LA GUERRE D`ALGERIE DES MESSALISTES 1954 -1962
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LA GUERRE D`ALGERIE DES MESSALISTES 1954 -1962
LA GUERRE D'ALGERIE DES MESSALISTES 1954 - 1962 Du même auteur: - Vie économique et sociale des grands pays de l'Europe occidentale et des Etats-Unis. Début du XXO siècle - 1939. Paris, SEDES, 1976, 487 p. - Etat et vie économique dans les grands pays industriels en URSS et en Italie. Début XXO siècle -1939. Paris, SEDES, 1977, 281 p. - Problèmes des relations internationales 1918-1949. Paris, SEDES, 1980,396 p. - Les Français et la France (1859-1899). T.2, Paris, SEDES, 1986, 253 p. - La France et l'Afrique: l'Afrique française du Nord 1914-1962.Paris, SEDES, 1993,501 p. - La France et l'Afrique: L'Afrique subsaharienne de 1914 à 1960. Paris, SEDES, 1994,316 p. - Indochine 1940 - 1945. Français contre Japonais. Paris, SEDES, 1993,505 p. - La guerre d1ndochine 1945-1954. Paris, Armand Colin, 1994, 414 p. JACQUES VALETTE LA GUERRE D'ALGERIE DES MESSALISTES 1954 - 1962 L'Harmattan 5-7, roe de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Inc. 55, rue Saint-Jacques Montréal (Qc) CANADA H2Y lK9 L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE L'Harmattan lIalla Via Bava, 37 10214 Torino ITAUE Collection Histoire et Perspectives Méditerranéennes dirigéeparJean-PaulChagnollaud Déjà parus Zoubir CHATTOU, Migrations marocaines en Europe ou le paradoxe des itinéraires, 1998. Boualem BOUROUIBA,Les syndicalistes algériens, 1998. André MICALEFF, Petite histoire de l'Algérie, 1998. Samy HADAD, Algérie, autopsie d'une crise, 1998. Romain DURAND, De Giraud à de Gaulle: Les Corps francs d'Afrique, 1999. Ahmed DAHMANI, L'Algérie à l'épreuve, 1999. Rabah SOUKEHAL, L'écrivain de langue française et les pouvoirs en Algérie, 1999. Henri MSELLATI, Les JuifS d'Algérie sous le régime de Vichy, 1999. Laurent MULLER, Le silence des harkis, 1999. Gilles LAFUENTE, La politique berbère de la France et le nationalisme nouveau, 1999. . Mustapha BABA-AHMED, L'Algérie: Diagnostic d'un développement, 1999. Bernard DOUMERC, Venise et l'émirat hafside de Tunis (1231-1535), 1999. Pierre DUMONT, La politique linguistique et culturelle de la France en Turquie, 1999. Moktar LAMAR! - Hildegard SCHÜRINOS,Forces féminines et dynamiques rurales en Tunisie, 1999. Thomas de SAINT MAURICE, Sahara occidental 1991-1999, 2000. Marianne LEFEVRE, Géopolitique de la Corse. Le modèle républicain en question,2000. Maurice FAIVRE, Les archives inédites de la politique algérienne, 19581962, 2000. Claude LIAUZU, Passeurs de rives, changements d'identité dans le Magreb colonial, 2000. Elisabeth MOUILLEAU, Fonctionnaires de la République et artisans de l'Empire,2000. André MICALEFF, Il a neigé sur Alger. Paraboles et paradoxes,2000. Jean MONNERET, La phase finale de la guerre d'Algérie, 2000. @ L'Harmattan, 2001 ISBN: 2-7475-0587-1 INTRODUCTION N.B. - Sauf indication contraire, les cotes des documents cités renvoient aux fonds du Service Historique de l'Armée de Terre, au château de Vincennes. La guerre d'Algérie fut une affaire de propagande autant qu'une affaire de guerillas et de terrorisme. Dès 1954, le groupe qui en avait pris l'initiative, le Front de Libération Nationale (FLN) prétendit au monopole du combat idéologique, pour obtenir le monopole de la négociation sur l'indépendance, et donc le monopole du pouvoir politique à instituer. Une image fut fabriquée: le FLN incarnait l'aspiration d'un peuple unanime, brimé par la France. Après l'indépendance, il en conserva l'idéologie, en s'imposant comme un parti unique dans un état dictatorial et policier. Toute l'histoire officielle, depuis 1962, impose la vision d'une "nation algérienne", unanime. Ce fut inexact. La masse musulmane comptait des milliers d'éléments francophiles, qui furent les victimes d'une épuration sanglante. Elle comprenait aussi d'autres nationalistes sincères, les messalistes, tombés dans l'oubli, comme leur inspirateur, Messali Hadj. Celui qui avait lancé l'idée nationale algérienne n'obtint pas .le droit de revenir dans son pays en 