Lundi 23 avril, Istanbul, Athènes Dans le bus de la ville qui, pour le

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Lundi 23 avril, Istanbul, Athènes Dans le bus de la ville qui, pour le
Lundi 23 avril, Istanbul, Athènes
Dans le bus de la ville qui, pour le prix d'un billet de métro me conduit à l'aéroport Atatürk au lieu des 10€
demandés par les compagnies privées, je rencontre un jeune couple d’Égyptiens en voyage de noces. Ravis de leur
séjour en Turquie ils ne semblent pas moins ravis de retrouver leur cher pays pourtant en proie à d'incertaines
perspectives. Premier contrôle des bagages pour entrer dans l'aéroport, deuxième contrôle au passage de la
douane, la confiance règne ! En me dirigeant vers la porte d'embarquement, je passe devant un groupe de pèlerins
tout de blanc vêtus en partance pour Médine. Leur salle d'embarquement est bordée de façon ostentatoire par
une boutique vendant cigarettes, vins et spiritueux ! Quelles tentations pour ces braves gens en quête d'un avenir
éternel paradisiaque ! Dans toutes les boutiques de duty free, les cartouches de cigarettes arborent dans toutes
les langues le slogan qui prévient les consommateurs que fumer tue. Jusque quand les lobbies garderont-ils ce
droit inaliénable de mettre la vie des autres en danger en toute impunité ? Pourquoi fait-on la chasse aux drogues
dites dures et à leurs substituts alors que cigarettes et alcools passent à travers les mailles du filet ? Ah, ces
chères taxes qui engraissent sur la vie des gens les caisses de nos États peu scrupuleux !
Réenchantement sur le sol grec.
Un accueil chaleureux chez Petros et Kostas, mes hôtes chez lesquels j'ai réservé une chambre très bellement
aménagée. En compagnie de Yasmine, designer qui navigue de par le monde en effectuant des petits boulots et qui
loge également chez eux, nous dégustons une salade et quelques plats locaux dans une belle convivialité.
Mardi 24 avril, Athènes
Déambulation à travers le quartier pour rejoindre l'Acropole. Je monte sur un promontoire qui permet
d'embrasser du regard presque toute la ville couchée sous le voile épais de brumes et de nuages gris aux teintes
mêlées. Les monts alentour décrivent au ciel ce qu'une muraille décrit à une ville. En descendant vers l'agora,
éblouissement des couleurs : les rouges des coquelicots perforent le vert des herbes folles émaillées de jaune, de
bleu et de mauve. Oliviers, pins et palmiers s'enchevêtrent pour remplir l'espace de leur présence vivifiante. Je
poursuis vers le quartier Pláka où, en cours de route, je m'arrête au centre Melina Mercouri dont les velléités
pour la préservation et la mise en valeur du patrimoine culturel et écologique semblent avoir porté certains fruits.
Mon bref entretien avec une responsable du centre me permet de juger de l'immobilisme actuel de l'institution
orpheline.
Pláka, vue sur l'Acropole
En poursuivant ma route, je traverse différents quartiers dits populaires dont l'état de délabrement m'attriste
profondément. Des matelas posés à même le sol confirment l'état de pauvreté de certains de leurs « habitants »,
la plupart issus de l'immigration d'après ce qu'on m'expliquera plus tard. Je me dirige peu à peu vers le centre de
la ville, près du parlement avant de me rendre dans le parc national qui le jouxte ; dans la rue Kampari, j'assiste à
un spectacle inattendu : la fanfare s'ébroue, les hommes se motivent et en avant pour la relève de la garde ! Les
uniformes impeccables ne cèdent en rien au pas cadencé et particulièrement ridicule de ces militaires fiers de
leur accoutrement et de leur rôle symboliquement irréprochable... Je glousse intérieurement, assistant avec mon
air malicieux au défilé séquencé mais non moins pitoyable.
Mon séjour à Athènes m'aura permis de rencontrer différentes personnalités musicales très intéressantes.
Certaines s'en remettent plus ou moins au destin pour tenter d'accomplir leur tâche en comptant aussi plus sur le
soutien institutionnel que sur leur dynamisme propre alors que d'autres, au contraire, se défiant des institutions
partisanes, préfèrent mettre tout leur courage dans la balance pour faire avancer leurs projets personnels.
Samedi 28 avril, Athènes, Erétria
Lever matinal. Yasmine et Kostas partent au travail de très bonne heure, j'en profite aussi pour me lever tôt pour
préparer mon départ d'Athènes, direction Erétria. Un bus quitte la capitale à 10h00 pour rejoindre en moins de
deux heures la petite ville côtière de l'île d'Eubée via Halkida.
