La colonisation en débat dans la France de la fin du XIXème

Transcription

La colonisation en débat dans la France de la fin du XIXème
La colonisation en débat dans la France de la fin du XIXème siècle.
I) Présentation des enjeux scientifiques du sujet à partir des documents proposés.
1- Présentation des documents et problématique scientifique.
L’ensemble des documents porte sur la colonisation française et plus particulièrement
sur le débat que la politique coloniale engagée par la troisième République a suscité en France
à la fin du XIXème siècle. Les documents portent sur le dernier tiers du XIXème siècle,
moment d’accélération du mouvement d’expansion coloniale des puissances européennes
dans le monde, en Asie et en Afrique. C’est au tournant des années 1880, même si la France
hérite d’opérations de conquêtes antérieures en Cochinchine et en Algérie, que les conquêtes
coloniales françaises et européennes s’accélèrent.
Le corpus documentaire se compose de quatre textes historiques rédigés par des
hommes politiques français ou des acteurs de la colonisation et présentant des points de vue
différents sur la colonisation. Homme politique français, plusieurs fois membre du
gouvernement sous la troisième République, Jules Ferry, principal artisan de la politique
coloniale française, défend dans son texte la colonisation (doc. 1A). Les autres textes font
écho au texte de Jules Ferry. Le discours de Georges Clémenceau, homme politique français,
radical et républicain, prononcé au lendemain du discours de Jules Ferry, vient contredire,
point par point, l’argumentaire colonial développé par ce dernier. Le texte de Jean Jaurès,
homme politique français, socialiste rallié à la République, est également une condamnation
de la politique coloniale française. Le texte de Gallieni, militaire et administrateur colonial,
acteur des conquêtes coloniales en Afrique (Soudan) et en Asie (Tonkin), est un éloge de la
colonisation.
Nous disposons également d’un document iconographique, une image coloniale
extraite d’une couverture d’un cahier scolaire datant de 1900, image de propagande coloniale
porteuse du discours colonial de la troisième République.
Au regard de l’ensemble des documents, on dégagera la problématique suivante :
*Quels ont été les termes du débat suscité par la colonisation, au moment où la France,
comme d’autres puissances européennes, se lance dans l’expansion coloniale ? Quels
arguments fondent le débat colonial en France à la fin du XIXème siècle ? Cette question
renvoie implicitement aux causes de l’expansion coloniale française.
*Quelles ont été les formes ou les aspects de la domination coloniale française ?
2- Synthèse :
*La politique coloniale engagée par la troisième République dans les années 1880 suscite des
débats en France, bien illustrés par les documents 1 et 3. La question coloniale devient, dans
la France des années 1880, un objet de débat, entre les défenseurs de la colonisation et ses
opposants, débat qui est toutefois peu sorti du cadre parlementaire. La lecture des 4 textes
dont nous disposons permet de dégager les arguments majeurs politiques, humanitaires et
économiques qui s’affrontent au cours de ce débat colonial.
*La justification de la colonisation et l’argumentaire colonial (documents 1A, 2 et
3A).
Jules Ferry fût l’initiateur et le héraut de la politique d’expansion coloniale française. Dans
son discours à la Chambre des députés du 28 juillet 1885, il justifie et légitime la
colonisation :
*L’argument humanitaire : la mission civilisatrice de la France et le « devoir des races
supérieures de civiliser les races inférieures ». La France, au nom d’une « mission
civilisatrice » doit apporter le progrès aux « races inférieures », c’est à dire aux peuples non
encore engagés sur la voie du progrès. La République se doit de diffuser ses principes et ses
Karine VIDAL / IUFM d’Aix en Provence / Avril 2008
valeurs dans le monde et les principes universels de la République légitiment l’expansion
coloniale. Le discours de Ferry renvoie implicitement au document 2, image qui illustre
parfaitement le discours et l’idéologie coloniale de la troisième République. S’adressant à des
écoliers, l’image rappelle que l’école de la troisième République fût un des lieux essentiels de
diffusion de l’idéologie coloniale et des idées républicaines. Cette image coloniale du début
du XXème siècle, met en avant le rôle civilisateur et humanitaire de la colonisation française,
et de la République coloniale, personnifiée sous les traits d’une Marianne (ou d’une Jeanned’Arc ?) apportant « progrès, civilisation et commerce » aux peuples colonisés (Maghreb,
Afrique Noire, Indochine).
