Maltraitance

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Maltraitance
Maltraitance
Les aspects psychologiques dans la confrontation avec des clients suspectes de maltraitance.
Conférence donnée dans le cadre des Journées Vétérinaires Suisses. Interlaken. Septembre 1998.
Tout d'abord, il convient de définir ce qu'est la maltraitance. Selon le dictionnaire Larousse, maltraiter c'est « soumettre
quelqu'un, un animal à des mauvais traitements »; il donne comme synonyme « brutaliser », c'est-à -dire, « agir avec
violence ». Dans le dictionnaire Hachette des synonymes, cette définition est un peu élargie : maltraiter, c'est « en user
durement avec quelqu'un en actions ou en paroles ; maltraiter implique que l'on traite la victime de manière outrageante
ou avec une violence qui va jusqu'aux coups ».
La majorité d'entre nous est en principe d'accord avec une telle définition : si l'on voit quelqu'un frapper un animal ou
crier sans cesse après lui, on n'hésitera pas à utiliser le terme de mauvais traitements. Néanmoins, certaines personnes
pensent encore que crier ou frapper est la meilleure façon de faire entrer quelque chose dans la tête de l'animal ! Pour
s'en convaincre, il suffit d'assister à une leçon dans certains centres de dressage.
Un grand nombre parmi vous sera également d'accord pour qualifier de mauvais traitements le fait de garder un animal
attaché 24 heures sur 24 ou de le tenir enfermé pendant des heures, surtout s'il n'a pas la possibilité de voir la lumière
du jour... bien que l'on admette encore largement de tels moyens de détention lorsqu'il s'agit d'animaux de rendement :
vaches, poules, cochons...
Il me semble cependant indispensable d'élargir encore la définition de la maltraitance. En effet, surtout lorsqu'il s'agit
d'animaux de compagnie, le partenaire humain est un facteur à prendre en compte lorsque l'on parle de qualité de
l'environnement car l'humain peut permettre à l'animal de s'épanouir ou être cause de souffrance : les gens et leurs
animaux familiers forment en un système dans lequel la santé mentale et physique de tous les membres est intimement
liée. Prenons un exemple :
Il s'agit d'un berger belge mâle âgé de 8 ans ; appelons-le Fido. Ses maîtres sont venus me consulter il y a quelques
années. Fido passe des heures terré sous un meuble, il fuit le contact avec ses maîtres, refuse d'aller se promener, de
rester au jardin, souffre d'anorexie, fait parfois ses besoins à l'intérieur ... De nombreuses analyses ne révèlent aucune
anomalie et placé deux semaines chez une autre personne, Fido se comporte tout à fait normalement.
L'observation de ce cas nous amène à deux interprétations diamétralement opposées selon le point de vue auquel on
se place : selon les critères humains, Fido est traité comme un roi à qui l'on passe tous ses caprices et à qui l'on accorde
toutes les attentions possibles. Cependant le comportement de Fido dans sa famille nous amène à penser qu'il se trouve
dans une grave situation de stress émotionnel. En se basant uniquement sur son comportement, tout laisserait supposer
qu'il est maltraité. En fait, l'entretien a permis de mettre à jour de nombreuses tensions familiales que Fido, véritable
éponge émotionnelle, cristallisait. Cet exemple est typique d'un chien au tempérament très anxieux placé dans un milieu
anxiogène ; un chien au caractère plus « trempé » aurait certainement pu s'y adapter très bien.
Confronté à un tel exemple, il semble que l'élargissement de la notion de mauvais traitements s'impose d'elle-même.
Mais comment faire puisque, comme l'exemple précédent nous l'a démontré, un bon traitement selon les codes humains
peut être un mauvais traitement si l'on se réfère aux codes de l'animal ? Grâce aux recherches éthologiques, nous
connaissons de plus en plus le comportement normal de l'animal lorsqu'il est placé dans son environnement naturel.
Nous pouvons donc comparer le comportement observé à celui décrit dans les éthogrammes de l'espèce
correspondante et en cas d'écart trop important de la norme, on devrait de se poser des questions en sachant que les
perturbations comportementales sont les seules manières que l'animal a pour exprimer son mal être. En se plaçant au
niveau de l'animal, de ses besoins, de la manière dont il appréhende son environnement, on peut définir les traitements
qui lui conviennent. Cette approche nouvelle nous ouvre des perspectives inattendues ; s'il est tout à fait répréhensible de
battre un animal et si les abus doivent être sévèrement punis, une tape donnée à bon escient est souvent préférable Ã
des tourments psychologiques qui peuvent très vite amener l'animal à un état de stress. La complication que l'on
rencontre si l'on accepte ce point de vue, c'est que les généralisations sont impossibles chaque espèce ayant des
besoins bien spécifiques.
