Laïcité à l`hôpital

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Laïcité à l`hôpital
DROIT & JURISPRUDENCE
Laïcité à l’hôpital
Un principe constant
et uniforme, une pratique de terrain
évolutive et variée
Isabelle Génot-Pok, Clothilde Poppe Juristes consultantes au centre de droit Jurisanté, CNEH
Ce sujet est des plus délicats et des plus vifs car
il touche les fondements mêmes de la République française.
La période 2003-2004 a été marquée par un grand débat
au sein du corps social, sur la liberté religieuse, la neutralité
de l’État et le principe de non-discrimination, en particulier
dans les services publics tels que l’école. Ce débat
n’épargne évidemment pas l’hôpital, lieu sensible des
préoccupations sociales.
L
e dernier arrêt de la Cour
européenne des droits
de l ’homme (CEDH) du
26 novembre 2015, affaire
Ebrahimian c. France 1, nous
rappelle à quel point le sujet est toujours
d’actualité, et contesté. Ceci alors même
qu’il semble réglé depuis plusieurs
années par le dispositif juridique comme
par la jurisprudence. Tout agent public
est appelé à comprendre le principe de
laïcité et à le respecter. À l’inverse, le
non-respect de ce principe constitue un
manquement à ses obligations qui doit
trouver une réponse de la hiérarchie,
garante du bon fonctionnement de ce
service public. Aussi importe-t-il de
rappeler ce qu’implique, pour les hospitaliers, le devoir de laïcité dans le
« LAIKOS »
Le terme « laïque » provient du grec laikos,
dérivé de laos (« peuple »). Il désignait
celui que ne faisait pas partie du clergé,
par opposition à klericos (celui qui détenait
le pouvoir religieux).
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service public. Mais aussi les actions
à mener afin d’en garantir la mise en
œuvre à l’hôpital, comme l’imposent
la réglementation et la jurisprudence.
Le nécessaire respect
du principe de laïcité
dans le service public
Un régime juridique
précis et solide
La base du régime juridique de la laïcité
dans notre République est issue de la
loi de 1905 relative à la séparation des
Églises et de l’État. De ses articles 1
et 2, il ressort que « la République assure
la liberté de conscience. Elle garantit le
libre exercice des cultes sous les seules
restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». « La République ne
reconnaît ni ne subventionne et ne salarie
aucun culte. » Ces principes sont venus
nourrir les fondements de la République
en prenant valeur constitutionnelle dans
l’article 1 de la Constitution de 1946
« Elle [la République] assure l’égalité
devant la loi de tout citoyen sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle
respecte les croyances », puis confirmé
dans l’article 1er de la Constitution du
4 octobre 1958 : « La France est une
République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité
devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d’origine, de race ou de religion.
Elle respecte toutes les croyances. Son
organisation est décentralisée. »
En posant le principe de non-discrimination des citoyens en raison de leur
religion ou de leur absence de religion
s’exprime l’affirmation, au plus haut
degré, de notre droit de la liberté de
conscience. Le Conseil d’État, dans son
arrêt du 6 avril 2001, Syndicat national
des enseignements de second degré
(SNES), rappelle la valeur constitutionnelle du principe de laïcité et la neutralité du service public qui en découle.
Nombre de textes internationaux
exposent les mêmes principes de rapport entre les Églises et l’État 2. Sans
parler explicitement de laïcité, ils garantissent la liberté de conscience et le
pluralisme religieux, ainsi que l’absence
de discrimination et le respect de la
liberté religieuse, en admettant des
restrictions légitimes à la manifestation
de cette liberté 3.
Cependant, après avoir rappelé le principe de la liberté de conscience et son
corollaire, celle de la religion, nos textes
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admettent des restrictions à l’expression de cette liberté. Ces limites sont
légales et s’imposent pour préserver
l’équilibre rendant justement compatible la liberté personnelle avec la cohésion sociale et l’ordre public.
