etude de trajectoires lyceennes - Université de Reims Champagne
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etude de trajectoires lyceennes - Université de Reims Champagne
I.U.F.M. Champagne-Ardenne Académie de Reims Groupe de formation par la recherche ETUDE DE TRAJECTOIRES LYCEENNES RAPPORT FINAL Janvier 2004 Responsable: M. Danner Participants: Y. Barri C. Bouissou S. Candat G. Landragin D. Moreau T. Piron Sommaire Partie I. Bilan de la formation reçue dans le cadre du G.F.R. ______________________ 4 I./. Présentation du groupe et de ses axes de recherche ____________________________ 4 II./. Points faibles de la formation par la recherche_______________________________ 7 III./. Apports positifs du G.F.R. _______________________________________________ 8 III.1./. Du point de vue d’une appropriation de connaissances _______________________ 8 III.2./. Du point de vue de la construction d’une posture intellectuelle ________________ 8 III.3./. Du point de vue de la pratique professionnelle _____________________________ 9 Partie II. L'orientation en fin de seconde ______________________________________ 10 I./. Apports théoriques _____________________________________________________ 10 I.1./. Les choix d'options ___________________________________________________ 10 I.2./. Influence des choix d'option sur l'orientation en fin de Seconde ________________ 16 II./. Méthodologie de travail _________________________________________________ 19 III./. Etude des profils de population selon les options ___________________________ 23 III.1./. Profil sociologique de l'échantillon _____________________________________ 24 III.2./. Profil scolaire de l'échantillon _________________________________________ 26 IV./. Perspectives de recherche ______________________________________________ 28 V./. Annexe _______________________________________________________________ 31 V.1./. Index des tableaux___________________________________________________ 31 V.2./. Bibliographie_______________________________________________________ 32 2 Partie III. Le vécu d’un choix d’orientation atypique ____________________________ 33 I. Cadre de la recherche ____________________________________________________ 33 I.1./. Origine de la réflexion et intérêt du travail_________________________________ 33 I.2./. Problématique de la recherche __________________________________________ 34 II./. Méthodologie de la recherche ____________________________________________ 35 II.1./. Le choix de l'approche compréhensive ___________________________________ 35 II.2./. Présentation de la population___________________________________________ 39 II.3./. Les étapes du travail _________________________________________________ 40 III./. Résultats ____________________________________________________________ 41 III.1./. Les critères de choix de l’orientation ____________________________________ 42 III.2./. Le vécu de la scolarité et le rapport au savoir _____________________________ 44 III.3./. L’image de soi _____________________________________________________ 45 IV./. Conclusion ___________________________________________________________ 46 V./. Bibliographie__________________________________________________________ 48 3 Partie 1 – Bilan de la formation reçue dans le cadre du G.F.R Partie I. Bilan de la formation reçue dans le cadre du G.F.R. Ce travail qui reposait à la fois sur un travail de recherche quantitatif et qualitatif nous a amenés à rencontrer beaucoup de personnes extérieures au G.F.R. Sans leur coopération, aucune recherche intéressante n'aurait pu être conduite. C'est la raison pour laquelle les membres de ce dispositif tiennent à remercier tout particulièrement les chefs d’établissements et les personnels des secrétariats qui nous ont accueillis : - Bazin, Verlaine, Jean Moulin, Pierre Bayle, Godart Roger, Arago, Clémenceau, Jean Jaurès, Roosvelt, Val de Murigny pour l'enquête quantitative - le LP Yser de Reims, le LP Louis Armand de Vivier-au-Court et le lycée Roosevelt pour l'enquête qualitative. 17 filles ont accepté de participer aux entretiens. Elles ne sont pas citées puisque leur anonymat a été préservé. Néanmoins elles ont bien voulu se livrer aux enquêteurs et ont largement contribué de la sorte à la recherche. L'I.A. de la Marne et des Ardennes nous ont permis de collecter quelques données statistiques nous permettant de compléter nos propres fichiers. Enfin, Annick lefebvre, nous a aidés dans la retranscription des entretiens. Merci aussi pour leur contribution, à ceux qui ont accompagné momentanément notre travail même s’ils n’ont pu poursuivre leur engagement. Merci à B Guiot pour sa participation à la gestion administrative du groupe. I./. Présentation du groupe et de ses axes de recherche A l'initiative de Monsieur le Recteur, un groupe de formation par la recherche a été mis en place durant l'année 2002 sur la problématique de l'orientation en seconde. Ce groupe de recherche a progressivement évolué au niveau de sa composition au fil des mois en fonction des contraintes respectives de chacun et de ses attentes à l'égard des finalités du dispositif. 4 Partie 1 – Bilan de la formation reçue dans le cadre du G.F.R G. Baillat, a assumé la charge administrative de ce G.F.R. pendant un an puis celui-ci s'est trouvé placé sous la responsabilité de M. Danner. Depuis sa constitution, les différentes personnes ayant participé à cette formation étaient les suivantes: Nom Fonction Lieu Y. Barri C.P.E. L.P. Louis Armand, Vivier au Court G. Baillat Professeur I.U.F.M. Champagne-Ardenne C. Bouissou M.C.F. I.U.F.M. Champagne-Ardenne S. Candat Directrice du S.I.O. Reims M. Danner M.C.F., responsable G.F.R I.U.F.M. Champagne-Ardenne B. Guyot Coordinateur disciplinaire I.U.F.M. Champagne-Ardenne M. Lambert Professeur agrégé Lycée Bayle, Sedan G. Landragin Professeur agrégé Lycée Roosvelt, Reims D. Moreau Formatrice I.U.F.M. Champagne-Ardenne T. Piron Enseignant Ardennes Depuis un an, la composition du groupe est la suivante: Y. Barri, C. Bouissou, S. Candat, M. Danner, G. Landragin, D. Moreau, T. Piron Le groupe s'est réuni en moyenne une fois par mois depuis la date de création de ce G.F.R., en Janvier 2002, soit une quinzaine de séances. Compte tenu des obligations professionnelles de chacun, cette fréquence a semblé la plus à même de maintenir la motivation de chacun dans le dispositif. Néanmoins, il est clair que la régularité des séances, si elle présente l'avantage de fédérer le groupe, ne répond pas aux exigences de travail que le contexte d'une recherche impose, celle-ci nécessitant une mobilisation et une assiduité forte à certains moments. Cette réalité du chercheur ainsi que les inévitables difficultés d'organisation que pose toute structure nouvelle composée de membres dont le cursus, les attentes et les contraintes professionnelles restent variés expliquent sans doute les insatisfactions exposées en cours d'année. Les membres du groupe ont toutefois témoigné d'une cohésion et d'un investissement personnel réel au cours de ce projet. Ce rapport vise essentiellement à rendre compte de la qualité du travail fourni au cours de ces journées de formation1. 1 Ce rapport fait suite au rapport intermédiaire intitulé "Influence des choix d'options sur les trajectoires des lycéens" 5 Partie 1 – Bilan de la formation reçue dans le cadre du G.F.R Face à la problématique vaste de l'orientation en seconde et compte tenu du fait que les membres s'initiaient pour la plupart à des activités de recherche scientifique, le choix a été donc fait de se centrer sur deux axes. Ces axes de recherche devaient permettre à chacun de trouver sa place au sein du dispositif en fonction de ses intérêts, d'une part, et de ses compétences, d'autre part. Ainsi, ce G.F.R. a développé les deux thématiques suivantes relatives aux choix d'orientation: - L'axe principal de cette recherche qui a mobilisé jusqu'à ce jour toute l'équipe s'intéressait aux choix d'options en seconde et leur influence sur l'orientation à l'issue de la seconde. Le choix a été fait de se limiter à l'analyse des biais sociologiques dans le choix des options en seconde pour travailler éventuellement dans la cadre d'un autre G.F.R. sur les conséquences dans l'orientation en fin d'année. L'approche méthodologique de type quantitativiste, plus adaptée à ce questionnement, a été préférée. A ce jour, les données nécessaires ont été collectées par les différents membres dans les 10 établissements de notre échantillon, soit 1800 élèves. - L'axe secondaire a essentiellement pour objectif d'initier les membres à un second courant méthodologique de la recherche qui porte davantage sur une analyse qualitative des données. Dans cette perspective, des entretiens ont été conduits dans un établissement professionnel des Ardennes auprès de filles fréquentant des filières majoritairement investies par les garçons. Cet aspect, certes moins central par rapport à la thématique même de la recherche, avait néanmoins pour objectif, au-delà de l'exercice méthodologique, d'étudier le vécu de jeunes filles ayant eu un choix de formation atypique. 6 Partie 1 – Bilan de la formation reçue dans le cadre du G.F.R II./. Points faibles de la formation par la recherche Un certain nombre d'aspects négatifs ont nui à l'investissement complet de chacun et à l'organisation efficace de la recherche. - Malgré une volonté affirmée dès le début d'accorder de l'importance à la recherche documentaire et à l'aspect théorique de la recherche, ceci a finalement été rarement fait. Les séances trop espacées, le manque de régularité des membres et les responsabilités extérieures chacun n'ont pas encouragé les membres à fournir ce travail personnel, ne serait-ce qu'au niveau de la recherche d'articles qui auraient par la suite pu être exploités au cours des séances de G.F.R. - Le turn-over des membres a rendu le groupe peu stable. Le manque de stabilité n'a pas permis d'organiser une répartition du travail efficace et une continuité du travail qui aurait permis de structurer plus la recherche. - Compte tenu de l'ampleur des connaissances théoriques et informatiques que suppose l'analyse statistique des données sur ordinateur, la recherche quantitative a été insuffisamment approfondie. - Le groupe ayant interprété au début la demande des commanditaires comme une attente en terme de production de résultats a par la suite trop souvent négligé l'aspect formatif, qui était pourtant une des missions du G.F.R. La dimension formative un peu négligée est d'autant plus regrettable qu'elle aurait davantage intéressé les membres. Cela dit, l'ambiguité institutionnel concernant le statut des chercheurs (entre formateurs et membres "éclairés") n'a pas permis de dégager clairement les responsabilités de chacun par rapport au travail à fournir. Ainsi, les membres non initiés aux méthodes de recherche n'ont pas senti la nécessité de se documenter sur le sujet et les chercheurs n'ont, quant à eux pas, vu la nécessité d'établir un plan de formation pour organiser le thème des séances. - Chaque séance à nécessité pour