Du silence de l`histoire à une visibilité nouvelle
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Du silence de l`histoire à une visibilité nouvelle
DU SILENCE DE L’HISTOIRE À UNE VISIBILITÉ NOUVELLE Ce titre, qui est parlant en lui-même, me semblait bien convenir pour traiter aujourd’hui de la condition des femmes dans notre société. L’histoire a été écrite par des hommes qui trop souvent ont occulté les « accomplissements » des femmes, laissant croire que nos ancêtres n’ont rien fait d’autre que de mettre des enfants au monde, de faire le ménage et la cuisine. Plusieurs femmes se sont pourtant illustrées dans de nombreux domaines des arts, des lettres et des sciences. Malheureusement, peu d’entre elles nous sont connues. Nous commençons seulement à reconstituer les maillons de l’histoire de l’humanité en redonnant aux femmes un peu de la visibilité qui leur revient. La femme actuelle Cette méconnaissance est si vraie que j’en ai moi-même fait récemment l’expérience de la Autonomie manière la plus inattendue. N’ayant pas pu des femmes faire le raccord entre deux avions, en raison d’une grève des contrôleurs aériens, j’ai dû, de manière inopinée, me chercher une chambre d’hôtel dans Paris. Ce qui n’est pas La femme du passé nécessairement facile. J’ai alors trouvé à me loger dans un tout petit hôtel, l’Hôtel Sophie Germain. Bien innocemment, j’ai alors pensé que ce nom était celui de la propriétaire. J’avoue mes lacunes personnelles, mais j’ai tout de même, moi aussi, l’excuse de ce contexte généralisé d’ignorance des exploits des femmes. J’ai cependant prudemment demandé au responsable de l’accueil, qui était cette dame. J’ai alors découvert que Sophie Germain était une grande mathématicienne du 19e siècle. Elle était extrêmement brillante et sa condition de femme l’a obligée à apprendre seule, par elle-même la théorie des nombres qui avait cours à ce moment. Toujours pour la même raison, pour correspondre avec les savants, ses collègues du temps, elle a dû adopter un nom d’homme et s’appeler M. Leblanc. Pourtant, bien que son œuvre ait eu une influence importante sur les sciences de son siècle, comme tant d’autres, elle est demeurée à peu près oubliée. À elle seule, elle pourrait justifier le titre de ma communication. Je ne suis pas passéiste et je n’ai pas l’habitude de vivre avec l’œil dans le rétroviseur, mais en ce jour consacré aux femmes, il me semble logique et utile de nous rappeler les «accomplissements» du passé. Je ne suis pas non plus une spécialiste des études féministes, d’autres sont plus qualifiées que moi dans ce domaine, mais je ne peux pas demeurer indifférente à ce que je vois ici, dans notre milieu, et ailleurs dans le monde, dans les pays où je travaille. Aussi, je suis heureuse de partager ces quelques réflexions avec vous. Ma carrière a été longue et pour cette raison, je pense que je suis particulièrement bien placée pour souligner les luttes qui ont été soutenues par celles qui nous ont précédées et pour montrer l’évolution qui nous a conduites aux conditions actuelles. Mais comme j’ai aussi eu la très grande chance de travailler dans divers domaines, cette expérience me permet non seulement de faire des comparaisons, mais aussi de mettre en évidence des lacunes qui perdurent et, croyez-moi, elles sont encore nombreuses. D’abord un sujet d’actualité incontournable, je dois être reçue de l’Ordre du Canada. C’est un bien grand honneur, j’en 5 conviens et je trouve très 4,5 4 impressionnant d’être identifiée à 3,5 des gens qui ont fait de si 3 Femmes 2,5 grandes choses, de me trouver en Hommes 2 quelque sorte avec des joueurs 1,5 1 des « clubs majeurs ». Mais ce 0,5 qui saute aux yeux, c’est que 0 Femmes Hommes parmi les 14 personnes honorées 1,146 4,908 en ce moment au Québec, je suis Rapport femmes-hommes à l’Ordre du canada la seule femme. Et par curiosité, j’ai demandé à la secrétaire de l’ordre du Canada, quelle était la proportion des femmes qui ont reçu cette distinction depuis sa fondation en 1967. J’ai ainsi appris que 4,908 personnes en ont bénéficié et que parmi elles, il y a 1,146 femmes, c’est-à-dire, même pas le quart. Et, pour ce qui est des infirmières, on ne possède aucun chiffre. Cela démontre donc éloquemment que dans notre société, pour être reconnu il vaut mieux être un homme et appartenir à d’autres professions. Les médecins, les juges, les politiciens, les scientifiques y sont fortement représentés. Pour débattre de ce sujet, j’ai aussi une autre justification et pas la moindre. Je suis née au cours de l’année où la Cour suprême de notre beau pays a officiellement