Récidive biologique après traitement à visée curative d`un cancer de

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Récidive biologique après traitement à visée curative d`un cancer de
N°1 Février 2007
AVIS D’EXPERT
Récidive Biologique après Traitement à Visée
Curative d’un Cancer de la Prostate
L
➢ Dr Jacques Irani Urologue - Hôpital de La Miletrie, Poitiers
a récidive biologique après traitement
à visée curative d’un cancer de la
prostate est définie par une augmentation
isolée du PSA : le patient est
asymptomatique et les investigations
cliniques et para-cliniques ne permettent
pas de localiser une récidive.
Cette augmentation du PSA constitue
cependant en soi un symptôme, si l’on
considère la charge émotionnelle qu’elle
entraîne chez le patient et son entourage :
cette augmentation est parfois vécue
comme un arrêt de mort. Et pourtant les
statistiques sont loin d’être aussi
alarmantes.
I. Récidive biologique :
QUAND ?
1. Après Prostatectomie radicale
Le seuil de PSA définissant la récidive
biologique est controversé. Des chiffres
allant de 0,2 à 0,4 ng/ml ont été avancés
par différents auteurs qui ont évalué le
risque de progression clinique en fonction
de différentes valeurs-seuil du PSA.
Une étude rétrospective d’une cohorte
multicentrique américaine a évalué le
risque de progression à 5 et 10 ans en
fonction de différents seuils de PSA : 0,2 ;
0,3 ; 0,4 et 0,5 ng/mL, sur 2 782 patients
traités par prostatectomie radicale [1]. Le
PSA avait augmenté par la suite chez 49%,
62% and 72% des patients qui avaient
atteints un PSA de 0,2 ; 0,3 et 0,4 ng./ml.,
respectivement. Plus le seuil choisi est bas,
plus le risque de progression est faible,
avec cependant une spécificité qui va
également en diminuant.
Les auteurs avaient conclu après analyse de
leurs résultats que la valeur de 0,4 ng/ml
était la plus appropriée comme seuil
définissant la récidive biologique
2. Après radiothérapie externe
La définition de récidive biologique est
plus complexe : le tissu prostatique étant
laissé en place, le PSA reste le plus souvent
détectable après irradiation avec une
diminution progressive qui ne suit pas de
schéma systématique. Par ailleurs, la
nécrose due à l’irradiation peut être la
source d’une augmentation temporaire du
PSA au cours de l’année suivant la
radiothérapie : c’est le PSA «bounce» qui
ne correspond pas à une récidive. Un article
récent a repris les nombreux critères
proposés
pour définir la récidive
biologique après radio-thérapie, chaque
méthode apportant ses avantages en termes
de simplicité ou sensibilité ou spécificité
[2]. Parmi les plus utilisés en pratique,
citons :
• l’augmentation du PSA à 3 reprises
adopté par
successives,
critère
l’American Society for Therapeutic
Radiology and Oncology (ASTRO) lors
de la conférence de consensus de 1997.
• Le PSA dépassant le nadir +2ng/ml
II. Récidive biologique :
Quelle est sa GRAVITE ?
1. Après Prostatectomie radicale
L’expérience de centre John Hopkins sur
l’évolution des patients en récidive
biologique n’ayant pas eu de traitement
3
avant la survenue de symptômes est très
informative : c’est la fameuse étude de
Pound [3] : sur une cohorte de 1 997
patients ayant eu une prostatectomie
radicale, 304 ont présenté une récidive
biologique définie par un taux de PSA ≥
0,2 ng/ml et ont été simplement surveillés:
un tiers de ces patients ont développé des
métastases avec un délai médian de 8 ans.
Une fois les métastases diagnostiquées, le
décès survenait dans un délai médian de
5 ans. Toujours de l’équipe de John
Hopkins, une étude plus récente de 160
patients opérés d’un cancer de la prostate
par prostatectomie radicale et ayant un
PSA détectable (≥ 0,1 ng/ml) en postopératoire [4]: la probabilité de survie sans
métastase était de 49 % à 5 ans et de 22 %
à 10 ans.
2. Après radiothérapie externe
Après radiothérapie externe, l’équipe de
Pollack [5] a analysé une série de 942
patients avec un suivi médian de 6 ans. La
définition de la récidive biologique utilisée
était celle de l’ASTRO. Cette récidive
biologique a été évaluée à 5 ans à 34% alors
que le risque de métastases était de 6% et
les décès spécifique et global de 3% et 13%
respectivement.
III. Récidive biologique :
comment définir
les PATIENTS A RISQUE ?
