Texte en PDF - Louis-Marie Barnier

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Texte en PDF - Louis-Marie Barnier
Louis-Marie Barnier, sociologue,
Chercheur associé au CRESPPA-GTM.
Protéger une profession en période de crise,
Les syndicats des personnels navigants commerciaux
face à la licence européenne
« SYNDICALISMES CATEGORIELS ET REGULATIONS PROFESSIONNELLES »
Journée d'étude du RT 18, 23 mai 2013
Version provisoire
Résumé : Le syndicalisme du transport aérien a longtemps présenté des cas emblématiques du
syndicalisme corporatif, à travers le syndicat des pilotes de ligne et celui des hôtesses de l’air et
stewards. Les pilotes de ligne ont historiquement choisi d’appuyer la reconnaissance de leur métier,
sur la base d’une formation reconnue et d’une responsabilité assumée dans l’avion, sur une alliance
durable avec les directions des compagnies aériennes. Les personnels navigants commerciaux mènent
une lutte depuis leur origine (vers 1945) pour faire reconnaitre leur rôle de sécurité afin de garantir
leur reconnaissance professionnelle et salariale. Ils doivent pour cela surmonter une image glamour
de leur métier, le réduisant à un service commercial, et dépassant, y compris chez leurs collègues
pilotes, l’image publicitaire de l’hôtesse jeune et disponible. L’association avec les personnels
navigants techniques apparaissait néanmoins « naturelle » à ce moment, et la mise en avant d’une
« licence », à l’identique des pilotes, formalisait cette jonction autour du rôle partagé de sécurité.
Durand la dernière décennie, confrontés à l’offensive normative européenne dans un schéma libéral,
les syndicats catégoriels des PNC, malgré leur éclatement récent, se sont battus ensemble pour
obtenir une « licence européenne » basée sur ce rôle de sécurité.
***
Le syndicalisme du transport aérien a longtemps représenté un archétype du syndicalisme
professionnel en France. C’est à travers le syndicalisme des pilotes de ligne qu’il a pris sa forme la
plus emblématique, un syndicalisme corporatiste qui a tracé la voie d’une alliance spécifique entre
les directions des compagnies aériennes et ce groupe professionnel. Les hôtesses et stewards ont par
la suite constitué leur propre forme de représentation catégorielle, relayés ensuite par les
mécaniciens aéronautiques. Ces syndicats uniques ont été des formes hégémoniques dans leurs
catégories, le SNPNT parmi des pilotes, et le SNPNC chez les hôtesses de l’air et stewards, jusque
dans les années 1970. L’éclatement de ces syndicats historiques en divers syndicats catégoriels s’est
prolongé par l’irruption des syndicats confédérés.1 La dernière période a vu de nouveaux clivages et
des redéfinitions à l’occasion du changement des règles de représentativité2.
1
Lors des élections professionnelles de mars 2011, les résultats dans le collège PNC ont été les suivants : CFDT
4%, CGT 10.7 %, CFTC 8.2%, SNPNC 21.1%, Sud-Aérien 6.72%, UNAC 26.3%, UNSA 22.9%.
2
Chaque syndicat catégoriel a dû s’affilier à une centrale syndicale, afin de conserver sa représentativité,
engageant sans doute une transformation particulière, l’UNAC s’est lié à la CGC et le SNPNC à FO. Le SNPL a su
par contre rester représentatif sans passer par une telle affiliation. Ce sujet ne sera pas traité ici.
1
Défense catégorielle et représentation catégorielle sont restées en toutes circonstances intimement
liées. Le rôle de sécurité des personnels navigants commerciaux (PNC)3 a été au centre de la
construction de ce groupe professionnel, rôle contesté sans cesse par des directions de compagnies
aériennes pour qui l’argument économique, le moindre coût d’un simple personnel uniquement
dédié au service à bord, prédomine sur un rôle de sécurité que l’on pourrait considérée acquise
aujourd’hui.
