La différenciation en mathématiques au secondaire, est-ce

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La différenciation en mathématiques au secondaire, est-ce
La différenciation en mathématiques au
secondaire, est-ce possible?
Lorraine Groulx, Conseillère pédagogique en numératie. Présidente de l’Association des matheuses et des matheux
de l’Est de l’Ontario (AMEO)
[email protected]
Tout d’abord, une question s’impose : que devront savoir
nos élèves dans 10, 20 ou même 30 ans? On doit les
former à des emplois qui n’existent peut-être pas encore.
On n’a qu’à penser au BlackBerry qui a fait son arrivée en
1997, à l’Ipod qui n’existe que depuis l’an 2000, à Google
qui n’est apparu qu’à l’automne 1998! En Chine, en ce
moment, tout change à une vitesse époustouflante. On
rase et reconstruit un quartier en quelques mois.
Les écoles sont comme des aéroports, des gares, des ports
de mer…
Les élèves, nos passagers, arrivent d’un peu partout
avec leurs propres bagages. Ils repartiront en suivant un
itinéraire de voyage adapté à leurs besoins1. « Nous savons
tous qu’une classe « normale » est une utopie; quand on
donne une explication magistrale, la moitié des élèves
écoutent, les autres […] font semblant, etc. Pourquoi?
Parce que celle-ci n’est pas différenciée. »2
Peu importe le campus, il faut soutenir le succès progressif
de TOUS nos élèves. Il faut enseigner là où ils sont prêts à
apprendre, adapter notre enseignement là où les élèves se
situent et NON en fonction du curriculum car c’est l’élève
qui compte et non le curriculum.
La pédagogie différenciée
La pédagogie différenciée n’est ni une stratégie, ni un
modèle d’enseignement. C’est une réponse du personnel
enseignant aux besoins de l’apprenant et de l’apprenante.
C’est une façon de considérer l’enseignement et
l’apprentissage qui préconise de commencer à enseigner
au niveau où les élèves se trouvent, plutôt qu’en suivant
un plan d’actions imposées qui met de côté le niveau de
rendement des élèves.3
D’après les postulats de Burns, il n’y a pas deux apprenantes
ou apprenants qui progressent à la même vitesse, qui
soient prêtes ou prêts à apprendre en même temps, qui
utilisent les mêmes techniques d’étude, qui résolvent les
problèmes exactement de la même manière, qui possèdent
le même répertoire de comportements, qui possèdent le
même profil d’intérêt ou qui soient motivés pour atteindre
les mêmes buts. Les enseignantes et les enseignants aussi
sont différents. Ils ont des valeurs différentes, des cultures
différentes, des styles de leadership différents et une
pédagogie différente.
Les Intelligences multiples
J’ai animé une session au colloque du GRMS en mai
2008 et je voulais tout d’abord connaître l’intelligence
prédominante des personnes participantes, car le but
de l’atelier était en premier lieu, de leur faire prendre
conscience de la difficulté à accomplir une tâche, qui ne
respecte pas notre zone proximale de développement.
Après avoir répondu à un petit questionnaire sur les
intelligences multiples, les gens ont été regroupés selon
leur intelligence la plus faible. Chaque équipe a lu
un court texte sur la différenciation des contenus, des
processus ou des productions. Les contenus étant les
connaissances et les habiletés que l’élève doit maîtriser
pour satisfaire aux attentes du curriculum, les processus
touchant les façons dont l’élève s’approprie l’information
et finalement, les productions qui sont des véhicules par
lesquels les élèves peuvent démontrer et mettre en valeur
leurs apprentissages.
Chaque équipe devait faire un résumé pour le groupe. La
première équipe devait écrire un poème qui expliquerait ce
qu’elle avait compris de la différenciation du contenu; la
2e équipe inventait une chanson qu’elle interpréterait pour
Traduction libre de Carol Ann Tomlinson, Fulfilling the Promise of the Differentiated Classroom, p.1
Godeliève De Koninck, Faire de la différenciation. Pourquoi, comment et quand?, p.70
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Carol Ann Tomlinson, La classe différenciée, p.154
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expliquer leur compréhension de la différenciation des
processus et la 3e équipe créait un dessin, qui démontrerait
leur compréhension de la différenciation des produits. Ce
fut intéressant de voir à quel point certains adultes peuvent
être déstabilisés quand ils n’ont pas de choix, quand ils se
voient imposer une méthode de travail contraire à leur style
d’apprentissage. La zone proximale de développement de
Vigotsky n’étant pas respectée, certains groupes n’ont pas
voulu relever le défi. Le but de l’atelier était alors atteint,
car la prise de conscience avait eu lieu.
connaître les connaissances antérieures de nos élèves et
les connaissances essentielles, propres à chaque leçon.
