LA GUERRE D`ALGERIE DES MESSALISTES 1954 -1962

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LA GUERRE D`ALGERIE DES MESSALISTES 1954 -1962
LA GUERRE D'ALGERIE
DES MESSALISTES
1954
- 1962
Du même auteur:
-
Vie économique et sociale des grands pays de l'Europe
occidentale et des Etats-Unis. Début du XXO siècle - 1939. Paris,
SEDES, 1976, 487 p.
- Etat et vie économique dans les grands pays industriels en
URSS et en Italie. Début XXO siècle -1939. Paris, SEDES, 1977,
281 p.
- Problèmes des relations internationales 1918-1949. Paris,
SEDES, 1980,396 p.
- Les Français et la France (1859-1899). T.2, Paris, SEDES,
1986, 253 p.
- La France et l'Afrique: l'Afrique française du Nord
1914-1962.Paris, SEDES, 1993,501 p.
- La France et l'Afrique: L'Afrique subsaharienne de 1914 à
1960. Paris, SEDES, 1994,316 p.
- Indochine 1940 - 1945. Français contre Japonais. Paris,
SEDES, 1993,505 p.
- La guerre d1ndochine 1945-1954. Paris, Armand Colin, 1994,
414 p.
JACQUES VALETTE
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DES MESSALISTES
1954 - 1962
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Collection Histoire et Perspectives Méditerranéennes
dirigéeparJean-PaulChagnollaud
Déjà parus
Zoubir CHATTOU, Migrations marocaines en Europe ou le paradoxe des
itinéraires, 1998.
Boualem BOUROUIBA,Les syndicalistes algériens, 1998.
André MICALEFF, Petite histoire de l'Algérie, 1998.
Samy HADAD, Algérie, autopsie d'une crise, 1998.
Romain DURAND, De Giraud à de Gaulle: Les Corps francs d'Afrique,
1999.
Ahmed DAHMANI, L'Algérie à l'épreuve, 1999.
Rabah SOUKEHAL, L'écrivain de langue française et les pouvoirs en
Algérie, 1999.
Henri MSELLATI, Les JuifS d'Algérie sous le régime de Vichy, 1999.
Laurent MULLER, Le silence des harkis, 1999.
Gilles LAFUENTE, La politique berbère de la France et le nationalisme
nouveau, 1999.
.
Mustapha BABA-AHMED, L'Algérie:
Diagnostic d'un développement,
1999.
Bernard DOUMERC, Venise et l'émirat hafside de Tunis (1231-1535),
1999.
Pierre DUMONT, La politique linguistique et culturelle de la France en
Turquie, 1999.
Moktar LAMAR! - Hildegard SCHÜRINOS,Forces féminines et dynamiques
rurales en Tunisie, 1999.
Thomas de SAINT MAURICE, Sahara occidental 1991-1999, 2000.
Marianne LEFEVRE, Géopolitique de la Corse. Le modèle républicain en
question,2000.
Maurice FAIVRE, Les archives inédites de la politique algérienne, 19581962, 2000.
Claude LIAUZU, Passeurs de rives, changements
d'identité
dans le
Magreb colonial, 2000.
Elisabeth MOUILLEAU, Fonctionnaires
de la République et artisans de
l'Empire,2000.
André MICALEFF, Il a neigé sur Alger. Paraboles et paradoxes,2000.
Jean MONNERET, La phase finale de la guerre d'Algérie, 2000.
@ L'Harmattan, 2001
ISBN: 2-7475-0587-1
INTRODUCTION
N.B. - Sauf indication contraire, les cotes des documents cités
renvoient aux fonds du Service Historique de l'Armée de Terre, au
château de Vincennes.
La guerre d'Algérie fut une affaire de propagande autant
qu'une affaire de guerillas et de terrorisme. Dès 1954, le groupe
qui en avait pris l'initiative, le Front de Libération Nationale
(FLN) prétendit au monopole du combat idéologique, pour obtenir
le monopole de la négociation sur l'indépendance, et donc le
monopole du pouvoir politique à instituer. Une image fut
fabriquée: le FLN incarnait l'aspiration d'un peuple unanime,
brimé par la France. Après l'indépendance, il en conserva
l'idéologie, en s'imposant comme un parti unique dans un état
dictatorial et policier.
