Pages de jurisprudence sociale n°45
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Supplément Les Pages de Jurisprudence Sociale Sommaire Debat contraDictoire Décembre 2015 - n°45 Le point de vue de Me Magali benoit .................................................................................................................... page 2 Le point de vue de Me olivier barraUt .............................................................................................................. page 4 reLation inDiViDUeLLeS requalification d’un cDD en cDi (non) : un contrat de moins de 3 mois ne peut pourvoir durablement à un emploi en l’espèce de coiffeuse CA Lyon, ch. soc., sect. B, 17 juin 2015, n°14/01664 Philippe GROS.............................................................................................................................................................page 7 Prescription de l’action en requalification du contrat de travail temporaire CA Lyon, ch. soc., 4 septembre 2015, n°14/03749 Olivier LACROIX .........................................................................................................................................................page 8 Supplément au journal Tout Lyon affiches n°5184 du Samedi 19 Décembre 2015 Droit disciplinaire : point de départ du délai de un mois CA Lyon, ch. soc., sect. B, 18 mars 2015, n°14/00104 Véronique MASSOT-PELLET ......................................................................................................................................page 9 Variations sur la rémunération variable du salarié CA Lyon, ch. soc., sect. A, 17 juillet 2015, n°13/09949 Fabien ROUMEAS .......................................................................................................................................................page 10 tentative avortée de remise en cause du calcul déterminant la durée légale de travail... Conseil de Prud’hommes d’Annonay, 11 septembre 2015, n°13/00276 Florian DA SILVA .........................................................................................................................................................page 12 Le caractère nécessairement explicite de la démission CA Lyon, ch. soc., sect. C, 23 octobre 2014, n°14/00563 Dorian JARJAT ............................................................................................................................................................page 13 obligation de reclassement - avis d’inaptitude à tous les postes de l’entreprise CA Lyon, ch. soc., sect. B, 28 juillet 2015, n°14/02215 Yves FROMONT .........................................................................................................................................................page 14 contrat de fin de chantier et licenciement pour motif économique CA Lyon, ch. soc., sect. A, 17 juillet 2015, n°14/05486 Eladia DELGADO .......................................................................................................................................................page 15 reLationS coLLectiVeS transparence des comptes du comité d’entreprise : le droit de regard de l’employeur CA Dijon, 1ère ch. civ., 12 mai 2015, n°13/00926 Georges MEYER ........................................................................................................................................................page 16 examen annuel des comptes du comité central d’entreprise : moment de la désignation de l’expert-comptable du comité TGI de Vienne, référé, 30 avril 2015, n°15/00032 CA de Nimes, ch. civ., 1er, 30 octobre 2014, n°13/05314 Karine THIEBAULT .....................................................................................................................................................page 17 Désignation du cHSct : vote à main levée TI Villeurbanne 19 juin 2015, n°11-15-001004 Julia PETTEX-SABAROT ...........................................................................................................................................page 19 Débat contradictoire La loyauté de la preuve Le point de vue de Magali BENOIT La preuve, bien que libre, doit être « loyale ». Mais au fond, qu’est-ce qu’une preuve « loyale » ? Le respect de la loi est préservé, la salariée n’ayant pas commis d’acte frauduleux pour obtenir son moyen de preuve ! Le débat aurait été tout autre dans le cas contraire. Le juge se doit de faciliter la preuve du salarié pour rétablir un débat « loyal » (I) et dans le même temps imposer des limites à la toute-puissance de l’employeur dans le cadre de l’administration de la preuve (II)… Est-ce bien toujours le cas ? Il appartenait en effet à l’employeur, souhaitant faire écarter des emails du débat aux motifs qu’ils auraient été obtenus de manière illicite, d’en rapporter la preuve ce qu’il n’a, a priori, pas fait. I – La preuve par le salarié facilitée pour rétablir un débat équitable En l’absence de preuve de l’illicéité de l’obtention de ces mails, ils étaient accueillis par le Juge quitte à porter atteinte au secret des correspondances de l’employeur. Si le procès doit être équitable, on s’attend à ce que la preuve du salarié soit facilitée par le Juge (A). Pourtant, certaines décisions sont pour le moins étonnantes, et semblent plutôt entraver la preuve apportée par le salarié (B). - La pièce doit être « indispensable pour rapporter la preuve de l’absence de cause réelle ni sérieuse du licenciement». L’arrêt précisait :« Que l’intimée a eu connaissance de courriers électroniques échangés par les dirigeants de la société et du groupe qui l’employait établissant le caractère discriminatoire de son licenciement et le véritable motif de la rupture de son contrat de travail ; A. L’atteinte à un droit fondamental de l’employeur permise pour faciliter la preuve du salarié On le sait, l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme proclame le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Penchons-nous sur un arrêt qui illustre parfaitement la nécessaire restauration de l’équité au bénéfice de la démonstration de la vérité. Une salariée de confession musulmane et vivant seule avec un enfant était licenciée pour faute grave suite à une altercation avec une autre salariée placée sous son autorité. En demande, la salariée contestait le bien-fondé de la rupture en indiquant qu’elle avait eu connaissance d’échanges de courriers électroniques antérieurs aux faits visés dans le courrier de licenciement démontrant que la rupture avait été décidée depuis plusieurs mois pour des motifs tirés de sa situation de famille et de son appartenance religieuse. Les termes des e-mails étaient sans équivoque : « Exit les vieux célibataires, les veuves ou divorcés avec enfant à charge, les religieux (tout au moins les pratiquants), les instables, les marginaux et consorts » pouvaient-on lire notamment sous la plume du président du groupe… Que leur production dans le cadre de la procédure prud’homale était dès lors indispensable pour lui permettre de rapporter la preuve de l’absence de cause réelle ni sérieuse du grief invoqué dans la lettre de licenciement pour faute grave ; Qu’en application du principe de l’égalité des armes résultant du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme, il ne peut dès lors être fait interdiction à la salariée de rapporter la preuve de faits essentiels au succès de ses prétentions quand bien même la protection des pièces litigieuses porterait atteinte au principe de protection de la vie privée ». Il est particulièrement intéressant que cet arrêt ait été rendu au visa de l’article 6 de la CEDH : il prouve que l’atteinte à la vie privée de l’employeur est légitimée ici par la nécessité de respecter l’égalité des armes. Sans la production de ces mails, la salariée n’aurait pas pu prouver le dessein de l’employeur et donc « le véritable motif de la rupture de son contrat ». Les juge du fond accueillent donc (oserait-on dire trivialement : « heureusement » ?!) ce moyen de preuve, quand bien même la production des pièces litigieuses porterait atteinte au principe de protection de la vie privée. Preuve facilitée ici au bénéfice de la vérité… Mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas ! La salariée saisissait le conseil des prud’hommes en nullité du licenciement. La société, pour sa part, déposait plainte auprès du Procureur de la République au motif que la salariée avait produit des courriers électroniques échangés entre les dirigeants de la société qu’elle n’aurait pas dû détenir et qu’elle aurait intercepté sans en être destinataire. La plainte étant classée sans suite, l’employeur saisissait le tribunal correctionnel en raison de l’atteinte au secret des correspondances et accès frauduleux à un système de traitement automatisé des données. B. L’équité malmenée dans le procès - Le prétexte de la protection de la vie privée des tiers pour débouter le demandeur En première instance, le conseil des prud’hommes refusait de sursoir à statuer en attendant la décision pénale, refusait d’écarter les mails litigieux, et condamnait fort heureusement la société en jugeant le licenciement nul à la lecture de ces mails édifiants. En appel, la chambre sociale B de la cour d’appel de Lyon confirmait le jugement (CA Lyon, 26 mars 2015, n°12/04554). Une salariée sollicitait auprès du juge que soit ordonnée la communication des bulletins de salaire d’autres salariés de la société par l’employeur afin de prouver une différence de rémunération et donc une inégalité de traitement entre elle et ses collègues. La chambre sociale B de la cour d’appel de Lyon jugeait que la salariée devait être déboutée de sa demande : « L’appelante ne peut obtenir la mesure d’instruction qu’elle sollicite en vue de suppléer sa propre carence dans l’administration de la preuve conformément aux dispositions de l’article 146 du code de procédure civile » et qu’elle « détient en tout état de cause des éléments suffisants pour permettre à la Cour de statuer » (…) Pour accueillir la preuve du salarié, et entraver concomitamment le droit au respect de la vie privée de l’employeur, elle posait deux principes : - La pièce ne doit pas avoir été obtenue de manière illicite, c’est-à-dire obtenue « sans acte positif de la part de la salariée » : Qu’elle ne dispose en outre d’aucun motif légitime de porter atteinte au respect de la vie privée de Mesdames (…) et d’une façon générale de tous les autres chargés de clientèle, et sollicitant la communication de leurs bulletins de salaire alors que ceux contiennent des informations de nature confidentielle » (CA Lyon, 26 février 2015, n°13/01508). Ainsi : « Qu’au surcroit, ainsi que l’a retenu la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Lyon, la Société ne rapporte pas la preuve que ces documents auraient été appréhendés de manière illicite par la salariée, cette dernière ayant toujours indiqué qu’elle s’était vu remettre ces documents sans acte positif de sa part, par un ancien salarié de la société qui en avait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions. » Supplément au journal 2 La cour prétextait le respect de la vie privée de tiers au débat, salariés de la Société, et estimait avoir suffisamment d’éléments pour statuer. Mais contre toute attente, elle déboutait la salariée de sa demande de rappel de salaire … ! Il est pour le moins paradoxal de s’estimer « assez informée » pour refuser de demander la production d’une pièce supplémentaire et débouter le salarié en stigmatisant la carence de la preuve de celui-ci… humains qui lui permettent une importante immixtion dans le quotidien de l’activité de ses salariés. Or il n’est pas inutile de rappeler que le Code du travail précise en son article L1121-1 du code du travail : « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». La preuve du salarié n’est alors pour le coup plus du tout facilitée, elle est même entravée, au motif en plus du nécessaire respect d’un droit fondamental ! Quid alors du droit à un procès équitable, la salariée étant placée dans l’impossibilité de rapporter la preuve matérielle de la rémunération de ses collègues ? Qu’en dit le juge ? On peut se féliciter que certains s’érigent en garde-fou des comportements d’employeurs épris de trop de liberté en la matière… A. La fiabilité de la preuve administrée par l’employeur : le minimum requis - Le prétexte de l’imprécision de la preuve rapportée par le salarié Les juges du fond ont l’occasion de rappeler que le contenu même de la preuve doit être fiable. Dans deux arrêts d’espèce, une grande chaine de magasin alimentaire usait d’une caméra de vidéosurveillance. Le juge demande que les preuves fournies par les parties soient précises, une notion « à géométrie variable ». Le contexte : L’employeur licenciait deux salariés pour des faits prétendus de vols, et produisait des extraits de ces vidéos. Pour écarter ce moyen de preuve, les juges du fond relevaient que les enregistrements vidéos communiqués faisaient état d’un écart de 11 minutes en moins par rapport à l’heure réelle « ce qui en soi stigmatise bien l’impossibilité d’accorder un caractère satisfaisant aux moyens de preuve ainsi communiqués ». (CPH Lyon 6 février 2015, n°12/03000 et n°12/02995). - Plus de 10 000 euros d’heures supplémentaires réalisées par le salarié et non réglées par l’employeur. - Une altercation entre le salarié et son supérieur qui entrainait un licenciement contesté en justice. Pour déclarer le licenciement causé, le Juge d’appel accueillait l’attestation rédigée par l’employeur au seul motif que le témoignage était « précis et circonstancié » peut important qu’il soit le supérieur hiérarchique et l’un des protagonistes de l’accident (CA Riom, 5 mai 2015 n°13/01753). Pour les juges, les enregistrements vidéos étant « sujet à caution » ils ne « pouvaient tenir lieu de preuve pour justifier un licenciement pour faute grave ». Le conseil ajoutait que les enregistrements étaient inexploitables car il était parait-il impossible de reconnaitre quelqu’un sur les images. Les juges écartaient la pièce. Le juge estimait que cela ne suffisait pas à « retirer toute valeur probante à son témoignage qui est précis et circonstancié ». Néanmoins, ils ne déclaraient pas immédiatement le licenciement mal fondé mais ordonnaient une audition de témoins puis jugeaient le licenciement sans cause réelle ni sérieuse (CPH Lyon 6 février 2015, n°12/03000 et n°12/02995). Pourtant, l’employeur était ici juge et partie, et se constituait une preuve à lui-même, sans que cela ne pose difficulté à la juridiction. La seule précision du témoignage suffisait à lever tout doute de partialité…Qu’aurait dit le juge si le salarié attestait pour lui-même ? Saluons cette décision qui rappelle qu’il ne suffit pas de prétendre au moyen d’une caméra vidéo que le salarié a fauté, mais que le moyen de preuve et son contenu doivent être fiables, et permettre de démontrer la réalité des faits. A défaut, la pièce n’est pas recevable et ne peut fonder le licenciement. Au sein du même arrêt, la cour d’appel de Riom n’allouait pas au salarié le versement des heures supplémentaires au motif que : « le salarié affirme avoir travaillé 46h30 par semaine en moyenne mais il se prévaut seulement d’attestations de salariés qui n’apportent aucun élément précis (…) Alors que ces attestations ne font état que d’appréciations à caractère général, il n’est fourni aucune indication sur les heures de travail effectivement accomplies au cours de la période d’exécution du contrat de travail en l’absence de toute référence à des journées ou à des semaines précises qui permettraient de vérifier les horaires de l’intéressé » (CA Riom, 5 mai 2015 n°13/01753). B. Les nouvelles technologies ou la nécessité de poser des « gardes fous » à la toute-puissance de l’employeur La preuve de faits obtenus par un logiciel dit « key logger » dont l’utilisation