Quoi différencier?
Alors, en mathématiques, peut-on différencier notre
enseignement?
Quel matériel didactique permettra le développement et
l’assimilation des connaissances ciblées? L’utilisation du
matériel de manipulation permet de rejoindre les visuels,
les kinesthésiques et les auditifs. Les jeunes manipulent le
matériel, discutent de la méthode à utiliser et des résultats
obtenus. Ils participent activement à leurs apprentissages.
Toute une gamme de matériel de manipulation est à la
disposition du personnel enseignant. Les jetons bicolores
permettent de comprendre les opérations sur les entiers
et la signification de l’élément nul. Les tuiles algébriques
aident à la visualisation des opérations algébriques; les
élèves s’aperçoivent, par exemple, que la multiplication
peut toujours être représentée par un rectangle. L’entraîneur
trigonométrique4 est fort utile pour faire le lien entre
le sinus, le cosinus, la tangente, le triangle rectangle et
le cercle trigonométrique. On utilise, par exemple, le
pente-o-mètre5 pour mesurer l’inclinaison d’une droite,
le Tangram pour la résolution de problèmes et la révision
du théorème de Pythagore, les cubes emboîtables pour
analyser les caractéristiques des formes géométriques,
ainsi que les solides platoniques pour les constructions
en 3D.
Tout d’abord, nous voulons choisir des stratégies
d’enseignement qui vont faciliter la réussite de tous nos
élèves, car au plus profond d’eux-mêmes, ils veulent tous
réussir. Il faudrait noter que les élèves qui réussissent
toujours ce qu’ils font sont optimistes, confiants de vivre
d’autres réussites, recherchent de nouvelles idées et font
preuve d’initiative. Les histoires à succès signifient des
élèves à succès. Ce sont les gagnants de nos écoles. Les
élèves qui vivent des échecs n’ont plus espoir de réussir
malgré les efforts déployés. Ils sont meurtris, ne se
sentent pas en sécurité. Ils recherchent ce qui est facile et
abandonnent facilement. Les échecs successifs font des
élèves désespérés. Ce que l’on veut, c’est le succès pour
tous, afin d’avoir des élèves épanouis. Il faut également
Le contenu peut être également plus facilement compris,
visualisé et assimilé grâce aux logiciels de géométrie
dynamique. Que ce soit le logiciel Cybergéomètre6,
GeoGebra7, la calculatrice à affichage graphique TInspire8 ou une animation du Notebook9 (Smart Board),
on peut, avec le clic de la souris, changer les paramètres
d’une équation, provoquer la réflexion sur les changements
produits, faire le lien entre l’équation, le tableau de valeurs
et la représentation graphique. On peut, en un instant,
répondre à la question « Que se passerait-il si je modifiais
telle donnée du problème? » Les réponses sont là au bout
des doigts. On peut formuler des hypothèses, en faire
l’exploration, puis en tirer une conclusion, tout cela afin
que l’élève exerce une pensée critique.
La recherche mentionne que les stratégies d’enseignement utilisées respectent trop souvent certains styles
d’apprentissage et ont tendance à en oublier plusieurs. Il
suffit de s’imaginer si jour après jour, on nous demandait de
composer une chanson ou d’écrire un poème pour expliquer
notre compréhension et démontrer notre apprentissage,
certains logico-mathématiciens se décourageraient et
démissionneraient! Il faut alors penser à ce que nos élèves
ressentent quand ils éprouvent de la difficulté à trouver
les mots justes ou à démontrer de façon rationnelle leurs
apprentissages. Je tiens à féliciter le groupe qui a relevé
le défi et qui a présenté le poème. Quelle fierté ressentie à
dépasser nos propres limites!