L’un des premiers symboles du combat
pour la laïcité a été d’interdire l’usage
des signes religieux dans les lieux
publics. La loi du 9 décembre 1905
dispose « qu’il est interdit d’élever ou
d’apposer des signes ou des emblèmes
religieux sur les monuments publics ou
sur les emplacements publics à l’exception
des édifices cultuels » (article 28).
Dans les établissements publics, il est
également fait interdiction d’apposer des
signes ou symboles religieux. L’hôpital
public, lieu par excellence de rencontres
de mixité des populations, n’échappe
pas à ces devoirs républicains. Il doit les
respecter et les faire respecter. La règle
de droit et la jurisprudence constante
rappellent les agents publics à leurs
strictes obligations.
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Cette interdiction de démonstration de
signe religieux fait écho au principe de
neutralité, lequel est un rempart contre
la discrimination des usagers. Sans quoi
on pourrait penser qu’un agent qui ne
respecte pas le principe de neutralité
est susceptible de trahir les principes
du service public pour lequel il travaille et qu’il représente aussi dans son
comportement. Il serait alors déduit de
CHARTE DE LA LAÏCITÉ : OBJET ET RÔLE
« La charte vise à rappeler aux agents publics, et usagers des services publics, leurs droits et
devoirs à l’égard du principe républicain de laïcité, et ce afin de contribuer au bon fonctionnement
des services publics. Son contenu a été proposé par le Haut Conseil à l’intégration. Son rôle
est de renseigner usagers et agents sur leurs droits et leurs obligations concernant la laïcité
et la liberté religieuse. À cet effet, elle doit être affichée de manière visible et accessible dans
les lieux qui accueillent du public, et être portée à la connaissance des agents.
Concernant les agents du service public
• Tout agent public a un devoir de stricte neutralité. Il doit traiter également toutes
les personnes et respecter leur liberté de conscience.
• Le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice
de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations.
• Il appartient aux responsables des services publics de faire respecter l’application
du principe de laïcité dans l’enceinte de ces services.
• La liberté de conscience est garantie aux agents publics. Ils bénéficient d’autorisations
d’absence pour participer à une fête religieuse dès lors qu’elles sont compatibles
avec les nécessités du fonctionnement normal du service. »
Extrait : http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/charte_laicite.pdf
1. Tous les arrêts sont répertoriés dans les encadrés « Références » pages suivantes.
2. Article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme ; article 18 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme ; articles 18 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
3. Avis n° 41 sur la laïcité de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, point 5.
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ce non-respect que l’agent pourrait discriminer en faveur ou en défaveur d’un
usager selon ses propres convictions
religieuses. Dès lors, la neutralité du
service public interdit à tout agent public,
quel que soit son statut (fonctionnaire
titulaire ou contractuel), de manifester
ses croyances religieuses lorsqu’il est
en service, que ce soit par ses actes ou
par le port de signes religieux.
L’obligation de neutralité est sans appel
et de caractère strict. Pour autant, la
liberté de conscience étant garantie aux
agents publics, ceux-ci peuvent bénéficier d’autorisations d’absence pour
participer à leurs fêtes religieuses. Mais
à une seule et unique condition : que
ces absences soient compatibles avec
Celui-ci fait une application de la règle
particulièrement rigoureuse qui ne peut
souffrir d’exception, au risque de ne
plus maintenir l’équilibre - dont il est
le garant - entre l’intérêt général et
l’ordre public d’une part, et la liberté
de religion et son expression d’autre
part. Le juge administratif est au cœur
de la construction et de la pérennisation de cet équilibre qui doit demeurer
inébranlable 4.
La neutralité de l’État implique des
conséquences concrètes pour les
agents des services publics et notamment hospitaliers. Cette neutralité
interdit strictement aux agents publics
(fonctionnaires ou contractuels) de
manifester de quelque manière que
Les agents publics peuvent bénéficier d’autorisations
d’absence pour participer à leurs fêtes religieuses
à une seule et unique condition : que ces absences
soient compatibles avec le fonctionnement du service.
le fonctionnement du service auquel ils
sont attachés (circulaire FP n° 901 du
23 septembre 1967). Toutefois, bien que
la loi et les textes internationaux soient
clairs et précis, le Conseil d’État dut, au
cas par cas, rappeler la règle et préciser
son application dans une remarquable
et inévitable constance.