1962, et il mourut en France en 1974. En Algérie comme en France, une autre guerre fut menée entre militants fidèles, regroupés derrière Messali en un Mouvement National Algérien, et commandos du FLN. .Les premiers aussi, rêvaient d'indépendance. Qui les évoque encore? Toute l'idéologie, toute l'action du FLN ne peut être comprise que comme un héritage de Messali. Les premiers attentats, très symboliques, en novembre 1954, furent commis par un groupe de militants messalistes, ardents à passer enfin à cette action violente, dont on parlait depuis des années, et qui n'était jamais décidée. Les leaders de l'appareil du FLN, en Algérie comme à l'extérieur, viennent tous du parti messaliste. Ces vérités commencent à percer en Algérie. La dépouille de Messali a été ramenée à Tlemcen, sa ville natale, dont l'aérodrome porte désormais le nom de Messali. Un ministre algérien s'est même risqué à reconnaître que sans Messali, il n'y aurait pas eu de 9 principe d'indépendance, car il avait fonné une "génération de militants indépendantistes", "ceux qui ont préparé la révolution du 1er novembre." 1 Ces affinnations ne suffisent pas à I'historien. Elles ne reposent sur aucune étude précise, ne traduisant qu'un sentiment d'évidence. On a l'impression que les connaissances en sont restées au niveau imposé par la double propagande de guerre, celle du FLN et celle des services français. En 1955, Francis et Colette Janson, dont les sympathies pour le FLN sont connues, ne voyaient d'influence messaliste "qu'en certains points de l'Oranie", et dans "des foyers d'agitation" entretenus à Alger.2 En 1980, M. Mohamed Harbi ne voyait encore "qu'un mouvement de masse qui s'effondre dès le début de la répression." 3 Quant aux officiers de l'Etat-major d'Alger, ils ont répété pendant des mois: le FLN "conquiert rapidement le monopole de la lutte en Algérie; le MNA ne survit dès lors qu'en Métropole."4 Une réalité a été occultée, de telles affinnations sont devenues inadmissibles à mesure que s'ouvrent les archives françaises, que les témoins évoquent leurs souvenirs. Les messalistes fidèles menèrent leur guerre, un temps, avec prudence, contre les Français, mais surtout contre les hommes du FLN. Et cette guerre ne fut pas la moins cruelle. On croit deviner, comme un décor caché, une raison politique dans cette stratégie d'oubli par les gens du FLN comme par les responsables français. Des chefs messalistes, peut-être plus lucides, tentèrent d'obtenir en coopérant avec l'Armée française, de se faire admettre comme des interlocuteurs valables, et ainsi de négocier une accession douce à l'indépendance. Le FLN, en se refusant publiquement à toute concession, en ne développant que des actions devenues impopulaires la guérilla et les attentats paraissait se condamner à échouer. Du côté français, on accepta ces fonnes de coopération. Mais l'état de la quête des infonnations archivistiques ne pennet pas encore de juger des buts - 10 que recherchaient les responsables, militaires et surtout politiques, ni même s'ils avaient conçu quelque projet politique d'action avec le vieux Messali et avec ses fidèles. Cette étude exploite les fonds du Service Historique de l'Armée de Terre (SHAT), qui m'ont été ouverts par une série de dérogations aux conditions de documentation. Que les directeurs successifs de ce Service soient remerciés de leur grande compréhension. Les généraux de Marolle (+) et Brenac ont bien voulu me communiquer des documents de leurs archives privées. Le généraI Katz a accepté de m'entretenir de l'affaire Bellounis. Le généraI Combette m'a expliqué les conditions de ses contacts avec le chef militaire Bellounis. Enfin, le généraI Faivre n'a ménagé ni son aide, ni ses conseils. Peu de témoins directs survivent encore. Quelques uns ont accepté de m'apporter leurs témoignages. A leur demande, et afin de préserver leur devoir de réserve, leur nom ne sera pas révélé, mais qu'ils sachent combien je leur dois de reconnaissance. 