jeunes délinquants et mesures judiciaires : la parole des jeunes
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jeunes délinquants et mesures judiciaires : la parole des jeunes
JEUNES DÉLINQUANTS ET MESURES JUDICIAIRES : LA PAROLE DES JEUNES RECHERCHE QUALITATIVE SUR LE POINT DE VUE DE JEUNES DÉLINQUANTS À PROPOS DE LEUR PLACEMENT EN IPPJ NOTE DE SYNTHÈSE À L’USAGE DES PROFESSIONNELS Carine THIBAUT Isabelle DELENS-RAVIER Ecole des Sciences Criminologiques L. Cornil Université Libre de Bruxelles Prom. : D. De Fraene Département de criminologie et de droit pénal Université Catholique de Louvain Prom. : F. Digneffe Février 2002 NOTE DE SYNTHÈSE À L’USAGE DES PROFESSIONNELS FICHE TECHNIQUE DE LA RECHERCHE 1. OBJECTIFS L’objectif principal est une analyse du point de vue des jeunes à propos de la réaction judiciaire dont ils ont fait l’objet à la suite d’un fait qualifié infraction, principalement de la perception de leur prise en charge en IPPJ. Une connaissance du point de vue subjectif des jeunes devrait permettre de mieux comprendre leurs réactions, et ainsi l’impact des interventions afin de mieux ajuster les prises en charge en fonction de la façon dont elles sont perçues par les jeunes eux-mêmes. Limitation des investigations à deux types de mesure : IPPJ et prestation1. 2. LA CONVENTION DE RECHERCHE - Commanditaire : - Communauté française représentée par l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse. - - Réalisation : - Ecole des sciences criminologiques Léon Cornil de l’Université libre de Bruxelles - Département de criminologie et de droit pénal de l’Université catholique de Louvain Partenaires : - Le personnel des IPPJ et des SPEP - Les membres du comité d’accompagnement. - Les jeunes ayant accepté les entretiens de recherche Les résultats de la recherche sont disponibles intégralement dans le rapport complet qui se trouve à la bibliothèque de la Communauté française2, Boulevard Léopold II 44, 1080 Bruxelles. 1 2 Il ne sera pas question de cette mesure de prestation dans ce document, voy. les limites de la recherche infra. Delens-Ravier, Thibaut, 2001. 2 3. MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE RECHERCHE INDUCTIVE ET PRODUCTION DE DONNÉES QUALITATIVES - Démarche qualitative et non quantitative. Production de données qualitatives : « des lettres et non des chiffres »3. Les données envisagent l’expérience, les représentations, les définitions de la situation, les opinions et les paroles4 qui décrivent une réalité sociale telle qu’elle est vécue et telle qu’elle est perçue par des jeunes. - Nous ne recherchons pas la représentativité statistique mais la représentativité du discours. Ce qui nous importe est la diversité des discours et des points de vue sur la prise en charge, indépendamment de la véracité et de l’objectivité du discours. Nous recherchons la subjectivité : comment les jeunes vivent-ils ce qui leur arrive, qu’en disent-ils ? La représentativité du discours, et par là son caractère généralisable, tient à deux critères particuliers : la diversification et la saturation. . La diversification signifie qu’il s’agit de rencontrer les jeunes pour lesquels on peut s’attendre à des discours très différents en fonction de « variables stratégiques » permettant de supputer ces différences (type de mesure, parcours protectionnel, parcours scolaire, origine culturelle du jeune …). . La saturation signifie que le nombre de jeunes à interroger n’est pas déterminé à l’avance mais dépend de l’apparition de la redondance dans le discours : « La saturation empirique désigne le phénomène par lequel le chercheur juge que les dernières entrevues n’apportent plus d’informations suffisamment nouvelles ou différentes pour justifier une augmentation du 5 matériel empirique » . COLLECTE DES DONNÉES - Questions de déontologie : le dispositif de prise de contact avec les jeunes a été élaboré en respectant l’avis de la Commission de déontologie. Pour être conforme aux articles 2 et 12 du code de déontologie, les intervenants des services organisant les prestations n’ont pas sollicité directement la participation des mineurs à la recherche. Æ dans les IPPJ : présentation du projet de recherche aux équipes puis aux jeunes qui se sont librement manifestés comme volontaires pour un entretien de recherche. Æ dans les SPEP : présentation du projet aux services, remise au mineur via les intervenants d’un document d’information établi par les chercheurs (carte sous forme de BD à renvoyer en cas d’acceptation par le mineur) 3 Pires, 1997, 117. Deslauriers et Kerisit, 1997, 105. 5 Pires, 1997, 157 ; Bertaux, 1986, 205. 4 3 - Outil : entretien centré : entretien semi-directif autour de thèmes annoncés au départ (la consigne). Rencontres enregistrées intégralement, garantie d’anonymat, traitement standardisé selon des thématiques pour permettre les comparaisons. - Consigne : « Un jour tu as fait une connerie qui t’a amené devant le juge de la jeunesse. J’aimerais que tu me racontes ce que le juge a fait de toi, comment tu l’as vécu, ce que tu as ressenti à ce moment-là. J’aimerais aussi que tu me dises comment ça s’est passé avec ton entourage, tes parents, tes copains … On pourrait aussi parler de tout ce qui s’est passé après cette connerie, par exemple de ce qu’a fait avec toi la police, le parquet, le juge, le service qui t’a accueilli … - Fiche d’identification : L’entretien se termine par des questions plus précises comprenant des questions ouvertes relatives au parcours scolaire et protectionnel, aux caractéristiques personnelles et sociales, qui permettent de situer le contexte du jeune, de sa famille et de l’intervention6. LIMITES DE LA RECHERCHE - Choix de l’acteur – le jeune : Choisir de travailler à partir de la perception des jeunes limite bien évidemment l’approche de la mesure considérée, qui s’intègre dans un système d’intervention sociale et judiciaire, elle-même articulée avec des histoires de vies impliquant d’autres systèmes, d’autres acteurs, d’autres formes d’intervention. A juste titre, certains professionnels du secteur se sont sentis lésés par l’optique de la recherche, ayant le sentiment que l’on s’intéresse généralement davantage aux jeunes qu’aux éducateurs. L’approche centrée sur les jeunes, en tant que première étape d’un processus de production de connaissance en vue d’une rencontre de différentes réalités, est néanmoins intéressante comme premier élément de travail, comme renvoi d’interrogations par rapport à des pratiques. Ayant rencontré les jeunes placés en IPPJ dans leur environnement institutionnel, nous avons également pris du temps pour écouter ce que les équipes avaient à dire sur ce type de recherche, sur leurs difficultés, leurs doutes, leur enthousiasme. Ainsi les images de jeunes qui nous ont été renvoyées étaient teintées de couleurs contrastées allant de l’enthousiasme au doute permanent. Mais, qu’il soit présenté comme un jeune peu crédible, « irrécupérable » ou objet de toutes les attentions, le discours qu’il produit reste, pour les intervenants, sujet à caution. Il convient de rester critique, il nous paraît en effet indispensable de ne pas le considérer comme une donnée valide en soi, mais plutôt comme une facette d’un miroir devant être complétée par d’autres que seraient les discours des professionnels et des « familiers » des jeunes. Ce discours est un point de départ pour une interrogation qui ne soit pas uniquement spéculation, interrogation s’appuyant sur la perception des jeunes. 