Maîtrise de la langue maternelle, du secondaire au supérieur (… et
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Maîtrise de la langue maternelle, du secondaire au supérieur (… et
Le Langage et l’Homme, vol. XXXXVIII, n° 2 (décembre 2013) Maîtrise de la langue maternelle, du secondaire au supérieur (… et au-delà ?) Lorenzo CAMPOLINI et Eric MAES Haute École Léonard de Vinci École normale de Louvain-la-Neuve (ENCBW) Olivier HAMBURSIN Haute École Léonard de Vinci Institut libre Marie Haps (ILMH) Plusieurs articles récents de la presse quotidienne francophone font état d’une mauvaise maîtrise de la langue maternelle dans la sphère professionnelle1. De nombreuses entreprises semblent se plaindre des conséquences économiques néfastes qu’entraînent pour elles les multiples erreurs (d’orthographe, de grammaire, de vocabulaire, de cohérence textuelle…) commises par leurs employés. Ce constat n’est peut-être pas généralisable à toutes les activités professionnelles, mais paraît néanmoins préoccuper un grand nombre de secteurs2. On ne peut que s’interroger sur les causes d’un tel déficit : l’enseignement supérieur se soucie-t-il suffisamment d’exercer la maîtrise langagière des futurs professionnels qu’il est censé former ? Des manques plus ou moins criants peuvent-ils être identifiés dans certaines filières d’études ? Quels dispositifs didactiques mettre en œuvre pour faire face aux lacunes des jeunes qui abordent leurs études supérieures ? Pourquoi, enfin, ces lacunes perdurent-elles après tant d’heures et tant d’années consacrées au français dans l’enseignement obligatoire : les injonctions officielles laissent-elles assez de place à l’étude de la langue au secondaire et, si oui, constate-t-on effectivement sur le terrain qu’un temps suffisant est consacré au raisonnement métalinguistique en classe de français ? Les enseignants sont-ils assez formés et outillés pour mener ce genre d’activités avec leurs élèves à ce niveau du 2 PRÉSENTATION DU DOSSIER curriculum ? Telles sont certaines des questions que se propose d’aborder le présent fascicule de la revue. Le dossier envisage tout d’abord la situation dans l’enseignement secondaire, étape indispensable dans la mesure où elle détermine pour une large part le niveau des élèves découvrant les exigences des études supérieures. Marc-Albert Moriamé, professeur depuis de nombreuses années à l’Institut Saint-Louis (Namur), constate, à ce stade, une diminution palpable du niveau de ses classes en matière de maîtrise de la langue. Il tente, dans un premier temps, d’analyser quelques raisons de ce phénomène, pour esquisser ensuite des pistes de remédiation. Parmi elles, un certain retour à la rigueur, un apprentissage de la structure de la langue, la prise en compte de cet apprentissage dans l’évaluation, mais aussi quelques pratiques innovantes, comme un dispositif inspiré de la gestion mentale, permettent d’améliorer sensiblement les performances des élèves du secondaire, et donc de mieux les armer pour la suite de leur parcours. Marie Beillet, doctorante à l’Université de Mons, s’intéresse précisément, dans le cadre du délicat passage de l’enseignement secondaire au supérieur, au niveau de maîtrise de la langue nécessaire à la réussite des études supérieures et, en particulier, à la mise au point d’un test d’entrée destiné à un public confronté de plein fouet à cette question sensible : les étudiants allophones. Fruit d’une recherche franco-belge (Université de Mons / Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris), cette contribution développe la méthodologie suivie pour créer un test de niveau pertinent et adapté à la spécificité du français universitaire. Mais que signifie réellement « maîtriser sa langue maternelle » ? Et quelles sont les faiblesses des étudiants qui fréquentent l’enseignement supérieur ? Deux contributions apportent quelques éléments de réponse. Marie-Ève Damar et Caty De Sutter prennent pour objet d’étude un cours d’université en première année (Information et Communication, ULB) pour essayer de mesurer, concrètement, les écarts et/ou les faiblesses de style des étudiants à l’orée de leur parcours universitaire. Elles insistent par ailleurs sur la nécessaire prise de conscience de l’écart entre formes attendues et formes produites, laquelle permettra aux étudiants d’accroître leur compétence et leur performance linguistiques. Manon Delcour, Marie-Aude Lefer et Geneviève Maubille, de l’Institut libre Marie Haps, décident, quant à elles, de sonder la réalité de ces écarts en exploitant le rapport de stage que tous les étudiants de maîtrise en traduction/interprétation sont tenus de rédiger à la fin de leur parcours. À l’aide d’outils informatiques issus de la linguistique de corpus (Sketch Engine et WordSmith Tools 5), elles constatent que les faiblesses, à ce niveau, ne sont plus guère orthographiques ou grammaticales, mais plutôt lexicales et stylistiques. Elles établissent dès lors un relevé très précis de celles-ci (verbes et adjectifs insipides à faible charge sémantique, marqueurs de discours stéréotypés, registres de langue inadaptés…) pour esquisser, enfin, un véritable guide de rédaction professionnelle à l’usage des étudiants. C’est à la dimension lexicale de la maîtrise de la langue que s’intéresse également Olivier Hambursin. Pour beaucoup de professeurs, les étudiants qui entrent à l’université ou en Haute École manquent de richesse lexicale, de variété, de nuance. Dimension fondamentale de la formation et du métier