Arrivé dans cette station balnéaire au repos, je m'enquiers d'une chambre ; après avoir tourné 5 minutes dans les
petites rues du centre et de la côte, une aimable commerçante m'indique un endroit où des chambres sont à
louer. Je tombe sur une petite cour charmante envahie par des plantes vigoureuses d'où je clame un « hello » qui
pourrait presque passer pour du grec ancien ! Une dame d’environ 70 ans, courbée mais vive dans sa démarche, me
fait comprendre, en grec moderne, qu'elle a bien des chambres à louer ; elle me conduit dans la maison adjacente,
me fait monter jusqu'à l'étage où différentes chambres sont disposées assez agréablement. Elle me propose une
chambre où deux lits jumeaux, un frigo, une table et une chaise remplissent tout l'espace ; le montant de 20€
m'est annoncé, et la dame me quitte gentiment, après avoir vérifié que tout est en ordre et dans la chambre et
dans la salle d'eau. Je pose mon sac, boucle la chambre et m'empresse d'aller me balader le long de la côte pour
apprécier le cadre assez beau du village. Vers 12h45 je retourne vers l'arrêt de bus où je dois retrouver Yasmine
qui travaille dans un village de vacances tout proche, et qui est sur la route de retour vers Athènes. Nous
déjeunons au bord de la mer, l'une d'une brochette de poulet, l'autre d'une salade niçoise, refaisons le monde et,
de retour à l'arrêt de bus, nous quittons pour de bon cette fois-ci. Je repars vers la plage et vers une presqu'île
qui me semblait plutôt prometteuse. Las, des barbelés quadrillent le lieu pour protéger une sorte de centre de
vacances hideux ; je trouve cependant quelques rochers où lézarder quelques instants avant qu'un groupe de
jeunes Pakistanais me déloge par leur bruit. La Grèce est devenue depuis quelques années une zone d'accueil et
de transit de nombreux réfugiés de pays orientaux. Les malheureux tentent de survivre en vendant des copies de
CDs et autres babioles peu attirantes. En se regroupant en petites cohortes, j'imagine qu'ils se soutiennent le
moral et doivent se sentir moins isolés. Je ne connaîtrai pas leurs conditions d'hébergement et leur réelle
cohabitation avec la population locale ; vu le contexte actuel, on peut imaginer toutes les difficultés possibles de
part et d'autre.
Le village d'Erétria, l'acropole en arrière-plan
Pour découvrir, enfin, les vestiges de l'antique cité d'Erétria, je décide d'aller voir 'Jacques le Belge', un autre
immigré, plutôt très bien intégré celui-là, afin qu'il m'informe de l'endroit où se trouvent les vestiges. Fort
aimablement, il m'offre une brochure succincte mais bien faite de sa composition sur laquelle je trouve le plan de
la ville, les différents sites à visiter et les horaires de bus. Étant donné l'heure déjà tardive, je sais que je ne
pourrai rien visiter, mais, les sites étant en plein air, j'imagine bien pouvoir apercevoir quelque édifice ou ruine
encore debout. Et, en effet, une fois le musée fermé dépassé, je longe avec joie les vestiges de différents corps
de bâtiments pratiquement rasés et envahis par les herbes folles, le théâtre réduit à l'état de disque par le
passage du temps. Pendant cette promenade, j'avise un petit mont qui me semble suffisamment haut pour offrir
un panorama exhaustif sur toute la cité. J'entreprends donc de le gravir et me rends compte rapidement grâce
aux panneaux jalonnant la montée, que je me dirige vers l'ancienne acropole d'Erétria. Je longe donc des résidus
de murailles et découvre au sommet de très rares vestiges d'une « ville haute » ou « ville du bout » selon le
terme antique. La vue est magnifique, embrassant à la fois toutes les terres et collines avoisinantes que la baie où
sommeillent quelques bateaux. Une fois encore, l'aptitude des anciens pour trouver des lieux stratégiques, pleins
de sens et de sereine beauté reste insurpassable. Je redescends à regret de ce havre de paix et de solitude à
travers oliviers, pins et herbes folles pour rejoindre tranquillement ma chambre où je dînerai des quelques
emplettes achetées au supermarché du coin.