6 Delens-Ravier, Thèse 1998, 98. 4 - Choix de la stratégie de prise de contact : Il s’est révélé difficile de rencontrer des jeunes ayant terminé leur prestation. Suivant l’avis de la commission de déontologie ce contact ne pouvait être établi directement par les chercheurs auprès des jeunes, l’aide des services comme intermédiaires était indispensable. Cependant, malgré leur accueil positif et l’envoi d’un grand nombre de cartes, les retours de jeunes ont été trop peu nombreux : nous n’avons pu réaliser que 5 entretiens. Il n’en sera donc pas question dans cette note. - Choix méthodologiques : . L’échantillonnage diversifié : Les deux critères de diversification et de saturation ont été rencontrés pour les jeunes placés en IPPJ et nous permettant donc une généralisation de nos propos. Il n’en va pas de même pour les jeunes ayant exécuté une prestation. En effet, la difficulté de rencontre de jeunes faisant l’objet d’une mesure de prestation ne nous a pas permis de prétendre diversifier suffisamment notre cible, et donc de répondre au principe de saturation. Même si les discours produits sont particulièrement contrastés, les connaissances produites sur cette mesure ne sont que des informations fournies à titre exploratoire, nous n’en parlerons pas ici et renvoyons au rapport extensif. . L’outil – entretien centré : La richesse et la profondeur des discours produits auraient pu être plus grandes encore en ne se limitant pas à la technique d’entretien. Il aurait été intéressant, dans le cadre du recueil du point de vue des jeunes, de procéder également à de l’observation participante qui permet d’établir une relation entre les jeunes et le chercheur ; la confiance établie, il est plus aisé de poser des questions plus personnelles et d’obtenir des réponses plus réfléchies. 4. CARACTÉRISATION DE LA POPULATION DE RECHERCHE - Nombre de jeunes interrogés dans les 5 IPPJ de la Communauté française : 45 dont 39 garçons et 6 filles. - Scolarisation principalement dans l’enseignement de type professionnel - Un grand nombre de jeunes rencontrés se déclarent en décrochage scolaire - Origines culturelles diverses : Belgique, CEE, Maroc, Afrique, Turquie - Multiplicité des délits, essentiellement des « délits d’acquisition » (vols) - L’arrivée en IPPJ apparaît comme une étape dans un parcours déjà chargé de placement institutionnel, souvent après un séjour dans un autre IPPJ ou même en prison. - Très peu de mesure de médiation ou de prestation avant d’arriver en IPPJ. 5 ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE BERTAUX D., Les récits de vie comme forme d'expression, comme approche et comme mouvement, in PINEAU G. et JOBERT G., Histoires de vie tome 1, Paris, l'Harmattan, 1989, pp. 1738. DELENS-RAVIER I., Le placement d’enfants : une mesure paradoxale ? Evaluation en trois dimensions, Volume 2 – Article final, Thèse présentée en vue de l’obtention du grade de docteur en criminologie, Université Catholique de Louvain, 1998-1999. Promoteur : F. TULKENS. Thèse défendue publiquement le 27 octobre 1998. DELENS-RAVIER I., THIBAUT C., Jeunes délinquants et mesures judiciaires : la parole des jeunes, Rapport d’une recherche qualitative sur le point de vue de jeunes délinquants à propos de leur prise en charge judiciaire, Communauté française, 2001. DESLAURIERS J.-P., L’induction analytique, in POUPART J., DESLAURIERS J.-P., GROULX L.-H , LAPERRIERE A., MAYER R., PIRES A. P., La recherche qualitative, enjeux épistémologiques et méthodologiques, Montréal-Paris-Casablanca, Gaëtan Morin, 1997. PIRES A., De quelques enjeux épistémologiques d’une méthodologie générale pour les sciences sociales, in POUPART J., DESLAURIERS J.-P., GROULX L.-H , LAPERRIERE A., MAYER R., PIRES A. P., La recherche qualitative, enjeux épistémologiques et méthodologiques, MontréalParis-Casablanca, Gaëtan Morin, 1997, pp. 3-54. 6 - Famille - Ecole - Copains - Quartier 1. Environnement Attente de protection 3. Police Place sans réflexion - Argent – adrénaline appel DÉLINQUANCE = Contrôle - crainte placement - ‘mon’ juge -‘prouve moi ’ -poids dossier Jeune trajectoire Flou chronologique de Réinsertion Rejet >< compréhension Exclusion Chaleur Rejet Suspicion ‘jeu de dames’ 2. Aide spécialisée Détenteur unique et incontesté du savoir légal Æ placement Correct 5. Juge de la jeunesse petit juge ? Protecteur et paternaliste + 7 LES ACTEURS Parquet = SCHÉMA N°1 4. Avocat ? + son délit Jeune et ? - activités occupationnelles - discipline stéréotypée - rupture avec l’extérieur Perdu, à tirer ( ) 9.Temps Rivalités >< Solidarité Autres jeunes Peur de sortir : - inconnu - rejet social - conformité sociale ? Profs Implication pédagogique = adéquation % difficultés ? 'Gribouillage' Ecoute et soutien Projet de sortie Equipe PMS 6. Perception des acteurs 7. Vécu du régime Ecoute et rigole Avec qui on rigole pas Lassé - discipline individualisée - contacts avec l’extérieur - activités utiles - dialogue 3. 2. 1. Référent = ? Educateurs LE VECU EN IPPJ SCHÉMA N°2 2. 3. 1. ? 3. 2. 1. 9. Avenir ? Conformité : famille, travail, logement Imaginaire … Galère, ombre pénitentiaire Adaptation / conformité Repli / lassitude Distance / indifférence 8. Stratégies 8 LES RELATIONS ENTRE LE JEUNE ET LES ACTEURS DE LA PROTECTION JUDICIAIRE (SCHÉMA N°1) 1. ÉTIQUETTE N° 1 : LE JEUNE ET SON ENVIRONNEMENT SOCIAL 1. A. LE QUARTIER Le retour dans le quartier après un placement en IPPJ est difficile étant donné la stigmatisation que représente cette mesure, hormis avec les jeunes de ce quartier qui restent les « copains ». L’étiquette de « délinquant » colle à la peau, entretenue par la rumeur qui s’appuie sur les contrôles policiers7 plus récurrents dans les quartiers où résident habituellement ces jeunes, contrôles alimentant et renforçant le phénomène de stigmatisation8 et de méfiance sociale amorcé par la judiciarisation et le placement en IPPJ. Un autre élément est également la perte de confiance de la famille qui parfois ne dément pas les rumeurs. 1. B. LES COPAINS Le monde des copains est très présent dans le discours des jeunes. Sans lui la vie serait invivable ! Ce sont eux qui permettent de tenir durant le placement : les compagnons d’infortune rencontrés dans l’institution et les « potes » du quartier qu’ils attendent de retrouver. 1. C. L’ÉCOLE L’institution scolaire se présente comme une pierre angulaire dans le parcours des jeunes : à la fois vecteur d’exclusion et vecteur de réinsertion. Elle est à la fois la première expérience significative de relégation sociale et la seule issue que les jeunes entrevoient à leur situation, notamment en termes de projet de sortie valide aux yeux de l’ensemble des intervenants. 1. D. LA FAMILLE Les relations entre les jeunes et leur famille apparaissent comme un système complexe dans lequel les relations familiales sont à la fois le baromètre du comportement du jeune et la résultante de ce comportement. 7 8 Voir étiquettes n° 3. Delens-ravier, Thibaut, 2001, 213. 