tous un investissement en temps considérable : en deux ans une quinzaine de réunions, ce qui équivaut à 90 heures. Au début du G.F.R., certains membres avaient espéré une reconnaissance institutionnelle comme la possibilité de valoriser cet investissement par une forme de certification, ce qui n'a finalement pas été le 7 Partie 1 – Bilan de la formation reçue dans le cadre du G.F.R cas. Quant aux chercheurs, ils ne peuvent valoriser ce travail dans le cadre d'un article scientifique (seul mode de reconnaissance scientifique de leur activité de recherche). Ce décalage entre les attentes et les efforts fournis ont eu raison de la motivation de nombre de participants. III./. Apports positifs du G.F.R. III.1./. Du point de vue d’une appropriation de connaissances Les membres estiment avoir avancé durant leur participation à ce dispositif sur les points suivants: - Découverte d'un domaine parfois méconnu, à savoir les sciences humaines et sociales - Appropriation de connaissances issues de la recherche en sociologie et en psychologie de l’éducation - Meilleure compréhension du lien entre classe sociale des élèves et choix d’option - Initiation à deux options méthodologiques dans la recherche, quantitative et qualitative, supposant des méthodologies différentes, connaissance des paramètres caractéristiques de l’une et de l’autre - Participation à la construction d’outils : questionnaire, grille de lecture - Découverte pour certains membres du logiciel Sphinx (9 heures de formation) - Réflexions épistémologiques, sur les frontières entre la psychologie et la sociologie, entre l’approche qualitative et quantitative III.2./. Du point de vue de la construction d’une posture intellectuelle Les débats, les activités concrètes et les démarches méthodologiques retenues, ont amené les membres à - Apprendre à s’appuyer sur des faits réels, savoir argumenter - Questionner les stéréotypes qu’ont les acteurs de l’éducation et qu’ils projètent sur les élèves 8 Partie 1 – Bilan de la formation reçue dans le cadre du G.F.R - S’obliger à davantage de précision, savoir argumenter - Articuler des savoirs professionnels (amenés par les divers membres du groupe : professeurs, CPE, CoPsy) et des savoirs théoriques - Modifier le regard porté sur les filles de LP III.3./. Du point de vue de la pratique professionnelle Au niveau de la pratique professionnelle, les apports du G.F.R. auprès des participants ont été notamment de - Mieux appréhender la complexité de la gestion administrative d’une recherche : démarches d’organisation, de prises de contacts - Prolonger la réflexion dans le cadre du métier et de la pratique professionnelle quotidienne (de professeur, de CoPsy, de CPE) - S’interroger sur les pratiques professionnelles des enseignants de technique, notamment en ce qui concerne l’orientation, pour mettre en place des actions pertinentes - Etre attentif au « rapport » des élèves filles et garçons de LP à leur scolarité, à leur avenir, à eux-mêmes… - Porter un regard plus positif sur les élèves Après avoir présenté les apports de la recherche en terme de formation, les parties 2 et 3 de ce rapport vont s'attarder sur la production en terme d'activités de recherche. 9 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Partie II. L'orientation en fin de seconde Cette recherche quantitative a été conduite sous la responsabilité de M. Danner2 I./. Apports théoriques I.1./. Les choix d'options Les nouvelles secondes mises en place à la rentrée 1992 se caractérisent par un choix de matière en enseignement obligatoire, entre S.V.T. (sciences de la vie et de la terre), T.S.A. (technologie des systèmes automatisés), S.T.M.S. (sciences et techniques médico-sociales), S.T.B.P. (sciences et techniques biologiques et paramédicales), T.S.P. (techniques des sciences physiques). Les élèves doivent par ailleurs choisir deux options et, éventuellement une langue ancienne ou rare en plus. Dans l'année scolaire 1993-1994, 84% des élèves choisissent la seconde S.V.T., parmi lesquelles 99% prenaient l'option L.V.2 (langue vivante 2) et 60% l'option S.E.S. (sciences économiques et sociales). La mise en place de la réforme en 1999 a vu son aboutissement avec le baccalauréat de la session 2002. La classe de seconde est réaffirmée comme étant une classe de détermination permettant un choix ouvert de la série menant au baccalauréat. Elle comprend des enseignements communs à tous les élèves sans choix possible (contrairement à la réforme de 1992), deux enseignements de détermination optionnels auxquels peuvent s'ajouter un enseignement facultatif. Au titre des enseignements de détermination sont proposés des matières d'enseignement général (sciences économiques, langues vivantes, langues anciennes, arts) et des matières technologiques (dont T.S.A., informatique de gestion et de communication, productique - IGC, informatique et électronique en sciences physiques – IESP, STBP, STMS, TSP). 2 En tant que responsable scientifique de cet aspect de la recherche dans le G.F.R., M. Danner s'est chargée de la rédaction finale. 10 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Tableau 1: Evolution des enseignements de détermination technologiques 1998 1999 TSA STMS 2000 2001 SA ISI SMS PROD ISP IESP MPI STT IGC Une recherche de l'Irédu3 publiée en 1993 sur les choix d'option en Seconde montre des préférences marquées pour les élèves selon leur profil social et scolaire. En effet, les options qui recrutent les meilleurs élèves (Latin, Informatique, TSA) sont aussi celles où la participation des enfants de cadre et des élèves les plus jeunes est la plus forte. A l'inverse les options de Gestion et de LV3 ou encore le fait de ne pas choisir d'option facultative était plus fréquemment du fait des élèves issus de milieu modeste ou en retard scolaire. Tableau 2: Représentation sociale et scolaire dans les options (1993) Cadre Ouvrier Fille Note de brevet LV3 28% 16% 61% 94 Latin/Grec 50% 9% 60% 114 Gestion 37% 20% 55% 95 TSA 40% 9% 17% 105 Arts 47% 10% 70% 98 Informatique 39% 16% 59% 104 Sans options 35% 18% 62% 98 Ensemble 37% 16% 59% 100 Ce phénomène résulte essentiellement de l'auto-sélection des collégiens, et ceci de façon plus discriminatoire selon le genre. Les filles se montrent, en effet, beaucoup plus exigeantes envers elles-mêmes du point de vue des performances scolaires antérieures quand il s'agit de viser des options majoritairement investies par les garçons (Informatique ou TSA). 11 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Une étude locale plus récente conduite par la D.E.E.P.4 de Nancy-Metz confirment le liens existant entre les choix d'options et les caractéristiques sociales de l'élève (âge, genre, pcs des parents). Ainsi, l'option ISI (anciennement TSA) attirent seulement 4% des filles. Celles-ci marquent d'ailleurs une nette préférence pour les enseignements généraux et choisissent prioritairement des couples d'options tels que LV2-LV3, LV2-SES, LV2-Langues anciennes. Si certaines se risquent à prendre une option générale (LV2) associée à une option technologique (IGC, MPI ou ISI), rares sont celles cependant qui se définissent au travers de deux options technologiques. La ventilation par P.C.S. révèle aussi l'existence de biais sociaux puisque cette étude confirme que les milieux défavorisés sont peu présents dans les séries technologiques scientifiques (ISI, MPI) et sur-représentés dans les autres domaines technologiques (ISP, IGC). La recherche menée à l'échelon national en 2002 à propos des effets de contexte dans le secondaire généralise ces résultats. Cette étude portant sur l'ensemble des établissements privés et publics du secondaire (2194 lycées) montre que malgré les modifications institutionnelles portées aux options, les biais sociaux continuent d'exister5. En 2001, le taux de représentation moyen des classes très favorisées dans les établissements est de 26,3%. Par rapport à cette répartition moyenne, certaines options se démarquent par un taux plus élevé. C'est le cas, par ordre d'importance, des options Grec (34%), Histoire des arts (34%), Musique (31%), Danse (30%). Les options vers lesquelles se dirigent le moins ces enfants relèvent du domaine technique: Sciences médico-sociales (SMS: 19%), Biologie de laboratoire et paramédicale (BLP: 19%), Informatique et systèmes de production (ISP: 20%), Informatique de gestion et de communication (IGC: 21%), Initiation aux sciences de l'ingénieur (ISI: 22%). 3 M. Duru-Bellat & J.P. Jarousse, "La classe de seconde: une étape décisive de la carrière scolaire", Cahier de l'Irédu N°55, Octobre 1993 4 Division des Etudes, de l'Evaluation et de la Prospective, Rectorat de l'Académie de Nancy-Metz, "La seconde de détermination", Note d'information (Académie de Nancy-Metz), 2002, n°3 5 M. Danner, S. Le Bastard, C. Piquet (sous la direction de M. Duru-Bellat), "Les effets de la composition scolaire et sociale du public d'élèves sur la réussite et les attitudes des élèves : évaluation externe et explorations qualitatives", Etude en cours de réalisation 12 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Tableau 3: Représentation sociale et scolaire dans les options (2001) Option Artistiques Nb Lycées % très favo. % Fille Danse 63 30 59 Musique 457 31 59 Arts Plastiques 1035 29 58 Cinéma 227 27 58 Histoire des arts 151 34 60 Théâtre 390 27 58 1006 21 59 826 22 41 525 20 32 892 25 50 Pcl - Physique et chimie de laboratoire 228 22 53 Blp - Bio de laboratoire et paramédicale 327 19 63 Sms - Sciences médico-sociales 339 19 67 Création design 57 29 52 Culture design 54 27 53 LV2 2154 27 54 LV3 1537 29 58 Latin 1594 29 58 Grec 647 34 59 1869 28 57 Igc - Informatique de gestion et de communication Isi - Initiation aux sciences de l'ingénieur Isp - Informatique et systèmes de production Technologiques Mpi - Mesures physiques et informatique Langues Ses - Sciences économiques et sociales La catégorie "très favo." considère les cadres, les professions intellectuelles supérieures, les chefs d’entreprise de plus de dix salariés et les enseignants. Parmi les options aujourd'hui proposées, les filles sont sur-représentées (par rapport à la situation moyenne: 53%) dans les options artistiques, paramédicales et médico-sociales, en langues et en informatique de gestion. Inversement, les filières informatiques et scientifiques sont plutôt investies par les garçons. 