Pour une majorité des patients, la récidive
biologique n’est donc pas une
condamnation à court et même à moyen
terme à la récidive clinique. A contrario,
une minorité significative verra une
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progression clinique suivre de près la
récidive biologique: quelles sont les
caractéristiques qui permettent de définir
au mieux cette population?
dans le JAMA en 2004 fait référence
actuellement. Parmi 501 patients traités par
radiothérapie de rattrapage dans le cadre
d’une récidive biologique, la probabilité
de survie sans progression à 4 ans était de
45% (IC 95% 40-50%). En analyse
multivariée, les facteurs prédictifs de
progression après radiothérapie (en d’autre
terme, d’échec de la radiothérapie) étaient:
FIGURE 1
1. Après Prostatectomie radicale
L’étude de plusieurs cohortes de patients
[3, 4, 6] a mis en évidence la valeur
pronostique péjorative des facteurs
suivants :
• Le score de Gleason > ou = 8 (p<0,001;
RR 2,6)
• Un score de Gleason > 7
• Une cinétique d’augmentation rapide
du PSA : facteur prédictif de survenue
à court terme de métastases, mais dont
l’évaluation en pratique courante n’est
pas aisée. Les différentes publications
rapportent soit une pente d’ascension,
soit un temps de doublement dont les
calculs nécessitent des moyens
informatiques pour tenir compte du fait
que l’augmentation du PSA n’est pas
linéaire. Un temps de doublement du
PSA < 12 mois est considéré par de
nombreux auteurs comme significativement péjoratif [3, 6].
• L’envahissement des vésicules séminales
• L’envahissement ganglionnaire
L’analyse multivariée de tous les facteurs
pronostiques avait montré dans l’étude de
Rogers que seuls le score de Gleason et la
pente de re-augmentation du PSA étaient
des facteurs pronostiques indépendants [4].
2. Après radiothérapie externe
Là aussi l’analyse de grandes cohortes de
patients traités par radiothérapie externe a
permis d’isoler des facteurs de risque très
proches de ceux cités ci-dessus [6, 7] :
• Le stade T > 2
• Score de Gleason > 7
• La cinétique du PSA
La figure 1 extraite des résultats de
d’Amico [6] illustre l’importance
pronostique de la cinétique du PSA lors de
la récidive biologique faisant suite à une
prostatectomie
radicale
ou
une
radiothérapie externe.
IV. Récidive biologique :
QUEL TRAITEMENT ?
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Récidive biologique après traitement à visée
curative d’un cancer de la prostate
Les niveaux de preuve sont faibles : les
consensus d’experts sur les stratégies de
traitement de la récidive biologique
• Le PSA > 2 ng/ml avant radiothérapie
(p<0,001 ; RR 2,3)
Figure1. Courbes de survie spécifique
des patients en récidive biologique après
prostatectomie radicale ou radiothérapie
externe en fonction du temps de doublement du PSA. D’après [6].
reposent essentiellement sur des données
rétrospectives. Ni le type d’approche
thérapeutique, ni le moment opportun pour
débuter un traitement complémentaire ne
sont clairement définis. Devant toute
décision de traitement, le praticien doit
prendre en compte des facteurs liés au
patient (âge, co-morbidité, espérance de
vie) et ceux liés à la maladie, cités ci-dessus.
1. Après Prostatectomie radicale
a. La « surveillance attentive »
(Watchful Waiting)
La majorité des experts ne recom-mande
pas cette attitude en cas de facteurs
pronostiques défavorables en raison du
risque important de pro-gression clinique
à court terme.
b. La radiothérapie externe :
Un traitement local complémentaire ne
pourrait être logiquement utile qu’en cas de
récidive locale exclusive. Or il n’est pas
possible actuellement d’affirmer qu’une
récidive biologique est en rapport avec un
processus exclusivement local.
Des études de cohorte de patients ont
montré que les cancers en récidive
biologique présentant des critères
d’agressivité avaient des taux de réponse
à la radiothérapie complémentaire plus
faibles, probablement en raison de micro
métastases déjà présentes [8, 9].
La publication de Stephenson [8] publiée
4
• Des marges chirurgicales négatives
(p<0,001 ; RR 1,9)
• Des vésicules séminales envahies (p =
0,02 ; RR 1,4)
• Un temps de doublement du PSA < 10
mois (p = 0,001 ; RR 1,7).
c. L’hormonothérapie
L’hormonothérapie par analogue de la LHRH (avec ou sans anti-androgènes)
demeure un des traitements les plus utilisés
dans le contexte de la récidive biologique.
Pourtant le débat " hormonothérapie
précoce ou tardive " est toujours d’actualité.
Si
l’instauration
précoce
d’une
hormonothérapie n’a montré aucun
bénéfice dans les cancers de bon pronostic,
des arguments récents plaident en faveur
de l’hormonothérapie précoce dans les
cancers à haut risque de progression.