déclaré que les femmes n’étaient pas des personnes. Cet événement est depuis connu sous le nom de «L’affaire personne». Ainsi au moment de ma naissance, le bébé que j’étais n’était pas destiné à devenir une personne. Étrange n’est-ce pas de voir cela avec des yeux de 2004? Par devoir de mémoire voici quelques explications à ce sujet. Au cours des années 1920, les femmes ont De nos jours les femmes entamé de multiples représentations pour faire canadiennes peuvent dire qu’elles sont des personnes reconnaître certains de leurs droits les plus fondamentaux. Inspiré par le courage des féministes d’Angleterre, un groupe de femmes de la province d’Alberta a développé un dynamisme dont nous leur sommes encore aujourd’hui redevables. Par suite de multiples démarches, elles avaient déjà obtenu le droit de vote, dès 1916, droit, qui ne nous a été accordé au Québec qu’en 1940, donc beaucoup plus tard. Lorsque ces femmes voulurent aller plus loin et réclamer le droit d’occuper des fonctions dans la vie publique, telle que par exemple de siéger au Parlement ou d’être nommées au sénat, elles ont rencontré une opposition farouche de la part des politiciens. Ils alléguèrent que dans la constitution, seules les « personnes habilitées » pouvaient occuper ces postes et que ce terme ne s’appliquait uniquement qu’aux hommes et qu’en conséquence, aux yeux de la constitution, les femmes n’étaient pas des personnes. Mais c’était sans compter avec la détermination de ces pionnières. Après plus de dix ans de luttes subséquentes, cinq, d’entre elles, portèrent cette interprétation jusqu’en cour suprême du Canada. Les magistrats de cette haute cour donnèrent la même réponse que les politiciens, sous les prétextes fallacieux de protection de la dignité des femmes et de celui de la cohésion de la famille. Selon leur interprétation de la constitution, les femmes n’étaient toujours pas des personnes! Mais là encore, nos pionnières ne se sont pas laissées décourager et un peu plus tard, elles portèrent cette interprétation devant le Conseil privé de Londres. Après de longues délibérations, ces juges en vinrent à la conclusion que les femmes étaient bel et bien des personnes et qu’elles étaient habilitées à occuper des postes dans la vie publique. C’était valable non seulement pour le Canada, mais aussi pour tout l’empire britannique. Et depuis je suis fière de pouvoir dire que JE SUIS UNE PERSONNE! Mais bien que, comme femme j’eu reçu cette reconnaissance, pendant les 30 premières années de mon mariage je ne pouvais pas administrer mes biens, autoriser une intervention chirurgicale pour l’un de mes enfants et non plus, permettre une telle intervention sur mon propre corps. Il me fallait, tout comme à vos mères et à vos grandsmères, l’autorisation de mon époux. À ce moment, nous étions bien reconnues comme des personnes, mais comme des personnes mineures aux yeux de la loi, donc incapables d’assumer nos responsabilités. Ce n’est qu’en 1981 que l’égalité des sexes dans le couple marié fut légalement reconnue. Ce n’est pas si loin, puisque bon nombre d’entre vous sont nés alors que vos mères vivaient sous ce régime. Et, pour vous montrer toute la congruence de nos législateurs et leur indéfectible volonté de favoriser l’évolution des femmes, un autre droit que nous avons acquis cette même année 1981, fut celui d’entrer dans les tavernes. Comme vous voyez, on n’arrête pas le progrès! Je suis convaincue que vous êtes très heureuses de savoir qu’on vous reconnaît légalement ce droit! Mais certaines d’entre vous se demandent probablement à quoi bon ressasser tous ces événements du passé, puisqu’aujourd’hui les choses ont bien changé. C’est vrai. De multiples groupes de femmes se sont formés. Ils ont travaillé d’arrache-pied et ont finalement eu une influence positive sur les politiciens de notre pays et de notre province et les choses ont bougé. L’histoire récente est d’ailleurs riche de plusieurs belles réalisations de femmes. Les établissements d’éducation supérieure nous ouvrent maintenant leurs portes, nous pouvons acquérir des biens et les gérer, avoir accès à la contraception, occuper des postes importants, etc. C’est vrai que les choses ont changé, toutefois comprendre le passé et ses dérives, suivre les méandres de l’évolution, permettent de mieux comprendre le présent et surtout de mieux orienter l’avenir. Nous devons beaucoup à nos pionnières, elles ont beaucoup accompli, mais il reste encore beaucoup de boulot pour vous les plus jeunes. L’un des points sensibles dans ce débat se cristallise souvent autour de la distinction entre la femme