13 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Si, comparativement à l'étude conduite en 19936, la situation des filles a peu évolué en 2001 dans la plupart des options (Arts, Langues, Gestion), un changement important est cependant à noter en TSA/ISI où elles sont actuellement nettement plus présentes. Cette option n'apparaît également plus comme étant une option socialement privilégiée, ce qui concerne également l'option Latin/Grec. Parce que, les langues anciennes sont d'autant plus choisies que l'on est bon élève ou issu d’une classe sociale aisée (M. Duru-Bellat & alii, 1996) 7 ou encore, parce que les élèves les plus "mal dotés" en capital social et scolaire se trouvent dans des situations qui les amènent à envisager le plus souvent des choix d'options préparant aux filières technologiques (D.E.E.P. Nancy-Metz, 2002), il faut bien admettre que par le jeu des options se constituent en fait des classes de niveau. Autrement dit, initialement conçues comme des compléments de formation, les options encouragent cependant, in fine, la constitution de classes homogènes, tant sur le plan scolaire que social, et favorisent ainsi l'existence des distinctions sociales à travers les choix d'options. - En effet, elles occasionnent de fait la constitution de classes homogènes sur le plan de la valeur scolaire puisque l'orientation vers les options tient compte du niveau de l'élève. - Mais aussi sur le plan social puisqu'il existe des préférences marquées selon le statut. Ces effets dans la constitution des classes en fonction des options méritent d’être pris en compte car une des conséquences des classes homogènes, est l'inégale capacité des élèves à progresser selon le niveau moyen de la classe. S'il existe une corrélation forte entre les résultats obtenus au Brevet des collèges et les performances en Seconde, il n'y a cependant pas de déterminisme scolaire absolu, ce qui laisse supposer l'existence d'influence autre sur les progressions. Une étude de l'Irédu conduite en 1993 souligne le poids positif de l'option Latin- 6 Précisons qu'il s'agissait d'une étude "locale"; les données peuvent donc être empreintes d'un certain biais académique. 7 M. Duru-Bellat, J.P. Jarousse & G. Solaux, "La détermination progressive de l'enseignement de spécialité de la troisième à la terminale", Rapport pour la Direction des Lycées et Collèges, 1996 14 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde grec, à caractéristiques scolaires et sociales données, dans l'explication des écarts de performances en seconde8. Les bons élèves choisissent non seulement les options les plus risquées mais qui sont aussi celles qui les feront davantage progresser. Autrement dit, les enfants de cadre, qui, déjà en fin de troisième observaient de meilleurs résultats scolaires que les enfants d'ouvrier, envisagent plus souvent des options qui, de surcroît, sont corrélées à une meilleure progression des élèves. Ceci est d'autant plus net en sciences (qui ouvre le passage sur la première S), et ce à caractéristiques données des élèves, c'est-à-dire une fois que l'influence du genre, du milieu ou encore du passé scolaire ont été contrôlés. Ceci pourrait s'expliquer notamment par des pédagogies différenciées et des effets d'attentes venant de l'enseignant. Une seconde conséquence de l'homogénéisation des classes résultant des biais sociaux liés aux choix des options porte sur les normes de groupe car elles ont pour conséquences d'amener les élèves hésitants ou moyens à choisir d'autant plus une orientation que celle-ci est plus fortement demandée dans la classe (M. Duru-Bellat & A. Mingat, 1988)9. Cet effet de norme avait déjà été identifié par R.K. Merton (1965) lorsqu’il soulignait que, dans un groupe, les membres subordonnés ou en phase d’intégration tendaient à se conformer aux valeurs du noyau le plus reconnu du groupe. T.C. Schelling (1980)10 a également illustré au travers de nombreux exemples l’idée que les décisions individuelles dépendent du comportement ou des choix des autres et, plus précisément, que la conduite de chacun dépend du nombre de ceux qui adoptent un comportement particulier. Ainsi, hormis ceux dont le sort est joué par avance ou qui s’obstinent à vouloir une orientation précise, la plupart des indécis envisageront un cursus seulement si le nombre de personnes à s’y engager leur semble suffisant11. 8 M. Duru-Bellat, J.P. Jarousse, M.A. Labopin, V. Perrier, "Les processus d'auto-sélection des filles à l'entrée en première", L'orientation scolaire et professionnelle, 1993, 22, n°3, 259-272 9 M. Duru-Bellat & A. Mingat, "Le déroulement de la scolarité au collège: le contexte fait des différences", Revue française de sociologie, 1988, 29, 649-666 10 T. C. Schelling, "La tyrannie des petites décisions", Puf Sociologie, 1980 11 "Chacun a sa propre définition du nombre "suffisant" et cela peut vouloir dire suffisant pour rendre l'activité intéressante ou suffisant pour qu'il soit imprudent de ne pas être présent" T. C. Schelling 15 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde La conséquence immédiate de ces stratégies individuelles d’orientation et de ces effets de contexte est, par exemple, qu'en fin de secondaire, il existe manifestement des tonalités sociales très différentes selon les types de baccalauréat considérés. Ce premier titre universitaire reflète donc une certaine valeur scolaire mais aussi l'aboutissement d'une forme de sélection sociale. I.2./. Influence des choix d'option sur l'orientation en fin de Seconde Depuis le milieu des années 70, les choix d'orientation relèvent d'un dialogue entre la famille et le conseil de classe. Ce sont en premier lieu les familles qui émettent des vœux d'orientation, à la suite desquels le conseil de classe formule des propositions d'orientation. Lorsque les vœux et propositions convergent, le choix devient une décision d'orientation. En cas de divergence, les familles ont la possibilité de rencontrer le chef d'établissement et de faire appel auprès d'une commission qui statue en dernier recours. Or, cette procédure qui accorde une large place aux demandes des familles, paradoxalement en désavantage certaines. En effet, ce qui pouvait s'observer précédemment au niveau du choix d'option se retrouve au niveau des choix de cursus: les familles s'auto-sélectionnent dans leur demande d'orientation. La recherche de l'Irédu sur les processus d'orientation montre que si les familles renoncent d'autant plus souvent à des choix d'orientation ambitieux que leur enfant est faible scolairement, ceci se fait de façon bien plus marquée dans les milieux modestes (M. DuruBellat & alii, 1993)12. Ce comportement explique sans doute que, en ce qui concerne l'orientation à l'issue de la Seconde dans le couple d'option LV2-ISI, 50% des PCS défavorisées vont en S contre 80% des favorisés (D.E.E.P., 2002). Le choix de la Première S illustre d'ailleurs bien ces phénomènes d'auto-sélection car il est également "très emblématique de la situation paradoxale des filles face à l'orientation. Leur meilleure réussite par rapport aux garçons devrait les conduire à s'engager plus fréquemment vers cette filière. Or, on assiste à la situation contraire."13 12 M. Duru-Bellat, J.P. Jarousse, A. Mingat, " Les scolarités de la maternelle au lycée: étapes et processus de la production des inégalités sociales", Revue Française de Sociologie, 1993, 34, n°1, 43-60 13 M.E.N., "Filles et garçons face à l'orientation", Note d'information, 02.12 Avril 16 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Ceci étant, les conseils de classes obéissent à une logique de consensus qui privilégie à la fois la norme de référence, à savoir le niveau académique, mais aussi la concordance de leurs propositions avec le choix des familles14. Un élève dont la famille soutiendrait un choix d'orientation peu ambitieux, se situant en deçà de ses capacités scolaires, prend donc le risque de voir ce comportement d'auto-sélection entériné par le conseil de classe (J.M. Bertherlot, 1993). L'orientation en première scientifique, telle qu'elle a été étudiée par la recherche de J.P. Jarousse et M.A. Labopin en 1999, est à ce titre tout à fait illustratif15. La demande des familles pour cette orientation est liée, comme attendu, à la valeur scolaire de l'élève (à l'heure, notes en sciences, options suivies). Toutefois, si la demande n'est pas formulée de façon explicite, elle ne sera pas proposée par le conseil de classe, il doit donc s'agir d'un acte volontaire à la charge des familles. Or, à notes et options comparables, les filles et les enfants d'ouvriers demandent moins souvent la filière scientifique. Par ailleurs, ces publics résistent moins dans le temps aux pressions du conseil visant à infléchir leur choix vers des orientations qui lui semble plus adaptées. Ainsi, les enfants de milieu ouvrier, plutôt optimistes au moment de leur premier vœu semblent intérioriser la réponse du conseil de classe puisqu'ils sont plus nombreux que les enfants de milieu aisé à renoncer à leur premier vœu au moment du choix définitif. Ces mécanismes d'auto-sélection expliquent sans doute en partie qu'avec 8 points de moins en sciences, les enfants de cadre obtiennent la même probabilité de passage en Première scientifique que les enfants d'ouvrier. De même, il faut aux filles 4 points de plus en sciences que les garçons pour atteindre la même probabilité de passage en S. Par ailleurs, si les filles s'orientent plus souvent vers les filières littéraires et tertiaires, indépendamment de cela, il reste que les conseils de classe leurs proposent aussi plus facilement ces formations. 14 15 J.M. Berthelot, "Ecole, Orientation, Société, Puf "Pédagogie d'aujourd'hui", 1993 J.P. Jarousse, M.A. Labopin, "Le calendrier des inégalités d'accès à la filière scientifique", L'orientation scolaire et professionnelle, 1999, 28, n°3, 475-496 17 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Dans ce contexte, il est évident que si les choix d'options font partie intégrante des stratégies d'orientation, la recherche d'adéquation, en terme de contenu, entre l'option suivie et la filière choisie peut paraître secondaire, c'est ce que montre l'étude de 1996 au travers de l'exemple des latinistes: le fait d'avoir suivi en seconde les options T.S.A. (I.S.I.), Productique (I.S.P.) ou encore Latin/Grec accroît très significativement les chances de s'orienter en 1ère S comparativement aux élèves qui auraient suivi l'option L.V.3. Quant aux latinistes qui n'auraient pu s'orienter en S, ils choisissent significativement plus souvent une orientation en E.S. qu'en Littéraire, ce que laisserait pourtant plutôt à penser cette option "langues anciennes". Ce constat illustre bien l'utilisation d'une option à des fins d'orientation stratégique16, et ce d'autant plus que les options semblent avoir, comme il a été énoncé précédemment, une capacité inégale à faire progresser leur public en cours d'année. Dès lors, “ pour les parents, il ne suffit donc plus de laisser les destins sociaux s’accomplir, il faut acquérir une véritable expertise pour orienter les enfants dans le dédale des formations et pour anticiper les orientations…Une des grandes injustices tient à l’information très inégale des parents ; certains connaissent les mécanismes cachés du système alors que d’autres les ignorent ” (F. Dubet, 1997)17. 