Toute l'histoire officielle, depuis 1962, impose la vision
d'une "nation algérienne", unanime. Ce fut inexact. La masse
musulmane comptait des milliers d'éléments francophiles, qui
furent les victimes d'une épuration sanglante. Elle comprenait
aussi d'autres nationalistes sincères, les messalistes, tombés dans
l'oubli, comme leur inspirateur, Messali Hadj. Celui qui avait
lancé l'idée nationale algérienne n'obtint pas .le droit de revenir
dans son pays en 1962, et il mourut en France en 1974. En
Algérie comme en France, une autre guerre fut menée entre
militants fidèles, regroupés derrière Messali en un Mouvement
National Algérien, et commandos du FLN. .Les premiers aussi,
rêvaient d'indépendance.
Qui les évoque encore?
Toute l'idéologie, toute l'action du FLN ne peut être
comprise que comme un héritage de Messali. Les premiers
attentats, très symboliques, en novembre 1954, furent commis par
un groupe de militants messalistes, ardents à passer enfin à cette
action violente, dont on parlait depuis des années, et qui n'était
jamais décidée. Les leaders de l'appareil du FLN, en Algérie
comme à l'extérieur, viennent tous du parti messaliste. Ces vérités
commencent à percer en Algérie. La dépouille de Messali a été
ramenée à Tlemcen, sa ville natale, dont l'aérodrome porte
désormais le nom de Messali. Un ministre algérien s'est même
risqué à reconnaître que sans Messali, il n'y aurait pas eu de
9
principe d'indépendance, car il avait fonné une "génération de
militants indépendantistes", "ceux qui ont préparé la révolution du
1er novembre."
1
Ces affinnations ne suffisent pas à I'historien. Elles ne
reposent sur aucune étude précise, ne traduisant qu'un sentiment
d'évidence. On a l'impression que les connaissances en sont
restées au niveau imposé par la double propagande de guerre,
celle du FLN et celle des services français. En 1955, Francis et
Colette Janson, dont les sympathies pour le FLN sont connues, ne
voyaient d'influence messaliste "qu'en certains points de
l'Oranie", et dans "des foyers d'agitation" entretenus à Alger.2 En
1980, M. Mohamed Harbi ne voyait encore "qu'un mouvement de
masse qui s'effondre dès le début de la répression." 3 Quant aux
officiers de l'Etat-major d'Alger, ils ont répété pendant des mois:
le FLN "conquiert rapidement le monopole de la lutte en Algérie;
le MNA ne survit dès lors qu'en Métropole."4
Une réalité a été occultée, de telles affinnations sont
devenues inadmissibles à mesure que s'ouvrent les archives
françaises, que les témoins évoquent leurs souvenirs. Les
messalistes fidèles menèrent leur guerre, un temps, avec prudence,
contre les Français, mais surtout contre les hommes du FLN. Et
cette guerre ne fut pas la moins cruelle.
On croit deviner, comme un décor caché, une raison
politique dans cette stratégie d'oubli par les gens du FLN comme
par les responsables français. Des chefs messalistes, peut-être plus
lucides, tentèrent d'obtenir en coopérant avec l'Armée française,
de se faire admettre comme des interlocuteurs valables, et ainsi de
négocier une accession douce à l'indépendance. Le FLN, en se
refusant publiquement à toute concession, en ne développant que
des actions devenues impopulaires la guérilla et les attentats paraissait se condamner à échouer. Du côté français, on accepta
ces fonnes de coopération. Mais l'état de la quête des
infonnations archivistiques ne pennet pas encore de juger des buts
-
10
que recherchaient les responsables, militaires et surtout politiques,
ni même s'ils avaient conçu quelque projet politique d'action avec
le vieux Messali et avec ses fidèles.
Cette étude exploite les fonds du Service Historique de
l'Armée de Terre (SHAT), qui m'ont été ouverts par une série de
dérogations aux conditions de documentation. Que les directeurs
successifs de ce Service soient remerciés de leur grande
compréhension. Les généraux de Marolle (+) et Brenac ont bien
voulu me communiquer des documents de leurs archives privées.
Le généraI Katz a accepté de m'entretenir de l'affaire Bellounis.
Le généraI Combette m'a expliqué les conditions de ses contacts
avec le chef militaire Bellounis. Enfin, le généraI Faivre n'a
ménagé ni son aide, ni ses conseils.
Peu de témoins directs survivent encore. Quelques uns ont
accepté de m'apporter leurs témoignages. A leur demande, et afin
de préserver leur devoir de réserve, leur nom ne sera pas révélé,
mais qu'ils sachent combien je leur dois de reconnaissance.