n’est pas justifiée par « un impératif de sécurité » est illicite. Un key logger est un logiciel qui, une fois installé sur l’ordinateur du salarié, permet à l’employeur d’exercer une surveillance constante et permanente à partir du poste informatique en faisant un film continu de ce qui se passe à l’écran, ou grâce à des captures d’écrans régulières. Les règles de preuve prévues par l’article L3171-4 du code du travail sont pourtant les suivantes : « L’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. » Cet espion permet alors de connaitre les sites visités par le salarié, les e-mails envoyés, le temps passé à telle ou telle tâche, etc. dès la mise en tension de l’ordinateur. Une salariée voyait son poste informatique contrôlé soudainement (en sa présence) par l’employeur, puis était mise à pied. Nul doute que le législateur a prévu ce mode de preuve pour restaurer l’équité entre les parties. L’employeur a le devoir d’être en mesure de contrôler le temps de travail de ses subordonnés alors que le salarié quant à lui ne peut que peiner à faire la preuve des heures supplémentaires réalisées autrement que par le simple rapport de ses horaires quotidiens. La cour d’appel en l’espèce en demandant au salarié de fournir préalablement des éléments de nature à étayer sa demande, altérait quelque peu ces grands principes. Elle était licenciée pour faute grave, l’employeur indiquant que : - « les salariés avaient été informés de leur mise sous surveillance de leur poste par des informaticiens externes » - « qu’un contrôle du PC avait été effectué en sa présence, et qu’il en était ressorti qu’elle utilisait de façon « disproportionnée et abusive les moyens informatiques mis à sa disposition pendant son temps de travail » en se connectant notamment sur des sites échangistes… II – La preuve par l’employeur limitée pour rétablir un débat équitable La preuve administrée par l’employeur peut-elle porter atteinte à la vie privée du salarié ? Oui, mais sous conditions ! Certes, l’employeur contrôle et surveille l’activité de son salarié pendant son temps de travail en vertu du lien de subordination. La société niait a priori avoir utilisé un logiciel key logger. Au visa de l’article L1121-1 du code du travail, le juge statuait en indiquant que le licenciement était sans cause réelle ni sérieuse car la preuve des faits était obtenue de manière illicite. Mais il bénéficie aujourd’hui de moyens technologiques et Supplément au journal 3 En effet : - La société ne précisait pas ce qui avait fait naitre les soupçons à l’origine du contrôle du poste en présence de la salariée ; - Des éléments permettaient de présumer l’utilisation d’un key logger puisque la société produisait des pièces portant la mention « generated by Elite Keylogger » ; - La Société ne justifiait d’aucun impératif de sécurité justifiant l’usage de ce logiciel. En conséquence, si le juge soupçonne l’utilisation de ce type de dispositif ou si l’employeur le revendique, la société doit justifier d’un impératif fort de sécurité, pour que la preuve issue de ce dispositif soit recevable (outre la nécessaire information complète des parties). C’est un moyen pour le juge de refuser de légitimer ce type de dispositif attentatoire aux libertés individuelles de chacun. Les données relatives à l’activité des salariés sont des données personnelles qui doivent être déclarées à la CNIL pour être produites à titre de preuve. Les conseillers clientèles recevaient les appels des clients via leur téléphone et une plateforme par laquelle ils se connectaient par un login personnel. En position « libre », le conseiller recevait les appels, en position « pas libre » (not ready), il pouvait réaliser diverses tâches administratives et un mode pause était autorisé 5 minutes par heures. Cette activité, contrôlée par un logiciel, s’affichait en temps réel sur l’écran informatique des superviseurs afin que le taux de prise d’appel soit supérieur à 80%. L’employeur constatait que certains salariés ne prenaient pas d’appels alors même que leur téléphone n’était placé ni en mode « not ready » ni en mode « délogué ». Le salarié était licencié car il fait en sorte de bénéficier de périodes d’inactivité en plus de ses temps de pause. Le conseil des prud’hommes de Lyon, réuni en formation de départage, jugeait le licenciement sans cause réelle ni sérieuse au motif notamment (CPH Lyon, 26 mars 2015 n°11/01955) : - Que le document faisant état des minutes de « busy » du salarié était établi par l’employeur, et que ce dernier n’avait dès lors aucune valeur probante car il n’était pas corroboré par des pièces objectives ; - Que l’employeur produisait une extraction de données statistiques issues du logiciel faisant apparait temps de connexion, appels, mise en attente, ceci constituant des données personnelles sur une période antérieure à la déclaration faite à la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL). Le juge rappelle ici que les données relatives à l’activité des salariés sont des données personnelles qui doivent être déclarées à la CNIL pour être produites à titre de preuve. A défaut, ces preuves sont déclarées illicites et écartées des débats. C. Le principe du contradictoire synonyme de loyauté des débats Le juge tient à rappeler que l’employeur n’est pas exempté du respect du principe du contradictoire. Il s’agit d’un principe essentiel gage de loyauté qui s’applique à l’établissement même de toute preuve. vexatoires, des remarques insidieuses, et diverses moqueries à l’égard de ses collègues. La cour d’appel de Versailles rappelait le principe de liberté de la preuve en matière prud’homale, et que, de fait, les courriers de plainte et dénonciation produits par l’employeur étaient recevables, même bâtis sur le même modèle, dactylographiés et non repris sous forme d’attestation en bonne et due forme. En outre, l’employeur avait fait réaliser une enquête par une société extérieure. Le juge constatait que rien n’empêchait l’employeur de faire réaliser et de produire une telle enquête sur le principe. Mais le salarié n’avait pas été entendu lors de cette enquête considérée dès lors comme à charge et non contradictoire. En effet, le salarié n’avait pas été en mesure de se défendre à armes égales avec l’employeur, et par exemple, donner son point de vue sur les faits reprochés lors de l’enquête, ou questionner les affirmations des différents témoins. Le licenciement pour faute grave était déclaré sans cause réelle ni sérieuse (CA Versailles, 4 juin 2014 n°12/04790). De même, un salarié était licencié pour, notamment, avoir prétendument et de manière récurrente consulté des « sites à caractère sexuel voire pornographique ». L’entreprise produisait environ 500 feuillets d’une centaine de lignes d’écritures au recto et au verso de chacun de ces feuillets rédigées sous la forme suivante : «192.168.16.160 (08/10/2011 10:23:50) GET http :www.vivastreet.fr/http/1/1 Petites annonces ». Certaines lignes, moins nombreuses, étaient ainsi rédigées : «192.168.16.160 (04/10/2011 16 :48 :01) GET http ://photos.pop6.com/ffadult/featured/external/photosCX/ HTPP/1/1Sexe pornographie». Le juge d’appel confirmait la décision de première instance en ce qu’elle déclarait le licenciement sans cause réelle ni sérieuse, considérant notamment que la simple production aux débats de l’édition papier à laquelle l’employeur avait procédé ayant été réalisée dans des conditions non contradictoires, sans s’assurer que la mémoire du serveur proxy avait été préalablement vidée, à partir d’un ordinateur dont aucun élément ne venait établir qu’il s’agissait de l’ordinateur du salarié, ne pouvait prouver les faits reprochés (CA Lyon, ch. soc., sect. A, 17 juin 2015, n°14/04744). De fait, là encore, le juge d’appel veillait à une application stricte du respect du contradictoire dans l’établissement de la preuve. Il exigeait que le salarié ait un droit de regard préalable pour s’exprimer. Il en va de la loyauté des éléments versés, comme de celle, plus générale, des débats, garanti par l’article 16 du code de procédure civile. *** Les juges du fond sont soucieux des intérêts des salariés et bien conscients de la difficulté que représente pour eux la preuve de leurs prétentions. A l’ère des nouvelles technologies, gageons que le principe de loyauté aura encore un bel avenir, les droits fondamentaux ne cessant d’être bousculés. La loyauté, principe suffisamment vaste, est l’instrument permettant au Juge de respecter l’équité dans le procès. Magali benoit Avocat au Barreau de LYON Cabinet Revel Mahussier & associés [email protected] Un salarié était licencié pour s’être prétendument rendu coupable de harcèlement moral : il lui était reproché des propos Le point de vue de Olivier BARRAUT Régulièrement nous nous interrogeons sur la légalité des preuves que nous soumettons au juge lors de chaque procès car souvent telle ou telle preuve est discutée voire écartée. La multiplication et l’évolution des moyens de preuves suffisent pour que l’on s’y intéresse de près. Il est vrai que les conséquences du rejet de certaines preuves peuvent être financièrement très lourdes pour les parties. Le juge sera donc attentif au respect des libertés fondamentales du salarié surtout lorsque les preuves, de nature technologique ou non, révèlent des informations dont Supplément au journal n’a pas à connaître l’employeur, voire le salarié lui-même lorsqu’il s’agit de collègues de travail. Il devra aussi appliquer les règles spécifiques de preuve qui sont prévues par la loi. La difficulté de l’administration de la preuve en matière prud’homale est accentuée par le fait que le juge, qui dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, se laisse souvent convaincre par une approche pragmatique des dossiers l’amenant tantôt à faire montre de sévérité excessive dans ses décisions. 4 Nous avions eu ainsi l’occasion, dans la présente revue (PJS, n°31), d’évoquer un jugement rendu par le Conseil de prud’hommes d’Oyonnax (CPH, Oyonnax, 18 novembre 2010) qui avait rejeté des attestations prouvant l’existence d’une discrimination, au seul motif que celles-ci n’étaient pas accompagnées d’une copie de pièce d’identité des témoins… accueillie dès lors que ceux-ci contenaient des informations de nature confidentielle et alors même que le demandeur détenait d’autres éléments suffisants pour que la Cour statue sur ses demandes… Différentes décisions rendues soit en première instance soit en appel illustrent une nouvelle fois la complexité des règles de preuves en la matière. La problématique était différente du cas précédent car cette fois-ci ce n’est pas l’employeur qui tentait de rechercher des éléments de preuve se rapportant au salarié demandeur, mais le salarié qui avait souhaité obtenir des informations propres à d’autres salariés. i - ne sont recevables que les preuves que les parties se sont procurées licitement ou loyalement. Bien que la preuve soit libre en matière prud’homale, tous les moyens ne sont pas admissibles pour tenter de faire triompher sa cause. Il est constant, par exemple, que les parties n’ont pas le droit de s’appuyer sur des rapports effectués par des enquêteurs privés (détectives privés), ou de charger une société de surveillance d’épier les faits et gestes d’un collaborateur à l’extérieur de l’entreprise (Cass. soc. 26 novembre 2012 n°0042401 ; Cass. soc. 23 novembre 2005 n°03-41401) De même il n’est pas possible de « tendre un piège » à une partie pour recueillir des éléments d’informations qui pourraient être utilisés contre elle ultérieurement fût-ce dans le cadre d’un procès qui serait tout à fait légitime. Ainsi, un huissier de justice est-il tenu de décliner son identité et d’expliquer pour quels motifs il procède à un constat sans pouvoir recourir à un quelconque stratagème pour parvenir à ses fins (Cass. soc., 18 mars 2008 n°06-4082). Il en est de même des recherches des fichiers informatiques ou internet sur l’ordinateur du salarié (« fouilles informatiques ») qui portent atteinte à l’intimité ou la vie privée des salariés. Depuis l’arrêt NIKON (Cass. soc. 2 octobre 2001 n°99-42942) l’employeur ne peut prendre connaissance des fichiers informatiques personnels de son salarié quand bien même ceux-ci auraient été constitués sur l’ordinateur professionnel et pendant le temps de travail. La jurisprudence a certes évolué et même si de telles recherches sont possibles elles restent extrêmement encadrées et surveillées par la Cour de cassation qui se fonde essentiellement sur les dispositions de l’article L.1121-1 du code du travail qui dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir ni proportionnées au but recherché. » Il sera toutefois souligné que la recherche, par l’employeur, des historiques de connexions personnelles à internet (et le contrôle des « favoris » desdites connexions) peut toujours être menée à condition que le salarié soit présent ou dûment appelé, sauf si un risque ou un évènement particulier justifie qu’il ne soit pas procédé ainsi. (Cass. soc., 17 mai 2005 n°0340017) C’est ainsi que la cour d’appel de Lyon a pu rejeter, comme étant un moyen de preuve illicite, un enregistreur de frappe (keylogger) considérant qu’il constituait un « espionnage furtif qui ne peut être justifié par des impératifs forts de sécurité. » cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. a, 16 décembre 2014 Dans cette décision, rendue au visa de l’article L.1121-1 rappelé ci-dessus, la Cour avait relevé que si l’employeur avait le droit de surveiller l’activité de ses salariés pendant leur temps de travail, pour autant il ne pouvait utiliser un dispositif qui, selon la CNIL, permettait à celui qui l’utilisait « d’exercer une surveillance constante et permanente de l’activité professionnelle des salariés concernée et de leur activité personnelle résiduelle… » Pour la Cour, l’employeur, qui, soit dit au passage, n’avait pu justifier de quelconques soupçons sur le travail de son collaborateur, ni ne démontrait avoir agi pour des raisons de sécurité, ne pouvait se comporter comme un officier de police judiciaire… A juste titre la Cour sanctionne donc un employeur ayant manifestement abusé de son droit de contrôle. La même Cour, dans une autre formation, a considéré que la demande de communication des bulletins de salaires appartenant à d’autres salariés de l’entreprise ne pouvait être Supplément au journal cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. b, 26 février 2015 Selon cette décision, le salarié avait d’abord agi en référé pour obtenir, de son employeur, la communication des bulletins de salaires d’autres salariés afin de vérifier qu’il n’était pas l’objet d’une différence de traitement et de rémunération. Le juge des référé l’en avait débouté au motif qu’il existait une contestation sérieuse. A ce titre, on peut s’étonner d’une telle issue car, en principe, la demande de communication de pièces avant tout procès au fond, est fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile et non sur les articles R.1455-5 à R.1455-8 spécifiques au référé prud’homal, ce qui exclut un rejet motivé par une contestation sérieuse… C’est sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile qu’a, par exemple, été admise l’autorisation d’accéder au disque dur de l’ordinateur professionnel d’un salarié. (Cass. soc.30 janvier 2008 n°06-45904) En tout état de cause, il est notable de relever que la demande de communication de bulletins de salaires afférente à d’autres salariés que le demandeur à l’instance, suscite toujours de vives débats devant les juges. Certains partisans estiment que l’employeur ne peut pas s’affranchir d’une telle communication, sauf à démontrer qu’il a quelque chose à cacher, d’autres, au contraire, se fondant notamment sur le caractère confidentiel des informations mentionnées sur les bulletins de salaires, soutiennent que le salarié n’a pas à avoir accès à ces documents. La cour d’appel de Lyon, dans l’arrêt commenté, a clairement opté pour le rejet de ces documents pour deux raisons : D’une part, le demandeur, qui disposait déjà d’autres éléments permettant à la cour de trancher le litige, ne pouvait solliciter de la juridiction saisie une telle requête sans se heurter au deuxième alinéa de l’article 146 du code de procédure civile selon lequel « en aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve. » D’autre part, les bulletins de salaires des autres salariés contenaient des informations de nature confidentielle qui ne pouvaient être transmises sauf à porter atteinte à la vie privée des personnes concernées. Une telle décision doit être approuvée car elle combine parfaitement les principes juridiques applicables en la matière tant en ce qui concerne l’administration de la preuve que le respect des libertés fondamentales. En effet, il est constant qu’en matière de discrimination (ou d’atteinte à un principe d’égalité), il appartient d’abord à la «victime » de «présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination » (article L.1134-1 du code du travail). Ce n’est que dans l’hypothèse où ces éléments seraient produits que l’employeur devra alors les combattre en démontrant qu’il y avait des raisons objectives à l’origine de ladite discrimination. En revanche, si le salarié ne parvient pas à fournir au juge les éléments qui sont nécessaires à l’examen de sa demande, il ne peut pas pour autant demander au juge de pallier sa propre carence et ce surtout que le salarié en question avait déjà fourni des pièces à l’appui de ses prétentions. Dès lors il devenait non pertinent d’ordonner la production de documents surabondants qui au surplus, aurait conduit à transmettre des données confidentielles. En tout état de cause, l’employeur avait pu justifier, par ses propres pièces, que la discrimination invoquée était motivée des par des raisons objectives. 