C’est pour s’inscrire dans la dynamique du rapport de force construit par les personnels navigants
techniques (PNT) dans la défense de leur métier, que les PNC ont toujours tourné leur regard vers ce
groupe des pilotes. Pourtant ce rapport n’est pas sans contradictions, le transport aérien repose en
effet sur une séparation des rôles dans l’avion, entre ceux qui pilotent, les personnels navigants
techniques (PNT), et ceux qui gèrent le service commercial et la sécurité des passagers à bord, le
personnel navigant commercial (PNC). Cette coupure se prolonge par une inégalité attachant des
valeurs symboliques différentes et hiérarchisées aux tâches effectuées.4
L’histoire du syndicalisme catégoriel des PNC est donc l’histoire de cette relation entre deux groupes
professionnels et deux types de construction. Pour saisir comment ce groupe des personnels
navigants commerciaux s’est construit historiquement en cherchant à lier son sort à celui des
personnels navigants techniques, il faut comprendre les ressors de ce syndicalisme des pilotes. La
reconnaissance du rôle de sécurité des PNC s’opère ainsi à travers l’institutionnalisation d’une
« licence ». Notre troisième partie sera consacrée aux plus récentes évolutions européennes, et à la
promotion d’une « licence européenne ».
Les pilotes de ligne, une semi-profession
Dans la représentation commune du transport aérien, les pilotes assument la part la plus importante
de la responsabilité de la sécurité. Ils reçoivent la mission d’amener à bon port des avions de plus en
plus gros, portant de plus en plus de passagers, tout en respectant les routes et horaires définis. La
reconnaissance sociale de cette responsabilité est complétée par la domination du système
technique qui « contribue à estampiller et à distribuer les formes d'intelligence socialement
acceptables et socialement acceptées. 5 » C’est par cette double légitimation qu’ils reçoivent le
pouvoir absolu dans l’absolu, devenant « seul maître à bord après Dieu » suivant l’expression
consacrée dans la marine et à laquelle le transport aérien a tant emprunté. Dans le modèle actuel, le
risque aérien est conjuré par la technique, le pilote devenant « chef de mission » et responsable
d’une équipe technique et commerciale. Ceci n’empêche pas les compagnies aériennes d’emprunter
à ce registre de la direction autoritaire comme modèle de relation sociale dans l’ensemble de la
compagnie.6
Car ce groupe des pilotes, loin de gérer son vol seul dans le ciel dans une relation directe avec l’avion
– système et la confrontation avec la nature, inscrit simultanément son action dans une configuration
3
L’appellation de Personnel navigant commercial est portée par la profession comme marqueur pour se
détacher des rôles stéréotypés d’hôtesses de l’air ou de steward. Les pilotes deviennent alors des personnels
navigants techniques (PNT), deuxième volet du groupe des « personnels navigants » ainsi constitué.
4
D. Kergoat, Ainsi soient-elles, la Dispute 2006.
5
J-M. Vincent, « La légende du travail », in La liberté du travail, P. COURS-SALIES (Coord.), Syllepse, 1995 p 71
- 82.
6
L-M. Barnier & P. Rozenblatt, Ceux qui croyaient au ciel, Enjeux et conflits à Air France, Syllepse 1997.
2
professionnelle. Cette configuration, - cette « figure globale toujours changeante » incluant suivant
Norbert Elias7 l’intellect des participants, mais aussi toute leur personne, leurs actions et leurs
relations réciproques – oblige à prendre en compte non seulement la représentation sociale d’une
activité, mais l’intégration de cette représentation dans l’écheveau des relations sociales au sein du
transport aérien. La relation tissée entre le groupe professionnel des PNT et la direction d’une
compagnie aérienne peut varier suivant les pays et les périodes. Elle est marquée par delà ces
différences par une particularité : la reconnaissance, autant par les compagnies aériennes que par
l’Etat, du rôle particulier de ce groupe professionnel au point de lui donner un statut équivalent à
une semi-profession. En effet les éléments relevés par l’analyse traditionnelle des professions8 se
remarquent ici : monopole d’une activité systématisée par la nécessaire possession des certificats
aéronautiques pour exercer le métier de pilote ; barrière à l’entrée très importante liée au mur de la
connaissance technique qui sépare le pilote des autres groupes professionnels ; justification de cette
barrière par le rôle social irremplaçable du pilote menant à terme sa mission de sécurité vis à vis de
ses passagers ; contrôle de son aptitude uniquement par ses pairs. « Le travail rhétorique de tout
groupement à vocation professionnelle repose sur trois prémisses, les valeurs de besoin, de science et
de compétence.9 » Enfin, dernier élément dont Jean-Michel Chapoulie note la dimension
fondamentale pour les sociologues américains, et qui distingue les professions des métiers ouvriers,
l’appartenance aux couches sociales supérieures de la société, notamment par le salaire, comme
nous le verrons.