et la mère. Sans rejeter l’une ou l’autre, mais sans non plus, laisser occulter l’une par l’autre, il faut reconnaître que la femme est facilement glorifiée à travers son rôle de mère, d’incubateur, de protectrice de la génération future. Que l’on pense aux politiques natalistes de certains gouvernements ou encore aux prises de position de certaines églises. C’est vrai que la maternité demeure quelque chose de très beau, de très grand, mais est-ce là le seul rôle valable pour les femmes? La réponse vous appartient! Ce qui nous amène à ce sujet à la fois sacré et tabou du corps de la femme. Dans notre société encore fortement machiste, c’est soit, un sujet de scandale, soit un sujet d’exploitation. Alors que d’une part, chez nous, la publicité fait ses choux gras des formes féminines voluptueuses, car le corps des femmes s’achète et fait vendre, ailleurs dans le monde, on déclenche des polémiques virulentes pour les voiler. Il faut reconnaître qu’il se fait ici et là des pressions pour éradiquer ces formes d’abus et de soumission. Mais, si dans notre société, ici au Québec, nous avons atteint, comme femmes, un niveau de liberté peu égalé ailleurs dans le monde, nous ne pouvons pas rester indifférentes devant certaines injustices. Un autre point sensible est l’éducation. Il nous faut être conscientes que les conditions plutôt favorables de nos milieux nous ont un peu endormies et qu’elles font trop souvent écran aux conditions réelles des autres femmes de notre société. Notre milieu professionnel infirmier n’est pas le plus déshérité, il est même un peu bourgeois. De telle sorte que nous oublions trop souvent celles qui sont moins favorisées que nous, c’est-àdire, celles qui demeurent sans sécurité d’emploi, celles qui travaillent au salaire minimum ou bénéficient de prestations sociales, celles qui ne pourront jamais envisager avoir un fonds de retraite sécuritaire, celles qui sont chef de famille monoparentale et qui vivotent sous le seuil de la pauvreté. Et que dire des femmes qui, tout en étant parmi nous, appartiennent à une culture différente, qu’elle soit autochtone, maghrébine ou autres? Il ne faut pas nous laisser tromper, car certains événements et certains chiffres nous jettent de la poudre aux yeux. En effet, nous pouvons lire dans nos journaux le récit de multiples réalisations des femmes. Par exemple que notre Julie Payette a eu l’immense privilège d’aller dans l’espace ou encore que le nombre des femmes s’est décuplé dans nos collèges et nos universités, que nos facultés de médecine, de communication et de droit sont remplies de filles, que celles-ci s’attaquent même en masse à des bastions scientifiques ou techniques historiquement masculins. Mais n’oublions pas que plusieurs ont d’ailleurs payé de leur vie, leur choix d’aller vers une profession réservée aux hommes, lors de la tuerie de polytechnique, à Montréal, en 1989. Certains chiffres ont aussi un autre effet pervers. Les statistiques déplorables et alarmantes, il faut le reconnaître, montrant les difficultés de réussite scolaire des garçons, deviennent le prétexte, le catalyseur d’un nouveau discours machiste. Ceux qui le tiennent contestent les sommes dépensées pour l’amélioration de la condition féminine ou l’équité salariale, disant que cela se fait au détriment des hommes. Nos mâles deviendraient-ils ombrageux? Il demeure que les apparences nous laissent croire que le niveau d’éducation des femmes est maintenant partout élevé et que toutes les portes nous sont ouvertes. Pourtant l’Organisation mondiale de la Santé nous informe qu’il y a un milliard d’analphabètes dans le monde, dont deux tiers sont des femmes et qu’entre 6 et 11 ans, il y a 130 millions d’enfants qui ne sont aucunement scolarisés, dont encore une fois, le plus grand nombre est constitué de filles. Au Québec, qui, Dieu merci, n’est pourtant pas un pays en voie de développement, la Fondation pour l’alphabétisation publiait en octobre 2002, qu’un enfant sur 4 sera analphabète dans 20 ans. Et de ceux-là combien y a-t-il de filles? On ne peut pas le dire, mais on sait très bien que bon nombre d’entre elles, en raison de leur manque de formation, devront se contenter de situations médiocres liées au nettoyage, au service de restaurant, au travail en usine, mal considérés et mal rémunérés. Il n’y a pas de sot métier c’est vrai et même ceux-là sont précieux et dignes, mais il nous faut reconnaître qu’il y a des métiers de misère qui sont trop souvent hélas, des ghettos féminins. L’accès aux postes clés de la société est aussi un autre problème. Dans l’ordre actuel des choses encore