*L’argument politique et nationaliste : L’expansion coloniale doit permettre à la France de
s’assurer de points de contrôles militaires sur les mers (doc. 1A, lignes 9 à 11) et de conforter
son rang de grande puissance mondiale (doc. 1A, dernier paragraphe), dans un contexte de
rivalités, de compétition et de nationalisme fort entre les nations européennes (lignes 14 à 16).
Le contexte de la défaite française et de la perte de l’Alsace et de la Lorraine explique le refus
français de « l’abdication » et l’ambition de compter parmi les grandes puissances mondiales.
*L’argument économique. Le texte de Gallieni, mais faut-il le rappeler, ce texte émane d’un
acteur engagé dans la colonisation, met l’accent sur le rôle positif et les apports de la
colonisation. Il insiste sur le rôle économique de la colonisation, le rôle des colonies pour le
commerce et les débouchés, le rôle de réserve en matières premières des colonies
d’exploitation (lignes 4 et 5). Pour les partisans de la colonisation, tenir son rang de puissance
industrielle implique nécessairement l’expansion. Dans son texte, Gallieni insiste par ailleurs
sur le rôle civilisateur de la colonisation grâce à la création « d’écoles professionnelles où
l’indigène se perfectionnera… ». Le document fait écho au texte de Jules Ferry (doc. 1) et à
l’image coloniale (doc. 2). Après le temps de la pacification militaire (ici au Tonkin,
Indochine), vient le temps d’administrer et d’exploiter les colonies. L’auteur ne dit rien, et
pour cause, des formes d’oppression qui ont accompagné l’administration des colonies
française.
Cet argumentaire colonial était diffusé et relayé par une intense propagande coloniale (doc. 2)
alimentée par de nombreuses associations (l’Union coloniale française, créée en 1893, ou encore des
sociétés de géographie) et par un parti colonial, groupe de pression présent au sein du Parlement.
*La colonisation française a suscité un débat et des critiques (documents 1B et 3B). Le radical
G. Clémenceau, fût un farouche adversaire de la politique de colonisation et de Jules Ferry.
Dans sa réponse au discours de Jules Ferry, Clémenceau juge la « politique de conquêtes »
contraire aux « droits de l’homme » et aux principes hérités de la Révolution française, du
« droit et de la justice ». Pour lui, la colonisation, parce qu’elle fût violente et parce qu’elle
offre peu de droits aux colonisés, est la négation même du Droit. Peut-être fait-il allusion ici
au Code de l’indigénat qui organise dans les colonies françaises le contrôle et la répression
des populations dites « indigènes » ? Quoi qu’il en soit, G. Clémenceau réfute ainsi
l’argument humanitaire et civilisateur avancé par J. Ferry en faisant directement allusion aux
conquêtes coloniales (lignes 18 à 21), et aux violences qui les ont accompagnées.
Dans le document 3B, Jean Jaurès, homme politique français, socialiste, critique toutes les
formes de la domination coloniale, « la violence de conquête », l’oppression des peuples
colonisés (allusion au travail forcé auquel le colonisateur eut recours), l’impérialisme et la
domination économique, conséquence néfaste du capitalisme (lignes 3 à la fin du texte).
Conclusion : Au travers du débat colonial, ce sont les causes politiques, économiques,
« humanitaires » de l’expansion coloniale française que les documents ont permis de mettre
en évidence. La France, à partir des années 1880, en se lançant dans une politique
d’expansion, a conquis un immense empire colonial (le deuxième derrière celui de la GrandeKarine VIDAL / IUFM d’Aix en Provence / Avril 2008
Bretagne). Si le débat a été fort dans les années 1880, la réalité coloniale s’est finalement
imposée à tous, même si l’opinion publique française s’est finalement ralliée fort tardivement
à l’idée coloniale, et ce, pas avant les années Trente.
II)
Quelques pistes d’utilisation
a) Choix des documents.
Ce dossier comporte peu, voire pas de documents utilisables avec de jeunes élèves au cycle
3. Le texte 3a, à condition de le simplifier encore, serait utilisable pour montrer les formes de
la domination coloniale (aspects économiques, humains). Le document 2, bien que trop
complexe, permettrait l’analyse d’une image en histoire et d’un document source. On peut
néanmoins regretter de ne pas disposer d’un document plus facilement exploitable en classe.