Notons ici une autre particularité, le rôle de l’Etat dans la construction de cette catégorie en semiprofession. Son intervention constante dans la définition des formations, des diplômes, des temps de
vol, son tôle d’interlocuteur entre compagnies aériennes et constructeurs aéronautiques trouve son
prolongement dans la construction actuelle d’une Agence européenne de la Sécurité Aérienne, où
l’Europe remplacerait l’Etat national précédent.
Quelle que soit la capacité de la compagnie aérienne à encadrer les choix des pilotes par l’édiction de
normes toujours plus nombreuses, subsiste toujours la question de l’autonomie de l’avion en vol et
de son équipage, « un contrepouvoir face à la volonté impérialiste de l’organisation.10 » C’est cette
autonomie que les directions de compagnies doivent conjurer par une alliance. Car l’activité de pilote
s’exerce en tant que salarié d’une compagnie aérienne, qui garde la responsabilité fondamentale du
vol et est titulaire des droits de trafic et du certificat de navigabilité de l’avion. La reconnaissance
salariale à un niveau élevé – pendant longtemps les meilleurs salaires d’Air France étaient ceux de
commandants de bord – crée les conditions d’une proximité sociale. Les pilotes mettent aussi en
avant la gestion commune entre l’Etat, les compagnies aériennes et les pilotes, des impératifs de la
ligne.11 Les directions des compagnies intègrent ce groupe dans la gestion quotidienne de la
compagnie et des nombreux aléas qui surviennent. Cette alliance trouve sa consistance dans ses
7
N. Elias, Qu'est-ce que la sociologie ? , Agora, 1993, p 157.
J-M. Chapoulie, « Sur l’analyse sociologique des groupes professionnels », Revue française de sociologie , XIV,
1973, p 86 – 114
9
C. Paradeise , « Rhétorique professionnelle et expertise », Sociologie du Travail N°1-185, 1985, p 17-31.
10
M. Jouanneaux, Le pilote est toujours devant, reconnaissance de l'activité du pilote de ligne, Octarès, 1999, p
303.
11
C’est cet argument qui met en avant en 1946 le SNOAM (Syndicat National des Officiers de la Marine
Marchande), ancêtre du SNPL, pour justifier leur scission du syndicat CGT alors unique. La Fédération des
Officiers de la Marine Marchande fera un choix inverse.
8
3
particularités par rapport aux autres catégories de personnels, notamment au sol : les pilotes ont
historiquement pris position en soutien à la direction d’Air France, sauf en de rares occasions.
La construction d’un syndicat unique participe de cette alliance. Il repose sur la reconnaissance de
son rôle dans l’avion bien plus que sur sa technicité. Il assume le dépassement des contradictions
internes du groupe social. C’est ainsi qu’au nom d’une évaluation du travail impossible 12, et d’une
compétition interne au groupe contradictoire avec le pilotage d’avions de ligne, la profession met en
avant la liste de séniorité comme mode d’évolution de carrière. Cette liste est cogérée entre la
compagnie et le syndicat représentant la profession. Les origines sociales différenciées, les histoires
et identités différentes suivant les compagnies aériennes, l’approche différente des nouvelles
relations humaines moins hiérarchiques dans le cockpit, tout comme l’arrivée progressive de femmes
s’opposant à l’amitié virile du cockpit13, sont autant de facteurs de différenciation gommés par le
syndicalisme unique et la construction sociale d’une semi-profession homogène. La reconnaissance
par l’Etat complète cette construction comme profession.
C’est sur ce modèle social et professionnel que cherche à se construire le groupe des PNC.
Le Certificat Sécurité Sauvetage vecteur de construction du groupe des PNC.
Ce détour par l’analyse de la construction du groupe des PNT permet de comprendre les mécanismes
mis en place par les PNC pour leur propre reconnaissance. Arrivés plus tardivement dans la
configuration sociale du transport aérien (les premiers personnels complémentaires de bord sont
présents dès les années 1930, mais le véritable essor de ce métier survient après 1945), les hôtesses
de l’air et stewards se sont attachés à construire leur domaine spécifique de reconnaissance : la
sécurité des passagers dans la cabine durant le vol. Cette tache, sans cesse renouvelée, est liée à une
connaissance aussi bien des gestes qui sauvent que des procédures d’évacuation des passagers :
évacuer d’un avion en flamme les 300 ou 500 passagers en quelques minutes ne s’improvise pas et
justifie les centaines d’heures de formation.14
Ce travail de valorisation s’est construit, dès l’origine, pour prendre la suprématie sur une autre
lecture du métier : l’hôtesse de l’air comme image de représentation glamour du voyage aérien
appuyée sur une image tout aussi stéréotypée de l’hôtesse de l’air.15 La guerre commerciale qui a
accompagné l’expansion du transport aérien après la seconde guerre mondiale s’est largement
appuyée sur le voyage, associant confort et plaisir des sens à l’imaginaire du voyage. La cabine de
l’avion se transformait en antichambre du rêve. Objet de phantasmes, l’hôtesse de l’air en faisait son
habitat, y recevant ses hôtes. Les images publicitaires ne cessent encore aujourd’hui de vanter les
charmes de l’accueil d’une compagnie aérienne à travers l’élégance de l’hôtesse de l’air. Toutes les
avancées en termes d’égalité des sexes s’effondrent dans des campagnes publicitaires qui
perpétuent les images d’Epinal de l’hôtesse de l’air jeune et disponible.