16 M. Duru-Bellat, J.P. Jarousse, G. Soleaux, "S'orienter et élaborer un projet au sein d'un système hiérarchisé, une injonction paradoxale? L'exemple du choix de la série et de l'enseignement de spécialité en classe terminale", L'orientation scolaire et professionnelle, 1997, 26, n°4, 459-482 17 F. Dubet, "Ecole, famille, le malentendu", Ed. Textuel, le Penser-Vivre, 1997 18 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde II./. Méthodologie de travail C'est sur la base de ces travaux présentés en première partie que le G.F.R. s'est inspiré pour définir les axes de recherche à développer et les données à collecter. A l'aune de ce premier travail théorique et méthodologique qui a mobilisé le groupe sur près de quatre séances, chaque membre ayant constitué le GFR lors de sa première année avait pour mission de contacter, en dehors du temps de formation normalement imparti au G.F.R., un ou plusieurs établissements afin de collecter les données définies ensemble. Le tableau ci-dessous présente les établissements qui ont été sollicités et qui ont accepté de coopérer à cette recherche. Tableau 4: Etablissements contactés Etablissement Nb de classes Nb d'élèves Bazin 9 295 Verlaine 6 182 Jean Moulin 4 136 Pierre Bayle 8 233 Godart Roger 7 228 Arago 6 185 Clémenceau 3 98 Jean Jaurès 4 89 Roosevelt 8 262 Val de Murigny 3 100 Total 58 1808 Ces établissements ont été choisis sur la base de deux critères: - Profil de l'établissement • Grande urbanité/Petite urbanité • Population plutôt privilégiée/Population plutôt modeste • Présence d'options rares (Latin, Art, Design…)/Présence d'options technologiques (IGC, MPI …) - Accessibilité de l'établissement: réseau de connaissance et proximité géographique 19 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Ce G.F.R. s'est constitué en vue d'apporter des éléments de réflexion sur la question de l'influence des choix d'option sur l'orientation en fin de seconde. Plus particulièrement, l'objectif sera dans un premier temps de mieux comprendre les biais sociologiques qui peuvent exister dans le choix des options. L'idée de déterminer dans quelle mesure les décisions familiale et institutionnelle d'orientation, lors de la seconde dite de détermination, s'appuient sur les options choisies en Seconde et les performances obtenues dans ces disciplines, pourrait faire l'objet d'une étude ultérieure. En effet, les moyens méthodologiques et techniques à mobiliser pour répondre à une telle question supposeraient une autre forme d'organisation que la nôtre. Les données individuelles à collecter auprès des scolarités de chaque établissement portaient sur les dimensions suivantes: - - Données individuelles • Genre • Date de naissance • C.S.P. du chef de famille Données scolaires • Retard scolaire • Notes trimestrielles dans les disciplines suivantes: Langues vivantes 1 et 2 Français Mathématiques Histoire-géographie S.V.T. P.C. E.P.S. Option a Option b - Processus d'orientation • Les vœux d'orientation provisoires et définitifs des familles • Les décisions institutionnelles d'orientation : propositions et décision 20 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde La grande majorité des établissements a fait preuve de disponibilité dans le transfert d'informations. Toutefois certaines données n'ont pu être collectées systématiquement; c'est le cas, en particulier des P.C.S., ou des décisions familiales d'orientation. Ceci constitue un handicap sérieux pour cette étude. Néanmoins, la taille de l'échantillon d'élèves et le nombre d'établissements contactés offre une base solide de travail. Les tableaux ci-dessous présentent les taux de non-réponse relatifs aux différentes dimensions à renseigner. Tableau 5: Caractéristiques socio-démographiques (non-réponses) Non-réponses Variables Nb élèves % élève Année de naissance 11 0,6 Genre 14 0,8 P.C.S. 563 31,1 Tableau 6: Vœux et décisions d'orientation (non-réponses) Non-réponses Variables Vœux provisoires 2 ème Recommandations 2 trimestre ème trimestre Vœux définitifs 3ème trimestre Décision 3 ème trimestre Décision finale 21 Nb élèves % élève 465 25, 7% 475 26,3% 470 26,0% 441 24,4% 530 29,3% Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Tableau 7: Effectif des non-réponses par établissement Lycée Effectifs Notes trimestrielles18 P.C.S. Orientation 1 2 3 Vœux 2 Avis 2 Vœux 3 Avis 3 Orientation 1B 295 7 9 9 13 291 295 9 9 10 2V 182 0 91 112 106 1 1 0 0 0 3JM 136 1 39 8 4 72 41 37 135 2 4PBl 233 232 35 41 39 1 2 1 0 231 5GR 228 228 7 15 10 2 4 228 227 6 6A 185 2 36 44 17 3 2 5 4 185 7Cl 98 0 32 32 50 1 1 1 0 1 8JJ 89 89 3 5 15 88 88 89 1 88 9R 262 3 7 6 47 4 4 4 4 4 10VM 100 1 4 4 7 2 37 96 61 3 Total 1809 563 263 276 308 465 475 470 441 530 18 Les moyennes trimestrielles ont été calculées sur la base des notes communes, à savoir Langue vivante 1, Option 1, Français, Mathématiques, Histoire-Géographie, Physique-Chimie 22 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde III./. Etude des profils de population selon les options Les données collectées ne sont pas représentatives de la situation nationale, ni même académique. Afin de collecter des informations suffisamment nombreuses pour être statistiquement fiables, la décision a été prise de sélectionner les établissements et les classes en fonction des options représentées. Cette démarche permet de répondre au questionnement précis de ce G.F.R. quant aux facteurs susceptibles d'intervenir sur les choix d'orientation puisqu'elle tient compte de la variété des situations à observer par rapport aux axes de recherches développés précédemment. 4 options ne sont cependant pas représentées, n'étant pas proposées dans les établissements de notre échantillon. Il s'agit des options spécifiques de Sciences médico-sociales, Biologie de laboratoire et paramédicale, Physique-chimie de laboratoire. Tableau 8: Options représentées dans l'échantillon lycéen Option Nb. cit. Fréq. Orientation visée (ONISEP) Isi 673 37,2% STI, S Initiation aux sciences de l'ingénieur Ses 625 34,5% ES Sciences économiques et sociales Mpi 343 19,0% STL, STI, S Mesures physiques et informatique Isp 272 15,0% STI Informatique et systèmes de production Igc 189 10,4% STT Informatique de gestion et de communication Latin 83 4,6% L, ES, S, STT Langues LV3 65 3,6% Grec 13 0,7% 66 3,6% L Arts 47 2,6% Eps 1 0,1% STI Création design Pcl 0 0,0% STL Physique et chimie de laboratoire Blp 0 0,0% STL Bio de laboratoire et paramédicale Sms 0 0,0% SMS Sciences médico-sociales 0 0,0% STI Culture design 8 0,4% Non-réponse 1809 Total élèves Le nombre de citation est supérieur au nombre d'élèves interrogés du fait de citations multiples (2 au maximum). 23 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde III.1./. Profil sociologique de l'échantillon Le taux de féminisation de la population étudiée est de 41%. Ce taux varie dans les établissements selon les options. Le tableau ci-dessous montre effectivement que les options Informatique et système de production, Initiation aux sciences de l'ingénieur, Mesures physiques et informatiques et Eps sont massivement investies par les garçons. 3 de ces 4 options correspondent à des formations scientifiques et techniques. Les options ouvrant la voie à des formations plus littéraires ou générales comme Langues, Arts, Sciences économiques et sociales ou encore Informatique de gestion accueillent une population féminine sur-représentée. Ces préférences de formation, qui peuvent être observées tant chez les filles que chez les garçons, sont une constante relevée par toutes les études scientifiques ayant porté sur le sujet. Ces choix correspondent certainement à des préférences individuelles et des stratégies familiales. Cela dit, l'auto-sélection des filles à l'égard des options techniques et celle des garçons à l'égard des options générales, d'une part, limite leur possibilité d'orientation et, d'autre part, contribue à typer les cursus en première. Tableau 9: Taux de féminisation par option Genre Option Masculin Féminin Isp 94,5 5,5 Isi 90,2 9,7 Mpi 78,4 21,6 Eps 74,5 21,3 Grec 46,2 46,2 Igc 43,4 54,5 Ses 35,2 63,5 Latin 32,5 66,3 Arts 24,2 75,8 LV3 20,0 80,0 Total 58,1 41,1 24 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Il est évident, au vu de ces résultats, qu'une étude concernant l'influence des choix d'option sur les parcours d'orientation ne peut nier l'existence de tels biais sociologiques. En particulier, si des comportements auto-sélectifs sont également à observer dans les vœux d'orientation, comme cela était annoncé dans la partie théorique précédente, il faudra garder à l'esprit qu'une part de ces effets de genre aura cependant déjà été incorporée au moment des choix d'option. Démêler ce qui revient à l'effet de l'option, nette de l'influence du genre, dans les choix d'orientation reste donc une difficulté méthodologique majeure dans cette recherche. La même vigilance sera à observer en ce qui concerne l'influence directe et indirecte de la P.C.S. dans l'élaboration des décisions familiale d'orientation. Tableau 10: Composition sociale de l'échantillon PCS INSEE Nb. cit. Fréq. Agriculteur 40 2,2% Commerçant, artisan, chef Ent. 78 4,3% Cadre.Prof.Intellectuelle.Sup. 200 11,1% Profession intermédiaire 247 13,7% Employé 195 10,8% Ouvrier 355 19,6% Retraité 23 1,3% Inactif 93 5,1% Autre 15 0,8% TOTAL OBS. 1809 Les non-réponses ont été supprimées, ce qui explique que la somme des pourcentages ne soit pas égale à 100. Compte tenu de leur poids dans la population de l'échantillon, il semble que certaines catégories sociales manifestent des stratégies d'évitement à l'égard d'options spécifiques. C'est le cas en particulier des élèves issus de milieu privilégié (cadres et professions intellectuelles supérieures) qui sont très peu représentées en IGC, alors que parallèlement leur présence est très forte dans les options MPI, Latin et ISI. A l'inverse, les milieux plus modestes (Employé, Ouvrier) privilégient nettement l'option ISP, même s'ils restent bien représentés dans les options MPI et ISI. Les options Latin, IGC et ISP semblent donc être des options discriminantes du point de vue social. Ces résultats s'inscrivent dans le prolongement des études présentées en première partie et confirme que les évolutions des différentes réformes pédagogiques n'ont en rien supprimé l'existence de processus discriminatoires. Cela dit, dans 25 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde la mesure où les stratégies de différenciation sont un fait social, il est logique que de tels phénomènes s'inscrivent dans le temps, quels que soient les changements internes qui sont ou seront opérés. Tableau 11: Répartition en pourcentage des PCS par option Cadres et Professions Ouvrier et Prof. int. sup. intermédiaire Employé Ses 9,6 13,3 Igc 3,2 Isi Option Autres TOTAL 27,0 15,7 100 5,3 22,8 9,5 100 14,0 14,4 39,1 13,4 100 Isp 12,5 14,3 49,6 11,4 100 Mpi 17,5 20,4 37,6 15,7 100 Latin 14,5 9,6 9,6 8,4 100 Moyenne 11,1 13,7 30,4 13,8 100 Pour terminer cette description, il convient de se montrer prudent quant à l'interprétation des résultats en ce qui concerne les options EPS, Langues ou Arts. Ces options étant peu représentées, il y a une limite évidente quant à la validité statistique des informations les concernant. En outre, s'ajoute le fait que rares sont les établissements qui ont suffisamment d'élèves dans ces options pour prévoir plusieurs classes. Ainsi, dans l'étude de l'influence des choix d'option, il devient difficile de savoir ce qui tient à l'option ou à l'effet-établissement. Ceci est un biais méthodologique important qu'il conviendra de garder à l'esprit dans les analyses ultérieures. III.2./. Profil scolaire de l'échantillon 69% des élèves de l'échantillon sont à l'heure. Parmi les 31% d'élèves restant, 5,3% ont plus de deux années de retard dans leur cursus. Les options qui accueillent le plus souvent des élèves ayant rencontré des difficultés dans leur cursus scolaire sont IGC (54%), ISP (46%) et Arts (36%). Les options vers lesquelles se dirigent les élèves les plus brillants (à l'heure ou en avance) sont Latin (94%), Grec (85%) et MPI (80%). 