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LIVRES
L I V R E S
Le Komintern
du Colonel Rezanof
Paris, Éditions du Trident, 2014, 138 p., 15,00 €
par Pierre Rigoulot
L
E TRIDENT VIENT de nous proposer une nouvelle
édition d’un ouvrage qu’avait écrit en 1922 le colonel
Rezanof, ancien procureur des armées impériales russes,
pour alerter les participants occidentaux à la conférence
de Gènes sur la nocivité intrinsèque du communisme.
La première raison de cette réédition est sans doute
le caractère radical de la critique du communisme qui y
est proposée. À l’encontre d’une idée encore bien vivante
et dont il convient de rappeler régulièrement la fausseté,
le communisme n’est pas, n’a jamais été, un léninisme
dévoyé, un léninisme trahi. Textes précisément référencés à l’appui, Rezanof montre, comme l’avait fait Karl
Kautsky en 1919 dans Terrorisme et communisme, que
dès le début de leur mise en œuvre, l’idéologie, le projet, les méthodes bolcheviques – tout est
évidemment lié – ne pouvaient conduire qu’à la catastrophe humaine, politique et économique que nous avons connue.
La seconde raison de cette publication est sans doute l’utilité de rappeler que le bolchevisme ne saurait se transformer, lié qu’il est à ses présupposés théoriques fondamentaux, aux
institutions qu’il a mises en place et aux méthodes d’action qui en découlent. Il lui fut possible
d’envisager une trêve, un recul tactique mais non une transformation complète.
Faut-il aller plus loin et chercher dans cette réédition quelques avertissements d’actualité?
Les affirmations de ce petit ouvrage, c’est-à-dire la profondeur de la révolution communiste,
son impact sur plusieurs générations, la persistance opiniâtre de la lutte à la vie à la mort menées
contre les démocraties occidentales, font évidemment réfléchir tout observateur de la politique
russe actuelle. Non que le communisme soit encore au pouvoir à Moscou. Mais la formation
«guébiste» de l’actuel président russe, le soutien dont il bénéficie de la part de millions de ses
compatriotes nostalgiques de l’ancien régime – le rouge, bien sûr! – pose au moins le problème
du legs, voire d’une certaine continuité entre l’URSS passée et la Russie actuelle.
Tout le monde a pu s’interroger sur cette continuité en notant sur les images télévisées les
drapeaux ornés de la faucille et du marteau agités par les séparatistes ukrainiens de Donetsk
et d’ailleurs.
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Et quiconque relève l’actuel soutien russe aux démagogues procastristes de Caracas, aux
dictateurs de Damas ou de Pyongyang et aux terroristes de Téhéran ne peut manquer d’être
frappé en retrouvant dans le livre du colonel Rezanov les appels – précurseurs? fondateurs?
– du communisme soviétique naissant à la haine contre les démocraties occidentales et à la
«guerre sacrée» – le djihad! – lancés au premier congrès des peuples de l’Orient à Bakou
contre «les bêtes blanches et civilisées de Londres et de Paris».
Sans doute, ce petit ouvrage ne dit-il pas tout d’hier et encore moins d’aujourd’hui. Mais
il permet de comprendre que la lutte contre le communisme n’est pas terminée, que celui-ci
a ses séquelles, ses avatars, ses résurgences – et ses fidèles, même au sein des populations qui
en ont souffert.
La liberté et la responsabilité individuelle ne sont pas des idéaux partagés par tous. Et
quelques dirigeants politiques voient dans certaines manières communistes de gouverner des
formes d’exercice du pouvoir efficaces et durables. C’est le cas de Vladimir Poutine qui a bien
sûr abandonné l’antique idéologie matérialiste historique, chère aux pères fondateurs, et préfère en appeler au conservatisme éthique et religieux.
Cela peut plaire. D’ailleurs, des collabos d’un nouveau genre les applaudissent sous nos cieux.
L’ouvrage de Rezanof a plus de 90 ans. Mais il peut contribuer à la réflexion que chacun
doit avoir aujourd’hui sur la nature de la Russie actuelle.
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JUIN 2014

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