nos films préférés peuvent-ils nous aider à mieux
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nos films préférés peuvent-ils nous aider à mieux
Movies and the self CAN OUR FAVOURITE MOVIES HELP US GET IN TOUCH WITH OURSELVES? PSYCHOLOGIST JEAN-FRANÇOIS VÉZINA BELIEVES THAT WE ARE MADE OF THE COUNTLESS IMAGES AND FEELINGS THAT WE STORE IN OUR MEMORIES. MAYBE FICTION DOES AFFECT OUR REALITY... BY | PAR MARIE CLAUDE FORTIN Le cinéma et moi NOS FILMS PRÉFÉRÉS PEUVENT-ILS NOUS AIDER À MIEUX SE CONNAÎTRE ? LE PSYCHOLOGUE JEAN-FRANÇOIS VÉZINA ESTIME QUE NOUS SOMMES FAITS DE LA MULTITUDE DES IMAGES ET DES SENSATIONS QUE NOUS EMMAGASINONS. QUAND LA FICTION DÉPASSE LA RÉALITÉ. BETTER LIVING MIEUX VIVRE O ne day, psychologist Jean-François Vézina received a visit from a patient who said he had been deeply moved by Amélie Poulain. “Every time we discussed this film in therapy, he broke down and sobbed,” says Vézina. “Gradually, we were able to attach words to his thought process and understand that he was living in constant fear of others’ judgment. Never having felt appreciated for who he was, he lived his life like the man of glass in the film.” In Se réaliser dans un monde d’images, in which the Quebec City psychologist looks at the individuation process described by Carl Jung, Dr. Vézina shows how our selves are constructed of the countless images and feelings that we archive – sad and significant events, powerful emotions that we store in our subconscious, usually in a “raw form” – ultimately accumulating “kilometres of raw film footage.” Then one day, as in the patient’s case, it all comes back and engulfs us in a storm of apparently inexplicable emotions. Dr. Vézina’s patient was a painter. But he was unsure of his talent, and never used it for anything more than copying others’ still-lifes. Amélie Poulain became a trigger, and with therapy he began to work on awakening his dormant creativity. Dr. Vézina believes we can all benefit from such experiences. “When a film upsets us to the point of haunting us for days, it’s very interesting to try to make a connection with one’s own life; to ask ourselves where we were when we saw a particular film, what was ‘blocked,’ what was troubling us. Was I in a conflict-ridden relationship? Was I having trouble in my professional life? When a movie really has a strong impact on a person, it’s almost certain that we’re on the way to resolving a problem.” The psychologist himself was “jolted” by Dead Poets’ Society, “to the point where it helped me overcome my passivity and push me into the search for a unique perspective that was within me, untapped.” He cites the example of a woman who was secondguessing her choice of career and who, after seeing Play Misty For Me, in which Clint Eastwood plays a radio DJ, had a sudden awakening. “She enrolled in communication studies and became a radio host.” Another patient, whose husband had drowned but who ‹ U n jour, le psychologue Jean-François Vézina reçoit dans son bureau un patient qui lui dit avoir été bouleversé par Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. « Chaque fois que nous parlions de ce film en thérapie, raconte l’auteur de Se réaliser dans un monde d’images, il éclatait en sanglots. Nous avons progressivement pu mettre des mots sur cette pensée et comprendre que cet homme vivait dans la peur continuelle du jugement des autres, raconte-t-il. N’ayant jamais eu le sentiment d’être reconnu pour ce qu’il était, il a vécu sa vie comme l’homme de verre du film. » Dans Se réaliser dans un monde d’images, un essai où le psychologue de Québec analyse le processus d’individuation cher au psychanalyste Carl Jung, Jean-François Vézina montre comment nous sommes faits de la multitude des images et des sensations que nous emmagasinons, événements tristes ou marquants, émotions vives ou diffuses que nous stockons dans notre inconscient le plus souvent « à l’état brut », pour se retrouver, à un moment ou à un autre de notre vie, avec des « kilomètres de bobines de film non traités ». Jusqu’à ce qu’un jour, comme ce fut le cas de ce patient, ces contenus ressurgissent, et que nous nous retrouvions pris dans un tourbillon d’émotions impossibles à expliquer. Le patient de Jean-François Vézina était peintre. Mais peu sûr de son talent, il n’avait jamais fait autre chose que reproduire des natures mortes. Le film de Jean-Pierre Jeunet a servi d’élément déclencheur : avec l’aide d’une thérapie, il a entrepris de travailler sur la créativité