Définition et existence - Université Paris Diderot

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Définition et existence - Université Paris Diderot
Journées thématiques interdisciplinaires 25-26 mai 2010
Philosophie et mathématiques : Platon et Aristote
Définition et existence
Salomon Ofman (CNRS, IMJ-Paris7)
I. Introduction.
Dans ce bref exposé, je voudrais proposer une discussion sur la question de la définition, et sa
relation à l’existence de ce qui est défini, ainsi que l’expose Aristote dans les Analytiques.
Ceci, à travers deux textes, non d’Aristote, mais de Platon, le Ménon et le Théétète, qui tous
deux contiennent des passages plutôt brefs (une ou deux pages), mais qui ont donné lieu,
depuis l’antiquité, à d’innombrables commentaires et à des interprétations divergentes. Cela
s’explique sans doute par leur importance pour l’histoire des sciences et/ou pour comprendre
ces textes, et par conséquent la pensée de Platon (ou de Socrate, voire, dans le cas du
Théétète, du jeune Athénien éponyme).
II. Définition et existence (ou être ceci) dans les Analytiques.
1. Définition vs démonstration.
Dans les Analytiques, Aristote présente son enquête, aux toutes première lignes de l’ouvrage,
comme ayant ‘pour sujet la démonstration et la science démonstrative’ (Premiers analytiques,
I, 1, 24a10).
Dès le chapitre 2 du livre I des Seconds analytiques, Aristote distingue entre hypothèse et
définition :
‘quand je dis par exemple qu’une chose est ou qu’une chose n’est pas, c’est une hypothèse ;
sinon, c’est une définition. (…) définir ce qu’est (…) et affirmer l’existence (…) n’est pas la
même chose.’ (72a20-24).
Au chapitre I.10 des Seconds analytiques, qui étudie les principes des sciences
démonstratives, c’est avec le plus grand soin, qu’il affirme la séparation entre ‘ce qu’est’ une
chose () et ‘qu’elle est’ (). Ainsi la définition () (que Pellegrin rend par
‘terme’) est disjointe de la question de l’existence, en ce qu’elle a pour seul objectif d’être
comprise, et non pas de dire qu’une chose est ou n’est pas (du moins c’est ainsi que le
comprennent Tricot, Heath, Ross et Tredennick entre autres).
Toutefois Pellegrin considère qu’Aristote vise ici non l’existence de la chose, mais un attribut,
la définition ne disant pas que la chose est ceci ou n’est pas ceci (affirmant qu’ici ‘le verbe
être ne peut avoir de sens existentiel’, note 9, p. 117) (I, 10, 76b35). Il argumente sur la
question dans sa note 15 de I, 2, 72a20-21 (cf. texte I.2). Pour lui, la définition est une ‘forme
d’énonciation’ qui ne peut être négative, mais peut porter sur l’existence.
Le chapitre II.3 est consacré entièrement à la disjonction entre définir et démontrer, et donc à
la séparation entre définition et existence (ou ‘être ceci’, suivant les commentateurs). Il
n’empêche qu’Aristote insiste sur l’impossibilité de savoir quoi que ce soit d’une chose, avant
de savoir que cette chose est (II, 8, 93a21 ; voir le texte I.5).
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Pour la plupart des interprètes (Heath (Euclide, I, p. 144-145, 149), Tricot (n. 3 et 4, p. 12 ; n.
3, p. 183 ; n. 4, p. 184), Tredelenbourg (Erlaüterungen [Explications], p.110), …) il s’agit
d’opposer ce qui sera une des questions les plus débattues par les savants médiévaux, les deux
sortes de définitions, à savoir les définitions nominales (‘de dicto’) et les définitions réelles
(‘de rei’).
Pour Pellegrin, le Stagirite veut opposer les énoncés affirmatifs et négatifs, une définition ne
pouvant être négative (bien qu’il admette la possibilité de définitions nominales (n. 15,
p. 405)).
Mais qu’en serait-il alors par exemple de la définition d’irrationnel (álogon) à savoir ‘ne pas
être rationnel ou d’incommensurable (asýmmetron) ‘ne pas être commensurable’ ?
Aristote reprend d’une certaine manière cette question au chapitre II.8, puis en II.10, où il
précise qu’on a plusieurs formes de définitions (nominales opposées à causales ou ‘quid rei’
selon les termes de Tricot, notes 4 et 5, p. 195 ; idem Pellegrin, note 5, p. 408 ; voir le texte
I.6).