Ex. le lapin de Garenne et le lièvre appartenant tous deux à la famille des léporidés et ayant un aspect assez semblable
mènent cependant une vie sociale diamètralement opposée.
Avant d'examiner les causes de mauvais traitement, j'aimerais encore insister sur le fait que non seulement chaque
espèce animale mais encore chaque individu réagit différemment, la même situation pouvant engendrer soit des
perturbations comportementales traduisant le mal être de l'animal soit une adaptation sans problème.
Quelques causes de mauvais traitement au sens large
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L'animal peut être considéré comme un objet, d'ailleurs le loi n'est pas encore très claire à ce sujet, qu'on est prêt Ã
abandonner ou à laisser végéter sur le balcon quand il n'apporte plus d'intérêt. Je ne citerai pour exemple que le nombre
de chiens, chats, lapins... abandonnés à l'époque des vacances; les propriétaires s'empressent souvent de reprendre un
autre animal au retour des vacances pour par ex. répondre aux désirs des enfants.
Certains le considèrent l'animal du seul point du vue utilitaire : il doit rapporter de l'argent un point c'est tout. On fait
donc tout pour augmenter le profit : création de races dont les pédigrées sont aberrants : l'animal est asservi au but
poursuivi quelles que soient les souffrances qu'il doit endurer (museaux tellement aplatis que l'animal a du mal à respirer,
becs déformés...). On produit le plus possible d'animaux à la mode d'où des élevages de masse, des trafics (trafics de
chiens provenant de certains pays, élevés dans des conditions épouvantables, voyageant dans des conditions non
moins épouvantables...). Or un animal non correctement socialisé se sent continuellement agressé lorsqu'il se trouve
entouré d'humains ; il en est de même pour un animal élevé dans un milieu pauvre en stimuli et déplacé en ville, surto
lorsqu'il se trouve dans l'incapacité d'y échapper.
L'animal appartenant à un maître émotionnellement instable va subir ses humeurs changeantes : un jour, il est invité
sur le canapé et on lui fournit mille caresses, le lendemain, pour le même comportement, il est grondé, voire frappé !
Cette situation est courante lorsque le chien qui a fait une bêtise il y a quelque temps est appelé par son maître pour
être vertement réprimandé. La même situation peut se produire quand il y a désaccord entre les différents membres de
la famille, surtout lorsque chaque humain a une attente diamétralement opposée : l'un désirant un chien parfaitement
éduqué, l'autre privilégiant les échanges affectifs et la spontanéité. Face à de telles ambivalences, l'animal ne sacha
jamais comment ses actions vont être accueillies peut développer une grande anxiété.
Certaines personnes ont besoin de l'animal pour pallier à un manque affectif et lui attribuent un rôle qu'il est incapable
d'assumer; ce dernier peut vite devenir un esclave émotionnel menant une vie misérable dans le luxe alors que son
propriétaire est persuadé de lui offrir les conditions de vie idéale.
L'animal est parfois choisi dans le but de se valoriser ou de modifier son image aux yeux du public : par ex. choix de
races rares ou réputées dangereuses. Si l'animal ne répond pas à l'attente, il est bien vite éliminé.
L'animal par sa fragilité peut donner le sentiment d'omnipotence : on peut se venger d'un affront subi ou travail sur un
être innocent. Exercer un contrôle sur l'animal est parfois le seul pouvoir qui reste aux gens. On aime la dépendance de
l'animal et l'image qu'il nous renvoie d'un être supérieur et tout puissant.
Lors des conflits familiaux, le chien, animal social par excellence, peut être un véritable baromètre de la situation
familiale ; nous venons d'en voir un exemple avec Fido mais il peut également être utilisé comme moyen de pression. Ex
typique : le chien qui mord un membre du couple et est renforcé, consciemment ou inconsciemement, par l'attitude de
l'autre membre du couple.
Il peut être utilisé comme moyen de faire souffrir le membre du couple qui est attaché à l'animal en faisant souffrir
l'animal lui-même.