12
Sauf les erreurs manifestes qui sont alors gérées par une commission disciplinaire paritaire au niveau du
ministère des transports.
13
A.J. Mills, “Cockpit, hangars, boys and galleys : corporate masculinities and the development of British
Airways”, Gender, work and organisation, vol. 5 N°3, 1998, p 172 - 188.
14
L-M. Barnier, « Personnel navigant commercial, d’un savoir intuitif à un savoir d’expertise », Formation Emploi, numéro spécial Activités de travail et dynamique des compétences, N° 2, 1999, p 25-46.
15
T. Baum, “Working the skies, Changing representations of gendered work in the airline industry, 1930 –
2011”, Tourism management (33), 2012, p. 1185 – 1194.
4
La difficulté a été d’autant plus grande que le métier s’est construit en symétrie avec celui des PNT :
dans le cockpit, l’homme (le métier ne s’est ouvert aux femmes que dans les années 1980, et il y a
6.8 % de femmes à Air France en 2010) dirige la machine, il assume son rôle de commandant à partir
de son autorité. Dans la cabine, la femme (elles représentent les deux tiers des PNC) accueille les
passagers comme une hôtesse le ferait chez elle. L’endogamie entre pilotes masculins et hôtesses
féminines renforce cette division traditionnelle des rôles.
Construire le métier de PNC autour de son rôle de sécurité a donc représenté une lutte historique de
ce groupe professionnel. Deux figures mythiques se croisent à l’aube du transport aérien de
passagers, celle de l’IPSA (Infirmières, pilotes et secouristes de l’air) qui soigne les blessés sur les
zones de guerre, formée notamment par la Croix Rouge, et celle du commissaire de bord des
compagnies transatlantiques, formées dans de grandes écoles hôtelières. Les deux figures vont
cohabiter dans la cabine jusqu’en 1954, où un Certificat commun, le Certificat Sécurité Sauvetage
(CSS), crée le métier. Il devient alors obligatoire de détenir ce certificat pour assurer le métier de
PNC. Ce certificat (ou la certification de formation aujourd’hui) s’obtient par une formation validée
de 5 semaines actuellement.
C’est par assimilation avec le groupe déjà constitué des pilotes que se construit le groupe des PNC. Il
en acquiert les caractéristiques principales : la délimitation d’une activité (le service en cabine), la
désignation d’un savoir particulier (la sécurité en cabine) et la justification sociale qui lui est liée, un
syndicat unique représentant par delà les appartenances aériennes toute la profession, et une
cogestion des relations sociales entre direction et syndicats (pendant longtemps, les salariés ont reçu
davantage d’informations à travers les courriers syndicaux que par leur hiérarchie directe à peine
entraperçue de temps en temps). L’Etat lui-même s’est posé en interlocuteur de ce syndicat unique
en acceptant d’officialiser la possession de ce certificat, appelé ici « licence » par la volonté
d’assimilation aux licences de vol des PNT.
Ce groupe n’a jamais pourtant su tisser des liens aussi forts avec les directions des compagnies
aériennes que les pilotes. Loin de se poser en alliance, c’est en termes extrêmement conflictuels que
se structurent ces relations. La déréglementation des années 1970 aux Etats-Unis s’est traduite par
une dégradation de la condition salariale des PNC, à qui les compagnies ont imposé une nouvelle
échelle de salaire (la « B-Scale ») pour tous les nouveaux embauchés. Cette offensive s’est étendue à
l’Europe, à l’occasion des processus d’ouverture croissante du transport aérien à la concurrence. En
France, c’est en 1997 que le « B-Scale » s’impose, dans une forme atténuée par rapport aux EtatsUnis. La profession ne l’a jamais acceptée, au point d’engager de nombreux autres conflits par la
suite, notamment celui de 2007.16
Ainsi, si la stratégie de lier la reconnaissance du statut de PNC à l’alliance entre pilotes et compagnies
a fonctionné pendant des décennies, elle n’a pu résister aux assauts de la déréglementation. La
défense du CSS a représenté une ligne de défense bien plus solide, notamment grâce à la
reconnaissance européenne qu’elle a acquise.