de traducteur/interprète, le lexique reste toutefois, pour différentes raisons PRÉSENTATION DU DOSSIER 3 étudiées ici, une discipline délicate à enseigner, si l’on souhaite que l’apprentissage soit durable et efficace. À partir d’expériences menées dans un cours de lexicologie dispensé en première année de baccalauréat, l’auteur suggère plusieurs pistes concrètes (renforcement d’une compétence métalexicale, initiation au bon usage des dictionnaires, notion de plaisir, de jeu sur les finesses et les subtilités de la langue, etc.) qui permettent de rendre l’étudiant compétent et autonome, davantage acteur de son apprentissage. S’il convient d’être attentif à la formation en langue de tous les étudiants, il s’avère crucial de réfléchir à celle des futurs enseignants, puisque c’est à eux que reviendra la tâche de construire, d’exercer et de renforcer la compétence langagière de leurs élèves. Catherine Deschepper propose dès lors, à partir d’une enquête, de confronter les exigences du métier d’enseignant en termes de compétence communicationnelle aux programmes de formation tels qu’ils sont conçus à l’École normale catholique du Brabant wallon (Louvain-laNeuve). Cette confrontation permet, dans un second temps, de réfléchir aux dispositifs de cours et de les penser dans une perspective professionnalisante. Enseignants, étudiants, professionnels, tous sont, en matière de langue, aux prises avec une activité délicate, celle de la correction. Isabelle Richard propose d’interroger, par ce biais, nos représentations relatives à la « maîtrise de la langue ». Que corrigeons-nous ? Comment ? En fonction de quoi, en référence à quelle norme ? Voilà quelques-unes des questions posées par cette contribution qui amène à concevoir autrement le travail de correction, à changer de point de vue (notamment en orientant la réflexion sur le lecteur/correcteur davantage que sur la maîtrise de la langue) puis à proposer aussi des techniques et des perspectives innovantes destinées à améliorer les compétences métalinguistiques des « correcteurs occasionnels ». Le traitement automatique des langues rendu possible grâce aux recherches menées dans le domaine des nouvelles technologies offre lui aussi des perspectives novatrices. Ainsi, Sophie Roekhaut, Richard Beaufort et Cédrick Fairon, chercheurs au Centre de traitement automatique du langage de l’UCL, nous invitent à découvrir PLATON, une plate-forme en ligne dédiée à l’apprentissage de l’orthographe. Dans leur contribution, ils nous présentent, outre les principales fonctionnalités de la plate-forme, les réflexions et les défis pédagogiques qui ont présidé à sa création et qui présideront à son développement futur. Destiné à la fois aux enseignants, qui peuvent librement y déposer leurs cours, et aux étudiants, qui peuvent y gérer leur apprentissage, PLATON cherche à réhabiliter l’exercice de la dictée scolaire pour en faire un exercice de pédagogie moderne centré sur les difficultés de chaque apprenant. Plutôt qu’un instrument de sanction, la dictée devient ainsi un outil de progression et d’évaluation formative. Un tel outil trouverait toute son utilité au sein du monde du travail : il y a d’ailleurs fort à parier que des entreprises souscriront au service pour en faire bénéficier leur personnel. Nous aurions souhaité pouvoir nous intéresser, dans le cadre de ce volume, à cette réalité-là : quel est le niveau de maîtrise de la langue attendu dans tel ou tel secteur de la sphère professionnelle ? Quel impact pour l’entreprise dont certains employés ne l’atteindraient pas ? Quels dispositifs ou outils de remise à niveau spécifiques proposer à ceux-là ? Des initiatives existent, et semblent même se multiplier ces dernières années au sein du monde francophone, mais rares sont pour l’heure les équipes de recherche à s’y intéresser — peut-être parce que le sujet est sensible et que les 4 PRÉSENTATION DU DOSSIER employeurs ne souhaitent guère communiquer sur les difficultés rencontrées en interne. Toujours est-il que rassembler des contributions significatives sur cette thématique, pourtant rendue brûlante d’actualité par l’essor des technologies de l’information et de la communication3, relève à l’heure actuelle de l’exploit. C’est donc une vraie question, toujours ouverte, que nous posons entre parenthèses dans le titre du présent dossier. Gageons qu’un prochain numéro nous permettra d’y répondre. Celui-ci répondra, sinon à toutes les autres, du moins à nombre d’entre elles : nous souhaitons à ceux qu’elles intéressent une agréable lecture. Notes 1 Sont par exemple librement consultables en ligne les textes suivants : http://www.lefigaro.fr/emploi/ 2010/04/25/01010-20100425ARTFIG00250-quand-l-orthographe-devient-un-critere-de-recrutement. php ; http://www.rtbf.be/info/societe/detail_les-fautes-d-orthographe-font-perdre-des-millions-deuros-aux-entreprises?id=6707693 ; http://www.lalibre.be/economie/libre-entreprise/article/698170/lorthographe-carte-de-visite.html ; http://www.lefigaro.fr/emploi/2013/05/24/09005-20130524ARTFI G00484 -les-entreprises-traquent-les-fautes-d-orthographe-de-leurs-salaries.php. 2 Bien au-delà des professions (enseignants, traducteurs, juristes, etc.) pour lesquelles la langue est un outil de travail de premier plan. 3 Ainsi le secteur du commerce en ligne, parmi d’autres, paraît-il prendre le problème très au sérieux, inquiet des retombées négatives que pourrait entraîner sur ses chiffres de vente la présence en vitrine de trop nombreuses coquilles…