d’Europe »; le festin servi par l’hôtellerie est gratuit.Ainsi, le luxe est
accessible à tous. On en déduit que Voltaire critique ici les inégalités sociales et
notamment l’écart qui sépare le luxe des Cours européennes («palais») de celles
du peuple («des marchands et des voituriers»).
La référence à la «politesse extrême» (l. 89) laisse apparaître une critique des relations
sociales faites d’agressivité, d’indifférence ou de curiosité indiscrète.
Dans l’idée que les «hôtelleries établies pour la commodité du commerce sont payées par le
gouvernement» (l. 101), on devine une critique de la politique française qui, selon
Voltaire, ne favorise pas suffisamment le commerce et l’initiative.
Enfin,l’écriture hyperbolique de ce chapitre appartient certes au registre merveilleux
mais aussi à celui, plus critique, de la parodie. On devine que Voltaire se moque des
coïncidences bien opportunes dans les récits (« on parlait péruvien ; c’était sa langue
maternelle»,l.74).Voltaire se moque des utopies en vogue,des récits de voyages et du
mythe du «bon sauvage» que véhiculent quelques écrivains comme Bougainville.
Sous la plume deVoltaire, les bons sauvages sont des êtres de fiction car il ne saurait
exister de société parfaite sur Terre.
g L’évocation méliorative fait de l’Eldorado un modèle – ce qui est souligné par
les réactions des deux personnages: «Candide les écoutait avec la même admiration et le
même égarement que son ami Cacambo les rendait» (l. 106). La définition finale «le pays
où tout va bien » pose le pays comme un idéal ; peu importe le nom du pays (le
lecteur le connaît, et non Candide); ce que l’on apprend dans le chapitre 17, c’est
que cette contrée est un modèle qui contraste fort avec les lieux traversés jusque-là.
C’est un modèle sur le plan politique, puisque le gouvernement favorise le
commerce et permet à tous d’accéder aux festins; c’est un modèle social, puisque
règnent l’harmonie,le respect («discrétion la plus circonspecte») et l’accueil («les invitent
à se mettre à la table de l’hôte»).
h Au début du chapitre 14, Cacambo est présenté comme un valet. Ce terme est
repris au début du chapitre 16 (« Candide et son valet »). Le statut de Cacambo va
progressivement changer;en effet,au début du chapitre 17,on apprend qu’il «donn[e]
toujours d’aussi bons conseils que la vieille».
38
Chapitre dix-septième
Dans le premier paragraphe de notre passage,Cacambo est placé au même rang que
Candide («aussi surpris que Candide», l. 69), puis c’est à lui qu’est confiée l’initiative:
«Je vous servirai d’interprète,dit-il à Candide;entrons,c’est ici un cabaret» (l.77).Il a même
la supériorité de la langue. Le dernier paragraphe illustre ce rôle dominant : il
traduit à Candide les paroles de l’hôte. À la fin du chapitre, la hiérarchie maître/valet
a disparu (est-ce un effet de l’Eldorado ?) au profit d’une identification: «la même
admiration et le même égarement» (l.106),«disaient-ils l’un et l’autre» (l.108).Il n’est plus
question de valet mais d’«ami».
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 127 À 132)
Examen des textes
a La situation évoquée dans l’extrait du Critias de Platon est équilibrée dans la
mesure où ce que fournit la nature correspond aux besoins des différents êtres
vivants mentionnés. En effet, les animaux trouvent la nourriture qui leur convient:
« une pâture s’offrait à satiété », et Platon insiste sur le fait que tous les animaux sont
satisfaits, même «le plus gros et le plus vorace». Les hommes, quant à eux, n’éprouvent
aucun besoin:travail («travaillent le bois»),nourriture («fruits cultivés»),plaisir («qui sert à
l’amusement et au plaisir»), médicament («qui souffre de l’abondance du repas du soir»). La
nature est généreuse et le désir est absent du texte;les hommes vivent dans une situation d’équilibre qui repose principalement sur l’abondance: le champ lexical de la
quantité est bien représenté dans le texte («tout cela», «suffisamment», «largement représenté»,«tous ceux»,«abondance»…) et l’énumération est un procédé de style récurrent.
L’activité des hommes répond à la générosité de la nature: on retrouve le procédé
de l’énumération dans le deuxième paragraphe et il s’agit cette fois-ci de la
production des hommes. L’équilibre qui caractérise l’Atlantide, selon Platon, repose
également sur une harmonie entre la productivité de la nature et celle des hommes.
z Le champ lexical de l’architecture et de l’urbanisme occupe une place importante dans le texte:«rues»,«constructions»,«rangs»,«chaussée»,«maison»,«jardin»… Ces
termes sont souvent accompagnés d’un vocabulaire mélioratif qui montre bien qu’il
s’agit d’un modèle: «bien dessinées», «vaste jardin», «s’ouvrent d’une poussée de main»,
«admirablement»…
L’idéal architectural est aussi un idéal social car Thomas More imagine un habitat
citadin – ce qui suppose une organisation commune et un équilibre des relations:
– une certaine égalité: «deux rangs continus», «tirage au sort»;
– un travail dans le but de se faire plaisir: «leur zèle est stimulé par le plaisir»;
– un sens de la collectivité (vie de quartier): «les différents quartiers luttant à l’envi»;
– une société organisée par un «fondateur».
39
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Dans cet équilibre, la spontanéité (urbanisme sauvage ?) est absente; tout est pensé
(«bien dessinées, à la fois pour […] et pour […]»).
e Le champ lexical dominant dans le texte D est celui de la liberté.La devise est au
cœur du texte et tous les réseaux lexicaux semblent converger vers elle. On peut
relever:«selon leur gré»,«libre volonté»,«quand bon leur semblait»… Les énumérations
sont nombreuses dans le texte et expriment la multiplicité des possibilités; et tout
en donnant une impression d’abondance caractéristique de l’utopie,elles soulignent
l’existence du choix et du libre arbitre.
r La devise de l’abbaye relève de l’imaginaire car elle est l’exacte opposition de ce
qui règne dans les ordres religieux réels. D’ailleurs, Rabelais souligne lui-même
cette inversion: «non par des lois […] mais selon leur gré». Cependant, la devise n’est
pas que le contre-pied carnavalesque de la règle monastique. La liberté est un
principe justifié par un argument qu’introduit la conjonction de subordination
«parce que». L’homme «bien né» et «libre» a un penchant naturel pour la vertu. On
retrouve ici la confiance absolue en l’homme qui caractérise l’humanisme dans la
première moitié du XVIe siècle.
t La fantaisie utopique s’élabore toujours à partir de la réalité. On n’imagine rien
à partir de rien. On retrouve ainsi des éléments de la réalité dans le texte E: l’hôte,
le repas, la chasse, les alouettes, l’organisation de l’espace («le jardin du logis»).
Mais ces éléments subissent des transformations:la chasse est miraculeuse tout d’abord,
puisqu’on nous parle de «vingt ou trente alouettes» pour un seul coup de feu.Ensuite,
les étapes traditionnelles qui conduisent de la chasse à l’assiette sont fortement
resserrées: «toute cuite», «tue, plume et rôtit le gibier».
Travaux d’écriture
Question préliminaire
La nature est présentée comme généreuse dans différents textes – ce qui contribue
au bonheur des habitants. Cette abondance naturelle est un des aspects importants du champ lexical de l’abondance et de la richesse largement représenté dans
les textes: le monde utopique est prospère. La finalité des activités humaines ne
s’arrête pas à la stricte subsistance:il est question de plaisir,d’esthétique;le superflu
(compte tenu des contextes historiques) semble être devenu vital.
