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L’alliance Staline Hitler, 1939-1941 de Jean-Gilles Malliarakis Paris, Éditions du Trident, 2010, 458 p., 25 € L es éditions du Trident poursuivent leur œuvre de mise à disposition des lecteurs de textes importants pour l’histoire du communisme. Conscientes que la mémoire fait défaut à beaucoup de nos concitoyens sur ce dont fut capable et coupable le communisme soviétique, elles ont réédité des œuvres quasi introuvables comme La sociologie du communisme de Jules Monnerot ou L’histoire du communisme (avant Marx) d’Alfred Sudre[1]. Ce nouveau volume contient les textes les plus importants émanant du ministère des Affaires étrangères de l’Allemagne nazie entre 1939 et 1945 à propos de l’alliance entre celle-ci et l’Union soviétique. Jean-Gilles Malliarakis a joint à ces documents le texte fort éclairant du rapport de Staline au XVIIIe congrès du Parti communiste (bolchevik) de l’Union soviétique en 1. Les deux ouvrages ont été réédités respectivement en 2005 et 2010. N° 46 mars 1939, dans lequel États-Unis, Angleterre et France sont clairement désignés comme des fauteurs de guerre du fait de l’aggravation de la crise économique qu’ils traversent. Un raisonnement marqué par un économisme simpliste: l’URSS, caractérisée par un fort développement économique, est au contraire un facteur de paix. À l’ouest, seule l’Allemagne nazie voit son économie progresser, bien que modérément. Concluez vous-même sur les alliances à privilégier… Dans ce volume, sont aussi présentés les textes des pactes germano-soviétiques d’août et de septembre 1939. L’auteur, qui embrasse ici un peu trop pour bien étreindre, étudie aussi l’aveuglement des dirigeants français quant à un possible rapprochement entre nazis et communistes et aborde la question de l’impréparation militaire de la France, en concentrant ses coups sur le parti radical et notamment sur Édouard Daladier. Voilà qui exigerait une étude approfondie: après tout, les socialistes ont-ils vu plus juste que les radicaux? Les majoritaires de la SFIO, derrière Léon Blum, crurent imminente, en août 1939, la signature d’un accord franco-anglo-soviétique tandis que les minoritaires, derrière Deixonne et Zoretti, pacifistes, pensaient qu’on ne devait pas opposer des avions aux avions ou des canons aux canons, mais trouver d’autres moyens pour faire pièce au despotisme. Quant à la droite, on rappellera que la direction du Figaro «remercia» Boris Souvarine quand il eut l’outrecuidance, le 7 mai 1939, de considérer comme plausible la signature 95 LIVRES L I V R E S histoire & liberté d’un pacte germano-soviétique… Mais notre remarque vise moins à défendre Édouard Daladier qu’à confirmer l’aveuglement des diverses forces politiques françaises… un aveuglement récurrent, auquel l’auteur tente courageusement de mettre fin. Benoît Villiers soviétique : « Nous avons tout de même noté un trait particulier de son caractère – un certain infantilisme qui s’est manifesté par une tendance à l’altruisme». Viktor Orekhov. Un dissident au KGB de Nicolas Jallot Paris, Stock, 2011, 234 p., 18,50 € N ous devons à Nicolas Jallot diverses enquêtes sur l’URSS, sous forme de livres ou de documentaires télévisés, dont l’ouvrage particulièrement remarqué car très touchant, Piégés par Staline (Belfond 2003), consacré à des Français retenus en URSS. Quant à son dernier ouvrage, on peut parler ici de passion pour caractériser la ténacité avec laquelle Jallot a cherché à retrouver un ancien capitaine du KGB ; celui-ci, dans les années 1970, ayant compris que la vie et la pensée «normales» se trouvaient du côté de la dissidence. Alors qu’il était chargé de la surveiller, de la contrôler, de l’empêcher d’agir et d’en faire tomber les membres, il avait tenté au contraire de lui apporter son aide. Finalement découvert, Orekhov fut condamné en mai 1979 à huit ans de camp dans la République des Maris (région de Kazan). L’expert psychiatre, consulté à l’Institut Serbsky, refusa courageusement de voir en lui un schizophrène, comme le souhaitaient les autorités, mais un extrait de son diagnostic rappelle ce qu’était le monde 96 Mais les pratiques