9 Les interactions familiales sont fort importantes dans l’évolution des jeunes : rejetés par les leurs, ils s’enfoncent dans des comportements qu’ils présentent eux-mêmes comme une forme d’ « appel »9, mais qui entretiennent ce rejet. Ainsi, lorsqu’il est question de conflit et de rupture, le placement et l’éloignement physique qu’il induit ne fait qu’entretenir le rejet familial, d’autant plus que le jeune est dans l’incapacité matérielle de négocier son image déterioriée aux yeux de sa famille par le processus judiciaire ou la diffusion des faits par les média10. La période du placement signe alors cette rupture, le jeune devra s’installer seul ou trouver une institution à sa sortie. Dans un autre cas de figure, la crise provoquée par la judiciarisation, suivie du placement, peut être l’occasion d’un changement, tant dans le comportement du jeune que dans les relations avec sa famille. La judiciarisation agit comme un catalyseur de l’évolution de la situation, à partir de la réaction familiale au délit. 2. ÉTIQUETTE N° 2 : MESURES D’AIDE SPÉCIALISÉE Les jeunes rencontrés n’ont pas une vision très claire de la chronologie de leur parcours. Celui-ci se présente cependant comme étant déjà chargé de placements institutionnels, dont l’IPPJ est l’aboutissement, souvent de façon répétée. Les jeunes parlent de leur place dans cette trajectoire comme s’ils étaient « une pièce dans un jeu de dames » … Les discours font état d’un parcours en forme de spirale constituée d’une longue suite de mesures, d’institutions, dont les jeunes parfois se rappellent précisément, parfois ont un souvenir plus vague. Que ce soit la consommation de stupéfiants, le comportement adopté, le décrochage scolaire, … Chacun de ces éléments constitue la cause d’un nouveau placement, un nouveau mouvement de vaet-vient entre retour en famille et institution. Les jeunes considèrent qu’une fois placés, le poids du dossier joue en leur défaveur. Un placement en IPPJ en appelle d’autres même si le jeune a l’impression de commettre des faits moins graves. Quelques services ou institutions sont mentionnées dans leur parcours et font l’objet d’appréciations. - Lorsqu’un suivi par le SAJ a précédé la prise en charge par le juge de la jeunesse, les jeunes ne perçoivent pas le rôle et les missions spécifiques ainsi que l’articulation possible de ces différentes interventions. Les entretiens réalisés dans le cadre d’une intervention d’aide, la plupart du temps en vue d’une autonomie aux contours imprécis, leur sont apparus inutiles, réduits à du simple bavardage. 9 Delens-Ravier, Thibaut, 2001, 62 & 63. Voir supra l’entretien de l’étiquette de « délinquant ». 10 10 - Les expériences de sport aventure sont relatées positivement par les quelques jeunes qui en ont bénéficié. - Les passages en CAU sont trop courts pour représenter une étape significative selon eux. - Les séjours en institutions résidentielles privées sont vécus comme un temps durant lequel ils disent n’avoir pas été réellement pris en charge. Le quotidien leur est apparu comme non structuré, offrant trop de liberté … Les jeunes disent avoir été livrés à euxmêmes en l’absence de véritable offre institutionnelle. - Ceux qui ont connu un passage en institution psychiatrique sont fortement marqués par des éléments tels que la camisole chimique et le mélange entre adultes et adolescents. Ils gardent en mémoire essentiellement la stigmatisation qui en découle. Le placement en IPPJ est alors considéré comme un soulagement. - Lorsqu’ils mentionnent le suivi par le SPJ, ce qui est relativement rare, c’est pour faire état de l’impuissance des délégués. Ce suivi est perçu plutôt comme une surveillance sur les mineurs et leurs familles que comme un accompagnement ou une aide. Bien que présent aux réunions concernant le jeune, le délégué n’apparaît pas comme le maillon qui fait lien, le fil rouge dans le parcours judiciaire du jeune. - La prison est également une expérience traumatisante, où le régime des mineurs est cellulaire 24 heures sur 24 et où la seule activité est la télévision. Pourtant une incarcération de quinze jours n’a guère de conséquences « éducatives » à leurs yeux, elle renforce parfois la haine, le fait d’être un caïd dans son quartier ou permet la rencontre de familiers ou connaissances. D’une façon générale, pour les jeunes que nous avons rencontrés alors qu’ils étaient en IPPJ, l’entrée dans le circuit institutionnel a signé le début d’un parcours chaotique, essoufflant, d’institutions en institutions, ponctué par quelques tentatives de retour, dont l’IPPJ constitue l’aboutissement. 3. ÉTIQUETTE N° 3 : LES RELATIONS ENTRE JEUNES ET POLICE Si les jeunes rencontrés ne remettent pas en question l’institution policière en tant qu’institution, ils ont néanmoins la nette impression que la mission des services de police consiste avant tout à les surveiller, à les contrôler et à les poursuivre, plutôt qu’éventuellement à les protéger. Ils se montrent fort critiques à l’égard des méthodes utilisées par les agents des forces de l’ordre. Ces deux éléments provoquent un sentiment de rage et de domination diffuse (« on est toujours les « perdants », on attire la poisse », « la police se croit tout permis »). La dissymétrie des relations jeunes délinquants/ police développe chez les jeunes un sentiment d’insécurité lié à l'étiquetage de «jeunes potentiellement dangereux » assigné par les contrôles récurrents ainsi qu’à l’imprévisibilité des réactions dont ils risquent de faire l'objet à partir de ce repérage. 11 Ce sentiment apparaît donc issu à la fois : - Des rencontres entre jeunes et police dans l’espace public dans lesquelles avant même qu’il y ait infraction ils font l’objet de contrôles d’identité récurrents ciblés sur leur « profil » de jeunes vivant dans certains quartiers stigmatisés. - Des méthodes policières lors des arrestations et des interrogatoires –humiliations, insultes, voire coups- qui ne leur apparaissent pas comme des « dérapages » dans la mesure où ils se présentent suffisamment fréquemment pour qu’ils les considèrent comme une caractéristique de leurs rapports avec la police. ÉTIQUETTES N° 4 & 5: LES ACTEURS JUDICIAIRES. 4. ÉTIQUETTE N° 4 : EN AMONT DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE 4. A. LE PARQUET Les jeunes évoquent peu le parquet, comme s’il était inconnu. Ils saisissent mal le rôle du parquet, que ce soit dans le cadre de son rôle en matière d’opportunité des poursuites ou dans le cadre des audiences publiques. Le Procureur (ou son substitut) est plutôt perçu comme une sorte de « petit juge ». 4. B. L’AVOCAT Les jeunes n’en ont pas parlé, si ce n’est pour signaler la présence d’un pro deo, sans mentionner l’apport de celui-ci … 5. ÉTIQUETTE N° 5 : LE JUGE DE LA JEUNESSE Le juge de la jeunesse est une figure marquante, associée avant tout à l’instance qui peut décider d’un placement. La crainte du placement est vraiment le pivot autour duquel s’articule l’appréciation que les jeunes ont de l’intervention judiciaire, comme si, pour eux, le juge n’avait pas d’autres mesures à sa disposition. Quatre images de juges émergent du discours des jeunes, elles vont d’une appréciation franchement négative (le juge qui place sans réflexion) à une appréciation franchement positive (le juge protecteur et paternaliste). 