2. Exemples.
Dans le cours de l’ouvrage, par de multiples exemples, Aristote revient sur cette opposition.
Car ‘à l’exception de la seule substance (‘’)’, ‘c’est nécessairement par une
démonstration qu’on montre qu’une chose quelconque est. Or l’être n’est jamais la substance
(‘’) de quoi que ce soit. La démonstration [et non la définition, ajoute Tricot en note]
aura donc pour objet que la chose est.’ (II, 7, 92b13-14).
Si Pellegrin traduit également ici la fin de la première phrase par ‘… l’on prouve que toute
chose est’, il ajoute que ce « est », ‘c’est la même chose que « ce qu’une chose est »’ (note 4,
p. 269).
Suit alors des exemples, les traductions de Tricot, Tredennick, Heath, divergeant d’avec celle
de Pellegrin, sur la question de l’existence et leurs conséquences.
a) Au chapitre I.2, à propos de l’unité (mathématique) (cf. textes I.1 et I.1’) Aristote dit : ‘en
Arithmétique, on pose que l’unité, c’est ce qui est indivisible selon la quantité ; mais ce n’est
pas une hypothèse, car définir ce qu’est l’unité et affirmer l’existence de l’unité n’est pas la
même chose.’ (72a 23-25, trad. Tricot).
b) Au chapitre II.7 (voir les textes I.3 et I.3’) : ‘Or ce qu’est l’homme est une chose, et le fait
que l’homme existe en est une autre.’ (92b10).
c) Même chapitre (voir les textes I.4 et I.4’) : ‘le géomètre pose la signification du terme
triangle, mais il prouve qu’il a tel attribut.’ (92b15).
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III. Les irrationnels (ou incommensurables) chez Platon et Aristote.
1. Les démonstrations de l’irrationalité des racines carrées d’entiers.
Dans une étude présentée ici (cf. nos exposés des 25 mars et 21 mai derniers) sur les preuves
d’irrationalité que l’on trouve chez ces philosophes, nous avons voulu montrer, qu’en quelque
sorte, ils se ‘partageaient’ le travail.
Très brièvement, dans les (courts) textes des Premiers analytiques où Aristote évoque cette
question, c’est le cas des racines carrées des entiers pairs qui est essentiellement réglé.
Le principal résultat utilisé est un ‘raffinement’ de la théorie du pair et de l’impair, c’est-àdire une mesure de la parité, et non pas la simple séparation entre les pairs et les impairs. Cela
permet de rendre compte de la conclusion aristotélicienne de l’hypothèse par l’absurde
(l’effondrement des impairs dans les pairs), contrairement aux preuves usuelles qui montrent
(seulement) l’existence d’un nombre qui serait à la fois pair et impair.
En fait, ce cas n’est pas entièrement complété. Du moins, ceux auxquels on ne sait pas
répondre, se ramènent-ils entièrement aux impairs (ainsi la racine carrée de 12 = 4×3 qui se
ramène à celle de 3).
Dans le Théétète de Platon, c’est la question des racines carrées des entiers impairs qui est
considéré. Théétète, après avoir présenté une leçon du mathématicien Théodore, à laquelle il a
participé, expose la théorie de l’irrationalité, qu’il en a tirée ensemble avec un autre enfant, du
nom de Socrate, à partir de la quadrature des rectangles.
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Nous voudrions montrer ici, comment Platon, fait un autre partage de travail, cette fois au
travers de deux ouvrages différents (le Ménon et le Théétète).
Comme on va le voir, ce partage recoupe les deux types d’énoncés fondamentaux étudiés par
Aristote dans les Seconds analytiques, et leur radicale séparation. C’est-à-dire, la disjonction
sur laquelle il insiste tant, entre définition et démonstration, plus spécifiquement la
démonstration d’exister (ou d’être ceci), sur laquelle il revient d’une certaine manière à la fin
de l’ouvrage (cf. § II.1).
2. La démonstration d’existence.
a) Il s’agit du passage du Ménon (84d-85b) où un jeune serviteur est censé se remémorer, sans
l’avoir jamais appris, comment doubler la surface d’un carré. Ce qui nous intéresse ici est
l’argumentation de Socrate. Il va se livrer en effet à une leçon de mathématique, et, sous
forme d’une suite de questions, amener un jeune garçon, qui n’a jamais suivi de cours de
mathématiques, à comprendre une démonstration de géométrie. Il s’agit du théorème de
Pythagore, du moins dans le cas particulier d’un triangle (rectangle) isocèle (cf. fig. III.1 et
III.3).