L’harmonie règne:entre la nature et les hommes,puisque la nature fournit ce dont
l’homme a besoin; entre les hommes également (hospitalité, politesse, égalité…).
Dans les cinq textes, on retrouve une absence de désir: les habitants sont satisfaits
et n’éprouvent aucun besoin – ce qui explique leur vie en autarcie. Il n’est pas
nécessaire d’aller chercher ailleurs ce dont on dispose en abondance sur place.
40
Chapitre dix-septième
Commentaire
On pourra développer le commentaire selon la trame suivante:
1. Un roman d’aventures
A. Les marques du récit
• L’expression du temps:
– les indices temporels définissent une progression chronologique;
– les temps du récit.
• Le cadre spatial:
– champ lexical de la géographie;
– évolution du décor selon la progression des personnages.
• Le dynamisme du récit:
– les verbes d’action;
– la diversité des formes : récit, dialogue et description (technique du point de
vue: focalisation externe).
B. Le roman d’aventures
• Multiplicité:
– les changements de décor;
– les rebondissements.
• Difficulté:
– décor hostile;
– actions périlleuses.
• Les héros (une attitude ambiguë):
– ne craignent pas le danger;
– sont en réalité passifs; leur aventure est plus le fruit d’un renoncement que d’une
initiative courageuse.
C. Une parodie du roman d’aventures ?
• La passivité des héros: des antihéros.
• Les hyperboles.
2. La découverte d’un nouveau monde
A. Un monde inaccessible
• Les détails géographiques:bords «escarpés» (l.29), «rivière» (l.29),«rochers» (l.30),
«écueils» (l. 35), «montagnes inaccessibles» (l. 37).
• La durée:
– en terme de distance: «quelques lieues» (l. 28), «une lieue entière» (l. 36);
– en terme de temps: «Au bout de vingt-quatre heures» (l. 34).
41
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
B. Un monde extraordinaire
• Animaux: «gros moutons rouges» très rapides (l. 42).
• Produits: «voitures d’une forme et d’une matière brillante» (l. 40).
3. Une utopie
A. La dimension générale
• Les marques de la généralisation.
• Le point de vue : au point de vue des voyageurs s’ajoute le regard omniscient
de l’auteur.
B. Le mélioratif et le superlatif
• Le monde extraordinaire est présenté sur le mode du superlatif:
– dimension : « s’élargissait toujours » (l. 29), « jusqu’au ciel » (l. 31), « horizon
immense» (l. 37);
– rapidité: «une rapidité et un bruit horribles» (l. 33), «qui surpassaient en vitesse» (l. 42);
– quantité: «partout» (l. 38), «étaient couverts» (l. 39).
• On peut relever un vocabulaire mélioratif:«plaisir» (l.38),«utile» (l.39),«agréable»
(l. 39), «ornés» (l. 40), «brillante» (l. 40), «beauté» (l. 41)…
C. Un modèle
• Prospérité (pluriel).
• Plaisir esthétique.
Dissertation
On peut adopter la démarche dialectique suivante:
1. La littérature nous fait rêver
A. La littérature nous présente des mondes de rêve
• Dans les mondes fictifs, tout est possible:
– l’engouement actuel pour Harry Potter et le succès durable du Seigneur des anneaux;
– dans les contes, les baguettes magiques jettent des bons et des mauvais sorts;
– les utopies présentent des mondes idéaux.
• Les personnages fictifs sont souvent des modèles:
– ils ont des qualités hors du commun;
– leur vie est extraordinaire.
B. Le dénouement est heureux
• Dans la comédie, le coup de théâtre final dénoue de manière étonnante les
intrigues les plus embrouillées.
• Le héros du roman d’aventures triomphe des difficultés.
42
Chapitre dix-septième
C. Le dénouement est connu d’avance
• Dans les tragédies,le dénouement est certes malheureux mais connu du spectateur;
c’est la loi du genre.
• De manière plus générale, le genre commande le dénouement et le lecteur a
l’impression de dominer le destin du personnage – ce qui est bien différent de ce
qui se passe dans la réalité:
– le roman policier;
– la comédie : si l’intrigue est originale, elle n’en respecte pas moins les lois du
genre.
2. La littérature nous fait réfléchir
A. La littérature nous fait réfléchir parce qu’elle représente le monde
• Les romanciers réalistes et naturalistes ont cherché à donner une image fidèle de
leur époque.
• L’œuvre, que son auteur le veuille ou non, est toujours inscrite dans une époque
donnée. Ainsi, les tragédies de Racine expriment la vision janséniste du monde
propre aux écrivains de Port-Royal.
B. La littérature nous fait réfléchir parce qu’elle nous parle de l’homme
• La place de la psychologie dans la littérature, et notamment dans le roman; on
pourra évoquer les analyses poussées de Marcel Proust quant au fonctionnement de
la mémoire ou de la jalousie.
• Même les personnages qui sont des types nous donnent à réfléchir car ils représentent l’homme dans ses défauts récurrents: les comédies de Molière, les Fables de
La Fontaine, les Caractères de La Bruyère.
• Même dans des mondes imaginaires, les personnages nous amènent à réfléchir:
Les États et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac,LesVoyages de Gulliver de Swift,
les romans de science-fiction tel Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley…
C. La littérature nous fait réfléchir parce qu’elle véhicule des idées
• La littérature au service de la critique:La Fontaine,Molière,Montesquieu,Voltaire.
• La littérature au service d’une vision du monde:la vision pessimiste de Maupassant
dans Bel-Ami ou optimiste de Jules Verne dans ses Voyages extraordinaires.
• La littérature au service d’un engagement philosophique ou politique:les poèmes
engagés de la Résistance, Le Silence de la mer de Vercors…
3. La littérature nous touche profondément
A. L’efficacité des formes comiques
• Le Castigat ridendo mores (« Elle corrige les mœurs par le rire ») de la comédie :
le comique touche le spectateur et véhicule la satire sociale.
43
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
• Les philosophes des Lumières, tels que Montesquieu et Voltaire, ont eu recours
au registre ironique pour contourner la censure et atteindre efficacement un
lectorat séduit par l’esthétique provocante et novatrice.
B. L’émotion
• Les ressorts du pathétique:Victor Hugo, Émile Zola…
• L’émotion poétique : la musicalité des poèmes de Verlaine ou d’Apollinaire,
les images étonnantes d’Arthur Rimbaud…
C. La dimension esthétique
• Ce qui caractérise l’œuvre littéraire et la différencie de toute autre forme de
production écrite, ce n’est pas sa finalité (faire rêver ou convaincre) mais sa
dimension esthétique: on lit toujours Voltaire et Zola.
• Le choix du vocabulaire,de la syntaxe,des procédés de style confère à l’œuvre son
originalité et touche le lecteur, indifféremment du registre.
Écriture d’invention
On attend:
– un récit qui serve de fil conducteur à la présentation de la ville mais qui reste
une simple trame ; on pénalisera les devoirs qui accorderont trop de place à la
narration;
– un point de vue qui permette de lier la description de la ville au récit;
– les procédés caractéristiques de l’utopie : inversion, hyperbole, vocabulaire
mélioratif…
– la double finalité de l’utopie: la mise en scène des valeurs modèles et la critique
implicite de la réalité.