Dans l’étude rétrospective de Moul [10]
qui a évalué l’impact de l’hormonothérapie
précoce après prostatectomie radicale, la
survie sans métastases était plus importante
chez les patients ayant eu une hormonothérapie dès la récidive biologique
uniquement dans les cas suivants :
• score de Gleason > 7
ou
• temps de doublement du PSA < 12 mois.
Ceci est illustré dans les courbes de survie
sans métastases reproduites dans la figure
2. A noter qu’il n’y avait pas de différence
de survie globale selon que les patients
aient eu une hormonothérapie précoce ou
tardive.
d. La chimiothérapie
Seule ou associée à l’hormonothérapie en
cas de récidive biologique est en cours
d’évaluation : il s’agit de l’essai randomisé
de phase III GETUG R-PSA-CP03.
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Récidive biologique après traitement à visée
curative d’un cancer de la prostate
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as a surrogate end point for prostate
cancer specific mortality following
radical prostatectomy or radiation
therapy. J Urol 2004 ; 172 : S42-47
RÉFÉRENCES
Gleason>7
ou
Temps de doublement
du PSA <ou= 12 mois
Figure 2
Figure
2. L’hormonothérapie précoce
(PSA<ou= 5 ng/ml) influence la survie
sans métastases chez les patients ayant
un score de Gleason >7 ou un temps de
doublement du PSA <ou= 12 mois.
2. Après radiothérapie externe
On retrouve les mêmes principes
thérapeutiques que ceux cités ci-dessus, en
dehors évidemment de la radiothérapie
complémentaire.
1. Amling CL, Bergstalh EJ, BluteML et al.
Defining prostate specific antigen
progression after radical prostatectomy:
what is the most appropriate cut point?
J Urol 2001 ; 165 : 1146-51
2. Kuban DA, Thames HD, Shipley WU:
Defining recurrence after radiation for
prostate cancer. J Urol. 2005;173:1871-8.
3. Pound CR, Partin AW, Eisenberger MA
et al. Natural history of progression after
PSA elevation following radical
prostatectomy. JAMA 1999 ; 281 : 159197
4. Rogers CG, Khan MA, Craig Miller M
et al. Natural history of disease
progression in patients who fail to
achieve an undetectable prostate-specific
antigen level after undergoing radical
prostatectomy. Cancer 2004 ; 101 : 254956
5. Pollack A, Hanlon AL, Movsas B et al.
Biochemical failure as a determinant of
distant metastasis and death in prostate
cancer treated with radiotherapy. Int J
Radiat Oncol Biol Phys 2003 ; 57 : 19-23
6. D’Amico AV, Moul J, Peter R et al.
Prostate specific antigen doubling time
7. Zelefsky MJ, Ben-Porat L, Scher HI et
al. Outcome predictors for the increasing
PSA state after definitive external-beam
radiotherapy for prostate cancer. J Clin
Oncol 2005;23: 826-31
8. Stephenson AJ, Shariat SF, Zelefsky MJ
et al. Salvage radiotherapy for recurrent
prostate
cancer
after
radical
prostatectomy. JAMA. 2004 ; 291 : 132532
9. Patel R, Lepor H, Thiel RP, Taneja SS.
Prostate-specific antigen velocity
accurately predicts response to salvage
radiotherapy in men with biochemical
relapse after radical prostatectomy.
Urology 2005 ; 65 : 942-46
10. Moul JW, Wu H,Sun L, et al. Early
versus delayed hormonal therapy for
prostate specific antigen only recurrence
of prostate cancer after radical
prostatectomy. J Urol 2004; 171 : 1141-47
CE QU’IL FAUT RETENIR
➟ La récidive biologique après traitement à but curatif est définie par une ascension isolée du chiffre de PSA, sans aucun autre signe de récidive
➟ Après prostatectomie radicale le seuil de récidive peut-être fixé à 0,4 ng/ml. Après radiothérapie
externe, les critères les plus communément utilisés sont ceux de l’ASTRO (3 augmentations successives du PSA) ou le seuil du Nadir + 2 ng/ml.
➟ Le risque de progression clinique dans les 5 à 10 ans qui suivent une récidive biologique concerne
moins de 50% des patients.
➟ Les facteurs de risque de progression clinique après récidive biologique sont essentiellement le score de Gleason >7 et la vitesse rapide de ré-ascension du PSA (pente ou temps
de doublement).
➟ Le traitement en cas de récidive biologique est controversé en l’absence de preuve solide
actuellement. Après prostatectomie radicale, la radiothérapie complémentaire peut-être
envisagée dans les cancers présentant des signes indirects de récidive locale exclusive.
L’hormonothérapie semble utile dans les cancers à haut risque de progression (essentiellement Gleason et cinétique du PSA élevés). La chimiothérapie est en cours d’évaluation.
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