11 Notes de l'introduction 1 - Opinion de M. Yahia Bouali sur l'interview accordée par M. Slimane Cheikh, ministre de l'Education nationale, à un journaliste de la Télévision du MoyenOrient, dans "Réflexions",Alger, Ed. Casbah, 1988,p. 145,note 5 - 2 Francis et Colette Janson, L'Algérie hors la loi, Paris, 1966, p. 263-264 3 - Mohamed Harbi, Le FLN, Mythe et réalités, Paris, JA ed., 1980, p. 159 4 - Ministère des Années, EM, 2° Bureau, Paris, 6 juillet 1959, 1H 1717/D1 - Sur l'action des messalistes avant 1954, on peut se reporter à la thèse de Mahfoud Kaddache, Histoire politique algérienne 1919 du nationalisme - 1951, Alger, Diffusion, 1981, 2 volumes, 1112p. 12 algérien - Question nationale et Société Nationale d'Edition et de Première partie LE MESSALISME DE GUERRE chapitre 1 Les ambiguïtés du Messalisme De Messali, père du nationalisme algérien, ne reste qu'une image héroïsée, qu'admirateurs et opposants ne cessent de brandir. Elle masque une réalité: l'ambiguïté et du personnage et de son action. Ce fait explique que la guerre d'Algérie n'ait constitué qu'un échec pour cet homme, auquel les vainqueurs de 1962 devaient tout. I - MESSALI, 1 FILS DE L'ALGERIE COLONIALE Messali, né en 1908 à Tlemcen, a grandi dans un pays que transformait rapidement la colonisation française. Son père, un propriétaire cultivateur, était un chef de famille traditionnel, avec ses six enfants. Mais il avait compris que débutait un changement social et culturel, et il en tint compte dans l'instruction donnée à son fils, en l'envoyant à l'école française, remettant à plus tard les études en arabe, pour lui rendre "facile de se créer une petite situation", note Messali dans ses Mémoires.2 Il fut toujours un francophone, tout en respectant la culture traditionnelle. Mais comme bien d'autres, il était fasciné par les Français, surtout par ses petits camarades "qui étaient arrivés récemment de France". Il l'avoue, ''je voulais apprendre le Français et connaître la vie, les moeurs et les habitudes de ces gens qui étaient venus chez nous". Quant à la France, il la découvrit entre 1918 et 1920, en accomplissant son service militaire à Bordeaux, en s'instruisant par les journaux, en discutant avec ses camarades, en étudiant une grammaire française. Après sa libération, il vécut trois ans à Tlemcen, avant de repartir en Métropole, ses. parents ayant disparu et ses soeurs étant mariées. Il ne rejoint pas le gros des immigrés, agglutinés à Marseille, mais il s'installe à Paris. Une Française, que sa famille avait connue en Algérie, lui trouve du travail, une autre allait devenir sa compagne et la mère de ses deux enfants, auxquels il fera donner une instruction française. C'est à Paris, qu'il fait la double expérience, qui allait marquer sa vie: - Il découvre le milieu des travailleurs algériens: hommes jeunes, rentrant vite chez eux et vite relevés par des parents, vivant en groupes originaires des mêmes communautés villageoises. Leur vie est dure, car ils économisent pour envoyer une grande partie de leur salaire aux familles. Ils ne sont francisés qu'incomplètement et en surface, car sans contact réel avec les travailleurs français. Un groupe s'en détache, les indépendants, marchands ambulants sur les marchés, maraîchers, cafetiers-hôteliers et chauffeurs de taxis surtout. Ce sont eux qui vont donner ses cadres au Messalisme. - Il découvre aussi l'action politique. Messali et quelques uns de ses camarades sont admis dans la cellule communiste de leur quartier. Ses dons d'orateur sont vite repérés, lorsqu'il porte la contradiction à ses adversaires. En 1926, il est permanent du Parti, mis à la présidence d'un organisme satellite, "L'Etoile Nord-Africaine" chargé de recruter des militants en faisant de la propagande dans les cafés et les hôtels pour Algériens. Mais ce parti ne possédait ni une adresse fixe, ni une école de fonnation, ni un soutien fort du Parti communiste. "Il cherchait en même temps à gagner les militants et même les membres du Comité directeur", "les communistes s'efforçaient de geler notre mouvement". Quant 16 aux communistes dénigraient" . algériens, ils "nous boudaient et nous En 1928, Messali se dégage du Parti communiste, dont il secoue