Chapitre dix-neuvième (pp. 142 à 144)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 149 À 152)
a Ce passage constitue une sorte de parenthèse car, tout d’abord, il marque un
arrêt dans la progression de Candide:ayant quitté l’Eldorado,il se dirige vers Surinam
et la scène se déroule «En approchant de la ville» (l. 19). Le personnage du nègre, au
centre du passage, n’apparaît qu’à ce moment-là du récit; il n’en sera plus question
ensuite.La dernière phrase de l’épisode ferme la parenthèse en reprenant le trajet de
Candide là où il s’était interrompu: «il entra dans Surinam».
z Si le passage fonctionne comme une parenthèse,il n’est cependant pas totalement
coupé du reste du conte. La présence de Candide joue, comme dans d’autres
44
Chapitre dix-neuvième
chapitres, son rôle fédérateur et le personnage de Cacambo assure la cohésion des
chapitres 14 à 19.L’allusion finale à Pangloss est un élément récurrent du conte:elle
assure l’unité de l’œuvre malgré la dispersion des personnages chassés du paradis
terrestre de la baronnie (chap. 1); cette référence au philosophe et à son optimisme
aveugle marque aussi le lien du passage consacré au nègre de Surinam avec le
projet d’ensemble du récit.
e Le cadre spatio-temporel de la scène est nettement défini comme un passage: les
personnages quittent l’Eldorado et entrent dans Surinam ; ce voyage (glissement
spatio-temporel) s’interrompt le temps d’une rencontre fortuite et sans conséquence
explicite dans le récit.Mais,en dehors du lieu de la rencontre (les abords de Surinam),
plusieurs lieux sont évoqués. L’Europe est présentée comme l’univers de la consommation et du profit («vous mangez du sucre», l. 31); c’est un lieu coupé de la réalité de
l’esclavage, opposé même au monde de la plantation évoqué par le nègre. Le troisième
pôle du commerce triangulaire est également mentionné: «la côte de Guinée» (l. 33).
De même,le temps délimité de la scène est situé dans une temporalité élargie.Dans
le discours de Candide, on trouve une allusion à l’enseignement de Pangloss,
tandis que, dans le discours de l’esclave, deux passés apparaissent: un passé proche
– celui des mauvais traitements reçus – et un passé plus lointain – celui de la vente
en Afrique.
r Les paroles sont rapportées en discours direct;on peut relever en premier lieu les
marques d’insertion du discours direct dans le récit:
– la ponctuation spécifique (guillemets, tirets);
– les propositions incises.
On peut s’attacher ensuite aux marques de l’oralité que constituent les exclamations
et interjections,ainsi qu’aux divers indices de l’énonciation.Le repérage des marques
de l’énonciation (indices personnels et temporels) amène à mettre en relief les deux
niveaux de l’énonciation à l’intérieur du discours du nègre. En effet, dans son
discours, l’esclave rapporte les paroles de sa mère, et les présents de l’impératif
utilisés par la mère (« bénis », « adore-les ») renvoient à une temporalité antérieure
au moment de la scène représenté par d’autres présents de l’énonciation tels que
«je te vois» (l. 23) ou «J’attends» (l. 24).
t La trame narrative du passage, inscrite dans la trame générale du conte, sert
d’armature à l’épisode. En laissant de côté les quelques propositions incises qui
appartiennent au récit, on s’aperçoit que la forme narrative encadre le passage
(repérage des passés simples et des indications de temps que constituent les gérondifs);c’est elle qui permet l’insertion de l’épisode de l’esclave de Surinam dans l’économie du conte.
45
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
L’alternance du récit et du dialogue rend le passage vivant et donne une impression
de vérité.Ainsi l’emboîtement des discours (le discours de la mère rapporté par le
nègre) donne plus de vie au récit, mais aussi plus de réalité. Les mauvais traitements subis par l’esclave font ressortir à la fois la naïveté de la mère et la cruauté de
« nos seigneurs les blancs » (l. 35). L’impression de vérité est bien entendu au
service de la critique.
L’alternance des formes du récit et du discours permet également un quintuple point
de vue sur la situation du nègre:celui de l’auteur au travers du récit,celui du nègre
lui-même, celui de la mère, et enfin ceux de Candide et de Cacambo. Ce faisceau
de points de vue donne du relief et du poids à la critique implicite.
y Le seul terme affectif qui se rapporte au nègre est l’adjectif «pauvre» (l.21);c’est
l’unique marque de compassion de l’auteur et sans doute doit-elle être mise au
compte de la personnalité de Candide qui,lui,se montre bouleversé par la situation
de l’esclave.Ainsi Voltaire ne joue pas sur le pathétique pour toucher son lecteur,
mais sur les procédés de l’ironie.
u Le passage s’ouvre sur une vision d’ensemble et s’attache à la position du personnage:«étendu par terre» (l.19).Ensuite,le portrait se précise:éléments physiques («la
jambe gauche et la main droite»,l.21),détails quant à la nature,la matière et la couleur
de son vêtement («caleçon», l. 21; «toile bleue», l. 21), quantité («la moitié», l. 20); la
locution «c’est-à-dire» (l. 20) exprime cette volonté d’approfondir la description.
Voltaire souligne la cohérence du portrait en insistant sur les parallélismes:«n’ayant
plus que»/«il manquait»; «la moitié de son habit»/«la jambe gauche et la main droite».Le
nègre a perdu son intégrité.Tout est présenté sur le mode de l’amputation. La
description précise et cohérente donne une impression d’objectivité, la froide
minutie étant perçue comme un souci de vérité. Cette neutralité est en décalage
avec l’«état horrible» (l. 23) de l’esclave et a pour fonction de faire réagir le lecteur.
i Le discours de l’esclave reprend la tonalité neutre du récit initial,alors que Candide
vient de manifester son émotion («mon Dieu !», «état horrible», «mon ami»). Le ton
est celui de la résignation; le nègre a accepté son sort et son discours a le ton d’un
texte informatif à visée objective.Tout d’abord, la proposition courte «c’est l’usage»
(l. 26) exprime cette passivité du personnage. Ensuite, on ne peut relever aucune
marque d’émotion ou de sentiment dans le discours; bien au contraire, la froide
raison préside à la progression du discours. Ainsi, un raisonnement logique
répond à la question indignée de Candide («traité ainsi»,l.26):l’esclave présente une
situation générale (pronoms personnels nous et on) et l’applique ensuite à
son cas particulier («je me suis trouvé dans les deux cas», l. 30). À la fin du discours,
l’objectivité est également exprimée par un raisonnement balisé par les connecteurs
46
Chapitre dix-neuvième
logiques mais et or. L’esclave crée de cette manière une distance ; il n’exprime
pas ce qu’il ressent mais raisonne et situe son propre cas dans un contexte économique qui le dépasse. En effet, tous les aspects du commerce triangulaire sont
présentés froidement, sans que le nègre ne s’apitoie sur l’injustice de son sort.
o C’est Candide,le seul regard ému,qui emploie l’expression «état horrible» afin de
souligner la condition de l’esclave telle qu’elle a été présentée dans le récit liminaire.
En effet, cette expression résume la description : l’esclave est « étendu par terre »,
privé de la moitié de son habit, d’une jambe et d’une main. L’horreur de la
situation du personnage est ensuite évoquée à nouveau dans le discours du nègre.