En effet, ce théorème s’énonce de la manière suivante : si un triangle rectangle a des côtés de
longueurs a et b encadrant l’angle droit, et l’hypoténuse de longueur c, on a alors :
a2 + b2 = c2.
En particulier, si le triangle est isocèle i.e. a = b, on a :
2 a2 = c2
i.e. le carré de côtés formés par l’hypoténuse est le double de celui formé par a. C’est
précisément ce que montre Socrate, par considération de carrés.
On a ainsi l’existence d’une grandeur mathématique qui sera ensuite appelée irrationnelle ou
incommensurable, sans que le nom même soit évoqué dans le texte (notée en écriture
moderne √2). Car si son existence est prouvé constructivement, on n’en a pas la définition.
Pourtant cette définition, elle-même, exige une démonstration, montrer précisément que
l’hypoténuse n’est pas rationnelle (énoncé donc négatif et démonstration par l’impossible dont
parle Aristote dans les Premiers analytiques, cf. paragraphe précédent). On est donc dans le
cadre d’une définition de la seconde forme (‘quid rei’ ou causale pour reprendre les termes de
Tricot).
b) Remarques.
Première remarque. Toutefois, loin de conclure comme on pourrait s’y attendre sur un
constat de victoire, Socrate ayant conduit le jeune serviteur, ignorant des mathématiques, à la
compréhension d’un théorème essentiel de la géométrie grecque, il conclut que les ‘opinions
[vraies] ont été, à la manière d’un rêve, suscitées en lui’. (voir le texte III.2).
Seconde remarque. Dans l’intervention de Socrate commentant la ligne ‘diagonale’ tracée,
M. Canto-Sperber traduit ‘sophistaí’ par ‘sages’. Toutefois, ainsi que le souligne Michel
Narcy, il peut aussi bien signifier ‘sophistes’, comme généralement chez Platon. En outre, il
remarque le caractère paradoxal du terme ‘diámetros’ (‘metros’ signifiant mesure), traduit par
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diagonale, alors que, précisément, elle est sans ‘commune mesure’ (‘asýmmetron’) i.e.
incommensurable avec les autres longueurs de la figure.
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3. La construction d’une définition.
Contrairement au Ménon qui se jette brutalement dans le dialogue, Théétète est introduit avec
beaucoup de soin, et une très grande complexité, aussi bien du point de vue des personnages,
que du point de vue chronologique. Et ce, dans le seul texte que Socrate est dit avoir corrigé à
plusieurs reprises.
Dans l’interprétation que nous avons proposée du passage mathématique bien connu (147c148b), Théodore démontre le caractère irrationnel ou pas des racines carrées des entiers
impairs de 3 à 15, mais s’arrête à 17. Théétète, associé à un camarade, cet autre Socrate, se
lance alors dans cette étude et proposent de découper les nombres en deux parties, ceux qui
sont des produits de deux entiers identiques et ceux qui ne le sont pas.
Les premiers peuvent être représentés géométriquement comme des carrés, les autres comme
des rectangles (de côtés entiers). Pour ces derniers, on construit des carrés de mêmes surfaces
que les rectangles (c’est la quadrature, outil essentiel des géomètres grecs). Et les longueurs
des côtés desdits carrés, les deux enfants proposent de les appeler ‘puissances’ (‘’).
La difficulté est la suivante : si Théodore a arrêté sa démonstration à 17, parce que sa
méthode échoue en ce point comme nous le pensons, ou pour toute raison autre qu’une
décision arbitraire, il est incorrect d’affirmer que ces racines carrées sont irrationnelles. Si la
définition est exacte, l’argumentation pour les dénommer n’est pas valide.
Dans le cadre de l’opposition aristotélicienne entre définition et démonstration d’existence (ou
‘d’être ceci’), le Ménon montre bien l’existence d’un irrationnel, sans qu’il y ait d’autre nom
que celui donné par les ‘savants’ ou les ‘sophistes’. En particulier, on ne peut rien en dire,
mais seulement le désigner.