la tutelle politique. Il conçoit alors un parti original, centré sur l'Algérie, la "Glorieuse Etoile Nord-Africaine", dont le programme est à deux faces. - Il conserve le discours révolutionnaire du Communisme ce que note bien un rapport du ministère de l'Intérieur: "L'Etoile garde du communisme la plupart des théories sociales, notamment la critique de la grande propriété et du capitalisme agraire, bancaire ou industriel la mise en accusation des prétendues "féodalités coloniales" et de l'impérialisme occidental une sorte d'antimilitarisme laissé en veilleuse par le communisme, mais que l'Etoile entend rallumer parmi ses adhérents",3 - - - Il y superpose la revendication de l'identité musulmane des Algériens, son parti reposant sur une base religieuse de plus en plus accentuée, l'Islam. Ce point a été difficilement analysé par les spécialistes avant 1939 : "C'est là l'originalité de cette fonnule qui concilie, dans une synthèse pratique, des éléments aussi éloignés, la religion et le collectivisme russe." En effet, on a cru n'y trouver qu'un mouvement de renaissance de l'Islam algérien, d'où ces interrogations: "Cet Islam sera-t-il traditionnel algérien, le malékisme dévot, un peu étroit, réduit à un mimétisme rigoureux, ou l'Islam naturiste et peut-être polythéiste des Confréries, ou enfin l'Islam rénové des Oulemas ?" On concluait alors que, "pour des raisons de tactique", Messali n'avait "pas encore pris parti". L'essentiel, croyait-on, était ailleurs. Messali voulait "créer une individualité nationale dans le cadre géographique algérien", en posant "avec une franchise aussi brutale, un véritable nationalisme algérien". En multipliant les allusions à la culture arabe, Messali fait passer un projet de libération de l'Algérie, culturelle et sociale. La lutte pour l'indépendance et pour la foi sont mêmes 17 choses. Il était membre de la confrérie des Dargawa. Il commence d'ajouter à son nom le pieux qualificatif de "Hadj". Il rejette ainsi non seulement l'assimilation que réclamaient avant la guerre les 'jeunes Algériens", mais surtout la naturalisation collective des divers projets parlementaires, comme le projet Blum-Viollette ; ils avaient l'intérêt de dispenser le Croyant de renoncer à son statut personnel, mais un Musulman ne peut endosser la nationalité d'un Infidèle. Guidé par la même inspiration, il refusera le principe de députés algériens au Parlement français. Les messalistes ne cesseront de réclamer le retrait des troupes "d'occupation", un drapeau national vert et blanc avec un croissant rouge, un gouvernement et un Etat indépendants. De ce programme, des métropolitains, engagés à gauche, ne voudront retenir que les postulats de gauche: les libertés fondamentales, l'égalité avec les Eùropéens, la représentation élue dans les assemblées locales, et pour certains, la promesse d'une révolution sociale, comme on l'imaginait dans les années 30. Messali devient ainsi le prophète de l'Algérie rénovée. Il en impose par sa taille, par sa silhouette enveloppée d'une djellaba, par la forme de son discours simple et explicative, par la répétition inlassable des formules nationalistes. Il est le Zai"m,dont on baise le manteau. En France, son auditoire est formé d'ouvriers, généralement des manoeuvres, et de petits commerçants. En Algérie, il est entendu des paysans appauvris, de ces ruraux déracinés par la sécheresse autant que par la mécanisation agricole sur les terres des Européens, et surtout de cette mince frange des salariés urbains, qui ne forme pas encore une classe moyenne. En Algérie, plusieurs sections, clandestines, sont créées par des émigrés de retour. Vers octobre 1936, les services français estiment à Il 000 les messalistes locaux, répartis entre 30 sections actives. Mais c'est une masse instable, "beaucoup de sympathisants s'éloignant du parti, tant en raison des imprudences jugées compromettantes de M. Messali que de la campagne des partis adverses". 