5 Plus délicate est la situation du salarié qui entend produire au soutien de ses demandes des documents dont il n’est ni l’auteur ni le destinataire. Sur cette question sensible il importe de rappeler que la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait, dans un premier temps, admis que le fait pour un salarié de récupérer des documents appartenant à l’entreprise constituait un vol condamnable en tant que tel (Cass. crim. 8 décembre 1998 n° 97-83318) pour ensuite se rallier, depuis un arrêt du 11 mai 2004, à la position de la Chambre sociale qui, au contraire jugeait que ce moyen de preuve était parfaitement licite.(Cass. crim. 14 décembre 2011 n°10-8824) Dorénavant les deux chambres adoptent la même position à savoir que les documents appartenant à l’entreprise peuvent être produits en justice par le salarié à la double condition que ce dernier en ait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions et qu’ils soient strictement nécessaires à la défense de ses intérêts devant le Conseil de prud’hommes. C’est en application de cette jurisprudence unifiée de la Cour de cassation qu’une salariée, a pu produire aux débats des courriers électroniques échangés par les dirigeants de la société et du groupe qui l’employait établissant le caractère discriminatoire de son licenciement et le véritable motif de la rupture. Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. B, 26 mars 2015 Dans ce litige, l’employeur n’avait pas hésité à déposer plainte contre son ancienne salariée (tant le contenu des mails étaient accablant pour l’entreprise !) au motif qu’elle avait intercepté des mails alors qu’elle n’en était pas le destinataire. Un sursis à statuer avait été ordonné dans l’attente de la décision pénale à intervenir mais, tant le premier juge correctionnel que la cour d’appel statuant sur la décision de relaxe de la salariée, ont relevé que rien ne démontrait que les pièces litigieuses avaient été interceptées, détournées, ou obtenues en s’introduisant de manière frauduleuse dans le système informatique. Compte tenu de ces principes, la chambre sociale de la cour d’appel en a déduit que rien ne s’opposait à la production de ces documents ajoutant même, pour clore le débat, « qu’en application du principe de l’égalité des armes résultants du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, il ne peut dès lors être fait interdiction à Madame F. de rapporter la preuve d’éléments de faits essentiels au succès de ses prétentions quand bien même la protection des pièces litigieuses porterait atteinte au principe de protection de la vie privée… » On peut toutefois s’interroger sur une telle motivation car la cour d’appel a par ailleurs retenu, comme l’avait fait au demeurant la chambre des appels correctionnels, que la salariée avait indiqué « qu’elle s’était vue remettre ces documents, sans acte positif de sa part, par un ancien salarié de la société qui en avait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions… » Le lecteur aura noté que la salariée n’avait pas en réalité eu connaissance personnellement des échanges de mails au cours de son contrat puisque c’est un ancien salarié de la société qui avait accepté de les lui remettre pour pouvoir se défendre devant le Juge ! Pourquoi alors avoir jugé que, nonobstant cet aveu, la salariée en avait bien eu connaissance au cours de son activité ? Force est donc de constater que la Cour a fait une interprétation toute personnelle de la condition posée de longue date par la Cour de cassation et selon laquelle le salarié, doit justifier avoir eu connaissance des documents qu’il produit en justice. On peut imaginer qu’une telle interprétation a été dictée par le contenu des mails litigieux dont la Cour s’est plu à en citer de larges extraits. II - Ne sont pris en compte que les preuves suffisamment précises ou corroborées par d’autres éléments objectifs. Le juge dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier le contenu des témoignages, et plus généralement des éléments de preuve qui lui sont fournis. Ainsi peut-il écarter des preuves qu’il estime peu précises ou des attestations rédigées en termes vagues et généraux qui n’apportent donc aucun éclairage sur les faits de la cause. Si tel est le cas, le juge a l’obligation de motiver sa décision de rejet (Cass. soc. 9 octobre 1996 n°93-45604) Il dispose également de la faculté de convoquer les témoins afin de les entendre s’il juge que les attestations restent floues, ambiguës ou contradictoires sur certains points et ce, en application de l’article 203 du code de procédure civile, qui dispose que « le juge peut toujours procéder par voie d’enquête à l’audition de l’auteur d’une attestation. ». Il sera rappelé également, ce qui est souvent mal interprété par nombre de Conseils de prud’hommes, que ce n’est qu’après avoir ordonné une mesure d’instruction (qui peut prendre la forme d’une audition de témoin) que le juge pourra admettre que le doute sur la réalité des faits litigieux, s’il persiste, bénéficiera alors au salarié. A ce sujet il faut se reporter à une décision du Conseil Constitutionnel (Cons. const. 25 juillet 1989, n°89-257, DC JO 28 juillet) qui a énoncé très clairement que le principe selon lequel le doute profite au salarié ne peut être appliqué que si le juge a mené une instruction contradictoire ne lui permettant pas d’acquérir la certitude de l’existence du caractère réel et sérieux de la rupture. Pourtant force est de constater qu’en pratique les juges sont peu enclins à mener de telles enquêtes estimant, sans doute, qu’il appartient aux seules parties de communiquer des éléments de preuves irréprochables tant sur le fond que sur la forme. Faisant application de ces principes, une décision mérite d’être signalée. Le conseil de prud’hommes de Lyon, a pu ainsi juger que les bandes de vidéosurveillance étaient inexploitables et non corroborées par d’autres preuves y compris par les auditions de témoins que les conseillers avaient recueillies pour tenter d’y voir plus clair… cPH Lyon, activités Diverses, 6 février 2015 Dans cette affaire, le doute sur la réalité des faits fautifs allégués avait été invoqué notamment en regard des moyens de preuve versés aux débats. Analysant avec précision les pièces qui lui étaient soumises, le Conseil en a déduit que les enregistrements vidéo étaient sujets à caution et ne pouvaient tenir de preuve pour justifier un licenciement pour faute grave. Il était au surplus relevé que l’on ne reconnaissait personne sur les images… Compte tenu de cette « insuffisance de preuve », le Conseil a donc organisé une audition de témoins, laquelle n’a rien donné, puisque dans son jugement il a écarté des débats les enregistrements de vidéo surveillance et les témoignages reposant sur ces enregistrements. Le même raisonnement, concernant le caractère insuffisant des preuves produites, a été suivi par une autre section du Conseil de prud’hommes de LYON présidée, cette fois-ci par un juge départiteur. cPH Lyon commerce, départition, 26 mars 2015 Dans ce litige, il était reproché à un salarié chargé des répondre par téléphone aux commandes de clients de cumuler un temps de connexions (« busy ») anormalement élevé de sorte qu’il était manifeste, pour son employeur, que l’opérateur en question actionnait volontairement la fonction « busy » alors qu’il ne prenait pas les appels. Pour en justifier, la société avait produit des extraits d’un logiciel dédié au contrôle de l’activité de ses salariés. Pour écarter les extractions de données statistiques issues de ce logiciel, le juge départiteur a d’emblée indiqué que le document établi pour la période allant du 2 décembre 2009 au 12 mars 2010 ne revêtait aucune valeur probante faute d’être corroboré par des pièces objectives. Pour la période allant du 3 mars 2010 au 13 avril 2010, le juge départiteur a retenu que l’employeur, ne démontrait pas, par des éléments objectifs, que le logiciel ayant permis le contrôle de l’activité avait été installé avant la mise en place du comité d’entreprise ce qui le dispensait de solliciter son avis. Etait également relevé que la mise en place du logiciel n’avait pas fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL… Sans surprise, ces documents ont été rejetés comme étant illicites. 6 Supplément au journal ti Montélimar, 11 juin 2015 Dans ce genre de litige il appartient au syndicat de rapporter la preuve qu’une section syndicale d’au moins deux adhérents, existe pour pouvoir justifier la désignation d’un délégué syndical. Il semblerait, au vu de ce jugement, que le juge départiteur ne s’est pas contenté pas de prendre connaissance de ces statistiques mais a souhaité que ceux-ci soient confortés par d’autres éléments, qui faisaient défaut en l’espèce. Parfois, ce sont les pièces en elles-mêmes qui sont considérées comme étant non pertinentes. Or, une telle preuve est délicate car cela oblige le syndicat à divulguer les noms des personnes qui l’a composent, ce qui fait craindre d’éventuelles représailles par l’employeur. Ainsi en est-il d’un arrêt rendu par la cour d’appel de Riom qui a rejeté des attestations pourtant susceptibles d’étayer une demande de rappel d’heures supplémentaires, parce qu’elles ne faisaient état que « d’appréciations à caractère général ». Pour pallier cette difficulté, et respecter l’anonymat des salariés adhérents à la section, il est admis que le syndicat communique seulement au juge, saisi du litige, les noms des personnes en question sans que l’employeur ne puisse en prendre connaissance.(Cass. soc.14 novembre 2012 n°1120391) Cette entorse au sacro-saint principe du contradictoire permettrait alors de combiner la liberté syndicale avec les règles de preuve. Il n’en demeure pas moins que sur le terrain de l’administration de la preuve, l’employeur ne dispose d’aucune garantie car il ne peut effectuer aucun contrôle sur les éléments transmis au juge de manière non contradictoire. ca riom, ch. soc., 5 mai 2015 Il est vrai que dans ce domaine, la Cour de cassation exige, depuis un arrêt du 25 février 2004, que le salarié soit en mesure d’étayer sa demande de rappel de salaire, même si au fil du temps sa jurisprudence est devenue plutôt favorable au salarié qui peut se contenter de verser aux débats un simple état de ses heures manuscrit ou dactylographié qu’il a lui-même confectionné. (Cass. soc.15 décembre 2010 n°08-45242). Le juge dispose donc de toute latitude pour estimer qu’une attestation est ou non de nature à étayer la demande. En revanche, la cour d’appel retient, comme étant probant, un témoignage «qui est précis et circonstancié » nonobstant le fait que celui-ci émane du supérieur hiérarchique du salarié avec lequel il a eu, au surplus, une altercation. Il en est résolu à faire une confiance « aveugle » dans le magistrat chargé de trancher le litige. En conclusion, il faut attirer l’attention du lecteur sur la particularité des règles de preuves en matière prud’homale. Il importe toutefois de relever que les faits étaient corroborés par d’autres attestations. La liberté de la preuve suppose l’appréciation souveraine du juge qui décidera si les éléments fournis lui permettent ou non de faire droit à une demande et dans ce domaine, force est de constater que le juge use et abuse parfois de ses pouvoirs d’appréciation. Il ressort à l’évidence de ces diverses décisions que le juge est en recherche permanente de précisions dans la rédaction des attestations et s’attache à vérifier si celles-ci sont ou non confortées par d’autres éléments. Il est donc indispensable, pour les justiciables de s’assurer tant de la légalité que du contenu des preuves qu’ils soumettent au juge. olivier barraUt avocat au Barreau de Lyon selas Jacques Barthelemy et associés [email protected] Enfin, dans un registre particulier, il faut signaler une affaire rendue par le tribunal d’instance de Montélimar, lequel, saisi d’une demande d’annulation d’une désignation d’un délégué syndical, a rejeté la requête au motif qu’était rapportée la preuve de l’existence d’une section syndicale au sein d’une association. relations individuelles Requalification d’un CCD en CDI (non) : un contrat de moins de 3 mois ne peut pourvoir durablement à un emploi en l’espèce de coiffeuse Cour d’appel de Lyon, ch. soc. sect. B, 17 juin 2015, n°14/01664 EXPOSE DES FAITS Sur appel du défendeur, la cour réforme le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon. Une salariée est embauchée comme coiffeuse qualifiée sous contrat à durée indéterminée à compter du 20 décembre 2012, le contrat stipulant une période d’essai de deux mois renouvelable pour une durée d’un mois. OBSERVATIONS En cours de la période d’essai, l’employeur met fin au contrat de travail à effet au 28 février 2013. La Cour renvoie à l’article L1242-1 lequel dispose : «Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ». Cette même salariée est ensuite embauchée sous contrat de travail à durée déterminée, toujours comme coiffeuse qualifiée, pour la période du 4 mars 2013 au 2 juin 2013, au motif d’un accroissement temporaire d’activité. Au terme de son contrat, la salariée agit devant le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins d’obtenir une requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée considérant qu’elle occupait alors le même emploi que celui occupé précédemment sous contrat à durée indéterminée et que son emploi était lié à l’activité normale de l’entreprise. La Cour rappelle que ce qui est sanctionné, c’est de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente. La Cour rappelle utilement et clairement que l’article L1242-1 du code du travail doit être compris dans l’intégralité de sa rédaction : un salarié peut très bien être embauché sous contrat de travail à durée déterminée, y compris pour un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, dès lors qu’il concerne une courte durée et bien sûr que le motif de recours à un tel contrat est valable. Le conseil de prud’hommes de Lyon valide les demandes de la salariée et condamne l’employeur à lui verser les différentes indemnités résultant d’une telle requalification: l’indemnité de requalification égale à un mois de salaire, trois mois à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat et un mois pour irrégularité de la procédure, outre différentes indemnités de congés payés et d’article 700 du CPC. Cette notion de durabilité est trop souvent oubliée par les demandeurs à la requalification. Reste à déterminer ce qu’est une durabilité autorisée 7 Supplément au journal Philippe GroS Avocat au barreau de Lyon Cabinet C.E.FI.D.E.S [email protected] En l’espèce, la Cour d’Appel a considéré qu’un contrat qui débute le 4 mars 2013 et prend fin le 2 juin 2013 s’inscrit bien dans cette notion de courte durée. Un salon de coiffure employant principalement des coiffeuses, il n’est pas insensé d’embaucher sous CDD pour un tel poste, bien que l’emploi soit lié à l’activité permanente de l’entreprise, le tout devant toutefois s’inscrire dans une durabilité raisonnable. PRINCIPAUX ATTENDUS Deux éléments supplémentaires de contestation auraient pu être mis en œuvre par le salarié aux fins de tenter d’obtenir la requalification : celui de la contestation du motif du recours, et au cas d’espèce, de l’existence d’un accroissement temporaire d’activité, ainsi que celui du laps de temps très court entre la fin du contrat à durée indéterminée et le début du contrat à durée déterminée. « Qu’en l’espèce, à supposer même que l’emploi de coiffeuse qualifiée occupé par Sandrine D R à compter du 4 mars 2013 était un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’EURL J C, il a pris fin le 2 juin 2013, soit moins de trois mois plus tard, en sorte que le contrat à durée déterminée conclu n’a pu pourvoir durablement à un tel emploi ». A la lecture de l’arrêt ces éléments n’ont pas dû être évoqués devant la Cour, cette dernière soulignant d’ailleurs dans ses attendus que la salariée « ne conteste pas l’existence de cet accroissement [temporaire de l’activité de l’entreprise] dans ses écritures oralement reprises ». Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. B, 17 juin 2015, n°14/01664 Prescription de l’action en requalification du contrat de travail temporaire Cour d’appel de Lyon, ch. soc., 4 septembre 2015, n°14/03749 EXPOSE DES FAITS Après une période de travail à durée déterminée en 2007 au sein d’une entreprise, un magasinier a été mis à disposition de cette dernière, cette fois-ci par missions successives de travail temporaire, à la fin de l’année 2007 puis, en dernier lieu, de mijanvier à mi-octobre 2008. A succédé à cette période de travail temporaire une embauche par contrat de travail à durée indéterminée à compter du mois de novembre 2008. Licencié pour cause réelle et sérieuse au mois de décembre 2011, ce magasinier a saisi, au mois de mars 2013, le conseil de prud'hommes de Lyon afin, d’une part, de contester son licenciement mais, également et d’autre part, pour voir requalifier ses contrats précaires exécutés de 2007 à octobre 2008 en contrat de travail à durée indéterminée les estimant non conformes aux dispositions légales. Selon jugement en date du 15 avril 2014 la juridiction saisie a, notamment sur le point susvisé, requalifié l’intégralité des contrats précaires en contrat de travail à durée indéterminée. Appel de ce Jugement ayant été interjeté, la cour d’appel de Lyon, selon arrêt du 04 septembre 2015, a infirmé la décision des premiers juges retenant : - D’une part que le délai de prescription quinquennale de l’action prévu par l’article 2224 du code civil ne courait qu’à compter du terme du dernier contrat de mission irrégulier (quelle que puisse être la date du début de ce contrat) ; - D’autre part qu’en cas de succession de contrats, il ne pouvait être sollicité la requalification de contrats antérieurs à la fin du délai de prescription pour le cas où le dernier, dont le terme était inférieur au délai de prescription, était quant à lui régulier ; Ces règles avaient été dessinées par la Cour de cassation à l’occasion de son arrêt du 13 juin 2012 à propos d’une espèce où un travailleur temporaire avait sollicité la requalification de ses contrats de missions successifs (99) en contrat de travail à durée indéterminée et ce à compter du premier (datant du mois de décembre 2001). Sa réclamation prud’homale datant du mois de septembre 2008 et son dernier contrat de mission de 2005, il lui avait été opposée la prescription de son action à tout le moins pour tout contrat antérieur à plus de cinq années précédant cette date de saisine soit le 15 septembre 2003. La Cour de cassation avait alors posé le principe selon lequel : - Le délai de prescription ne court qu’à compter du terme du dernier contrat de mission ; - Le dernier contrat de mission s’étant achevé moins de cinq années avant l’action en justice, le demandeur était recevable à faire valoir les droits correspondants à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission en l’occurrence au 14 décembre 2001. (Cass. soc., 13 juin 2012 n°10-26387). C’est ce principe que semble vouloir « affiner » voir remettre en cause la cour d’appel de Lyon dans l’arrêt commenté. Celle-ci reprend bien les dispositions de l’article L1251-40 du code du travail selon lequel, lorsque l’entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des règles légales lui permettant de le faire (par exemple : non-conformité du motif de recours), la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée prend effet au premier jour de la mission. - Enfin et qu’en l’espèce le contrat de mission couvrant la période du mois de janvier au mois d’octobre 2008 était régulier et, dès lors, insusceptible d’encourir une requalification. Elle précise ensuite « qu’il résulte » de ce texte que le délai de prescription de l’action en requalification ne court qu’à compter du terme du dernier contrat de mission irrégulier ; qu’en cas de succession de contrats, si le dernier est régulier, ceux antérieurs ayant pris fin au-delà du délai de prescription ne peuvent être sujet à requalification. OBSERVATIONS Le principe dégagé semble logique puisque distinguant deux cas : Cette décision donne un éclairage nouveau sur les règles de prescription de l’action en matière de requalification de contrats précaires en contrat de travail à durée indéterminée. - Soit le dernier contrat, non sujet à prescription, est irrégulier. Dans ce cas la requalification prend effet au premier jour de la première mission (solution dégagée par la Cour de cassation par son arrêt du 13 juin 2012) ; Supplément au journal 8 PRINCIPAUX ATTENDUS - Soit le dernier contrat est régulier. Dans ce cas ceux antérieurs, même irréguliers, s’ils se heurtent à la prescription, ne peuvent plus être sujets à requalification. « Attendu selon l’article 2224 du code civil (…) les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » ; On peut également déduire de ces solutions qu’est requalifiable tout contrat irrégulier (dernier ou non) non couvert par la prescription, cette requalification prenant effet au premier jour de la mission. « Attendu qu’aux termes de l’article L1251-40 du code du travail, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L1251-5 à L1251-7, L1251-10 à L1251-12, L1251-30 et L1251-35 du même code, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission ; Cependant la cour d’appel de Lyon semble vouloir aller plus loin puisque, après avoir rappelé et fixé le principe susvisé, elle en tire la conséquence : « (…) qu’en l’espèce seul est susceptible de requalification le contrat de travail temporaire qui couvre la période du 14 janvier au 15 octobre 2008 ». Ce ne sera effectivement que suite à son analyse que ce contrat sera estimé comme étant régulier et insusceptible de requalification. Qu’il en résulte que le délai de prescription prévu par l’article 2224 du code civil ne court qu’à compter du terme du dernier contrat de mission irrégulier, quand bien même cette mission aurait débuté plus de cinq ans avant la saisine de la Juridiction ; qu’en revanche, en cas de succession de contrats dont le dernier est régulier et s’est terminé moins de cinq ans avant la saisine, le salarié ne peut être admis à solliciter la requalification de contrats antérieurs ayant pris fin au délai de prescription ; De même et dans son dispositif l’arrêt déclare éteinte par la prescription l’action en requalification des contrats de travail temporaires de l’année 2007 et déboute la demande de requalification du contrat de l’année 2008 le jugeant régulier. De là, il n’est manifestement pas inenvisageable d’en déduire que la cour d’appel de Lyon, finalement, entend affirmer le principe selon lequel seul est requalifiable un contrat irrégulier non couvert par la prescription, la requalification ne prenant effet qu’au premier jour de la mission de ce seul contrat. Qu’en l’espèce, seul est susceptible de requalification le contrat de travail temporaire qui couvre la période du 14 janvier au 15 octobre 2008 (…) ; Une telle solution constituerait alors un revirement profond des principes directeurs dégagés par la Cour de Cassation et, encore et au-delà, une interprétation hardie des dispositions de l’article L1251-40 du code du travail. Déclare éteinte par la prescription l’action en requalification du contrat de travail à durée déterminée du 12 mars 2007 et des contrats de travail temporaire des 22 novembre et 10 décembre 2007. olivier LacroiX Avocat au barreau de Lyon Cabinet C.E.F.I.D.E.S. [email protected] Déboute X de sa demande de requalification du contrat de travail temporaire du 14 janvier 2008 (…) ». Cour d’appel de Lyon, ch. soc., 4 septembre 2015, n°14/03749 Droit disciplinaire : point de départ du délai de un mois Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. B, 18 mars 2015, n°14/00104 EXPOSE DES FAITS Le 10 août 2012, la société « QF » a adressé à Monsieur B. une convocation à un entretien préalable, fixé au 24 août 2012, en vue d’une sanction disciplinaire. Suite à cet entretien, la société « QF » a décidé d’envisager le licenciement du salarié pour motif disciplinaire. La société « QF » prétendait, quant à elle, qu’il lui était possible d’abandonner une première procédure et d’engager une nouvelle procédure en vue d’un licenciement. La cour d’appel a jugé que l’employeur qui, suite à l’entretien du 24 août 2012, avait projeté de licencier le salarié devait le convoquer à un nouvel entretien, s’agissant d’une formalité substantielle. L’entretien du 24 août 2012 ne pouvait constituer le point de départ du délai d’un mois puisque le licenciement n’était pas envisagé. Le 6 septembre 2012, la société « QF » a envoyé une nouvelle convocation à un entretien préalable à Monsieur B. libellée de la façon suivante : « … Suite à notre entretien du 24 août 2012 et après réexamen de l’ensemble de votre dossier, nous avons le regret de vous informer que nous sommes amenés à envisager à votre égard votre licenciement pour cause réelle et sérieuse... ». Seul l’entretien en vue d’un licenciement fixé au 17 septembre 2012 avait fait courir le délai de un mois puisque le licenciement était envisagé dans la convocation à cet entretien. L’entretien préalable était fixé au 17 septembre 2012 puis a été reporté au 26 septembre 2012. Le licenciement datant du 29 septembre 2012, le délai d’un mois a été respecté. Le 29 septembre 2012, la société « QF » a notifié à Monsieur B. son licenciement disciplinaire pour cause réelle et sérieuse en se référant à l’entretien préalable du 26 septembre 2012. OBSERVATIONS A priori, aucun fait fautif nouveau ne s’était produit ou n’avait été porté à la connaissance de l’employeur entre le 10 août 2012 et le 26 septembre 2012. Monsieur B. a saisi le conseil de prud’hommes et a soutenu que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse puisque prononcé plus d’un mois après le premier entretien préalable (24 août 2012). Le fait d’invoquer dans la convocation à l’entretien préalable la possibilité d’une sanction sans préciser qu’un licenciement est envisagé, rend la procédure de licenciement irrégulière (Cass. soc. 31 janvier 2007 n° 05-40.540). Aux termes de l’article L.1332-2 du code du travail, la sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien préalable. 9 Supplément au journal Le respect du délai d’un mois est une règle de fond et son non respect prive le licenciement de cause réelle et sérieuse. Ce délai n’est ni suspendu ni interrompu pendant la période de suspension du contrat de travail provoqué par un accident du travail, une maladie professionnelle ou une maladie non professionnelle du salarié. préalable le 24 août 2012 en vue d’une sanction et à un second entretien le 17 septembre 2012 en vue d’un licenciement. On aurait pu envisager de soutenir que le point de départ du délai de un mois débutait le 24 août 2012 puisqu’il concernait les mêmes faits, l’employeur souhaitant uniquement, après réflexion, modifier la nature de la sanction envisagée et prononcer un licenciement disciplinaire. Lorsque l’entretien préalable a été repoussé en raison de l’impossibilité pour le salarié en arrêt maladie de s’y présenter, c’est la date du deuxième entretien qui doit être retenue comme point de départ du délai d’un mois (Cass. soc., 7 juin 2006 n°04-43.819 ; Cass. soc., 23 janvier 2013 n° 11-22.724). Véronique MaSSot-PeLLet Avocat au barreau de Lyon Cabinet Colbert [email protected] En ce qui concerne les convocations à des entretiens successifs, il a été jugé que lorsqu’en raison de la révélation de faits fautifs nouveaux postérieurement à un entretien préalable, l’employeur adresse au salarié dans le délai d’un mois à compter du premier entretien, une convocation à un nouvel entretien préalable, c’est à compter de la date de ce dernier que court le délai d’un mois qui lui est imparti pour notifier la sanction (Cass. soc., 20 octobre 2009 n° 08-42.499 [n° 2021 F.D]). PRINCIPAUX ATTENDUS « … La première convocation pour un entretien préalable fixé au 24 août 2012 ne précisait pas que le licenciement était envisagé, or, il s’agit d’une formalité substantielle, dans ces conditions l’employeur qui, suite à l’entretien du 24 août 2012, a projeté de licencier le salarié devait le convoquer à un nouvel entretien, cet entretien était fixé au 17 septembre 2012, l’employeur a reporté l’entretien au 26 septembre 2012, et a prononcé le licenciement le 29 septembre 2012. Le 12 mars 2014, la Cour de cassation a cependant précisé que : « … Lorsque l’employeur abandonne une première procédure de licenciement pour sanctionner des faits qui ont été portés à sa connaissance postérieurement à l’entretien préalable, la convocation au nouvel entretien préalable n’a pas à intervenir dans un délai spécifique par rapport à la procédure abandonnée, que la Cour d’appel a constaté que le licenciement résultait d’une procédure de licenciement engagée pour des faits distincts de celle initialement entreprise et que le licenciement a été notifié dans le délai d’un mois à compter du dernier entretien préalable se rapportant aux faits sanctionnés… » (Cass. soc., 12 mars 2014 n° 12-28.610), laissant entendre que le second entretien ne doit pas forcément avoir lieu dans le mois suivant le premier entretien (sous réserve du délai de prescription de deux mois). L’entretien du 24 août 2012 ne constitue pas le point de départ du délai d’un mois puisque le licenciement n’était pas envisagé, par contre, l’entretien du 17 septembre 2012 a fait courir le délai d’un mois puisque le licenciement a été envisagé, le licenciement datant du 26 septembre 2012, le délai a été respecté… » Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. B, 1 8 mars 2015, n° 14/00104 Dans l’espèce en cause, il semble que ce sont les mêmes