Dimanche 29, Erétria, Loutra Edipsou
Aujourd'hui, mon objectif est de rejoindre Aedipsou, à l'autre bout de l'île, afin de prendre demain le bateau
pour Arkitsa. Le seul bus possible part à 14h30 d'Erétria et met un temps considérable pour effectuer les
quelques 100 km annoncés. Après avoir avalé un généreux café au lait au café du coin, je prends le bus qui me
conduit à 9h00 à Halkida d'où je tenterai ma chance pour le stop, préférant goûter aux joies des rencontres
inattendues plutôt qu'au ronron monotone du bus climatisé et sûr de soi ! Mon premier chauffeur qui, m'ayant vu
un peu tard, a fait demi-tour pour venir me chercher est un jeune praticien hospitalier, père de quatre enfants
dont des jumeaux, d'une gentillesse totale. Il me dit : pas de religion, pas de politique, juste l'amour ! Le meilleur
programme quoi ! Grâce à lui je me retrouve à Mandoudi, après avoir traversé des paysages d'une beauté à couper
le souffle. La flore change rapidement dès que nous prenons de l’altitude ; les vues sur la mer et la montagne
enneigée alternent au détour des virages, les forêts s'étagent le long de la route, réminiscences de la Corse.
De saut de puce en saut de puce, je me retrouve à Loutra Aedipsou vers 15h00, certaines pauses m’ayant permis
d’attendre dans des sites de grande beauté. Vers Limni, je m’offre même un bain de soleil dans une crique
protégée où mon seul voisin est un pécheur qui pose ses lignes à quelques dizaines de mètres de la côte. Quiétude
totale sous le soleil chaud mais non brûlant ; la température de l’eau empêche toute baignade à mon grand regret.
Ville thermale, Aedipsou est aussi une station balnéaire et un port. Bourgade fourrée d’hôtels offrant des soins
grâce aux eaux sortant à 60° de la montagne, elle se love au pied d’une colline et s’étend le long d’une sorte de
crique abritée. Mon dernier chauffeur, ancien officier de marine qui a pas mal bourlingué et qui me dit connaître
Bordeaux, l’une de ses escales, est en tournée sur Eubée avec sa femme, celle-ci tentant de convaincre ses
électeurs de faire le bon choix, candidate qu’elle est d’un parti de gauche, si j’ai bien compris. De prochaines
élections aux enjeux importants doivent avoir lieu la semaine prochaine, tout le monde est sur les dents… Ils me
laissent donc près du port et je me mets en quête d’une chambre. La plupart des hôtels sont fermés, la saison
n’ayant pas encore commencé. Un aimable couple de commerçants m’indique un hôtel qui, d’après eux devrait me
convenir, l’Irini. Je m’y dirige, m’enquiers d’une chambre et, pour 35€ me retrouve dans une belle pièce spacieuse,
très bien équipée, longée par une petite terrasse d’où je peux voir la mer. Une bonne douche prise, je m’en vais à
la découverte de la côte, de ses charmes et de ses mauvaises surprises. Vers le sud, un petit coin de plage est
aménagé pour accueillir les curistes peu fortunés qui se contentent des aménagements municipaux pour se faire
arroser d’eau chaude en plein air ! Quelques jeunes s’amusent donc à se doucher à l’envi et à se rafraîchir dans la
mer dont la température est toujours aussi frisquette (17, 18°). En poursuivant vers le sud, je découvre des
plages en contrebas, dont l’accès s’avère malheureusement impossible, des propriétés privées en interdisant
l’usage. Vive la loi du littoral française ! Je rebrousse chemin et me dirige alors vers le nord, espérant avoir plus
de change pour trouver une plage isolée. Hélas, rien de tel, toute la bordure maritime large de quelques mètres
interdit toute quiétude vis-à-vis de la route littorale. On verra mieux ailleurs ! Je prends un repas dans un
restaurant de bord de plage, avec un coucher de soleil assez joli puis m’en retourne à l’hôtel pour me reposer
d’une journée tout de même assez fatigante, mais si intense en découvertes émouvantes.