26 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Tableau 12: Pourcentage d'élèves en retard par option Option En retard A l'heure Igc 54,3 45,7 Isp 46,0 54,0 Arts 36,4 63,6 Isi 31,9 68,1 LV3 30,8 69,2 Ses 28,0 72,0 Eps 23,4 76,6 Mpi 19,6 80,4 Grec 15,4 84,6 Latin 6,0 94,0 Moyenne 30,9 69,1 Ce tableau illustre encore une fois l'auto-sélection manifeste des élèves et de leur famille en ce qui concerne leur préférence de formation. En effet, il semble plus périlleux de choisir des options traditionnellement reconnues comme préparant aux filières d'élite (la voie scientifique, notamment) alors que des difficultés de scolarisation sont déjà apparues dans le cursus antérieur. Pour ces élèves en retard, choisir des options préparant à un cursus technologique en Première, c'est sans doute une façon de valoriser son cursus à travers sa dimension professionnalisante, au cas où la scolarité au lycée, fondée principalement sur des disciplines générales, s'avérait tout aussi délicate qu'au collège. En ce qui concerne l’option langues vivantes, 83,4% des élèves de l’échantillon, soit 1509 personnes, ont opté pour une première langue Anglais. Parmi eux, 44% ont choisi Allemand et 40% Espagnol en seconde langue. Les autres langues sont peu représentées dans notre échantillon. Les élèves qui ont choisi de façon minoritaire l’option Allemand en première langue ont pris, sauf à de rares exceptions, Anglais seconde langue. Traditionnellement, les classes d’Allemand sont réputées accueillir des élèves issus de milieu plus favorisés et n’ayant pas connu de difficultés scolaires. Cette hypothèse selon laquelle il y aurait des comportements de différenciation sociale selon les milieux ne se trouve pas confirmée de façon significative pour l’option Allemand première langue, même si les enfants d’employé et d’ouvrier sont effectivement légèrement sous représentés par rapport aux effectifs attendus en cas de répartition indépendante. De même, pour les élèves ayant choisi Allemand seconde langue, la validité statistique de cette hypothèse n’est pas démontrée dans cet échantillon. 27 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde En revanche, il est clair que l’âge de l’élève à son entrée en Seconde est un facteur déterminant dans son choix de langue. En effet, plus l’élève est en retard dans son cursus et plus il renoncera à l’option Allemand première langue. Conjointement, ces élèves en retard auront une préférence pour l’Espagnol seconde langue. Ces résultats montrent bien que les élèves ont des stratégies de positionnement inégales selon leur vécu scolaire. Pour prolonger cette réflexion, il est possible de s’appuyer à nouveau sur l’idée d’un raisonnement en terme d’arbitrage "coût-bénéfice-risque" selon lequel un élève ayant connu des échecs dans sa scolarité antérieure aura plus d’appréhension à choisir des formations réputées moins "négociables" sur le marché du travail. Au-delà des difficultés inhérentes à l'apprentissage de l'Allemand, il est évident que s’orienter vers "Anglais-Espagnol" se révèle être un choix plus judicieux d'un point de vue professionnel, ces langues étant les plus pratiquées. IV./. Perspectives de recherche Dans cette étude qui met en relation les choix familiaux et décisions institutionnelles d’orientation en fin d'année avec les choix de formation à l’entrée, les analyses croisées entre les options choisies et le profil des élèves ont révélé des phénomènes d’auto-sélection : - les filles choisissent plus fréquemment des options générales, - les milieux modestes sont peu représentés dans les options Isi ou Mps - les élèves en retard se centrent également sur les options recommandées pour accéder aux filières technologiques en Première (Igc, Isp) L'hypothèse proposée pour expliquer ces phénomènes d’auto-sélection posait que les élèves, dans leur choix de formation, répondraient à des stratégies rationnelles de positionnement et auraient, à l’aune de cette stratégie, une conscience éclairée de la valeur marchande des options. Plus exactement, les individus s'inscriraient dans une logique de "diffusion régressive des enjeux" (Berthelot, 1993) selon laquelle l'accès à un bon emploi est lié aux choix de formation dans le supérieur qui dépendent des orientations prises dans le secondaire qui tiennent aux décisions assumées dans le primaire, etc… Autrement dit, les options répondraient davantage à des préoccupations liées à la survie sociale de l’individu qu’à la réalisation de ses goûts ou compétences intellectuelles. 28 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde Ainsi, les élèves les moins à même de se positionner sur le marché de l’élite intellectuelle, supposant des études longues et générales, tendront à s’orienter vers un marché moins risqué du point de vue de la survie sociale, à savoir celui des formations professionnellement monnayables, dans l’éventualité d’une insertion rapide sur le marché du travail. Cette hypothèse se trouvait illustrée par la valorisation en Seconde des options à valeur marchande immédiate ou préparant à des cursus professionnalisés (ISP ou IGC, Anglais, Espagnol) au détriment des options générales (MPI, ISI, Latin, Allemand) chez les élèves issus de milieu modeste, moins disposés à financer des études universitaires longues, risquées et incertaines en terme de retour sur investissement. De même, les élèves ayant pris du retard dans leur scolarité s’engagent plus certainement vers des options techniques que vers des options plus générales. Quant aux filles, peu valorisées par le milieu du travail, surtout si elles sont jeunes et sans compétences professionnelles, elles ont tout intérêt à s’investir dans des formations générales préparant à un cursus universitaire long. Ces phénomènes d’auto-sélection suscitent de nouvelles réflexions quant à l'influence des options sur l'orientation en fin de seconde. Les décisions stratégiques de formation, à l’entrée en seconde, n’auraient en effet aucune raison de ne pas se manifester au moment de la décision d’orientation en fin d’année puisqu’elles obéissent, au vu de cette hypothèse, à un choix rationnel de positionnement. Si cette hypothèse se trouvait confirmée, les analyses sur les vœux familiaux d’orientation devraient révéler des inégalités statistiques selon le profil social et scolaire de l’élève allant dans le même sens que celles évoquées précédemment au sujet des choix d’option. Par ailleurs, dans le prolongement des travaux précédemment cités, on pourrait se demander : - S'il existe une hiérarchise d'options au même titre qu'il existe une inégale reconnaissance des filières de la classe de Première ? - Comparativement aux autres facteurs sociologiques et scolaires susceptibles d'intervenir dans l'explication des progressions scolaires, mesurées à l'aune du classement de l'élève, quel est l'impact propre de l'option choisie ? 29 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde - Tout en prenant en compte l'existence des déterminismes sociaux et des performances scolaires, quels poids ont les options dans les choix d'orientation. Y a t'il des stratégies différentes selon le capital scolaire et social dont est doté l'élève en fin de Seconde ? Certaines options offrent-elles une plus grande latitude dans les choix d'orientation que d'autres ? - Enfin, puisque les options se révèlent être des systèmes favorisant la constitution de classes homogènes, des effets de normes par rapport aux décisions d'orientation sontils observables selon le degré d'homogénéité sociale ou scolaire de la classe ? Il y a cependant une réserve méthodologique forte quant à l'exploitation de ces pistes de recherche. Il est bien évident que pour mesurer l’influence des options sur les décisions institutionnelles et vœux d’orientation, il faudra tenir compte de ces influences sociales et scolaires indirectes. Autrement dit, pour évaluer dans quelle mesure l’option Latin détermine une orientation en Première littéraire ou en Première scientifique, il serait nécessaire de comparer des personnes semblables, donc de raisonner à âge donné, à genre donné et à milieu social donné. Ce type de démarche scientifique ne peut être conduit que dans le cadre d’analyses multivariées qui s'avèrent difficiles à conduire dans le cadre d'un G.F.R. tel que le nôtre (manque de stabilité des effectifs, périodicité inadaptée des réunions, pré-requis statistiques et informatiques insuffisants…) 30 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde V./. Annexe V.1./. Index des tableaux Tableau 1: Evolution des enseignements de détermination technologiques ..................... 11 Tableau 2: Représentation sociale et scolaire dans les options (1993) .............................. 11 Tableau 3: Représentation sociale et scolaire dans les options (2001) .............................. 13 Tableau 4: Etablissements contactés .................................................................................... 19 Tableau 5: Caractéristiques socio-démographiques (non-réponses)................................. 21 Tableau 6: Vœux et décisions d'orientation (non-réponses)............................................... 21 Tableau 7: Effectif des non-réponses par établissement..................................................... 22 Tableau 8: Options représentées dans l'échantillon lycéen................................................ 23 Tableau 9: Taux de féminisation par option........................................................................ 24 Tableau 10: Composition sociale de l'échantillon ............................................................... 25 Tableau 11: Répartition en pourcentage des PCS par option............................................ 26 Tableau 12: Pourcentage d'élèves en retard par option ..................................................... 