Cependant, la cause principale des mauvais traitements au sens large est la méconnaissance des besoins spécifiques
et fondamentaux de l'animal. Prenons quelques exemples :
- Les hamsters dorés devraient être logés individuellement puisque dans la nature ce sont des animaux territoriaux ;
maintenus en groupe, ils peuvent s'infliger de graves blessures Au contaire, maintenir en isolation de ses congénères
un lapin qui dans la nature mène une vie sociale intense et partage les garennes avec de nombreux congénères
correspond à lui infliger des souffrances.
- Les animaux qui, dans la nature, parcourent de grands espaces vitaux et sont sans cesse en mouvement devraient
pouvoir bénéficier de grands espaces dans les zoos.
- Ce qui complique le tout, c'est que certaines espèces animales modifient leurs conditions de vie en fonction de la
saison, certains animaux parvenus à leur maturité sexuelle quittent leur groupe et maintenus dans des conditions
artificielles devraient pouvoir s'isoler. Si cette possibilité leur fait défaut, les plus faibles sont sans cesse harcelés par les
autres membres du groupe et sont parfois mis à mort.
- Les animaux vivant dans des terriers doivent avoir la possibilité de s'isoler.....
Une autre cause liée à la précédente est l'anthropomorphisation de l'animal, principalement de l'animal de compagnie :
on lui attribue des actions, des pensées humaines. Lorsqu'il agit mal aux yeux du propriétaire, on l'accuse de tous les
maux mais surtout d'avoir fait exprès.
Ex un cocker mâle de 3 ans fait systématiquement ses besoins en l'absence de son propriétaire. Interprétation du
maître, « il se venge et il sait pertinemment qu'il a mal agi puisqu'il va se cacher à mon retour » ce qui, à ses yeux,
justifie amplement une punition à retardement. En se plaçant au niveau de chien, l'interprétation devient tout autre : s'il a
uriné, c'est par anxiété et s'il va se cacher au retour de l'humain, c'est qu'il a tout simplement associé la flaque d'urine (et
non sa propre action) à la punition qui va suivre. S'il s'approche en rampant, c'est que cette attitude inhibe l'agressivité de
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ses congénères... si l'humain le punit à ce moment précis, un vrai cercle vicieux se met en place.
La méconnaissance des codes et l'anthropomorphisation sont responsables des nombreuses incompréhensions interspécifiques, incompréhensions qui peuvent aboutir soit à l'abandon, soit à la mise à mort de l'animal. Ex classique : le
chien qui a pris la tête de la meute familiale, qui mord son maître dans une situation de challenge et qui est tout de
suite euthanasié. Dans ce cas, il serait juste d'affirmer que le chien a été mis à mort comme un criminel pour un
comportement normal de chef du meute qui, s'il veut garder sa place, doit sanctionner par la morsure un inférieur
hiérarchique qui dépasse les bornes de la bienséance canine. Il ne faut jamais oublier que les codes canins et les codes
humains ne sont pas du tout les mêmes ! Quelques causes de mauvais traitements au sens strict (animaux battus)
 Lorsque l'on se trouve devant des mauvais traitements physiques infligés de manière répétée (chien battu), c'est
souvent le signe que quelque chose ne va pas dans la famille. En effet, les gens et les animaux forment un système
dans lequel la santé mentale et physique de tous les membres sont intimement liées. Il n'est en effet pas rare de trouver
en parallèle des mauvais traitements infligés à d'autres êtres humains, femmes ou enfants. Diverses recherches
(notamment de Bergler) montrent en effet que la qualité émotionnelle de l'attache d'une personne à un animal (dans ce
cas, un chien) détermine en partie la qualité de ses sentiments pour les êtres humains.
Lorsque les mauvais traitements sont le fait d'un enfant, il faut tout d'abord s'assurer que ce dernier est conscient des
souffrances qu'il inflige car il peut parfois agir simplement dans le but de faire des expériences. Cependant, lorsque
qu'un enfant maltraite systématiquement un animal, c'est dans la plupart des cas un appel à l'aide pour un problème
passé inaperçu (il peut s'agir d'un abus qu'il a lui-même subi ou que l'un de ses proches a subi, d'un rejet...) mais cela
peut être également le signe avant-coureur d'une grave perturbation psychologique.
