Les jeunes et l`alcool à travers les enquêtes
Transcription
Les jeunes et l`alcool à travers les enquêtes
a lcoologie Les jeunes et l’alcool à travers les enquêtes Durant les dix dernières années, la consommation moyenne d’alcool chez les jeunes a cessé de baisser et les modes de consommation ont changé. C’est ce que l’on peut déduire des études récentes menées par le CFES, l’Inserm et l’Ireb*. Analyse et commentaire de ces enquêtes. l’occasion de la présentation par À l’Institut de recherches scientifiques sur les boissons (Ireb) des premiers résultats disponibles de son enquête récente sur l’alcoolisation des jeunes, il paraît utile de rappeler les résultats des enquêtes récemment effectuées en France et d’étudier les possibilités de comparaisons. L’étude « Jeunes 1996 » de l’Ireb Comme dans la plupart des études, on retrouve une évolution croissante de la consommation avec l’âge. Le pourcentage d’abstinents passe de 62 % à 20 % entre 13–14 ans et 20 ans. Il est important de noter qu’après 13–14 ans, la moyenne de consommation d’alcool est deux fois moins importante chez les filles. Les 13–14 ans consomment surtout en * Comité français d’éducation pour la santé (CFES), Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Institut de recherches scientifiques sur les boissons (Ireb). famille et dès 15–16 ans, avec des amis ou copains. Les boissons sont consommées essentiellement le week-end, le samedi en particulier. Boire et faire la fête sont deux actes indissociables : ils boivent donc ponctuellement et rarement tout au long de la semaine. Quel que soit l’âge, les jeunes pris globalement choisissent une boisson pour son goût (42 % contre 22,8 % parce qu’on leur offre, 10 % pour l’effet, 9,1 % pour la soif et 8,6 % à cause du prix). Ces motifs de consommation ne montrent pas de différence par sexe sauf l’effet de la boisson qui est le motif pour 13 % des garçons contre seulement 7 % des filles. L’étude longitudinale sur les facteurs prédictifs de l’alcoolisation de l’Ireb 1985-1990-1995 L’Ireb avait précédemment effectué une première étude intéressant 700 garçons de 13 à 18 ans suivis de façon longitudinale de 1985 à 1995 par trois enquêtes réalisées en 1985, 1990 et 1995. Ceci a permis d’étudier la « dynamique de l’acquisition et de l’évolution de la consommation de boissons alcoolisées. ». Une typologie de jeunes à risque a pu être identifiée ainsi que des facteurs prédictifs, avec une assez bonne probabilité, d’une consommation excessive à l’âge adulte (notamment consommation à un jeune âge, fréquence des ivresses, famille monoparentale, fréquence des sorties…). La méthodologie de l’enquête étant identique à celle effectuée en 1996 et à condition de sélectionner dans l’échantillon de 1996 les seuls garçons de 13 à 18 ans (à l’exclusion des filles et des plus de 18 ans), une comparaison est possible avec l’enquête 1985 et l’on peut dire que : • le pourcentage global des abstinents a peu évolué en 10 ans (41 % en 85,39 % en 1996). Toutefois, il existe des disparités par tranches d’âge : il y a sensiblement moins d’abstinents chez les 13–14 ans en 1996 (63 % contre 72 %) et chez les 15–16 ans (30 % contre 44 %), par contre, il y a plus d’abstinents chez les 17–18 ans (23 % contre 18 %). • la différence de la consommation moyenne pour l’ensemble de l’échantillon entre 1985 et 1996, exprimée en actualité et dossier en santé publique n° 20 septembre 1997 page 19 alcoologie nombre de verres par mois (20 environ) n’est pas significative. Ainsi, il n’y a pas eu baisse de la consommation moyenne en dix ans, contrairement aux décennies précédentes où elle s’était effondrée. • chez les plus jeunes qui sont, on l’a vu, moins souvent abstinents, la moyenne de la consommation a baissé (2,9 verres par mois en 1996 contre 5,5 en 85) mais le nombre de petits consommateurs (1 à 9 verres) a notablement augmenté (16 % à 30 %). C’est le nombre de moyens et gros consommateurs (10 à 60 verres) qui a baissé (de 13 à 8 %.). Les gros consommateurs définis comme ceux consommant en moyenne de 1 à plus de 2 verres par jour sont au même taux dans les deux enquêtes à dix ans d’intervalle. Ainsi, pour ces plus jeunes, faut-il conclure à une amélioration du fait de la baisse de la consommation moyenne de l’ensemble de la