faits fautifs qui ont motivé la convocation à un premier entretien Variations sur la rémunération variable du salarié Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. A, 17 juillet 2015, n°13/09949 EXPOSE DES FAITS S’il est bien une donnée constante dans la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, c’est que la rémunération variable constitue un élément essentiel du contrat et participe à l’édifice de ce que le Doyen WAQUET qualifiait de « socle contractuel ». Si ce socle se fissure soit parce que l’employeur n’a jamais défini les conditions d’attribution de la dite rémunération variable, soit parce qu’il cesse de le faire au cours de l’exécution du contrat, il appartient à la juridiction de réparer le dommage soit sous forme d’indemnité « compensatrice » (paiement de la rémunération variable sous forme de rappel de salaire), soit sous forme d’indemnité « réparatrice » (paiement de dommages et intérêts pour perte de chance et / ou exécution déloyale du contrat). Dans l’arrêt objet du présent commentaire, Monsieur W avait été embauché par la société A aux termes d’un contrat de travail qui prévoyait, au bénéfice de ce dernier, une rémunération brute fixe annuelle complétée d’une part variable dont les modalités d’attribution devaient être définies chaque année. L’employeur avait, pour les premières années d’exécution du contrat, effectivement défini les conditions d’attribution de sa rémunération variable et avait par la suite cessé de le faire, en invoquant notamment, pour contester la demande présentée par le salarié devant la juridiction prud’homale tendant à obtenir un rappel de rémunération variable, le fait que son salaire de base avait été augmenté au cours de l’exécution du contrat (en 2010 en l’occurrence), ce qui impliquait, selon lui, que le salarié avait renoncé, de manière implicite, au principe de sa rémunération variable telle que définie au contrat initial. Ce dispositif (augmentation de la rémunération fixe) venait en effet, selon lui, se substituer à l’ancien (rémunération fixe + rémunération variable). La cour n’a pas validé ce raisonnement (qui n’est pas l’objet du présent commentaire et le lecteur pourra utilement se reporter à la lecture de la revue Jurisprudence Sociale Lamy n°395 d’octobre 2015 sur cet aspect de l’arrêt) et a considéré que la société A avait méconnu les dispositions du contrat en ne déterminant pas les conditions de calcul de la partie variable de la rémunération pour les années 2010 et 2011. La Cour allouait ainsi au salarié un rappel de salaire au titre de la rémunération variable, en faisant expressément référence aux critères visés dans l’avenant initial, solution qui s’inscrit dans une position constante et ancienne de la Cour de cassation lorsque l’employeur cesse d’appliquer ses dispositions contractuelles (I). L’on peut toutefois se demander comment le Juge doit réparer un manquement résultant, pour l’employeur, dans le fait de n’avoir jamais défini les modalités d’attribution de la rémunération variable ou dans le fait, pour lui, d’avoir modifié, en cours d’exécution du contrat, les critères d’obtention de la rémunération variable (II). OBSERVATIONS i – Sur les manquements en cours d’exécution relatifs aux dispositions sur la rémuneration variable Si le contrat de travail prévoit, comme dans l’espèce commenté, le principe d’une rémunération variable ainsi que les modalités 10 Supplément au journal d’attribution de la dite rémunération variable et que l’employeur soit n’a jamais appliqué les critères définis au contrat ouvrant droit, pour le salarié, à sa rémunération variable ? soit a cessé, au cours de l’exécution du contrat, de définir les dites modalités, la jurisprudence considère de manière constante qu’il appartient au juge du fond de déterminer le montant de la rémunération variable revenant au salarié « en fonction des critères visés au contrat de travail et des accords conclus les années précédentes », ou « par référence aux années précédentes » (Cass. soc., 7 juin 2006, n°04-46.722 ; Cass. soc., 12 mars 2014, n°12-29.141, CA Lyon, 18-06-2014, n° 12/07769) Le juge a donc suppléé la carence d’une partie au contrat pour déterminer le montant de la rémunération dont le salarié a été privé du fait, précisément ? du manquement de l’employeur à ses obligations contractuelle. Comme le notait le professeur VATINET, « en matière de rémunération variable, la chambre sociale paraît contrôler la méthode de fixation choisie par les Juges du fond ; elle approuve la référence aux accords conclus les années précédentes » (R. VATINET, JCP S 2006 n°29.1580). Cette solution est logique et constitue l’application pure et simple du droit du contrat qui fait la loi des parties. Si, en fixant la rémunération revenant au salarié « en fonction des stipulations contractuelles des années antérieures », le juge ne fait qu’appliquer le contrat et réparer le manquement ponctuel de l’employeur dans l’exécution du contrat, qu’en estil lorsque l’employeur n’a jamais défini les modalités d’obtention de la rémunération variable ou qu’il a changé, en cours d’exécution du contrat et de manière unilatérale, les critères d’attribution ? ii – Sur les manquements ab initio en matière de détermination des conditions d’attribution de la rémunération variable Si le contrat prévoit, dans son principe, au bénéfice du salarié, une rémunération fixe ainsi qu’une rémunération variable, sans autre précision quant aux modalités d’attribution de la rémunération variable et que le salarié n’a jamais obtenu d’autres salaires que le salaire fixe, comment le Juge peut-il réparer ce manquement contractuel de l’employeur dès lors qu’il ne lui est par hypothèse pas possible, dans ce cas particulier, de se référer aux accords des années précédentes ? L’indemnisation de la perte de chance parait en effet la solution idoine : le principe de la réparation du préjudice virtuel a été posé sans ambiguïté par trois arrêts de principe de la chambre des requêtes du 1er juin 1932 : « Attendu que, s'il n'est pas possible d'allouer des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur, apparaît aux juges du fait comme la prolongation certaine et directe d'un état de choses actuel et comme étant susceptible d'estimation immédiate » (Cass. Req. 1er juin 1932, D. 1933. 1. 102; S. 1933. 1. 49) Constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable (Cass. Civ. 1ère 21 novembre 2006 n° 05-15674), laquelle réparation « doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée » (Cass. Civ. 1ère , 9 avril 2002, n° 00-13314). Cette technique de réparation est aujourd'hui utilisée dans des domaines variés et notamment en droit du travail, la Chambre sociale s’étant déjà prononcée sur la perte de chance : - de suivre une formation dans le cadre du droit individuel à la formation (Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-69.175) - de lever les options d'achat d'actions (Cass. soc., 6 juillet 2011 n°09-71044) - de bénéficier d’un régime de retraite (Cass. soc., 21 mai 2011) - de droits à la retraite (Cass. soc., 25 janvier 2012, n°11-11374) - de bénéficier des mesures prévues dans le plan de sauvegarde de l'emploi pour favoriser le reclassement des salariés exposés à la perte de leur emploi (Cass. soc., 5 juillet 2011, n°09-70473). Reste à savoir ce qu’il en sera de la position de la Cour de cassation qui, à ma connaissance, ne s’est jamais prononcée sur ce point et de la méthode qui sera retenue le cas échéant par la Cour pour fixer le montant des dommages et intérêts. Fabien roUMeaS Avocat au barreau de Lyon Cabinet Rouméas [email protected] De la même manière, lorsque, en cours d’exécution du contrat et de manière unilatérale, l’employeur modifie les conditions de travail du salarié de telle sorte que les critères d’obtention de la rémunération variable définis ab initio au contrat ne sont plus applicables (les produits vendus initialement par le salarié ne sont plus du tout les mêmes au cours de l’exécution du contrat, le secteur d’intervention du salarié ont été sensiblement modifiés, la politique de commercialisation a été totalement transformée…), qu’en est-il du droit, pour le salarié, à obtenir sa rémunération variable et selon quelles critères la définir ? PRINCIPAUX ATTENDUS « Mais attendu que lorsque le paiement de la partie variable de la rémunération résulte du contrat de travail, il incombe au Juge, à défaut d’accord entre l’employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes (…) On sait que le juge ne peut s’immiscer dans la rédaction du contrat de travail qu’il a uniquement la possibilité d’appliquer voire d’interpréter lorsque les clauses dudit contrat ne sont pas claires. Que le fait que son salaire de base ait été augmenté à compter du 1er janvier 2010 n’implique pas que le salarié a renoncé, de manière non équivoque, à l’application de l’avenant pour le calcul de sa part variable fin d’année 2008 (…). Attendu que pour les années 2010 et 2011, la société C, en méconnaissance de l’article 3 du contrat de travail, n’a pas déterminé les conditions de calcul de la part variable de la rémunération (…). Ainsi, en l’absence d’accord des parties sur les conditions de calcul de la rémunération variable de Monsieur W, tant pour l’année 2010 que pour l’année 2011, il y a lieu, pour en déterminer son montant, de se référer à l’avenant du 27 décembre 2007 (…) ». Il ne saurait alors, à notre sens, fixer, de son propre chef, le montant de la rémunération variable dont le salarié a été privé et doit dès lors pouvoir sanctionner le non-respect par l’employeur de ses obligations uniquement sur le terrain de l’exécution fautive du contrat. Dans les deux hypothèses qui nous occupent (modalités d’attribution de la rémunération variable jamais définies ou inapplicables eu égard aux modifications intervenues dans le contrat de travail), le salarié devrait pouvoir obtenir condamnation de l’employeur pour exécution déloyale du contrat ainsi que l’allocation de dommages et intérêts au titre de la perte de chance d’obtenir une rémunération variable. Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. A, 17 juillet 2015, n°13/09949 11 Supplément au journal Tentative avortée de remise en cause du calcul déterminant la durée légale de travail… Conseil de Prud’hommes d’Annonay, 11 septembre 2015, n°13/00276 EXPOSE DES FAITS Le 23 août 1999, Monsieur S a été embauché par la société T en qualité d’agent de production sous contrat à durée indéterminée pour une durée mensuelle de travail de 158,78 heures. Le 6 juillet 2009, la société T et les organisations syndicales (dont la requérante) ont conclu un avenant à l’accord d’entreprise sur l’aménagement du temps de travail. Cet avenant prévoyait : - une répartition annuelle du travail du 1er janvier au 31 décembre, - une durée annuelle de travail de 1607 heures, - un décompte des heures supplémentaires dès le dépassement soit de 40 heures par semaine, soit de 1607 heures sur l’année, En outre, il prévoyait un aménagement des horaires pour le personnel de production selon des périodes hebdomadaires, un calendrier indicatif et le lissage de la rémunération sur la base de 151,67 heures. Dans le cadre de la mise en œuvre de cet accord, la société établissait pour chaque exercice un calendrier annuel et prévisionnel. L’organisation du travail au sein de l’entreprise conduisait Monsieur S à bénéficier du chômage de l’ensemble des jours fériés, d’un repos hebdomadaire le samedi puis du repos dominical. Monsieur S et le Syndicat C (signataire de l’accord) reprochaient à la société de ne pas avoir tenu compte des jours fériés et considéraient ainsi que la durée annuelle de 1607 heures devait inclure la prise en compte des jours fériés. Ils estimaient que les jours fériés chômés étaient payés, ce qui devait conduire la société à prendre en compte les heures relatives à ces jours fériés, pour le calcul de la durée annuelle de travail. Ils considéraient donc pour les années 2011, 2012 et 2013 que l’absence de prise en compte des jours fériés chômés mais rémunérés dans le décompte de la durée légale annuelle de travail, avait pour effet de faire récupérer des heures de travail perdues suite au chômage des jours fériés… Malgré un échange épistolaire où la société rappelait les principes applicables en matière de décompte des jours fériés dans le cadre de la durée du travail lorsque la période de référence s’étendait sur l’année, Monsieur S et le Syndicat C ont saisi le Conseil de prud’hommes aux fins d’obtenir des rappels de salaires au titre d’heures supplémentaires et la condamnation de la société au paiement de dommages et intérêts. Si les Conseillers prud’homaux n’ont pas réussi à se départager sur la problématique qui leur a été présentée, le juge départiteur, dans une décision particulièrement motivée en droit, a débouté Monsieur S et le Syndicat C de l’ensemble de leurs demandes. En effet, il a très logiquement jugé que dans le cadre de la détermination de la durée légale du travail fixée par le législateur à 1607 heures par an, les jours fériés ont déjà été pris en compte via une moyenne ou pondération, excluant ainsi par anticipation, toute récupération desdits jours fériés par l'employeur. OBSERVATIONS Si pour certains la durée légale du travail fixée par le législateur est un frein pour l’emploi, pour d’autres et notamment les organisations syndicales, il en va différemment, contestant fermement toute éventuelle augmentation de celle-ci, fixée rappelons-le à 35 heures par semaine, soit à 1607 heures par an. L’analyse de la présente espèce est une illustration parfaite de l’attachement des syndicats à la durée légale fixée par le législateur puisqu’en l’espèce, le syndicat C n’hésite pas à soutenir que le législateur, lorsqu’il a calculé le nombre d’heures annuelles d’un salarié à temps plein, n’a pas tenu compte des jours fériés chômés. Une telle argumentation est fondée sur une interprétation et une articulation particulièrement maladroite des dispositions relatives aux jours fériés et à la durée annuelle de travail, obligeant le juge départiteur, dans sa décision à rappeler très minutieusement, l’ensemble des principes applicables en la matière. Très logiquement, le jugement commence à rappeler la méthode de calcul utilisée par le législateur pour fixer la durée légale annuelle de travail à 1607 heures : 365 jours – 104 jours de repos hebdomadaires - 25 jours ouvrés de congés payés - 8 jours fériés ne tombant pas un samedi ou un dimanche = 228 jours. Ces 228 jours x 7 heures de travail = 1596 heures. Seulement, selon les années, la durée annuelle de travail peut légèrement varier notamment en raison du positionnement des jours fériés non fixes puis du nombre de samedis et dimanches dans l’année. C’est la raison pour laquelle le nombre d’heures a été arrondi à 1600 heures puis, depuis la loi du 30 juin 2004 relative à la journée de solidarité, a été porté à 1607 heures. Mais c’est aussi la raison pour laquelle il est conféré à ce résultat de 1607 heures la qualité de moyenne. Ainsi, quel que soit le positionnement des jours fériés dans l’année et des samedis et dimanches, la durée légale annuelle qui permet de définir le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, est immuable et reste maintenu à 1607 heures. Le rappel de cette méthode de calcul était essentiel notamment en raison de la technicité du droit de la durée du travail. Rappelons que les demandeurs soutiennent que dans la mesure où les dispositions légales prévoient que le chômage des jours fériés ne doit entrainer aucune perte de rémunération (L.3133-3 du Code du travail), les heures qui correspondent à ces jours fériés sont donc payées et doivent être prises en compte comme du temps de travail effectif. Si effectivement la matière est technique, pour autant une telle argumentation fait preuve d’une méconnaissance totale