Il s’agit de ce que nous appelons la racine carrée de 2. À partir d’elle, il est probable que
Théodore faisait ‘apparaître’ (‘’) les autres racines, en utilisant précisément le
théorème de Pythagore (cf. fig. III.2). Du point de vue logique développé par Aristote, il
précède donc le Théétète puisqu’il ‘est impossible de connaître ce qu’est une chose si on
ignore qu’elle existe.’ (Seconds analytiques, II, 8, 93a21 ; cf. texte I.5).
La distinction entre existence (ou être ceci) et définition est si bien admise par Platon, qu’il les
considère dans deux ouvrages distincts (le Ménon et le Théétète). On peut remplacer dans
l’exemple d’Aristote des Seconds analytiques (72a 23-25), l’unité par l’irrationnel, et on
obtiendrait alors que ‘définir ce qu’est l’irrationnel et affirmer son existence n’est pas la
même chose.’
Pourtant la définition de Théétète pose un sérieux problème. On peut en voir la critique
aristotélicienne de deux points de vue.
i) Suivant Aristote, ‘le géomètre pose la signification du terme triangle, mais il prouve qu’il a
tel attribut.’ (II, 7, 92b15). Or Théétète a non seulement donné la signification du terme
puissance qu’il emploie (la racine carrée d’un entier non carré d’entiers), mais il a également
ajouté un attribut, celui d’être irrationnel. Or ceci n’a pas été démontré, ni par lui et son
camarade, l’autre Socrate, ni par Théodore.
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ii) Ou bien alors, on se place dans le cadre des diverses formes de définitions du chapitre II.1
(texte I.6), où l’une d’elle est une ‘quasi-démonstration’. Dans ce cas-là, la définition n’est
pas incorrecte, mais, en termes aristotéliciens, il faudrait sans doute dire qu’elle est ‘non
scientifique’ ou ‘sophistique’ ou ‘accidentelle’.
Nous allons terminer par trois remarques.
Première remarque. Si l’on suit notre interprétation de la preuve de Théodore, Théétète est
bien dans une aporie vis-à-vis de la théorie des irrationnels. Pour obtenir une démonstration
générale pour tous les entiers, celle-ci va devoir être abandonnée, et c’est la preuve dont parle
Aristote dans les Premiers analytiques qui s’avère utile. C’est en effet, par une généralisation
de la théorie du pair et de l’impair, que l’on obtient finalement le résultat que Théétète
annonce, et croit que Théodore a démontré : l’irrationalité de toutes les racines carrées des
entiers qui ne sont pas des carrés d’entiers.
Deuxième remarque. Aristote récuse explicitement la méthode proposée par Théétète, à
savoir la quadrature des rectangles. Car précisément, dit-il, elle ne prouve pas l’existence de
tels carrés. Il la dénonce explicitement comme formant un cercle vicieux (voir le texte IV.1).
Pour cette preuve, il faut dit-il, se tourner vers la méthode de la moyenne proportionnelle. Or
précisément, c’est la méthode par quadrature qu’utilise Théétète dans sa définition des
‘puissances’ (en fait des racines carrées irrationnelles d’entiers) et qui le conduit à un énoncé
incorrect.
Troisième remarque. La dernière phrase de Théétète dans cette partie mathématique 148b,
énoncé comme en passant, concerne ce qu’en termes modernes on appellerait l’irrationalité
des racines cubiques. La méthode de démonstration est rigoureusement identique dans les
deux cas (i.e. pour les racines carrées et les racines cubiques), comme nous l’avons vu dans le
cas des entiers pairs (cf. le paragraphe 5.c) de notre exposé du 25 mars dernier). Il est
toutefois une différence : s’il est facile par exemple de représenter géométriquement la
quantité racine carrée de 2 (par la diagonale d’un carré), il n’en est pas de même de sa racine
cubique. C’est le très difficile problème de doublement d’un cube, appelé encore problème de
Délos ou problème délien dont l’origine se trouverait dans la recherche de la duplication de
l’autel d’Apollon à Délos. La situation que présente le récit de Théétète est donc la suivante :
s’il est très facile de définir la racine cubique de 2, y compris géométriquement, comme le
côté d’un cube de volume 2 unités, on ne peut en donner une construction à la manière des
géomètres, c’est-à-dire à la règle et a compas. Si comme le soulignent les historiens des
sciences, la construction géométrique est au fondement de l’existence des entités
mathématiques en Grèce ancienne, on doit se demander si dans ce cas, indiqué par Platon, la
conception aristotélicienne du couple définition/existence est toujours pertinente.