Traduction libre de Trig-Trainer de http://www.classicalconversationsbooks.com/trandte.html
Traduction libre de slope-o-meter de Roads and Ramps –NCTM 2007
6
Guide d’utilisation : http://www.cecwest.yrdsb.edu.on.ca/docs/software/guides/CYBERWIN.PDF
7
http://www.geogebra.org/cms/index.php?lang=fr
8
http://education.ti.com/educationportal/sites/FRANCE/productCategory/fr_nspire.html
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http://education.smarttech.com/ste/en-us/Ed+Resource/Lesson+activities/Notebook+activities/
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On peut également se servir des logiciels de cartes
conceptuelles comme Smart Ideas10 ou Inspiration11.
Cela permet à l’apprenant et à l’apprenante d’organiser
et de représenter ses connaissances sous forme d’organigrammes et de faire les liens entre les différentes notions.
Les jeunes peuvent faire preuve de créativité en choisissant
les formes, les couleurs et les connecteurs de leur choix. Le
personnel enseignant peut se rendre compte si leurs élèves
ont bien saisi ce qui a été enseigné et s’ils ont réussi à
faire les liens entre les différentes notions mathématiques.
Ces cartes peuvent devenir des référentiels visuels pour
la classe.
Comment différencier?
Comment est-ce que les jeunes saisissent l’information et
viennent à tout maîtriser? Les processus touchent à la fois
l’apprentissage et l’enseignement. Le personnel enseignant
prévoit différentes interventions pour accompagner et
guider les élèves dans leur développement optimal. Pour
l’élève, c’est le chemin parcouru, ses opérations mentales,
toutes les ressources internes et externes qu’il met à profit
pour parfaire son apprentissage. On doit donner du sens à
l’information, aux idées, faire des mises en situation, faire
le lien avec leur vécu et le monde dans lequel ils vivent.
Les activités de groupe, les discussions entre pairs offrent
des points d’entrée reflétant la préparation des élèves.
On peut varier les consignes, offrir plus ou moins d’aide
pendant la réalisation de la tâche, plus ou moins d’outils
selon la préparation de l’élève.
Les enseignants peuvent se demander alors par où
commencer. On peut débuter par une activité à échelons. Il
suffit d’adapter une activité « gagnante » qui a été utilisée
avec succès auparavant. Il faut échelonner les attentes tout
en se posant des questions telles que :
o La tâche sera-t-elle assez complexe pour maintenir
l’intérêt des élèves avancés?
o Les élèves qui accusent un retard considérable
pourront-ils compléter la tâche?
o Ai-je à développer des outils qui me permettront de
soutenir un étayage adéquat?
Prenons, par exemple, l’enseignement de la pente. Il faut
faire prendre conscience aux élèves que l’on peut en voir
partout! On parle de la pente des toits, de l’inclinaison des
routes, des rampes pour les planches à roulettes ou pour
les planches à neige, etc. On peut analyser la pente comme
rapport, angle d’inclinaison, pourcentage, tangente et/ou
coefficient d’une variable dans une équation. À partir
de la mise en situation, il faut s’assurer que les élèves
soient capables de mesurer des angles et connaissent les
propriétés des triangles rectangles. On commence par
se servir d’un « pente-o-mètre » et on fait mesurer les
angles d’inclinaison placés un peu partout dans la classe.
Cela peut être des lignes tracées au tableau, la pente d’un
cartable de 3 ou 4 pouces, la pente d’une rampe dans
l’école, celle d’une règle inclinée, etc. Puis, on introduit la
pente d’un escalier et on parle du déplacement horizontal
et vertical de chaque marche. Faire remarquer que peu
importe le nombre de marches, l’angle est le même, la
pente également et le rapport entre les deux côtés de la
marche. On leur fait construire une mini-rampe, une route,
un toit… selon leurs intérêts. Puis, on se sert d’un logiciel
de géomètre dynamique et on introduit le changement
des abscisses et celui des ordonnées. Des sites Internet
peuvent être suggérés pour approfondir les notions du plan
cartésien. De là, on introduit le programme promenade
de la calculatrice à affichage graphique. On crée les liens
entre l’équation, le rapport, l’angle. L’élève part de ses
acquis et se familiarise avec les différentes représentations
de la pente afin de mieux comprendre la pertinence de
ce concept, car le lien avec le monde qui l’entoure, a été
fait. Les manipulations algébriques suivront et viendront
s’appuyer sur des assises solides.