Une jurisprudence
rigoureuse et constante
L’obligation de neutralité est posée
depuis plus d’un demi-siècle dans la
jurisprudence du Conseil d’État (CE,
8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau ;
CE, 3 mai 1950, Demoiselle Jamet).
ce soit leurs croyances religieuses lorsqu’ils sont en service ou en fonction (par
exemple par des actes religieux tels
que le port de signe religieux, notamment des vêtements), indique le Conseil
d’État dans son avis devenu célèbre du
3 mai 2000, Mademoiselle Marteaux.
Aussi, il ne peut être accepté que l’on
oublie sciemment les missions pour
lesquelles l’agent a été embauché, et
qu’il doit servir et représenter le service
public : « Ils [les agents publics] n’ont
pas la possibilité […] de manifester leurs
croyances dans le cadre du service. Cette
interdiction s’applique de façon rigoureuse
et elle s’oppose à toute démonstration
UNE DÉFINITION DE LA LAÏCITÉ
Conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l’Église et de l’État et
qui exclut les Églises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier,
de l’organisation de l’enseignement. Elle repose sur trois principes issus de la loi de 1901 :
• la liberté de conscience et la liberté du culte,
• la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses,
• l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient les croyances ou les convictions.
La laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres, mais la liberté d’en avoir une. Elle n’est
pas une conviction, mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve de la préservation
de l’ordre public.
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de foi par les agents. Elle implique,
notamment, l’interdiction du port de tout
signe destiné à marquer l’appartenance
de l’agent à une religion et cela quelles
que soient les fonctions qu’il exerce. Sont
donc concernés non seulement les enseignants, ainsi que les autres membres
de la communauté éducative, mais plus
généralement l’ensemble des agents
publics. » Cette position a été confirmée
par la jurisprudence postérieure à l’avis
Marteaux, reprise notamment dans la
décision du tribunal administratif de
Paris (17 octobre 2002). Cette dernière
rappelle que le principe de neutralité
du service public est un principe de
protection des usagers du service « de
tout risque d’influence ou d’atteinte à leur
propre liberté de conscience ».
Par ailleurs, il incombe au juge administratif de veiller à ce que l’administration
ne porte pas atteinte de manière disproportionnée à la liberté de conscience des
agents publics lorsque la neutralité de
l’État est invoquée. Le Conseil d’État,
dans un arrêt du 15 octobre 2003, tout
en réaffirmant le principe de neutralité et son application stricte, a estimé
« valable la sanction infligée à un fonctionnaire qui avait mis son adresse e-mail
professionnelle à disposition d’une organisation sectaire ». De même, pour la Cour
européenne des droits de l’homme, le
principe de neutralité ne constitue pas
une violation de la liberté de conscience
(CEDH, arrêt du 15 février 2001, Lucia
Dahlab c. Suisse).
Dès lors, il est établi que toute manifestation de convictions religieuses dans le
cadre du service est interdite et le port
de signes religieux aussi. En conséquence, une obligation de neutralité
particulièrement stricte s’impose à tous
les agents du service public, quel que
soit ce service.
L’arrêt récent précité de la Cour européenne des droits de l’homme démontre
cependant qu’il est encore, et toujours
nécessaire, de redire le droit et les principes qui le sous-tendent. À savoir que
la laïcité est un principe fondateur de
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l’État français. Celui de la neutralité
imposé aux agents des services publics
ne constitue pas une violation du droit
à la liberté de religion.
Mais force est de constater que si la
loi et les textes européens posent les
principes et en prévoient des limites,
suivis d’une jurisprudence constante,
les difficultés de terrain demeurent. Il
appartient donc aux responsables des
établissements de santé (et médico-sociaux) de faire respecter de la manière
la plus stricte le principe de laïcité au
sein du service public.