La licence européenne ou le renouveau du syndicalisme catégoriel
16
L-M. Barnier & M. Bensoussan, Négocier la pénibilité ? Conditions de travail et reconnaissance chez les
hôtesses de l’air et stewards, Revue Travailler, N°24, 2010, p 125-153.
5
On l’a vu, c’est à travers l’institution du Certificat Sécurité Sauvetage, intitulé usuellement (et
abusivement ?) « Licence », que le groupe professionnel obtient en 1954 sa reconnaissance. C’est à
nouveau à travers la défense de la « licence européenne » qu’en 2006, les syndicats catégoriels
européens des PNC élaborent uns stratégie commune pour défendre leur métier. Les syndicats
français PNC, bien que de plus en plus divisés, s’inscrivent complètement dans ce projet. Les années
précédentes ont vu en effet le syndicat de référence SNPNC éclater peu à peu. Le regroupement des
grandes compagnies aériennes françaises sous le même pavillon a mis en évidence l’absence d’unité
entre les différentes sections du syndicat encore hégémonique. L’irruption dans le champ des PNC
des syndicats confédérés a accru encore cet éclatement.
C’est pourtant d’une voix unie que les syndicats français interviennent pour étendre à l’Europe la
forme française de reconnaissance de leur rôle de sécurité. Sous la poussée normative et libérale de
la Commission européenne visant à créer un marché de l’emploi européen, le Certificat européen de
Formation à la Sécurité prend ainsi le relai du CSS français. Les débats sont âpres, dans les
commissions de préparation du texte européen comme ensuite dans l’hémicycle européen. La
reconnaissance de ce rôle des PNC demeure un clivage non dépassé : « Nous n’avons pas pu nous
mettre d’accord sur des règles plus étendues concernant la certification de l’équipage de cabine », dit
en assemblée plénière le rapporteur de la commission Jörg Leichtfried (13 mars 2007). Car les
syndicats français ont réussi à promouvoir leur combat jusqu’à cette commission, comme le montre
cette remarque du rapport : « Il est propose que les membres de l’équipage de cabine soient en
possession d'une attestation et d'un certificat médical approprie. Dans ce cas également, les normes
à appliquer pour la mise en œuvre du présent article doivent être adoptées par le biais de la même
procédure de comité que celle régissant la licence des pilotes et refléter les avancées actuelles et les
meilleures pratiques du secteur.17 »
La faiblesse de la position syndicale européenne explique aussi ces atermoiements. Comme le
montre une étude de l’ETF18, un ensemble de pays, notamment la Grande Bretagne et l’Allemagne,
ne reconnaissent ce rôle de sécurité qu’à travers une « attestation de formation ». Les syndicats de
ces pays, tout aussi catégoriels que les syndicats français, ne s’investissent pas dans ce dossier porté
clairement par le SNPNC français qui dirige alors l’ETF. Cette division peut expliquer l’absence de
consultation par la Commission européenne de cette branche syndicale professionnelle,
contrairement par exemple aux contrôleurs aériens dont la combativité et l’unité européenne
conduisirent à la prise en compte de leurs demandes.
La forme actuelle de certification des PNC, la « Cabin Crew Attestation », une attestation de
formation qui remplace depuis avril 2013 le Certificat de Formation à la Sécurité (qui lui-même avait
succédé au Certificat Sécurité Sauvetage français en 2006), s’inscrit dans cette lignée anglo-saxonne :
une attestation de formation, soumise à revalidation périodique, dont le bénéfice peut être retiré à
tout moment au salarié par la compagnie (qui agit par délégation ministérielle, en France de la DGAC,
17
Parlement européen, RAPPORT sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil
modifiant le règlement (CE) n° 1592/2002 du 15 juillet 2002 concernant des règles communes dans le domaine
de l'aviation civile et instituant une Agence européenne de la sécurité aérienne (COM(2005)0579 – C60403/2006 – 2005/0228(COD)), Commission des transports et du tourisme, Rapporteur: Jorg Leichtfried.