des règles et ce pour deux raisons. D’une part, au regard même de la définition de la durée effective de travail qui n’est d’autre que « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles » (art. L3121-1 du Code du travail). On a du mal à croire, sauf preuve contraire, qu’un salarié soit à la disposition de son employeur pendant un jour férié chômé. D’ailleurs, ce raisonnement, poussé à l’absurde, aurait dû conduire les requérants à étendre leurs ambitions aux congés payés. Après tout, ces derniers aussi entrainent un maintien de rémunération ! Si leur développement n’est pas allé aussi loin, c’est sûrement en raison de l’interférence d’un texte propre aux jours fériés qui dispose que « les heures perdues par suite de chômage des jours fériés ne donnent pas lieu à récupération » et qui semble avoir quelque peu perturbé l’articulation des règles et l’interprétation qui en est faite par les demandeurs. Mais peu importe l’existence de ce texte puisque c’est la notion même de travail effectif qui fait défaut aux requérants, ce qui a conduit le juge à en conclure que les jours fériés chômés ne constituent pas des heures de travail effectif susceptibles d'être prises en compte pour le calcul d'heures supplémentaires. D’autre part, le raisonnement va à l’encontre même de la méthode de calcul qui a été déterminée par le législateur pour 12 Supplément au journal fixer le nombre d’heure de travail annuel pour un salarié à temps plein à 1607 heures. Comme il l’a amplement rappelé le juge, la méthode de calcul de la durée légale visée ci-dessus tient déjà compte des jours fériés chômés puisqu’ils ont été déduits, au même titre que les congés payés et des samedis et dimanches, pour fixer la durée annuelle légale de travail. Si une telle déduction a été prévue, c’est notamment en raison de l’impossibilité, lorsqu’ils sont chômés, que ces jours constituent, sauf clauses plus favorables pour le salarié, du temps de travail effectif. Ainsi, tenir compte des heures correspondantes aux jours fériés chômés pour déterminer si le salarié a atteint ou non le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, reviendrait à en tenir compte une seconde fois, puisqu’ils ont déjà été exclus par le législateur pour déterminer ce seuil. Soutenir l’inverse, comme le font les demandeurs, conduit à vouloir récupérer quelque chose qui n’a pas été attribué… particulièrement simple puisqu’il s’agissait de savoir si les jours fériés chômés devaient être considérés comme du temps de travail effectif ? Si le départage a été décidé, non pas en raison de considérations politiques et syndicales mais plutôt en raison de divergences juridiques, cela pose la question de la formation des Conseillers prud’homaux pour faire face à certaines problématiques. Faut-il alors, comme le préconisent certains, ajouter à la recette existante une pointe de justice professionnelle en faisant du Conseil de prud’hommes une juridiction échevinale ? Quoiqu’il en soit, à ce jour, on ne peut que se féliciter de la loi Macron qui réforme et renforce l’obligation de formation des conseillers prud’homaux… Florian Da SiLVa Avocat au Barreau de Lyon Barthélémy Avocats [email protected] A ce titre, une telle exclusion a pour effet d’anticiper toute récupération des jours fériés chômés par l’employeur. C’est exactement ce que relève le juge dans sa décision en insistant de surcroit sur le fait que la remise en cause de la méthode de calcul, telle qu’elle a été soutenue par les demandeurs, vidait de toute portée la durée annuelle de travail effectif fixée par le législateur. PRINCIPAUX ATTENDUS « que le salarié est mal fondé et non légitime (cf. application à son égard des termes de l'avenant à l'accord d'entreprise) à calculer d'éventuelles heures supplémentaires selon des modalités autres (cf. seuil de déclenchement) étant en outre rappelé que les jours fériés chômés ne constituent pas des heures de travail effectif susceptibles d'être prises en compte pour le calcul d'heures supplémentaires ». Dès lors, il s’ensuit très naturellement, compte tenu des règles tant légales que jurisprudentielles, que les demandeurs ont été déboutés. Au-delà des aspects juridiques, d’autres éléments factuels de l’affaire méritent d’être abordés. En effet, l’accord instaurant l’aménagement du temps de travail au sein de l’entreprise sur une base de 1607 heures par an, a été conclu par plusieurs organisations syndicales dont la requérante, ce que le juge ne manque pas de rappeler dans sa décision. « Attendu que les jours fériés et chômés (hors dimanche) ne peuvent donner lieu ni à retenues financières ni à récupérations horaires ; que l'examen des bulletins de paie établit en l'espèce l'absence de toute retenue financière pour les années en litige (rémunération lissée mensuellement); que ceux-ci ne sauraient donc être comptabilisés deux fois en déduction, pas plus que ne saurait être corrigé la moyenne arrêtée par le législateur et retenue par l'accord d'entreprise sauf à vider de toute portée la durée annuelle de travail fixée par le législateur et la pondération retenue par lui ». Cet élément étonne, dans la mesure où l’organisation syndicale dont il est question, est connue pour être particulièrement réfractaire à la conclusion d’accords que ce soit au niveau de l’entreprise, de la branche, voire même au niveau interprofessionnel…et ce, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’accords relatifs au temps de travail. «Que les heures correspondants aux jours fériés sur une année ont été pris en compte (soustraction) via une moyenne ou pondération pour la détermination de la durée légale annuelle du travail excluant ainsi par anticipation toute récupération desdits jours fériés par l'employeur; que le recours à une moyenne pour une telle détermination s'oppose, sauf accords favorables dérogatoires, à tout calcul d'une durée de travail par référence à la réalité des calendrier ». Par ailleurs, et la société n’a pas manqué de le souligner, le syndicat publiait sur l’un de ses sites internet, une position juridique en la matière, identique à celle de la société ! En l’espèce, il y a fort à parier que ces éléments ont pesé dans la décision du juge qui a condamné le syndicat, et non pas le salarié, à une somme au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Pour conclure, si une telle décision était inévitable en l’espèce, on est toutefois surpris que les Conseillers prud’homaux aient dû faire appel au juge départiteur pour statuer. En effet, même si la matière est technique, la problématique qui se posait était Conseil de Prud’hommes d’Annonay, 11 septembre 2015, n°13/00276 Le caractère nécessairement explicite de la démission Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. C, 23 octobre 2014, n° 14/00563 EXPOSE DES FAITS Au terme d’un arrêt maladie de plusieurs semaines une salariée de la région stéphanoise ne reprend pas le travail. Après investigation de l’employeur il apparait que cette salariée a déménagé et qu’elle exerce les fonctions de gérante ou co-gérante de plusieurs sociétés dans la Région de Perpignan. La salariée ne manifeste aucune intention de reprendre son poste mais elle ne formalise pas plus son intention de démissionner. Après 5 mois de statu quo l’employeur prend acte de la démission de la salariée et lui adresse par courrier recommandé A.R. son solde de tout compte et ses documents de fin de contrat visant une démission. La salariée saisit alors la juridiction prud’homale aux fins de faire requalifier la rupture en licenciement sans réelle ni sérieuse au motif de l’absence d’intention clairement exprimée par elle-même de démissionner. Le conseil de prud’hommes de Lyon suit la salariée dans ce raisonnement. La cour d’appel de Lyon valide cette position. 13 Supplément au journal OBSERVATIONS Dans cet arrêt, la cour d’appel de Lyon est amenée à statuer sur les conditions devant être remplies pour qu’un employeur puisse considérer un salarié comme valablement démissionnaire. A ce titre, la cour d’appel de Lyon rappelle le grand principe de notre droit du travail selon lequel toute démission doit résulter de la manifestation d’une volonté claire et non équivoque du salarié de démissionner. Il déduit de cette exigence que la démission ne peut se présumer en se déduisant notamment du comportement du salarié. L’employeur ne pouvait donc déduire du comportement de non –reprise de son poste par le salarié qu’il entendait nécessairement se porter démissionnaire. Sont ainsi écartés par la cour les indices suivants qui sont considérés comme insuffisants pour établir une intention claire de démissionner : - l’absence de reprise du travail après une période d’arrêt maladie et le silence gardé ; - le déménagement dans une autre région du salarié ; - la prise de fonction de gérance de sociétés dans sa nouvelle région de résidence ; - la signature du solde de tout compte de démission sans réaction par la salariée. La position de la cour d’appel de Lyon est donc clairement dans une tendance de durcissement dans l’application du principe. On peut cependant approuver cette position d’un point de vue juridique mais si elle pourrait sembler choquante en équité au premier abord. Cette orientation permet, en effet, de clarifier le traitement de ce type de situations ambigües en éliminant totalement la possibilité de considérer le salarié démissionnaire. Cette position claire permet d’éviter l’insécurité juridique que créée la casuistique jurisprudentielle actuelle de la Cour de cassation dans laquelle il est très difficile de se repérer. Cette clarification jurisprudentielle ne laisserait pour autant pas l’employeur sans faculté d’actions face à ce type de situations qui constituent clairement une violation des obligations contractuelles du salarié pouvant appeler un licenciement, le cas échéant pour faute grave. La position de la cour d’appel de Lyon nous semble donc gage d’une plus grande sécurité juridique sans remettre en cause l’équilibre entre les parties du contrat de travail. Dorian JarJat Avocat au Barreau de Lyon Renaud Avocats [email protected] Compte tenu du faisceau d’indices concordants la cour d’appel de Lyon pousse donc à son paroxysme l’application du principe selon lequel la démission ne peut se déduire du comportement du salarié mais doit être clairement exprimée. PRINCIPAUX ATTENDUS L’analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation montre que celle-ci a par le passé fait preuve de plus de souplesse. « La démission doit résulter de la manifestation claire et non équivoque du salarié auprès de son employeur de sa volonté de rompre le contrat de travail. Cette démission, qui n’est certes soumise à aucune formalisme particulier mais doit être donnée, par écrit ou verbalement, en dehors de toute contrainte, ne se présume pas et ni l’absence du salarié, ni la signature du solde de toute compte, ni son absence de réaction immédiate ne sont constitutives de l’expression par ce dernier, d’une volonté claire et non équivoque de démissionner ; » La Cour de cassation avait ainsi retenu l’intention de démissionner dans des situations où le salarié, après avoir abandonné son poste avait repris une autre activité (Voir Cass. soc., 4-01-2000 n°97-43572) ou encore de l’inscription comme demandeur d’emploi après une absence prolongée (Cass. soc., 10-03-2004 n°02-40652). Néanmoins dans de nombreux autres arrêts la chambre sociale avait déjà fait prévaloir des positions beaucoup plus strictes. La Cour a notamment estimé que le fait pour un salarié d’avoir recherché et trouvé un nouvel emploi dans le contexte d’une liquidation judiciaire ne témoignait pas d’une volonté claire et non équivoque de démissionner (Cass. soc., 13 avril 2005 n°03-42467). Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. C, 23 octobre 2014, n° 14/00563 Obligation de reclassement - avis d'inaptitude à tous les postes de l'entreprise Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. B, 28 juillet 2015, n°14/02215 EXPOSE DES FAITS Ils sont simples. Monsieur S. a été en arrêt pour cause de maladie à compter du 11 septembre 1999. À l’issue de la visite de reprise en date du 2 août 2010, le médecin du travail le déclare «inapte à tous les postes de la société » et a exclu une seconde visite en raison d’un danger immédiat. Le 5 novembre 2010, Monsieur S. est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Il conteste son licenciement devant le conseil de prud'hommes et réclame des dommages et intérêts pour défaut d’information sur les motifs s’opposant au reclassement ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement sans cause. Le conseil de prud'hommes lui donne raison et condamne la société à lui verser 36 900 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause. Ce jugement est confirmé par la cour d'appel, le montant des dommages et intérêts étant « réduit à la somme de 15 000 € ». OBSERVATIONS Cet arrêt témoigne de l’absurdité de la jurisprudence s’agissant de « l’inaptitude définitive à tout poste. ». L’article L.1226-2 du code du travail oblige l’employeur à proposer au salarié déclaré inapte par le médecin du travail « un autre emploi approprié à ses capacités. ». La recherche de ce reclassement « prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise ». Le texte renvoie donc expressément au rôle crucial du médecin du travail qui, non seulement va déterminer l’aptitude ou l’inaptitude du salarié à son poste, mais aussi préciser et proposer les conditions d’un éventuel reclassement. 14 Supplément au journal Le médecin du travail ne pourra constater l’inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que s’il a réalisé une étude du poste, une étude des conditions de travail dans l’entreprise, ainsi que deux examens médicaux de l’intéressé espacés de deux semaines accompagnés, le cas échéant, d’examens complémentaires. Lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraine un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celle des tiers, l’avis d’inaptitude médicale peut être délivré en un seul examen. (article R.4624-31 C. trav.). Il est donc permis de penser que lorsque le salarié est déclaré par le médecin du travail « inapte définitivement à tout poste dans l’entreprise », l’employeur serait alors tenu à une obligation de reclassement « allégée ». Mais la jurisprudence de la Cour de cassation en a décidé autrement, considérant que même en présence d’une inaptitude définitive à tout poste et d’une impossibilité de reclassement appréciée médicalement par le médecin du travail, l’employeur reste néanmoins tenu de rechercher des possibilités de reclassement (cf. notamment Cass. soc.,16 septembre 2009, Dr. Soc. 2009, p. 1190, note SAVATIER). de quelque nature qu’elle soit. Ces allers-retours entre l’employeur et le médecin du travail sont souvent mal vécus par le praticien à qui l’employeur doit expliquer qu’il est tenu de proposer des reclassements, quand bien même le médecin a pris position sur l’impossibilité de reclassement ! Et pire, la jurisprudence sanctionne des tentatives de reclassement qui ne seraient pas sérieuses (Cass. soc., 30 avril 2009, JSL 2009, n°257-3). L’employeur peut toujours espérer du juge qu’il recherche une solution « juste » : tel n’a pas été le cas en l’espèce, la cour d'appel ayant estimé que le seul fait d’avoir oublié de proposer un poste qui ne figurait pas sur une liste elle-même composée de 72 postes proposés au reclassement suffisait à considérer que l’employeur n’avait pas procédé à une recherche de reclassement « sérieuse et loyale ». Yves FroMont Avocat au Barreau de Lyon Fromont Briens [email protected] Cette solution absurde aboutit donc à des situations pratiques extraordinaires où l’employeur doit désespérément rechercher des possibilités de reclassement pour un salarié dont le médecin du travail a jugé qu’il était définitivement inapte à tous les postes de l’entreprise et dans l’impossibilité de reprendre une activité professionnelle de quelque nature que ce soit. PRINCIPAUX ATTENDUS « Le 2 août 2010, le médecin du travail a émis un avis d'inaptitude à tous les postes de l'entreprise, a exclu une seconde visite et a préconisé une mise en invalidité de 2ème catégorie à l'employeur. Par lettre du 21 septembre 2010, le médecin du travail a indiqué que l'état de santé de Mohamed S… entraînait sa mise en invalidité de deuxième catégorie et ne lui permettait pas actuellement de reprendre une activité professionnelle de quelque nature que ce soit.