Comment agir
face au non-respect
du principe de laïcité ?
Depuis la loi du 21 décembre 1941, le
directeur d’hôpital a l’autorité hiérarchique sur l’ensemble du personnel non
médical. Depuis la loi HPST du 21 juillet
2009, il exerce son autorité « sur l’ensemble du personnel » (CSP, art. L. 61437). Pour les praticiens hospitaliers, cette
autorité est encadrée par certaines
garanties telles que « le respect des règles
déontologiques ou professionnelles qui
s’imposent aux professions de santé ».
Or, la manifestation extérieure de ses
croyances constitue bien pour un agent
public une faute susceptible de sanction,
dans la mesure où les actions de prévention et les avertissements n’ont pas
permis l’arrêt de ces agissements… Ces
sanctions seront prises par le directeur
de l’hôpital, ou par le Centre national de
gestion des carrières (CNG) s’agissant
du personnel médical.
Actions de prévention
et d’avertissement
Face à des agissements contraires au
respect du principe de laïcité à l’hôpital,
comme par exemple prendre du temps
de prière, porter des éléments ostentatoires (voile islamique, kippa, etc.),
refuser de servir du porc, etc., le directeur prendra les mesures nécessaires
pour faire cesser ces comportements.
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Avant de sanctionner, il est important de
bien informer les agents sur la mise en
œuvre de leurs droits et obligations tels
que, notamment, le principe de neutralité.
Pris par le temps et l’urgence des recrutements, trop d’établissements négligent
cette information et omettent parfois de
les mentionner dans le livret d’accueil.
De la même manière, une journée
d’accueil doit être organisée pour les
nouveaux arrivants dans la fonction
publique (fonctionnaires, contractuels
et personnels médicaux) afin d’éviter
notamment les incidents sur les manifestations religieuses. Comment, dès
lors, ne pas être surpris de voir arriver
un agent recruté quelques jours auparavant en tant que gynécologue au sein
d’un centre hospitalier et portant le voile
islamique dès la première consultation
(voir d’autres exemples dans l’encadré
page suivante) ? Plusieurs documents
permettent d’avoir des éclaircissements
sur ces modalités : ainsi du livret d’accueil qui doit être remis à chaque nouvel
agent, du règlement intérieur qui reste
un document obligatoire pouvant prévoir une partie dédiée à l’application
des droits et obligations des agents, et
même de la charte de la laïcité, élaborée
récemment mais affichée dans moins
de 50 % des établissements sanitaires 5.
Enfin, si l’information n’est pas passée
ou si l’agent ne l’a pas comprise, il est
préférable, avant toute sanction disciplinaire, de mettre en place un avertissement. Celui-ci est présenté dans la
loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 comme
la première sanction du groupe 1. Mais
aucune trace d’avertissement ne doit être
apposée dans les dossiers administratifs.
Il s’agit donc plus précisément d’une mise
en garde, qui, si elle est prise en compte,
n’a aucune incidence sur la carrière de
l’agent. L’information, l’échange, voire
l’avertissement, sont donc évidemment à
privilégier et permettent dans la majorité
des cas de résoudre les conflits et d’éviter
le recours aux sanctions disciplinaires…
RÉFÉRENCES
Textes nationaux
• Articles 1 et 2 de la loi du 9 décembre
1905 relative à la séparation des Églises
et de l’État
• Article 1 de la Constitution du 27 octobre
1946
• Article 1 de la Constitution du 4 octobre
1958
• Instruction n° 7 du 23 mars 1950 et
circulaire n° 901 du 23 septembre 1967
relatives aux autorisations d’absence
pour fêtes religieuses
• Circulaire n° 2004-57 du 2 février 2005
relative à la laïcité à l’hôpital
• Circulaire n° 5209/SG du 13 avril 2007
relative à la charte de la laïcité dans les
services publics
• Circulaire du 5 juillet 2011 du ministère
de l’Intérieur sur la laïcité à l’hôpital
À noter : deux textes déposés actuellement
devant le Parlement concernent
directement ou indirectement la laïcité
dans les établissements publics de santé :
• le projet de loi relatif à la déontologie
et aux droits et obligations des
fonctionnaires (www.fonction-publique.