12 - Le juge qui place sans réflexion est celui qui matérialise son action par une mesure de placement comme réponse unique malgré la diversité des jeunes ou des situations qu’il rencontre. La relation avec le juge est ici hyper standardisée, l’espace de parole accordé aux jeunes et à leur famille apparaît comme extrêmement restreint. Aux yeux des jeunes, la systématisation du placement est révélatrice à la fois d’un manque d’individualisation des mesures et donc d’écoute, et d’un manque de connaissance des réalités institutionnelles. Des jeunes répondent alors au manque d’écoute ressenti au moment de la décision ou au cours de leur placement par la fugue, stratégie qui oblige le juge de la jeunesse à rouvrir le débat sur leur compte. - Le juge détenteur unique et incontesté du savoir légal : « c’est lui qui décide ». Dans ce type de figure, le juge est l’incarnation d’une loi écrite et formalisée comme dans le régime légal appliqué aux adultes. L’importance accordée aux acteurs dans la logique protectionnelle leur échappe. Les jeunes s’en remettent donc au juge, entité abstraite et neutre, instrument d’un droit désincarné. Les interactions entre le jeune et le juge de la jeunesse sont caractérisées par la pauvreté des échanges, la passivité et l’absence de contestation. - Le juge « correct » est une forme positivée de juge ambivalent, bon lorsqu’il est protecteur, mauvais lorsqu’il sanctionne. - Le juge protecteur et paternaliste constitue l’image inversée du juge « qui place sans réflexion ». Ici, le rôle du juge de la jeunesse déborde celui de « dire la loi », son intervention dépasse le cadre du fait commis. Il n’est pas là uniquement pour sanctionner, il cherche à comprendre, à aider. Ce n’est cependant pas l’idée d’assistance qui suffit en soi à étayer cette image du « bon » juge. L’image positive du juge est le résultat de la conjugaison de plusieurs éléments, notamment le respect du jeune (à travers par exemple le fait de faire respecter les droits du jeune par rapport aux policiers), la franchise et la clarté des décisions. Néanmoins, la figure peut être double : juge paternel dans des situations de mineur en danger, juge « placeur » lorsque le jeune a commis un fait qualifié infraction. Les deux facettes sont fonction de la motivation de la saisine, mais sont également conditionnées par le conformisme du jeune au rôle attendu et donc de la bienveillance qu’il parvient à susciter ou non. Si les images du juge diffèrent, il existe une certaine constance dans les relations. Prévaut d’abord la crainte du placement, ainsi même si les jeunes qualifient généralement de « bonnes » les relations avec leur juge, voire évoquent même une certaine proximité affective en parlant de « mon (ma) juge », ils perçoivent les décisions prises par le magistrat comme en quelque sorte extérieures à cette relation, comme si le juge ne maîtrisait pas réellement sa décision, guidée par des facteurs extérieurs. Les rencontres avec le juge de la jeunesse sont cependant marquées par la logique du « prouve-moi quelque chose ». Le jeune cherche à répondre à cette injonction par l’élaboration de « projet » restant dans l’ordre de l’intentionnel, en multipliant des contacts qui « s’évaporent » par la suite. 13 Le dossier ou le poids de ce dernier est également un élément important dans les rapports entre juges de la jeunesse et mineurs. En effet, si le choix des mesures est, en principe, dicté par les besoins du mineur, les jeunes constatent une gradation des mesures en milieu ouvert vers le milieu totalement fermé, notamment en cas de récidive, de fugues, ou d’irrespect des conditions émises auparavant. Les jeunes qui ont fait l’objet de multiplacements, en IPPJ entre autres, ne vont que très rarement bénéficier de mesures de « diversion » (guidance, prestations éducatives ou philanthropiques, …) par la suite. Bien que les jeunes aient le sentiment que leur non conformité à des conditions édictées par le juge soient le résultat de circonstances indépendantes de leur volonté, et qu’ils aient l’impression d’avoir commis des faits de moins en moins graves, le juge de la jeunesse choisit une mesure plus sévère que la précédente. 14 LE VÉCU DU PLACEMENT EN IPPJ (SCHÉMA N°2) 6. ÉTIQUETTE N° 6 : LA PERCEPTION DES ACTEURS Les acteurs clés aux yeux des jeunes sont d’abord les éducateurs, l’équipe psycho-médico-sociale, et les autres jeunes de la section. Les jeunes évoquent surtout les membres du personnel amenés à être fréquemment en contact avec eux. De façon étonnante, ils parlent peu des membres de l’équipe de formation. 6. A . LES ÉDUCATEURS Les membres de l’équipe éducative sont les intervenants de première ligne puisqu’ils sont en contact direct quotidiennement avec les jeunes ; ce sont d’ailleurs les figures les plus fréquemment citées par les jeunes, avec des variations selon les établissements. Les jeunes insistent sur la distance inéluctable et nécessaire qui existe entre jeunes et éducateurs, bien qu’ils soient tous deux soumis aux règles et à l’infrastructure institutionnelle et soient pris dans les mêmes contraintes paradoxales11. Nous avons pu dégager trois figures d’éducateur émergeant des discours : - L’éducateur « qui écoute et qui rigole » : cette figure correspond à une image positivée du rôle d’éducateur, elle renvoie à une fonction de compréhension, d’écoute attentive. L’écoute ne suffit cependant pas à elle seule à « faire » un « bon » éducateur aux yeux des jeunes. Les éléments d’une réelle écoute attentive sont la capacité à valoriser le jeune, à lui donner une image positive, à croire en lui. Ce type d’éducateur parvient à une connaissance suffisante du jeune pour arriver à lui mettre des limites. Il est également impliqué dans son travail essentiellement par son intérêt profond pour les jeunes eux-mêmes, avant toute forme de reconnaissance sociale ou pécuniaire. - L’éducateur « avec qui on rigole pas » : ce type d’éducateur se cantonne au respect strict du règlement, la discipline n’est pas négociée, elle est appliquée au pied de la lettre. Il en résulte un manque de souplesse et de dialogue, le fait de sanctionner directement sans avertissement « casse » la relation entre le jeune et l’éducateur. Ce dernier est ainsi perçu comme peu franc dans ses rapports, il laisse peu d’échappatoire dans le cadre disciplinaire. Le système de cotation induit une perception de manque de franchise de la part des éducateurs qui diffèrent ou ne préviennent pas en cas de sanction. 11 Voir infra la question de l’ « intérêt » du placement en IPPJ. 15 - L’éducateur « lassé » : cette figure correspond à un éducateur qui ne remplit pas son rôle, aux yeux des jeunes, ni dans l’animation de groupe ni dans la discipline, il ne permet pas aux plus jeunes au sein du groupe sectionnaire de se faire respecter. L’analyse des différentes figures d’éducateurs montre que les limites se doivent d’être basées sur des valeurs à transmettre plutôt que sur le respect du règlement. Les différentes figures émergent à partir de la question du respect du règlement : la rigidité dans l’application du règlement, le retranchement derrière une cotation, le manque de prévisibilité apparaissent ainsi comme des facteurs qui « cassent » la relation entre jeune et éducateur et ne favorisent pas la confiance alors que le dialogue, la souplesse, la compréhension et la négociation dans un cadre délimité sont des éléments valorisés par les jeunes. Les relations qui se nouent sont bien sûr différentes d’un éducateur à l’autre, d’un jeune à l’autre, mais également d’une institution à l’autre. Le régime, la discipline et le climat institutionnel favorisent en effet un certain type de relations avec les jeunes qui y sont placés :si les murs pèsent sur les jeunes, ils pèsent également sur le personnel éducatif. La relation que les jeunes développent avec le « bon » éducateur « qui écoute et qui rigole » est nommée par eux comme une relation « copains-copains ». Avec la deuxième figure de l’éducateur « qui rigole pas », les relations sont de type « donnantdonnant », reconnaissant la dissymétrie des rapports jeunes / équipe éducative, elles se basent sur le respect des limites de chacun tout en évitant d’interférer trop dans la sphère des éducateurs, « tant qu’on les ennuie pas, ils nous ennuient pas ». Cette dissymétrie du rapport de force en défaveur du jeune dans l'application du règlement renforce la méfiance, voire le caractère conflictuel des relations dans lesquelles les jeunes gardent leur distance et n’investissent pas. Les relations entre jeunes et éducateurs sont assez évidemment liées au contexte de groupe dans lequel elles s’inscrivent et qui impose des limites. Ainsi une relation plus individualisée, « seul à seul », est souvent perçue positivement car elle n’est plus déterminée par le contexte de groupe et permet une rencontre plus « cool », même si elle est en général rendue possible dans le cadre d’une « sanction » (suppression de sortie par exemple). L’on constate que les jeunes n’ont pas fait mention de la figure de l’éducateur référent en tant qu’image identifiée ayant un rôle particulier à jouer. 