trop souvent les femmes occupent des postes subalternes et les hommes, les postes de commande. Certaines, à force de travail, finissent par émerger, mais elles sont soumises aux exigences de la « surcompétence ». Pour réussir dans les entreprises, les femmes doivent généralement démontrer plus de compétence que leurs collègues masculins. Et si en dépit de tout cela certaines parviennent à monter dans l’échelle administrative, peu d’entre elles arrivent à traverser ce que l’on appelle « le plafond de verre ». C’est la barrière qu’érigent les hommes politiques ou les directeurs des grandes entreprises pour protéger leur emprise, leur monopole, sur le monde des affaires ou le monde politique. Dans notre société, les grands rôles sociaux ont un sexe, le masculin. Mais il y a aussi qu’une femme au travail, quelles que soient ses activités, que ce soit comme infirmière, comme enseignante ou autre, est fréquemment obligée à la double tâche familiale et professionnelle. Je suis certaine que vous en connaissez quelque chose. Pour ma part, je m’en rappelle, après une journée de labeur ou d’étude, les premiers mots que l’on entend en entrant à la maison c’est, « Quand est-ce qu’on mange? ». Comme le disait un humoriste, « Nos hommes n’ont pas encore appris que le féminin d’assis devant la télé, n’est pas debout devant la cuisinière! » Mais aussi, que d’autres difficultés pour réussir à se faire une place, à garder un poste en dépit de conditions parfois « limites »! Je pense entre autres aux problèmes que posent pour la femme au travail la maladie d’un enfant ou sa garde au cours des journées pédagogiques ou de la semaine de relâche que vous venez de traverser. Et, ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres. Décidément, notre société n’est pas encore prête à l’émancipation des femmes. Tout ce qui suggère leur autonomie, leur progression ou leur pouvoir est encore trop souvent sujet de difficultés. Par exemple, nous représentons 51 % de la population, mais quel pourcentage de femmes nous représente en politique? Leur nombre est minime par rapport à celui des hommes et leur rôle est souvent plus effacé et plus facilement controversé. Et là encore, un joli minois et une taille bien roulée, sont des atouts puissants. Mais que reflète ce faible taux de représentation? Probablement, pas un manque d’intérêt et surtout pas un manque de compétence. Est-ce que ce n’est pas principalement en raison de la difficulté de concilier la vie politique et la vie familiale? On peut aussi se demander quelle est l’influence des stéréotypes qui relèguent encore trop souvent la femme dans des professions plus traditionnelles. Mais vous me demanderez peut-être que pouvons-nous faire face à ces difficultés? Joël de Rosnay disait en substance « Devant les grands problèmes, il faut penser globalement et agir localement ». Il nous faut donc de manière globale, demeurer informées de ce qui se passe chez nous, de ce qui arrive aux autres femmes, dans notre société et ailleurs dans le monde. Il faut nous immiscer, à notre niveau, dans ce qui nous concerne, utiliser notre droit de vote, droit pour lequel des personnes meurent ailleurs, dans d’autres pays. Il ne faut pas non plus avoir peur de dénoncer la violence faite aux femmes ou la pauvreté dans laquelle certaines sont confinées. Il faut nous prendre en main, comme femmes, et oser sortir des sentiers battus. En somme, il nous faut développer la « sororité » comme le disait Simone de Beauvoir, c’est-à-dire manifester un sentiment d’amitié fraternelle avec nos sœurs du même sexe et un soutien pour leurs luttes. Ainsi serons-nous solidaires de ces femmes que l’on brûle en Inde pour s’emparer de leur dot, de ces femmes que l’on assassine par lapidation parce qu’elles ont eu des relations hors mariage, de ces petites filles que l’on excise, de ces jeunes que l’on prostitue, de celles que l’on réduit en esclavage domestique dans des familles huppées de certains pays développés, de celles qui vivent ailleurs et même sous nos cieux et qui en raison de leur culture sont mariées de force. La souffrance des femmes est sans frontières. Mais nous pouvons aussi agir de manière plus locale et personnelle. Nous pouvons par exemple développer notre compétence professionnelle et chercher à toujours aller plus loin. Il faut réaliser que les infirmières et les infirmiers ont un grand rôle à jouer dans une société. Nous sommes un groupe important par le nombre, mais aussi par la nature de notre travail. Nous sommes en contact avec les femmes, avec les familles, nous côtoyons leurs besoins et leurs misères et