Elle prend la forme d’une justification : « on nous donne un caleçon […] deux fois
l’année» explique «la moitié de son habit»; «on nous coupe la main» et «on nous coupe la
jambe» éclairent «il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite». Le parallélisme des expressions dans le discours de l’esclave est un écho des effets de
symétrie remarquables dans la description initiale (voir question 7), de sorte que
l’expression centrale («état horrible») joue parfaitement son rôle fédérateur et peut
ainsi mettre en relief les décalages qui assurent le fonctionnement de l’ironie:
– le décalage entre l’«état horrible» et la neutralité du récit;
– le décalage entre une situation de déséquilibre (l’atteinte à l’intégrité physique
de l’esclave) et la belle organisation des jeux de symétries dans la description comme
dans le discours;
– le décalage entre l’horreur de la situation et la résignation froide (voir question 8) de l’esclave qui se contente d’attendre son maître; ce décalage est souligné
par le contraste de ton entre la question (une quasi-interrogation rhétorique) de
Candide et la réponse objective et dénuée de passion du nègre.
q Dans le passage consacré à la sucrerie, l’ironie repose également sur le fonctionnement d’un réseau de décalages soulignés par la neutralité du compte rendu fait
par l’esclave:
– le décalage entre le sens suggéré du nom Vanderdendur et la connotation
simplement hollandaise: on sent la présence de Voltaire derrière le discours et le
lecteur n’a pas la même position que Candide malgré la technique du point de vue;
– le décalage entre l’adjectif «fameux» (l. 24) et la réalité qu’il recouvre; là encore,
le lecteur ne peut adopter le point de vue de l’esclave;
– le décalage entre l’ordinaire et l’extraordinaire: l’état de l’esclave paraît hors du
commun et l’esclave le justifie par une généralisation («c’est l’usage») ; «nous travaillons
aux sucreries » (l. 28) est un état ordinaire, alors que l’expression coordonnée « et
que la meule nous attrape le doigt » (l. 28) ne renvoie pas à une habitude ; l’horreur
s’en trouve banalisée – ce qui ne peut manquer de choquer le lecteur;
– le décalage entre le crime et le châtiment : l’absence de crime qui consiste à
47
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
travailler à la sucrerie est finalement suivie d’une punition («on nous coupe la main»);
ainsi Voltaire détourne une réalité médicale (la lutte contre la gangrène en cas
d’accident) en la mettant sur le même plan que l’amputation de la jambe suite à une
tentative de fugue (loi du talion formulée dans le Code noir institué par Louis XIV);
– le décalage entre la souffrance des esclaves et le plaisir des Européens; l’expression
«C’est à ce prix» (l. 31) laisse entendre que la gourmandise du lecteur occidental
se paie d’une jambe et d’une main.
s L’ensemble du discours du nègre fonctionne sur un jeu de décalages ; les
raisonnements de l’esclave résigné expriment en réalité l’indignation de Voltaire.
Le registre ironique est au service de la critique. On peut relever également:
– le décalage entre l’optimisme de la mère, exprimé au travers d’un vocabulaire
mélioratif, et la réalité horrible de l’esclavage;
– le décalage entre les préceptes religieux (le vocabulaire de la famille pour exprimer la fraternité annoncée) et le traitement réservé aux esclaves.
d Au travers de la présentation de la misère du nègre dans le récit initial comme
dans le discours de l’esclave,Voltaire critique implicitement l’esclavage en attaquant les trois pôles du commerce triangulaire. D’abord, l’achat de l’esclave est
rendu possible par le mensonge des uns et la naïveté des autres; ensuite, l’esclave
est maltraité par le négociant; tout cela permet enfin aux Européens de consommer du sucre à un coût réduit. Le fondement de l’esclavage est économique, et
Voltaire s’en prend également à la bonne conscience que se donne la société européenne en envoyant des missionnaires pour évangéliser les esclaves. À une époque
où la question de la nature humaine des esclaves est encore débattue,Voltaire présente un esclave capable de construire des raisonnements élaborés (voir question 8)
et montre ainsi qu’on ne peut douter de l’humanité des peuples noirs ; dans ces
conditions,la position des religieux (fraternité prêchée et mauvais traitements infligés)
est nettement critiquée.
f Le paradoxe mis en avant par l’esclave à la fin de son discours («nous sommes tous
cousins issus de germain. Or vous avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une
manière plus horrible », l. 42-44) contribue à critiquer l’esclavage dans la mesure où il
dénonce la bonne conscience des nations européennes. Mais c’est aussi la religion qui
est visée ici.Ce qu’elle prêche est montré comme en désaccord avec la réalité.Prenant
au sens propre le «nous sommes tous enfants d’Adam,blancs et noirs» (l.40),le nègre en tire
des conséquences («ses parents»/«horrible») qui discréditent les propos des missionnaires.
L’emploi de la périphrase « les fétiches hollandais qui m’ont converti » (l. 39) pour
désigner les prêtres dévalorise l’institution religieuse, d’autant plus que le terme
«fétiche» a déjà été utilisé en rapport avec la religion primitive de l’esclave.
48
Chapitre dix-neuvième
La critique de la religion est récurrente dans Candide; elle était une des finalités du
passage consacré à l’autodafé (chapitre 6); plus tard, le fils du baron étant devenu
jésuite, les critiques sociale et religieuse vont se mêler et se renforcer l’une l’autre,
tandis que le lecteur se souvient avoir rencontré dans le pays de l’Eldorado une
société déiste qu’aucune institution religieuse et qu’aucun dogmatisme ne venaient
réglementer.
g L’«état horrible» de l’esclave, après le bonheur de l’Eldorado, marque un retour à
la réalité négative déjà exposée dans la première partie du conte.De plus,la réaction
de Candide au discours de l’esclave rattache l’épisode au projet du conte dans son
ensemble. Sans s’attarder sur le problème spécifique de l’esclavage, Candide
déduit de «cette abomination» que le monde n’est pas aussi beau que l’affirme Pangloss.
Cacambo vient renforcer la critique de l’optimisme en demandant une définition
dans laquelle l’opposition entre « tout est bien » et « on est mal » rend la notion
absurde.
h Candide a progressé dans la mesure où il prend ses distances vis-à-vis de l’optimisme de Pangloss. Il ne fait plus sienne la théorie de son maître (« je renonce à
ton optimisme») et donne de l’optimisme une définition absurde.
Cependant, Candide se contente de se lamenter («Ô Pangloss !», «Hélas !») et de
pleurer («il versait des larmes», «en pleurant»), sans être capable de passer à l’action. Il
ne propose aucune solution et poursuit son chemin: «il entra dans Surinam».
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 153 À 159)
Examen des textes
a La composition du texte est très nettement circulaire. Le présent et le passé du
personnage se trouvent prisonniers du fait de la répétition de la phrase nominale
exclamative «Condamné à mort !». Le passage à l’imparfait, qui évoque de manière
lyrique les souvenirs d’une vie heureuse et libre, se trouve lui-même enfermé
entre les deux mentions du présent douloureux: «Voilà cinq semaines que j’habite»,
«Maintenant je suis captif».
z L’ouverture de l’œuvre deVictor Hugo semble tout entière bâtie sur le fonctionnement pathétique des oppositions: présent et passé, emprisonnement et liberté…
On peut, par exemple, étudier l’opposition du singulier et du pluriel:
– adjectif démonstratif et articles indéfinis: «cette pensée», «un cachot», «une idée»;
– au passé, c’est le pluriel qui règne: déterminants pluriels, énumération, démultiplication («les unes après les autres») et impression d’infini («sans fin»,«inépuisables»).
49
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
e Albert Camus emploie à plusieurs reprises le pronom personnel indéfini on;toutes
les occurrences ont une valeur d’indéfini de manière plus ou moins restreinte:
– «on venait de jeter»: il s’agit ici du bourreau;
– «on estima», «on la masquait»: ceux qui étaient favorables à la peine capitale;
– «m’a-t-on dit»:des proches de la famille susceptibles de bien connaître les opinions
du père.