de ce monde soviétique n’ont pas été entièrement abandonnées après le renversement officiel du communisme. Orekhov, ce «traître à la solde des Américains et des sionistes», est devenu l’objet de l’attention vengeresse, toute particulière, du FSB, organe successeur du KGB, et il fut poussé à l’exil en avril 1997. Depuis, Viktor Orekhov se considère comme menacé et se cache aux États-Unis et, sans la passion évoquée plus haut et un très heureux hasard, Nicolas Jallot n’aurait pu le retrouver ni, sans son accord, écrire ce livre. L’histoire est exceptionnelle, sans doute unique – rappelons que La vie des autres, qui présente des analogies avec le cas Victor Orekhov, est une œuvre de pure fiction. Mais elle est l’occasion de rappeler ce qu’était l’Union soviétique de Brejnev et ce qu’est aujourd’hui la Russie de Poutine… B.V. OCTOBRE 2011 Anatomie d’un désastre. Baie des cochons Cuba, avril 1961 de Jacobo Machover, préface de Stéphane Courtois Paris, Éditions Vendémiaire, 2011, 190 p., 18 € I l y a déjà un demi-siècle qu’a eu lieu la désastreuse tentative de débarquement d’anticastristes à Cuba. Jacobo Machover tente dans cet ouvrage de dégager cette triste affaire du mythe forgé par les dirigeants communistes cubains, celui d’une opération menée par la CIA afin que les «mercenaires», anciens exploiteurs rejetés par la Révolution, reprennent le pouvoir. Il faut rappeler tout d’abord, et Machover a raison de le souligner, que l’affrontement des États-Unis avec le communisme se poursuivait en ce début des années 1960 et ceux-ci s’inquiétaient plus de la soumission de plus en plus marquée de Cuba à une Union soviétique agressivement entreprenante que du caractère antidémocratique du pouvoir castriste et des violations des droits de l’homme commises. N° 46 Mais la voie que choisirent les États-Unis était-elle la meilleure ? Le lecteur prend connaissance avec intérêt des hésitations de John Kennedy, président fraîchement élu, face à un projet dont il hérite plus qu’il ne le prend à son compte. Il se réserva ainsi le droit d’annuler l’opération jusqu’au dernier moment et de décider, au cours des combats, de l’usage d’une éventuelle couverture aérienne. De fait, il annula le deuxième raid qui aurait été nécessaire pour clouer au sol l’aviation cubaine. Trahison de Kennedy ? N’oublions pas qu’il devait tenir compte de l’URSS qui soutenait le gouvernement cubain et pouvait réagir dans d’autres points du globe, par exemple à Berlin; il devait tenir compte surtout de l’impact d’une tentative de débarquement dans un pays souverain d’Amérique latine où il voulait mettre sur pied une nouvelle politique américaine, un nouveau type de relations entre le Nord et le Sud du continent. En tout cas ce contexte politique s’ajouta à la médiocrité de la préparation de l’opération, connue de tous – y compris des autorités de La Havane –, aux hésitations quant au nombre de participants nécessaires et au lieu du débarquement, à l’ignorance des données géographiques, politiques et militaires auxquelles allaient être confrontés les assaillants, pour faire échouer le projet. Au fond, les exilés anticastristes n’avaient pratiquement aucune chance: Castro s’était habilement présenté comme un nationaliste étranger au communisme. Il s’était constitué rapidement une armée qui était déjà une des premières d’Amérique latine 97 LIVRES L I V R E S histoire & liberté et bénéficiait de l’appui massif de la majorité de la population. Du fait du nombre de ses soldats, de la présence d’armements lourds, de la faiblesse de l’aviation ennemie, Castro devait l’emporter. Vainqueur de cet affrontement, il en fit une geste héroïque. Machover contribue à en écrire l’histoire. B.V. J’ai travaillé pour la propagande chinoise de Anne Soëtemondt Paris, Éditions du Moment, 2011, 254 p., 17,95 € le pouvoir, en allant au-devant de ses recommandations. Certes, elle a découvert des coins sympas où l’on boit un verre avec des amis, a pris connaissance de superstitions innocentes mais largement répandues, cadrant mal avec l’idéologie officielle[1]; elle a apprécié l’humour grinçant et l’ironie envers les bureaucrates lourdauds, manifesté par