notre aide peut leur être très précieuse. Comme mères et éducatrices nous pouvons également avoir une action à plus long terme, mais quand même très directe. N’oublions toutefois pas que la condition féminine concerne aussi les hommes, car c’est de vos mamans, de vos épouses, de vos sœurs et de vos filles, de vos amies dont il s’agit. Cette action, c’est celle que nous pouvons tous exercer comme parents sur nos garçons et sur nos filles. Nous pouvons apprendre à nos gars à respecter les femmes, à les accepter, à négocier leurs besoins sans sentir leur masculinité et leur autorité menacées. Dans le moment, un phénomène nouveau doit nous préoccuper. C’est la montée du machisme chez les adolescents. On observe que certains deviennent de plus en plus violents avec leurs petites amies. Les jeunes ont un accès facile à la pornographie par le moyen de l’Internet et on peut se demander quel regard et quelle estime ils peuvent développer pour les femmes après les avoir vues ainsi soumises, humiliées et réduites à l’état d’objet sexuel. Un dialogue avec eux s’impose. Nous pouvons par exemple leur apprendre à respecter la sexualité des filles, à comprendre ce que sont le rapport à l’autre, la confiance, l’amour et l’intimité. Cela nous permettrait peut-être de briser le cycle infernal de la violence au sein de certains couples, car la violence faite aux femmes a pris une importance alarmante dans notre société. Nos journaux sont en effet trop souvent remplis de drames familiaux dont les femmes sont les victimes désignées. Nous pouvons aussi éduquer nos filles à se percevoir comme des personnes autonomes, maîtresses de leur corps, à s’affirmer et à ne pas tout accepter des garçons pour être appréciées, même s’il s’agit de leurs collègues, de leurs directeurs ou de leurs amoureux. Nous pouvons leur apprendre qu’elles ne sont pas obligées de subir les quolibets injurieux et encore moins le harcèlement. Il faut leur faire comprendre qu’elles ne sont pas des objets sexuels en libre service. L’éducation est une stratégie à long terme, mais elle demeure certainement un bon moyen d’assainir les relations hommes-femmes. Ainsi, tout n’est pas encore rose sous nos cieux! Et il reste bien des zones d’ombre, bien des batailles à poursuivre. Que l’on pense par exemple au dossier si complexe et lent à aboutir de l’« équité salariale ». On ne peut non plus passer sous silence qu’il renaît dans le moment un conservatisme grandissant et même un intégrisme, surtout aux États-Unis dont l’influence est si grande sur la société québécoise. Un film comme celui de Mike Newell (avec Julia Roberts) intitulé le « Sourire de la Joconde » nous permet de faire un parallèle intéressant entre ce qui se passe de nos jours et ce qui se vivait dans la société des années 50. Malgré toutes les ouvertures actuelles, cela porte à réfléchir, car il n’est jamais exclu que l’histoire se répète. Et, pour celles qui pourraient encore croire en la pérennité des droits acquis, il ne faut pas oublier que les libertés sont facilement contestables. J’en prends pour exemple l’avortement. Décriminalisé par l’article 251 du Code criminel en 1988, qui dès 1991, subissait l’assaut du projet de loi C 43 qui tentait de le « recriminaliser ». Il ne faut donc pas dormir sur nos lauriers. La situation des femmes nous concerne tous, jeunes et moins jeunes. Toutes les fois que nous améliorons la situation des femmes, c’est la famille et par conséquent, la société tout entière qui en bénéficie. Défendre la condition féminine c’est d’ailleurs une question de démocratie. J’aimerais ajouter en terminant que cette prise de position ne signifie pas nécessairement de perdre de vue ce que nous sommes profondément et authentiquement comme femmes et de nous empresser de nous engouffrer dans le modèle de « pouvoir » des hommes. Non, pour moi c’est tout simplement de chercher à prendre notre place, de la faire respecter et d’en réclamer les conditions. La devise de l’Ordre du Canada est d’ailleurs « Desiderantes meliores patriam », c’est-à-dire « Ils aspirent à une patrie meilleure » et je suis convaincue que cela ne peut se réaliser que dans un contexte optimal de généralisation des possibilités d’épanouissement des femmes. Mais on ne peut aborder ce sujet sans voir aussi la nécessité de repenser le rôle des hommes afin que tous dans notre société puissent trouver un équilibre dans le respect et la dignité de chacun. Margot Phaneuf Conférence prononcée le 8 mars 2004, dans le cadre de « la journée de la femme » à l’Hôpital du Haut Richelieu, à Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec.