Etienne ANHEIM, Clément VI au travail. Lire, écrire, prêcher au XIVe

Transcription

Etienne ANHEIM, Clément VI au travail. Lire, écrire, prêcher au XIVe
Séminaire d’Actualité de la Recherche Historique (21 janvier 2015) - F. Mercier – Université Rennes 2
Etienne ANHEIM, Clément VI au travail. Lire, écrire, prêcher au XIVe
siècle, Publications de la Sorbonne, Paris, 2014, 406 p.
• Présentation
Ouvrage dérivé de sa thèse soutenue en 2004 (La Forge de Babylone. Pouvoir
pontifical et culture de cour sous le règne de Clément VI, 1342-1352), le Clément VI
au travail d’Etienne Anheim, paru en décembre 2014 aux Publications de la
Sorbonne, a l’ambition de se situer au croisement de l’histoire des idées politiques et
des pratiques de gouvernement. Devenu pape sans bruit sous le nom de Clément VI
en 1342, au terme d’une belle carrière entre l’Eglise et l’Etat, Pierre Roger a cru dans
la capacité du verbe à changer le monde, ou du moins – ce qui revient pour ainsi dire
au même dans la première moitié du XIVe siècle –, à réformer l’Eglise. Version
pontificale de la figure du prince savant, Clément VI a laissé une production écrite
abondante, essentiellement sous la forme de sermons. Lecteur attentif et actif, il a
aussi annoté et compilé bon nombre de manuscrits. Sur cette riche et délicate base
documentaire, Etienne Anheim restitue la pensée et l’activité intellectuelle d’un pape
résolument orientées vers l’exercice concret du pouvoir. Et si la papauté d’Avignon
constituait ainsi l’un des berceaux de la gouvernementalité moderne ?
1
« Ceci n’est pas une biographie. Ni une histoire de la papauté sous le règne du pape
Clément VI (1342-1352), non plus qu’une monographie consacrée à sa prédication et
à sa bibliothèque. Si ce livre tient un peu des trois, son propos est différent. Il fait
entrer dans l’atelier de travail d’un intellectuel de la première moitié du XIVe siècle,
Pierre Roger, devenu professeur à l’université de Paris, cardinal, puis pape sous le
nom de Clément VI. Ses livres et sa parole ont été les instruments essentiels de son
parcours et de son exercice du pouvoir. Leur étude montre la construction d’une
pensée et d’une action politiques, saisies dans leur exercice concret. Trajectoire
sociale et discours savant se construisent l’un par l’autre dans une histoire qui lie les
savoirs rhétoriques, théologiques et scolastiques, et le pouvoir d’une papauté
affaiblie par l’échec du projet théocratique de Boniface VIII et reformulant son
ambition institutionnelle lors du séjour avignonnais. Etudier Clément VI au travail
permet de mieux comprendre cette figure de pape éloquent, savant et mécène, et
surtout d’éclairer un moment charnière dans l’usage gouvernemental des savoirs
médiévaux et dans l’interrogation de l’Eglise sur elle-même et sur sa place dans la
société du XIVe siècle. »
• L’auteur : membre du laboratoire « Dynamiques patrimoniales et culturelles » (EA
2449), Etienne Anheim est maître de conférences en histoire du Moyen Age à
l’université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Ses travaux portent sur l’histoire
sociale et culturelle de la fin du Moyen Age, ainsi que sur l’historiographie et
l’épistémologie de l’histoire. Il est aussi directeur de la rédaction de la revue Annales.
Histoire, sciences sociales et vice président de la Fondation des sciences du
patrimoine. Il vient par ailleurs de soutenir une Habilitation à diriger des recherches
(21 novembre 2015) avec un mémoire inédit intitulé La valeur de l’art. Une histoire
matérielle et spirituelle de la peinture italienne (1270-1460).
• Aperçu général (Table des matières) :
Introduction – Préambule. Clément VI, les images d’un pape
Première partie : les vies de Pierre Roger/Clément VI
Extrait : « Si Clément VI a été un pape singulier, c’est (…) parce qu’il a porté à un degré élevé
d’intensité, de succès et donc de visibilité, y compris par les traces qu’il a laissées, ce lien entre savoir
et pouvoir caractéristique de l’institution pontificale des XIIIe et XIVe siècles. » (p. 71)
Chapitre 1 – Les institutions
Le monastère (1301-1307)
L’université de Paris (1307-vers 1326)
La cour de France (vers 1326-1338)
La prélature (1328-1342)
La Curie
Chapitre 2 – Les livres
La faculté des arts
La faculté de théologie
2
La faculté de droit ?
Les livres du cardinal
La bibliothèque du pape
Chapitre 3 – Les œuvres
De la lecture à l’écriture
Les premiers textes universitaires
L’horizon d’une œuvre philosophique et théologique
« Mettre en œuvre » : les sermons et discours
Deuxième partie : une éloquence d’encre et de parchemin
Extrait : « Au croisement de la trajectoire de Pierre Roger, de ses lectures et de son travail d’écriture
se trouve donc la prédication. Elle est tout à la fois son grand œuvre, la principale documentation
issue directement de lui et, surtout, la trace d’un de ses principaux modes d’action spirituelle et
politique dans le monde. (…) Les sermons de Pierre Roger, puis de Clément VI, sont des sermons
curiaux et savants, faisant appel à une langue, à des concepts et à des références qui servent moins
une pastorale qu’une théologie politique. » (p. 133-134).
Chapitre 4 – Les mots dans les mots
Les usages de la bible
Les autorités
Un retour à la patristique
Chapitre 5 – Travailler en marge
Utiliser les instruments de travail
Annoter des recueils de sermons
Réemployer des travaux universitaires Lire les textes originaux
Chapitre 6 – Formes de l’écriture
L’enchaînement des propositions et le style
Développements, narrations et réécritures
Le plan
L’introduction
L’écho d’une parole
Troisième partie : la voix de l’institution
Extrait : « Au moment où Pierre Roger, comme cardinal, puis Clément VI, comme pape, parle de et
pour l’institution, il fait face à une situation politique et idéologique difficile. (…) Théologie politique et
politique s’entrecroisent en un temps où l’institution pontificale est soumise à une sorte d’injonction
contradictoire, puisqu’il importe à la fois de réaffirmer la continuité avec la grande papauté romaine et
théocratique du XIIIe siècle et de prendre acte des transformations profondes qui se sont opérées
dans les premières décennies du XIVe siècle. (…) L’histoire matérielle et littéraire de la genèse de ces
textes [les sermons et discours de Clément VI] donne (…) la possibilité de les lire comme une source
pour une histoire des idées ancrée dans un contexte social et politique très concret. (…) La pensée
politique de Pierre Roger/Clément VI est d’abord une pratique (…). En ce sens, cette approche est
3
pragmatiste, au sens de la sociiologie. Elle cherche à montrer ce que signifie, concrètement, dire
l’Eglise et son gouvernemnt au milieu du XIVe siècle. » (p. 221-224).
Chapitre 7 – De la philosophie à la théologie
Aristote entre morale et science naturelle
La question du mouvement
Chapitre 8 – Les mots du pouvoir
La resémantisation politique de la bible
Entre exégèse et philosophie : la prudentia
Chapitre 9 – L’Eglise au cœur du monde
Les deux cités et la médiation de l’Eglise
Prêcher pour défendre le pouvoir temporel de l’Eglise
Chapitre 10 – La monarchie pontificale
L’incarnation du Christ et l’héritage de Pierre
Une Eglise hiérarchisée dirigée par un prince
De saint Pierre à saint Jean
Quatrième partie : Réformer l’Eglise
Extrait : « (…) Au-delà de son action politique et diplomatique, bien connue, mais qui ne doit pas
dissimuler le cœur de sa pratique de l’institution pontificale, Clément VI travaille, parle et agit pour
changer l’Eglise. Si son horizon est souvent celui d’une restauration, ce mouvement de retour, comme
toujours dans ce genre de situation, est producteur d’innovations historiques révélatrices de la
fonction de l’Eglise dans la société médiévale de la fin du Moyen Age, de ses ambitions mais aussi de
ses limites. En considérant la question du comportement des clercs, du trésor des grâces, de la
sainteté ou encore du savoir utile à l’Eglise, on voudrait (…) prendre la mesure de sa pratique
concrète du gouvernement de l’Eglise. » (p. 296).
Chapitre 11 – Transformer les clercs
La critique morale des clercs
La critique institutionnelle de l’Eglise
Chapitre 12 – Un nouveau jubilé
Le sermon de 1343 aux ambassadeurs romains
La bulle Unigenitus et le trésor de l’Eglise
Chapitre 13 – La canonisation d’un prêtre
Le discours de canonisation
Le sermon du 19 mai
4
Chapitre 14 – Contrôler l’université
L’intervention universitaire de 1346
Le thomisme, une doctrine « utile » à l’Eglise ?
Conclusion – Clément VI, pape savant.
Extrait : « En choisissant d’incarner une figure de ‘pape savant’, à la tête d’une Eglise rénovée et en
voie de ‘gouvernementalisation’, Clément VI, à partir des instruments dont il disposait après des
années de travail, a tenté de répondre aux évolutions politiques et théologiques auxquelles lui et la
société chrétienne de son époque ont été confrontés. En effet, le savoir n’est pas seulement pour lui
un instrument de maîtrise de l’institution et de reconquête idéologique : en tant que sapientia, faculté
et vertu dont la parole est la manifestation, il est la clé de voûte de sa théorie même du pouvoir
pontifical. » (p. 339)
« Comme l’a suggéré Samantha Kelly, le ‘prince savant’ émerge véritablement à partir des années
1320-1330, dans le cadre napolitain avec Robert de Naples puis avignonnais avec Clément VI, avant
d’être repris par Charles V en France, Charles IV de Luxembourg à Prague ou Richard II à Londres.
C’est dans cette série de souverains savants qu’il faut replacer Clément VI pour bien comprendre la
portée de son action et de sa parole sur le trône de Pierre. Cherchant à refonder le discours de la
papauté sur elle-même, après l’échec de la théocratie, il se fait l’un des défenseurs d’un nouveau
modèle de prince, au moment précis où les savoirs gouvernementaux et administratifs connaissent un
premier essor, et où la politique de représentation, à travers la magnificence, devient déterminante
dans l’exercice du pouvoir. Savoir du prince, techniques de gouvernement et éclat de la
représentation sont ainsi les trois aspects par lesquels se redéfinit la souveraineté au seuil de la
modernité, une redéfinition à la quelle la papauté de Clément VI apporte une contribution majeure. »
(p. 353-354)
5