Cette forte présence du pronom on dans sa valeur indéfinie révèle l’importance
du collectif dans le processus de la peine capitale. On retrouve ce même pronom
dans le passage consacré à l’autodafé (chapitre 6) et dans la bouche de l’esclave
lorsqu’il évoque les châtiments employés.
r La généralisation est progressive: au début du paragraphe, il est encore question
de l’expérience du père, puis Camus généralise à « l’honnête homme ». Mais le
processus d’élargissement était déjà amorcé dans la première phrase.En effet,le père
est présenté comme «un homme simple et droit»: il n’est plus défini comme un individu original mais comme un exemple. L’évocation des vomissements sert de
fil conducteur à cette progression: «se mit d’un coup à vomir», «lui retourner le cœur»,
«donne seulement à vomir».
On peut relever l’emploi des articles définis et les termes larges («l’indignation»,«la
suprême justice», «l’honnête homme», «la cité»…) comme indices de ce processus de
généralisation.
t Pour demander l’abolition de la peine de mort, Robert Badinter pose, dans
le premier paragraphe, les deux pistes qu’il va ensuite approfondir : « une certaine
conception de l’homme et de la justice».
Premier argument: aucun homme ne peut être entièrement coupable;on ne peut
«désespérer totalement» de personne.Robert Badinter sous-entend ici que,d’une part,
la culpabilité n’étant pas totale,on ne peut appliquer une peine capitale et que,d’autre
part, un homme, même s’il a commis un crime grave, peut changer.
Second argument: la justice n’est pas infaillible. On sait que l’erreur judiciaire est
possible.On sait également que les tribunaux,les jurés ne jugent pas tous de la même
manière.Robert Badinter parle d’une sorte de «loterie judiciaire» et,plus loin,d’une
«marge de hasard».
Dans sa conclusion, le ministre rappelle «les valeurs fondamentales» de notre société
et ajoute que l’expérience des siècles passés a prouvé que la peine de mort ne faisait
pas disparaître le crime («faire disparaître le crime avec le criminel») et que, de ce fait,
l’argument de l’efficacité qui pourrait lui être opposé est inefficace.
50
Chapitre dix-neuvième
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Dans tous les textes, on peut relever le champ lexical du châtiment présenté
comme une souffrance et une privation. La question de la justice est au cœur des
préoccupations des auteurs de ces extraits. La place accordée au crime varie d’un
texte à l’autre. Seul Voltaire pose une sorte d’équation entre la faute et la punition,
rappelant ainsi l’antique loi du talion.Mais le mode est ironique:on comprend bien
que Voltaire dénonce ce fonctionnement de la justice. Dans les autres textes, la
place accordée au crime est très réduite.Robert Badinter parle d’«hommes totalement
coupables» et «totalement responsables de leurs actes».Mais il s’agit d’un discours rapporté:
«ceux-là sont animés par une double conviction». Par ailleurs, dans ce texte, on assiste à
un gommage de la culpabilité,à une atténuation des crimes:«il n’est point d’hommes
en cette terre dont la culpabilité soit totale», «crimes moindres».
Albert Camus emploie un procédé similaire : le crime du condamné à mort est
mis entre parenthèses ; il est considéré comme anecdotique et n’est pas appelé à
peser dans le débat autour de la peine capitale.Victor Hugo va plus loin encore: à
aucun moment il n’évoque la cause de la condamnation à mort.Tout est centré
sur le châtiment lui-même,sur ce qu’il représente.En effaçant le crime du débat sur
la peine de mort, les auteurs sont amenés à présenter le châtiment comme un
crime lui-même et non comme le second élément d’une équation (loi du talion);
ce gommage facilite l’argumentation et participe au pathétique (textes de Victor
Hugo et d’Albert Camus).
Commentaire
On peut organiser le commentaire selon le plan suivant:
1. Un journal
A. La forme du monologue
• Les marques de la première personne du singulier.
• Le je se raconte: la place du récit.
• Le je exprime ses sentiments.
B. La composition du texte
• L’alternance des temps: présent, imparfait, présent.
• Les indices temporels qui structurent le texte.
C. La circularité du texte
• Le début et la fin du texte sont identiques.
• L’enfermement du texte exprime l’enfermement du personnage.
51
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
2. Une situation tragique
A. L’enfermement du corps et de l’esprit
• Le parallélisme des deux emprisonnements.
• La parenthèse consacrée au passé souligne la cruauté de l’enfermement tragique.
B. La présence de la mort
• La place stratégique du mot dans le texte.
• Le condamné est déshumanisé.
• Les procédés de gradation pour exprimer l’angoisse croissante.
3. Un texte pathétique à des fins argumentatives
A. L’évocation lyrique du passé
• La jeunesse.
• Une vision méliorative.
• Une dimension esthétique: les instantanés, les arabesques…
• Une dimension universelle: l’image de l’étoffe de la vie en écho à celle du fil des
Parques.
B. Le jeu des contrastes entre le présent et le passé
• Lumière, bruit et mouvement du passé/absence de lumière, de bruit et de mouvement du présent.
• Plénitude et multitude du passé/image unique et solitude du présent.
• Liberté et captivité.
C. La finalité argumentative
• L’impression de vérité (le journal) touche le lecteur.
• Le châtiment n’est pas évoqué: l’idée de la condamnation est déjà une torture
morale inhumaine.
• Le crime n’est pas évoqué: on ne considère que l’inhumanité de la perspective.
• Le condamné pourrait être n’importe quel condamné : le texte acquiert ainsi
une portée générale.
Dissertation
On peut proposer le plan suivant:
1. La littérature est une tribune
A. La littérature de circonstance
• L’auteur utilise la littérature pour s’en prendre à des personnages réels:Les Provinciales
de Blaise Pascal, les sonnets satiriques des Regrets de Joachim du Bellay, certaines
allusions dans Candide (chapitre 22)…
52
Chapitre dix-neuvième
• La littérature permet de contourner la censure:les Lettres persanes de Montesquieu,
le docteur Ralph dans Candide…
• Les œuvres engagées lors de la Seconde Guerre mondiale.
B. Castigat ridendo mores («Elle corrige les mœurs par le rire»)
• La fonction sociale de la comédie.
• La fonction sociale du comique de manière plus générale.
C. L’auteur cherche à atteindre son lecteur
• Quel que soit le registre, l’auteur communique avec le lecteur et emploie
les procédés du langage pour transmettre ses idées: Le Dernier Jour d’un condamné
à mort de Victor Hugo.
• La littérature a un public; elle devient un instrument de communication:
– les mystères religieux et leur fonction didactique;
– la fonction cathartique de la tragédie: elle inspire la pitié mais aussi le respect de
celui qui préside aux événements tragiques et détient les règles du jeu (le destin,
les dieux, Dieu…).
2. La littérature est un instrument de plaisir
A. Les œuvres de circonstance
• Elles sont tombées dans l’oubli: on apprend aux enfants «Heureux qui comme
Ulysse» et non les poèmes satiriques de Joachim du Bellay.
• Ce qui nous intéresse dans les œuvres de circonstance,c’est ce qui dépasse les circonstances: la dimension générale des Fables de La Fontaine ou de Candide de Voltaire.
B. Les œuvres nous amusent
• Le registre ironique de Candide et le dynamisme des Fables de La Fontaine.
• Le plaisir de la comédie:on ne va pas voir une comédie de Molière pour entendre
critiquer les avares mais pour être diverti.
C. Les œuvres nous touchent
• Le pathétique et l’émotion.
• L’identification à un personnage.
• L’évasion.
3. Le style transmet une certaine vision du monde
A. En s’évadant, le lecteur prend ses distances vis-à-vis du réel
• Un regard critique sur le réel après la lecture divertissante.
• L’œuvre littéraire présente des modèles qui amènent à réfléchir sur la réalité:
– le héros parfait;
– les utopies.