qui sommeillait en lui. Cette expérience, assure Jean-François Vézina, nous pourrions tous la mettre à profit. « Quand un film nous bouleverse au point de nous hanter pendant des jours, c’est très intéressant d’essayer de faire un lien avec sa propre vie. Se demander où l’on en était, au moment où nous avons visionné tel ou tel film; qu’est-ce qui était « bloqué »; dans quelle problématique étions-nous. Est-ce que j’étais dans une relation amoureuse conflictuelle ? Est-ce que j’avais des problèmes professionnels ? Quand le film a vraiment un impact sur nous, il y a fort à parier qu’on se trouve en voie de solutionner un problème. Ainsi, l’auteur des Hasards nécessaires (éd. de l’Homme, 2001) raconte avoir été lui-même « foudroyé » par La société des poètes disparus « au point qu’il m’a aidé à sortir de ma passivité et à m’engager dans la quête du regard unique qui vit au fond de moi. » DESTINATIONS 51‹ › BETTER LIVING MIEUX VIVRE couldn’t make it through her mourning, was stirred by the drowning scene at the end of Manon Briand’s La turbulence des fluides. “That scene was a catharsis for her,” says Vézina. “It finally allowed her to express the pain that she felt but that she had never been able to externalize.” Then there was the man who discovered his adventurous spirit thanks to Indiana Jones. Another patient identified so strongly with the character of Rémy in Denys Arcand’s Barbarian Invasions that he realized he was terrified at the prospect of losing his powers of seduction. “When a film upsets, transports, and transforms us, we need to ask ourselves what has changed,” Vézina suggests. “It’s a very specific question, and the answer is very revealing.” Films in which the heroes are abandoned children, such as the Harry Potter movies, make us confront our own fears of abandonment, but they can also put us in touch with our own resilience. “They make us understand that even if we’ve lost something we thought was essential, we can overcome that loss,” says Vézina. “It’s interesting to note that psychoanalysis emerged at the same time as cinema,” writes Vézina in his book. “Curiously, the two fields use the term projection. [...] A close examination of the characters that we identify with in a story helps us access facets of our subconscious.” By making our own “movie” we learn to “better know and tell our own story,” he concludes. ›52 DESTINATIONS Il cite en exemple cette femme qui se questionnait sur son choix professionnel, et qui, après avoir vu Un frisson dans la nuit, ce film où Clint Eastwood joue le rôle d’un animateur de radio, a eu la révélation de sa vocation. « Elle s’est inscrite en communication et est devenue animatrice radio ». Une autre patiente dont le conjoint s’était noyé, et qui n’avait pas réussi à faire son deuil, fut bouleversée par la scène de noyade qui clôt le film La turbulence des fluides, de Manon Briand. « Cette scène a eu pour elle l’effet d’une catharsis, raconte Vézina. Elle lui a permis d’exprimer enfin la peine qu’elle avait ressentie et qu’elle n’avait jamais été capable d’extérioriser ». Il y a aussi cet homme qui, en allant voir un Indiana Jones, s’est découvert une âme d’aventurier. Cet autre patient qui, en s’identifiant au personnage de Rémy, dans Les invasions barbares, de Denys Arcand, a découvert à quel point il était affolé à l’idée de perdre son pouvoir de séduction. « Quand un film nous bouleverse, nous transporte et nous transforme, demandons-nous qu’est-ce qui a été changé, propose Vézina. C’est une question très concrète et la réponse est très révélatrice. » Ces films dont les héros sont des enfants abandonnés, comme Ponette ou Harry Potter, nous confrontent à nos propres peurs d’abandon, mais ils peuvent aussi nous mettre en contact avec la « résilience », ce concept rendu populaire par Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, et auteur, entre autres, du livre Un merveilleux malheur. « Ils nous font comprendre que même si on a perdu quelque chose que l’on croyait essentiel, on peut s’en sortir. » « Il est intéressant de remarquer que la psychanalyse a vu le jour à la même époque que le cinéma, note Vézina dans son essai, soit au début du XXe siècle. Curieusement, ces deux domaines ont à faire avec la projection. (…) Examiner attentivement les personnages qui nous marquent dans une histoire donne accès à des facettes de notre inconscient. » En faisant notre propre filmographie, on apprend à « mieux connaître et raconter notre propre histoire », conclut l’auteur.