6. B. L’ÉQUIPE PSYCHO-MÉDICO-SOCIALE Les jeunes parlent essentiellement de deux « fonctions » assurées au sein de l’équipe PMS : la fonction du ou de la psychologue et celle de l’assistant(e) social(e). Il est à noter que les interventions de ces deux membres du personnel sont extrêmement variables d’une institution à l’autre. Elles sont parfois même inexistantes … 16 Selon les jeunes, l’équipe P.M.S. remplit trois fonctions : 1. Le « gribouillage » : dans ce rôle que pointent les jeunes, il est question essentiellement de réalisation de tests, de rédaction de rapports dont les jeunes ne perçoivent pas la finalité. « Ils écrivent » disent les jeunes qui ne se sentent dès lors pas « écoutés ». 2. L’écoute et le soutien, est une fonction remplie par certains membres des équipes PMS que les jeunes situent à l’opposé de la « gribouille ». Celle-ci est signalée dans certaines institutions seulement, où les intervenants psychosociaux sont présents dans le quotidien des jeunes et peuvent se rendre disponibles en cas de difficulté ou de demande. 3. L’élaboration du projet de sortie : l’artisan de ce projet est assez logiquement l’équipe PMS pour qui c’est même souvent la fonction première. Souvent ce projet de sortie constitue d’ailleurs l’essentiel des rapports entretenus avec l’équipe PMS. Il se développe dans deux types de rapport assez différents : - Lorsque le projet qui tient à cœur au jeune ne correspond pas vraiment à un projet de sortie mais s’apparente plutôt à une recherche sur soi-même, son élaboration avec les membres de l’équipe PMS peut être l’occasion d’une rencontre et d’une écoute. - Mais lorsqu’il est discuté dans un cadre « moralisateur » où les objectifs sont définis par l’ensemble des intervenants plutôt que par le jeune lui-même, le projet se présente comme le vecteur unique de communication et reste enfermé dans son caractère hyper formel, il ne permet pas alors une réelle écoute, ni un réel travail sur « le sens vécu » des actes posés. Si la fonction d’élaboration de projet peut s’articuler avec les deux autres fonctions d’écriture et d’écoute, ces deux dernières apparaissent exclusives l’une de l’autre : les jeunes qui mettent en avant le rôle de rédaction ne sont pas les mêmes que ceux qui insistent sur le soutien. 6. C. LES PROFESSEURS Les jeunes n’ont pas évoqué les équipes d’enseignants en tant qu’acteurs identifiés à l’occasion des entretiens. Les jeunes associent plus volontiers les formateurs avec la matière enseignée : type d’atelier, travail fourni… Nous avons pu dégager quelques éléments concernant les enseignants en IPPJ dans les discours concernant les ateliers et cours dispensés12 6. D. LES AUTRES JEUNES La dimension collective imprègne l’ensemble de la vie quotidienne. La vie de groupe a ses avantages et ses inconvénients. - Au rayon avantages, les jeunes parlent de soutien contre l’ennui et la solitude, de solidarité, de stratégies communes pour éviter les problèmes et sortir plus rapidement. 12 Delens-Ravier, Thibaut, 2001, 183 & 151 à 181. 17 - Au rayon inconvénients, il est question de rivalités, de mélange entre délinquants « soft et hard », de la difficulté pour les très jeunes de s’intégrer sans devenir le « martyr » du groupe, de la contagion ou la difficulté de se démarquer dans un environnement où tous les jeunes ont le même type de problématique. 7. ÉTIQUETTE N° 7 : LE VÉCU DU RÉGIME EN ‘IPPJ’ 7. A. LA DÉCISION DE PLACEMENT La décision de placement en IPPJ se présente clairement comme une punition, justifiée ou non à leurs yeux. - Celle-ci apparaît comme une réponse logique, essentiellement en comparaison avec le système pénal adulte dans la mesure où ils admettent avoir fait des conneries et qu’il est normal d’être « puni ». - Elle est cependant vécue comme une injustice si le jeune ne reconnaît pas les faits, lorsque le délai entre les faits et la sanction est trop important, lorsqu’une série de mesures s’accumulent sans que le jeune ne perçoive quelle est la sanction effective, lorsque les conditions d’entrée et de sortie ne sont pas clairement établies, lorsque la différence de traitement entre mineurs et majeurs ou d’un arrondissement à l’autre est trop importante. - Il s’agit parfois d’une décision par défaut lorsque les familles ne veulent plus rien entendre et/ou qu’aucune autre institution n’accepte le mineur. 7. B . RÉGIME OUVERT OU FERMÉ Assez logiquement le placement en section fermée est perçu plus négativement que le placement en section « ouverte », même si les régimes disciplinaires sont parfois comparables. - Le placement en section fermée implique une série de privations : de l’autonomie, de la liberté, de relations hétérosexuelles, de relations amicales librement choisies… Le quotidien est strictement organisé et contribue à entretenir un sentiment d’ennui et d’inutilité. Et, outre le confinement inhérent à ce type d’hébergement consacre un rejet délibéré de la société qui a des effets stigmatisants non négligeables : difficulté de retrouver une école, de se faire accepter dans le quartier, contrôle accru de la police …. Beaucoup de jeunes comparent le régime fermé en IPPJ au régime carcéral. Pour eux, malgré l’objectif d’aide affiché, la section fermée de l’IPPJ n’est qu’une prison déguisée pour les jeunes. Tout en témoigne : le régime disciplinaire, l’impossibilité de sortir le week-end, de rencontrer sa famille en dehors de l’institution, la structure du bâtiment … Pour d’autres, prison et section fermée sont fort différentes. 18 En prison, les jeunes sont enfermés dans leur cellule la majeure partie de la journée et n’ont accès à rien, alors qu’en section fermée d’IPPJ, il est possible d’avoir accès à un certain nombre de sorties encadrées, d’être entouré de personnel éducatif, il y a quand même une vie de section durant la journée… - Le placement en section éducation en régime ouvert n’implique pas ces privations évoquées dans les sections fermées, même si les régimes disciplinaires ont des éléments comparables13. Le week-end, les sorties (les allers/retours vers le travail etc…) sont des éléments fondamentaux du placement. C’est également pour le jeune l’occasion de voir s’il a changé, ou de recréer des liens familiaux. 