53
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
B. L’œuvre, même si elle n’est pas ouvertement engagée,
transmet toujours une vision du monde
• L’objectivité n’est qu’apparente: la description naturaliste.
• Le choix des mots et des images exprime un certain regard sur le monde.
C. L’intérêt de l’œuvre littéraire tient à sa forme, à sa dimension esthétique
• La forme littéraire traverse le temps.
• La forme littéraire, quels que soient le registre et les circonstances, nous touche.
• La forme littéraire, quelles que soient les intentions de l’auteur, nous invite à
partager, le temps de la lecture, une certaine vision du monde.
Écriture d’invention
Le terme «animé» fait que l’on attend les marques d’un dialogue enflammé:oppositions catégoriques, phrases exclamatives, interrogations rhétoriques, alternance
de répliques longues (argumentées) et de répliques brèves traduisant l’emportement
des locuteurs.
Le terme «argumenté» suppose un approfondissement de la réflexion et une illustration grâce à des exemples empruntés à la réalité,au cinéma ou à la littérature.Les
élèves pourront s’aider des textes cités.
On peut proposer les arguments suivants:
• En faveur de la peine de mort:
– certains crimes sont odieux et ne peuvent être punis que par la mort: il faut une
gradation dans les peines;
– il faut se débarrasser des criminels dangereux;
– la peine de mort peut jouer un rôle dissuasif (bien que les statistiques montrent
le contraire).
• Contre la peine de mort:
– la justice n’est pas infaillible; les erreurs judiciaires existent;
– le châtiment par la mort est inhumain quel que soit le crime commis (argument
moral): la société civilisée ne peut l’appliquer;
– on ne peut répondre à un crime par un crime; la peine doit être éducative; nous
devons revoir notre conception des institutions judiciaires;
– une démocratie ne peut baser son système judiciaire sur un droit de vie et de mort
(comme les seigneurs avec leurs serfs, les négriers avec leurs esclaves).
54
Chapitre trentième
Chapitre trentième (pp. 217 à 219)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 220 À 223)
a Les deux derniers paragraphes sont construits de manière parallèle:dans les deux
cas, on peut relever d’abord les marques du récit, puis celles du dialogue (guillemets et tirets,propositions incises,marques de l’énonciation).On peut ainsi présenter la construction répétitive du passage:
– Première partie du diptyque:
1. Récit du retour à la métairie comme une conséquence de la rencontre du «bon
vieillard».
2. Long discours de Pangloss constitué principalement d’une énumération.
3. Interruption de Candide (réplique brève) qui demande de cultiver le jardin.
– Seconde partie du diptyque:
1. Récit des activités des personnages suite à la réflexion de Candide.
2. Long discours de Pangloss constitué principalement d’une énumération.
3.Interruption de Candide (même réplique brève) qui demande de cultiver le jardin.
z Le second paragraphe reprend la construction du premier en introduisant quelques
variations significatives.
– Première partie du diptyque:
• Le discours de Pangloss est situé dans le temps (« dit Pangloss », l. 115) ; il suit la
rencontre du «bon vieillard».
• Candide raisonne encore, puisque c’est lui qui lance le discours de Pangloss
(«ce bon vieillard me paraît […] souper», l. 113).
• L’interruption de Candide est suivie d’une réponse de Pangloss (« vous avez
raison», l. 126) et d’un commentaire de Martin.
– Seconde partie du diptyque:
• Le récit n’est pas délimité dans le temps. Certes,Voltaire emploie des passés
simples qui expriment des actions définies,mais ici,seul le début des actions est précisé («entra dans ce louable dessein»,«se mit»,«devint [Cunégonde et frère Giroflée]»);
il s’agit plus de présenter un nouvel ordre des choses que de véritablement raconter.
D’ailleurs, les passés simples n’expriment pas des actions qui se suivent, comme au
début du premier paragraphe, mais plutôt des situations concomitantes et itératives.
• De même, le discours de Pangloss n’est pas situé précisément dans le temps; il se
répète («Pangloss disait quelquefois à Candide», l. 138).
• Candide ne raisonne plus.
• L’interruption de Candide n’est suivie d’aucun commentaire. C’est le personnage
éponyme qui a le mot de la fin.
55
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Ainsi, dans la seconde partie du texte, la temporalité du récit a quasiment disparu
et l’autorité de Candide est plus grande.
e On peut relever, au début de chacun des deux derniers paragraphes (toujours
ce parallélisme de la construction), des expressions qui ferment et réduisent
l’espace. Le préfixe du verbe retourner («en retournant», l. 111) dessine une boucle et
l’adjectif qualificatif «petite» répété dans la seconde partie insiste sur la réduction de
l’univers du conte. On peut citer également les termes «métairie» et «jardin» (au
début du chapitre, la métairie est présentée comme un monde arrêté et clos par
rapport à l’espace ouvert du voyage : « on voyait souvent passer sous les fenêtres de la
métairie des bateaux»).
r La dernière réplique de Pangloss se présente comme un résumé du voyage de
Candide. Chaque terme de l’énumération renvoie précisément à une péripétie du
conte. Ce récapitulatif annonce la fin car il rassemble tout ce qui a été développé
avant d’apporter une conclusion.
t Le dénouement des comédies est heureux: l’on peut relever ici les marques de
la prospérité de la métairie.
Dans la comédie,les jeunes gens finissent par se marier en venant à bout (d’une manière ou d’une autre) de l’opposition parentale: ici, le fils du baron, s’obstinant à
interdire le mariage de Cunégonde et Candide, est chassé de la métairie; Candide
épouse bien Cunégonde.
Les dernières scènes des comédies rassemblent l’ensemble des personnages de la
pièce: dans Candide, les habitants de la baronnie et les compagnons de Candide se
trouvent réunis dans «la petite société».
La dernière phrase du conte est une parole; le mot de la fin n’est pas sans rappeler
la dernière réplique des Fourberies de Scapin ou de Dom Juan.
y Le chapitre 30 se définit en partie par rapport au premier chapitre:
– La métairie ressemble à la baronnie: on y retrouve les mêmes personnages et le
monde est clos; c’est un univers heureux, si l’on pense que «la petite terre rapport[e]
beaucoup» et que chacun est capable d’y «exercer ses talents»;c’est aussi un univers sans
désir, occupé seulement de se maintenir en l’état – ce qui était également le cas du
pays de l’Eldorado.
– La métairie s’oppose à la baronnie : Candide, chassé du paradis du chapitre 1,
chasse à son tour le fils du baron; le début du chapitre 30 est un écho de la fin du
chapitre 1 (construction en chiasme); si la baronnie s’organisait autour du baron, la
métairie, elle, fonctionne grâce à Candide; enfin, la baronnie était un monde de
privilèges, d’illusion et de prétention, alors que la métairie repose sur le travail et le
talent de chacun, sans aucune considération pour les codes sociaux.
56
Chapitre trentième
u Au début du dernier paragraphe,Voltaire présente les différents membres de «la
petite société». Cette évocation est un écho du début du chapitre 30; à la fin de leur
voyage, les personnages sont peints de manière négative, malgré l’attente du
lecteur («Il était tout naturel d’imaginer», l. 15): «acariâtre», «insupportable», «infirme»,
«mauvaise humeur»… Un peu plus loin, on apprend que Paquette et frère Giroflée
arrivent dans un état d’«extrême misère». Quant à Cunégonde, on constate que le
dénouement la présente comme, « à la vérité, bien laide » (l. 134), présentation qui
est en contradiction avec celle de l’incipit. De même, la « mauvaise humeur » de
la vieille évoquée au début du chapitre 30 est une dégradation par rapport à
l’énergie positive qui a caractérisé son personnage tout au long du récit.