Loutra Edipsou, la Grèce continentale est en face
Lundi 30, Loutra Edipsou, Arkitsa
Le petit déjeuner n’étant servi qu’à partir de 8h00 à l’hôtel, je ne prendrai le ferry pour Arkitsa qu’à 9h00. La
traversée de 45 minutes est bien agréable, la lumière permettant d’apprécier le modelé diversifié des deux
côtes. À peine débarqué, je m’entends appeler par Soline, au volant de sa belle voiture ! Elle était venue attendre
quelqu’un d’autre au bateau, mais ne refuse pas de se charger de moi ! Retrouvailles heureuses, après quatre
années d’éloignement. Je connais Soline depuis qu’elle a 10 ans, soit depuis 28 ans ! Elle me conduit à sa
pharmacie, dans le bourg, où Éric, Catherine et Valentine viennent me chercher 15 minutes plus tard. Rigolade des
retrouvailles dans cet endroit exotique pour moi. Après quelques emplettes au bled voisin, nous roulons vers la
maison qu’ils louent depuis quelques années, pour être au plus près de leur fille aînée et de sa gentille petite
famille. Vue sur la mer, tout le confort nécessaire pour séjourner agréablement dans ce village paisible et
attachant. Nous déjeunons tous ensemble d’une délicieuse moussaka préparée par Soline et, le café pris, restons
au calme, Dimitri ayant besoin de sa sieste quotidienne. Vers 18h, il m’invite à une partie de pêche, ce qui sera une
nouvelle expérience pour moi, puisque je n’ai jamais taquiné le moindre poisson, que ce soit au bout d’une canne,
d’un harpon ou à travers un filet ! Parvenus au port à bord d’un horrible véhicule tout terrain tonitruant mais qui
fait la fierté de son propriétaire, nous nous éloignons de la côte à bord d’un caïque à moteur non moins bruyant
et, à quelques centaines de mètres d’Arkistsa, Dimitri stoppe le moteur, jette l’ancre et m’explique sa technique
pour appâter sa future friture. Une ligne plombée supporte 3 hameçons garnis de petites langoustines décapitées.
Aux petits coups ressentis le long de la ligne correspondent les attaques affamées de poissons plus ou moins
malins : les plus voraces et malchanceux se retrouvent hameçonnés, il ne nous reste plus qu’à les hisser à bord.
Après s’être mis au travail seul, à ma demande, Dimitri accepte de me préparer un ligne, que je tente moi aussi de
contribuer au prochain repas halieutique ! D’un air goguenard, mon professeur me voit faire et ravale peu à peu
son ironie, une fois mes premières prises jointes aux siennes ! La lumière permet peu à peu aux monts alentour de
dessiner plus lisiblement leurs contours. Nous bénéficions d’une mer calme, d’une sérénité à peine troublée par les
allers et venues des ferries reliant Arkitsa et Aedipsou. Un merveilleux coucher de soleil nous accompagne
jusqu’au port où nous accostons à 20h passées. Le caïque une fois refermé, Dimitri enfourche son bolide tout
terrain non sans exhiber aux amis du port notre pêche relativement généreuse. Ma méconnaissance du grec me
permet de rester par l’esprit avec le coucher de soleil, incapable que je suis de comprendre les tirades que mon
coéquipier lance à ses amis ! Nous rentrons comblés à la maison où une autre friture de poissons pêchés du matin
ou de la veille nous attend. Soirée parfaite, harmonie et détente, partage et complicité. Alexandre et moi
égrenons quelques notes sur le piano nouvellement acquis et nous rentrons, Catherine Éric et moi dans la maison
du haut de la rue pour une tisane et un échange avec Catherine qui se poursuivra tard dans la nuit. Éric émerge
toutes les heures, réveillé par le ronron de notre discussion qu’il compare aux psalmodies de quelque prêtre !
Mardi 1er mai, Arkitsa, Mont Parnasse
Départ pour le mont Parnasse via une route de toute beauté. Nous nous arrêtons dans un petit village déjà assez
haut perché pour déjeuner à l’ombre des platanes. Seuls des Grecs nous entourent, partageant en famille ou
entre amis les copieuses portions servies dans les quelques restaurants qui semblent cohabiter paisiblement. Les
portions de viandes sont si énormes que je me résous à en laisser un peu dans l’assiette, craignant quelque
indisposition par excès. Mes convives demandent grâce eux aussi et nos assiettes repartent presque toutes
encore un peu remplies. Et nous, nous repartons vers un autre village près de Delphes pour un « café ». Celui-ci se
transforme en véritable dessert pour certains, gaufres, gâteaux et glace se trouvant peu à peu disposés sur la
table de la terrasse où nous nous sommes arrêtés, tandis que je me contente d’un espresso capable de réveiller la
Pythie de son endormissement séculaire ! Une fois les estomacs calés (et encore !), nous repartons vers Arkitsa,
heureux d’une journée passée dans ces montagnes où les dieux fécondent les pensées des hommes de mythes
aussi beaux qu’improbables. La soirée se passe tranquillement chez Soline et Dimitri autour d’une table joliment
garnie de mets toujours délicieux. La nuit sera peuplée de ces ombres furtives qui, se rappelant à notre bon
souvenir de mécréants, ressuscitent les peuples célèbres qui tissèrent au fil des siècles ce vaste berceau de
croyances, de mythes et de légendes dont nous entretenons avec une douce nostalgie la flamme engourdie.