27 31 Partie 2: Influence des choix d'option sur les orientations en fin de Seconde V.2./. Bibliographie J.M. Berthelot, "Ecole, Orientation, Société, Puf "Pédagogie d'aujourd'hui", 1993 M. Danner, S. Le Bastard, C. Piquet (sous la direction de M. Duru-Bellat), "Les effets de la composition scolaire et sociale du public d'élèves sur la réussite et les attitudes des élèves : évaluation externe et explorations qualitatives", Etude en cours de réalisation Division des Etudes, de l'Evaluation et de la Prospective, Rectorat de l'Académie de Nancy-Metz, "La seconde de détermination", Note d'information (Académie de NancyMetz), 2002, n°3 F. Dubet, "Ecole, famille, le malentendu", Ed. Textuel, le Penser-Vivre, 1997 M. Duru-Bellat & J.P. Jarousse, "La classe de seconde: une étape décisive de la carrière scolaire", Cahier de l'Irédu N°55, Octobre 1993 M. Duru-Bellat, J.P. Jarousse & G. Solaux, "La détermination progressive de l'enseignement de spécialité de la troisième à la terminale", Rapport pour la Direction des Lycées et Collèges, 1996 M. Duru-Bellat, J.P. Jarousse, M.A. Labopin, V. Perrier, "Les processus d'auto-sélection des filles à l'entrée en première", L'orientation scolaire et professionnelle, 1993, 22, n°3, 259-272 M. Duru-Bellat, J.P. Jarousse, A. Mingat, "Les scolarités de la maternelle au lycée: étapes et processus de la production des inégalités sociales", Revue Française de Sociologie, 1993, 34, n°1, 43-60 M. Duru-Bellat, J.P. Jarousse, G. Solaux, "S'orienter et élaborer un projet au sein d'un système hiérarchisé, une injonction paradoxale? L'exemple du choix de la série et de l'enseignement de spécialité en classe terminale", L'orientation scolaire et professionnelle, 1997, 26, n°4, 459-482 M. Duru-Bellat & A. Mingat, "Le déroulement de la scolarité au collège: le contexte fait des différences", Revue française de sociologie, 1988, 29, 649-666 M.E.N., "Filles et garçons face à l'orientation", Note d'information, 02.12 Avril J.P. Jarousse, M.A. Labopin, "Le calendrier des inégalités d'accès à la filière scientifique", L'orientation scolaire et professionnelle, 1999, 28, n°3, 475-496 T. C. Schelling, "La tyrannie des petites décisions", Puf Sociologie, 1980 32 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique Partie III. Le vécu d’un choix d’orientation atypique: L’exemple des filles scolarisées dans des filières professionnelles traditionnellement masculines Mots clés : rapport au savoir, identité, socialisation, disciplines et filières scolaires, filles Cette recherche qualitative a été conduite sous la responsabilité de C. Bouissou19 I. Cadre de la recherche I.1./. Origine de la réflexion et intérêt du travail La Convention du 25-02-2000 « Pour la promotion de l’égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif » a paru au BO n°10 du 9 mars 2000. Ses orientations essentielles concernent : la prise en compte de la dimension sexuée pour l’analyse des parcours des élèves la formation de la communauté éducative à l’égalité des chances l’amélioration de l’orientation professionnelle Ce texte met l’accent sur le faible accès des filles aux filières technologiques et scientifiques et sur la nécessité de modifier cette situation. Dans ce contexte, il est tout à fait pertinent d’analyser la trajectoire et le vécu d’une orientation vers ces filières et d’étudier quelques cas « atypiques ». Partant de là, il s’agissait pour ce G.F.R. de mieux connaître le vécu des filles orientées dans des filières masculines : 19 En tant que responsable scientifique de cet aspect de la recherche du G.F.R., C. Bouissou s'est chargée de la rédaction finale. 33 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique dans une perspective d’auto-formation des membres du groupe et pour des retombées concrètes : réfléchir à la façon d’améliorer les conditions de travail et de vécu scolaire des jeunes filles, et aux possibilités de rendre ce type d’orientation plus attrayant. I.2./. Problématique de la recherche Les disciplines scientifiques et technologiques sont généralement moins attrayantes pour les filles que pour les garçons. L’enfant « apprend », au cours de la socialisation scolaire, que les savoirs sont « sexuellement marqués » (Mosconi, 1995). Au terme de ce processus non conscient et non maîtrisé par l’institution («curriculum caché », Perrenoud 1993), les élèves s’auto-sélectionnent (Duru-Bellat, 1999) et nombreuses sont les filles qui se refusent à certaines orientations, les jugeant trop éloignées de leurs intérêts et de l’image qu’elles ont d’elles-mêmes. La dimension sexuée des savoirs influence les choix d’orientation et professionnels (Vouillot, 2001), ce qui contribue à les rendre conformes aux attentes et normes sociales. Par ailleurs, l’adolescence est une période fondamentale sur le plan identitaire, notamment pour la construction de l’identité de genre (Aebischer, 2000). Le jeune cherche des modèles parmi ses pairs et se détache des modèles parentaux valorisés pendant l’enfance. La comparaison à autrui est alors fondamentale. Cependant d’autres éléments interviennent dans l’élaboration du projet scolaire et professionnel (Dubet & al., 1996), et certains élèves, malgré les pressions sociales dues aux stéréotypes de sexe, choisissent de s’orienter vers des filières et des métiers non conformes à leur genre. Le cas des filles « atypiques » se destinant à des carrières peu féminisées retient particulièrement notre attention. Nous cherchons à mieux comprendre le sens que ce choix a pour elles, les stratégies qu’elles mettent en place pour gérer positivement cette situation et le rapport qu’elles entretiennent à l’école et au savoir ; le rapport aux savoirs étant l’ensemble de représentations, de valeurs, d’attitudes, à l’égard du savoir, des savoirs, de l’apprentissage, de l’école, des activités scolaires, de soi-même en tant qu’élève (Charlot, 1997). Le rapport aux savoirs est un processus complexe, il s’élabore 34 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique progressivement tout au long de la scolarité, mais également au sein de la famille (Rochex, 1995), et au cours des autres expériences de socialisation de la personne. Notre perspective privilégie une explication sociale et socioconstructiviste des différences et non un point de vue essentialiste : les compétences, goûts, intérêts, différents des filles et des garçons sont le résultat du processus d’éducation. Dans cette perspective, ils doivent être compris en tant que « dispositions » socialement construites au cours de la socialisation (Lahire, 2001). Les parents, frères, sœurs, grands-parents, ont tous un rapport à l’école, aux savoirs, aux contenus scolaires ; ils l’évoquent (même implicitement), ils le transmettent souvent à leur insu, par un processus de « socialisation silencieuse » (Lahire, 1995). Les enseignants, les partenaires adultes de l’enfant ou de l’adolescent, les pairs, contribuent également à orienter le sens qu’un enfant ou un adolescent construit vis-à-vis du monde qui l’entoure et vis-à-vis de lui-même. Ainsi, le rapport au monde, à l’école et aux savoirs n’est compréhensible qu’à condition de prendre en compte le contexte de vie et la trajectoire de la personne. II./. Méthodologie de la recherche II.1./. Le choix de l'approche compréhensive L'objectif de la démarche envisagée est de • comprendre le choix d’orientation « atypique » des élèves (les raisons et le vécu du choix) • appréhender au plus près les positionnements des jeunes filles « atypiques », leurs rapports à l’école et au savoir, et l’image qu’elles ont d’elles-mêmes. L’approche compréhensive est privilégiée pour mieux saisir le vécu scolaire des jeunes filles rencontrées. Comprendre un parcours scolaire, le vécu d’une orientation, suppose d’adopter une démarche qualitative pour tenter de cerner la logique subjective propre aux personnes. Un entretien induit une reconstruction a posteriori d’un cheminement, les jeunes filles recherchant (dans leur souvenir mais aussi parmi ce qu’il leur est possible de dire dans cette situation d’entretien), les raisons supposées de ce choix. Bourdieu (1994) a mis en garde 35 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique contre la croyance en l’objectivité de cette reconstruction. Ainsi, on ne considèrera pas que ce qu’ont exprimé les jeunes filles est l’exact reflet des mécanismes qui ont été en jeu lors de leur choix. En revanche, on peut s’intéresser à leur parole pour ce qu’elle nous donne à voir, aujourd’hui, de leur dynamique identitaire, de leur rapport au monde et de l’activité de compréhension qu’elles mènent dans l’entretien, à propos de leur trajectoire. II.1.a./. Caractéristiques de la démarche C’est le vécu subjectif des acteurs (leur point de vue, en tant qu’individus singuliers) que l’on cherche à appréhender, par une démarche qualitative. La question du sens est centrale : le rapport au savoir, l’identité, sont des dimensions psychologiques et concernent l’activité symbolique : la personne donne un sens au monde qui l’entoure, à elle-même, à ses actions (production de sens). L’entretien semi-directif est l’outil privilégié de l’approche compréhensive (Blanchet & Gotman, 1995). Pour mieux cerner les caractéristiques de la démarche compréhensive et qualitative, on peut la comparer à l’approche expérimentale, quantitative (parfois appelée démarche hypothéticodéductive ou démarche de preuve). Cette dernière est fondée sur la recherche de preuves, et étudie l’effet d’une variable « indépendante » sur une autre « dépendante » (ou de quelques variables indépendantes sur quelques variables dépendantes). Dans ce cas, le chercheur formule des hypothèses opérationnelles qu’il met à l’épreuve. II.1.b./. Principes de l’entretien semi-directif On vise l’expression maximum de l’interviewé (et non de l’interviewer) et on adapte le déroulement d’un entretien, en fonction de l’interviewé et de sa singularité. Cherchant à appréhender l’activité subjective et symbolique de l’interviewé, il est nécessaire de se centrer sur sa logique ; ce qui suppose une décentration de la part de l’interviewer ; en cela, l’entretien semi-directif est proche de la technique des récits de vie (Bertaud, 1997) L’approche compréhensive et l’entretien semi-directif supposent de vouloir comprendre et non de juger. Par conséquent la règle de « neutralité bienveillante » est à respecter ; cela doit pouvoir être perçu par l’interviewé, grâce à la posture de l’interviewer : attention, écoute, questionnement en accord avec les propos de l’interviewé. 36 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique Par ailleurs, un entretien ne peut avoir lieu sans que les personnes aient établi un « contrat » ; avant l’entretien, l’interviewer expose sa requête, les objectifs qu’il vise, et s’assure de l’accord de l’interviewé pour participer à l‘étude. Rappelons enfin qu’un entretien s’effectue dans un certain « rapport social » ; en ce qui concerne notre recherche, ce rapport social concernait un adulte et une élève, dans le cadre du lycée ; il sera important de tenir compte de cet élément pour interpréter les entretiens (selon que l’intervieweur se présente en tant que professeur, conseiller d’orientation psychologue, conseiller principal d’orientation, ou chercheur, le jeune ne donnera pas le même sens à la situation d’entretien). II.1.c./. Préparer l'entretien: Quelques techniques et appropriation de la grille A propos de l’introduction : il s’agit de la mise en place de la situation de communication ; l’interviewer se présente, indique quels sont les objectifs recherchés, quels peuvent être les intérêts de l’interviewé à participer à l’entretien Pour lancer l’entretien, il est conseillé de commencer par une question peu impliquante, peu intimidante (par exemple, « je voudrais que tu me racontes…. ») Adaptation du guide d’entretien ; dans le cadre d’un entretien semi-directif, le guide de questionnement indique la trame générale d’un échange dont la dynamique est régie par les réponses de l’interviewé plus que par les questions de l’interviewer. Prendre des notes peut s’avérer utile pour maîtriser au mieux le déroulement. Le principe de l’entretien semi-directif est qu’il se construit « in situ ». Contrairement à un questionnement directif proposant un cadre structuré de questions précises, ordonnées et identiques pour tous les sujets, la démarche semi-directive suppose au contraire que l’interviewer adapte ses questions en fonction de la personne interrogée. C’est la difficulté majeure de cette technique. La reformulation et la valorisation sont des techniques permettant de manifester de l’intérêt à l’interviewé; il s’agit de l’interrompre le moins possible et de « l’accompagner ». A la fin de l’entretien, après l’arrêt de l’enregistrement, des éléments supplémentaires et importants sont parfois rajoutés. Il faut y être attentif. 