7. C . - RÉGIME DISCIPLINAIRE Une série d’éléments sont avancés pour argumenter une évaluation plutôt positive du vécu dans l’institution : une individualisation des mesures disciplinaires par exemple, qui peuvent même se présenter comme des mesures de valorisation positive. Ainsi les filles placées en section éducation font état d’un dialogue constant, de négociation avec les éducatrices, dialogue qui constitue dans certains cas une mesure en soi. De même, le régime est mieux perçu lorsqu’il existe une certaine souplesse dans l’organisation des activités, une possibilité de décider, de discuter les propositions de l’éducateur. D’après les jeunes, la souplesse ne doit pas pour autant signifier une absence d’organisation du temps, cette dernière est nécessaire. Dans le cas contraire, l’organisation d’activités est tributaire du personnel éducatif présent, laissant ainsi la porte ouverte à des décisions arbitraires qui satisfont plutôt l’éducateur que les jeunes. - D’autres éléments contribuent à une évaluation plutôt négative de l’organisation en IPPJ. Ainsi les mesures disciplinaires apparaissent relativement stéréotypées et peu diversifiées dans toutes les sections : en régime ouvert il est question de retrait de week-end, en régime fermé il s’agit de mise en chambre (qui peut d’ailleurs être également une mesure en régime ouvert) et de l’isolement. Ce sont des mesures de valorisation négative. Les jeunes font largement mention du système de cotation qui constitue, à leurs yeux, la colonne vertébrale du régime disciplinaire en IPPJ. Ce système se présente comme un moyen de conserver un équilibre institutionnel dans une relation de « donnant-donnant » entre jeunes et éducateurs mais ne représente pas un outil éducatif leur permettant d’évaluer leur propre progression. Globalement, les jeunes perçoivent le cadre de discipline comme un contenant utile à la vie dans l’institution mais non comme un contenu à valeur pédagogique. 13 voir infra 19 7. D. L’OCCUPATION DU TEMPS L’intérêt des activités proposées en rapport avec un retour dans la « vie normale » est un élément fondamental dans l’appréciation du placement. On retrouve ici une superposition des appréciations concernant les sections ouvertes et fermées, dans la mesure où les activités organisées varient en fonction du régime dans lequel le jeune est placé. - Ainsi, le régime ouvert privilégie la formation scolaire à travers des cours et des ateliers. Ceux-ci sont perçus positivement lorsqu’ils sont l’occasion d’un apprentissage en termes de savoir être et/ ou du savoir-faire transposable dans la vie courante. De même, des cours et une formation permettant d’acquérir un diplôme ou offrant une réelle remise à niveau sont valorisants et valorisés par les jeunes. Par contre, l’organisation d’ateliers choisis à défaut d’autre possibilité, ou proposant un travail paraissant inutile (construction démontée plus tard pour récupérer le matériel et permettre une nouvelle reconstruction …) sont des éléments dévalorisants. - Alors que le régime fermé organise des activités de sport ou de bricolage dont la finalité semble être l’apprentissage d’une hygiène de vie souvent très loin des préoccupations et des réalités des jeunes placés. Les possibilités d’activités extérieures représentent à la fois une rupture avec le monde institutionnel, un bol d’air apprécié, et une forme de « test » de l’évolution personnelle in situ. En outre, les retours en week-end permettent de renouer avec la famille, de renégocier une image personnelle meilleure. L’organisation de l’horaire14 est également un élément d’appréciation important : - Un horaire strictement organisé implique un sentiment de répétitivité, d’ennui et de rigidité institutionnelle, aboutissant parfois à l’impression d’avoir perdu toute autonomie d’action et de décision. - Une marge de manœuvre dans l’organisation horaire est le reflet d’une possibilité de souplesse et de négociation. 8. ÉTIQUETTE N° 8 : STRATÉGIES DES JEUNES Le séjour en IPPJ, en section éducation ou en section fermée, dure un certain temps. Le début est d’autant plus dur à vivre que le régime de sortie n’est pas instauré tout de suite et qu’il constitue un élément fondamental aux yeux des jeunes. Les premiers temps, les jeunes perdent leurs repères, doivent s’habituer à la discipline stricte, retrouver un rythme qu’ils n’avaient bien souvent plus, trouver leur place dans le groupe … 14 Voir également étiquette n° 8. 20 Nous avons constaté que, au fil du déroulement du séjour, les jeunes développent des « stratégies » d’adaptation ou de repli différenciées, le terme stratégie étant compris comme la combinaison de différentes façons de réagir à la situation de placement en IPPJ. Deux positions apparemment opposées émergent ainsi : - pour les uns, plus le temps s’écoule, mieux ils arrivent à supporter le séjour dans ce type d’institution, l’évolution se fait ici en termes d’adaptation. L’adaptation progressive au système de vie institutionnelle est marquée par le respect de la conformité exigée, ils s’installent dans le respect et la conformité aux règles qui leur paraissent nécessaires comme contenant à leurs comportements. Leur adaptation en terme de conformité aux attentes institutionnelles rend ainsi la vie dans l’institution plus gratifiante. Ils cherchent à récupérer ce qui se vit dans l’institution pour en tirer un profit personnel (apprentissage scolaire, apprentissages divers pouvant se révéler utiles dans le futur, éventuellement un travail rémunéré …). Le séjour est en quelque sorte rationalisé. Les jeunes essaient de positiver ce qui leur arrive. Cet épisode de leur vie où ils arrivent à s’habituer à la discipline, à la vie de groupe, aux contraintes de l’institution par le développement d’un « projet personnel », compris comme une façon de se réapproprier les objectifs de leur placement, représente une victoire sur eux-mêmes, une réussite de quelque chose dont ils sont fiers. Le fait d’arriver à supporter l’institution, sans fuguer par exemple, est déjà le signe d’une victoire sur eux-mêmes, donc d’un progrès. Ils sont donc capables de « réussir » au moins une chose : supporter l’institution ! - Pour d’autres au contraire la lassitude s’installe et la mesure devient de plus en plus difficile à supporter : l’évolution se fait ici en termes de repli et de lassitude. Les désagréments de la vie en institution l’emportent sur les bénéfices qui pourraient en être retirés. L’ennui devient de plus en plus prégnant. La lassitude qui s’installe, avec l’impression de ne jamais « en sortir » est exacerbée par la difficulté de vivre avec des jeunes ayant les mêmes problèmes. Le placement est vécu alors essentiellement comme une limite négative sans offre positive, à l’image de ce qui se passe en prison. Ce type d’évolution est plus prégnant dans certaines sections fermées où le séjour risque de se prolonger et où les délais ne sont pas clairement établis. - Il n’est pas toujours question d’évolution, certaines stratégies, telle la distanciation ou l’indifférence, comme si la mesure ne touchait pas le jeune, sont plus « stables » et persistent durant tout le placement. Ce type d’attitude semble rendre le jeune en quelque sorte imperméable à ce qui se passe autour de lui, et ainsi à toute forme de rencontre et de travail pédagogique, c’est du moins ce qu’il en dit. 21 9. ÉTIQUETTE N° 9 : LA NOTION DU TEMPS ET L’AVENIR Le temps est un axe fondamental qui traverse tant la période de placement que l’avenir. La préoccupation fondamentale est la durée du placement. Les jeunes évoquent la difficulté de se situer dans un temps qui a un début mais aucune fin clairement précisée. Les jeunes s’accommodent mal du « flou artistique » qui entoure la durée de la mesure, ils se sentent « floués ». Ils n’y voient pas une indétermination liée à une finalité éducative mais le vivent plutôt comme une injustice. 