18
ETF, Enquête sur la portée et le contenu des règles juridiques en vigueur régissant la qualification des
équipages de cabine, le recrutement et la formation professionnelle dans les 25 membres de l'Union
européenne, mars 2007.
6
en cas de faute du salarié par exemple. La licence appartient en propre à l’individu, elle ne peut être
retirée qu’en cas de faute lourde ou pour raison médicale (« perte de licence »). Elle relève donc d’un
statut lié à la personne. L’attestation de formation, paradoxalement par rapport à son nom, inscrit
davantage la reconnaissance de formation dans un cadre hiérarchique.
Le discours gouvernemental19 rassurant sur les changements de titre (licence puis certificat puis
attestation, tout ça en quelques années), augmente cette impression de flou dans le débat. La
centralité de la confrontation autour du temps de travail des PNC polarise les énergies militantes
bien plus qu’un débat européen qui apparaît abstrait pour beaucoup. Les conflits autour du temps de
travail relève pourtant d’un débat identique : les PNC ont-il un rôle de sécurité, impliquant de
prendre en compte leur capacité à tout moment de remplir ces tâches de sécurité, ou bien la seule
limite du temps de travail repose-t-elle sur l’aptitude physique à assurer le bien être des passagers ?
Conclusion
Contrairement au syndicalisme corporatiste des Pilotes, qui n’hésite pas occasionnellement à
opposer ses intérêts à ceux des autres salariés dans des compromis passés avec l’entreprise en
réaffirmant la priorité donné à une alliance avec les directions des compagnies aériennes (on pense
ici à l’inversion des flux20, qui conduit le Comité Central d’Entreprise d’Air France à une situation de
faillite dans la gestion de ses œuvres sociales et culturelles, ou bien à l’accord garantissant une
application atténuée de la loi sur le droit de grève et validant ainsi le projet de loi début 2013), les
syndicats PNC se sont inscrits de longue date dans une défense catégorielle de leur groupe sur la
base de la reconnaissance de leur rôle de sécurité. Cette stratégie a permis de dépasser les
contradictions internes générées par des histoires et parcours générationnels très différents.
Le changement de composition sociale de cette catégorie particulière, à l’occasion de la
déréglementation aérienne initiée depuis les années 1990 en France, renforce la banalisation d’un
métier auparavant mythique et ouvre la voie à de nouvelles relations avec les agents du sol. Les PNC
rejoignent ainsi d’autres catégories professionnelles du transport aérien, voire tout intervenant sur
l’aéroport qui participe au travail collectif comme maillon de la chaîne de sécurité.21 La confrontation
avec l’Etat, seul habilité à reconnaitre ce rôle de sécurité comme supérieur aux intérêts privés des
compagnies aériennes, redonne pourtant un rôle particulier à un syndicalisme catégoriel qui se pose
davantage en interlocuteur de l’Etat que des directions d’entreprise.
Le syndicalisme catégoriel tel que le vivent les syndicats PNC participe de la construction d’un groupe
professionnel, il est pleinement l’expression de la dimension collective du travail, ici de la
reconnaissance mutuelle du rôle de chacun. Ce syndicalisme s’inscrit dans les logiques
professionnelles du syndicalisme confédéré, mettant en avant la reconnaissance professionnelle à
19
« Sur le fond, ce nouveau titre ne diffère pas beaucoup du certificat de formation à la sécurité (CFS) actuel »,
http://www.developpement-durable.gouv.fr/L-attestation-de-membre-d-equipage.html consulté le 22 mai
2013.
20
Cette inversion des flux est aussi réclamée par les deux syndicats du PNC, le SNPNC et l’UNAC, à contresens
de l’évolution historique mais marquant là encore la volonté d’accompagner les PNT dans leurs démarches.
21
L-M. Barnier, Travail invisible, pouvoir symbolique en zone aéroportuaire. Colloque « Processus
d’’invisibilisation’ et de reconnaissance dans le travail », Évry 5 et 6 décembre 2012. Disponible sur
http://lmbarnier.free.fr
7
partir de la « concordance entre aspirations corporatives et propositions syndicales »22 comme le note
Mathieu Bensoussan à propos des PNC. Encore faut-il se dégager des illusions d’une association avec
les pilotes de ligne qui se ferait au détriment d’une compréhension plus large des mécanismes de
relations professionnelles au sein du transport aérien.
22
M. Bensoussan, L’engagement des cadres, pratiques collectives et offres de représentation, l’Harmattan 2013
p 174.
8