18 Pour les Autorités comme pour l'opinion européenne en Algérie, une telle action est un risque de déstabilisation du pays. Il faut la réprimer, mais de façon ambiguë. En effet, l'Etoile Nord-Africaine est dissoute le 20 juin 1929, le 5 novembre 1934, Messali est condamné pour l'avoir reconstituée clandestinement, il avait "porté atteinte à l'intégrité du territoire français et propagé une politique anti-française". Curieusement, la dissolution est déclarée nulle, car elle n'a pas été signifiée dans les délais légaux à un leader politique qui ne se cachait pas. En 1936, au moment du Front populaire, la condamnation est anmistiée. Messali est même autorisé à revenir en Algérie, et le 2 août, dans un stade municipal de la banlieue d'Alger, il lance sa revendication nationale dans un discours "applaudi, du début à la fin, par l'écrasante majorité du pubJic" où les messalistes n'étaient pas en majorité, note-t-il dans ses Mémoires. Le 22 janvier 1937, le gouvernement de Blum, poussé par les communistes, prononce une nouvelle dissolution. Cela n'empêche pas Messali de créer un parti de remplacement, le Parti Populaire Algérien (PPA) dès mars 1937, qui sera dissout le 29 septembre 1939, après la déclaration de guerre. Il semble que pendant une dizaine d'années, Messali ait été considéré par les responsables de la politique musulmane, comme Millot, au Gouvernement général, comme un moyen de freiner la propagande communiste en milieu algérien. Mais, cette hypothèse aurait besoin d'être vérifiée. En effet, Messali connut l'emprisonnement. Arrêté en août 1937, avec quatre de ses amis, il s'imposa une grève de la faim pour obtenir le régime politique. Pendant deux années, il dirigea son parti depuis sa cellule de la prison de Maison-Carrée. En octobre 1939, il fut arrêté pour avoir refusé d'encourager les Algériens à se battre pour la France, il ne sera libéré qu'en 1946, après avoir connu le dur régime du bagne de Lambèse, dans le Sud Constantinois. Il avait été condamné lourdement: 16 ans de travaux forcés, 20 ans d'interdiction de séjour, la dégradation civique, la confiscation de ses biens. Cette personnalité politique était devenue incontournable. 19 En 1943, le Comité français de Libération Nationale estime qu'il pourrait être utilisé. Il est donc extrait de son bagne, assigné à résider à Boghari, autorisé à rencontrer un leader musulman, Fehrat Abbas, sur qui on comptait pour définir un nouveau statut de l'Algérie. Curieusement, on ne cesse de le déplacer, à ln Salah en décembre 1943, au Sahara occidental, puis en janvier 1944 à Chellal. Après avoir été amnistié en 1946, il recrée un parti, le "Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), tout en conservant le PPA, qui avait survécu dans la clandestinité. Ses militants bloquent tout fonctionnement sain de la démocratie en Algérie par leurs actes de violence, auxquels répondent ceux de leurs adversaires. 4 Messali apparaît étran- gement comme la cause de tous les problèmes politiques. Alors qu'il faisait un voyage de propagande, en 1950, la police prend le prétexte d'incidents graves à Blida puis à Orléansville; 26 personnes y avaient trouvé la mort. Il est expulsé d'Algérie, assigné à résider en France, où commence une étrange errance administrative, de Niort aux Sables-d'Olonne et à Belle-lIe. Il ne retrouvera sa liberté complète qu'en 1959. L'image du leader, occupé seulement de libérer les Algériens, présente déjà, vers 1954, les ambiguïtés que la guerre va mettre en lumière. - 1 Ses rapports avec les autorités françaises ne sont pas clairs. En 1939, il désavoue les militants, qui auraient voulu en appeler à l'Allemagne, il aurait même fait exclure des militants germanophiles.S En 1941, il fut approché par le commandant Schoen, du service des Affaires musulmanes au Gouvernement général, et correspondant à Alger d'un service secret ne relevant que du maréchal Pétain, le "Centre d'Information et d'Etudes" (CIE). Il lui fit des "déclarations suffisantes". En février 1943, le général Giraud les juge même "suffisantes" pour "envisager une mesure de clémence en sa faveur et en faveur de ses codétenus", excluant "une libération pure et simple". A la fin de 1944, le PPA est légalisé, mais il est dissout