9. A. PENDANT LE PLACEMENT Même s’ils sont souvent perdus dans la chronologie de leur trajectoire, les jeunes connaissent en général précisément leur date d’entrée dans l’IPPJ, comme si l’horloge s’était arrêtée à ce moment-là. Le temps pendant le placement est vécu comme du temps « perdu », « à tirer »,… C’est un temps entre parenthèse, ils « perdent leur temps » étant coupés de l’école lorsqu’ils y sont encore, retardés dans la préparation d’une vie à l’extérieur de l’institution, perturbés dans leurs relations familiales et amicales... Le sentiment du temps perdu, particulièrement aigu dans certaines IPPJ, est lié à la répétitivité et à la prévisibilité du quotidien, d’où un sentiment d’ennui très perceptible. Le quotidien institutionnel est pauvre en changements au regard de la vie « au jour le jour » du jeune. 9. B. LE PROJET DE SORTIE Ce projet de sortie constitue un enjeu fondamental du placement puisqu’il s’agit de profiter de la période de placement pour mettre au point un projet de réinsertion sociale, qui doit être effectif au moment de la sortie. Ce projet se « discute » avec le magistrat, dans un registre assez standardisé : l’école, le logement et l’accès à des ressources. Les jeunes se conforment à ce qui est défini dans ce projet, essayant par là de mettre fin le plus rapidement possible au placement. Quand le jeune investit le projet de sortie, c’est surtout le retour à l’école qui lui apparaît significatif. Il apparaît que les conditions d’un « bon projet », c’est à dire qui a des chances de se concrétiser, sont liées essentiellement au milieu et au parcours antérieur du jeune : la famille est-elle encore d’accord pour l’accueillir, sinon il sera nécessaire de trouver une institution d’hébergement (avec des probabilités de refus plus importantes), le jeune avait-il encore une scolarité effective ? … Ils se montrent néanmoins sceptiques sur leur capacité à répondre à ce qu’on attend d’eux en raison de l’étiquette qu’ils portent d’une part, de la difficulté pour des jeunes de faire face à des phénomènes plus larges (chômage, etc…) d’autre part. 22 9. C. LA TROUILLE DE SORTIR S’il leur semble avoir progressé par leur capacité d’adaptation aux normes institutionnelles, ils disent n’avoir aucun moyen d’évaluer leur évolution personnelle réelle, en dehors du cadre contraignant de l’institution. Leur adaptation est-elle suffisante pour vivre seul dans la société ? Ils disent avoir peur d’eux-mêmes dans le cadre des tentations extérieures. Dès lors, si la sortie est attendue avec impatience, elle génère également de l’anxiété, surtout dans le chef de jeunes qui ont un parcours dans de multiples institutions d’hébergement et qui sont placés depuis longtemps. Cette « trouille de sortir » englobe la peur de l’autonomie, mais également la peur du rejet social (à l’école, dans le quartier, par la police). Ces jeunes ont l’impression d’avoir perdu l’habitude d’être en société, d’être capable de vivre de façon autonome hors des règles qui gèrent l’institution. 9. D. L’AVENIR Une capacité d’adaptation institutionnelle ne signifie pas nécessairement une adaptation sociale… S’il est difficile d’imaginer leur vie après l’institution, à fortiori, leur avenir est une nébuleuse. Le présent domine et l’horizon apparaît relativement bouché. Lorsqu’on interroge leurs représentations de l’ « à venir », deux types d’avenir se dessinent, et vont souvent de pair. - L’un est onirique et fait largement appel à l’imaginaire, il représente une rupture totale entre présent et futur. - L’autre est axé sur une intégration conformiste à la trilogie logement, famille, travail. Il se manifeste comme une quête de stabilité. Un futur envisagé conforme et stable se double parfois d’une volonté, pour certains jeunes, de continuer à consommer des stupéfiants pour le plaisir, ou de conserver en parallèle quelques activités illégales afin d’arrondir les fins de mois. Les espérances apparaissent néanmoins fragiles pour ces jeunes qui n’arrivent pas imaginer qu’ils puissent se dégager de la « galère » qui leur colle à la peau, d’un futur sur lequel plane l’ombre pénitentiaire ou la relégation sociale auxquels ils apparaissent résignés. 23 DE L’INTÉRÊT D’UN PLACEMENT EN IPPJ … De façon indéniable, le placement en IPPJ apparaît comme une occasion de faire une pause dans un parcours chaotique et chargé. Il permet de se calmer, du moins dans un premier temps. Cet arrêt imposé provoque un début de réflexion mais il représente également un « dernier avertissement », une « dernière chance » avant de sortir de l’orbite de la justice des mineurs. Le message pour eux est « la prochaine fois tu voles en prison ». Même si les jeunes reconnaissent les faits et admettent qu’une réaction judiciaire se justifie, ils questionnent l’adéquation du type d’institutions auquel ils sont confiés (IPPJ) à partir de ce qu’ils estiment être leur difficulté. La plupart considèrent leur séjour comme une parenthèse qui leur fait « perdre du temps », ne leur permet pas de se préparer à vivre une vie à l’extérieur de l’institution. Le sens qu’ils donnent à leur passage à l’acte n’est pas suffisamment pris en considération dans le travail pédagogique ou l’élaboration du projet de sortie pour répondre à la façon dont eux-mêmes définissent leurs difficultés. Ils expliquent leurs transgressions comme une recherche de sensations fortes, une forme d’expression d’une difficulté de vivre ou un appel à l’aide personnelle, une recherche d’argent en tant que compensation à une situation sociale de relégation ou comme moyen d’accéder à certains plaisirs de consommation qui leur seraient relativement inaccessibles par des voies légalement reconnues… Ils posent la question d’une réponse plus adaptée à des problématiques spécifiques comme la toxicomanie, le rejet familial, ou la recherche du profit dans un contexte d’espérance de gain limitée … Les jeunes mettent en évidence une série de paradoxes qui traversent l’institution : - isoler pour insérer ? - un contenant pour quel contenu ? - une prison déguisée ? - protection et éducation du mineur ou protection de la sécurité publique ? - individualisation de la prise en charge et vie collective institutionnelle ? et dans lesquels ils se sentent piégés au même titre que les professionnels qui s’occupent d’eux …. On peut regrouper le vécu des jeunes de façon schématique autour de la notion d’éducation. Les éléments négatifs pointés relèvent d’une éducation visant à la normalisation, s’apparentant à un contenant sans contenu. Les jeunes interrogent les valeurs véhiculées par le règlement (hygiène de vie, conformisme aux règles…) loin de correspondre à leur cadre de référence, à leur cadre de vie. Dans ce cas, non seulement, la problématique n’a pas été travaillée, ni discutée à partir de l’intérêt que le jeune y trouve, mais de plus, le cadre de vie institutionnel imposé n’incite pas et ne permet pas de développer un projet transférable à l’extérieur. 