Il peut s'agir d'une perte de contrôle momentané, d'un acte impulsif isolé qui peut avoir été provoqué par des frustratio
personnelles subies, des événements traumatisants, des pressions psychologiques. Dans certains cas de grave
perturbation mentale, l'animal peut tout à coup être vécu comme menaçant et faire émerger des affects très violents.
Quelques traits caractéristiques des gens qui maltraitent les animaux
- intolérance à la frustration
- instabilité émotionnelle
- impulsivité
- excitabilité
- besoin immédiat de gratification
- faible estime de soi masquée par une pseudo-assurance
- débilité mentale : incapacité d'évaluer et de supporter la servitude engendrée par l'animal à laquelle ces personnes
réagissent par des manifestations de rejet ou d'agressivité violentes.
A tous ces facteurs s'ajoutent l'environnement culturel et social, la valeur attribuée à l'animal, l'idée que l'on peut se faire
de sa souffrance, l'insuffisance des ressources, le chômage, les mauvaises conditions de logement, la dépendance
(drogue, alcool)... La frontière entre santé et maladie mentale est encore plus difficile à fixer lorsque l'on examine les
relations humains-animaux car certains comportements violents envers le chien sont non seulement acceptés mais
encore recommandés dans certains centres de dressage... Pour certains dresseurs, être chef de meute signifie encore
crier sans cesse et soumettre le chien par la force, briser son caractère... N'entend-on pas encore assez souvent dire
que pour faire obéir un chien récalcitrant, il suffit de le pendre au bout de la laisse jusqu'à ce qu'il commence à étouffer ?
On oublie que le loup chef de meute n'est souvent pas le membre le plus agressif de la meute mais avant tout un animal
sûr de lui et qu'il ne suffit pas de vouloir être le chef, encore faut-il être accepté par ses congénères !
Que faire ?
En tant que vétérinaires, vous pouvez parfois être confrontés à de tels problèmes ; en effet, les coups peuvent
entraîner des lésions corporelles. Cependant, il peut être très difficile de prouver que le propriétaire a lui-même
provoqué les blessures constatées, d'autant plus que s'il y a récidive, ce dernier sera enclin à consulter un autre
vétérinaire. Utiliser comme critère de mauvais traitements la peur de l'animal face à la main qui avance dans sa direction
peut induire en erreur : il peut en effet s'agir d'un animal qui n'a pas été socialisé correctement aux humains.
La difficulté pour un vétérinaire confronté à des cas de violence au sens strict est d'établir une prédiction de
comportement d'agression future envers l'animal ; on devrait en effet tenir compte des événements ayant amené les
actes de violence précédents, du nombre de ces derniers, du milieu dans lequel vit le sujet, des tensions dans lesquelles
il se trouve, de ses facteurs cognitifs et affectifs etc...Il faut savoir que la probabilité de violence augmente à chaque acte
violent. Dans les cas les plus graves, il va sans dire qu'il est du devoir du vétérinaire de faire retirer l'animal .
Si l'on prend la définition de mauvais traitements au sens large, dans le plus grand nombre de cas il s'agit de
méconnaissance. Il ne s'agit donc pas de culpabiliser les maîtres puisque dans la plupart des cas, ces derniers pensent
agir pour le mieux ; combien de fois n'ai-je pas entendu mes clients dire « pourtant, je fais tout pour mon chien, je me
prive de sortir, j'essaie de le contrarier le moins possible... ». Ce qu'il faut, c'est prendre le temps de les écouter sans les
juger, leur permettre de s'exprimer, être disponible, accepter de les suivre, souvent être prêt à répéter sans cesse les
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mêmes conseils car un mauvais pli est bien vite repris... Bien souvent, le simple fait de pouvoir expliquer le point de vue
de l'animal aide à dédramatiser la situation ; en effet, le fait de savoir que dans la majorité des cas, l'animal n'est pas fou
mais réagit normalement selon ses codes à une situation anormale permet de modifier les relations et d'entrevoir une
possibilité d'amélioration.
Parfois, le comportement de l'animal n'est qu'un prétexte pour pouvoir parler de ses problèmes personnels car le
vétérinaire ou le comportementaliste, n'étant pas catalogué comme un psy, est ressenti comme moins dangereux. Dans
ce cas, il sera bien entendu nécessaire de les envoyer consulter ailleurs mais on ne pourra le faire avec succès que
lorsqu'ils auront pu établir un lien de confiance avec nous... Oui, cela prend du temps mais cela en vaut la peine...
Dr. Evelyne Teroni
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