Le dernier paragraphe marque une ultime évolution. La présentation négative du
début du chapitre devient méliorative, de façon à illustrer l’expression «exercer ses
talents » : « excellente pâtissière » (Cunégonde), « broda » (Paquette), « eut soin du
linge» (la vieille), «rendît service» (frère Giroflée). L’emploi répété du verbe devenir
exprime cette évolution. On rejoint alors la tonalité attendue des dénouements et
on ne peut s’empêcher de penser à une parodie comme dans l’épisode de l’Eldorado.
i Les deux philosophes qui ont accompagné Candide au cours de son voyage,
Pangloss et Martin,n’ont pas évolué,à la différence des autres personnages.C’est ce
que l’on constate à la fin du premier paragraphe pour Martin et dans les deux étapes
de l’extrait pour Pangloss.
En effet, le précepteur de Candide continue de raisonner comme dans le premier
chapitre et de penser que le monde est « le meilleur des mondes possibles » ; c’est ce
qui ressort de son allusion au jardin d’Éden. Les deux discours de Pangloss sont,
comme dans l’incipit, deux parodies de raisonnement.
Les marques du discours philosophique:
– les articles définis à valeur généralisante («les grandeurs», «les événements»…);
– le présent de vérité générale;
– les connecteurs logiques («car», «si»…);
– la place des exemples.
Les marques de la parodie:
– la longueur des énumérations:la liste des rois fonctionne comme une mécanique
emballée;
– le décalage entre les souffrances des personnages et «les cédrats confits» de la conclusion du raisonnement dans le second discours.
o Candide, à la différence de Martin et de Pangloss qui demeurent prisonniers de
leurs systèmes, a évolué.
Tout d’abord,il a acquis son autonomie de pensée;il n’est plus le disciple de Pangloss
et se montre capable de faire taire le philosophe. Lorsque Pangloss dit: «vous avez
57
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
raison» (l.26),on se demande même si les rôles (maître/élève) ne sont pas renversés.
Candide a acquis le savoir:le «je sais» qui interrompt le «vous savez» (l.125) rhétorique de Pangloss doit prendre toute sa signification.En effet,à la parole vide de sens
se substitue une réelle connaissance.Après avoir consulté le derviche et le « bon
vieillard» au cours du chapitre, Candide n’a plus besoin de l’avis des autres.
De plus, Candide est capable d’agir et de faire fonctionner la métairie: « Toute la
petite société entra dans ce louable dessein » (l. 132). L’adjectif démonstratif assure la
liaison entre la formule de Candide et le fonctionnement de la communauté.
C’est enfin Candide qui donne la morale du conte et qui a le dernier mot du
récit.
q La dernière réplique de Candide est tout d’abord l’écho d’une explication
donnée par le «bon vieillard»: «je me contente d’y envoyer vendre les fruits du jardin que
je cultive» (l. 97).
Dans le premier paragraphe,cette phrase est justement prononcée alors que Candide
regagne la métairie après avoir rencontré le derviche et le vieillard. Elle exprime
alors le fait que Candide décide de reprendre à son compte la philosophie du Turc.
De plus, la proposition vient compléter la proposition principale «je sais»: après
s’être posé de nombreuses questions dans les différents chapitres du conte,Candide
arrive à une certitude présentée comme personnelle («je»).
Par ailleurs,on peut comprendre cette phrase comme un refus d’écouter davantage
Pangloss car, à chacune de ses occurrences, la formule marque une interruption
du discours du philosophe. Dans le premier cas, Candide substitue un savoir réel
(« je sais que ») à une forme vide (la construction rhétorique « vous savez que »).
Dans le second cas,Candide rejette également le discours de Pangloss en s’appuyant
sur sa vacuité: le « bien » souligne cette importance de la forme au détriment du
contenu.Ainsi,on ne saurait comprendre cette phrase sans la situer dans son contexte
d’opposition; moins que d’avancer une doctrine, il s’agit sans doute de refuser le
dogmatisme d’un raisonnement qui s’attache en priorité à la forme.
Mais, dans le dernier paragraphe, les temps des verbes méritent d’être regardés de
près. Si le premier discours de Pangloss est inséré dans le récit par un verbe au
passé simple («dit Pangloss»), le second, lui, est introduit par un imparfait itératif qui
vient renforcer un adverbe de temps suggérant la répétition («disait quelquefois»).
Le discours de Pangloss se répète donc, et on ne peut imaginer d’ailleurs que ce
philosophe puisse cesser de raisonner. En revanche, la réponse de Candide à ce
discours est unique, puisque le verbe introducteur est au passé simple (« répondit
Candide»). C’est dire que Candide ne pourra jamais faire taire Pangloss et que les
raisonneurs auront toujours le dernier mot.Candide,quant à lui,refuse de raisonner;
aussi ne répond-il qu’une seule fois à Pangloss.
58
Chapitre trentième
s Tout d’abord,la formule qui clôt le conte doit être replacée dans son contexte et
définie comme une opposition (vaine) aux raisonnements vides des philosophes
(voir question précédente).Voltaire oppose l’action suggérée par le verbe «cultiver»
au verbiage creux et stérile. L’action primant sur la réflexion, le conte cesse
puisqu’il est, à sa manière, une forme de réflexion.
Le titre du chapitre était trompeur, parodique sans doute.Voltaire rejette toute forme
de leçon définitive. Si Pangloss continue de parler, Candide, lui, décide de se taire.
On a pu également prendre le terme « cultiver » dans son sens premier et y voir
une allusion à la place de l’agriculture. En s’appliquant, en travaillant de manière
rationnelle (le rôle de chacun étant bien défini), la métairie prospère. Les physiocrates du XVIIIe siècle prônaient ainsi le développement de l’agriculture.
L’évocation du jardin rappelle l’éden,d’autant plus que le premier chapitre et l’épisode de l’Eldorado nous y invitent clairement.La morale de Candide serait donc une
sorte de voie vers le bonheur,un bonheur associé à l’idée d’un monde réduit et clos,
et d’une société où chacun occupe une place productive. Le travail est sans doute
une des valeurs mises en avant dans cet ultime chapitre.
Cultiver son jardin, c’est aussi tirer parti de ce que la nature nous a donné, à savoir
«exercer ses talents» comme le suggère le début du dernier paragraphe. L’emploi du
«je sais» et de l’adjectif possessif «notre» vient conforter cette lecture. La solution,
individuelle,est telle qu’aucun discours philosophique général n’a de sens:le conte
se tait après cette réplique.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 224 À 229)
Examen des textes
a La Fontaine emploie principalement le discours direct pour donner vie à sa fable
en rapportant le discours de ses personnages. On peut relever les marques du
discours direct inséré dans un récit:
– guillemets et tirets;
– propositions introductrices ou incises;
– marques de l’énonciation.
On trouve également une forme «narrativisée» du discours rapporté avec les verbes
de parole «conseille» et «prescrit» (vers 23).
z Le discours des deux personnages est inséré dans un récit,comme en témoignent
les marques relevées dans la question précédente. La trame du texte est en effet
narrative:
– emploi du passé simple;
59
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
– emploi du présent de narration;
– cadre spatio-temporel esquissé;
– esquisse d’un schéma narratif.
e Madame du Châtelet adopte une position dans la tradition du Carpe diem
exprimé par Ronsard et hérité d’Épicure: pour être heureux, il faut profiter de ce
qui peut nous être agréable en satisfaisant nos goûts et nos passions.