gouv.fr),
• la proposition de loi de Michel Terrot
et plusieurs de ses collègues visant à
rappeler les principes de laïcité et de
neutralité dans les établissements de
santé, enregistré à la présidence de
l’Assemblée nationale le 25 mars 2015
(www.assemblee-nationale.fr)
Textes internationaux
• Article 10 de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen, 1789
• Article 9 de la Convention européenne
des droits de l’homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950
• Article 18 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme, 10 décembre 1948
• Article 18 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques,
16 décembre 1966
Sanctions disciplinaires
Après avoir mis en œuvre les éléments
de prévention et d’avertissement nécessaires, le directeur peut être amené à
sanctionner les agents pour non-respect du principe de neutralité. S’agissant
du personnel médical, il devrait réunir
des éléments et transmettre le dossier au Centre national de gestion. La
4. Conseil d’État, « Le juge administratif et l’expression des convictions religieuses », Les Dossiers
thématiques du Conseil d’État, novembre 2014.
5. Cf. le rapport de la FHF sur la laïcité du 15 juin 2015.
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DROIT & JURISPRUDENCE
EXEMPLES DE PRATIQUES QUI
CONTREVIENNENT AU PRINCIPE DE LAÏCITÉ
• Un médecin chirurgien qui porte sa kippa sous sa charlotte de bloc ;
• Un cadre de santé qui prie avec une patiente pour la soulager ;
• Les personnels d’un CHU qui demande à la direction d’organiser une messe pour le
personnel dans l’hôpital afin de rendre hommage au pape Jean-Paul II suite à son décès ;
• Une orthophoniste qui égraine son chapelet avant chaque consultation ;
• Un médecin qui consulte avec la Bible sur son bureau ;
• Une gynécologue qui reçoit les patientes en portant le voile islamique ;
• Des personnels qui quittent leur poste sans autorisation pour prier dans les vestiaires.
Nota bene : ces différentes situations ont été observées dans le service public hospitalier.
légalité de la sanction sera déterminée
au regard de la nature de l’expression
des convictions religieuses, du niveau
hiérarchique de l’agent, ainsi que des
fonctions qu’il exerce, ou encore des
avertissements qui auraient déjà pu
lui être adressés. La sanction doit également être proportionnée. Dans ce
RÉFÉRENCES
Principales jurisprudences de la Cour
européenne des droits de l’homme
• CEDH, 26 novembre 2015,
affaire Ebrahimian c. France, n° 6484/11
• CEDH, 15 février 2001,
Lucia Dahlab c. Suisse
Principales jurisprudences
du Conseil d’État
• CE, 8 décembre 1948,
Demoiselle Pasteau, rec. p. 464
• CE, 3 mai 1950, n° 98284,
Demoiselle Jamet, rec. p. 247
• CE section intérieure,
avis du 27 novembre 1989, n° 346893
• CE, 6 avril 2001, Syndicat national
des enseignements de second degré (SNES),
n° 219379, n° 221699 et n° 221700, rec. p. 521
• CE, avis du 3 mai 2000, n° 217017,
Mlle Marteaux, AJDA 2000, p. 673
• CE, sect., 15 octobre 2003,
n° 244428, M. Jean-Philippe O…
• CAA, Lyon, 27 novembre 2003,
n° 03LY01392, Mlle Nadjet Ben Abdallah
• CAA, Versailles, 23 février 2006,
n° 04VE03227
Jurisprudence
des tribunaux administratifs
• TA de Paris, 17 octobre 2002, n° 0101740/5
• TA de Lyon, 8 juillet 2003, n° 0201383,
Mlle Nadjet Ben Abdallah
• TA de Paris, 22 janvier 2009,
n° 0618045/5, Mlle C. R…
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souci, la nature et le degré du caractère
ostentatoire du signe religieux seront
pris en compte.