IV. Conclusion.
Ce qui semble ressortir de ce rapide survol des parties mathématiques du Ménon et du
Théétète, est la relation qui existe, entre les problématiques d’Aristote dans les Analytiques et
celle de Platon (à l’exception toutefois de la remarque précédente). Si les conclusions, les
exemples et les buts diffèrent très fortement, la considération des questions fondamentales
paraissent souvent très proches. En ce sens, on peut dire que les Analytiques conservent un
arrière-plan platonicien, et leur lecture, à condition certes d’être convenablement décryptée,
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peut s’avérer utile pour aider à la compréhension de certains textes, si complexes, de Platon. Il
n’empêche, comme le montre la remarque 3 ci-dessus, il semble toujours exister une certaine
distance entre leur problématiques qui ne sauraient être sans dommages confondues. C’est ce
que nous avons voulu montrer dans cette approche des irrationnels.
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Textes d’Aristote et de Platon
I. Seconds Analytiques.
1. ‘Si une thèse prend l’une quelconque des parties de l’énonciation, quand je dis par exemple
qu’une chose est ou qu’une chose n’est pas, c’est une hypothèse ; sinon, c’est une définition.
La définition est une thèse, puisque, en Arithmétique, on pose que l’unité, c’est ce qui est
indivisible selon la quantité ; mais ce n’est pas une hypothèse, car définir ce qu’est l’unité et
affirmer l’existence de l’unité n’est pas la même chose.’ (I, 2, 72a20-24 ; trad. Tricot).
1’ ‘De la thèse, une espèce est celle qui admet n’importe laquelle des sortes de l’énonciation,
je veux dire par exemple que quelque chose est ou que quelque chose n’est pas, et c’est une
hypothèse ; une autre espèce, sans cela est une définition. En effet, la définition est une thèse,
car l’arithméticien pose que l’unité est l’indivisible du point de vue de la quantité ; or ce n’est
pas une hypothèse. En effet, ce qu’est une unité et qu’elle est, ce n’est pas la même chose.’
(ib., trad. Pellegrin).
2. Note de P. Pellegrin (72a20)
3. ‘Mais, en outre, si la définition peut prouver ce qu’est une chose, peut-elle aussi prouver
qu’elle existe ? Et comment prouvera-t-elle à la fois essence et existence par le même
raisonnement, puisque la définition, de même que la démonstration fait connaître une seule et
unique chose ? Or ce qu’est l’homme est une chose, et le fait que l’homme existe en est une
autre.’ (II, 7, 92b7-10 ; trad. Tricot).
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3’. ‘En effet, la définition montre une seule chose, tout comme la démonstration ; or le « ce
que c’est » qu’un homme et le fait qu’il existe un homme sont des choses différentes.’ (trad.
Pellegrin).
4. ‘La démonstration [et non la définition] aura donc pour objet que la chose est. Et c’est bien
là ce que font actuellement les sciences : le géomètre pose la signification du terme triangle,
mais il prouve qu’il a tel attribut. Qu’est-ce alors qu’on prouvera en définissant l’essence ?
Sera-ce le triangle ? Alors, en connaissant par définition ce qu’est une chose, on ne saura pas
si elle existe, ce qui est impossible.’ (II, 7, 92b14-19 ; trad. Tricot).
4’ ‘Il y aura donc démonstration que quelque chose est. Et c’est cela que font effectivement
les sciences. En effet, ce que signifie le triangle, le géomètre l’admet, mais qu’il soit, il le
prouve. Que prouvera donc celui qui définit, n’est-ce pas ce qu’est le triangle ? Donc en
sachant ce qu’est le triangle par une définition, on ne saura pas s’il est ; mais c’est
impossible.’ (trad. Pellegrin).
5. Quand nous avons la connaissance du fait, nous recherchons le pourquoi, et, bien que
parfois le fait et le pourquoi nous soient connus simultanément, il n’est cependant pas possible
de savoir le pourquoi avant le fait ; de même, il est évident que la quiddité d’une chose ne va
pas sans son existence, car il est impossible de connaître ce qu’est une chose si on ignore
qu’elle existe.’ (II, 8, 93a16-21 ; trad. Tricot).