(…) La cour d'appel de Lyon n’a évidemment pas voulu s’affranchir du cadre fixé par la Cour de cassation. En effet, Monsieur S. avait été déclaré par le médecin du travail « inapte à tous les postes de l’entreprise », mis en invalidité 2ème catégorie et déclaré « incapable de reprendre une activité professionnelle de quelque nature que ce soit. » L’employeur, malgré cet avis médical, avait pris le soin de procéder à des recherches de reclassement et envoyé pour avis au médecin du travail une liste de 72 postes vacants dans la société au niveau régional et national. Le 1eroctobre 2010, l'employeur a envoyé pour avis au médecin du travail la liste des 72 postes vacants dans la société au niveau régional et national. Le 6 octobre 2010, le médecin du travail a répondu que Mohamed S… n'est plus apte à travailler et que les 72 postes reposés sont totalement inappropriés à la situation.(…) Le médecin du travail avait répondu que Monsieur S. n’était plus apte à travailler et que les 72 postes proposés « étaient totalement inappropriés à sa situation ». La liste soumise au médecin du travail est celle des postes disponibles arrêtée au 1er octobre 2010. En effet, sur cette liste ne figure pas le poste d’intervenant social à GIVORS (Rhône) qui a donné lieu à une embauche le 9 septembre 2010. Or, l'avis d'inaptitude est antérieur à cette embauche. Le poste était ainsi susceptible de rentrer dans le périmètre du reclassement. Or, il s’est trouvé que cette liste n’était pas à jour puisque ne figurait pas le poste d’un intervenant social qui avait donné lieu à une embauche postérieure à l’avis d’inaptitude. Et la cour d'appel de considérer que l’employeur avait failli à son obligation de reclassement en ne proposant pas ce poste qui était susceptible de rentrer dans le périmètre du reclassement. Le licenciement se trouve donc dénué de cause réelle et sérieuse avec à la clé des dommages et intérêts à hauteur de 15 000 €. Il s'évince de ces éléments que l'employeur n'a pas mené des recherches effectives pour tenter de reclasser Mohamed S... En l'absence de recherches de reclassement sérieuses, loyales et personnalisées, le licenciement se trouve dénué de cause réelle et sérieuse » Ce type de décision témoigne des situations auxquelles se trouvent confrontés les employeurs qui doivent revenir devant le médecin du travail pour proposer des postes de reclassement à un salarié déclaré par ce même médecin inapte définitivement à reprendre toute activité professionnelle Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. B, 28 juillet 2015, n°14/02215 Contrat de fin de chantier et licenciement pour motif économique Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. A, 17 juillet 2015, n°14/05486 EXPOSE DES FAITS Une salariée est engagée, selon un contrat de travail à durée indéterminée de chantier, en qualité de secrétaire de projet, dans le cadre de prestations d’assistance technique, puis mise à la disposition d’un client selon la convention collective SYNTEC. Ce contrat de travail nécessairement à durée indéterminée stipulait, conformément aux dispositions de l’article L.1236-8 du code du travail, la mission objet du contrat sur le chantier dont il était question et les conséquences sur la rupture à l’expiration de la mission, excluant de ce fait l’application des dispositions relatives à la procédure de licenciement économique. Quelques années plus tard, par avenant au contrat, elle faisait l’objet d’un transfert au sein d’une autre société du groupe, pour la réalisation des mêmes prestations concernant trois nouveaux projets, sur un nouveau site. Finalement elle travaillera 11 ans pour le même client avant d’être convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement économique ; la société cliente ayant notifié la décision de mettre fin à la relation contractuelle deux des trois projets ayant pris fin selon la salariée. 15 Supplément au journal Licenciée pour motif économique la salariée a contesté son licenciement motifs pris qu’elle ne pouvait être licenciée qu’à l’achèvement du chantier et non pas pour motif économique lequel d’ailleurs n’était pas, selon elle, prouvé. Elle invoquait également la violation de l’obligation de reclassement par l’employeur, la régularité de la procédure outre une indemnité au titre de la requalification de sa relation de travail à l’égard de la société cliente en raison d’un délit de marchandage. L’employeur a relevé appel du jugement du conseil de prud’hommes qui a déclaré, le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par arrêt du 17 juillet 2015, le licenciement a été déclaré sans cause réelle et sérieuse mais en raison de l’insuffisance de recherche de reclassement, la salariée ayant été déboutée des autres demandes. sur le motif de licenciement invoqué à savoir les difficultés économiques de la société et celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient, sur la suppression du poste de la salariée et enfin sur l’analyse de la recherche de reclassement. Pourtant un licenciement prématuré, avant que la mission ne soit achevée, est abusif (Cass. soc., 31 octobre 2006 n°46-258 et 6 janvier 2010 n° 08-44059). Il nous semble que la cour ne pouvait faire l’économie, au préalable, de contrôler si à la date du licenciement le chantier objet du contrat rompu était ou non encore en cours. L’employeur qui invoquait la suppression du poste en raison de la dénonciation du contrat par le client mettant ainsi fin au chantier aurait mieux été inspiré de rompre finalement le contrat « pour fin de chantier », si tel était bien le cas. eladia DeLGaDo Avocat au Barreau de Lyon DELGADO & MEYER [email protected] La cour a retenu que le contrat de chantier ne prive pas l’employeur de la possibilité de se prévaloir des dispositions sur le licenciement économique. OBSERVATIONS PRINCIPAUX ATTENDUS Le contrat de chantier, est un contrat particulier car bien que s’agissant d’un contrat à durée indéterminée, c’est la durée effective du chantier qui détermine la durée du contrat. Ce contrat pourra faire l’objet d’un renouvellement suite à la signature d’un nouveau chantier selon régularisation d’un avenant pour la durée de ce nouveau chantier. Ainsi, dès lors que le chantier pour lequel le salarié a été engagé est terminé, et non pas la mission (Cass. soc., 6 janvier 2010, n° 0844059), le licenciement du salarié est possible selon la procédure pour motif individuel sans avoir à appliquer la procédure de licenciement économique laquelle est expressément exclue par l’article L1236-8 du code du travail. « Mais attendu que le contrat de travail stipule seulement qu’il est soumis aux prescriptions de l’article L.312-12 du code du travail (devenu l’article L.1236-8) qui dispose que le licenciement qui, à la fin d’un chantier, revêt un caractère normal selon la pratique habituelle et l’exercice régulier de la profession, n’est pas soumis aux dispositions du chapitre III relatives au licenciement pour motif économique, mais à celles du chapitre II relatives au licenciement pour motif personnel ; qu’ainsi la société XXXXX, aux termes de la mission confiée à Cécile XXXX, n’était pas tenue de la licencier pour un motif économique ; que le seul fait d’avoir fondé le licenciement sur un tel motif ne saurait donc le priver de cause réelle et sérieuse. » Pourtant la cour d’appel de Lyon l’a admis par arrêt du 17 juillet 2015 en considérant « que le seul fait d’avoir fondé le licenciement sur un tel motif [économique](ne saurait donc le priver de cause réelle et sérieuse. ». En effet, sans rechercher si le chantier était achevé ou encore si des missions étaient encore en cours, comme l’y invitait la salariée, la cour se place Cour d’appel de Lyon, ch. soc., sect. A, 17 juillet 2015, n°14/05486 relations collectives Transparence des comptes du comité d’entreprise : le droit de regard de l’employeur Cour d’appel de Dijon, ch. civ. 1ère, 12 mai 2015, n° 13/00926 EXPOSE DES FAITS Une société et son dirigeant agissant en qualité de président du comité d’établissement, ont fait assigner le comité devant le juge des référés du TGI de Chalon sur Saône, aux fins de lui voir ordonner la communication sous astreinte du nom d’un certain nombre de bénéficiaires de chambres d’hôtel dont les notes avaient été réglées par le comité ainsi que le motif des déplacements se rapportant à des tickets d’essence. Les défendeurs soulevaient l’irrecevabilité de la demande en l’absence d’intérêt à agir et en l’absence d’urgence. Par ordonnance du 30 avril 2013, le juge des référés a déclaré recevables les demandes de l’entreprise et de son dirigeant, considérant que l’employeur, en sa qualité de président du comité d’établissement avait, comme les autres membres, un droit d’accéder aux archives et documents comptables du comité, y compris les pièces concernant les dépenses de fonctionnement. Il a également estimé qu’il existait un trouble manifestement illicite dès lors que les pièces comptables réclamées par le président du comité d’établissement ne lui avaient pas été remises alors qu’un dysfonctionnement apparent tenant à la possibilité de remboursements cumulatifs des mêmes dépenses avait été relevé. Un appel a été interjeté et la Cour va statuer deux ans après le président du TGI. Entre temps, une nouvelle équipe a été élue au comité d’établissement. Ce qui va conduire à une nouvelle configuration procédurale, tant sur le plan des parties que des demandes. En cause d’appel, le « nouveau » comité ne contestait plus la recevabilité de la demande de l’employeur ; il soutenait cependant que la situation avait changé de manière fondamentale en ce que, ne parvenant pas à obtenir de l’équipe précédente la communication des éléments comptables, il lui était matériellement impossible de fournir les informations sollicitées. Cette circonstance n’a manifestement pas convaincu les juges d’appel. De leur côté, les anciens membres du comité décidaient d’intervenir volontairement à l’instance, soutenus par une organisation syndicale. Ils faisaient plaider l’inexistence de certaines factures ou tickets d’essence et la discordance concernant certaines dates. En vain selon la Cour, qui a relevé la pertinence des justificatifs fournis et a considéré que les discordances n’étaient que des décalages de dates. 16 Supplément au journal Enfin, les parties demandaient aux juges d’appel de désigner un expert aux fins de vérifier la comptabilité (demande formulée à titre principal par les intervenants volontaires et à titre subsidiaire par l’employeur). par la Cour d’appel, s’est inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence précitée. La Cour a rejeté ces demandes nouvelles jugeant qu’elles n’étaient pas formulées dans le cadre du référé probatoire de l’article 145 du code de procédure civile. Or, la juridiction de référé n’étant pas saisie du fond du litige, elle ne saurait ordonner la réalisation d’une expertise autrement que sur le fondement de cet article. La limite à la curiosité de l’employeur serait l’utilisation de son droit aux fins d’exercer une pression sur les membres du comité d’entreprise ou pour opérer une surveillance sur la nature des dépenses pouvant lui permettre de tracer l’action ou l’activisme du comité. Son action pourrait alors s’apparenter à de l’entrave à l’instance ou à un moyen de pression interdit par l’article L 2141-7 du Code du travail si une organisation syndicale en particulier était visée. En définitive, la Cour d’appel de Dijon a confirmé l’ordonnance. Mais seul serait ainsi sanctionné l’abus de droit. OBSERVATIONS On peut s’étonner de ce que l’employeur puisse accéder, y compris dans le détail, aux dépenses mais aussi aux justificatifs de dépenses du comité d’entreprise. En effet, il n’est « que » financeur et il est communément admis, même si la Cour de cassation ne s’est pas prononcée, qu’il ne participe pas aux votes des décisions engageant le budget de fonctionnement (Circ. DRT n° 12 du 20 novembre 1984, Lettre min. du 15 janvier 1986, CA de Paris du 16 juin 1999, n° 994193, RJS 10/99 n° 1262). En outre, cette prérogative lui confère un véritable droit de regard et de surveillance de l’action du comité d’entreprise. La démarche de l’entreprise et de son dirigeant dans l’affaire ici commentée n’était certainement pas dénuée d’arrièrepensées… Pourtant, en matière de contrôle, la jurisprudence ne considère pas l’employeur comme un tiers mais comme un membre à part entière de l’instance ; le présent litige en est l’illustration. Le comité d’entreprise et ceux qui en assurent la gestion sont tenus à une obligation de transparence à l’égard de l’ensemble des membres le composant, y compris l’employeur en sa qualité de président. Dans une décision du 26 septembre 2012, la Cour de cassation a posé ou rappelé les règles applicables en la matière (26 septembre 2012 n° 11-15384). Elle confirme tout d’abord, qu’à l’instar des autres membres, le président du comité a accès aux archives et documents comptables et financiers de l’instance, y compris s’agissant du budget de fonctionnement (Cf. aussi : cass. soc. 19 décembre 1990 n° 88-17677). Et ce, même si le comité a fait certifier ses comptes par un commissaire aux comptes. Dans ce même arrêt, la Cour de cassation a jugé que le refus opposé au président du comité d'entreprise de lui communiquer les documents comptables et financiers constituait un trouble manifestement illicite relevant de la compétence du juge des référés. Enfin, elle confirme que, si l’employeur ne peut pas exiger la délivrance d'une copie, (Cass. soc. 22 septembre 2010 n° 0965129), il peut en effectuer une à ses frais. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Dijon, le comité d’établissement n’a pas pu ou n’a pas souhaité produire les justificatifs et le juge des référés, suivi en ce sens Dans la présente affaire, les intervenants volontaires, anciens élus du comité d’établissement, avaient formulé, à titre reconventionnel, une demande de dommages et intérêts pour entrave au fonctionnement du comité. En vain, d’abord parce que la demande était formulée en référé mais probablement aussi au regard des circonstances de l’espèce. La meilleure protection pour le comité d’entreprise et ses acteurs réside dans la tenue rigoureuse de la comptabilité. Nul doute que les nouvelles et saines dispositions visant à la transparence des comptes des comités d’entreprise vont contribuer à assainir certaines gestions maladroites ou brouillonnes. En effet, la loi du 5 mars 2014 impose aux comités d’entreprise la tenue d'une comptabilité pour les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2015. Et ce, quelle que soit sa taille et le montant de ses ressources, ces critères n’intervenant que dans la nature des obligations (articles L 2325-45 et suivants). Georges MeYer Avocat au Barreau de Lyon Selarl DELGADO & MEYER [email protected] PRINCIPAUX ATTENDUS : « S’il n’est pas contestable que le comité d’entreprise ou le comité d’établissement décide librement de l’utilisation qui est faite des fonds dont il dispose au titre de la subvention de fonctionnement qui lui est versées par l’employeur en application de l’article L 2325-43 du code du travail, il n’en demeure pas moins que cette liberté d’utilisation ne peut s’exercer que dans le respect de la mission légale du comité et pour la satisfaction de ses propres besoins. Il ne saurait en effet être question pour le comité ou pour ses dirigeants de se prévaloir de la liberté d’utilisation des fonds pour couvrir des dépenses étrangères à ses attributions économiques et professionnelles. Il doit en conséquence être loisible à tout membre du comité et donc en particulier à l’employeur, en sa qualité de président du comité d’entreprise ou d’établissement, d’accéder à tout moment à l’intégralité de la documentation comptable et financière du comité pour vérifier que les sommes qui lui ont été versées ont bien été utilisées conformément à leur finalité. » CA Dijon, ch. civ. 1ère, 12 mai 2015, n° 13/00926 Examen annuel des comptes du comité central d'entreprise : moment de la désignation de l'expert-comptable du comité Tribunal de grande instance de Vienne, référé, 30 avril 2015, n°15/00032 Cour d'appel de Nîmes, ch. civ. 1ère, 30 octobre 2014, n°13/05314 EXPOSE DES FAITS La société T., spécialisée dans la conception et la fabrication d'équipements de froid industriel, comporte 4 établissements. A ce titre, elle est dotée de 4 comités d'établissement et d'un comité central d'entreprise. Par délibération adoptée à l'unanimité le 13 janvier 2015, ledit Supplément au journal comité central a décidé de recourir aux services d'un expert pour examiner les comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2014, ainsi que les comptes prévisionnels de l'exercice 2015, en application des dispositions de l'article L.2323-35 du code du travail. Dès la réception de la lettre de mission de l'expert ainsi désigné, adressée le 28 janvier 2015, la direction de la société a fait valoir que les comptes annuels 2014 n'étaient pas encore 17 disponibles, faute d'avoir été audités par les commissaires aux comptes, et a fortiori arrêtés par le conseil d'administration de la société. Et, par acte d'huissier du 10 février 2015 saisissant Madame la présidente du tribunal de grande instance de Vienne statuant en la forme des référés, a demandé l'annulation de la délibération ayant décidé de recourir à l'expertise. Par ordonnance du 30 avril 2015, il a été fait droit à cette demande, au terme d'une motivation sur laquelle il sera ultérieurement revenu. C'est la décision dont nous proposons ici un bref commentaire, tout en la mettant en contrepoint avec l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes le 30 octobre 2014, ayant statué sur la même question. OBSERVATIONS Cette décision du tribunal de grande instance de Vienne a déjà donné lieu à un commentaire, dans ces colonnes, de notre toujours pertinent confrère Christophe BIDAL. (cf. PJS n°44 juillet 2015 p.14) Il y concluait que l'ordonnance dont nous parlons méritait « incontestablement d'être approuvée », après avoir affirmé que «n'étant dans ce contexte pas en possession des comptes annuels, l'institution représentative du personnel ne pouvait pas apprécier l'opportunité de désigner un expert », et donc que « la délibération expertale était aussi prématurée que dénuée d'objet. » C'est peu dire que nous ne partageons en rien l'opinion de notre pourtant estimé confrère, et que, pour notre part, nous ne pouvons que désapprouver la décision commentée. Mais n'engageons pas de polémique inutile : les lois sont ce qu'elles sont, de belles âmes ont même prétendu qu'elles avaient un esprit ; elles ont en tout cas une logique, qu'il appartient aux magistrats de mettre en œuvre, au-delà des préjugés et réticences que le droit social fait souvent naître. Rappelons le texte applicable, figurant à l'article L 2325-35 du Code du travail : «Le comité d'entreprise peut se faire assister d'un expertcomptable de son choix : 10) en vue de l'examen annuel des comptes prévu aux articles L.2323-8 et L2323-9 (...)» L'article L.2328, auquel il est ainsi renvoyé (l'article L2323-9 étant consacré aux sociétés non commerciales) dispose quant à lui : « Dans les sociétés commerciales, l'employeur communique au comité d'entreprise avant leur présentation à l'assemblée générale des actionnaires ou à l'assemblée des associés, l'ensemble des documents transmis annuellement à ces assemblées ainsi que le rapport des commissaires aux comptes. Le comité peut formuler toutes observations sur la situation économique et sociale de l'entreprise. Ces observations sont transmises à l'assemblée des actionnaires ou des associés en même temps que le rapport du conseil d'administration, du directoire ou des gérants (...)» l'approbation desdits comptes par les organes dirigeants de l'entreprise. Elle y a répondu positivement (Cass. soc. 18 décembre 2007, n°06-17.389), sans trancher la question qui nous préoccupe dans ces lignes : le comité peut-il, avant même de connaître les comptes, décider de se faire assister d'un expert pour l'aider à rendre un avis éclairé et utile ? Poser la question devrait suffire à imposer la réponse. Le juge des référés du TGI de Vienne ne s'est pas égaré dans ces spéculations juridico-sociales. Il a réécrit la loi : « c'est seulement lors de la communication des comptes que le comité peut apprécier de la nécessité de désigner un expert-comptable (...) », avant d'affirmer, de manière un rien énigmatique mais relevant de la même idée, que «c'est la communication des comptes qui constitue un prérequis à la désignation d'un expert-comptable et non l'inverse ». Sauf que la loi, et il est du droit de chacun de la critiquer, mais le juge doit l'appliquer, ne dit rien de cela. La cour d'appel de Nîmes, ayant eu à connaître d'une affaire comparable au regard des termes du débat, a rendu un arrêt qui nous semble autrement conséquent. Elle y écrit notamment que «rien n'interdit ou ne fait obstacle à ce que la désignation de l'expert-comptable dans le cadre des dispositions de l'article L2325-35 du Code du travail intervienne antérieurement à l'établissement des comptes annuels ». (CA Nîmes, 30 octobre 2014, RG n° 13/05340) C'est dit simplement, avec une clarté et une pertinence bienvenues, dans le strict respect des textes, y compris de l'esprit et de la logique que nous avons évoqués. Cela nous suffit pour approuver cet arrêt, comme pour critiquer la décision du TGI de Vienne, ainsi que le commentaire qui en a été fait : si l'on devait suivre les raisonnements qu'on y découvre, le comité devrait avoir à justifier de son incompréhension des comptes pour que la désignation d'un expert soit considérée comme légale et à ce titre mise à la charge de l'entreprise. Autant dire que le contentieux qui pourrait résulter d'une telle approche serait aussi impraticable que purement subjectif. Et cela serait in fine reproché aux représentants du personnel. Attendons de savoir ce que la cour de cassation jugera quand elle sera véritablement saisie de la question, si elle l'est un jour, pour approfondir le débat. Mais même dans cette attente, il n'est pas interdit de considérer que l'urgence n'est pas à réduire les prérogatives des institutions représentatives des salariés, mais de les renforcer. Karine tHiebaULt Avocat au Barreau de Lyon Antigone avocats [email protected] Précisons en tant que de besoin, mais ce point ne fait pas débat, que ces textes, qui visent formellement le seul comité d'entreprise, son pleinement applicables au comité central. PRINCIPAUX ATTENDUS : « C'est seulement lors de la communication des comptes que le comité d'entreprise peut apprécier de la nécessité ou non de désigner un expert-comptable pour l'assister dans la compréhension de ces comptes » Ces dispositions n'enferment le droit du comité de recourir à une expertise dans aucun délai, ni ne le subordonne à une quelconque condition de communication préalable des comptes. Le débat juridique et judiciaire, du moins tel qu'il a été à ce jour et à notre connaissance élevé devant la cour de cassation, a d'ailleurs porté davantage sur les problèmes pouvant résulter de la tardiveté de la désignation de l'expert, plutôt qu'à sa précocité. (voir par exemple Cass. soc. 15 décembre 2009, n°08¬17.722, décision rendue sous les auspices de la directive européenne du 11 mars 2002, relative à l'information et à la consultation des travailleurs dans la communauté européenne). Tribunal de grande instance de Vienne, référé, 30 avril 2015, n°15/00032 « Rien n'interdit ou ne fait obstacle à ce que la désignation de l'expert-comptable dans le cadre des dispositions de l'article L.2325-35 du code du travail intervienne antérieurement à l'établissement des comptes annuels (...) » Cour d'appel de Nîmes, ch. civ. 1ère, 30 octobre 2014, n°13/05314 Cette même cour de cassation, qui généralement ne s'épuise pas à répondre à des questions qui ne lui sont pas posées, a par ailleurs eu à statuer sur le point de savoir si le comité pouvait décider de l'assistance d'un expert sans attendre 18 Supplément au journal Désignation du CHSCT : vote à main levée Tribunal d’instance de Villeurbanne 19 juin 2015, n°11-15-001004 EXPOSE DES FAITS Le 3 avril 2015, un CHSCT est élu au sein de l’UES X par le collège désignatif par vote à main levée, modalité visiblement suivie depuis de nombreuses années au sein de cette UES composée de sociétés se présentant elles-mêmes comme « familiales ». Le 17 avril suivant, le syndicat CFDT Construction et Bois du Rhône saisissait le Tribunal d’instance de Villeurbanne d’une demande d’annulation de cette élection, motifs pris de : - L’absence de convocation du collège désignatif - La fixation de modalités de vote par le seul comité d’entreprise, - La définition d’une condition nouvelle d’éligibilité tenant à l’ancienneté des candidats - L’absence d’accord unanime pour la mise en place d’un mode de scrutin dérogatoire - Le recours au vote à main levée. Pour leur défense, les sociétés composant l’UES soulevaient d’abord la nullité de la saisine, faute pour le syndicat demandeur de faire état des diligences préalablement mises en oeuvre en vue de parvenir à une solution amiable du litige, prescrites par l’article 58 (dernier alinéa nouveau) du code de procédure civile. Sur le fond, les sociétés ainsi que de nombreux élus membres du collège désignatif, faisaient valoir que les irrégularités (contestées pour certaines) ne pouvaient en tout état de cause entrainer l’annulation du vote, faute d’avoir eu une incidence sur ses résultats, les membres du collège désignatif attestant qu’en cas d’annulation suivie d’un nouveau scrutin, ils voteraient comme précédemment. Par jugement du 19 juin 2015, après avoir rejeté toute cause d’irrecevabilité de la saisine, le tribunal prononçait la nullité de l’élection au motif qu’elle s’était déroulée à main levée et selon un mode de scrutin dérogatoire non prévu par accord unanime, précisant de manière surabondante mais néanmoins intéressante que les autres irrégularités relevées n’auraient quant à elles pas suffi à entraîner l’annulation. OBSERVATIONS Pas de nullité mais pas de médiation non plus, eu égard aux « antagonismes exprimés à l’audience » Les défendeurs faisaient application des dispositions issues du décret n°2015-282 du 11 mars 2015 qui, complétant l’article 58 du CPC, imposent désormais que « Sauf justification d'un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public, la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige », et prétendaient sur ce fondement obtenir la nullité de la saisine. Bien que constatant que le syndicat n’avait pas déféré à ces prescriptions, le Tribunal rejette toutefois cette nullité, rappelant que ces dispositions ne sont pas prescrites à peine de nullité, mais permettent seulement au juge de proposer, le cas échéant, une mesure de médiation ou de conciliation. esprit d’apaisement favorisant le climat social », le conduisant à rejeter cette demande qui semblait vaine eu égard « aux antagonismes exprimés à l’audience ». Le secret du vote est un élément essentiel du droit électoral dont la violation entraine la nullité de l’élection indépendamment de son incidence sur le résultat du vote Le code du travail rappelle expressément que les élections du comité d’entreprise (L 2324-19) et des délégués du personnel (L 2314-21) ont lieu au scrutin secret sous enveloppe ou par vote électronique. La sanction est celle de la nullité du vote, même s’il n’est pas démontré une influence sur les résultats (ex : Cass. soc., 26 mai 1998, RJS 1998, 564, n°876). Les articles L4613-1 et R4613-5 du code du travail relatifs à la désignation du CHSCT se contentent quant à eux de renvoyer au collège désignatif le soin de fixer les modalités de désignation. C’est donc la jurisprudence qui est venue définir les principes, et éventuelles dérogations, applicables en la matière. Ainsi est-il permis de déroger au mode de scrutin (scrutin de liste avec représentation proportionnelle à la plus forte moyenne) par voie d’accord unanime du collège (Cass. soc., 17 mars 2004 n° 03-60.122). Mais cette dérogation ne concerne que le seul mode de scrutin au sens strict, non les modalités de vote : « si un accord unanime peut définir les modalités de désignation des membres de la délégation du personnel au CHSCT, il ne peut être dérogé à l'obligation de procéder à un vote par un scrutin secret « (Cass. soc., 25 octobre 2006 n° 06-60.012). La jurisprudence est constante sur ce point : « en matière d'élections professionnelles, il ne peut être dérogé à l'obligation de procéder à un vote par un scrutin secret, fût-ce par accord unanime » (Cass. soc., 28 janvier 2015 n° 1413.989). Peu important alors « l’usage » ou du moins les pratiques antérieures que faisaient valoir ici les défendeurs, arguant de leur taille « familiale » et de l’utilisation du vote à main levée depuis plus de quinze ans ! Peu important également l’absence de toute incidence sur les résultats du vote dont les membres du collège désignatif attestaient pour affirmer qu’en cas d’annulation ils voteraient pour les mêmes candidats. Le Tribunal considère à juste titre que le vote à bulletin secret, prescrit par l’article L59 du Code électoral, est un principe général du droit électoral dont la violation entraine nécessairement la nullité du scrutin. Il ajoute que l’élection encourt également la nullité en ce qu’il prévoyait des modalités dérogatoires du scrutin en dehors de tout accord unanime. Le tribunal conclut toutefois de manière étonnante, affirmant que les autres irrégularités relevées (pourtant nombreuses telles que la fixation des modalités de vote par le seul CE, mise en place d’une condition d’ancienneté…) n’avaient pas entaché la régularité de la désignation. Cette conclusion peut surprendre en ce qu’elle pourrait laisser croire qu’elle valide a priori des irrégularités pourtant non négligeables, alors que de nouvelles élections du CHSCT doivent être organisées ensuite de ce jugement. On aurait pu aussi bien imaginer que l’urgence (contentieux électoral enfermé dans un bref délai de contestation) exonère le demandeur de ce préalable mais ce n’est pas la position du Tribunal. Julia PetteX-Sabarot Avocat au Barreau de Lyon Chassany Watrelot et Associés [email protected] Quant à la mesure de médiation dont les défendeurs sollicitaient, à titre subsidiaire, la mise en œuvre, le magistrat fait preuve de lucidité et pragmatisme, reconnaissant que le syndicat demandeur et son élue n’étaient pas « animés pas un 19 Supplément au journal les Pages de Jurisprudence Sociale Retrouvez l'actualité commentée du droit social en téléchargeant les derniers numéros des Pages de jurisprudence sociale réalisées par des avocats du Barreau de Lyon sur le site du Barreau de LYON www.barreaulyon.com contenu rédactionnel élaboré en partenariat avec l’ordre des avocats du barreau de Lyon Sous la responsabilité de : Yves Fromont Pierre Masanovic Fromont Briens 40 rue de Bonnel, 69003 LYON tél. : 04-78-62-15-00 Supplément au journal Antigone Avocats 60 Rue Jaboulay, 69007 LYON tél : 04-78-72-27-29