En effet, le Conseil d’État a tout
d’abord posé que le principe de laïcité
faisait obstacle à ce que les agents
disposent, dans le cadre du service
public, du droit de manifester leurs
croyances religieuses et que « les
suites à donner à ce manquement,
notamment sur le plan disciplinaire,
doivent être appréciées par l’administration sous le contrôle du juge,
compte tenu de la nature et du degré
de caractère ostentatoire de ce signe,
comme des autres circonstances dans
lesquelles le manquement est constaté »
(CE, avis du 3 mai 2000, n° 217017,
Mademoiselle Marteaux).
Dans une autre affaire, les manifestations religieuses des agents publics
ont pu être caractérisées comme une
faute grave. En effet, la cour d’appel
administrative de Lyon considère « que
le port, par Y… X, détentrice de prérogatives de puissance publique, d’un foulard
dont elle a expressément revendiqué le
caractère religieux, et le refus réitéré
d’obéir à l’ordre qui lui a été donné de le
retirer, alors qu’elle était avertie de l’état
non ambigu du droit applicable, a, dans
les circonstances de l’espèce, constitué
une faute grave de nature à justifier légalement la mesure de suspension dont elle
a fait l’objet » (CAA, Lyon, 27 novembre
2003, n° 03LY01392), même si en l’espèce la sanction est annulée pour
insuffisance de motivation.
De la même manière, le refus réitéré
de retirer le voile peut constituer un
motif justifiant légalement le non-renouvellement de son contrat (s’agissant
du refus réitéré d’une contrôleuse du
travail de retirer le voile qu’elle portait, CA A, Lyon, 27 novembre 2003,
n° 03LY01392, précité). Une solution
identique a été retenue à propos d’une
assistante maternelle, alors même
qu’elle se trouvait en situation de
grossesse au moment de son licenciement (CAA, Versailles, 23 février
2006, n° 04VE03227). Cette jurisprudence s’applique également à l’hôpital. À titre d’exemple, en janvier 2009,
le tribunal administratif de Paris a
estimé justifier le licenciement pour
faute grave d’une assistante sociale
d’un service de pédopsychiatrie de
l’AP-HP qui avait « refusé d’enlever le
couvre-chef par lequel elle manifestait
son appartenance religieuse » (TA de
Paris, 22 janvier 2009, n° 0618045/5
Mademoiselle C. R.)
Le tribunal considère en effet que « le
fait pour un agent public de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses
croyances religieuses par le port d’un
signe vestimentaire rituel et de refuser
d’obéir aux injonctions de sa hiérarchie
l’invitant à adopter une tenue vestimentaire respectueuse de ses obligations,
constitue une faute disciplinaire d’une
particulière gravité ». Cette obligation
de neutralité et de laïcité trouve à s’appliquer avec une rigueur particulière
dans les services publics dont les usagers sont dans un état de fragilité ou
de dépendance. Cet arrêt vient d’être
confirmé par la Cour européenne des
droits de l’homme en novembre 2015,
dans le cadre d’un non-renouvellement
de contrat à durée déterminée justifié
par le refus de l’agent d’ôter son voile
islamique (CEDH, 26 novembre 2015,
n° 64846/11, précité).
Il a également été jugé que l’utilisation par un agent public de son adresse
électronique professionnelle sur le site
d’une association confessionnelle et
sa présentation sur le site de cette
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organisation en qualité de membre
constituent un manquement au principe
de laïcité et à l’obligation de neutralité.
Ce manquement a justifié la sanction
d’exclusion temporaire des fonctions
pour une durée de six mois, dont trois
mois avec sursis (CE, sect., 15 octobre
2003, n° 244428).