tranche d’âge ou s’alarmer de l’augmentation des petits consommateurs en référence à la consommation au jeune âge qui semble être un facteur prédictif de consommation excessive selon l’étude longitudinale de l’Ireb ? • pour les 15–16 ans, les abstinents sont également moins nombreux du fait de l’augmentation des petits consommateurs (de 16 à 23 %) mais aussi des gros (de 14 à 21 %) et dans cette tranche d’âge, la moyenne de consommation augmente significativement. Cette consommation plus importante n’est pas retrouvée chez les 17–18 ans de l’enquête 1996 qui compte par contre plus d’abstinents, moins de petits consommateurs et autant de moyens et gros consommateurs qu’en 1985 et dont la consommation moyenne est restée stable. On peut peut-être faire l’hypothèse qu’on a saisi ici un tournant dans les comportements des jeunes qui consommeraient plus précocement et, de ce fait, s’exposeraient plus qu’auparavant à l’installation d’une consommation excessive par la suite. À cette phase du dépouillement, nous n’avons pas encore d’informations sur les modes de consommations ; or, nous savons que ceux-ci évoluent ; une consommation d’exception avec ivresse (alcools forts) remplacent progressivement la Méthode de l’enquête de l’Ireb 997 garçons et filles âgés de 13 à 20 ans ont répondu à 179 questions relatives à leurs pratiques de consommation, à l’environnement scolaire et familial, à l’environnement financier et personnel, à la consommation de cigarettes et de médicaments ainsi qu’à l’état d’esprit du jeune face à son environnement. Cette enquête a été menée sur un échantillon représentatif de la population des jeunes Français de 13 à 20 ans (pas seulement population scolarisée) établi selon la méthode des quotas. Le questionnaire a été administré en face à face et à domicile. Dans 80 % des cas, l’enquête s’est déroulée hors la présence des parents, mais avec leur autorisation. Le niveau de consommation est exprimé en nombre de verres par semaine ou par mois ; un verre d’une boisson alcoolisée étant évalué à 11 g d’alcool pur, la consommation est donc parfois exprimée en grammes d’alcool pur par an. boisson alcoolique d’habitude (vin) essentiellement parmi les catégories les plus jeunes. L’enquête sur la santé des jeunes de l’Inserm de 1993 Cette enquête de Marie Choquet et Sylvie Ledoux a concerné 12 391 adolescents, garçons et filles, scolarisés dans le second degré. Son champ d’exploration est très large, elle comporte un volet sur les comportements à risque dont l’alcoolisation. Elle a utilisé un auto-questionnaire anonyme. Pour décrire la consommation, sur les douze derniers mois, elle qualifie de consommation occasionnelle le fait de boire une boisson alcoolisée par semaine et/ou d’avoir été ivre une à deux fois par an ; et de consommation régulière le fait de boire 2 fois ou plus dans la semaine une boisson alcoolisée et/ou d’avoir été ivre au moins 3 fois. Elle montre que chez les collégiens (environ 10 à 15 ans) les abstinents sont 55,6 % pour les garçons et 65,7 % pour les filles et chez les lycéens (environ 14 à 18 ans) les abstinents sont entre 21 à 24 % pour les garçons et 32 à 35,8 % pour les filles, chiffres comparables à ceux de l’enquête de l’Ireb. À 18 ans, 80 % des actualité et dossier en santé publique n° 20 septembre 1997 page 20 garçons et 66 % des filles consomment de l’alcool, 40 % des garçons et 12 % des filles boivent régulièrement. La différence de consommation de boissons alcoolisées entre garçons et filles est notable et concerne surtout la consommation régulière : 58 % des garçons consomment de l’alcool contre moins d’une fille sur deux. Il est signalé que, si la consommation s’est effondrée en 20 ans (et plus encore chez les filles), la recherche d’ivresses, elle, a sensiblement augmenté : 30 % ont fait l’expérience de l’ivresse au moins une fois dans leur vie, 22 % durant l’année et 9 % des jeunes ont été ivres au moins trois fois dans l’année. Le milieu rural est trouvé comme un facteur d’alcoolisation régulière chez les jeunes. Un autre intérêt de l’enquête de l’Inserm est d’avoir investigué parallèlement la consommation de tabac et de drogue et de s’être penché sur les polytoxicomanies : 36 % des jeunes prennent un des deux produits et 19 % prennent les deux, et plus on prend régulièrement un des deux produits, plus on consomme l’autre. Une large majorité d’expérimentateurs de drogue sont des consommateurs, le plus souvent réguliers, d’alcool (88 %) ou de tabac (67 %). alcoologie Enquête sur les 11 à 15 ans dite enquête HBSC en 1994 du CFES C’est en 1994 que le CFES participe pour la première fois à l’enquête européenne « Health Behavior in school aged children » (HBSC) initiée en 1982 et menée tous les quatre ans dans 24 pays ou régions sous l’égide de l’OMS. Le but est de mieux comprendre les comportements de santé des jeunes ainsi que leurs processus d’acquisition. Elle a un champ beaucoup plus large que les enquêtes de l’Ireb mais étudie, comme elles, les facteurs susceptibles d’intervenir pour influer sur les comportements. Elle porte sur la population scolaire dont elle étudie un échantillon représentatif au niveau régional et est effectuée dans deux régions : Midi-Pyrénées et Lorraine. L’enquête utilise un auto-questionnaire anonyme distribué dans les classes, comme l’enquête de l’Inserm. La consommation est évaluée comme régulière quand on consomme au moins une fois par semaine, occasionnelle quand on consomme une fois par mois au moins. Ensuite, à partir des types de boisson (vin, bière, apéritifs, cidre), est établie la consommation cumulée de boissons alcoolisées : fréquence la plus élevée dans n’importe quelle boisson. Dès l’âge de 11 ans, 70 % des filles et 80 % des garçons ont déjà goûté une boisson alcoolisée et ces pourcentages augmentent pour atteindre 90 % dans les deux sexes à 15 ans. Les 11–15 ans (filles, garçons) ont une consommation le plus souvent occasionnelle (70 et 80 %) et régulière pour 15 et 29 %, au moins une fois par semaine, 18 % ont été déjà ivres au moins une fois dans leur vie. La consommation régulière est liée : • au fait d’être de sexe masculin • au fait de fumer • au fait de vivre dans le sud-ouest et en milieu rural • au fait d’avoir un père cadre • au fait de regarder la télévision plus de 2 heures par jour • au fait de passer souvent des soirées entre amis. Ces facteurs sont proches des facteurs prédictifs décrits dans l’enquête longitudinale de l’Ireb. 3 % des jeunes déclarent avoir été ivres plusieurs fois dans leur vie. Ce pourcentage est très dépendant du sexe. Par ailleurs la liaison entre ivresses répétées et alcoolisation est naturellement très forte. Les alcools forts semblent être la boisson de prédilection des jeunes entre 11 et 15 ans devant la bière, ce type de consommation reste occasionnel. La comparaison entre les pays participant à l’enquête HBSC est assez démonstrative des différences culturelles d’alcoolisation précoce : dans la classe d’âge des 11 ans, la France arrive en tête avec 22 % des garçons et 8 % des filles qui déclarent boire au moins une boisson alcoolisée par semaine. Les enquêtes réalisées régulièrement par le CFES auprès des jeunes de 12 à 18 ans Il en ressort que cette tendance à consommer principalement des alcools forts est assez récente et se confirme (26 % de consommation d’alcools forts en 1994, 48 % en 1995). Par ailleurs l’évolution, entre 1991 et 1994, de la fréquence de la consommation d’alcool tend vers une diminution des buveurs réguliers et une hausse des consommateurs occasionnels. En mars 1996, sur un échantillon représentatif national de 1 018 jeunes de 12 à 18 ans par la méthode des quotas, on montrait que 85 % des jeunes qui avaient bu au moins une fois dans la semaine précédant l’enquête, l’avaient fait pendant le week-end et que 25 % des jeunes de ces âges déclarent avoir connu au moins une ivresse dans leur vie (20 % dans l’enquête HBSC du CFES, 30 % dans l’enquête de l’Inserm). Que nous apprennent ces différentes études ? La comparaison des différentes enquêtes est rendue difficile du fait de la variabi- lité de la méthode, de l’échantillon, des méthodes de quantification et de qualification de la consommation de l’alcool. Toutefois nous y retrouvons certaines caractéristiques de la consommation des adolescents : • un niveau de consommation comparable dans les différentes enquêtes de 1993 à 1996 et, en comparaison de 1985, constat que la consommation moyenne de cette classe d’âge ne diminue plus, • une évolution récente du mode de consommation d’un mode