Elle s’oppose aux moralistes dont elle présente la thèse:pour être heureux,l’homme
doit dominer ses passions et ne pas chercher à satisfaire ses désirs premiers.
r Au début du deuxième paragraphe, le pronom on renvoie aux moralistes en
introduisant une objection possible à la thèse de Madame du Châtelet.
Les autres occurrences du pronom ont une valeur d’indéfini ; elles désignent
les hommes en général. On les rencontre à la suite de l’emploi d’une première
personne du pluriel dans la première phrase de l’extrait : « nous n’avons rien
à faire ». Ce nous est un appel au lecteur et, de la même manière, le on inclut le
destinataire du discours.
t On peut étudier:
– la forte présence des appels à Antigone dans la première réplique: les pronoms
de deuxième personne, les impératifs;
– le vocabulaire simple: «eau», «main», «soleil», «livre», «enfant», «banc», «soir»,
«maison», «vie»…
– la réduction: le singulier, «une petite chose», «grignote», «enfant»;
– la comparaison.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
La Fontaine oppose deux positions pour mieux mettre en valeur sa conception. À
l’«indiscret stoïcien» qui ne sait pas profiter de l’existence, il oppose le «sage» qui sait
profiter de son jardin en se contentant d’enlever le «superflu».
Madame du Châtelet oppose aux moralistes sa conception épicurienne du
bonheur; il s’agit de profiter des passions que l’existence peut nous apporter.
Candide trouve son bonheur dans le travail; il rejette le débat stérile de Pangloss
et de Martin et privilégie l’action. Mais son action est individuelle, limitée à un
jardin clos sur lui-même.
Dans la pièce d’Anouilh, deux personnages s’opposent. Créon veut profiter de la
vie dans ses joies les plus simples car le temps passe.Antigone refuse ce bonheur
simple fait, selon elle, de compromissions; son bonheur passe par la satisfaction de
ses exigences morales.
60
Chapitre trentième
On peut rapprocher les conceptions de Madame du Châtelet et de Créon: tous deux, à
leur manière, veulent profiter de la vie et repoussent les rappels à l’ordre des moralistes.
Commentaire
On pourra développer la trame suivante:
1. Le récit d’une rencontre
A. Deux personnages opposés
• Les personnages.
• Leur comportement.
B. Un récit court et vivant
• Un texte narratif.
• Les ressorts du dynamisme.
2. Une double idéologie
A. Des références culturelles et philosophiques
• Le philosophe scythe, la référence aux Grecs et à Virgile.
• Allusion aux stoïciens et à la conception du bonheur de Virgile.
B. Deux conceptions différentes de la vie et du bonheur
• Intransigeance et dogmatisme du philosophe.
• Le bonheur du sage.
3. Un texte didactique
A. L’expression de la conception personnelle de La Fontaine
• Le philosophe est perçu de manière péjorative.
• Le sage est présenté de manière méliorative.
B. La morale
• La dimension généralisante.
• La prise de position forte de l’auteur.
Dissertation
On peut conduire la réflexion selon les grandes lignes du plan suivant:
1. Les œuvres littéraires nous donnent des leçons
A. La fonction didactique et argumentative des œuvres
• Sur le mode explicite: la morale de la fable; la mise en scène du défaut.
• Sur le mode implicite: le récit dans la fable; le registre ironique.
61
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
B. La littérature devient un instrument au service de la leçon
• Le rôle des registres.
• Les procédés destinés à toucher le lecteur quel que soit le registre.
• La mise en valeur de la leçon.
2. L’œuvre littéraire est plutôt destinée à nous faire plaisir
A. Des mondes de rêve
•Tout est possible.
•Tout se finit bien.
• Les utopies.
B. Une vie intense
• Les personnages ont des destins extraordinaires (la tragédie, l’épopée).
• Le roman d’aventures présente des vies bien remplies.
C. L’œuvre littéraire nous séduit et nous soustrait à la réalité
• La fonction du comique : nous faire rire de ce qui pourrait être dramatique
(un père fou s’oppose au mariage de ses enfants).
• Nous nous identifions aux personnages et nous avons l’impression de vivre une
autre vie.
3. L’œuvre littéraire nous transmet, plus qu’une leçon, une vision du monde
A. L’évasion nous aide à prendre nos distances par rapport au réel
• L’œuvre littéraire,en nous écartant de la réalité (le temps de la lecture ou d’une représentation), nous permet de prendre du recul et nous aide à mieux regarder le réel.
• Nous regardons le réel au travers du prisme des modèles littéraires et nous mesurons ainsi la différence (les utopies, par exemple).
B. Quel que soit le projet de l’écrivain, son œuvre transmet sa vision du monde
• Les œuvres imaginaires.
• Les romans réalistes.
C. L’intérêt de l’œuvre aujourd’hui n’est pas nécessairement ce qui a motivé son écriture
• Certaines œuvres n’étaient pas destinées à une diffusion élargie (la correspondance de Madame de Sévigné).
• Certains textes sont écrits dans des circonstances particulières (Les Provinciales
de Pascal, les textes et poèmes de la Résistance).
• Ce qui nous intéresse, c’est la vision de l’homme par-delà les circonstances
(la liberté dans les poèmes de la Résistance).
62
Chapitre trentième
Écriture d’invention
On attend un strict respect de la consigne quant à la forme:
– le dialogue est inséré dans un récit et non présenté de manière théâtrale;
– le dialogue prime sur le récit;
– l’introduction narrative est brève.
Bien entendu, on valorisera les copies qui auront su tirer parti de la forme narrative et fictive: un cadre spatio-temporel intéressant, des personnages représentatifs,
une habile utilisation du rapport entre récit et dialogue (pauses narratives aux
endroits charnières du dialogue, par exemple).
On attend une argumentation développée et construite:
Thèse A: Le bonheur résulte de la satisfaction de ses plaisirs; il faut profiter de la vie
Thèse B: Le bonheur est plus ambitieux;
on doit pouvoir être fier de soi
1.La vie est belle;elle vaut la peine d’être
pleinement vécue.
1. La vie n’est pas si belle ; des enfants
souffrent et meurent ; on ne peut être
heureux qu’en changeant le monde.
2.On ne peut pas changer le monde;le
temps passe vite;il faut profiter du temps
présent.
2. C’est une définition du plaisir et
non du bonheur; certes on ne peut pas
changer le monde mais on peut essayer
d’être heureux (et ainsi le changer) en
appliquant ses principes moraux et ses
exigences.
3.Je refuse une conception trop élitiste;
tout le monde ne peut pas être Mère
Teresa. Ma conception du bonheur est
accessible à tous.
3. Il ne s’agit pas nécessairement de
partir comme Mère Teresa; il faut simplement être tourné vers les autres et non
vers soi-même.
4. Il faut commencer par être heureux
soi-même pour donner du bonheur aux
autres.
4. D’une certaine manière, les deux
conceptions peuvent se rejoindre.
63
BIBLIOGRAPHIE
C O M P L É M E N TA I R E
– Roland Barthes,«Le dernier des écrivains heureux»,in Essais critiques,Seuil,1964.
– J. M. Goulemot,A. Magnan, D. Masseau, Dictionnaire Voltaire, Gallimard, 1995.
– André Magnan,Voltaire, Candide ou l’Optimisme, P.U.F., 1987.
– René Pomeau,Voltaire en son temps, Oxford, 1985-1994 (5 vol.).
– Jean Sareil, Essai sur Candide, Droz, 1967.
– Jean Starobinski,«Sur le style philosophique de Candide»,in Le Remède dans le mal:
critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Gallimard, 1989.
– Jacques Van Den Heuvel, Voltaire, «Bibliothèque de la Pléiade», Gallimard, 1983.