Il peut être difficile pour l’employeur
de sanctionner des comportements de
manifestation religieuse qui ont pu être
tolérés pendant plusieurs mois. Pour
autant, le tribunal administratif de Paris
a indiqué que « l’autorité administrative,
en refusant de ne pas renouveler le contrat
d’un agent venu à expiration pour le motif
implicite du port d’un vêtement manifestant de manière ostentatoire l’appartenance à une religion, n’a pas entaché sa
décision d’erreur de fait, d’erreur de droit,
d’erreur manifeste d’appréciation ou de
détournement de pouvoir ; qu’ainsi, alors
même que l’employeur de Madame E. a
toléré le port de ce voile pendant plusieurs
mois et que ce comportement ne peut
être regardé comme délibérément provoquant ou prosélyte, le centre hospitalier
n’a commis aucune illégalité en décidant
de ne pas renouveler son contrat à la suite
de son refus d’enlever son voile » (TA de
Paris, 17 octobre 2002, n° 0101740/5).
L
a question religieuse est, depuis plusieurs années, un sujet récurrent.
Les députés ont adopté, le 7 octobre
2015, le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des
fonctionnaires 6. L’article 1er dispose
que le fonctionnaire « exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et
probité », en étant tenu, dans l’exercice
de ses fonctions, à l’obligation de neutralité, tout en respectant le « principe
de laïcité ». « Il doit notamment s’abstenir
de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses » et « traite
de façon égale toutes les personnes et
respecte leur liberté de conscience et
leur dignité ». Ce texte devrait donc enfin
intégrer de manière explicite l’obligation
du respect des principes de neutralité
et de laïcité des fonctionnaires, et ainsi
confirmer la jurisprudence européenne
et nationale en la matière. Les exigences relatives à la laïcité de
l’État et à la neutralité des services
publics ne doivent pas conduire à la
négation de la liberté de conscience dont
les agents publics peuvent se prévaloir,
laquelle est garantie par l’article 6 de la
loi du 13 juillet 1983. Cet article précise
d’ailleurs qu’aucune distinction ne doit
être faite entre les agents selon leurs
croyances religieuses. Tout est question
d’équilibre : l’équilibre entre la liberté
d’opinion et la neutralité de service public
définit la notion de laïcité.
Ainsi, la jurisprudence conforte depuis
des années les textes adoptés sur la
laïcité, et notamment la circulaire du
2 février 2005 relative à la laïcité dans
PROMO_RHF2016.qxp_210x85 08/12/2015 10:41 Page1 6. Projet de loi relatif à la déontologie et
les établissements relevant de la foncaux droits et obligations des fonctionnaires,
tion publique hospitalière.
n° 1278, www.assemblee-nationale.fr
RÉFÉRENCES
Ouvrages
• Sonia Orallo, La Laïcité en pratique ,
Prat, 2004.
• Michel Miaille, La Laïcité, Dalloz,
2e édition, 2015.
• Isabelle Lévy, Menaces religieuses
sur l’hôpital, Presses de la Renaissance, 2011.
Articles de doctrine
• Valérie Lasserre, professeure à l’université
du Maine, « Droits et religion »,
Recueil Dalloz, n° 17, 26 avril 2012.
• Alain Ondoua, professeur à l’université
de Poitiers, « Le service public à l’épreuve
de la laïcité : à propos de ma neutralité
religieuse dans les services publics »,
Institut de droit public (AE n° 2623),
Droit administratif, n° 12, décembre 2008,
étude 22.
Rapports et études
• Conseil d’État, « Un siècle de laïcité »,
rapport public 2004.
• Conseil d’État, « Le juge administratif et
l’expression des convictions religieuses »,
Les Dossiers thématiques du Conseil d’État,
novembre 2014.
• Étude demandée par le Défenseur
des droits le 20 septembre 2013, adoptée
par l’assemblée générale du Conseil d’État
le 19 novembre 2013.
• CNCDH, « Avis sur la laïcité »,
assemblée plénière du 26 septembre 2013,
paru au JO du 9 octobre 2013.
• « La laïcité dans les établissements
publics de santé et médico-sociaux »,
rapport de la commission des usagers,
FHF, 30 juin 2015.
Sites
• Observatoire de la laïcité :
www.gouvernement.fr/
observatoire-de-la-laicite
• Revue générale du droit :
www.revuegeneraledudroit.eu
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