11
Notes de l'introduction
1 - Opinion de M. Yahia Bouali sur l'interview accordée par M. Slimane
Cheikh, ministre de l'Education nationale, à un journaliste de la Télévision du
MoyenOrient, dans "Réflexions",Alger, Ed. Casbah, 1988,p. 145,note 5
-
2 Francis et Colette Janson, L'Algérie hors la loi, Paris, 1966, p. 263-264
3 - Mohamed Harbi, Le FLN, Mythe et réalités, Paris, JA ed., 1980, p. 159
4 - Ministère des Années, EM, 2° Bureau, Paris, 6 juillet 1959, 1H 1717/D1
-
Sur l'action des messalistes avant 1954, on peut se reporter à la thèse de
Mahfoud Kaddache,
Histoire
politique algérienne 1919
du nationalisme
- 1951, Alger,
Diffusion, 1981, 2 volumes, 1112p.
12
algérien
- Question
nationale
et
Société Nationale d'Edition et de
Première partie
LE MESSALISME DE GUERRE
chapitre 1
Les ambiguïtés du Messalisme
De Messali, père du nationalisme algérien, ne reste qu'une
image héroïsée, qu'admirateurs et opposants ne cessent de brandir.
Elle masque une réalité: l'ambiguïté et du personnage et de son
action. Ce fait explique que la guerre d'Algérie n'ait constitué
qu'un échec pour cet homme, auquel les vainqueurs de 1962
devaient tout.
I
- MESSALI,
1
FILS DE L'ALGERIE
COLONIALE
Messali, né en 1908 à Tlemcen, a grandi dans un pays
que transformait rapidement la colonisation française. Son père,
un propriétaire cultivateur, était un chef de famille traditionnel,
avec ses six enfants. Mais il avait compris que débutait un
changement social et culturel, et il en tint compte dans
l'instruction donnée à son fils, en l'envoyant à l'école française,
remettant à plus tard les études en arabe, pour lui rendre "facile de
se créer une petite situation", note Messali dans ses Mémoires.2 Il
fut toujours un francophone, tout en respectant la culture
traditionnelle. Mais comme bien d'autres, il était fasciné par les
Français, surtout par ses petits camarades "qui étaient arrivés
récemment de France". Il l'avoue, ''je voulais apprendre le
Français et connaître la vie, les moeurs et les habitudes de ces
gens qui étaient venus chez nous". Quant à la France, il la
découvrit entre 1918 et 1920, en accomplissant son service
militaire à Bordeaux, en s'instruisant par les journaux, en
discutant avec ses camarades, en étudiant une grammaire
française. Après sa libération, il vécut trois ans à Tlemcen, avant
de repartir en Métropole, ses. parents ayant disparu et ses soeurs
étant mariées.
Il ne rejoint pas le gros des immigrés, agglutinés à
Marseille, mais il s'installe à Paris. Une Française, que sa famille
avait connue en Algérie, lui trouve du travail, une autre allait
devenir sa compagne et la mère de ses deux enfants, auxquels il
fera donner une instruction française. C'est à Paris, qu'il fait la
double expérience, qui allait marquer sa vie:
-
Il découvre le milieu des travailleurs algériens: hommes
jeunes, rentrant vite chez eux et vite relevés par des parents,
vivant en groupes originaires des mêmes communautés
villageoises. Leur vie est dure, car ils économisent pour envoyer
une grande partie de leur salaire aux familles. Ils ne sont francisés
qu'incomplètement et en surface, car sans contact réel avec les
travailleurs français.
Un groupe s'en détache, les indépendants, marchands
ambulants sur les marchés, maraîchers, cafetiers-hôteliers et
chauffeurs de taxis surtout. Ce sont eux qui vont donner ses
cadres au Messalisme.
- Il découvre aussi l'action politique. Messali et quelques
uns de ses camarades sont admis dans la cellule communiste de
leur quartier. Ses dons d'orateur sont vite repérés, lorsqu'il porte
la contradiction à ses adversaires. En 1926, il est permanent du
Parti, mis à la présidence d'un organisme satellite, "L'Etoile
Nord-Africaine" chargé de recruter des militants en faisant de la
propagande dans les cafés et les hôtels pour Algériens. Mais ce
parti ne possédait ni une adresse fixe, ni une école de fonnation, ni
un soutien fort du Parti communiste. "Il cherchait en même temps
à gagner les militants et même les membres du Comité directeur",
"les communistes s'efforçaient de geler notre mouvement". Quant
16
aux communistes
dénigraient" .
algériens,
ils "nous
boudaient
et nous
En 1928, Messali se dégage du Parti communiste, dont il
secoue la tutelle politique. Il conçoit alors un parti original, centré
sur l'Algérie, la "Glorieuse Etoile Nord-Africaine", dont le
programme est à deux faces.