Les productions
La production devrait être le véhicule par excellence
choisi par l’apprenant et l’apprenante pour démontrer
les compétences acquises. Il faut utiliser une variété de
stratégies d’évaluation car l’élève doit être capable de
démontrer qu’il a les compétences d’utiliser l’information
et les habiletés apprises. L’élève devrait pouvoir répondre
à cette question « Quelle est l’évaluation que je ne
veux absolument pas manquer? », puis dire : « Enfin,
je pourrai montrer ce dont je suis capable! » Varier les
http://downloads.smarttech.com/media/products/si/brochures/pdf/frenchFR/si_brochure2.pdf
http://inspiration.demarque.com/applicationWeb/pages/publique/produits/index.php
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productions selon les intelligences multiples et en regard
des repères culturels. Voici quelques suggestions : l’élève
interviewe un architecte, un menuisier, etc. puis fait
une présentation orale démontrant l’utilité de ce qu’il a
appris en mathématiques et la profession, il ou elle fait
une présentation vidéo, une démonstration, une maquette,
monte un portfolio, construit des repères visuels... Il suffit
d’offrir des choix aux élèves!
La différenciation en mathématiques, pourquoi?
On différencie en mathématiques pour susciter un intérêt
accru de la part des élèves, pour permettre l’intégration
des concepts, pour créer des liens avec les autres
disciplines, pour utiliser des modèles mathématiques,
etc. Il faut éviter l’ennui, la mémorisation de formules,
la présentation d’exemples simplistes et la démonstration
des mathématiques comme discipline abstraite. La
différenciation est une manière organisée, souple et
dynamique d’ajuster l’enseignement et l’apprentissage
de manière à atteindre les élèves à leur niveau et leur
permettre, en tant qu’apprenantes et apprenants, de
progresser au maximum. Différencier pour simplement
faire apprendre!
Bibliographie
CAMPBELL, Bruce, Les intelligences multiples,
Montréal, Chenelière Éducation, 1999, 168p.
CAMPBELL, Bruce, Les intelligences multiples au cœur
de l’enseignement et de l’apprentissage, Montréal,
Chenelière Éducation, 2005, 378 p.
CARON, Jacqueline, Apprivoiser les différences, Guide
sur la différenciation des apprentissages et la
gestion des cycles, Montréal, Chenelière Éducation,
2008, 358 p.
CARON, Jacqueline, Différencier au quotidien Cadre
d’expérimentation avec points de repère et
outils-support, Montréal, Chenelière Éducation,
2008, 358 p.
DE KONINCK, Godeliève, « Faire de la différenciation.
Pourquoi, comment et quand? », Québec français,
NO 142, été 2006, p.70-72
MCGRATH, Helen et Toni NOBLE, Huit façons
d’enseigner d’apprendre et d’évaluer, 200
stratégies utilisant les niveaux taxonomiques
des intelligences multiples, Montréal, Chenelière
Éducation, 2007, 312 p.
Ministère de l’Éducation, Le curriculum de l’Ontario,
9e et 10e année, Les Mathématiques, Toronto,
2005, 64 p.
MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, Le curriculum de
l’Ontario, 11e et 12e année, Les Mathématiques,
Toronto, 2007, 152 p.
Roads and Ramps, Glencoe Mathematics, MathScape
– www.mathscape3.com - NCTM 2007
http://www2.edc.org/mathscape/8th/rar.asp
SOLUTION TREE, Assessment Summit : Ahead of the
Curve, Toronto, 7, 8 et 9 avril, 2008
TOMLINSON, Carol Ann, La Classe Différenciée :
Répondre aux besoins de tous les élèves, Montréal,
Chenelière/McGraw-Hill, 2003, 144 p.
TOMLINSON, Carol Ann et Cindy A. STRICKLAND,
Differentiation in Practice : A Resource Guide for
Differentiating Curriculum, Grades 9-12, ASCD,
2005, 369 p.
TOMLINSON, Carol Ann, Fulfilling the Promise of the
Differentiated Classroom, Strategies and Tools for
Responsive Teaching, ASCD, 2003, 165p.
36e SESSION DE PERFECTIONNEMENT :
La mathématique, un parcours de choix
Cégep de Granby Haute-Yamaska, Granby du 26 mai au 29 mai 2009
Visitez le site du GRMS pour plus de détails :
www.grms.qc.ca
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