24 Il s’agit alors souvent, dans le cadre d’une « éducation-normalisation », de se conformer aux exigences institutionnelles, afin de préserver un certain équilibre institutionnel, une relation de « donnant-donnant » avec les intervenants psychosociaux. La conformité à des d’habitudes correctes dans l’établissement sont-elles réellement transférables à l’extérieur ? Les jeunes se montrent anxieux ou dubitatifs sur leur future sortie. Les éléments positifs du travail pédagogique relevés par les jeunes concernent : - des apprentissages utiles à l’extérieur : savoir-faire (obtention de diplômes, apprentissage de compétences particulières…) et savoir être (comportements plus adéquats, arrêt d’une consommation de stupéfiants…). - Cette dimension éducative passe par la négociation et le dialogue, plutôt que par un strict rappel à la norme. La place qui pourrait être laissée à la négociation peut s’envisager à deux niveaux : au niveau des activités, d’une part, au niveau de la mise en œuvre du cadre disciplinaire, d’autre part. - Des perspectives à développer existent également dans l’articulation entre la vie collective et la prise en charge individuelle : Les jeunes, pour lesquels le passage en IPPJ a été synonyme d’une maturation personnelle, soulignent l’importance d’une relation personnalisée avec l’un ou l’autre adulte de l’institution l’ayant reconnu comme interlocuteur à part entière. L’instauration de relations personnalisées entre jeune et adulte est en corrélation avec un régime plus souple, organisant en son sein une modulation entre les activités réalisées en groupe et les besoins d’individualisation des jeunes. - Le vécu positif est intimement lié à la nécessité d’une clarté de la décision de placement, à une temporalité limitée et précisée. Ce n’est que dans le cadre d’une temporalité précisée que le jeune peut se montrer réceptif à un travail pédagogique proposé par l’institution, alors que l’incertitude n’induit que lassitude. - Devant les difficultés engendrées par la rupture entre la vie institutionnelle et la vie « extérieure », il apparaît essentiel de favoriser au maximum les relations avec l’ensemble de l’environnement, le cadre de vie du jeune. 25 TABLE DES MATIÈRES Fiche technique de la recherche .......................................................................................................................... 2 1. Objectifs ....................................................................................................................................................... 2 2. La convention de recherche......................................................................................................................... 2 3. Méthodologie de recherche.......................................................................................................................... 3 4. Caractérisation de la population de recherche............................................................................................. 5 Eléments de bibliographie .................................................................................................................................... 6 Les relations entre le jeune et les acteurs de la protection judiciaire (Schéma n°1) ....................................... 9 1. Etiquette n° 1 : Le jeune et son environnement social ................................................................................. 9 1. a. Le quartier ............................................................................................................................................ 9 1. b. Les copains .......................................................................................................................................... 9 1. c. L’école.................................................................................................................................................. 9 1. d. La famille.............................................................................................................................................. 9 2. Etiquette n° 2 : mesures d’aide spécialisée................................................................................................ 10 3. Etiquette n° 3 : Les relations entre jeunes et police ................................................................................... 11 Etiquettes n° 4 & 5: les acteurs judiciaires. ........................................................................................................ 12 4. 5. Etiquette N° 4 : en amont du tribunal de la jeunesse ................................................................................. 12 4. a. Le parquet .......................................................................................................................................... 12 4. b. L’avocat.............................................................................................................................................. 12 Etiquette n° 5 : Le juge de la jeunesse...................................................................................................... 12 Le vécu du placement en IPPJ (Schéma n°2) .................................................................................................... 15 6. 7. Etiquette n° 6 : la perception des acteurs.................................................................................................. 15 6. a. les éducateurs.................................................................................................................................... 15 6. b. L’équipe psycho-médico-sociale ........................................................................................................ 16 6. c. Les professeurs.................................................................................................................................. 17 6. d. Les autres jeunes............................................................................................................................... 17 Etiquette n° 7 : Le vécu du régime en ‘IPPJ’ .............................................................................................. 18 7. a. La décision de placement .................................................................................................................. 18 7. b. Régime ouvert ou fermé..................................................................................................................... 18 7. c. Régime disciplinaire ........................................................................................................................... 19 7. d. L’occupation du temps ....................................................................................................................... 20 8. Etiquette n° 8 : Stratégies des jeunes ........................................................................................................ 20 9. Etiquette n° 9 : la notion du temps et l’avenir ............................................................................................. 22 9. a. Pendant le placement ........................................................................................................................ 22 9. b. Le projet de sortie .............................................................................................................................. 22 9. c. La trouille de sortir.............................................................................................................................. 23 9. d. L’avenir .............................................................................................................................................. 23 De l’intérêt d’un placement en IPPJ …............................................................................................................... 24 26