- Il conserve le discours révolutionnaire du Communisme
ce que note bien un rapport du ministère de l'Intérieur: "L'Etoile
garde du communisme la plupart des théories sociales, notamment
la critique de la grande propriété et du capitalisme agraire,
bancaire ou industriel
la mise en accusation des prétendues
"féodalités coloniales" et de l'impérialisme occidental une sorte
d'antimilitarisme laissé en veilleuse par le communisme, mais que
l'Etoile entend rallumer parmi ses adhérents",3
-
-
-
Il y superpose la revendication de l'identité musulmane
des Algériens, son parti reposant sur une base religieuse de plus
en plus accentuée, l'Islam. Ce point a été difficilement analysé par
les spécialistes avant 1939 : "C'est là l'originalité de cette fonnule
qui concilie, dans une synthèse pratique, des éléments aussi
éloignés, la religion et le collectivisme russe."
En effet, on a cru n'y trouver qu'un mouvement de
renaissance de l'Islam algérien, d'où ces interrogations: "Cet
Islam sera-t-il traditionnel algérien, le malékisme dévot, un peu
étroit, réduit à un mimétisme rigoureux, ou l'Islam naturiste et
peut-être polythéiste des Confréries, ou enfin l'Islam rénové des
Oulemas ?" On concluait alors que, "pour des raisons de
tactique", Messali n'avait "pas encore pris parti". L'essentiel,
croyait-on, était ailleurs. Messali voulait "créer une individualité
nationale dans le cadre géographique algérien", en posant "avec
une franchise aussi brutale, un véritable nationalisme algérien".
En multipliant les allusions à la culture arabe, Messali
fait passer un projet de libération de l'Algérie, culturelle et
sociale. La lutte pour l'indépendance et pour la foi sont mêmes
17
choses. Il était membre de la confrérie des Dargawa. Il commence
d'ajouter à son nom le pieux qualificatif de "Hadj". Il rejette ainsi
non seulement l'assimilation que réclamaient avant la guerre les
'jeunes Algériens", mais surtout la naturalisation collective des
divers projets parlementaires, comme le projet Blum-Viollette ; ils
avaient l'intérêt de dispenser le Croyant de renoncer à son statut
personnel, mais un Musulman ne peut endosser la nationalité d'un
Infidèle. Guidé par la même inspiration, il refusera le principe de
députés algériens au Parlement français. Les messalistes ne
cesseront de réclamer le retrait des troupes "d'occupation", un
drapeau national vert et blanc avec un croissant rouge, un
gouvernement et un Etat indépendants. De ce programme, des
métropolitains, engagés à gauche, ne voudront retenir que les
postulats de gauche: les libertés fondamentales, l'égalité avec les
Eùropéens, la représentation élue dans les assemblées locales, et
pour certains, la promesse d'une révolution sociale, comme on
l'imaginait dans les années 30.
Messali devient ainsi le prophète de l'Algérie rénovée. Il
en impose par sa taille, par sa silhouette enveloppée d'une
djellaba, par la forme de son discours simple et explicative, par la
répétition inlassable des formules nationalistes. Il est le Zai"m,dont
on baise le manteau. En France, son auditoire est formé
d'ouvriers, généralement des manoeuvres, et de petits
commerçants. En Algérie, il est entendu des paysans appauvris, de
ces ruraux déracinés par la sécheresse autant que par la
mécanisation agricole sur les terres des Européens, et surtout de
cette mince frange des salariés urbains, qui ne forme pas encore
une classe moyenne.
En Algérie, plusieurs sections, clandestines, sont créées
par des émigrés de retour. Vers octobre 1936, les services français
estiment à Il 000 les messalistes locaux, répartis entre 30 sections
actives. Mais c'est une masse instable, "beaucoup de
sympathisants s'éloignant du parti, tant en raison des imprudences
jugées compromettantes de M. Messali que de la campagne des
partis adverses".