presque tout le monde. Ceci n’a pas empêché la jeune journaliste de trouver l’atmosphère lourde, le culte de Mao encore présent, la duplicité et la méfiance d’autrui, propre à une société communiste, quasi-permanente. S ans doute pas un grand livre, mais un récit, presque un journal, simple, agréable à lire, amusant mais aussi instructif. Anne Soëtemondt est embauchée par Radio Chine internationale. Elle raconte. Nous suivons avec intérêt sa perception du pays, ce qui porte la signature du communisme et ce qui porte celle de la société nouvelle. Le bilan, malgré les nuances apportées, n’est pas très encourageant: elle nous montre une information très contrôlée, au point que sont proscrites les émissions en direct. Elle nous montre aussi l’obligation d’utiliser un vocabulaire imposé, seul légitime, et l’énonciation des limites à ne pas transgresser (pas de mise en cause de la domination du PC, pas de nuisance portée à «la solidarité du pays», etc.). Ainsi au nom de l’«harmonie sociale», le pouvoir chinois censure, interdit, tente d’effacer certains événements, ou bien en donne une vue caricaturale, poussant chaque journaliste à se compromettre avec 98 Anne Soëtemondt n’était pas une spécialiste de la Chine quand elle est partie dans ce pays. Mais elle n’était pas non plus ignorante, grâce à la lecture de Perspectives chinoises, l’excellente revue de Hong-Kong dirigée par des sinologues français, grâce à celle de la biographie de Mao par Jon Halliday, de Voyage au centre de la Chine de 1. L’auteur nous apprend que le coup d’envoi des J.O. de Pékin fut donné le 8 août 2008 à 8 heures 8, pour que soit bien présent le chiffre porte-bonheur des Chinois! OCTOBRE 2011 Frédéric Bobin ou Chronique d’une Chine en ébullition de Pierre Haski. Sa manière de conduire le lecteur à suivre son expérience est la marque d’une journaliste d’avenir. Qu’elle soit sympathique, honnête et très courageuse ne gâche rien, au contraire. Oser manifester aujourd’hui à Pékin, pour soutenir la population birmane confrontée à une dictature soutenue par la Chine, mérite même le respect. B.V. cubaine (due à Julia Cojimar), sur la culture rap et ses relations avec l’État (par Sujatha Fernandes) – ou partiellement sociologiques – comme celle concernant les intellectuels et les artistes (par Yvon Grenier) –, visent à illustrer les relations complexes d’une part entre le pouvoir castriste et la population cubaine, et d’autre part au sein même du pouvoir. Cuba, un régime au quotidien (dir.) Vincent Bloch et Philippe Létrillat Paris, Choiseul Éditions, 2011, 223 p., 20 € P lusieurs des co-auteurs de l’ouvrage sont connus de nos lecteurs: Vincent Bloch, qui travaille sur les pratiques de survie de la population cubaine, Philippe Létrillat, qui s’est spécialisé sur le passé mais aussi l’avenir de l’Église catholique à Cuba, Élizabeth Burgos, intéressée quant à elle par les différents moyens qu’utilise le régime révolutionnaire pour survivre (elle analyse ici le système pénitencier). Tous font part dans cet ouvrage de l’état de leurs réflexions. Même si l’ensemble ne présente pas de véritable unité [1] , du moins toutes ces enquêtes ou ces études, auxquelles s’adjoignent plusieurs contributions sociologiques – sur la consommation d’une famille 1. D’autant qu’on trouve aussi une postface très astucieuse, très subtile, signée Antonio José Ponte, sur José Marti, qu’il est difficile de relier aux pages qui la précèdent. N° 46 Les différentes stratégies de survie à l’intérieur du régime, mais en même temps contre lui et ses règles, « formes d’évitement » qu’évoque Vincent Bloch, «s’imbriquent… avec les modes de domination et les prétentions à la légitimité du gouvernement». Au sein du gouvernement de Raul Castro, deux discours, mais peut-être la même stratégie, sont à l’œuvre, comme le note l’historien Rafael Rojas dans un court prologue, promettant aux uns une transformation structurelle et conceptuelle du système et aux autres un perfectionnement, une amélioration du socialisme, et ils font écho à l’ambiguïté des comportements populaires. En somme Cuba, loin des simplismes totalitaires ou antitotalitaires. B.V. 99 LIVRES L I V R E S