La résistible déferlante chinoise en Afrique
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La résistible déferlante chinoise en Afrique
TOPIC Mai 2011 www.hec.fr/eurasia La résistible déferlante chinoise en Afrique En 2010, les échanges sinoafricains ont atteint le niveau record de 127 milliards de dollars. 127 milliards de dollars. C’est le montant des échanges entre la Chine et l’Afrique en 2010. Un nouveau record qui masque en réalité bien des problèmes. Car si l’empire du Milieu arrive en tête des partenaires commerciaux du continent africain (devant la France et les Etats-Unis) pour la deuxième année consécutive, la relation sino-africaine est aujourd’hui à un tournant. Les entreprises chinoises font désormais l’objet d’accusations qui pourraient nuire de façon considérable à leurs objectifs dans la région – et dans le monde – si ces dernières ne venaient pas à modifier rapidement leur comportement. En presque dix ans, le commerce entre la Chine et l’Afrique a décuplé. Entre 2005 et 2010, près de 14% des investissements chinois (soit 44 milliards de dollars) ont En échange été réalisés en Afrique subsaharienne – un montant qui reste néanmoins à confirmer, d’infrastructures diverses, la Chine car la majeure partie des investissements chinois transitent par Hong Kong avant de trouver leur destination finale. L’intensification des relations sino-africaines entre dans accède aux le cadre de la « Go Global Policy » chinoise, initiée il y a dix ans pour inciter les matières entreprises d’Etat à se développer à l’étranger. En échange d’infrastructures (dont les premières du besoins en Afrique sont estimés à plus de 93 milliards de dollars par la Banque continent. mondiale), l’empire du Milieu satisfait une partie de son appétit en ressources naturelles. 35% du pétrole chinois provient aujourd’hui d’Afrique, sans compter le cuivre, le bois, le manganèse et autres minéraux. Mais l’intérêt de la Chine n’est pas limité aux seules ressources naturelles, loin de là. Pékin encourage toutes sortes d’activités sur le continent, et notamment dans le Mais l’intérêt de BTP. Dans certains pays, des implantations durables chinoises sont désormais une la Chine n’est pas condition sine qua non pour accéder aux matières premières. C’est ainsi qu’en limité aux seules Ethiopie, deux entreprises chinoises sur trois sont issues du secteur secondaire. Les ressources investissements dans le secteur bancaire s’intensifient également. En 2007, ICBC a naturelles. racheté 20% du capital de la Standard Bank, la première banque sud-africaine. Aujourd’hui, les banques nationales chinoises poussent comme des champignons : la China Development Bank a ouvert son premier bureau étranger au Caire fin 2009 – peu de temps après que l’Exim Bank ait pris racine à Johannesburg. Qui plus est, les derniers contrats conclus par la Chine en Afrique reflètent des engagements massifs de capitaux qui vont bien au-delà des simples IDE. En septembre L’agriculture, le BTP, et la banque 2010, la Chine et le Ghana ont signé un accord de prêts et de dons de plus de 15 milliards de dollars, dont 10,4 sont destinés à développer les infrastructures du pays. En sont autant de 2009, la Chine a accordé près de 6 milliards de dollars au Congo pour multiples projets secteurs dans d’infrastructures (dont 32 hôpitaux, 145 centres de santé et 2 universités), contre 10 lesquels le pays investit désormais. millions de tonnes de cuivre, et 400 000 tonnes de cobalt. Elle vient de débuter les travaux pour la remise à niveau de 700 km du système ferroviaire congolais, en 1 Mais avec la diversification des activités chinoises, les relations sinoafricaines se sont dégradées. Les entreprises chinoises font l’objet d’accusations diverses, et les grèves se multiplient. Lorsqu’elles opèrent hors leurs frontières, les entreprises chinoises seraient des plus corrompues sur la planète. Qui plus est, leur travail, souvent bâclé, ne respecte que rarement les normes de construction et de sécurité. partenariat avec la Banque mondiale – une première. En tout, ce sont près de 35 pays africains qui ont bénéficié de financements chinois pour la construction ou la refonte de leurs infrastructures. Mais avec la diversification des activités chinoises, les relations sino-africaines se sont dégradées. Si elle a bénéficié d’une période de grâce, la Chine fait désormais l’objet d’accusations diverses. Son approche – purement économique et financière – ne fait plus l’unanimité. On lui reproche notamment ses rapports avec des dictatures telles que celles du Zimbabwe ou du Soudan. Des voix s’élèvent contre les déséquilibres commerciaux, la corruption entretenue à loisir par les managers chinois, et leur nonrespect des règles de travail et de sécurité. En Zambie, les mineurs se plaignent de ne pas avoir vu leur salaire – inférieur à la moyenne – augmenter en deux ans. Leurs vêtements de protection, dégradés, n’ont jamais été remplacés. Des accidents graves se produisent régulièrement, faute de ventilation adéquate dans les mines. Mais impossible de négocier quoi que ce soit – leurs supérieurs ne parlent pas, ou prétendent de ne pas parler anglais. En octobre 2010, deux managers chinois sont même allés jusqu’à tirer sur un groupe de travailleurs en grève. Car les grèves dures commencent à se multiplier. Loin d’être isolé, le cas zambien est caractéristique des problèmes actuels. Etabli par Transparency International, le classement international des plus grands corrupteurs (pays dont les entreprises versent le plus de dessous-de-table lorsqu’elles opèrent hors de leurs frontières) classe la Chine en tête de liste – si bien que la Banque mondiale a interdit à certaines sociétés chinoises de répondre aux appels d’offres sur le continent. En 2009, l'entreprise d’Etat chinoise Nuctech a été soupçonnée d’avoir mésusé des fonds d’un contrat avec le gouvernement namibien…une affaire particulièrement embarrassante en raison du pedigree de celui qui était son président jusqu'en 2008 : Hu Haifeng, le fils du président chinois Hu Jintao. La Namibie étant une démocratie, certains de ses ministres ont passé un mauvais moment. Très souvent, les entreprises chinoises payent hardiment les syndicats locaux pour taire toute revendication. En Afrique du Sud, les usines chinoises payent leurs employés en dessous du salaire minimum légal. Les syndicats ont demandé à maintes reprises la fermeture des usines, mais les Chinois insistent : le salaire minimum est trop élevé pour qu’une usine soit rentable et d’ailleurs, disent-ils, bien des entreprises sud-africaines ne payent pas mieux leurs salariés. Les Africains savent qu’un travail mal payé vaut mieux que rien, et certains ont même défendu leurs supérieurs en s’opposant à la fermeture des usines. Les Africains réalisent que leurs propres gouvernements ont leur part de responsabilité. L’incompétence et l’insouciance d’une bonne partie des dirigeants alimentent les polémiques. En Angola, par ailleurs premier pays exportateur de pétrole pour l’empire du Milieu, les liens du gouvernement avec les Chinois seraient à ce point corrompus qu’une sérieuse enquête est en cours. Les pratiques chinoises sont certes bannies en Occident ou vis-à-vis du code de conduite de l’OCDE, mais elles conviennent parfaitement aux Robert Mugabe et autres Omar el-Bashir dans la région. On pensait que les Chinois avaient durablement fait main basse sur les contrats de travaux publics en Afrique. Mais le vent tourne, car on commence à se rendre compte que le travail est rarement conforme aux normes de construction, et souvent bâclé. Résultat : des bâtiments entiers montrent des signes d’usure quelques mois seulement après avoir été construits. En juin 2010, l’hôpital principal de Luanda, la capitale angolaise, a dû être entièrement évacué lorsque des fissures sont apparues un peu partout dans les murs. La structure de 80 000 m2 était le premier hôpital public à être construit depuis l’indépendance du pays en 1975. Financé par un prêt du 2 Avec des tarifs en moyenne 30% moins chers, les Chinois défient toute concurrence… …mais en important leur propre main d’œuvre, ils provoquent la colère des Africains. Avec des tarifs en moyenne 30% moins chers, les Chinois défient toute concurrence – aussi bien africaine, qu’étrangère. Plutôt que d’embaucher sur place, l’empire du Milieu importe sa propre main d’œuvre – une pratique qui provoque la colère des Africains. Il n’est pas rare que des grands projets aient des équipes massivement chinoises. Selon l’agence de presse angolaise, le projet de restauration des 505 km du chemin de fer de Moçâmedes, dans le sud de l’Angola, comprendrait 160 Chinois et seulement 60 Angolais. Des charters entiers acheminent jusqu’au dernier ouvrier du fond de la Chine, y compris le cuisinier et le coiffeur du chantier. Seuls les gardiens extérieurs sont africains. Le nombre de Chinois en Afrique fait l'objet d'estimations contradictoires, mais ils seraient aujourd’hui entre 500 000 et 800 000. Plus de Chinois seraient venus en Afrique au cours des dix dernières années que d’Européens au cours des 400 dernières. En Angola seulement, ils seraient plus de 70 000 ! Les produits chinois inondent les marchés, divisant systématiquement les prix par deux… parfois même par trois. Incapables de rivaliser, les commerces africains sont contraints de fermer. Pourtant, les Chinois ont contribué de façon remarquable à la croissance africaine. La déferlante chinoise en Afrique n’est donc pas irrésistible, comme on l’a cru. gouvernement chinois, et construit par le China Overseas Engineering Group, il a coûté 8 millions de dollars – somme certes plus faible que les 80 millions de dollars versés pour un projet portugais de clinique privée en 2006. A travers le continent, les histoires de routes neuves endommagées par la pluie et désormais impraticables n’étonnent plus personne. Pourtant – en Zambie comme ailleurs – les Chinois ont contribué de façon remarquable à la croissance : un milliard de dollars sur 13 milliards de PIB, et la création de 15 000 emplois. Dans ces pays où plus des deux tiers de la population vivent sur moins d’un dollar par jour, c’est loin d’être négligeable. Les Africains sont les premiers à l’admettre : ils n’ont pas d’investisseurs comme les Chinois – avec tout ce que cela comporte – et ils admirent la capacité de ces derniers à tout quitter dans l’espoir d’une vie meilleure. Travailleurs acharnés, les Chinois ont entrepris des projets ambitieux, qui n’auraient autrement pas vu le jour. Le China International Fund, une société privée basée à Hong Kong, a pris en charge – seul – la construction de 215 000 logements sociaux, un espace industriel de 70 usines, un aéroport international, et plus de 4 000 kilomètres de routes et de voies ferrées en Angola. La déferlante chinoise en Afrique n’est donc pas irrésistible, comme on l’a cru. Nos entreprises ne sont pas encore laminées par la concurrence sauvage chinoise. La présence chinoise est certes devenue une réalité inéluctable sur le terrain africain, mais il va en coûter de plus en plus aux Chinois de ne pas avoir « la manière ». Et tout indique – du gouvernement aux entreprises chinoises – qu’ils n’en sont pas encore conscients, une attitude néo-colonialiste en somme qui provoquera tôt ou tard un sérieux retour de flammes. E.L A NOTER SUR VOTRE AGENDA Nos prochaines formations: • Travailler avec les Chinois – les 6 juin & 7 juillet 2011 Pour plus de renseignements, merci de consulter notre site: www.hec.fr/eurasia 3 La Chine en Afrique République Démocratique du Congo (RDC) • En 2009, la Chine accorde près de 6 milliards de dollars à la RDC pour multiples projets d’infrastructures, contre 10 millions de tonnes de cuivre, et du cobalt. Nigeria • En mai 2010, la China State Construction Engineering Corporation signe un contrat de 23 milliards de dollars pour construire trois raffineries et un complexe pétrochimique. Guinée • Rio Tinto et Chinalco signe un accord pour développer conjointement un projet d'exploitation de l'une des plus grandes réserves de fer au monde. • Chinalco va verser 1,35 milliard de dollars pour une participation de 47% dans le projet. Source : Financial Times, 2010 Le commerce de la Chine avec l’Afrique (en milliards de dollars) 80 70 60 50 40 30 20 10 0 1995 2000 Importations 2005 2010 Exportations Source : The Economist, 2011 4