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Pour les Autorités comme pour l'opinion européenne en
Algérie, une telle action est un risque de déstabilisation du pays. Il
faut la réprimer, mais de façon ambiguë. En effet, l'Etoile
Nord-Africaine est dissoute le 20 juin 1929, le 5 novembre 1934,
Messali est condamné pour l'avoir reconstituée clandestinement, il
avait "porté atteinte à l'intégrité du territoire français et propagé
une politique anti-française". Curieusement, la dissolution est
déclarée nulle, car elle n'a pas été signifiée dans les délais légaux
à un leader politique qui ne se cachait pas. En 1936, au moment
du Front populaire, la condamnation est anmistiée. Messali est
même autorisé à revenir en Algérie, et le 2 août, dans un stade
municipal de la banlieue d'Alger, il lance sa revendication
nationale dans un discours "applaudi, du début à la fin, par
l'écrasante majorité du pubJic" où les messalistes n'étaient pas en
majorité, note-t-il dans ses Mémoires.
Le 22 janvier 1937, le gouvernement de Blum, poussé par
les communistes, prononce une nouvelle dissolution. Cela
n'empêche pas Messali de créer un parti de remplacement, le Parti
Populaire Algérien (PPA) dès mars 1937, qui sera dissout le 29
septembre 1939, après la déclaration de guerre. Il semble que
pendant une dizaine d'années, Messali ait été considéré par les
responsables de la politique musulmane, comme Millot, au
Gouvernement général, comme un moyen de freiner la propagande
communiste en milieu algérien. Mais, cette hypothèse aurait
besoin d'être vérifiée. En effet, Messali connut l'emprisonnement.
Arrêté en août 1937, avec quatre de ses amis, il s'imposa une
grève de la faim pour obtenir le régime politique. Pendant deux
années, il dirigea son parti depuis sa cellule de la prison de
Maison-Carrée. En octobre 1939, il fut arrêté pour avoir refusé
d'encourager les Algériens à se battre pour la France, il ne sera
libéré qu'en 1946, après avoir connu le dur régime du bagne de
Lambèse, dans le Sud Constantinois. Il avait été condamné
lourdement: 16 ans de travaux forcés, 20 ans d'interdiction de
séjour, la dégradation civique, la confiscation de ses biens.
Cette personnalité politique était devenue incontournable.
19
En 1943, le Comité français de Libération Nationale estime qu'il
pourrait être utilisé. Il est donc extrait de son bagne, assigné à
résider à Boghari, autorisé à rencontrer un leader musulman,
Fehrat Abbas, sur qui on comptait pour définir un nouveau statut
de l'Algérie. Curieusement, on ne cesse de le déplacer, à ln Salah
en décembre 1943, au Sahara occidental, puis en janvier 1944 à
Chellal.
Après avoir été amnistié en 1946, il recrée un parti, le
"Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques
(MTLD), tout en conservant le PPA, qui avait survécu dans la
clandestinité. Ses militants bloquent tout fonctionnement sain de la
démocratie en Algérie par leurs actes de violence, auxquels
répondent ceux de leurs adversaires.
4
Messali apparaît étran-
gement comme la cause de tous les problèmes politiques. Alors
qu'il faisait un voyage de propagande, en 1950, la police prend le
prétexte d'incidents graves à Blida puis à Orléansville; 26
personnes y avaient trouvé la mort. Il est expulsé d'Algérie,
assigné à résider en France, où commence une étrange errance
administrative, de Niort aux Sables-d'Olonne et à Belle-lIe. Il ne
retrouvera sa liberté complète qu'en 1959.
L'image du leader, occupé seulement de libérer les
Algériens, présente déjà, vers 1954, les ambiguïtés que la guerre
va mettre en lumière.