6. ‘Puisque la définition est regardée comme le discours qui explique ce qu’est une chose, il
est clair que l’une de ses espèces sera un discours expliquant ce que signifie le nom,
autrement dit un discours purement nominal différent de celui qui exprime l’essence ; ce sera,
par exemple, ce que signifie le terme triangle, ce qu’est une figure en tant que nommée
triangle. Quand nous savons que le triangle est, nous cherchons pourquoi il est. (…) Voilà
donc une première définition de la définition : c’est celle que nous venons de donner. Une
autre espèce de définition est le discours qui montre pourquoi la chose est. Ainsi, la première
donne une signification, mais ne prouve pas, tandis que la seconde sera évidemment une
quasi-démonstration de l’essence, ne différant de la démonstration que par la positon de ses
termes.’ (II, 1, 93a29-94a2).
II. Premiers Analytiques.
1. ‘On prouve, par exemple, l’incommensurabilité de la diagonale, par cette raison que les
nombres impairs deviendraient égaux aux nombres pairs, si on posait la diagonale
commensurable ; on tire alors la conclusion que les nombres impairs deviennent égaux aux
nombres pairs, et on prouve hypothétiquement l’incommensurabilité de la diagonale par ce
qu’une conclusion fausse [] découle de la proposition contradictoire. Car tel est avonsnous dit, le raisonnement par l’absurde [] : il consiste à prouver l’impossibilité
[] d’une chose au moyen de l’hypothèse accordée au début.’ (I, 23, 41a26-32 ; trad.
de Tricot), assertion qu’il reprend en la résumant un peu plus loin (I, 44, 50a37-38).
III. Ménon.
1. La démonstration géométrique du théorème de Pythagore (pour les triangles isocèles) dans
le Ménon.
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fig. 1
2. Socrate : Chez l’homme qui ne sait pas, il y a donc des opinions vraies au sujet des choses
qu’il ignore, opinions qui portent sur les choses que cet homme en fait ignore.
Ménon : Apparemment.
Socrate : Et maintenant, en tout cas ce sont bien ces opinions-là qui ont été, à la manière d’un
rêve, suscitées en lui ; puis, s’il arrive qu’on l’interroge à plusieurs reprises sur les mêmes
sujets, et de plusieurs façons, tu peux être certain qu’il finira par avoir sur ces sujets-là une
connaissance aussi exacte que personne.’ (85c-d, trad. Canto-Sperber).
3. Socrate : Donc ce carré, combien a-t-il de pieds ?
Le Jeune Garçon : Huit pieds carrés
S. : Sur quelle ligne est-il construit ?
J.G. : Sur celle-ci.
S. à Sur la ligne qu’on trace d’un coin à l’autre d’un carré de quatre pieds ?
J.G. Oui.
S. C’est justement la ligne à laquelle les savants donnent le nom de « diagonale ». En sorte
que, si cette ligne s’appelle bien « diagonale », ce serait à partir de la diagonale que, d’après
ce que tu dis, serviteur de Ménon, on obtiendrait l’espace double. (85b).
4. Toutes les lignes qui font, du nombre équilatéral et plan, un carré, nous les avons définies
« longueurs » et toutes celles qui, du nombre aux dimensions inégales, font aussi un carré,
nous les avons définies puissances [‘dýnameis’], en ce sens qu’en longueur elles ne sont pas
commensurables au premières, mais le sont par les superficies dont elles sont la puissance.’
(Théétète, 148a-b ; trad. M. Narcy).
5.
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Fig. 2
On considère le carré de côté unité, la diagonale est donc de longueur √2, et le triangle
rectangle ayant pour un côté la diagonale du carré, de l’autre une unité. D’après le théorème
de Pythagore, son hypoténuse est de longueur u avec :
u2 = 12 + (√2)2 = 3
d’où
u = √3.
Et on peut de cette manière ‘faire apparaître’ toutes les racines carrées entières.
6. Théorème de Pythagore général
Fig. 3
IV. De Anima (Aristotle)
1. ‘Since what is clear or logically more evident emerges from what in itself is confused but
more observable by us, we must reconsider our results from this point of view. For it is not
enough for a definitive formula to express as most now do the mere fact; it must include and
exhibit the ground also. At present definitions are given in a form analogous to the conclusion
of a syllogism; e.g. What is squaring? The construction of an equilateral rectangle equal to a
given oblong rectangle. Such a definition is in form equivalent to a conclusion. One that tells
us that squaring is the discovery of a line which is a mean proportional between the two
unequal sides of the given rectangle discloses the ground of what is defined.’ (De Anima, II,
2, 413a10-20 ; trad. J. A. Smith).
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