37 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique La grille d’entretien utilisée Introduction : On s’intéresse aux cas de filles qui ont choisi des filières majoritairement constituées de garçons ; on voudrait mieux savoir ce qui les a conduites vers ce choix, et comment elles vivent cette orientation Je vais te poser des questions, ce sont des questions générales sur toi, sur la scolarité, sur ta famille, tes amis, auxquelles tu peux répondre librement Ce que tu diras ici restera anonyme : je ne donnerai pas ton nom à d’autres personnes Pour toi, ça peut être intéressant de faire le point sur là où tu en es en ce moment, ça peut être intéressant… Renseignements à recueillir : âge, orientation choisie 1) concernant le choix que tu as fait (telle filière, telle option) • peux-tu expliquer comment tu en es arrivée à faire ce choix ? quelles sont les raisons de ce choix ? • est ce que cela t’a semblé naturel, évident, est ce que tu as hésité ? • est ce que ce choix te semble différent de celui des autres élèves ? 2) la famille • où habites-tu ? (faire préciser type d’habitation, taille, quartier) • peux-tu présenter l’un après l’autre, les différentes personnes de ta famille (père, mère, frère et sœur, grands-parents, autres membres s’ils sont proches) quel est leur âge, leurs « occupations » : profession, parcours scolaire • est-ce que parmi ces personnes il y en a qui ont joué (ou essayé de jouer) un rôle dans le choix d’orientation que tu as fait ? • est-ce que d’autres personnes (parents plus éloignés ou personnes que tu connais en dehors de la famille : amis, profs, copains) ont joué un rôle (ou essayé) vis-à-vis de ce choix ? 3) la scolarité antérieure et actuelle • raconte moi comment les choses se sont passées pour toi à l’école, en commençant où tu veux (le plus tôt possible) • quels étaient tes résultats • quels étaient tes intérêts pour les différentes matières scolaires : celles que tu aimais, que tu n’aimais pas, celles qui te laissaient indifférente • quelles étaient tes relations avec les enseignants (les maîtres, puis les profs) • à propos des matières scolaires que tu aimes : qu’est ce qui fait que tu les aimes ? (par exemple : est ce que ce tu fais en cours qui te plaît ? est ce que tu y vois une utilité pour plus tard, et si oui laquelle ?… : faire raconter) • • • à propos de la filière (ou option) choisie : l’apprécies-tu ? qu’est ce qui fait que tu l’apprécies ? (mêmes questions que précédemment) est ce que cette filière (option) te semble en décalage avec le fait que tu es une fille ? est ce que tu as eu l’impression que d’autres personnes (parents, profs, amis..) ont été satisfaites ou au contraire insatisfaites, par rapport à cela ? 38 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique • actuellement, comment ça se passe à l’école ? 4) les relations aux autres • par rapport au fait que tu es une fille parmi beaucoup de garçons, comment ça se passe ? • est ce que les gens, de l’extérieur, te font des remarques, te parlent de cela (en positif ou en négatif) ? • comment ça se passe avec les autres filles (dans l’établissement et en dehors) • est ce que tu te sens différentes des autres filles ? • est ce que tu peux me dire si tu as un petit ami ? (quel âge, …. Faire décrire un peu) 5) projection dans l’avenir • comment tu vois ta vie plus tard ? (dans les mois, les années à venir, puis quand tu seras adulte) • si tu as à l’imaginer, comme tu te vois ? (travail, famille, social, image de soi en tant qu’homme/femme…) • ce sera facile, difficile on peut s’arrêter là, tu peux rajouter quelque chose, si tu le souhaites ... II.2./. Présentation de la population Dans un premier temps, nous avons effectué deux entretiens au lycée professionnel Yser de Reims, pour tester la grille d’entretien (entretiens que nous avons ensuite intégrés à l’échantillon de l’étude). Dans un second temps, nous avons rencontré des jeunes filles du lycée professionnel Louis Armand de Vivier-au-Court (08), établissement dont la proportion d’élèves filles est très faible ; au moment de l’enquête, il comptait 17 filles sur 450 élèves. Un membre de notre groupe est conseiller principal d’éducation dans cet établissement et a pu nous aider à rencontrer ces élèves. Nous avons effectué 13 entretiens dans cet établissement20. Ces élèves sont toutes issues de milieux populaires ; nous n’avons pas fait de recueil systématique de leurs caractéristiques sociobiographiques, mais avons été attentifs aux 20 Nous avons également réalisé deux entretiens auprès de deux filles scolarisées au Lycée Roosevelt de Reims que nous n’intégrons pas à l’échantillon, car le profil sociobiographique des filles interviewées (leur parcours scolaire, leur filière) est trop différent de celui des autres sujets rencontrés. 39 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique indications qu’elles nous ont données concernant leur cadre familial. Ceci afin de pouvoir au mieux comprendre les trajectoires et les placer dans un contexte. Les analyses ont donc porté sur 15 élèves, ce qui constitue un petit échantillon. Les résultats ne seront pas généralisables, mais tel n’est pas notre objectif principal ; nous tentons plutôt de mettre à jour (selon une approche clinique) certains mécanismes à l’œuvre dans la constitution identitaire des jeunes filles interrogées. II.3./. Les étapes du travail 1ère étape (2001-2002) : • élaboration de la grille d’entretien • pré-enquête auprès de 2 jeunes filles du lycée professionnel YSER : test de la grille 2ème étape (2002-2003) : • à partir des deux entretiens effectués, affinement de la grille • enquête auprès de 13 filles • retranscription (emploi d’une vacataire) et analyse des entretiens 40 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique III./. Résultats Pour guider la lecture et l’analyse des entretiens, nous avons défini un certain nombre de dimensions sur lesquelles nous porterions notre attention. Une lecture rapide de quelques entretiens a permis de les préciser : 1. Le passé scolaire 2. Les critères de choix 3. Les influences venues des proches (partenaires éducatifs) 4. Les relations avec les professeurs 5. Les relations à autrui 6. L’image de soi 7. La projection dans l'avenir L’analyse de contenu permettra de répondre à trois types de questions : 1) Comment comprendre ce qui a conduit ces élèves à opérer leur choix ? 2) Comment comprendre leur rapport à l’école, au savoir, à leur scolarité passée et présente ? 3) Quelle image ont-elles d’elles-mêmes ? Le travail d’analyse et d’interprétation a supposé qu’au delà de la lecture des entretiens, nous puissions éclairer les données recueillies par des connaissances issues de la « communauté scientifique ». Remarques générales La manière dont les jeunes filles se sont engagées et exprimées au cours de l’entretien est une dimension intéressante à analyser, car elle nous renseigne sur leur « rapport au monde ». Ainsi, on a pu noter que les niveaux d’engagement et d’implication dans l’entretien ont été variables. Certaines jeunes filles se sont peu livrées ; en retrait, elles semblaient impressionnées par cette situation peu commune. Peut-être ont-elles davantage cherché à « coller » aux attentes supposées de l’adulte qui les interviewait, qu’à exprimer un point de vue personnel. Les travaux sociolinguistiques permettent de comprendre cela : ils ont montré à quel point la situation de communication entre interviewer et interviewé est complexe et peut être bloquante : il peut sembler très incongru de livrer quelque chose de soi à un inconnu ; cette remarque vaut particulièrement pour les personnes issues de milieux 41 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique socioculturellement défavorisés, estimant leur parole peu légitime (Berntein,1975, Lahire, 1998). III.1./. Les critères de choix de l’orientation Les jeunes filles se disent « à l’aise » avec les garçons ; elles « s’entendent bien » avec eux. Cette dimension est souvent explicitement évoquée comme une raison directe du choix d’une filière typiquement « masculine ». Quand elle n’est pas évoquée directement comme la raison principale de leur choix d’orientation, la « bonne entente avec les garçons » apparaît toujours au cours de l’entretien ; dans ce cas, si elle n’est pas considérée par la fille comme un élément décisif de son choix, on peut quand même penser qu’elle a sans doute joué un rôle. D’autres éléments semblent participer au choix d’orientation : – un goût marqué pour la technique, la pratique, l’action, le mouvement, que les jeunes filles considèrent opposés et préférables à l’écoute passive (dans d’autres filières). « Je préfère quand on se sert de nos mains, plutôt que d’écouter les profs faire les leçons » (Adélaîde, BEP électronique). « J’aime bien être sur des machines, c’est toucher, bouger, faire beaucoup de chose, on en apprend tous les jours » (Jennifer, BEP outillage) – corrélativement, l’expression d’une forte dépréciation des métiers dits féminin – un goût pour la matière, par exemple les mathématiques, l’électronique – un passé scolaire peu brillant, qui explique l’orientation vers un LP. S’exprime dans les paroles de ces élèves, un rapport aux savoirs et au monde observé chez de nombreux lycéens de LP (Jellab, 2000, 2003 Charlot, 1999) caractérisé par un fréquent rejet des savoirs « décontextualisés » et une nette préférence pour les matières professionnelles. Par ailleurs, l’encouragement familial, parental, et en particulier paternel, constitue un élément important. Le père, bien souvent, apparaît comme une figure identificatoire forte. Notons au passage que de nombreuses mères de notre échantillon n’ont pas d’activité 42 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique professionnelle ; dans ces cas, on peut supposer que l’enfant (et la fille en particulier) a de faibles possibilités de s’identifier à la mère sur le plan professionnel (Lahire, 