-
1 Ses rapports avec les autorités françaises ne sont pas
clairs. En 1939, il désavoue les militants, qui auraient voulu en
appeler à l'Allemagne, il aurait même fait exclure des militants
germanophiles.S En 1941, il fut approché par le commandant
Schoen, du service des Affaires musulmanes au Gouvernement
général, et correspondant à Alger d'un service secret ne relevant
que du maréchal Pétain, le "Centre d'Information et d'Etudes"
(CIE). Il lui fit des "déclarations suffisantes". En février 1943, le
général Giraud les juge même "suffisantes" pour "envisager une
mesure de clémence en sa faveur et en faveur de ses codétenus",
excluant "une libération pure et simple". A la fin de 1944, le PPA
est légalisé, mais il est dissout après les événements de Sétif en
20
mai 1945. En novembre 1946, le gouverneur général,
Chataigneau, laisse Messali se donner une apparence légale, avec
le MTLD, dont le programme est nationaliste: une assemblée
constituante, l'indépendance, la République algérienne. Il n'avait
pas réagi, en mai 1945 : Messali avait fait adhérer en masse ses
militants au parti modéré de Fehrat Abbas, les "Amis du
Manifeste et de la Liberté" (AML) ; ils avaient réussi, à
l'Assemblée générale de l' AML, à faire accepter un programme
messaliste radical. Malgré toutes les réticences que soulevaient les
violences imputées à ses militants, le parti de Messali était
toujours légal en novembre 1954.
2- L'autorité de Messali a toujours été discutée à
l'intérieur de son parti, où des tensions internes furent toujours
sensibles.
Avant 1939, ce parti a été créé et conduit par une équipe
sortie du milieu des immigrés. Après 1939, le flux des départs et
des retours a été freiné, un mouvement propre a pu se développer
en Algérie, en secret à cause de l'interdiction administrative. Dans
cette organisation clandestine, aux effectifs limités, a été nourrie
l'idée que la guerre contre les Français donnerait, seule,
l'indépendance. En 1947, un Congrès clandestin du MTLD a posé
~e principe de "l'Organisation secrète" (O.S.), dont en décembre
1948, Ben Bella a été reconnu le responsable de l'Etat-major. Dès
1949, la police française en découvrit l'existence. Furent alors
arrêtés 300 militants, dont Ben Bella, qui put s'évader d'ailleurs
en mars 1952. Suivirent les procès de 145 membres, dont
beaucoup seront au nombre des "chefs historiques" de novembre
1954 et du FLN. Les effectifs exacts de cette O.S. sont encore
ignorés, oscillant selon les sources de 1500 à 4500. 7 La volonté
du terrorisme et de la guériI1a ne disparut pas, ses partisans
finiront, en 1954, par s'affranchir de l'autorité du parti établi et de
son chef.
Messali, depuis toujours, avait imposé une ligne politique
radicale, devenue majoritaire dans la direction du Parti. Or, son
éloignement d'Alger facilite la montée d'une tendance légaliste.
21
Dès 1945, quelques proches avaient tenté ce jeu, en se
rapprochant des Autorités. Ils avaient demandé au gouverneur
général la légalisation du parti, le 5 juillet 1947, pour sortir de la
clandestinité imposée par la dissolution de 1939. Messali avait
suivi, acceptant que des députés du MTLD siègent à l'Assemblée
nationale, en affrontant les élections locales en Algérie. L'essai
avait tourné court à cause de la violence des candidats du MTLD
et. des manipulations électorales de certains administrateurs, Mais
en avril 1953, en l'absence de Messali, le ne Congrès du MTLD
avait tourné à la gloire des "légalistes-réformistes" : ils avaient
proposé de s'unir avec les autres partis nationalistes modérés et
d'abandonner les thèmes radicaux comme une Assemblée
constituante algérienne.
Le parti était devenu le champ clos d'une lutte pour son
contrôle entre l'équipe réformiste de Khiouane et de Lahouel
Hocine, et celle des fidèles au discours originel.
3 - Messali a toujours été sensible à l'influence d'hommes
de
l'extrême-gauche
française,
celle
des
trotskystes
particulièrement.
A Niort, petite ville provinciale, d'accès difficile, où il ne
connaissait personne, Messali reçut le soutien de militants locaux.
Dès mars 1952, il était invité au "Cercle Zimmerwald", animé par
un instituteur, Emmanuel Morumche. Des membres de
l'Organisation Communiste Internationale y analysent, en termes
marxistes, l'avenir de l'Algérie, leur leader national, Pierre
Lambert, vient à Niort. Ses relations avec Messali ne cesseront
plus, même après son transfert en d"autres villes. C'est l'avocat de
Messali, Yves Dechezelles, qui assure secrètement le suivi de ces
relations.
Pierre Lambert a établi un lien idéologique entre la lutte
du peuple algérien et celle du prolétariat français contre l'Etat.
Déjà, l'organisation avait soutenu la cause du Viêt-minh, et
l'échec de la France en Indochine avait démontré que
l'indépendance ne peut que sortir d'une guerre de libération. Dans
22