régulier à un mode occasionnel et à type d’ivresse surtout en fin de semaine avec des amis, • avec l’âge, une augmentation de la consommation et une baisse de l’abstinence, • une consommation plus forte chez les garçons avec plus d’ivresses, • un caractère prédisposant d’un certain profil psychosocial pour la consommation excessive, • et enfin confirmation du rang de tête de la France pour l’alcoolisation précoce initiée dans la famille. Toutefois, un dépouillement plus avancé de la dernière enquête de l’Ireb et la poursuite de l’étude longitudinale sur cette nouvelle cohorte nous permettra de mieux cerner l’évolution dans le temps des modes et des niveaux de consommation de cette classe d’âge particulièrement visée par la promotion publicitaire et d’en inférer des stratégies de prévention. Ces enquêtes gagneraient à être harmonisées entre elles, quels que soient les opérateurs, en se référant à des méthodologies rigoureuses validées et à des référentiels utilisés dans l’ensemble des pays pour permettre les comparaisons, dans l’espace et dans le temps, toujours délicates dans cette épidémiologie des comportements. Les variations méthodologiques peuvent en particulier induire des variations de résultats, par exemple le mode d’interrogation dans ces enquêtes déclaratives (auto-évaluation par écrit ou enquête en face à face ; enquête rétrospective longue sur 12 mois ou courte sur une semaine ou le jour d’avant). Des études longitudinales comparées des modes d’alcoolisation et de façon actualité et dossier en santé publique n° 20 septembre 1997 page 21 alcoologie plus globale de l’ensemble des comportements à risque seront particulièrement précieuses, dans la perspective d’une politique de prévention, en montrant des évolutions de comportements en rapport avec des différences culturelles, juridiques ou de la politique de santé publique dans les différents pays et en traçant les « carrières » des consommateurs et leurs facteurs de risque ou de « résilience » (aptitude pour des individus placés dans des circonstances défavorables à s’en sortir et à mener une existence saine et productive). Bibliographie 1. M. Choquet, S. Ledoux. Adolescents. Enquête nationale 1993. Analyse et prospective. Éditions Inserm, 1996 2. Attitudes et comportements des jeunes Français face à l’alcool. Résultats de deux enquêtes réalisées en 1985 et 1990 sur un échantillon fidélisé d’adolescents. Éditions Ireb, 1991 3. F. Baudier, Ch. Dressen, J. Arènes (sous la direction de). Barométre santé jeunes 1994. Éditions CFES, 1997 4. Facteurs prédictifs du niveau d’alcoolisation des Français. Enquête décennale d’une cohorte de jeunes et enquête rétrospective d’un échantillon d’adultes. Éditions Ireb, 1996 5. Les jeunes Français face à l’alcool. Enquête jeunes 1996. Dossier de presse. Ireb, 24 juin 1997 4. Santé des enfants et des jeunes. Les études du CFES. 20 mars 1997 REVUE TRIMESTRIELLE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'ALCOOLOGIE Sommaire 1997, 19 (3) : 189-276 Éditorial • Alcool : réduire les dommages, Martin Plant Mémoires • Sensibilité chimique et éthanol chez l’homme, François Sauvageot • La place des lits d’alcoologie, Jean-Louis Balmès, Yves le Bars • Le syndrome de dépendance : une hypothèse chronobiologique, Thierrry Danel • Ivresse des sons, ivresse du mot, entre alcoolisme et chansons, Pierre Fraysse • Alcool et épilepsie : relations et implications pratiques, Dominique Ernouf, Nora Boussa Varia • Aimer, boire et parler, Jean Morenon, Martine Morenon Alcoologie de terrain • Thérapie cognitivo-comportementale pour alcoolodépendants en hospitalisation de jour, Yves Le Claire, Claire Naudin • Esssai de réinvestissement hédonique de patients alcoolodépendants : l’expérience d’un raid nordique en Laponie, Sylvie Dolbeault, Éric Hispard, Sylvain Dally. Congrès • Alcool et agressivité, 25 avril 1997, Strasbourg Vie de la SFA • Prochaines réunions de la SFA • Nouveaux membres Informations • Annonces • Enseignements. Thèses et mémoires. Actualités. Livres. Agenda Dominique Deugnier Médecin inspecteur de santé publique Alcoologie, Pr Jean-Dominique Favre, 101, avenue Henri Barbusse. 92141 Clamart Cedex téléphone et télécopie : 01 41 46 69 51 actualité et dossier en santé publique n° 20 septembre 1997 page 22