après les événements de Sétif en 20 mai 1945. En novembre 1946, le gouverneur général, Chataigneau, laisse Messali se donner une apparence légale, avec le MTLD, dont le programme est nationaliste: une assemblée constituante, l'indépendance, la République algérienne. Il n'avait pas réagi, en mai 1945 : Messali avait fait adhérer en masse ses militants au parti modéré de Fehrat Abbas, les "Amis du Manifeste et de la Liberté" (AML) ; ils avaient réussi, à l'Assemblée générale de l' AML, à faire accepter un programme messaliste radical. Malgré toutes les réticences que soulevaient les violences imputées à ses militants, le parti de Messali était toujours légal en novembre 1954. 2- L'autorité de Messali a toujours été discutée à l'intérieur de son parti, où des tensions internes furent toujours sensibles. Avant 1939, ce parti a été créé et conduit par une équipe sortie du milieu des immigrés. Après 1939, le flux des départs et des retours a été freiné, un mouvement propre a pu se développer en Algérie, en secret à cause de l'interdiction administrative. Dans cette organisation clandestine, aux effectifs limités, a été nourrie l'idée que la guerre contre les Français donnerait, seule, l'indépendance. En 1947, un Congrès clandestin du MTLD a posé ~e principe de "l'Organisation secrète" (O.S.), dont en décembre 1948, Ben Bella a été reconnu le responsable de l'Etat-major. Dès 1949, la police française en découvrit l'existence. Furent alors arrêtés 300 militants, dont Ben Bella, qui put s'évader d'ailleurs en mars 1952. Suivirent les procès de 145 membres, dont beaucoup seront au nombre des "chefs historiques" de novembre 1954 et du FLN. Les effectifs exacts de cette O.S. sont encore ignorés, oscillant selon les sources de 1500 à 4500. 7 La volonté du terrorisme et de la guériI1a ne disparut pas, ses partisans finiront, en 1954, par s'affranchir de l'autorité du parti établi et de son chef. Messali, depuis toujours, avait imposé une ligne politique radicale, devenue majoritaire dans la direction du Parti. Or, son éloignement d'Alger facilite la montée d'une tendance légaliste. 21 Dès 1945, quelques proches avaient tenté ce jeu, en se rapprochant des Autorités. Ils avaient demandé au gouverneur général la légalisation du parti, le 5 juillet 1947, pour sortir de la clandestinité imposée par la dissolution de 1939. Messali avait suivi, acceptant que des députés du MTLD siègent à l'Assemblée nationale, en affrontant les élections locales en Algérie. L'essai avait tourné court à cause de la violence des candidats du MTLD et. des manipulations électorales de certains administrateurs, Mais en avril 1953, en l'absence de Messali, le ne Congrès du MTLD avait tourné à la gloire des "légalistes-réformistes" : ils avaient proposé de s'unir avec les autres partis nationalistes modérés et d'abandonner les thèmes radicaux comme une Assemblée constituante algérienne. Le parti était devenu le champ clos d'une lutte pour son contrôle entre l'équipe réformiste de Khiouane et de Lahouel Hocine, et celle des fidèles au discours originel. 3 - Messali a toujours été sensible à l'influence d'hommes de l'extrême-gauche française, celle des trotskystes particulièrement. A Niort, petite ville provinciale, d'accès difficile, où il ne connaissait personne, Messali reçut le soutien de militants locaux. Dès mars 1952, il était invité au "Cercle Zimmerwald", animé par un instituteur, Emmanuel Morumche. Des membres de l'Organisation Communiste Internationale y analysent, en termes marxistes, l'avenir de l'Algérie, leur leader national, Pierre Lambert, vient à Niort. Ses relations avec Messali ne cesseront plus, même après son transfert en d"autres villes. C'est l'avocat de Messali, Yves Dechezelles, qui assure secrètement le suivi de ces relations. Pierre Lambert a établi un lien idéologique entre la lutte du peuple algérien et celle du prolétariat français contre l'Etat. Déjà, l'organisation avait soutenu la cause du Viêt-minh, et l'échec de la France en Indochine avait démontré que l'indépendance ne peut que sortir d'une guerre de libération. Dans 22