1995). Arrêtons-nous un instant sur la question du soutien parental ; les filles ne considèrent pas avoir été influencées de manière explicite par leurs parents, quant à leur choix d’orientation. Ces derniers paraissent assez extérieurs à la trajectoire de l’élève, disant à leur fille que « c’est à elle de savoir ce qu’elle veut faire ». On est loin, ici, du soutien instrumental offert par les parents de classes moyennes et favorisées, qui s’impliquent dans la recherche d’information, qui mettent en œuvre des stratégies efficaces en vue de l’orientation et du futur de leur progéniture (Van Zanten, 2003). Cependant on saisit bien le rôle que jouent les parents, et en particulier, ici, le père, donnant à la fille une sorte « d’autorisation symbolique » (Rochex, 1995), un encouragement à choisir une filière non conforme à son sexe (« mon père m’a dit : y a pas de honte à avoir »). Les filles évoquent spontanément un fort soutien affectif de la part des parents. Autre élément qui a compté dans leur décision : le contact qu’elles ont eu l’année précédant leur arrivée dans l’établissement, avec un élève qui les a rassurées quant au climat, à l’ambiance du lycée et les a confortées dans leur choix. Pour conclure sur la question des éléments qui déterminent le choix d’orientation de ces filles, deux points sont à souligner : d’une part, se dégage des entretiens l’idée que le choix d’orientation est le résultat d’un processus complexe dans une configuration particulière, mettant en œuvre une conjonction d’éléments (Lahire, 1995). Aucun facteur n’est à lui seul, décisif dans le parcours de ces filles, mais plusieurs ont participé au processus : un rapport positif aux savoirs et activités techniques, un passé scolaire semé d’embûches, un rapport privilégié au père, des relations amicales positives avec les garçons, et un rejet des dispositions identifiées comme trop féminines. La seconde remarque concerne la notion de « choix ». Le sens commun du terme « choix » suppose que les jeunes filles ont formulé des projets conscients, construits, et explicites. Or, 43 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique on a bien perçu les difficultés de la plupart des filles, à identifier clairement les raisons de leur choix. Celui-ci est opaque à leurs yeux, ou trop évident pour mériter d’être interrogé. Ce constat rejoint nombre de travaux sur la socialisation, montrant que les individus se socialisent, s’orientent, font des choix, sans toujours maîtriser les raisons de leurs décisions, sans forcément savoir ce qui détermine leur parcours. Ce qui ne signifie pas que la rationalité est absente de leur trajectoire, mais il s’agit d’une rationalité complexe. La notion de « choix » mérite ainsi d’être interrogée (Daune-Richard & Marry, 1990, Ricoeur, 1999, Marry, 2000, Lahire, 2002, Troger, 2003). III.2./. Le vécu de la scolarité et le rapport au savoir L’intégration dans l’établissement a été parfois difficile au début (il a fallu « se faire respecter ») ; le constat est positif, concernant en particulier les relations aux garçons. Pour deux jeunes filles toutefois, il existe un conflit « sévère » avec un ou les garçons de la classe. Les jeunes filles sont dans l’ensemble satisfaites de leurs relations avec les professeurs. Ces derniers témoignent une attention plus grande à leur égard, mettent en valeur la qualité de leur travail. Ce qui rejoint l’idée largement répandue dans le monde scolaire que les filles manifestent des qualités de soin, d’application, une plus grande rationalité vis-à-vis des activités scolaires, que les garçons (Lahire, 1995). Au travers des dires de ces jeunes filles, on perçoit leur rapport à l’école et à leur choix d’orientation : elles essaient une orientation, le risque de l’échec est intégré, et elles ne s’engagent pas « à fond ». La scolarité n’est pas l’occasion d’une expérience de « transformation de soi » mais est vue dans sa fonction utilitaire d’accès à un diplôme (Rochex, 1998). Le lycée, c’est une étape par laquelle il faut passer, ce qui compte c’est la suite (l’important dans l’école, c’est d’en « sortir ».. .), ce qui compte, c’est travailler (car à l’école, on ne « travaille pas »). Trouver un travail (et non pas exercer un métier) ne semble d’ailleurs pas forcément être prévu dans la continuité des études : si on ne trouve pas de travail dans cette voie là, on en trouvera un dans un autre domaine. Pelpel et Troger (1993) rappellent que seulement 37% des filles formées aux niveaux V et VI, dans des disciplines traditionnellement masculines (dessin industriel, électronique, bâtiment, mécanique) exercent 44 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique finalement le métier pour lequel elles ont été formées ; la moitié d’entre elles l’ayant abandonné après une brève expérience. Bien que reconnaissant parfois un intérêt pour la matière dominante de leur filière, ces filles n’expriment pas d’enthousiasme : elles ont un rapport « froid » et peu impliqué avec les « choses scolaires ». Ces résultats confirment ce que les chercheurs de l’équipe ESCOL (Bautier, Charlot, Rochex) ont analysé à propos du « rapport au monde et à l’école » de certains élèves. Notons aussi que le type de filière (dans cette étude, filières industrielles) peut expliquer en partie ce manque apparent d’implication : les filières industrielles dans lesquelles sont scolarisées les élèves rencontrées sont moins attachées à l’image d’un métier particulier, clairement identifié, que d’autres filières telles que le bâtiment, la mécanique auto, la conduite routière… On peut dès lors mieux comprendre le flou et l’opacité des projections de ces filles dans l’activité professionnelle. III.3./. L’image de soi Dans l’ensemble, les jeunes filles ont des relations plutôt positives avec leur entourage, familial et amical ; elles ont des copines et des copains. L’orientation atypique n’a pas conduit à une rupture. Elles sont nombreuses à se définir comme « garçons manqués ». Elles ne se reconnaissent pas dans les normes attachées traditionnellement à l’apparence féminine (vestimentaires et comportementales) et expriment des affects négatifs vis-à-vis des « traits » typiquement féminins. Pour plusieurs d’entre elles, « les autres filles sont efféminées ». Notons la formule péjorative. La dimension « apparence physique » est associée (dans le discours de l’une d’entre elles particulièrement) à une dimension sexuelle. Pour cette jeune fille, s’habiller de manière féminine dans un établissement masculin, c’est afficher quelque chose de l’ordre de la sexualité. 45 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique Toutefois, et bien que n’hésitant pas dans les entretiens, à se dire « garçons manqués », ces filles ne se sentent pas différentes des autres filles. L’une d’elles dit : « je suis comme tout le monde ». Ce résultat pourrait sembler paradoxal. Mais le paradoxe n’est qu’apparent : si les filles se désignent « garçons manqués », c’est peut-être surtout en fonction du regard qu’elles supposent qu’autrui porte sur elles (Rodriguez-Tomé, 1972). Elles, ne doutent pas de leur identité ; cela apparaît nettement quand elles évoquent leur avenir. La projection dans le futur s’exprime en effet de manière très conventionnelle : travail, mariage, parentalité, vie familiale : « Je me dis : je vais rentrer dans la vie active, prendre un travail, avoir une paie tous les mois, économiser, rester une paire d’année chez mes parents pour pouvoir économiser, me mettre en ménage, profiter un peu de la vie, après avoir fait tout cela, faire des enfants, et retravailler après si c’est possible » (Emilie, terminale bac pro, MSMA) Au sujet des inégalités hommes-femmes, elles expriment une sorte d’acceptation et de « résignation tranquille ». Elles connaissent l’existence d’inégalités sociales entre femmes et hommes ; elles sont nombreuses à dire qu’elles auront « moins de chances » que les garçons pour trouver un emploi, qu’elles ne trouveront pas un « travail dans la branche ». Mais cette situation ne semble pas les atteindre dans leur intégrité, ni être un sujet de fortes préoccupations. Ce qui est important, c’est d’avoir du travail (et non un métier) ; et le travail ne se situera pas forcément (n’a pas à nécessairement à se situer…) dans la continuité de la formation. On peut comprendre cela en faisant référence aux études sur l’identité au travail. L’activité professionnelle ne constitue pas les mêmes enjeux identitaires selon le contexte et les conditions d’existence. D’une part, dans les milieux populaires, l’identité s’élabore de manière plus collective, moins individualiste que dans les groupes sociaux socialement favorisés (Lorenzi-Cioldi, 1988). La recherche de réalisation personnelle et d’épanouissement est moins affirmée que dans les classes sociales favorisées. Le métier c’est d’abord un travail nécessaire à la survie (rappelons que les jeunes filles de notre échantillon ne parlent pas de métier mais de travail) et non une occasion de création de soi, de création d’œuvre (Molinier, 2002). IV./. Conclusion Au terme de nos analyses, il nous semble possible de conclure que l’orientation en filières professionnelles traditionnellement masculines, ne constitue pas un risque majeur pour 46 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique l‘identité de la personne. Et ce, peut-être, parce que la socialisation scolaire n’est pas le lieu d’une forte implication identitaire et subjective, de la part de ces jeunes filles. C’est en tous cas ce que nous avons observé dans notre échantillon. La trajectoire et l’orientation de ces filles s’est révélée davantage atypique à nos yeux qu’aux leurs ! Leur situation scolaire est peut-être hors normes, mais elles-mêmes ne se vivent pas ainsi. Elles n’ont pas bravé d’interdit, elles ne sont pas « porte-drapeau ». Les écouter a permis de s’apercevoir qu’elles n’ont pas choisi un métier d’homme ni des études de garçons, mais qu’elles ont opté pour un domaine dans lequel elles se sentent à l’aise, sans savoir s’il les conduira à un métier. L’approche qualitative et compréhensive nous a permis d’approcher les processus par lesquels ces filles se positionnent dans le monde et dans leur trajectoire personnelle. Bien sûr, elles ne représentent pas toutes les filles, ni même toutes les filles de lycées professionnels. Mais leur témoignage n’en est pas moins intéressant. 47 Partie 3 : Le vécu d'un choix d'orientation atypique V./. Bibliographie AEBISCHER, V. (2000). La construction de l’identité masculine ou féminine chez les adolescents, In F. Vouillot (dir), Filles et garçons à l’école, une égalité à construire, Paris, CNDP. BERNSTEIN, B. (1975). Langage et classes sociales, codes sociolinguistiques et contrôle social, Paris, Éditions de Minuit. BERTAUD, D. (1997). Les récits de vie, Paris, Nathan. BLANCHET, A. & GOTMAN, A. (1995). L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Nathan Université. BLANCHET, A. (1985). L’entretien dans les sciences sociales, Dunod. BOURDIEU, P. (1994). 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