Il existe de très nombreuses images illustrant le discours ou l’idéologie coloniale de la
République.
b) La problématique pédagogique
Pourquoi la France a-t-elle conquis des colonies dans le monde ?
c) Quelques pistes de travail
*Une ou plusieurs séances seraient d’abord consacrées aux grandes étapes de la colonisation
française (et européenne) à partir de cartes, dont on peut regretter l’absence ici et d’une
chronologie très simplifiée. La légende de la carte permettrait d’identifier les principales
puissances coloniales, dont la France, ainsi que ses principales colonies.
*L’analyse de l’image coloniale pourrait faire l’objet d’une séance davantage centrée sur les
causes et la justification de la colonisation par la France. On pourrait même faire travailler les
élèves à partir de cette question : Comment présentait-on aux enfants de la troisième
République la colonisation française ? Une légende accompagnerait ce document pour aider
à la compréhension de cette image. Il faudrait dire aux élèves qui sont les personnages qui
tiennent les drapeaux à fleur de lys (ils rappellent les conquêtes coloniales de l’époque
moderne) et quelles parties du monde les personnages dessinés au premier plan représentent.
Le maître guiderait la lecture de l’image par les élèves : Quels sont les différents symboles
présents sur l’image (le rameau d’olivier, la couronne de laurier, les couleurs sur le
bouclier…) ? Comment la France est-elle représentée (attitude, vêtements) ? Quels sont les
mots inscrits sur son bouclier ? Une fois les réponses mises en commun oralement, puis par
écrit, on attendrait des élèves qu’ils répondent à la question de départ. « Les élèves sous la
troisième République apprennent que la France a conquis des colonies en Afrique et en Asie
pour leur apporter le progrès ou les bienfaits de la civilisation » etc…
*Des prolongements devraient être faits, à partir d’autres documents, afin de montrer les
formes de la colonisation et de la domination coloniale, ainsi que les contradictions avec le
discours colonial officiel diffusé par la République (un texte sur le travail forcé dans les
colonies par exemple).
Karine VIDAL / IUFM d’Aix en Provence / Avril 2008
III/ Mise en évidence des objectifs transversaux (maîtrise de la langue et
éducation civique) et liens possibles avec les autres disciplines enseignées à
l’école primaire
A/ Les objectifs transversaux
a) Maîtrise de la langue
Histoire
PARLER
LIRE
ECRIRE
- Utiliser correctement le
lexique spécifique de
l'histoire dans les différentes
situations didactiques mises
en jeu,
- participer à l'examen
collectif d'un document
historique en justifiant son
point de vue,
- comprendre et analyser,
avec l'aide du maître, un
document oral,
- avec l'aide du maître,
raconter un événement ou
l'histoire d'un personnage.
- Lire et comprendre un ouvrage
documentaire, de niveau adapté, portant
sur l'un des thèmes au programme,
- trouver sur la toile des informations
historiques simples, les apprécier de
manière critique et les comprendre,
- avec l'aide du maître, comprendre un
document historique simple (texte écrit
ou document iconographique) en relation
au programme, en lui donnant son statut
de document,
- comprendre un récit historique en
relation au programme, en lui donnant
son statut de récit historique.
- Noter les informations
dégagées pendant l'examen
d'un document,
- rédiger une courte
synthèse à partir des
informations notées
pendant la leçon,
- rédiger la légende d'un
document iconographique
ou donner un titre à un
récit historique
Parler
Lire
Ecrire
Participer à l'examen collectif d'un document
historique
Avec l'aide du maître, comprendre un
document historique en relation au programme
et en lui donnant son statut de document,
rédiger une courte synthèse à partir des
informations notées pendant la leçon
L’image coloniale (doc. 2).
Ex. document 2, comprendre un document
iconographique (une image coloniale)
Ex. en utilisant les mots-clés acquis pendant le travail
d’analyse des différents documents (colonie,
colonisés, conquêtes, domination, progrès).
b) Éducation civique
Pas de lien direct.
B/ Liens avec les autres disciplines
Lien avec les arts visuels (image, doc 2).
Karine VIDAL / IUFM d’Aix en Provence / Avril 2008

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